Docteur Philippe
TISSIÉ
Président-Fondateur de laLigueFrançaise de l'Éducation Physique.
Chargé del'Inspection des Exercices physiques dansles LycéesetCollègesde l'Académie de Bordeaux.
Lauréat de l'Institut (Académie des Sciences), de l'Académie de Médecine,etc.
/
BIJS'iEIT Hsg 7
PENDANT LE CYCLONE
CAUSERIE DANS LA TRANCHÉE
A M. le Général Joffre,
Généralissimedes Armées de laRépublique, Pour Demain par Aujourd'hui.
± 9 ±5
Docteur
Philippe TISSIÉ
—
PENDANT LE CYCLONE
Président-Fondateur de la Ligue Française de l'Éducation Physique.
Chargedel'Inspection des Exercices physiques dans lesLycéesetCollègesde l'Académiede Bordeaux.
Lauréat del'Institut (AcadémiedesSciences), del'Académiede Médecine,etc.
~f <; 7 IL
CAUSERIE DANS LA TRANCHÉE
te-
V'.'Ic>» <> ' 1
!'W- - '■' 'v *
i -r. j > i
A M. le Général Joffre,
GénéralissimedesArmées de laRépublique,
Pour Demain parAujourd'hui.
±9 ±5
Docteur
Philippe TISSIÉ
PENDANT LE CYCLONE
CAUSERIE DANS LA TRANCHÉE
A M. le Général Joffre,
GénéralissimedesArméesde laRépublique.
PourDemain parAujourd'hui.
_ I _
LE SURHOMME
A vouloirfairel'ange, l'homme fait labête ; à vouloir s'élever au sur¬
homme, il faitla brute oulefou, la brute s'ilne viseque l'acte physique,
le fou, s'il ne vise que l'acte psychique; la brute et le fou s'il vise les deux à la fois.
L'Allemagnejoue ausurhomme, elle estbrutale etfolle. Elle seréclame pour cela de la science, mais ayant brûlé lesétapes qui sontnécessaires à toute évolution normale — elle n'existe vraiment que depuis quarante- quatre ans — elle a mal digéré la science, d'où la fausse interprétation qu'elle lui donne. En cela sa mentalité se rapproche de celle du bandit
Raymond, dit la Science, de la bande tragique de Bonnot ; comme lui,
commel'assassinLebiez, elleassassineau nom dudarwinisme, de la lutte pour lavie, du droit plus fort à l'existence. Egoïste, elle fait du délire
d'interprétation; ce délire l'apoussée au déliredes grandeurs, et celui-ci
audélire de la persécution. Ellevoit des ennemis partout,d'oùson espion¬
nage mondial, et comme tout persécuté est un persécuteur, elle persécute après s'être longuement préparéeà l'attaque avec l'esprit de méthode, le sang-froid, la patience sournoise qu'apportent certains aliénés redouta¬
bles, parce que peu connus, à préparer en cachette leurs mauvais des¬
seins, afindefrapper plus sûrement.
C'estpourquoi, à l'heure actuelle,l'Allemagne politique,rendue bruta¬
lement follepar leforçage même de ses réelles qualités de méthode, de ténacité dans le travail ordonnéet discipliné, exalte le surhomme. Mais le surhommeestunmonstreparle déséquilibre même du Kolosal écrasant,
laidet dangereux qui leconstitue. Voilà pourquoi touteslesnations civi¬
lisées se sont dressées contre le monstre, activement dans la guerre ; passivement dans la neutralité.
Tandis que chez tousles peuples civilisés lanation possède son armée,
enAllemagne l'armée possède la nation,d'oùlepangermanisme. La devise
des nationscivilisées : « Convaincre pour vaincre y>, assurela victoire de l'esprit sur la matière; celle de l'Allemagne barbare : ce Vaincre pour convaincre», poursuit la victoire delamatière sur l'esprit, elle imposela
contrainteaux âmes, elle exalte le rapt, le viol,l'assassinat, l'anéantisse¬
ment. Oncomprend qu'avec une tellementalité préhistoriquel'Allemagne
n'ait pu germaniser l'Alsace, parce que toute force part du cœur et y revient. Surprise de ne pas être aimée, elle répond par l'aphorisme bra¬
vache : «Beaucoup d'ennemis, beaucoup d'honneur» alors que la vérité
est dans l'aphorisme : et Beaucoup d'amis, beaucoup de bonheur. » Oubliant ainsi quel'épée ne fonde riende durable, elle lutte désespéré¬
ment contre lesimpondérables qui jaillissentdu cœur et contre lesquels
nulle force brutale n'a de prise. Ceci tue cela. L'impasse dans laquelle l'Allemagne s'est engagée luisera mortelle,carpour vivre par l'épée eten
assurer la victoire, d'ailleurs précaire, il faut être fort, il faut toujours
s'élever et se maintenir au surhomme, c'est-à-dire à la monstruosité psycho-physiologique.Icise dresseunfacteur important aveclequel ilfaut
savoir compter: lafatigue.
L'homme est unemachine produisant de laforce ; à cetitre, elle s'use,
elle doit êtreconduiteméthodiquement.Cette machineesttrèscompliquée;
samise enfonction est délicate parce qu'elle porte en elle sonmécanicien
même : le cerveau. Celui-ci s'idenlifie siprofondément avec les multiples pièces de la machine, leurs réactions sont si naturelles, que le physique
etle moral sontintimement tributaires l'un de l'autre.
La guerreimpose à cette machineun travail etunefatigue énormes. La
guerre actuelleestune guerre d'usure; la victoire appartiendraàcelui qui
aura su etqui aura purésister le plus longuement, en ne gaspillant pas
ses forces.
Le pouvoir de réaction à la fatigue estdonc le premier des facteurs à
considérer.
— II —
L'HOMME DE FRANCE
Laconception naïvement orgueilleuse du surhomme allemand, concep¬
tion antiphysiologique, impose, comme premier facteur, la puissance de résistance àlafatigue. Un homme fatigué est un homme blessé. Le pro¬
blème consiste donc, dans la lutte actuelle, à savoir lequel des deux soldatsfrançais et allemandsefatigue le plus vite, et celui qui possède à la fois leplus grand pouvoirde résistance avecle plus grand pouvoir de réparation.
Il m'a donc paru utile, en vue des conclusions sociales actuelles, et surtout futures, à tirer de cette guerre, de rechercher comparativementle degré de fatigue chez les blessés françaisetallemands hospitalisés à Pau.
J'ai utilisé l'oscillomètre dePachon, ce dynanomètre idéal du cœur pour le dépistage de la fatigue. Celle-ci est révélée par un abaissement de la tensionartérielle, abaissement dû à une modification dans le pouvoir de
contractilité de la pompe et du tuyautage de la circulation sanguine : le
cœur etles artères.
Tous les blessés sont fatigués, mais les blessés allemands le sont bien plusque les blessésfrançais. La différence de résistance à la fatigue est de6,15p. 100en faveur des blessés français. Ceux-ci, arrivant du champ
de bataille etmis hors de combat depuis trois à quatrejours, étant ainsi
en plein état defatigue, possédaient cependant un pouvoir de résistance
et d'actionenréserve, 6,15 fois p. 100, supérieur à celui des blessés alle¬
mands hospitalisés, traités déjàà Pau depuis dix àquinze jours,et par ce faitplusreposés que lesFrançais. Les recherches queje poursuis sur les
nouveaux arrivantsme permettent de dire que le taux est bienplus élevé
encore etqu'il atteint jusqu'à 13,58p. 100,cequi explique la rapiditéavec
laquelle guérissent les blessures chez les Français.
Le pouvoir d'action de nossoldats estsupérieurà celui desAllemands,
leur rendement estplus élevé, non seulement sur le champ de bataille, mais après leur blessure, puisqu'ils peuvent reprendre très rapidement
leurplace sur le front.
Il n'en estpas de môme des Allemands; ceux-ci se trouvent dans la situation dugibierforcé à courre, la fatigue a tellement empoisonné ses chairs qu'à la mort elles se putréfient immédiatement sous l'action des
toxines. Ainsi s'explique la gravité des blessures chez les Allemands hos¬
pitalisés, avecleur lente réparation etla gangrène mortelle.
Les soldats quej'ai observés avaient été blessés dans les batailles de la Marne, lesFrançais venaient de fournir de longueset de pénibles étapes,
dans uneretraite déprimante, les Allemands avaient sur eux un avantage moralet physique supérieur, etpourtant les Français les dominaient par leur résistancephysique et surtoutpsychique.
Notre organisation si bien comprise des dépôts nous permet d'autre part d'envoyer surle front des hommes reposés et en pleine force, d'où
leur valeur combative supérieure à celle des Allemands, et, pour les blessures, leur moindregravité, puisquenos soldats sont moins empoi¬
sonnés parles toxines de fatigue. Laraceetl'alimentation jouentunrôle important, ainsique nous le verronsdans la suite.
Le français, comme la bicyclette, est fait de caoutchouc et d'acier.
Jusqu'àcejour, la souplesse inconstante du caoutchouca primé la force
constantede l'acier. Nous devons acquérir cette force par unediscipline organisée. Notre volonté n'est pas à longue échéance; elle sait pourtant devenir patiente et tenace quand l'occasion se présente, commedans la
guerre actuelle. Le caoutchouc français, en s'adaptant à de nouveaux
besoins,s'est endurci jusqu'à devenir acier. Il fautquecela dure.
— III —
L'HOMME D'EN-FACE
D'aprèstous lestémoignages quinous sont rapportés, il
semble
nette¬ment établi que les soldats allemands— et leurs officiers — supportent bien plus difficilementqueles nôtres l'ébranlement nerveux produit par les nouveauxprocédés de combat,avecles violentes déflagrations degaz, le bruit assourdissant, les chocs cutanés etrespiratoires dus au déplace¬
mentdes masses d'air, les marches pénibles, les alertes mjgjtiples,avec l'attention toujours^tendue, le manque de sommeil, ce grand aliment nervin, l'obligationde faire effort à chaque instant, l'irrégularité dans les
repas et souventle jeûne forcé, l'émotivité portée àson plus haut degré,
etc., etc.
Lepouvoir de résistance àla fatigue estplus grand chez le Français, grâceàsonsystèmenerveuxmieux équilibré etmieux entraîné. Plusieurs
causes contribuent à cette supériorité : le climat, la terre,l'alimentation, l'hérédité, et surtoutl'éducation individualiste.
_ 4 —
Tout part de l'homme, c'est-à-dire du cerceau de l'homme, et tout y revient. Entraîner chaque unité cérébrale au plus grand effort, c'est cons¬
tituer unecollectivité psycho-motrice plus dense, plus résistante qu'une
collectivité à cerveaux asservis par une règle unique, souvent inique,
parce que vouloir imposer l'égalité à toutes les mentalités est commettre
LE CUBISME. —STATUE DE BISMARCK A COLOGNE
uneiniquité etune erreur évolutive. Provoquerdans chaque cerveau une force individuelle par une éducation personnelle,c'est le pousser à l'effort, l'entraîner aux plus grands rendements, le tonifier, le libérer surtout.
Agirautrement,c'estcréer des tendances enfaveur de lapassivitédans la faiblessecommune.
« Maintenant, je n'ai plus d'angoisse,je n'ai que ducourage, » me dit,
le jour dela mobilisation, à Cauterets, un garçon de café,en déposant
hâtivementson tablier pourcourir à lagare prendrele train et répondre
àl'appel.
La kultur allemande estbasée surVorganisation nationale etla culture française sur Yindividualisme isolé. Celui-ci oblige chaque sujet à faire
effort personnel, à penser età agir ensolitaire; il éduque donc mieux le
cerveau par entraînement individuel. L'association de tels cerveaux rend
la collectivité supérieure à celle dont chaque sujet ne vaut que par la
collectivité même, c'est-à-direpar des membres nonentraînés individuel¬
lement.
La culture française tendàfaire des chefs.
Ainsi la cérébralité se développe par l'effort même imposé, assurant, grâce àun telentraînement, uneforce de résistance plusgrande aux fati¬
gues nerveuses, physiques, émotives, etc. Le résultat, au cours de la
guerre actuelle, est, pour la santé mentale duFrançais, excellent; très précaire pour cellede l'Allemand.
Un peuple qui industrialise la science et la conscience, qui en 1882 exploita commercialement lasouffrance etl'espérance humainesen mono¬
polisant latuberculine de Koch alors qu'il la considérait commele remède
infaillible de la tuberculose; un peuple qui fit annoncer officiellement et faussement au Congrès de la Tuberculose de Paris, en 1905, la guérison
decette maladie parla science allemande; unpeuple quia pour dicton : Si tu ne veuxpas être monfrère, je te défoncerai le crâne; un peuple qui concrète sa mentalité dans la monstrueuse statue monumentale de Bismarck, àCologne, est unpeuple de barbares nevivant quedetrompe¬
ries et d'orgueilleuses illusions. La massive pomme de terre est.son
symbole. Solanée nationale, par l'hypertrophie de savie souterraine, elle symbolise à lafois la Kultur allemande, nourriturelourde par sa racine, poison par son fruit; etlaguerre des tranchées oùl'Allemandseterre.
Poilu dit même qu'il est « trop homme deterre ».
Colosse aux pieds d'argile, ce peuple hypertrophié doit forcément
s'écrouler d'après les lois mêmes de la psychologie qui sontàla pensée,
c'est-à-dire au moteur del'humanité,ce quela loi de la pesanteur està la gravitation des mondes. Le cerveau français, par son entraînementd'indi¬
vidualiste indépendant, est supérieurau cerveau allemand de communiste organisé.
C'est le cerveau qui dirige. Donc, nous vaincrons. Tenons ferme, la
victoire estànous!
— IV —
LA TERRE DE FRANCE
L'homme, comme la plante, est l'expression du milieu dans lequel il naît, se développe, évolue etmeurt. Les races sontconstituées parle long
travail des milieux danslesquels pousse la plante humaine. La vie est
une perpétuelle adaptation, un état constant d'équilibre instable entre l'hommeetle milieucosmiqueet social dans lequel il oscille. Le terrain,
avec sa géologie; le climat avec sa température, son atmosphère, son
hygrométrie, le régime des vents, la tension électrique, l'ensoleillement, l'altitude, etc., etc., ontuneaction directe sur la plante et, par la plante,
sur l'animalet surl'homme.
Or, laguerre réclame des chefset des hommes de valeur parfaitement
entraînés.
« On marcheavec ses muscles, on court avec ses poumons, on galope
avec son cœur,on résisteavec son estomac,onarrive avec son cerveau. » Ces chefset ceshommes, nous les trouvons supérieurs dans notrerace
gallo-latine, parce que celle-ci occupe une situation géographique privi¬
légiée sur le globe, avec la terre de France, terre de juste équilibre par excellence, où le soleil està lafois doux et vibrant, le climat tempéré, le
cielbleu, l'air pur, lamer clémente, la montagneéconome,avec sesréser¬
voirs de neige alimentant les cours d'eau, la plaine prodigue, avec sa riche végétation vitalisant en notre faveur les principes du sol par les
céréales etparla vigne, le painetle vin, aliments faits de soleil, auxquels
avec le grand air purde son ciel limpide, le Français doit sarésistance,
sasouplesse, sonressort,sa vitalité,son génie bien équilibré ! Que l'heure
sonne desgrandes actions, il s'élance aussitôt dans la joie de vivre, trou¬
vant en lui des forces de réserveignorées; elles en font subitement un être d'élection, étonnement du monde! Par surcroît, en France, quand
l'homme tombe, lafemme prend saplace, et Jeanne d'Arcparaît.
Mais les hommes nécessaires, nous les voyons aujourd'hui surgir de
tousles côtés! C'est,au sud du territoire, le généralissime Joffre, deRive- saltes, un Catalan roussillonnais des Pyrénées-Orientales; et sescollabo¬
rateurs, les généraux Sarrail, de Carcassonne (Aude); Gallieni, de Saint-
Béat(Haute-Garonne) ; d'Amade,de Toulouse (Haute-Garonne); Foch, de
Tarbes (Hautes-Pyrénées); de Castelnau, de Saint-Affrique (Aveyron); tandis que des départementsde l'est, de l'ouest et du centre et ceux de l'Algérie, sont sortis les généraux d'Urbal, de Sarreguemines (Moselle); deMaud'huy, de Metz; Dubail, de Belfort (territoire du Haut-Rhin) ; de Langle de Cary, de Lorient (Morbihan); Maunoury, de Maintenon (Eure- et-Loir); Franchet d'Esperey, de Mostaganem (Oran).
Pays de clair bon sens, de saine raison, de lumière ensoleillée, de vie
heureuse etlaborieuse,d'élan impétueux et de calme réflexion, de rêverie
et depositivisme,de poètes et de mathématiciens, de gracieuse légèreté
dans l'harmonieuse mesure etde froide pondération, n'est-il pas suggestif
de constaterqu'aux heures gravesoù,en cemomentelle jouesadestinée,
la France concrète dans la valeur deses chefs, la valeur de sa race et de
saterre? Et qu'àcent'ansde distance, surles mêmes champs de bataille,
les deux puissants défenseurs de la France de la Révolution : NapoléonIe1
en 1814-1815, etJoffreen 1914-1915, tousles deux du Midi méditerranéen, l'un corse,l'autreroussillonnais, luttent contrele même ennemi des Droits de l'Homme ?
Quant aux civils, faut-il citer l'ouvrier tenace de la Revanche, lediplo¬
mate souple et avisé qui souda nos alliances, celui que la France fut obligée, en1905, de sacrifier à larancune vindicative de Guillaume II, le
ministre actuel des Affaires étrangères,M. Delcassé, de Pamiers (Ariège) ? Delcassé, du latin Qaercuset du patois Cassé, Delcassé, dont latraduction du chêne donne raisonà Balzac surla valeur des noms propres. L'Ariège
« oùl'on fait des hommes etdu fer au service de la France », ainsi que
répondit à Napoléon Ier un vieux grenadier de la Garde, ariégeois ! L'Ariège, dont la fière devise des Comtes de Foix : Toco-y se gaoasos! (Touches-y situ l'oses !) affirme lacourageuse indépendance des hommes
de la Terre de France !
Faut-il citer encore, à l'extrémitéOcéanienne de la chaîne desPyrénées,
l'ouvrier convaincu,autantquesouple, dela loi de troisans, si violemment
combattu au Parlement dansl'Avant-Guerre, qui fut aussi bien et même
mieux machinée que la guerre qui l'a suivie, M. Louis Barthou, d'Oloron (Basses-Pyrénées)? La loi parlaquelle la France apuaffronter lepremier choc del'Allemagne, yrésister, attendreles renforts de la mobilisation et
reprendrel'offensive avec la victoire de la Marne ? Le Béarn, qui a fait
souche de rois avecHenriIV, dePau, qui conquit laFrance; avecBerna- dotte, de Pau, qui conquit la Suède? Celle-ci, par sa famille royale
^ béarnaise, est, depuis cent ans, commele prolongement septentrional de la Terre de France. La Suède mérite d'être mieux connuedes Français.
— V —
FRANCE ET SUÈDE
« Et au dix-septième jour du septième mois l'Arches'arrêta
» surles montagnes d'Ararat. »
(Genèse, chapitre VIII,verset4.)
Après latourmente révolutionnaire, après le déluge de sang desguerres de la Révolution et du Premier Empire, l'arche française des Bernadotte
s'arrêta sur les monts Scandinaves et s'y fixa. Depuis, laSuède, comme la descendance deNoé, croît, semultiplie et s'étendsurla terre; l'aurore boréale étant le signe d'alliance du peuple suédois aveclafamille royale française.
Par leur souplesse d'espritet leur vieille civilisation, les suédoissont
^ lesfrançais du Nord.
Lepouvoir royal directeur, d'origine française, et le pouvoir populaire Scandinave, démocratique par excellence, eussent fait mauvais ménage
s'il eneût été autrement. Depuis un siècle,ces deux pouvoirs vivent en bon accord; c'est pourquoi la Suèdepeut être considérée,au point de vue
psychologique, comme une expansion septentrionale de la France. Les français auraient, d'autre part, tout intérêtàdevenir unpeu les Suédois
du Sud, j'entends par lààacquérir les qualités de discipline, de méthode,
de ténacité qui caractérisent lepeuple suédois dont l'évolution intellec¬
tuelle, par l'acuité de ses multiples manifestations, estautrement déve¬
loppée quecelle du peuple allemand.
Au cours de mes conférences données àl'étranger eten France, j'ai pu comparer les diverses mentalités de mes auditoires et des divers milieux dans lesquels j'étais placé. J'ai constaté que la chaîne des Pyrénées, de Perpignan à Bayonne, possède une mentalité semblable à celle de la Suède. Cette qualité deténacité et de discipline, je l'ai trouvée surtout à Perpignan, lors de mesconférencessur
l'Éducation
physique, à la salle Arago, et à Pamiers, etdans le Nord, à Amiens— Roussillon, Comté de Foix, Picardie s'unissent ainsi à la Scandinavie. — Quant à Paris, son^ _ hypertrophie même et son milieu de culture cosmopolite, avec la vie intense, aux réactions pathologiques, rendent difficile la possession de telles qualités, du moins en éducation physique; c'est pourquoi Paris a saboté cette éducation comme il a saboté la méthode de gymnastique suédoise,faite de discipline musculaire. Par contre,j'ai trouvéces qualités très développées en Belgique,au cours de mesconférences à Anvers, à Bruxelles età Mons.
Au point de vue politique, les tendances suédoises sont favorables àla 2.
France. La Suède n'oublie pas la Finlande, que Napoléon Ier lui arracha
pourla donner à la Russie. Unmonument commémoreàUmea le souvenir
très vivace de cette séparation. La Suède redoute laRussie; c'est pour¬
quoil'Allemagne, en exaspérant cette crainte eten exploitant le chauvi¬
nisme, a essayé de l'attirer, mais en vain, à elle en lui faisant entrevoir
ladomination, dans leNord, delarace Scandinavepar son roi proclamé,
aveclavolonté del'Allemagne, empereur de Scandinavie, groupant ainsi
sous unmême sceptrela Suède, le Danemarck etla Norvège. Le peuple suédois, qui se méfie, a répondupar le « timeo Danaos ».
Sion en juge par la musique, ce langage universel de l'humanité, la
mentalité suédoise, par ses folk-lores populaires, a beaucoup d'affinité
avecla mentalité russe. Même sensibilité, même sincérité, même naïveté,
avec plus de tristesse etde pénétration chez les suédois; avec plus de gaieté, d'exubérance, de mysticisme etde sauvagerie chez les russes.
L'unionintime des peuplesScandinaves: suédois, danois, norvégiens, de
laRussie etde la France seraitun bienfaitmondial, carelle assurerait la liberté de la Baltique, comme l'union latine et anglo-saxonne, avec la France, l'Italie, l'Espagne etl'Angleterre, assurela liberté de la Méditer¬
ranée. Deux mers intérieures, deux mentalités différentes, mais sepéné¬
trant mutuellement.
Cette terrede France septentrionale je l'ai visitée,en 1898, de Malmoëà Lulea, de la Scanie à laLaponie, au cours d'une mission scientifique que
meconfia le Ministre de l'Instruction publique à Stockholm pour étudier,
à l'Institut Central Royal de Gymnastique, la Méthode de gymnastique
suédoise.
Le petit-fds de Bernadotte, le roi Oscar II, français de sang et decœur, m'ouvrit lesportes de toutes les écolesetde toutes les casernes.
Le professeur de français au lycée de jeunes ffiles d'Hernôsand, un Suédois ami de la France, me demanda d'entendre ses élèves dans la lecture de quelques scènes de Jean Baudry d'Auguste Vacquerie, et sur¬
toutde Fais cequedois de François Coppée. Ici, par une délicatesse qui
me fut trèsdouce, leprofesseur choisit les pages les plus réconfortantes
pourle patriotisme français.
Je donnaiune conférence à Upsal, àl'Alliance française. Les suédois me
prièrent instammentde leur dire la Garonne de Nadaud, afin, ajoutèrent- ils, de mieux en goûter la saveur de terroir par ma prononciation
gasconne. Telle est l'acuité intellectuelle des suédois et leur vive attrac¬
tion pour toutcequi vient de la France. La Kultur allemande ignore ces sensibilités intellectuelles. Pourquoi faut-ilque depuis plusieurs années la langue allemande s'imposeen Suède, au détriment de la langue française,
par ledéveloppement commercial et industriel denos ennemis ! Etpour¬
tant « si laGaronne avait voulu ! », si la France voulait !
J'étais arrivé depuis deux jours à Stockholm quand unmatin à la pre¬
mière heure, étant encore couché, le garçon d'hôtel m'annonça la visite
« d'un Monsieurpressé ». —Un jeune homme seprésenta : « Je suis alle-
» mand, me dit-il,j'ai dix-huit ans, je suis venu faire du commerce en
» Suède, je parle mal le français. Vous êtes reçu ce soir à l'Alliance fran-
» çaise deStockholm. Je viens vous demander de me présenter, afin de
» meperfectionnerdans votre langue. » Je refusai.
Il faut que laFrance regagnele terrain perdu en Suède où l'Allemagne
nous faitune guerre de tranchées, avançant lentement, insidieusement,
mais d'autant plus sûrement quenous n'avons jamais opposé de contre- attaques sérieuses. Le succès est certain,parce quele peuple suédois, très
démocratique, aime le démocratiquepeuple français1. Leurs deux menta¬
lités secomplètent et s'harmonisent par la valeur môme de leurs terres
respectives : la terre de France, si vibrante, si gaie, si fortunée, si heureuse ; laterrede Suède, si calme, si triste, siheureuse également.
Je détache lesnotes suivantes de mon carnetde route; elles feront mieux connaîtrelaterre de Suède et la mentalité de sonpeuple.
LULEA
Mardi 3 Mai 1898. Minuit. Hôtel Witbell.
Me voici parvenu au termeduvoyage d'inspection de l'Education phy¬
sique des Etablissements scolaires du nord de la Suède, poursuivie par
l'inspecteur général, M. Tôrngren, le pédagogue éminent, directeur de l'Institut Centralroyalde Gymnastiquede Stockholm.
J'occupeunechambre à côté de la sienne. J'écris ces notes à la clarté de la nuitcrépusculaire. Une statuette enbronze cuivré de Napoléon Ier
est placée surune commode. Une copie du tableau du peintre suédois N. Forsberg : « La Fin d'un Héros »2 est accrochée au mur. Ce tableau
représenteune scène de la guerre franco-allemande de 1870 : la remisede la croix de la Légion d'Honneur à un soldat, mourant sur un lit de camp, dans une église.
A quelques kilomètresdu Cerclepolaire, dans un modeste hôtel d'une petite ville, au fond dugolfe de Bothnie, la France est ainsi doublement évoquée.J'en suis profondément ému.
Lecrépusculeetl'aurore sedisputent leciel.
Minuit: L'horizon estincandescent. Je suis debout, derrière la fenêtre, contemplant le ciel, la Baltique glacée etlesjeux de lumière surprenants dans leurs tonalités douces ettristes à la fois. Les mélodies Scandinaves quej'ai entendues à Stockholmchantent àmes oreilles, souvenirs tristes, voixplaintives de l'âme qui souffre, mais dont la souffrance est moins
unedouleur qu'un étatde bien-être dansle recueillementaucontactintime d'une nature qui va s'éveiller. Jamais je n'ai mieux compris le mot :
« Patrie! »
Je lasens palpiter autour de moi cette âmedes choses polaires dont le cielreflète la tristesse heureuse endes jaunes-roses, des verts, des bleus- clairs etdes bleus-violets. L'horizon est illuminé, à l'ouest par le soleil couchant caché derrière les collines. Celles-ci profilent leurs lignes defaîte ondulées sur un cieljaune-rouge, à l'est par la lune anémiquement pâle.
Icitout estblafard et mortellement lugubre dans des tonalités vertes et
jaunes; là, c'est aussi la tristesse, mais réchauffée, douce et recueillie, et partout dans la nuit, de l'Orient à l'Occident, sur la terre couverte de neige, sur lamer glacée, sous lavoûte du ciel, ce sont despleurs en sus¬
pension !
Au premier plan une longue rue, le profil de maisons, impression de
ville morte, dernier vestige d'une humanité passée. Des âmes lasses et douloureuses semblent flotter dans le silence sépulcral, plein de mystères
1. —Tous les suédoisne suivent pasSven Hedin danssacampagnegermanophile contre la France. Cette campagne lui est personnelle. Comme tous les neutres, ils observent etatten¬
dent; l'enjeupour euxest énorme.Depuis cinquanteansl'Allemagne envahit la Suède,tandis que laFranceseretire.Elledoit, dès aujourd'hui, s'appliquer àregagnerle terrain perdu; la victoire denos armes l'y aidera moralement.
2. —Cetableaua été honoré d'une médaille de l,,c classe au Salon de Peinture de Paris en1888.Lepeintre Forsbergest néen1841.
— 10 —
d'outre-tombe. Ma main tremble. Mon cœur seserre. Suis-je aulendemain
de la mort? La lune est plus blafarde et plus verte. Pourquoi suis-je oppressé? Pourquoi cette rue me fascine-t-elle? Est-ce une voieouverte
surl'Au-Delà ?
La scène s'anime. Sous ma fenêtre, une jeune servante de l'hôtel en- tr'ouvrefurtivement laporte, elle fait un geste, et,tout-à-coup,de l'ombre projetée parles maisons, uneombre sedétache : elle vientaimer.
L'homme etlafemme sontlà debout, adossés àune clôture, sepressant chastementles mains, sans unbaiser. On dirait deux fantômes s'unissant
dans lamort. La lune qui s'incline àl'horizonadesrayonsplusverdâtres,
le profil des tombeaux s'allonge; la rue s'enfonce noire, dans une nécro¬
pole. Le cauchemarm'étreint. Tandisque ces deux êtres aiment, statues pétrifiées,la tête de la jeune femme légèrement penchée sur l'épaule du
garçon, surla Baltique glacée glissentet passent des bleus verdâtres, des
verts etdes violets tamisés du ciel surl'immense plaine de neige. Au loin
la silhouette noire des collinesetdes montagnesdécoupe l'horizon,mettant
envaleur les violets de lamer etlesjaunes du ciel où, lentement, avecle jour qui se lève, se jouent toutes les gammes cyaniques de la palette
dans lechatoiement langoureux d'uneluminosité étrange.
C'estd'abord unezone jaune-rosetrès accentuée; elle s'atténue et dis¬
paraît; au-dessus, une autrezonejaune-vert
dans
laquelle des tons plus jaunes et plus verts s'estompenttour à tourenlégersfrottis, elle
sefond
peuàpeudans les régions supérieures; plushaut encore, unlong nuage bleu-vert balafre le ciel d'un horizon à l'autre, en arc immense tendu; dominant ce décor de féerie, la voûte éthérée, teintée de verts et de
bleus-clairsimpalpables. Quelques étoiles la piquent de leurs feux scin¬
tillants; la Polaire, au Zénith, brille, superbe, énorme diamant dans un écrindevelours vert.
Le ciels'illumine, les bleus, lesverts, les roses, les jauness'atténuent,
sefondent entre eux en des tonalités jaunes et rosestrès pâles, très lai¬
teuses. La Baltique revêt desteintes plus foncées dans les bleus et dans
lesviolets.
Minuit 15. — Le ciel est découpé en trois zones : une zone inférieure
orange ; une moyenne où
les
nuagestamisent des bleus clairs, d'une
transparence cristalline; une zone
supérieure où l'intensité des
vertsbleutés augmenteavecle jour.
Minuit 30. —La crête des collinesetdes montagnessedrapederouges, derosesetdejaunes orangé, évoquantles tonalités du pavillon espagnol.
Le soleil va paraître. Voici le jour!
Voici
lavie! La
vie sans cesse renouvelée, la vie éternellement jeune, la vie à laquelle viennent desacrifier les deux chastes amants qui maintenant se séparent, sans un baiser, tandis que le soleil généreux
s'apprête à fondre les neiges
età
xœchauffer les tigelles des bouleaux blancs où
déjà pointent les frêles
bourgeons bruns.Mercredi4 Mai 1898. 9 heuresdu soir.
Je quitte Lulea. Chaque tour
de
rouedu
wagonqui m'emporte
me rapproche maintenant demoncher Midi de France ensoleillé
etvibrant,
oùchantent, auxheures chaudes, les cigales.
La
neige, partoutla neige.
Unbrouillard laiteux couvre la plaine. Tout est blanc, blanc gris, blanc
bleuté avec les tonalités vagues d'un jour qui s'éteint. La terre et le ciel
sefondent en un lavisléger,harmonieux. Paysage nébuleux de rêve,pays mystérieux delimbes,
gardé
par unearmée de géants dont les têtes
seperdent dans l'ouate des brouillards. Les sapins centenaires, rangés en front debataille, se pressent les.uns contre les autres à la lisière de la forêt lointaine, s'apprêtant à la défendre contre l'attaque brusquée de la
locomotive. Celle-ci halète, trépide, gronde, lance des flots de fumée lourdeetnoire qui retombe surlaneige immaculée. Elle aborde la forêt, le brouillardsefait plus lourd, le crépuscule descend, les ombres s'allon¬
gent, des êtres fantastiquesaux formes indécises et tourmentées glissent
àcôté denous. La forêt victorieuse nous saisit, se replie sur nous, nous couvre desonmanteau d'ombres froides,tandis qu'untroupeau derennes dort sousles rameauxblancs dessapins ployant sous la neige.
SAINT-QUENTIN
Dimanche 15 Mai 1898. En wagon. 4 heures du soir.
Je rentreenFrance après avoir visité Berlin et être monté à la Colonne de la Victoire. Des vétérans de 1870lagardent. Ils ont reconnu ma natio¬
nalité. Avec la lourdeur d'esprit et le rire épais de leurrace, ils m'ont désigné du doigt les canons danois, autrichiens etfrançais fixés dans les cannelures de la colonne. Les brutes !
Aperçu le premier pantalon rougede France. Un soldat marchant dans
les blés nouveaux.
Enfant de la bonneterre deFrance, à qui songes-tu?
Petit soldat, paysan,tes frères d'armes du Nord sont plus raides dans
leur uniforme; tu es plus souple, plus résistant.
Petit soldat, àquoi rêves-tu?
Voici les blés nouveaux d'où s'élance l'alouette gauloise, en plein ciel
bleu ! Ellemonte, montetoujours, elle chante ! Telle ton âme!
Fils de la terre de France,la terrea pour toi des intimités d'amante
délicate; elle saitse parer pour qui sait l'aimer. Tu l'aimes. Jusqu'à ta façon de planter les arbres, de tracer les sillons, de décorer ta demeure
avecles fleurs detonjardin, tu terévèles artiste.
Petit paysan, tu sais comprendre la terre de France. Tusais l'aimer,
cettebonneterre,sienviée, si jalousée du germain ! Tu saurasla défendre
avectout ton cœur, avec tout tonsang!
Petit soldat! Petit soldat !
***
Aujourd'hui, dans le hurlement sauvage des cuivres de la Chevauchée
des Walkyries, scandé par les batteries des canons, la horde déchaînée
des démons se rue sur laFrance au nomde leur «Vieux bon Dieu».Leur
« Vieux bon Dieu »! Satanique blasphème !
Petitsoldat, paysande laterre deFrance, tu t'es levé.
Voici l'heure duCrépuscule des Dieux! L'heure de la Revanche !
L'heure del'homme etde la femme de France !
— VI —
LA FEMME DE FRANCE
Combienest méconnuedel'étranger, etparticulièrement de l'allemand, trop lourd pourla comprendre, la femmede France, accusée de légèreté,
de frivole coquetterie, sinon demœurs relâchées. Qu'ils viennent,ces criti¬
ques, en ces heures tragiques, la voir seraidir contrela douleur, devant
l'époux, le fils, lefrère, tombés aufront, etessuyer rapidement ses larmes
pour offrir son pauvre cœur déchiré à la Patrie. Aux avis de décès publiés dans les journaux, quatre mots : « Onnereçoitpas. » C'est tout.
Douleur silencieuse. France avant tout!
Etcette mère, cette épouse, cette sœur endeuillées abandonnent leurs longsvoiles noirs pour revêtir à heure fixela robe etle serre-tête blancs
de l'infirmière de la Croix-Rougeet, bénévolement, servir dans les hôpi¬
taux ; qu'ils viennent l'admirer sedonnant pleinement, pansant les plaies
les plus repoussantesnonseulement denos chers blessés, mais des blessés ennemis, de ceux-là même quiont peut-être tué l'être aiméetassassiné
des enfants; qu'ils viennent les voir sepencher surles moribonds etles réconforter, aumomentsuprême, de paroles douces etberceuses,ils com¬
prendront peut-être, s'ils possèdentencorele pouvoir d'émotion, lagran¬
deuretla sublime bonté natives de la femme de France pour que son cœur défaillant puisse ici se raidir etévoquer le disparu dans celui-là même qui le tua peut-être! Qu'ils viennent voir nos jeunes filles, nos espoirs après la guerre, veillerà labonne tenue des salles des blessés; toutest joie pour elle auprès des nôtres, tout est douleur auprès des autres,et pourtant cette douleur les blessés ennemisne la distinguentpas, elle est discrète comme toute chose venant de la femme de France, la grande
consolatrice.
« Je n'ai aucun mérite à être endurant, écrit un soldat surle front. Si
» vous pouviez lire les lettres admirables que m'écrivent ma mère, ma
» femme etmasœur, vous connaîtriez la source oùje puise mon courage.
» C'est unréconfort d'une douceur infinie que de se sentir ainsisoutenu
» dansunelutte sans merci. »
Lafemme de France ! Mais c'est elle qui fait la grandeur, la richesse et la force de la Patrie ! C'est elle qui contribue peut-êtrele plus à fixer la victoire, c'est elle la patriote et la volontaire tenace, qui, mère, épouse,
sœur ou amie,adonné la force moraleau chefqui commande et au soldat qui obéit ! Car tout part du foyer, etle foyer c'est la femme. C'est elle l'économe, paysanne, bourgeoise ou aristocrate, qui donne à la France le
nerf de la guerre avec sapuissance financière, faite de travail, d'ordre et d'économie.C'est elle qui tricoteetqui tient le bas de lainequel'homme de
Franceremplit, qui le défend etqui en assureetenmaintient la rondeur.
C'est elle qui remplit la solide et bien menuisée armoire de famille de bon et de beaulinge, bien rangé sur les étagères, fleurant la lavande, le thym ou des parfums plus subtils, cemême linge que les pilleurs alle¬
mands ont envoyé chez eux pourle modeler surlesmasses outrageuse¬
ment charnues de leurs femmesadipeuses ! Les monstres!
L'armoire au linge de famille estsymbolique. Elle représente la France
travailleuse et économe, elle dit la valeur active dufoyer. Doux pays de
France oùil fait bon vivre ! Toujours guetté comme une proie de choix
par le germain prolifique et lourdement intellectuel ; toujours tenu en éveil pour se défendre contre l'envahisseur affamé, et dont la force lui vientde la terre généreuse fertilisée par le travail de l'homme et de la
femmepatriotes.
La femme de France la voici:
Le soldatPorte1,deBagnères-de-Bigorre,jardinier à Lourdes,oùil s'était
1. —LouisPorte, du 114e régiment d'infanterie, âgé de 40ans, ancienzouave,désignépourla section des mitrailleuses, avaitétéblessé une première fois en Octobre 1914. Rentré aurégi¬
mentenJanvier 1915 et denouveaublessé àCalonne,enArtois, d'un éclatd'obus àl'omoplate, ilmeurtàl'Hôpital de l'Institutenprononçantlenomdesa femme.
Obsèques d'un soldat,par Frédéric Masson.Échode Paris dul°rMars 1915.
marié, meurt des suites d'une grave blessure à l'omoplate, à l'Hôpital de
l'Institut. Sa femme, appelée par dépêche, arrive trop tard. Devant le
pauvre corps de soncher mort,elle dit simplementces mots: ceIIest mort
oour la France;c'étaitsamère, je n'étais que safemme. »
«Je n'étais que safemme!»Voilà la femme de Franceàl'heure actuelle, l'heure où la France écrit avecsonsang une des plus grandes pages de
l'Histoire de l'humanité.
— VII —
MATERNITÉ
La guerre de 1914est laguerredes maternités. Où les mères françaises
n'ontenvoyéaufront qu'un, deux ou trois combattants, les mères alle¬
mandes en ont envoyé six, huit, douze. L'idéal de l'humanité civilisée
n'est peut-être pas le terrier avec la nichée de lapins, c'est cependant
celui de l'Allemagne prolifique qui se cache dans des trous depuis la
défaite de la Marne, revenant ainsi, par régression, elle, l'intellectuelle organisée, à la mentalité léporide. La quantité du nombre n'a jamais prévalusur la qualité plus restreinte, mais celle-ci y trouve un appoint
nécessaire. Qualitéetquantité formentun tout vital que les nations pla¬
cées àla tête de la civilisation doiventposséder,sous peine de déchéance.
C'est donc seleurrer que d'exalter la qualité au détriment de la quantité.
Outre quele nombre esttoujours respectableparla place qu'il occupe,il permetàla qualité dese mieux révéler, puisque le champ de culture est plus vaste. La qualité, ce sont les quelques centimètres cubes de matière grise cérébralecommandant à la quantité des muscles du corps : celui-ci
nevaut que parl'unionintime des deux forces, car lemuscle sansl'influx
nerveux est paralysé, et le cerveau, sans le muscle, n'est qu'une sphère
sansvaleur.
L'expérience de cette guerre doit nous servir. La paix venue, nous devrons songer àl'avenir de laFrance dans le développement plus grand
de laracepar de plus fécondes maternités.
Contrairement àl'opinion admise, les enfants sontune source d'aisance
pourles familles nombreuses,et,à leur tour, les famillesnombreusessont
une source de richesse pour la Nation. Chaque individu constitue un moteur humain dont lerendement personnel enrichit le foyer; les rende¬
ments collectifs enrichissentla Patrie.
Lamaternitéaété trop redoutée jusqu'à ce jour en France. La future
mère atténuait, par des artifices de toilette, les lignes heurtées de son corpspourtant glorieux. Elle semblait demander pardond'être siencom¬
brante et s'excuser d'être difforme, alors qu'elle était vraiment femme puisqu'elle sanctifiait la maternité pour laquelle elleestfaite età
laquelle
ellenesaurait faillir sans violer la grande loi de la Nature. Nous devons
reformer à cet égard notre mentalité nationale, et, laissant les esthètes déliquescents à leurs rêves opiacés de femmes éthérées répugnant à
la
maternité, nous rapprocher de la Nature pour satisfaire aux devoirs qu'ellenous impose dans la reproduction de l'espèce.
Lerecteur de i'Académie de Bordeaux, M. Thamin, dans une circulaire
adressée aux maîtres de l'enseignementsecondaire et primaire, les prie
de
veiller àce que les enfants saluent dans laruenos chers blessés. Excel¬
lente pensée.Création pédagogique detendances patriotiqueschez
l'enfant
par lesalut donné aux défenseurs duFoyer.