• Aucun résultat trouvé

La mise en représentation des grands textes : modernité ou modernisation?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La mise en représentation des grands textes : modernité ou modernisation?"

Copied!
7
0
0

Texte intégral

(1)

La mise en représentation

des grands textes : modernité ou modernisation ?

L’ingéniérie culturelle, nous dit-on, étudie les modalités de la mise en œuvre des créations sur les territoires et les publics. Problème crucial, s’il en est, pour nous, artistes du vingt-et-unième siècle, confrontés à cette question fondatrice du théâtre : à quelle population nous adressons-nous et comment ? Les modalités de mise en ouvre d’une création posent donc à la fois la question de sa forme – et de sa communication – mais aussi et surtout la question de son contenu. Et ce, afin de sortir de la démagogie culturelle la plus répandue qui consiste à confondre populaire et populisme ; afin de poser autrement le dilemme des collectivités territoriales (ou de l’Etat) qui adorent opposer « théâtre commercial » qui remplit (à tort pour les uns, à raison pour les autres) et « théâtre expérimental » - censé vider les salles pour les uns ou payer l’exigence de ses prétentions pour les autres..

La modernité ou la modernisation sont des concepts chargés de rendre compte des rapports, dans le spectacle même, entre texte et contexte, ainsi que dans sa mise en œuvre et sa communication sur le territoire.

Nous refusons de dissocier ce qui relève d’une philosophie et d’une politique culturelle : comment amener le grand public – au sens le plus large de la notion de « public » (sans dévalorisation qualitative au regard du quantitatif) – à la nécessité vitale de l’art théâtral.

I – Du texte au contexte

Qu’est ce que la mise en représentation sinon la mise en œuvre d’une

représentation au sein même de la société qui la produit et qui la reçoit ? La

représentation théâtrale ne se cantonne pas au texte, mais au contexte qui

entoure le texte et sa production. Sa production au sens figuré mais propre

aussi…J’ai mis longtemps à comprendre pourquoi Antoine Vitez prônait,

dans « Le Théâtre des Idées », l’importance pour un metteur en scène de

savoir monter et défendre la production (financière, logistique) d’un

spectacle. Je pense aujourd’hui, à travers mon expérience de directrice de

compagnie, qu’il parlait d’une production d’œuvre au sens propre qui

implique la prise en considération de la production au sens plus vaste et

(2)

politique de cette même œuvre dans le territoire. Savoir comment défendre un projet auprès des directeurs de lieux, c’est savoir lier le propos du spectacle à son incontournable « utilité » pour le public. Et c’est cette utilité, voire cet utilitarisme là – aussi provocateur soit-il aux oreilles bien- entendantes de l’élite institutionnelle de notre profession – que nous défendons à notre tour. La mimesis qu’implique la notion de modernité ou de modernisation entraîne la question de la catharsis, ce qui revient à dire que l’esthétique même du spectacle dépend en grande partie de son éthique et/ou de sa relation avec la société et le public citoyen qui l’entoure.

Aristote ne se retournerait donc pas dans sa tombe si je disais, en termes actuels de marketing culturel, que le « conditionnement » de la représentation mêle – en termes purement commerciaux – la cible et le produit…Il ne s’agit pas de prendre cette idée à l’envers – comme savent le faire les cinéastes dits « populaires » et qui penchent très nettement vers le populisme – qui est un dévoiement certain de la démagogie. Nous n’allons pas changer le spectacle ou le modeler en fonction du goût du public, que nous testerions par des questionnaires à la sortie de la représentation.

Laissons à la télé et à son audimat cette très mauvaise interprétation de la catharsis…

En tant que re-présentation, j’inclus le destinataire, celui auquel la représentation s’adresse et sans lequel elle ne pourrait exister – comme simple pièce écrite. La problématique du public est inscrite, non dans la pièce, mais dans le spectacle et son intrinsèque modernité. Shakespeare était habile lorsqu’il nommait Hamlet le fantôme du père d’Hamlet, indiquant en cela que – comme le disait Daniel Mesguich – lorsqu’on joue Hamlet on joue aussi les fantômes des interprétations passées de Hamlet (Lawrence Olivier…). Les spectateurs sont eux aussi sur le plateau – à jouer Hamlet et les fantômes de sa représentation.

Voilà pourquoi ils est fondateur et moderne de monter aujourd’hui les

« grands textes » du répertoire – et je plaide ici pour la chapelle, dont je fais

partie, des metteurs en scène qui revendiquent le droit – souvent contesté par

les auteurs – de monter « les classiques » afin de ne pas rendre notre société

amnésique et d’offrir à tous l’accès à la mémoire de son humanité. C’est

parce que ces « grands textes » s’ancrent dans la continuité temporelle non

du texte même mais de sa représentation - dans laquelle le texte s’inscrit -

qu’on peut les définir comme de « grands textes ». J’ai fait cette expérience

très amusante, au cours de mon enseignement pratique du théâtre, de

travailler l’interprétation de monologues dont le choix , laissé libre aux

étudiants, s’était porté sur des « one-man-shows ». Très vite et d’un commun

accord nous avons dû abandonner un travail d’interprétation et de parti-pris

scénique qui repose inévitablement sur la polysémie des textes, sur la

richesse de leurs doubles, triples, multiples lectures. Les monologues

(3)

incriminés se consommaient au moment même de leur énonciation mais se périmaient aussi vite que des yaourts…Or c’est précisément la polysémie scénique qui fonde l’actualité de ces « grands textes ».

Je m’insurge donc contre l’idée même de « modernisation » de ces pièces. Mettre en complet-veston Molière ne sert pas nécessairement l’idée de modernité de ce répertoire, modernité qui s’impose à chaque siècle, à chaque décennie, à chaque minute de l’histoire de nos représentations. Mais faire de Tartuffe un mollah intégriste en Algérie qui rentre à la tête d’une foule de fanatiques se flagellant au cours d’une des fêtes religieuses auto mutilatoires en jetant un « Laurent, serrez ma hère et puis ma discipline », comme Ariane Mnouchkine ; faire de Chérubin dans « Le Mariage de Figaro » un adolescent en chemise à volants et pantalon de jogging, se déhanchant à la manière des « ados » blasés de notre siècle, comme Christophe Rauck ; ou faire jouer Monsieur de Pourceaugnac arrivant de Limoges et se faisant rejeter par la « famille (maffieuse) » parisienne qui ne veut pas d’un prétendant étranger par un comédien noir antillais, comme je l’ai fait dans « Monsieur de Pourceaugnac » : voilà quelques mises en représentation qui fondent la modernité des grands textes.

Le théâtre n’est pas un musée et les pièces de théâtre ne sont ni des archives ni des témoignages anthropologiques. Travailler aujourd’hui sur la tragédie grecque, ce n’est pas travailler sur sa représentation ethnologique.

Le chœur n’est plus ce chorus sacré, emblème d’un rite religieux dansé et

chanté qui nous échappe – mais dont ni le signe ni le sens n’échappait aux

spectateurs grecs qui s’enfuyaient de terreur à l’apparition du chœur des

Erynies. Le chœur de la tragédie grecque aujourd’hui renvoie à

l’interrogation vivante du sens, de la signification profonde, inconsciente de

la collectivité qui se rassemble (chœur politique, chœur sportif….) et aux

musiques (re)sacralisées - des gospels aux .. raves. Ce contexte – qui n’est

pas à montrer ou à monter mais à dé-signer dans les signes de la

représentation, inscrit le texte dans les enjeux de sa modernité….Le contexte

n’est pas à prendre au sens étroit (contextuel !). Nul besoin de transposer

dans les époques modernes pour moderniser. La modernité est ce en quoi le

texte fait écho pour un spectateur aujourd’hui : ce en quoi il peut comprendre

et reconnaître ses propres codes, ceux qui le font résonner et font résonner

sa culture, au sens large du terme. Je n’en veux pour exemple que Benno

Besson montant lui aussi Tartuffe, empli d’une humanité gloussant et

caquetant comme un poulailler. Dans ce regard sur la société, Tartuffe lui

pose – et nous pose – la question d’une supercherie « bling-bling » ou

sociale, problème que Molière se posait probablement très différemment en

dénonçant la dictature des prélats, la dictature des religieux, la dictature de

Dieu – et là encore je repars sur une lecture moderne de la représentation

pour un public concerné par l’intégrisme montant….

(4)

II – La mise en œuvre sur le terrain

La question de la mimesis une fois abordée, la catharsis nous renvoie au public qui est en effet sur le plateau mais aussi –avec un peu de chance – dans la salle. Affirmons haut et fort que les modalités de « communication » d’une œuvre à un public font partie de l’œuvre elle-même – au sens opératoire du terme- et doivent donc être artistiques. Ce qui implique une véritable révolution dans le système de l’institution culturelle. Les théâtres nationaux, les Scènes Nationales et les Centre dramatiques regorgent d’administratifs, relations publiques, directeur de communication etc….mais pas ou si peu d’artistes permanents. La plus grosse partie des budgets part sur l’administratif et non sur l’artistique. Nous sommes dans une logique de consommation : on achète un « produit » pour le vendre au public…ou on cherche à « remplir » les salles – avec ce que ça implique de définition de « l’audimat artistique » (faire ce qui plaît entre autres…), et à convaincre de l’extérieur de l’œuvre elle-même, sans impliquer dans un même geste artistique la représentation et sa mise en œuvre. « Ce n’est pas pour nous » disent la plupart des associations ou structures des villes que nous avons rencontrées en parlant du théâtre, et souvent d’un théâtre au label institutionnel. « Ce n’est pas pour nous » : cela signifie « ce n’est pas fait, conçu, pensé pour nous », qui nous ramène au concept même de la représentation que nous avons abordé en première partie mais aussi aux signes artistiques qui entourent, enveloppent et déterminent, inscrivent, définissent l’œuvre représentée parmi ceux pour qui elle se représente – à savoir tous les publics confondus.

Revenons alors aux acteurs de terrain, au sens propre du terme : les véritables acteurs de terrain, ceux d’une troupe qui pratique non pas une action socio-culturelle pour un public ciblé afin de l’occuper ou de le convaincre de « se laisser tenter » et de « se risquer » à venir dans l’antre sacrée du théâtre où opèrent les vrais prêtres de l’art théâtral, mais qui pratique un seul et même travail d’artiste autour d’une représentation dans ce qu’elle implique nécessairement et par définition de mise en œuvre…sur le terrain. Parler d’un spectacle ne sert pas, à mon sens, à grand-chose – à plus forte raison quand on en parle de l’extérieur. Je rechigne souvent moi- même, en tant que metteur en scène, à aller « parler » aux classes d’un spectacle qu’ils vont voir. J’aime en parler après, dans l’espace citoyen du débat et de la réflexion où nous ont conduit le rire et l’émotion du spectacle.

Parler, c’est du sens, du discours, de la raison, de la communication. La

représentation crée des signes, de l’imaginaire, de la communion par le

(5)

rêve….C’est ce fil là qu’il faut suivre et enrouler tout autour des représentations au sein d’une théâtre : en exportant les représentations hors les murs, en menant un travail de résidence qui tisse inextricablement des liens entre amateurs et professionnels autour de productions qui sont développées ici (au théâtre) et là (dans la ville) dans un même concept, un même désir, une même vision…

Le « remplissage » des salles renvoie donc à un problème autrement plus existentiel que du simple marketing : à quoi sert le théâtre et à qui s’adresse- t-il ? Double question qui touche à la modernité de la représentation et donc des publics, publics pluriels comme les strates de lecture d’une œuvre doivent l’être. Molière le savait bien qui touchait à la fois le parterre composé d’artisans, de valets, de gens du peuple debout et les loges des aristocrates et des bourgeois. Adressons nous au « japonais du troisième rang », comme le serinait Pierre Debauche (faisant allusion à un japonais qui avait suivi plusieurs représentations et qui , lorsque Pierre, un peu intrigué, l’avait interrogé sur son intérêt pour le spectacle avait décrypté tous les signes, les plus cachés, de la mise en scène), comme au scolaire, casquette vissée sur la tête et walkman branché (mais quelle victoire quand il l’enlève au bout de dix minutes de représentation) . Adressons nous au retraité habitué souvent à aller voir des « grosses machines » au Théâtre Michel ou Antoine (parce que c’est là que le service des personnes âgées d’une ville l’emmène…) comme à l’enseignant qui a la mémoire du spectateur (de tous les spectacles vus et engrangés) etc….La question des codes et de l’accessibilité nous renvoie une fois de plus à notre travail d’artiste, et renvoie les structures à une véritable réflexion sur leur programmation et sur leur…mise en œuvre.

L’opposition ou la défense que certains programmateurs mettent en avant en décrivant les deux camps opposés du théâtre « commercial » dit

« populaire » et d’un « théâtre exigeant » (donc « de qualité ») qui peut par conséquent se revendiquer expérimental – tant il touche peu de monde, ou qui en tout cas vide les salles (comme on a pu le voir une année terrible au Festival In) nous ramène à la définition même du théâtre populaire. Le théâtre populaire n’est en aucun cas un théâtre populiste qui va chercher le

« peuple » avec ce que l’on croit être son humour et son langage. La véritable exigence d’un théâtre populaire, c’est d’inclure la multiplicité des codes de notre société, de ses populations donc de ses publics – de TF1 à Arte- deuxième partie de la nuit…. En cela le théâtre est plus fort que la télévision : il ne cible pas, il rassemble et il rassemble dans un même geste universel.

Les farces de Molière (encore lui !) ou les pièces de Shakespeare, avec leurs

double sens et leurs jeux de mots, servaient à la fois le bas et le haut, le

graveleux et le mystique. La polyvalence d’une représentation est le gage de

(6)

son exigence, celle du fameux « théâtre élitaire pour tous » qu’avait défini Antoine Vitez au théâtre des Quartiers d’Ivry. Et qui dit polyvalence sémiotique ne veut pas dire contextualité facile pour autant : l’univers fantastique de Benno Besson faisait appel à tous les imaginaires infantiles et inconscients – du manœuvre à l’Enarque ; l’univers volontairement anachronique et gaguesque de Peter Sellars touche tous les publics – de la vendeuse au cadre supérieur.

Ne soyons pas démagogique, soyons pédagogique. Lorsque j’ai monté

« Le Bal de Kafka », j’ai volontairement choisi, moi qui suis une « accro » de Kafka dont j’ai eu l’opportunité durant ou grâce à mes études de lire la totalité de l’œuvre, une comédie contemporaine qui parle de Kafka : de sa vie (à partir de ce qu’il en a raconté), de ses soucis quotidiens à la Woody Allen avec sa famille et sa fiancée, de son malaise de juif tchèque et aussi de jeune et enfin d’artiste – tous problèmes si proches de tous et que Kafka, lui, transcende dans l’écriture dont on entend les continuels bribes sur le plateau.

C’est à la fois – c’est en tout cas ce que nous ont renvoyés les spectateurs – un accès à l’œuvre de Kafka pour ceux qui ne le connaissent pas et un nouvel éclairage apporté à son œuvre – pour ceux qui en sont férus. Kafka, c’est nous, c’est pour nous, c’est à nous – et à nous tous….A moi et à mon équipe de comédiens, décorateur, costumière…le devoir de l’offrir à tout le monde, y compris dans la mise en œuvre de la représentation sur les territoires où nous l’avons joué (en allant vers les publics en amont et en aval de la représentation au théâtre).

La recherche d’une véritable modernité artistique est donc incluse dans le geste de la création elle-même qui définit la générosité d’un théâtre (teatron) d’où l’on voit le monde et où tout le monde voit.

En ce sens, le théâtre est un outil militant actif (contre la passivité consommatrice) de la démocratie. C’est là où « çà » se joue : il est politique parce qu’impliqué dans les affaires de la cité (« le théâtre, à quoi ça sert ? »), il est universel parce qu’il transcende les classes et les frontières - ce qui à l’heure de l’Europe nous interpelle particulièrement, enfin il est à la fois pédagogique et thérapeutique, au sens noble de ce que la catharsis implique ou de ce que Shopenhauer explique lorsqu’il dit que « Ne pas aller au théâtre, c’est comme faire sa toilette sans miroir »….Bref, le théâtre s’affirme, à l’encontre de la mode actuelle, comme un art moderne, total et populaire.

Isabelle STARKIER

(7)

Références

Documents relatifs

démontrer que sans cette conception de l’action syndicale, c’était l’application du plan initial du PDG de Moulinex avec 800 licenciem ents supplémentaires ; c’était

Aussi la somme des chiffres de la somme de tous les entiers palindromes de n chiffres est une constante égale à 4+9+5 soit 18..

Page 1 sur 10 Le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) recherche un consultant(e) pour Analyse des moteurs de l’érosion de la biodiversité et des secteurs économiques impactant au

Dans le volet liberté de presse, toujours à Toamasina, le président Ravalomanana n’a pas mis en garde les journalistes mais leur a demandé de travailler avec l’Etat.. Qu’il va

La géographie scientifique cherche à élaguer les préjugés, à les combattre, à les détruire et c'est fort bien mais la pratique géographique des hommes n'est exempte ni

fausses informations, la focalisation sur tel élé- ment au détriment d’autres, ont pour but de noyer l’attention des citoyens et surtout de briser la chaîne causale

Ensuite le Seigneur leur a dit : “L’homme est maintenant devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal, il ne faut pas lui permettre de tendre la main pour

Notre s蒔cle a concr6tise, P陣r Ia, SCience, Ce qui n,6tait que mythes et fables. La   Radiocommande n en 1949 met Ia