Équations différentielles
Cours de L3 par Frédéric Hélein
1, janvier–avril 2021
Mardi 23 mars 2021
4 Points d’équilibre et stabilité pour les équations dif- férentielles non linéaires autonomes
Dans ce qui suit nous nous contenterons d’étudier les équations différentielles auto- nomes.
Remarquons à cette occasion qu’il est toujours possible de ramener l’étude d’une équa- tion différentielle quelconque à celle d’une équation différentielle autonome. En effet, à tout champ de vecteur X ∈ C0(U,Rn) (où U est un ouvert de R×Rn), non autonome en général, nous pouvons associer le champ de vecteurautonome2 Y ∈C0(U,Rn+1)défini par
∀(t, x)∈U, Y(t, x) := (1, X(t, x))∈R×Rn=Rn+1
De plus, à tout intervalle I ⊂ R et à toute application y ∈ C1(I,Rn), nous spouvons associer l’application z =j0y∈C1(I,R×Rn), définie par : ∀t∈I, z(t) = (t, y(t)). Alors, pour tout(t0, x0)∈U tel que t0 ∈I,
y(t0) = x0
∀t ∈I,dydt(t) = X(t, y(t)) ⇐⇒
z(t0) = (t0, x0)
∀t∈I,dzdt(t) = Y(z(t))
Dans la suite, si X est localement lipschitzien, pour tout x0 ∈ Ω et tout t ∈ R nous noterons x0 · etX la valeur à l’instant t (si elle existe) de la solution y de l’équation
dy
dt =X(y), avec la condition de Cauchy y(0) =x0.
4.1 Équilibres et différentes notions de stabilité
Définition 4.1 Soit Ω est un ouvert de Rn et X ∈C0(Ω,Rn). Un point d’équilibre de X est un point a∈Ω tel que X(a) = 0.
À chaque point d’équilibrea ∈ΩdeXcorrespond la solution constante[R∋t 7−→a∈Ω ] de l’équation dydt =X(y). Nous définissons plusieurs notions destabilité de cette solution.
Définition 4.2 (équilibre stable) Soit Ω⊂Rn un ouvert et X ∈C0(Ω,Rn) un champ de vecteur localement lipschitzien. Soit a ∈ Ω. On dit que a est un point d’équilibre stable sia est un point d’équilibre et si
∀ε >0,∃δ >0,∀x∈Ω,∀t >0, kx−ak< δ =⇒ kx·etX −ak< ε (1)
1. Université de Paris, Licence 3 de Mathématiques,helein@math.univ-paris-diderot.fr
2. Rappelons qu’un champ de vecteur autonome est systématiquement identifié avec une application X d’un ouvertΩdeRn et à valeur dansRn.
Si un point d’équilibre ne satisfait pas la condition (1), on dit qu’il est instable.
Définition 4.3 Sous les mêmes hypothèses que précédemment, a est un point d’équi- libre localement asymptotiquement stable sia est un point d’équilibre stable et si il existe un voisinage Ua de a dans U tel que
∀x∈Ua, lim
t→+∞x·etX =a (2)
Définition 4.4 Sous les mêmes hypothèses que précédemment, a est un point d’équi- libre globalement asymptotiquement stable si a est un point d’équilibre stable et si
∀x∈U, lim
t→+∞x·etX =a (3)
Les conditions imposées dans les trois définitions précédentes sont de plus en plus fortes.
Ainsi :
globalement asymptotiquement
stable
=⇒
localement asymptotiquement
stable
=⇒ stable
4.2 Stabilité des systèmes linéaires à coefficients constants
Les coefficients d’un système linéaire autonome sont nécessairement constants. Les points d’équilibre d’un système dydt = Ay+ B (où A ∈ M(n,R) et B ∈ Rn) sont les solutions x0 de Ax0 = −B (si A est inversible, il existe une unique solution qui est x0 =−A−1B). En posanty(t) =x0+x(t), on constate queyest solution de dydt =Ay+B ssi x est solution de l’équation linéaire homogène associée dxdt = Ax. Nous pouvons donc nous ramener à l’étude des équations différentielles linéaires homogènes. L’origine 0 est alors toujours un point d’équilibre.
Proposition 4.1 Soit A∈M(n,R). Considérons l’équation différentielle dxdt =Ax.
(i) L’origine 0 est un point d’équilibre globalement asymptotiquement stable ssi toutes les valeurs propres de A sont de partie réelle strictement négative.
(ii) Si A a au moins une valeur propre dont la partie réelle est strictement positive, alors 0 est un point d’équilibre instable.
Démonstration — (i) Nous pouvons décomposer A=P(∆ +N)P−1, oùP ∈GL(n,C),∆ est une matrice diagonale etN est un matrice nilpotente qui commute avec∆. Supposons que toutes les valeurs propres deAsont de partie réelle strictement négative, alors il existe α >0tel que, pour chaque valeur propreλ, sur la diagonale de ∆, on a Reλ ≤ −α. Alors,
∀t >0,|eλt|=e(Reλ)t≤e−αt et donc∀z ∈Rn, ket∆zk ≤e−αtkzk. Ainsi, ∀x∈Rn,
∀t >0, ketAxk=kP et∆etNP−1xk ≤ kPke−αt ketNP−1xk
Mais commeetN est un polynôme ent,limt→+∞ketNP−1xk= 0, ce qui entraînelimt→+∞ketAxk= 0.
Nous montrons la réciproque en prouvant sa contraposée, à savoir que, s’il existe une valeur propre dont la partie réelle est positive ou nulle, alors 0 n’est pas globalement (ni même localement) asymptotiquement stable. Soit λ une telle valeur propre.
— Si λ∈R, soitu∈Rn un vecteur propre de A pourλ. Alors etAu=etλu et donc, si t ≥0,ketAuk=etReλkuk ≥ kuk>0.
— Si λ ∈ C \ R, alors ¯λ est aussi valeur propre. Soit u ∈ Cn un vecteur propre de A pour λ. Alors u¯ est un vecteur propre pour λ¯ et l’application y définie par y(t) =eλtu+eλt¯ u¯est une solution réelle de dydy =Ay. Si nous posonsλ=τ+iθ, avec τ ∈[0,+∞[etθ ∈R∗, alors,∀t≥0,ky(t)k=eτ tkeiθtu+e−iθtuk ≥ ke¯ iθtu+e−iθtuk.¯ Or il existe une constante κ > 0 et une suite (tk)k∈N de la forme tk = t0 +k2π|θ|
(qui tend donc vers +∞) telle que, ∀k ∈N, keiθtku+e−iθtkuk¯ =κ. Donc, ∀k ∈N, ky(tk)k ≥κ et y(t) ne peut pas tendre vers 0 lorsquet tends vers +∞.
Dans tous les cas, nous pouvons exhiber une solution qui ne tend pas vers 0 lorsquettend vers +∞. Donc l’origine 0 n’est pas globalement asymptotiquement stable.
La preuve de (ii) est dans le prolongement du raisonnement précédent : si, de surcroît, Reλ >0, alors :
— Si λ est réel, limt→+∞ketAuk= +∞, ce qui contredit (1).
— Siλ n’est pas réel, alors,∀k∈N,ky(tk)k=κeτ tk tend vers+∞lorsquek tend vers +∞, ce qui montre que 0 n’est pas stable.
Exemples (pour n= 2)
— Si A=
−1 0 0 −2
, 0 est globalement asymptotiquement stable ;
— Si A=
0 −1 1 0
, 0 est stable mais non asymptotiquement stable ;
— Si A=
−1 0 0 1
, 0 est instable.
4.3 Linéarisation d’une équation linéaire au voisinage d’un équi- libre
4.3.1 Une condition suffisante pour la stabilité
Considérons une équation différentielle non linéaire autonome dydt = X(y), où X ∈ C1(Ω,Rn)et supposons quea∈Ωest un point d’équilibre. Nous allons montrer le résultat suivant (dans ce qui suit, dXa est la différentielle deX ena).
Théorème 4.1 Si toutes les valeurs propres de dXa sont de partie réelle strictement négative, alors a est un point d’équilibre localement asymptotiquement stable.
Afin de démontrer ce théorème, nous établissons le lemme suivant.
Lemme 4.1 Soit A∈GL(n,R). Supposons que, pour toute valeur propre λj de A, on ait Reλj <0. Alors il existe un produit scalaire h·,·iA sur Rn et un constante α >0 tels que
∀x∈Rn, hx, AxiA ≤ −αkxk2A (4) Démonstration — Nous notons, pour tous u, v ∈Cn,
hu, vi:=
n
X
j=1
ujvj = u1 · · · un
v1
...
vn
le produit hermitien de uet de v. Nous savons qu’il existeP ∈GL(n,C)etT ∈M(n,C), de la forme
T =
λ1 a12 · · · a1n
0 λ2 ... ...
... ... ... an−1;n
0 · · · 0 λn
= Λ +N
(où Λ est diagonale et N est nilpotente) tels que A = P T P−1. Pour tout δ > 0, nous introduisons la matrice
Qδ:=
δn 0 · · · 0 0 δn−1 . .. ...
... ... ... 0 0 · · · 0 δ
et nous posons, ∀x, y ∈Rn,
hx, yiδ :=Re hQδP−1x , QδP−1yi Nous avons alors,
hx, Axiδ = Re hQδP−1x , QδP−1(P T P−1)xi
= Re hQδP−1x , QδT P−1xi
= Re hQδP−1x , QδT Q1/δQδ P−1xi
= Re hz , QδT Q1/δ zi oùz :=QδP−1x. Or
QδT Q1/δ =
λ1 δ a12 · · · δn−1a1n
0 λ2 ... ...
... ... ... δ an−1;n
0 · · · 0 λn
= Λ +QδN Q1/δ
À présent utilisons l’hypothèse Reλj < 0, ∀j : il existe α > 0 tel que Reλj ≤ −2α, ∀j.
Alors
hx, Axiδ = Re hz , ΛT zi+Rehz , QδN Q1/δ zi
≤ −2αkzk2+Re X
1≤j<k≤n
δk−jajkzjzk
!
≤ −2αkzk2+δ n−1
2 sup
1≤j<k≤n
|ajk|
n
X
j=1
|zj|2
≤ (Cδ−2α) kzk2
où C = n−12 sup1≤j<k≤n|ajk|. On choisit δ suffisamment petit pour que Cδ ≤ α. On a alors hx, Axiδ≤ −αkzk2. Mais commez :=QδP−1x, il vient de la définition deh·,·iδ que
kzk2 =kxk2δ, d’où l’inégalité (4).
Démonstration du théorème 4.1 — Sans perte de généralité nous supposons que 0 est un point d’équilibre et nous étudions la situation au voisinage de 0. Comme X est C1,
∀x∈U, on a (quitte à remplacer U par un ouvert convexe si nécessaire) X(x) =
Z 1 0
d
dt(X(tx))dt= Z 1
0 n
X
j=1
∂X
∂xj(tx)xjdt
Donc
X(x)−dX0(x) =
n
X
j=1
Z 1 0
∂X
∂xj(tx)− ∂X
∂xj(0)
dt
xj =
n
X
j=1
gj(x)xj
où,∀j = 1,· · · , n,gj ∈C0(U,Rn)s’annule en 0. Autrement dit, en notantG∈C0(U,End(Rn)), l’application qui, à tout x ∈ U, associe Gx ∈ End(Rn) défini par : ∀ξ ∈ Rn, Gx(ξ) = Pn
j=1gj(x)ξj, nous avons
∀x∈U, X(x) = dX0(x) +Gx(x) (5) Nous utilisons maintenant l’hypothèse essentielle du théorème, à savoir que les parties réelles des valeurs propres de dX0 sont toutes strictement négatives. D’après le lemme 4, cela entraîne qu’il existe un produit scalaire h·,·iδ et un réel α > 0 tels que : ∀x ∈ Rn, hx, dX0(x)iδ ≤ −αkxk2δ. En utilisant (5) nous obtenons que, ∀x∈Rn,
hx, X(x)iδ =hx, dX0(x)iδ+hx, Gx(x)iδ ≤ −αkxk2δ+kxkδkGx(x)kδ
et, en notant kGxkδ:= supx∈Rn\{0} kGx(x)kδ
kxkδ ,
∀x∈U, hx, X(x)iδ ≤(kGxkδ−α)kxk2δ
Notons, pour tout r ≤ 0, Bδ(r) := {x ∈ Rn ; kxkδ ≤ r}. Comme G est continue et s’annule en 0, ∃ρ >0 tel que Bδ(ρ)⊂U et,∀x∈Bδ(ρ),kGxkδ ≤α/2et donc
∀x∈Bδ(ρ), hx, X(x)iδ≤ −α 2kxk2δ
Soit x ∈ Bδ(ρ) et I l’intervalle de vie maximal de [t −→ x· etX]. Alors, en notant y(t) := x·etX,
∀t∈I∩[0,+∞[, dkyk2δ dt = 2
y,dy
dt
δ
= 2hy, X(y)iδ≤ −αkyk2δ
Nous remarquons que cette inégalité implique que y reste dans le compactBδ(ρ) sit ≥0 et donc queI∩[0,+∞[= [0,+∞[. De plus, nous en déduisons :∀t≥0, dtd (etαky(t)k2δ)≤0.
Donc t7−→etα/2
x·etX
δ est une fonction décroissante et
∀t≥0,
x·etX
δ ≤e−tα/2kxkδ≤ρe−tα/2 (6) Observons que, comme toutes les normes sur Rn sont équivalentes, ∃C > 0tel que
∀x∈Rn, 1
Ckxk ≤ kxkδ ≤Ckxkδ
Donc,∀x∈U, ∀t≥0, kxk ≤ ρ
C =⇒ kxkδ≤ρ =⇒
x·etX
δ ≤e−tα/2kxkδ =⇒
x·etX
≤Cρe−tα/2 Cela prouve que 0 est un point d’équilibre localement asymptotiquement stable.