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DLE BRASSENS. le livre dusouvenir

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BRASSENS le livre du souvenir

DLE-20061227-62291 2006-280125

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© 1982, Tchou éditeur

© 2006, Éditions Tchou - 6, rue du Mail - 75002 Paris Couverture : DR

ISBN 10 : 2-7107-0744-6 ISBN 13 : 978-2-7107-0744-8 Dépôt légal : 4 trimestre 2006

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Martin Monestier Pierre Barlatier

le livre du souvenir

TCHOU

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À MOI

QUI FRAPPAIS À SA PORTE...

Ma vie d'auteur de chansons a commencé grâce à Georges Brassens, par le goût qu'il m'a donné de cet art dit mineur.

Écrire une préface au livre de mon ami Martin Monestier a pour moi l'allure d'un clin d'œil, d'un renvoi d'ascenseur, comme on dit.

Quelques années plus tard, je relance à Georges son boomerang : j'écris une préface, mais ma préface à moi, c'est lui.

Quand on a huit ans, on n'est guère sensible à la finesse d'un texte, à la tournure d'un vers, à la hardiesse d'une rime. C'est donc par sa musique — il me plaît de le souligner —, son « son », que Brassens m'a irrémédiablement attiré vers lui. Le rythme — ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre — de sa guitare (qu'il employait comme un paysan sa charrue), sa voix grave mais pourtant pétillante d'accent sétois, les mélodies, si claires à entendre, et... si difficiles à jouer, plus tard.

Et puis, quelque temps après, au-delà de l'artiste, la rencontre avec l'homme : adéquation parfaite, chose très rare.

Ours, bien sûr (il ne détestait pas qu'on le comparât au quadru- pède renfrogné), mais par timidité, rien d'autre.

Les copains, évidemment (les Copains d'abord, son hymne), mais pas ceux qui vous tapent sur le ventre au bout de dix minutes. Brassens inspirait le respect en même temps que l'amitié, et c'était bien ainsi.

À ses côtés, on avait l'impression d'être meilleur : c'était un homme

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d'harmonie, ce qui n'est peut-être pas le cas de tous les musiciens.

À moi qui frappais à sa porte pour demander quelques conseils

— en fait, inconsciemment, pour percer le secret, découvrir le trésor —, il offrait un traité de versification, un peu ardu, plutôt austère, mais bien utile. À moi, qu'il voyait chercher sa voie, rêver sa vie, il proposait une place dans la première partie de son spectacle à Bobino. Tout cela, c'était du solide, comme lui.

Quand j'y pense, je me dis que j'ai eu bien de la chance de connaître un bonhomme de cet acabit. Ce genre de rencontre enrichit et renseigne plus sur la vie que bien des livres.

Il aurait fallu être aveugle pour ne pas aimer voir Georges Brassens, sourd pour ne pas aimer l'entendre. Il a donné du sens à mes sens.

J'ai dit plus haut qu'il était ma préface. En fait, c'est bien plus.

À chaque page du livre de ma vie, il y a un air de Brassens, comme un ange gardien, comme un ami.

Et puis, tout le monde sait que lorsque les poules auront des dents, elles siffloteront l'Auvergnat, le Parapluie et les autres.

Georges, tes chansons ont toute la vie devant nous.

Philippe CHATEL

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J'AI RENDEZ-VOUS

AVEC VOUS

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HOMMAGES

L'un des vrais poètes de ce temps

L'un des vrais poètes de ce temps vient de nous quitter. Georges Brassens avait su porter haut l'alliance de la poésie et de la musique, et son œuvre est déjà inscrite dans le patrimoine culturel français.

Nous sommes tous profondément tristes, ce soir, avec ceux qui l'aimaient. Je transmets à sa famille, à ses proches, le témoignage de ma sympathie et de mes condoléances émues.

François MITTERRAND La liberté et la vie

Un grand artiste vient de mourir. Sa création, son invention poétique, son sens de la langue ont marqué la chanson française. Pour tous ceux qui ne pourront oublier le sens qu'il avait de la liberté et de la vie, il était un personnage qui faisait profondément partie de notre univers. La tristesse est générale. Sa mort, à Sète, revêt la valeur d'un symbole. Sète où il rejoint Valéry dont, dans son domaine, il était l'égal.

Pierre MAUROY

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La sensibilité de notre peuple

Peu de poètes, de compositeurs, d'interprètes ont traduit avec autant de force la sensibilité de notre peuple. La simplicité, l'humour, la tendresse, l'ironie, la passion de la justice servis par un talent immense : Georges Brassens était tout cela. Georges Brassens aura su donner à la chanson populaire française sa plus haute expression.

Georges MARCHAIS La voix intérieure de plusieurs générations La mort de Georges Brassens touche tous les Français. Sa voix confidentielle était devenue depuis plus de trente ans la voix intérieure de plusieurs générations. Il avait réalisé une synthèse rare entre la poésie et la musique. Il chantait sans tabous, comme on pense au fort de soi-même. Le miracle est que cette voix si discrète se soit fait entendre si loin et si longtemps, au point que tous les grands artistes d'aujourd'hui lui doivent quelque chose.

Jack LANG Un être humain exceptionnel

C'est triste, grave, affreux. Un deuil immense. Brassens n'était pas seulement un artiste et un chanteur, mais un être humain exceptionnel par son art de vivre, sa philosophie, son langage, sa fidélité aux amis. Brel, Brassens disparus, que reste-t-il dans le monde de la chanson pour prendre la relève ?

PATACHOU C'est trop tôt pour parler

Je ne parlais pas de Brassens avant, je ne peux pas parler de lui maintenant. Il faut attendre que l'émotion s'apaise.

Pierre NICOLAS

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N'importe qui est un ami de Brassens

Les vrais enterrements ont commencé. Vous me téléphonez à moi parce que je suis un ami de Brassens et je suis bouleversé. Mais vous aussi, vous êtes bouleversé. Vous auriez appelé n'importe qui, n'importe qui serait bouleversé parce que n'importe qui est un ami de Brassens.

Yvan AUDOUARD L'amour, la guitare et les mots simples

C'était un type à part, extraordinaire, vivant quoi ! Je suis très ému.

Les mots ne sont pas assez forts, évidemment. Pourquoi cette mort ? C'est idiot de dire ça. Il avait du désespoir au fond de lui, je crois, et il le laissait paraître quelquefois d'un coup d'œil. Peut-être savait-il les choses de ce monde et il le faisait savoir comme ça. Il a passé un quart de siècle à rappeler aux hommes qu'il n'y avait peut-être rien d'autre à retenir dans ce monde envahi de muselières que l'amour, la guitare et les mots simples. Cette mort qu'il a chantée sans y prendre garde, j'espère comme il l'a dit lui-même que ce sera ses vacances.

Léo FERRÉ Un Jupiter gaulois

C'est un être qui m'était très cher. Sa disparition est un grand vide, c'est pour moi un véritable chagrin. C'était un grand poète populaire, sa disparition est vraiment prématurée, il aurait pu nous donner encore d'autres vendanges. J'espère pour lui, comme il disait dans une de ses chansons, qu'il passera sa mort en vacances. Georges Brassens était un sommet de l'expression de la chanson française.

Son chant coïncidait avec le génie de son peuple. C'était une sorte de Jupiter gaulois. Il restera immortel dans nos mémoires. L'éternité lui appartient.

Claude NOUGARO

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Le bonhomme a laissé des chansons

Ce soir, le théâtre de la chanson et du rire (Bobino) a du chagrin, pas beaucoup de rire, mais le bonhomme a laissé des chansons.

Maxime LE FORESTIER Une délicatesse incroyable

Sous des airs bourrus, c'était un garçon qui faisait montre d'une délicatesse et d'une gentillesse incroyables. Certes, depuis quelques jours, il ne se sentait pas très bien, mais personne ne pouvait imaginer une issue fatale. J'ai perdu un très grand ami.

Édouard DULEU Un ami irremplaçable

Je ne parlerai pas du poète et du chanteur, mais de l'ami très cher depuis 1953, depuis que nous avons débuté ensemble aux Trois Baudets et à la villa d'Este. Un ami, c'est déjà irremplaçable. Mais un type comme Brassens, avec un tel rayonnement... Il était tellement cultivé et simple qu'on sortait d'une discussion avec lui plus intelligent. La chanson que je garde de Brassens..., celle qu'il m'a donnée : le Chapeau de Mireille.

Marcel AMONT Je l'appelais « mon bon maître »

Ma première rencontre avec Georges Brassens remonte à 1954.

C'était à Nice, en juillet. Brassens était déjà une vedette, et moi un petit jeune qui, comme des milliers d'autres, avait envie de chanter.

À la fin du spectacle, je vais le voir en coulisse pour lui présenter

quelques textes. Il me dit, en me tendant sa guitare : « Je t'écoute. »

J'ai commencé par lui fredonner cette chanson : « Ah les vaches, les

bandes de vaches, toutes les grosses vaches du canton sont ici... »

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(chanson qui ne fut jamais publiée). Je l'appelais « mon bon maître ».

Depuis quelque temps, Georges se cachait. D'ailleurs, ça lui arrivait souvent de condamner sa porte car, atteint de la maladie de la pierre, il a toujours vécu en compagnie de la souffrance. Il n'est que d'écouter ses chansons : un tiers d'entre elles ont pour thème la mort.

Guy BÉART Sans voix

On reste sans voix devant une merde pareille. Il a tellement aimé la vie, ce mec-là, qu'il avait fini par aimer sa mort. Il se savait condamné même s'il n'en parlait jamais. La chanson que je retiens : les Neiges d'antan.

Jean-Christophe AVERTY Un poète eau-forte et pastel

Georges Brassens est un produit de terroir. Le vin de son tonneau était fait pour être bu au jour le jour, volatile comme un feu de joie.

Chaque fois pourtant qu'il en tirait un verre, on savait déjà que cela vieillirait, c'est-à-dire resterait jeune.

Et le matin qu'on la pendit Elle fut en paradis

Certains dévots depuis ce temps Sont un peu mécontents.

Voilà le peu de syllabes qu'il faut à ce fabuliste goguenard, dont on ne sait pas que, jusque dans la paillardise, il est toute distinction.

Ses gros mots sont le plus finement taillés et qu'il s'agisse de l'étreinte du gorille ou des sueurs de la fille de joie, la perfection se camoufle.

Or ce gaillard pratique de la même main l'eau-forte et le pastel. Si sa dérision de la mort s'exerce dans maintes funérailles, rien n'égale sa tendresse devant l'hiver du pauvre Martin ou du vieux Léon. Les rares allusions à son temps disent-elles qu'il en faisait peu de cas ? Il se prélasse mieux dans l'éternel : surtout l'éternel féminin. Là, cet homme si pudique dans la vie, mais don Juan de poésie, déploie sa

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plus riche palette. Suavité des sabots d'Hélène, fleur bleue des

« nymphes de ruisseau, des Vénus de barrière » se mêlent aux griffes redoutables, dompteuses, maîtresse traîtresse, « qui intervertit l'ordre de ses cocus ». Disons-lui, avec Clément Marot, un de ses maîtres :

Adieu la Cour, adieu les dames Adieu les filles et les femmes Adieu vous dis pour quelques temps...

Car, venu des aurores de notre chanson pour entrer dans le disque

— par le secours d'une guitare et d'une voix de coin de feu, sans sonos ni projos —, il est sans doute, par la force des temps, le dernier du genre.

Georges WALTER

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DANS LA PRESSE PARI ENNE SI

La Mort d'un poète

Il allait simplement son chemin, tranquille, avec cette sérénité des sages qui n'ont de comptes à rendre qu'à eux-mêmes. Une douzaine d'albums, des millions de disques : Brassens était parmi nous depuis toujours et il sera avec nous toujours. Ce n'est évidemment pas une consolation mais cela reste un grand bonheur.

Richard CANNAVO Le Matin de Paris Nous l'aimions tous...

En un temps où la poésie s'enferme trop souvent dans l'hermétisme et dédaigne ou redoute comme indigne d'elle la communication avec le grand public, ou s'abandonne à une démagogie sentimentale ou politique et à la vulgarité, Brassens, ce doux anarchiste, était un de ceux qui avaient retrouvé la voie véritable, renoué avec une de nos plus précieuses traditions, celle de nos chanteurs musiciens, du temps des trouvères et de Rutebeuf [...].

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Georges Brassens, c'était l'accord un peu magique d'un visage, d'un regard, d'une voix, d'une sensibilité et d'un langage. Accord inimitable et irremplaçable.

Thierry MAULNIER Le Figaro Brassens casse sa pipe

Le ton bourru de la chanson française est mort [...]. Il laisse derrière lui, sur trois accords, une brassée de refrains qui traînent dans la mémoire comme un remords : on l'aimait bien, on ne l'aimait plus, on s'en souvenait quand même, de celui qui plaisait aussi bien aux boy-scouts qu'aux anars : Margot, le Gorille, les Amoureux sur les bancs publics, les Copains, l'Oncle pétainiste et l'Oncle gaulliste.

Libération Il est mort, le poète...

Il y a maintenant une chaise irrémédiablement vide chez Jeanne, une pipe éteinte sur la table de l'Auberge du Bon Dieu et une guitare à jamais muette. Le petit frère de Villon s'est fait tout petit pour partir au bout de son petit bonhomme de chemin.

Le Parisien libéré Brassens la tendresse

En trente ans de « métier », il ne cessa de chanter l'amitié et l'amour, avec pudeur et une grosse voix amicale. Il n'aimait pas la guerre. Il le faisait savoir. Sa silhouette était légendaire. Ses vers et ses mélodies demeurent.

L'Humanité

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Les larmes d'Hélène

Dans quelques années, les enfants apprendront dans les écoles le

nom de « Brassens Georges, poète français, né à Sète en 1921, mort

à Sète en 1981, auteur de chansons pleines de verve et de non- conformisme » (comme dit déjà le Larousse). Mais aujourd'hui, tous les Français sont en deuil. C'est leur jeunesse, leurs rêves, leurs illusions d'adolescents qui s'en vont dans le sapin, lui devant et eux derrière. Et nous avons tous les larmes d'Hélène...

Thierry DESJARDINS France-Soir Un donneur de sang

Georges Brassens était de ces êtres qui vous rendent heureux d'être en vie. Cocteau l'eût appelé un donneur de sang « dans une époque dont le ridicule est de croire qu'elle a le sens du ridicule et qui prend pour une insulte à son adresse le moindre signe insolite de grandeur ».

L'art tapageur n'appartenait pas à son registre, ni cette originalité qui fuit les hommes quand, d'aventure, ils la courtisent par trop. Il réussissait ce que peu réussissent : être soi-même. Libertaire jusqu'au plus profond, il affirmait : « Je suis tellement anarchiste que je traverse entre les clous afin que la maréchaussée ne me fasse nulle réflexion. » Cette rigueur sur sa personne était un exemple pour ceux qui l'approchaient, sans qu'aucune leçon, évidemment, ne soit énoncée.

Voilà l'ami qui vient de disparaître. Il était élégance, discrétion, fidélité, présence quand il le fallait. On se sent désolé et confus de dire si mal l'estime, l'affection et la peine.

Louis NUCERA Le Monde Un œil d'aigle et le sourire aux lèvres

« La révolution, pensait Brassens, c'est s'améliorer soi-même. » Cela

peut sembler banal et facile à dire, mais pas autant qu'il y paraît.

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Il est plus courant d'entendre répéter que le mal vient des autres et qu'il serait temps de les ramener dans le droit chemin à coups de trique ou de mitraillette. J'aime ces hommes qui regardent vivre le monde avec un œil d'aigle, mais qui n'en gardent pas moins le sourire aux lèvres parce qu'ils continuent à l'aimer. Quand un homme célèbre disparaît, on lit de toutes parts que son œuvre demeurera immortelle.

Personne n'en croit rien, mais ce genre de propos est de circonstance.

Pour ce qui concerne Brassens, je crois que les générations futures continueront à le lire et peut-être même à le chanter.

Maurice SIEGEL VSD La tête dans le ciel

Brassens est mort. Brassens est mort seul ou presque, comme il l'a voulu, condamnant ses millions d'amis à l'espérer toujours vivant.

Il ne craignait ni le silence ni la solitude. Il s'habillait de discrétion quand d'autres portent la vanité. Il prisait le sel de la terre quand la mode est de se rouler dans la fange. Il comprenait tous les regards, y compris celui des bêtes, quand les foules marchent en aveugles.

Il façonnait dans la difficulté des mots qui trouvaient aisément le chemin de nos cœurs. Il était notre légèreté d'âme, notre rire et notre santé, lui qui souffrait depuis si longtemps. Il avait le don d'amitié si fort qu'il tissait à son insu des milliers de liens. Il rassurait avec sa silhouette massive d'homme bien planté sur terre, comme son chêne, avec la tête dans le ciel.

Jacqueline CARTIER France-Soir Magazine

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LE TEMPS PASSÉ

Pour Marèse et Jacques.

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LE TEMPS

NE FAIT RIEN À L'AFFAIRE

Jeudi 29 octobre 1981. Ce jour-là, le monde s'agite, ni plus ni moins que de coutume. Le matin, les Soviétiques ont lancé une sonde de cinq tonnes vers Vénus. Matencio, assassin d'une jeune ado- lescente, est condamné à la réclusion perpétuelle. L'après-midi, le pape Jean-Paul II reçoit le nouveau code du droit canon au moment même où un chômeur se suicide par le feu à Colombey- les-Deux-Églises. Le soir, Yves Montand, qui vient de renouer avec le music-hall, après quelque vingt ans, annonce, à l'ouverture de son récital à l'Olympia : « Georges Brassens nous a fait une blague.

Il est parti en voyage. Certains disent qu'il est mort. Mort ? Qu'est- ce que ça veut dire mort ? Comme si Brassens, Prévert ou Brel pouvaient mourir ! »

Éclairé par la seule lumière bleue d'un projecteur dirigé sur son micro, et le visage bouleversé, Yves Montand ajoute, comme s'il s'adressait au disparu : « Mais Georges, tu le sais, le spectacle doit continuer... À tout à l'heure. »

Et revenant à son public, atterré par la nouvelle, il commence à chanter. À l'autre bout de Paris, Porte de Pantin, Barbara, au milieu de son spectacle, entre deux chansons d'amour, laisse échapper :

« Ça ne lui aurait pas plu qu'on pleure, et on ne pleurera pas. »

Georges Brassens préférait la guitare aux larmes. Fidèle à lui-

même, il est mort sans tambour ni trompette. Discrètement, comme

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il avait vécu. Pour beaucoup, le paysage va changer. Dans ce paysage, il était entré en 1921, au moment où Feydeau et Saint-Saëns en sortaient.

L'arrivée, le 22 octobre 1921, de cette petite chose joufflue et braillarde n'est pas l'événement de la saison. Qui pourrait deviner que son nom figurera un jour dans le dictionnaire ? Pour l'heure, le nouveau venu n'est que le héros d'une famille joyeusement bruyante.

L'horizon de Georges-Charles s'arrête encore au sein de sa mère.

Par la suite, il ne gardera que son premier prénom. Ce qui n'empêchera pas sa renommée de s'étendre aux quatre coins de l'hexagone.

En cette fin d'année 1921, le devant de la scène est tenu par d'autres vedettes : Hitler, qui a obtenu la présidence du parti nazi ; Anatole France, couronné prix Nobel de littérature ; Aristide Briand, dont les amis et les ennemis s'empoignent sur le devant de la scène politique.

Georges Brassens réclame son quatrième biberon de la journée à l'heure où l'éditeur de Jean Cocteau offre un grand cocktail à l'occasion de la sortie des Mariés de la Tour Eiffel, septième ouvrage de son jeune auteur. Brassens joue avec son canard en peluche alors qu'Abel Gance termine le tournage d'un de ses chefs-d'œuvre, la Roue.

Les Brassens habitent le « quartier haut » à Sète, au 54 de la rue de l'Hospice, devenue, par la suite, rue Henri-Barbusse. Cette même rue a été, depuis, rebaptisée rue Georges-Brassens. La rue de l'Hospice grimpe tout droit vers la colline Sainte-Claire et semble mener à l'assaut de l'ancien Mont-Setius des Romains, dont la cité tire son nom, des chapelets de maisons à un ou deux étages couvertes de crépis, aux façades modestes, et aux toits de tuiles roses.

La maison de la famille Brassens est de celles-là. Refuge, véritable tanière, où vit un clan composé de trois générations. Jules et Marguerite Brassens, les grands-parents paternels de Georges, occupent le rez-de-chaussée. Jean-Louis et Elvira Brassens, ses parents, occupent le premier étage. Entre ces deux « plans » familiaux, une petite fille de 9 ans, vive et gracieuse, court dans les escaliers. C'est Simone, la demi-sœur de Georges.

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Mort dans la tranchée

Elvira, on l'a compris, a déjà été mariée. Elle a épousé en 1910 Alphonse Comte, artisan à Bouzigues. Cette séduisante bourgade de pêcheurs, située à « un vol d'oiseau » de Sète, tout contre l'étang de Thau, célèbre pour ses coquillages. À cette époque, Sète, qui compte à peine 30 000 habitants, est pourtant le deuxième port du midi de la France. Trafics de marchandises en tout genre s'y déploient. Celui du vin est un des plus importants. Les barriques s'amoncellent sur les docks et les jetées en une succession interminable de pyramides.

Or justement, Alphonse Comte est tonnelier. La vie s'annonce prometteuse pour Elvira Dagrosa.

Fille d'un journalier napolitain, venu, comme beaucoup d'autres, chercher une vie meilleure dans le sud de la France, elle a dit « oui » au tonnelier qui lui demande de l'épouser pour le meilleur et pour le pire. Hélas ! ce sera pour le pire. Après la naissance de la petite Simone, les événements ne tardent pas à se déchaîner, bousculant le destin de millions de gens. Notamment celui de la famille Comte.

Mobilisé, Alphonse Comte quitte ses tonneaux, son Midi ensoleillé et chaleureux pour l'enfer de Verdun. En 1915, dans les tranchées pleines de souffrance, de larmes et de morts, il ajoute son sang de pauvre tonnelier aux cadavres des soldats. Voilà Elvira Comte, née Dagrosa, veuve, avec une petite gamine sur les bras.

Chez les sœurs de l'Institut

Quatre ans après ce drame, elle rencontre un solide maçon, Jean-

Louis Brassens, né à Castelnaudary dans l'Aude, fils de Jules, maçon

lui-même, et de Marguerite, née Josserand. En décembre 1919, Jean-

Louis Brassens épouse Elvira et prend sous sa protection la petite

Simone. Tout le monde s'installe rue de l'Hospice, dans une maison

que deux générations de maçons ont bâtie et rendue agréable. C'est

là que Georges Brassens vient au monde, dans une chambre au

premier étage. La croisée donne sur un verger où grand-père Jules,

entre des treilles de raisins, essaie de cultiver quelques roses. C'est

difficile à Sète, quand il y a trop de soleil et pas assez d'eau.

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Georges Brassens entame une enfance harmonieuse et sans histoire. Elvira Brassens, catholique pratiquante, en bonne Napo- litaine, porte la religion comme une seconde nature. Elle décide donc de faire baptiser son fils. Et il est probable que cette décision donna lieu, au sein de la famille, à de chaudes discussions. Car, si le père de Georges, né dans une famille catholique, a reçu une éducation religieuse, il a fini par ne plus croire en Dieu ; il se montre, de surcroît, foncièrement anticlérical. Pour cette raison, il refuse pendant longtemps de faire bénir son union avec Elvira et n'accepte de le faire que des années plus tard, parce que c'est indispensable à l'entrée de la petite Simone dans une école religieuse. Fort de sa conviction inébranlable de libre penseur, il prend sa revanche en s'abstenant d'assister à la première communion de son fils.

Dans ce petit différend théologique, Elvira Brassens marque des points... Ainsi, dès l'âge de 2 ans, Georges est envoyé en maternelle rue du Musée, chez les sœurs de l'institut Saint-Vincent. Il y retrouve sa sœur Simone. Jean-Louis Brassens obtient tout de même répa- ration pour cet affront : deux ans plus tard, à l'âge légal, son fils s'assied enfin sur les bancs de l'école républicaine, gratuite et laïque.

Là, Madame Barada, sévère institutrice, tente de faire entrer le B.A.-BA du savoir dans la tête de ce gamin indiscipliné, mais tel- lement attendrissant.

Georges raffole de son grand-père Jules, qui apprécie toutes les facéties, et qui s'amuse beaucoup des niches incessantes de son petit- fils. Ce grand-père est également un passionné de la nature. Il s'attache à éveiller la curiosité de Georges en lui parlant de ses miracles, des fleurs et des animaux. Il lui fait cadeau d'un chat noir, qui vivra 18 ans. Le premier des innombrables chats de Georges.

La rue de l'Hospice dans une caisse

Mais tout passionnants qu'ils soient, ces cours improvisés de sciences naturelles ne remplacent pas l'école, où Georges, « Jojo » pour les copains, joue les affreux, fait le pitre et dissipe à l'envi ses camarades.

Tant et si bien qu'un jour l'institutrice, à bout de nerfs, l'enferme dans un placard à balais.

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Comme beaucoup de mères, Elvira Brassens surveille de près l'éducation de son fils. Elle nourrit des ambitions à son égard. Et lorsque, chaque semaine, elle l'emmène se promener sur les bords de l'étang de Thau, finissant immanquablement le périple par la traversée du cimetière de Py, elle le sermonne à sa manière, pressante, mais douce et aimante : « Avec de l'instruction, des diplômes, on fait une vie. » Pour l'instant, le petit Brassens est un enfant comme les autres, très joueur, un peu bagarreur et qui préfère, malgré les exhortations de sa mère, délaisser des devoirs auxquels il se prétend allergique, pour dévaler la rue de l'Hospice dans une caisse à savon équipée de roulettes.

« Un bain de chansons »

La famille Brassens, que tous les voisins aiment et apprécient, se différencie de toutes les autres familles du quartier par un trait particulier : tous chantent, les grands-parents, la sœur, le père, la mère. C'est la « famille chanson ». Elvira surtout. Elle initie son fils aux chansons populaires, jusqu'à faire naître chez lui un désir impérieux d'écrire et de composer. D'origine napolitaine, elle passe son temps à chanter. Tout y est prétexte : le tricot, la cuisine, la couture, la lessive, une bonne ou une mauvaise nouvelle. Plus tard, Georges Brassens dira, en évoquant sa prime enfance et son adolescence : « Si je me suis intéressé à la chanson, c'est surtout parce que, dans ma famille, tout le monde chantait. Dès l'enfance, dès l'âge de 4 ou 5 ans, cette époque où l'on commence à prendre conscience de "l'extérieur", je me suis mis à chanter avec ma mère, mon père et ma sœur. Ma mère surtout chantait, chantait. Depuis ma naissance, je vivais dans un bain de chansons. »

À cette époque, tous les succès, de tous les horizons, se mélangent.

Les gens, avides de gaieté, d'insouciance, adoptent les airs qui passent. On ne se soucie pas d'esthétisme ni de mode. On reprend les refrains qu'on aime. La mère de Georges apprend les mélodies des cafés-concerts qui arrivent par chanteurs ambulants ou fredonne les airs qui avaient plu à sa grand-mère ou à son grand-père. Comme elle est napolitaine, ce sont souvent des chansons italiennes. Et puis elle chante aussi les dernières nouveautés.

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Il y a eu Brassens.

Ses vieux costumes de velours côtelé, son regard bourru, son air de frère sur lequel on peut compter. Ses bancs publics, son chat, son arbre, sa mauvaise réputation, ses copains, son Auvergnat et son pauvre Martin, on aimait l'entendre quand il en parlait.

Puis il y a eu Georges, le philosophe, le sage...

Il a tout accepté de la vie: la pauvreté comme la gloire, les joies comme les maladies. Puis la mort. Sans révolte, sans peur, sans résignation non plus. Il s'est frayé un passage à l'écart de ce monde secoué de violence, un chemin de poète qui a su trouver l'essentiel : la sérénité.

Voilà pourquoi, 25 ans après sa mort, Brassens reste si grand dans notre mémoire.

La réédition de ce livre-culte offre une rencontre avec l'un des chanteurs les plus aimés des Français, dont les œuvres ne cessent d'inspirer la jeune génération.

Martin Monestier est journaliste, écrivain, peintre, auteur de documentaires télévisuels et chroniqueur d'art sur Paris Première.

Longtemps responsable d'un magazine d'art, ses livres, essais et

encyclopédies sont, pour certains, devenus cultes. Il est en effet

l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages, traduits dans une quinzaine

de langues. Ses biographies, dont celles de La Callas et de Brel, ont

dépassé les 100 000 exemplaires et ont été saluées par l'ensemble

de la presse.

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