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Les handicapés au travail

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Texte intégral

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Les

handicapés

au travail

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Alain BLANC

Les

h a n d i c a p é s a u t r a v a i l

Analyse sociologique d'un

dispositif d'insertion professionnelle

PRÉFACE DE

H E N R I - J A C Q U E S STIKER

D U N O D

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C pictogramme mérite une explication.

Son objet est d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, particulièrement dans le domaine de l'édition technique et universitaire, le dévelop- pement massif du photoco- pillage

Le Code de la propriété intel- lectuelle du 1 juillet 1992 inter- dit en effet expressément la pho- tocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s'est généralisée dans les établis-

sements d'enseignement supérieur, provo- quant une baisse brutale des achats de livres et de revues, au point que la possi- bilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée.

Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des Grands- Augustins, 75006 Paris).

© D u n o d , P a r i s , 1 9 9 9 I S B N 2 1 0 0 0 4 2 9 2 0

Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite selon le Code de la pro- priété intellectuelle (Art L 122-4) et constitue une contrefaçon réprimée par le Code pénal. • Seules sont autorisées (Art L 122-5) les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, ainsi que les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, pédagogique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve, toutefois, du respect des dispositions des articles L 122-10 à L 122-12 du même Code, relatives à

la reproduction par reprographie.

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À la mémoire de mon père et de ma grand-mère.

Avant-propos à la seconde édition

Entre particularisme identitaire, refuge commode et prison dorée, et univer- salisme abstrait, trop éloigné de leur nature, les personnes handicapées sont en situation, à ce titre leur cas ne les distingue pas de nombre d'autres groupes sociaux, d'oscillation entre deux modèles auxquels, pour chacun d'entre eux, elles ne peuvent pas pleinement adhérer : elles font face à une injonction paradoxale dont le texte essaie de cerner les raisons et construit les mécanismes.

Si le contenu de l'ouvrage est nécessairement daté (1993), il n'a pourtant pas été modifié car l'auteur reste fidèle aux conceptions défendues et analyses présentées. En effet, l'insertion sociale et professionnelle proposée aux personnes handicapées, du fait de leur déficience, des représentations collectives, des actions qui leur sont destinées et des résultats qui s'en suivent, constitue une sorte de trou noir illustrant la particularité des liens construits avec ce type de population mais aussi interroge le contenu même des relations sociales et de leurs conditions de réalisation.

La postface de cette seconde édition (1998) est l'aboutissement et l'approfon-

dissement de thèmes majeurs abordés dans le texte publié auparavant. En effet,

elle comprend d'abord des informations quantitatives complémentaires à celles

contenues dans le travail original : séries statistiques longues, données récapitu-

latives et détaillées, précisions chiffrées. Elle présente ensuite des réflexions

analytiques et prospectives permettant de tisser des liens logiques entre passé

avéré et avenir probable d'une action collective spécifiquement destinée à un

public particulier, action dont les modalités de réalisation instruisent à propos de

l'évolution des dispositifs organisant, en France, la prise en charge des exclus.

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Préface

Dès la première des deux lectures que j'ai faites du livre d'Alain Blanc, auteur que je ne connais pas personnellement, j'ai éprouvé un « coup de cœur ». Dois-je dire : coup de cœur ou « coup de raison », au risque de faire mentir Pascal qui dis- tingue les raisons du cœur et les raisons de la raison ? Pour le savoir allez tout de suite lire l'admirable conclusion de l'ouvrage : finesse de la sensibilité et force conceptuelle se disputent l'avantage. Tout l'ouvrage s'y reflète.

Le préfacier n'est pas contraint d'adopter tous les propos tenus ni chaque détail

des analyses conduites, lesquels relèvent de la seule responsabilité de l'auteur ; il

n'a pas à vouloir modifier quoi que ce soit. Ce qui m'a incité à ajouter un texte

devant celui d'Alain Blanc, et je m'y prête sans réserve, c'est qu'enfin, dans le

commentaire du handicap, nous avons à faire à une étude entièrement sociolo-

gique. Ce n'est pas la première ni la seule grande élaboration, ce n'est pas le pre-

mier ni le seul grand ouvrage « disciplinaire », encore qu'ils se comptent quasi-

ment sur les doigts des mains - Alain Blanc du reste les connaît et les cite -, mais

de part en part la description fouillée et documentée est reprise dans une analyse

de second degré se référant toujours à des cadres théoriques et à des concepts

éprouvés. Jamais on n'est maintenu au niveau descriptif où se complaît le plus

souvent l'immense littérature relative aux personnes handicapées. Cette littérature

serait ennuyeuse si elle ne laissait voir combien, en ce domaine où tout le monde

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cherche la gratification de bien agir, la volonté de s'en tenir aux constats empi- riques masque les ressorts et les conditions sociologiques qui commandent réelle- ment les fonctionnements et les processus à l'œuvre. La volonté de lucidité n'est pas la vertu dominante dans un domaine où les affects jouent un si grand rôle.

Dans ces conditions, A. Blanc a le mérite de parler en termes de systèmes, notion vague si on lui donne trop d'extension mais non moins opératoire pour une étude particulière. « La notion très générale de système n'est véritablement utile que comme idée directrice. Elle ne prend un sens précis que lorsqu'elle est appliquée à l'analyse de processus et de systèmes concrets, c'est-à-dire envisagés dans leur singularité. » (R. Boudon et F. Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, p. 608.) A. Blanc se situe très exactement dans le deuxième cas.

Dans les pages introductives il nous déclare bien clairement qu'il entend être systémique en reliant « acteurs et système, négociation et régulation ». On pour- rait penser à une analyse à la manière de Michel Crozier. En fait, il s'agit certes de Michel Crozier mais aussi de Durkheim, de Max Weber, de Norbert Elias, de Claude Dubar et d'autres encore, tout au long du texte. Mais à mes yeux ce n'est pas au niveau de la méthode qu'il faut chercher la profonde unité du livre, lequel comporte un certain éclectisme sociologique. Nous n'avons heureusement pas à faire à un exercice d'école, mais à une analyse rigoureuse et cohérente, au service de laquelle différentes ressources sociologiques sont mobilisées et mises à profit.

Où se trouve l'unité dont je parle ? On peut la découvrir à deux niveaux au moins.

Le premier plan qui donne cohésion à l'ensemble est le rapport sans cesse établi entre telle institution, tel système particulier, telle disposition réglementaire et la politique sociale globale, le système politique encadrant, l'histoire de la question.

Ainsi se dégagent les enjeux, les ambivalences, les ambiguïtés profondes du secteur particulier traité. Car ce n'est pas même tout le champ du handicap qui est envisagé mais seulement le dispositif d'insertion professionnelle et pourtant on débouche sans arrêt sur des perspectives larges qui nous dévoilent la société envi- ronnante. Il faut prêter ici attention au titre qui ne dit pas : analyse sociologique du dispositif d'insertion professionnelle des personnes handicapées, mais : « Les handicapés au travail. Une analyse sociologique d'un dispositif d'insertion profes- sionnelle », un parmi d'autres, comme emblématique, comme paradigmatique.

La deuxième isotopie sur laquelle se déroule l'analyse et qui la cimente est cons- tituée par ce que j'appellerais un peu pompeusement une « aporie fondatrice ».

L'auteur me dira si je le déborde par une lecture excessive de, son texte. Il ne

cesse de mettre à jour que chaque phrase, chaque acteur, chaque organisme parti-

cipant à l'insertion professionnelle se situe dans une irrésolution. Autrement dit, le

passage vers une insertion, une inclusion, pourtant voulues et visées, ne peut pas

se faire et ne veut pas être fait complètement. Ce qui ne nie pas les effets partiels

et bénéfiques. Mais au cœur de tout le dispositif il existe de l' inconciliable. Entre

les souhaits des personnes et les formes d'inclusion proposées, il y a de l'inconci-

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liable ; entre la « réalité, naturelle et sociale, du handicapé et la volonté collective » (p. 14), il y a de l'inconciliable ; en conséquence, entre les objectifs des institutions et les moyens réellement mis en place il y a de l'inconciliable, entre la législation et certains organismes il y a de l'inconciliable. De tous les côtés on constate une sorte de bouclage qui produit du « sur-place ». Le changement et l'innovation, pourtant indéniables, sont en définitive reproducteurs d'invariance car il y a tout au fond de la socialité, et d'autant que cette socialité est aujourd'hui individualisante, un blocage primitif, primordial, qui a nom distance, liminalité, ambivalence, entre- deux, parce qu'il y a « naufrage d'identité » (Robert Murphy) et impossibilité pour le groupe social de faire des handicapés un « vecteur d'identification » (A. Blanc, p. 261). Cette conclusion et cet enracinement ne sont pas extérieurs à l'analyse sociologique de l'auteur : ils en sont le fruit mûr. Car il ne s'agit pas de rendre démoniaque (mais le point de vue sociologique, comme on le croit à tort, n'a jamais cette intention) les institutions, les dispositions réglementaires, les acteurs, qui sont traversés au contraire aujourd'hui par des logiques d'inclusion, d'inser- tion, voire d'intégration. Si les pièces du système ont toutes « bonne forme » le principe de leur agencement est contradictoire. C'est pourquoi je parle d'aporie fondatrice, plus encore que fondamentale. Le système d'insertion professionnelle des personnes handicapées - et il y a système parce qu'il y a interdépendance et logiques semblables - repose sur une opposition insurmontable. On peut donner plusieurs formulations de l'aporie dont je parle. À titre d'exemple seulement, en voici quelques-unes : pour être reconnus comme des humains ordinaires il faut que les personnes handicapées soient des surhommes ; main-d'œuvre non récalci- trante mais altérée et pourtant contrainte à fuir son identité « naturelle », elle est plus que fortement conviée à entrer dans l'emploi dans le temps où ce rapport social dominant est devenu, ne serait-ce que par sa rareté, une peau de chagrin ; « au moment où les handicapés manifestent leur souci d'intégration, nos codes cultu- rels les renvoient à leur état de nature » (p. 257), car la passion répandue d'atteindre une individualité « parfaite », c'est-à-dire finalement normée, exclut que le corps infirme entre dans cette identification (je renverrais ici à un auteur que A. Blanc ne cite pas : Gilles Lipovetsky dans L'ère du vide. Essais sur l'individualisme contemporain, Gallimard, 1983) ; les valeurs d'inclusion, de solidarité, « toutes nécessaires à l'image que la société donne d'elle-même, rencontrent les stratégies d'acteurs qui les contrecarrent » (op. cit., p. 187).

La mise à jour d'une sorte de double bind natif, à laquelle aboutit l'auteur ou

du moins la lecture que j'en fais, semble d'un pessimisme que la vieille médecine

aurait dit atrabilaire. Ce serait mal voir la vraie question, qui est d'accepter d'aller

le plus loin possible dans l'analyse de ce qui résiste au plus profond de notre être

et de notre être social quand nous voulons arraisonner l'altérité. Il ne s'agit pas de

savoir si A. Blanc a raison ou tort ; ce serait un mauvais procès pour éviter encore

le débat nodal. Il ne s'agit pas de condamner l'analyse ou de l'interpréter comme

une accusation ; ce serait se montrer chagrin devant une interrogation humaine

ample et terrible. On n'évite pas davantage la question de la déficience que celle

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de la mort, sauf à vouloir se « divertir » selon le mot de Pascal, dont le nom est déjà venu sous ma plume. Il est vrai que nous tentons sans cesse de fuir. Pour une fois arrêtons-nous, acceptons la lucidité. C'est là que nous trouverons le courage de continuer à agir mais en évitant le voile de l'ignorance, en poursuivant un débat que l'ouvrage qui se propose aujourd'hui à notre lecture ne ferme pas.

Henri-Jacques Stiker.

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É

LISABETH a v i n g t ans. S a c o u p e a u b o l n ' a v a n t a g e p a s s o n v i s a g e e n c o r e p o u p i n . T r a i t s s o u v e n t tendus, elle rit p e u . Le m a t i n q u a n d elle p r e n d le travail, s o i g n e u s e , elle b o u t o n n e a v e c a t t e n t i o n s a b l o u s e b l a n c h e . D e s

chaussures peu fines contribuent à lui dessiner une silhouette dégingandée.

Quand elle se déplace, c'est d'une façon mécanique, tête baissée et le plus sou-

vent à grandes enjambées volontaires. Pendant la pause suivant le repas de midi,

les personnels de l'établissement où elle travaille l'ont un jour vue assise dans

une voiture à côté d'un homme assez âgé. Quand on lui en demanda la raison,

elle répondit que c 'était parce qu 'elle aimait bien les voitures. Concentrée, elle

effectue, de façon ralentie mais fiable, de petits travaux répétitifs de conditionne-

ment. Elle parle peu et pas toujours très distinctement, tant sa voix un peu grave

semble parfois malformée. Plusieurs fois assis au poste de travail jouxtant le sien,

effectuant les mêmes menus travaux qu 'elle, je m'arrêtais parfois pour prendre

des notes. Un jour elle s'approcha de moi, ne respectant pas une certaine distance

usuelle : elle debout, moi en train d'écrire, elle me touchait presque. « Qu'est-ce

que tu fais ? », me demanda-t-elle d'une voix forte et peu agréable à l'oreille. Me

regardant droit dans les yeux, elle ne cligna pas pendant tout l'échange. Du

mieux que je pus, j'expliquai mon travail d'enseignant : j'indiquai que j'étais ins-

tituteur pour des grands enfants et que je m'intéressais aux gens travaillant en

établissements protégés. Pendant que je parlais, immobile, elle ne bougea pas et

opina quelquefois de la tête. Notre échange dura peu, quoiqu'il commençât à me

mettre mal à l'aise, la proximité physique aidant. « Finalement tu t'intéresses à

nous ? », dit-elle. Je répondis par l'affirmative. D'un geste furtif et brusque mais

décidé, sans un mot et toujours me regardant fixement, elle posa alors sa main

droite ouverte sur la table de travail, paume dans ma direction. Cette invite muet-

te me toucha. Pourtant, malgré l'appel d'un regard angoissé criant aide (c'est

ainsi que je le lus) je sentais et savais que je ne devais pas y répondre : ne pas

respecter les limites aurait été une faute, pour elle et pour moi. Je ne sus quelle

attitude adopter. Au bout de quelques secondes, elle retira sa main, et, sans un

mot, nous reprîmes nos activités respectives.

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Introduction

A U LONG du XX siècle, différents organismes internationaux ont valorisé

l'insertion professionnelle des handicapés. Dans ses conventions et

recommandations, l'Organisation internationale du travail a préconisé la

réadaptation professionnelle et l'emploi des handicapés. L'Office mondial de la

santé a proposé des classifications des maladies et des handicaps. L'OCDE, par

des conférences et des publications, des associations spécialisées - Réhabilitation

internationale, Handicap international - agissent dans l'intérêt des handicapés. Les

institutions européennes sont elles aussi actives : si le Conseil de l'Europe et le

Parlement européen suivent l'évolution des législations des pays membres,

l'Union européenne développe des politiques de formation professionnelle et

d'accès à l'emploi et se dote de programmes d'actions spécifiques comme Hélios I

et II, ce dernier ayant débuté en 1993. À la suite des conflits mondiaux du XX

siècle, des organismes spécialisés ont accueilli les mutilés pour lesquels des solu-

tions adaptées s'avéraient nécessaires. Témoignage de l'action publique française,

l'Office national des mutilés et des réformés - le futur Office national des anciens

combattants - défend cette nouvelle catégorie d'ayants-droit. La réadaptation -

rééducation, appareillages, formation professionnelle - prend une dimension

essentielle si on la réfère aux besoins importants de main-d'œuvre. Robert Castel

rappelle que « le premier rapport en Europe sur les problèmes des handicapés, le

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rapport Tominsson, a été produit en 1943 dans une Angleterre que la guerre con- duisait à mobiliser toutes les formes de main-d'œuvre possibles ».

La r e c o n n a i s s a n c e du h a n d i c a p en F r a n c e

L'action collective concernant les personnes handicapées se caractérise par l'intervention de nombreuses administrations et organismes publics, para-publics et privés. En confiant de 1988 à 1993 à Michel Gillibert, lui-même handicapé, un secrétariat d'État chargé des handicapés et des accidentés de la vie, la France a innové. Élus locaux, aménageurs de la ville et du cadre bâti, responsables des transports se préoccupent d'améliorer l'accessibilité des lieux publics et privés.

Des opérations médiatiques telles que le Téléthon signalent les réussites manifes- tant l'intégration des handicapés. Si, pendant l'entre-deux-guerres, les premières associations défendant l'intérêt des handicapés se sont structurées autour de la prise en compte de publics spécifiques - tuberculeux, infirmes, mutilés... -, dans l'après-guerre sont nées des associations ayant la responsabilité de la déficience intellectuelle. Si les confédérations syndicales représentant les salariés n'ont pas toutes les mêmes appréciations, les thèmes de la prévention des handicaps, du développement de la formation initiale et professionnelle, de l'assouplissement des modalités d'aides aux employeurs, des changements à mettre en œuvre pour rationaliser leur gestion administrative... émergent parmi leurs propositions. Les employeurs souhaitent améliorer l'insertion des handicapés. Toutefois, avec les arguments objectifs des contraintes liées à la concurrence, à la faible qualification des handicapés, à l'évolution des techniques et à la liberté de recrutement, les pra- tiques sont différentes des positions officielles. Les employeurs sont attentifs à ce que la réglementation particulière concernant les handicapés n'entrave pas la bonne marche des entreprises. Si, unanimes, les partis politiques approuvent le principe de l'insertion professionnelle des handicapés, les modalités en sont dis- cutées. Comme elle n'est pas possible pour tous les handicapés, certains récla- ment la création de dispositifs adaptés. D'autres privilégient le droit au travail et la liberté de choix pour les travailleurs handicapés. Si d'autres encore critiquent le retrait des employeurs, certains soulignent les nécessaires adaptations à promou- voir pour que les handicapés trouvent des formules individualisées leur permettant de mieux s'insérer, sans pour autant perdre le bénéfice de la solidarité financière que la collectivité a instituée pour eux.

Définition du h a n d i c a p

Le terme de handicap est d'origine ancienne : au XVI siècle, il se rapporte à des

jeux de hasard pratiqués en Angleterre - on puisait dans un chapeau, H and in cap -,

puis, au XVIII siècle, à des courses de chevaux dont, selon l'appréciation de

1. Castel (Robert), La gestion des risques, Éditions de Minuit, 1981, p. 121-122.

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l'arbitre, les plus forts devaient supporter un poids plus important. L'appellation hippique franchira la Manche au début du XIX siècle et donnera des dérivés encore usités : « handicaper », « handicapeurs ». Le terme de handicap est utilisé pour les humains au début du XX siècle. En 1940, le dictionnaire de Paul Robert officialise l'expression de handicap physique, ensuite couramment utilisée et de façon édul- corée pour désigner des inadaptations.

Pour pallier ces difficultés, les hommes ont mis au point de multiples prothèses ou appareillages divers - des simples attelles utiles au guerrier blessé jusqu'aux appareils de régulation cardiaque - dont la fonction est de réduire les consé- quences de l'atteinte subie. L ' h o m m e handicapé se reconnaît à la prothèse : lunettes, plaque osseuse, e t c . Il n'y a plus de handicapés, mais des situations han- dicapantes que les différentes prothèses permettent de dépasser. À mesure que les situations se diversifient et sont maîtrisées par les techniques, le handicap cesse d'être un fait pour devenir un processus : J.-M. Biraben rappelle que, selon une classification du début du XX siècle, « sur les quatre-vingt-dix-neuf causes d'infir- mités alors avancées, à peine une vingtaine sont encore de nos jours considérées comme des handicaps durables ou définitifs » (cité in M.-T. Poupon, 1992). Le handicap n'est plus défini par le seul critère de la prothèse que l'homme interpose entre lui et le monde. En effet, le porteur de lunettes serait handicapé, au même titre que l'homme en fauteuil roulant ou atteint d'une maladie osseuse. Avec ses lunettes-prothèse, il serait handicapé au travail tandis que, mal-voyant mais sans elles, il ne le serait plus en famille, s'occupant de ses enfants.

Cette relativité du handicap trouve l'une de ses manifestations les plus abouties dans les travaux réalisés par Philip Wood pour l'Office mondial de la santé. Effec- tués à la fin des année soixante-dix, ces recherches ont débouché en 1980 sur la mise au point d'une nomenclature, la Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH), qui comprend quatre éléments permettant de définir l'apparition du handicap :

La situation traumatisante implique des niveaux séparés qui définissent les étapes impliquant le handicap. La déficience concerne les organes d'un individu :

« C'est une anomalie, une malformation, une insuffisance ou une perte d'un organe,

1. Sur ce thème, on peut se rapporter à l'ouvrage introductif de Louis Avan, Michel Fardeau et Henri-Jacques Stiker, L'homme réparé, Gallimard, 1988.

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d'un groupe d'organes ou d'une fonction spécifique de ceux-ci » (C. Hamonet, 1990, p. 33), exemple : la déficience de l'appareil oculaire temporaire ou perma- nent. L'incapacité résulte de la déficience : « Dans le domaine de la santé, une incapacité correspond à toute réduction [...], partielle ou totale, de la capacité d'accomplir une activité d'une façon, ou dans des limites considérées comme nor- males pour un être humain. » (Inserm, in C. Hamonet, 1990, p. 34.) L'incapacité, temporaire ou permanente, concerne l'individu et, par exemple, se manifeste dans la vie par des difficultés à se mouvoir, à communiquer... Le handicap se situe dans la société : « Dans le domaine de la santé, le handicap est un désavantage social pour un individu qui résulte de sa déficience ou de son incapacité et qui limite ou interdit l'accomplissement d'un rôle considéré comme normal compte tenu de l'âge, du sexe et des facteurs socioculturels. » (OMS, in C. Hamonet, 1990, p. 35.) Le handicap est défini comme le résultat d'une situation mettant en relation difficile l'individu et la société : le handicap est un obstacle. D'autres définitions, proposées par des médecins, accentuent la relativité du handicap : il

« n'est pas une constante mais une variable dépendant de situations sociales vécues par le sujet. » (P. Minaire et J.-L. Flores, cités in Hamonet, 1990, p. 44.) Mais à force de relativiser le handicap, son essence est dissoute dans l'interaction, parfois au détriment du handicapé, qui participe à la production de son propre handicap, par exemple en se plaçant lui-même dans des situations handicapantes.

Cette perte de substance de l'objectivité du handicap s'accompagne d'une édul- coration du sens donné aux atteintes : les aveugles sont des mal-voyants.

Dans sa déclaration universelle des droits des handicapés adoptée le 9 décembre 1975, l'Assemblée générale des Nations unies a défini le terme handicapé comme

« désignant toute personne dans l'incapacité d'assurer par elle-même tout ou par- tie des nécessités d'une vie individuelle et sociale normale, du fait d'une déficience, congénitale ou non, de ses capacités physiques et mentales ». François Bloch- Lainé élargit la notion de handicap puisqu'il l'identifie à celle d'inadaptation :

« Sont inadaptés à la société dont ils font partie : les enfants, les adolescents et les adultes qui, pour des raisons diverses, plus ou moins graves, éprouvent des diffi- cultés plus ou moins grandes, à être et à agir comme les autres. De ceux-là on dit qu'ils sont des handicapés parce qu'ils subissent, par suite de leur état physique, mental, caractériel ou de leur situation sociale, des troubles qui constituent pour eux des handicaps, c'est-à-dire des faiblesses, des servitudes particulières par rapport à la normale ; la normale étant définie comme la moyenne des capacités et des chances de la plupart des individus vivant dans la même société. » Cette définition

« a le mérite de souligner que l'inadaptation n'est pas seulement celle de l'individu dit inadapté mais peut-être aussi celle du milieu qui est inadapté aux p e r s o n n e s » De la prothèse à l'inadaptation, il y a loin. La difficulté à définir le handicap et sa relativisation impliquent l'augmentation du nombre des handicapés. En plus des 1. Dessertine (André), rapport introductif au colloque ADEP, Handicap et droit, CTNERHI,

1983, p. 15.

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toujours principaux critères médicaux, l'une des réponses fournies à cette situation a été donnée en France par la loi de 1975 qui crée une commission administrative, la Cotorep : suppléant la science, le droit élargit la définition du handicap et structure ses critères autour de la notion d'« honnête carence » (M. Messu, 1991, p. 16).

Georges Canguilhem (1988) considère qu'entre normal et pathologique il y a une différence de degré tant la vie souffrante reste toujours la vie. Les malades sont des personnes momentanément en situation d'anomalité qui résulte de mul- tiples facteurs, isolables pour certains, ignorés pour d'autres : la science doit les découvrir. Ce concept inscrit la différence dans un continuum où le malade et la personne handicapée ne sont pas posés comme des « en-soi » isolés : dans l'ano- malie, il y a une part d'extraordinaire, de hasard, donc de non-culpabilité indivi- duelle et collective. Cette définition laisse espérer que les liens entre ces diffé- rences objectives puissent mieux se construire. Globalisant les approches relati- vistes, Bernard Mottez note que le « handicap, à l'inverse de la déficience, est rigoureusement un produit de l'organisation sociale [...]. La normalité doit être définie au niveau des systèmes d'interaction et non pas au niveau des individus.

La surdité n'est pas en l'occurrence une anomalie, elle est un simple fait et une donnée dont il faut tenir compte. » (B. Mottez, 1981, p. 70 et 93.) La difficulté de la définition est plus évidente encore si le critère de la représentation est utilisé.

Les Français considèrent que le handicapé est la personne en fauteuil roulant.

Cette représentation est partielle, tant la population affectée par ce handicap est marginale parmi le nombre des handicapés. En outre, notre connaissance et notre perception du handicap sont aussi marquées par les aléas des maladies rencontrées ou des populations connues. Enfin, il existe des handicaps invisibles, que la rela- tion permet d ' a p p r o c h e r . Mais, à l ' i n v e r s e des sourds, dont, probablement, l'atteinte sera tôt ou tard perceptible par les entendants, certaines personnes souf- frant de maladies physiques ou mentales graves peuvent ne pas officialiser leur situation de handicapé. Face à la difficulté de définition du handicap et aux repré- sentations différentes qui l'accompagnent, à l'image de la pauvreté (S. Paugam, 1991, p. 15-45), le handicap peut être défini comme une prénotion.

Lors de rencontres et de discussions avec l'ensemble des acteurs impliqués dans l'insertion des handicapés, nous avons rencontré un permanent processus de nomination. S'il n'est pas stigmatisation, nos interlocuteurs insistaient sur la situa- tion des handicapés. Cette conscience de l'irrévocabilité de l'atteinte, cette sensa- tion de la distance qui les sépare de nous prennent la forme d'une verbalisation qui résume notre propos : les handicapés sont « ces gens-là ». Cet acte de nommer les autres est aussi une définition de soi. Ce processus, d'autres sociologues, étu- diant des populations particulières elles aussi, l'ont rencontré : Goffman bien sûr, les analystes des hôpitaux psychiatriques, mais aussi ceux ayant étudié la pauvreté et les cités de banlieue hébergeant Français et immigrés, intégrés et marginaux.

Cette mise à distance, fondatrice et/ou construite, se manifeste aussi quand des personnes écrivent à propos des handicapés et suggèrent la proximité, comme

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celle des parents vis-à-vis de leurs enfants. Dans la presse spécialisée des photos témoignent du travail de déficients intellectuels ou de malades mentaux : les légendes sont « Raymond au travail », « Suzanne à son poste »... S'agissant des handicapés, la valorisation du travail se double de sa minimisation : ici l'infantili- sation, alors que rien ne l'implique si ce n'est la représentation du handicap propre au journaliste et au lecteur. Pourquoi les handicapés ne seraient-ils pas nommés Mademoiselle, Madame ou Monsieur ?

P o p u l a t i o n e t c o û t

Les personnes à mobilité réduite peuvent être définies comme des handicapés, soit 20 % de la population. À vingt ans d'intervalle, René Lenoir et Michel Gillibert considèrent que 10 % de la population peuvent être considérés comme handicapés.

Ce volume correspond à celui qu'Aimé Labregère (1987, p. 17) nomme « le grand total », qui inclut les enfants recevant une éducation spéciale, les adultes bénéfi- ciaires des mesures d'aide, les personnes âgées devenues invalides. À l'intérieur de ce « grand total », les handicapés sévères seraient en France au nombre de 1 470 000. Une enquête de l'Insee datant de 1980 révèle que deux millions de per- sonnes de moins de soixante ans déclarent souffrir de difficultés pour accomplir les gestes de la vie quotidienne. L'enfance handicapée compterait à elle seule environ 400 000 personnes âgées de moins de vingt ans, soit environ 2,5 % du groupe d'âge. Les déficiences physiques, qui augmentent avec l'âge, sont également sour- ce d'inadaptation, et, à partir de trente-cinq/quarante ans, les handicaps d'origine pathologique tendent à prévaloir sur les autres types. Ce phénomène s'accentue avec le vieillissement. Du point de vue de l'insertion professionnelle, la population handicapée adulte serait de un million cent mille personnes : 400 000 inaptes au tra- vail, 200 000 chômeurs dont 120 000 inscrits à l'ANPE, 500 000 actifs exerçant en milieu ordinaire de travail. En 1992, dans les entreprises assujetties à la loi de 1987, il y avait 254 700 handicapés salariés. La moitié des actifs handicapés occupés exercent dans les entreprises de moins de vingt salariés. Quatre-vingt-dix mille travailleurs handicapés sont insérés en milieu de travail protégé.

Les analystes sont unanimes pour dire la difficulté à estimer le coût du handicap.

Quels critères adopter ? Doit-on utiliser les mesures de financement compensant des atteintes ou ajouter des mesures relevant de la prévention ? Selon les critères retenus, étroits ou larges, les budgets concernés ne seront pas du même ordre. En 1988, pour la prise en compte de l'invalidité, les pays constituant l'ancienne Com- munauté économique européenne dépensaient en moyenne 2,2 % de leur PIB. En France, en 1990, le budget social du handicap serait d'un peu plus de 2 % du PIB, soit 126,9 milliards de f r a n c s

1. Fardeau (Michelle), « Politiques sociales et handicap, approche économique de l'éva- luation : premières étapes », in Insertion sociale des personnes handicapées : méthodo- logies d'évaluation, sous la direction de Jean-François Ravaud et Michel Fardeau, CTNERHI/INSERM, p. 211.

(22)

Inclusion/exclusion : des discours aux pratiques

Les handicapés étant défavorisés, la collectivité solidaire met en œuvre des moyens spécifiques visant à les intégrer. Aborder les questions des travailleurs handicapés, c'est être confronté à ce double mécanisme de l'inclusion souhaitée, pratiquée, et de l'exclusion constatée, rédhibitoire. Les travailleurs handicapés sont soumis de façon permanente à une ambivalence, un paradoxe : s'il leur est demandé de participer à la vie du monde et à la course du temps - injonction que les handicapés s'approprient -, ils mesurent combien leurs chances sont faibles et combien l'écart qui les sépare des autres est quasi incompressible. Les handicapés sont tenus et se tiennent eux-mêmes à distance du monde normal. Ils se trouvent, peut-être se retrouvent et sans doute se perdent dans une relation d'exclusion.

Notre explication de cette ambivalence réside dans une cohérence collective suivant laquelle des acteurs construisent leurs stratégies et participent à la repro- duction générale des conditions dans lesquelles ils évoluent. Notre propos relie ces deux approches. Cette double conception - acteurs et système, négociations et régulation - constitue l'hypothèse centrale qui organise l'ensemble de ce texte.

Deux conceptions sont reliées : représentant l'objectivité de l'atteinte, le handicap est une donnée structurelle à partir de laquelle les acteurs s'organisent ; mais face à ce noyau dur, et peut-être insécable, les sociétés tendent à promouvoir des possi- bilités de le réduire sans toutefois y réussir pleinement. À titre d'exemple, com- ment, dans les termes, dépasser la constatation d'un commentateur qui résume ainsi la situation des handicapés : ils disposent d'une « employabilité naturelle limitée » (B. Rémond, 1991, p. 27). Cette conception, nature et culture mêlées, illustre l'ambivalence dans laquelle sont les handicapés, jamais totalement inclus, jamais définitivement exclus. Peut-il en aller autrement ? Exclusion et inclusion ne sont pas structurelles : c'est l'ambivalence de leurs relations qui l'est.

Se heurtant de façon permanente à des comportements générateurs d'exclusions, les handicapés rencontrent partout le discours collectif de l'inclusion nécessaire.

Les acteurs concernés par l'insertion des handicapés - du fonctionnaire spécialisé au praticien le plus modeste, du ministre de tutelle à l'employeur attentif, du direc- teur d'établissement au prospecteur placier -, tous, passionnés et avertis, disent la nécessité impérieuse de pratiquer l'inclusion dans le moment où elle montre ses limites : du reste, a-t-elle jamais existé ? Finalement, l'ambivalence dans laquelle sont les handicapés est reformulée selon une nouvelle modalité : le discours pro- clame l'inclusion quand les conditions générales de l'emploi la rendent difficile.

Soumis à ces permanentes injonctions paradoxales, les handicapés en tirent une

conclusion, qui n'est pas nécessairement désavantageuse pour eux mais qui n'est

guère favorable quant au désir d'inclusion que la collectivité manifeste à leur

égard. Si des preuves de cette volonté d'insertion sont tangibles, tout aussi patente

est l'impossibilité chronique d'assurer cette inclusion. Une société peut-elle exister

sans sécréter quasi mécaniquement et sans le souhaiter - voire en proclamant le

contraire -, des mécanismes d'exclusion issus de son propre mouvement de diffé-

(23)

renciation ? Enfin, ces mécanismes contribuant à définir ce qui serait une sorte de pathologie sociale chronique et fondatrice ne sont-ils pas collectivement néces- saires pour que le bon grain se démarque de l'ivraie afin de pouvoir se connaître lui-même ? L'un peut-il se connaître sans l'autre ?

La situation des handicapés est humainement tragique mais sociologiquement riche de sens parce que, exemple emblématique d'un processus d'exclusion, ils mesurent la difficulté de pouvoir s'inclure, ce qui n'est peut-être pas leur souhait.

Réalité, naturelle et sociale, du handicapé et volonté collective sont-elles conci- liables ? La réponse que ce travail construit est négative. En conséquence, l'ambi- valence qui caractérise la position des handicapés est la réponse collectivement construite face à cette impossibilité. En outre, le discours, dès lors utilement idéo- logique, visera à affirmer l'inclusion. Partant de la sociologie de l'action et des stratégies construites au nom de l'intérêt, nous inscrivons notre réflexion dans l'analyse systémique. L'État et la reproduction à long terme de la société pèsent dans la mise en cohérence des stratégies des acteurs. Nous constaterons donc des relations de négociations impliquant des régulations dont la conséquence sera la définition, le maintien et la perpétuation des handicapés dans une position ambiva- lente, comme à distance du monde. Les thèmes de l'invariance et du changement constituent le socle de notre réflexion.

Cet ouvrage présente les différentes phases et acteurs participant à la recon- naissance et à l'insertion professionnelle des handicapés appartenant à la popula- tion active. Par l'ensemble des acteurs qu'elle a mobilisés, des obligations qu'elle a définies et des devoirs qu'elle a imposés, la loi de 1975 matérialise l'insertion des handicapés au sein de la collectivité. Affirmant une obligation nationale d'inser- tion, ce texte rationalise et amplifie le milieu de travail protégé (chapitre 1). Par l'intermédiaire de l'étude quantitative des décisions d'orientation et de l'analyse sociologique (chapitre 2) de la Cotorep, rouage essentiel de la loi de 1975, nous indiquons les liens tissés entre les acteurs concernés : les pouvoirs publics ont créé la Cotorep, expert juridiquement fort mais dépourvu de moyens significatifs.

Faisant appel à la sociologie de l'administration, nous montrerons que cette insti- tution illustre la souplesse administrative, en particulier à propos de l'arrangement avec les partenaires. À la suite de la reconnaissance administrative, l'insertion professionnelle des handicapés s'effectue en milieu ordinaire de travail ou dans le secteur protégé. Pour la réaliser, le législateur, en 1987, a défini les contours de procédures nouvelles assurant aux handicapés des modalités plus sûres pour trouver un emploi. Jusque-là peu concernés, les employeurs se soumettent de mauvaise grâce à ce texte. Ils limitent ainsi le principe même de l'insertion professionnelle, auquel ils disent pourtant adhérer (chapitre 3).

L'autre possibilité d'insertion professionnelle proposée aux travailleurs handi-

capés est le secteur protégé. Si le nombre de ses établissements augmente, il évolue

lentement mais sûrement : il devient de plus en plus productif. Malgré tout, il

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constitue un subtil mélange de maintien de sa vocation sociale initiale et de l'addi- tion d'un changement modeste issu de l'emprise croissante que le marché exerce sur lui. Les travailleurs handicapés sont les victimes de cet effort d'adaptation encouragé par les tutelles mais qui ne reçoit pas l'assentiment des entreprises, avec lesquelles ils travaillent de plus en plus (chapitre 4). Les centres d'aide par le travail sont concernés au premier chef par cette évolution. Leur personnel de pro- duction - dont certains propos sont cités - est placé dans la délicate position de faire intégrer aux travailleurs handicapés des comportements de bons ouvriers. Or ces personnels considèrent aussi qu'ils ont des missions éducatives à remplir puisqu'ils exercent dans des établissements à caractère social. Oscillant entre ces comporte- ments, les travailleurs handicapés balancent entre des itinéraires de producteurs et le souci de se préserver en continuant de s'intégrer au sein des CAT qui, à ce jour, ne sont pas encore totalement saisis par la production (chapitre 5). À l'image d'autres pays européens, la France s'est dotée, en 1987, d'un organisme associatif, l'Association nationale de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés. Financée par les entreprises, disposant de moyens conséquents, arri- vée à maturité, cette association occupe une place prépondérante. Au moment où la crise de l'emploi est avérée, les handicapés sont sommés de se mettre au travail alors qu'ils sont peu qualifiés. Nouvel et non ultime avatar de cette ambivalence, les travailleurs handicapés sont invités à faire leurs preuves (chapitre 6 )

1. Cet ouvrage fait suite à une thèse de sociologie dirigée par Denis Segrestin et présentée en juin 1993 à l'université Pierre-Mendès-France de Grenoble. Il bénéficie des remarques faites lors de la soutenance par les membres du jury, que l'auteur remercie.

Les données quantitatives présentées dans le texte proviennent, sauf mention contraire explicite, des documents officiels des administrations du travail et de l'emploi ou des affaires sanitaires et sociales. Ce travail concerne l'insertion professionnelle des handi- capés et porte sur l'ensemble de cette population exerçant en milieu ordinaire - entre- prises - ou en milieu protégé - centre d'aide par le travail et atelier protégé -, quel que soit le type de handicap. Toutefois, les types de handicaps rencontrés, et pour autant qu'ils soient définis de façon univoque, sont les handicaps physiques, quand il s'agit d'insertion en milieu ordinaire, et la déficience intellectuelle quand il s'agit du milieu protégé. Les travailleurs handicapés par la maladie mentale sont aussi évoqués. Les don- nées présentées et les faits rapportés sont issus de trois enquêtes quantitatives, études de terrain et observations réalisées par l'auteur de 1990 à 1994 (Blanc (Alain), Les tra- vailleurs handicapés et l'emploi ; analyse des circuits d'accès au milieu ordinaire de travail, Grefoss-Institut d'études politiques, Grenoble, 1990, 113 p. ; Les conditions de l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés par la maladie mentale, rapport à l'Association Prisme, Lyon-Caluire, 1994, 112 pages ; Blanc (Alain), Warin (Philip- pe), Le point de vue des travailleurs handicapés sur leur insertion professionnelle, Insti- tut d'études politiques, Grenoble, 1991, 128 p.). Le texte présente l'itinéraire de douze travailleurs handicapés - deux par chapitre - souffrant de déficiences et atteintes diverses ; rédigés en 1991, il prend fin à cette date.

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(26)

1

La loi d'orientation du 30 juin 1975 Les conséquences

d'un humanisme intégrateur

L

A GUERRE de 1939-1945 connaît son cortège de victimes que la collectivité

nationale doit intégrer. En supplément des dispositions relatives aux dé-

portés, l'État de la reconstruction prend des mesures concernant la réadap-

tation, la formation et le reclassement des personnes souffrant d'atteintes particu-

lières - aveugles, tuberculeux - ou victimes d'accidents du travail. La loi Cordonier

du 2 août 1949 étend l'aide à la réinsertion à tous les grands infirmes, pour qui

elle prévoit l'attribution d'une pension et l'accession à une formation profession-

nelle. Modifiant la loi du 25 avril 1924, le décret du 20 mai 1955 étend aux dimi-

nués physiques, reconnus comme tels par les commissions d'orientation des

infirmes, le bénéfice des dispositions assurant l'emploi obligatoire des mutilés de

guerre. Enfin, la loi du 23 novembre 1957 sur le reclassement des travailleurs han-

dicapés est une étape importante dans l'élaboration des politiques publiques en

faveur de ces personnes. En effet, texte de référence jusqu'à la loi d'orientation de

1975, elle reste fondamentale en ce qui concerne le travail, puisque des éléments de

ce texte sont encore en vigueur aujourd'hui. La loi de 1957 s'adresse à « toute per-

sonne dont les possibilités d'acquérir ou de conserver un emploi sont effectivement

réduites par suite d'insuffisance ou d'une diminution de ses capacités physiques

ou mentales » (cité in M.-L. Cros-Courtial, 1979, p. 18), c'est-à-dire à l'ensemble

des personnes handicapées.

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À l'époque où la France des Trente Glorieuses a besoin de main-d'œuvre, cette loi adopte la notion de handicap relatif à l'emploi. La loi de 1957 confirme l'exis- tence d'une Commission départementale d'orientation des infirmes (CDOI) qui remplace la Commission d'orientation des infirmes. Les CDOI reconnaissent ou non à la personne la qualité de travailleur handicapé, donnent un avis sur son orientation professionnelle et se prononcent sur l'opportunité des mesures de reclassement professionnel. Concernant ce dernier type de mesure, la loi assortit ces orientations de la prise en charge des frais de séjour et de la rémunération des personnes par l'État ou des organismes de Sécurité sociale. Mais surtout, elle ins- taure la reconnaissance officielle des handicaps ne résultant pas d'un accident du travail, d'une maladie ou de la guerre. Le handicap résulte d'une reconnaissance administrative notifiée par les CDOI. Aux personnes ainsi reconnues par notifica- tion administrative, s'ouvre un droit à l'emploi : les travailleurs handicapés sor- tent du droit commun. En effet, la loi stipule que les employeurs devront intégrer dans leur effectif 3 % de handicapés reconnus par les CDOI. Cet effectif doit faire partie des 10 % de travailleurs - quota réglementé par les lois de l'après-première guerre mondiale - devant être obligatoirement embauchés : mutilés de guerre, accidentés du travail, infirmes. Pour les travailleurs handicapés reconnus par la CDOI, la loi prévoit une possibilité supplémentaire d'accession à l'emploi : l'insertion au sein du secteur de travail protégé. Ce dernier est constitué par les centres d'aide par le travail, par les ateliers protégés et les centres de distribution de travail à domicile. Bien qu'elle ait été complétée par des dispositions régle- mentaires, novatrices sur certains points, cette loi de 1957, qui pose les principes et définit les modalités de reclassement professionnel des handicapés, sera impar- faitement appliquée. L'abondance des dispositions prises rend nécessaire l'adoption de la loi du 27 décembre 1960 qui harmonise les textes précédents.

La présentation de l'effort de la nation en matière de prise en charge des tra- vailleurs handicapés serait incomplète si les réalisations de la Sécurité sociale n'étaient pas mentionnées. Pour les associations de handicapés, cet organisme a longtemps été l'interlocuteur national ayant vocation et capacité financière à assu- mer les problèmes qu'elles rencontraient. Sanctionnant une évolution perceptible depuis l'après-guerre, le décret du 9 mai 1956 marque l'officialisation de la colla- boration des associations et de la Sécurité sociale visant à construire une politique en faveur des handicapés. Dans ce dialogue, la Sécurité sociale a joué le rôle de représentant de la collectivité nationale, au moment où les pouvoirs publics étaient en retrait. Ces textes juridiques successifs et ces acteurs dispersés témo- ignent d'une conception réelle, mais morcelée et ponctuelle,' de l'action collective.

Cette vision globale de l'intervention publique en matière de prise en compte des handicapés se réalisera plus précisément dans les lois votées le 30 juin 1975, notamment la loi d'orientation de 1975 en faveur des personnes handicapées.

Avant d'exposer cette dernière, il convient de présenter les acteurs qui en ont été

les initiateurs.

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LES INITIATEURS DE LA LOI : UN CONSENSUS GÉNÉRAL

La loi du 30 juin 1975 marque un tournant important dans la prise en charge des personnes handicapées. Elle résulte de multiples approches préalables, diffé- rentes mais consensuelles. De ce point de vue, les liens tissés lors du VII Plan entre la Direction de l'action sociale du ministère de la Santé et les instances du Commissariat général au plan sont exemplaires et ont débouché sur la mise en œuvre d'une action sociale globale.

L e r a p p o r t B l o c h - L a i n é : l ' a f f i r m a t i o n d e l ' e f f o r t c o l l e c t i f À bien des égards le rapport Bloch-Lainé fut le détonateur de la prise de conscience nationale du problème posé par les handicapés. Cette étude fut deman- dée par Georges Pompidou, Premier ministre, qui, vingt ans durant, fut trésorier de la fondation Anne-de-Gaulle. Réalisé parallèlement aux travaux de l'inter- groupe « Enfance inadaptée » du V Plan, le rapport, présenté en 1967, est désigné par le nom de son auteur, François Bloch-Lainé. Des membres de la Commission handicapés-inadaptés du V I Plan furent consultés par le rapporteur. À l'heure où le Plan s'interroge sur l'avenir des populations défavorisées, ce rapport va avoir beaucoup d'échos car il officialise les interrogations des spécialistes. Il présente la foule grandissante des handicapés en tous genres, devenus, par extension, des inadaptés. Au-delà de son contenu, le document est bien reçu, car son auteur, par sa personnalité humaniste et son itinéraire de fonctionnaire réputé, incarne la volonté de l'État. Par le rapporteur, l'État gaulliste modernisateur rencontre la société civile. La loi de 1975 est, pour partie, issue du rapport Bloch-Lainé, qui est

« une analyse exhaustive de l'ensemble des problèmes posés par le handicap à la société » Ce rapport instaure une relation nouvelle et négociée entre les associa- tions représentant les handicapés et l'État. Autonomes jusque-là mais nécessitant plus de moyens au nom des besoins à satisfaire, les associations ont rencontré l'État. À la faveur de ces discussions, ce dernier a pu construire sa tutelle et homogénéiser un secteur qui prenait de l'importance.

L a p h i l o s o p h i e du r a p p o r t

L'argument du nombre est le premier élément qui caractérise la philosophie du rapport. Si dans les sociétés occidentales les handicapés existent, les inadaptés

1. Lévy (Michel), « La politique sociale française et les personnes handicapées, acquis et

perspectives (à propos du projet de loi d'orientation pour les personnes handicapées).

Analyse et prévision », Futuribles, juillet août, n° 12, 1974, p. 245.

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sont bien plus nombreux et leur nombre croît. Il y a urgence à traiter leurs diffi- cultés et, pour répondre à leurs attentes, il convient d'avoir « un surcroît de zèle » (F. Bloch-Lainé, 1969, p. IV). D'emblée l'auteur valorise l'insertion en milieu ordinaire, chaque fois qu'elle est possible.

Pour définir sa philosophie générale et comme pour se situer dans une tradi- tion, le rapporteur se place sous les auspices d'un droit restitutif : ce concept fait référence à l'œuvre de Durkheim, l'un de ceux qui, sous la I I I République, ont pensé la notion de solidarité comme l'un des termes clés participant ensuite à la constitution de la notion d'État-providence. Selon cette conception, la collectivité, par principe, a des devoirs à l'égard de certains de ses membres. Face aux criti- ques émanant des handicapés eux-mêmes et de leurs représentants, les pouvoirs publics doivent établir une politique cohérente. Pour cela, le préalable est « d'ad- mettre "l'indivision" de la culpabilité et la gérer comme telle. La reproduction de l'espèce humaine fait courir aux collectivités des risques qui ne sont pas appro- priables et qu'il n'est pas juste de laisser peser, dans l'ignorance, sur les familles. » (Id., ibid. p. 16.) La collectivité doit contribuer à réparer des dommages dont elle est responsable - les accidents du travail - mais aussi ceux liés aux difficultés de la reproduction de l'espèce - les déficients intellectuels - ou à la maladie. Elle propose donc un certain nombre de droits légitimes : l'accès à l'instruction, aux soins, au travail, au logement... Mais, comme l'a montré François Ewald à propos de la maîtrise du risque, la collectivité s'est jusqu'à présent dédouanée, laissant jouer le mécanisme privé de l'assurance lui évitant de se reconnaître comme débi- trice. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, cette approche du problème caractérise la relation que les pouvoirs publics ont nouée avec le monde du handi- cap : une relation faite d'esquive et de bonne conscience. Il convient de modifier cet état de fait. Les pouvoirs publics doivent se charger de cette mission d'intérêt collectif, s'imposer des droits nouveaux et faire admettre aux populations concer- nées qu'en retour la collectivité attend d'elles des devoirs nouveaux : « Tout se passe donc comme si dans le nouveau contrat social les individus ou leurs répon- dants acceptaient qu'on leur dise : "Puisque vous n'êtes plus seuls responsables des conséquences de vos actes, vous ne pouvez plus faire n'importe quoi." La col- lectivité qui "supporte" (au sens le plus complet) est en droit de contraindre, d'empêcher ou de forcer. » (Id. ibid., p. 19.) Nous soulignons les interrogations suivantes qui complètent une telle formulation : y a-t-il volonté commune, et éga- lement partagée par les deux contractants, de passer ce nouveau contrat ? Ou bien doit-on considérer qu'il a été imposé par l'un des deux ? Si oui, l'idée d'égalité existant dans le contrat disparaît et, avec elle, la notion même de contrat. Sur le thème des droits et devoirs, on retrouve les arguments répétés par les membres du Comité de mendicité lors de la révolution de 1789.

La puissance publique se trouve légitimée dans son intervention, puisqu'elle seule relie les droits que la collectivité assume pour tous ses membres et les devoirs qu'ils ont vis-à-vis d'elle. Et le rapporteur de conclure qu'ayant la charge

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du placement èt de la formation des handicapés, le service public peut imposer sa décision aux acteurs concernés, les employeurs notamment. La collectivité accep- tant le principe de la gestion des inadaptations, les décisions qui s'ensuivront pourront avoir un caractère contraignant. Pour partie, la loi de 1975 traduira dans le droit cette réflexion éthique : ce sera la Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (Cotorep).

L e s m o y e n s p r o p o s é s

Quoique ses formulations soient parfois nuancées, le rapporteur privilégie l'intégration. Ses positions sont fondées par le principe de réciprocité des droits et devoirs qu'handicapés et collectivité doivent construire. Pour lui, et sous certaines conditions, l'utilisation de la main-d'œuvre infirme est acceptable car l'intégration des handicapés peut s'effectuer grâce au travail. Mais il convient qu'existe un choix et que celui-ci « ne soit pas forcé, imposé par des contingences matérielles, que les spécialistes puissent adopter, pour chaque sujet et en toute circonstance, le moyen qui leur paraît le plus adéquat, non celui qui résulte de l'absence de choix » (ibid., p. 27). L'insertion des handicapés ne doit pas être définie en fonction des capacités offertes par le milieu. Le rapport Bloch-Lainé a une vision médicale, professionnelle et sociale des solutions à mettre en œuvre pour maîtriser les pro- blèmes de handicap. Ainsi met-il l'accent sur un ensemble de propositions, notam- ment le dépistage, l'orientation, le traitement médical, l'éducation en milieu protégé pour les mineurs et, pour les adultes, l'hébergement et l'insertion professionnelle.

Aux yeux du rapporteur, les mesures relatives à l'hébergement doivent enrayer une ségrégation désormais bannie. Si la cohabitation de différents types de handi- caps en un même lieu n'est pas souhaitable, il convient néanmoins de se méfier des établissements dont la population serait trop homogène. Trop fermés sur eux- mêmes, ils pourraient aller à l'encontre des objectifs d'ouverture recommandés.

Si la loi du 23 novembre 1957 reconnaît aux handicapés un droit à l'emploi, les mesures destinées à rendre ce droit effectif ont tardé. Pour le rapporteur, l'inser- tion professionnelle des handicapés peut s'organiser selon deux modalités : le tra- vail dans les entreprises et au sein d'ateliers protégés. Il entérine donc une altérité.

S'il rappelle la loi du 23 novembre 1957 et celle, votée en 1960, qui confirme la précédente, il précise que le quota de 10 % de travailleurs handicapés que les entreprises devaient embaucher n ' a jamais été respecté. Il s'interroge donc sur la validité d ' i m p o s e r aux employeurs une taxe de solidarité similaire à la taxe d'apprentissage : « Le coût de la mise au travail doit-il ou non être supporté par les utilisateurs de main-d'œuvre, plutôt que par l'ensemble des contribuables ? » (Ibid., p. 48.) Vingt ans plus tard, la loi du 10 juillet 1987 signifiera que l'État souhaite faire participer les employeurs à une plus grande partie du coût de l'insertion professionnelle des handicapés. En outre, et dans la mesure où les

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entreprises soumises à la législation signeraient des contrats de sous-traitance avec les établissements du secteur protégé, le rapport propose des exonérations possibles de cette taxe. Enfin, novateur aussi en ce point, il mentionne les incitations financières dont pourraient bénéficier les entreprises embauchant des travailleurs handicapés ; par exemple une prime à l'équipement - adaptation de poste par exemple - versée à l'employeur. Le rapport anticipe sur les modalités de mise en œuvre d'une politique de l'emploi qui sera actualisée vingt ans après par le dispo- sitif ressortissant de la loi de 1987.

Si l'emploi en milieu de travail protégé est une des options proposées aux tra- vailleurs handicapés, le rapporteur voit peu de différence entre centre d'aide par le travail et atelier protégé. Certes, ces deux types d'établissements sont nécessaires et il convient d ' e n augmenter le nombre pour couvrir le besoin d'emploi des adultes handicapés. Malgré leur caractère d'établissements adaptés, le rapport met l'accent sur le fait que, dans l'intérêt des handicapés, le travail productif doit y être développé. Cette mise au travail des handicapés et les gains que l'établisse- ment peut en espérer se justifient : ce choix traduit les principes de solidarité réci- proque entre handicapés et collectivité. Par leur travail, les personnes handicapées insérées en milieu de travail protégé participent à l'effort que la collectivité consent à leur égard.

En milieu ordinaire ou protégé, l'insertion professionnelle des travailleurs han- dicapés ne sera possible que s'il existe en amont une liaison, nouvelle et organisée, entre l'orientation, la rééducation et le placement : il convient d'assurer la « conti- nuité dans la protection » (ibid., p. 45). Depuis 1945, c'est l'État qui, théorique- ment, dispose du monopole du placement des travailleurs. Mais le rapporteur constate que de multiples acteurs chargés des handicapés ont fort opportunément créé leurs propres filières de placement. Palliant les manques de l'État, ces cir- cuits spécifiques ont proposé des solutions aux personnes handicapées. À leur égard, l'État a donc une dette d'équité. François Bloch-Lainé estime que l'ANPE, fondée l'année de la parution du rapport, doit s'emparer du problème du place- ment des handicapés. Pour ce faire, elle doit se doter de moyens propres à assurer leur insertion professionnelle. Dans le but de mettre au point une « unité de conduite » (ibid., p. 46) nécessaire au placement, le rapporteur indique que les tra- vailleurs handicapés devraient trouver une « tutelle personnalisée » (ibid., p. 36) au lieu de la multitude d'interlocuteurs qu'ils rencontrent et dont le nombre fait l'inefficacité. Cette idée de référent s'est concrétisée dans les dispositifs départe- mentaux mis en place ces dernières années. L'inventaire des dispositifs existants autorise le rapporteur à constater que l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés s'est davantage réalisée au sein d'établissements de travail protégé que dans le milieu ordinaire de travail. En termes diplomatiques, le rapporteur signale que l'ouverture de ces établissements vers le milieu de travail ordinaire est moins développée qu'il ne conviendrait. Cette alerte prémonitoire aura cependant peu d'effets.

(32)

La coordination administrative

Après avoir rappelé la dispersion de l'action administrative, puis constaté les résultats de l'action publique - qui a eu le tort de rester en deçà de ses missions -, le rapporteur propose de réorienter l'action vers de nouveaux objectifs. Ils s'ins- crivent dans le respect des orientations existantes : ne croyant pas aux solutions miracles, il se veut pragmatique. Cette position de raison tient compte des mul- tiples initiatives qui se sont développées grâce à l'action d'associations dont il ne faut pas brider les élans constructifs. Au moment où se pose le problème de la réorientation de ses actions, la tutelle définit sa mission selon les champs qui la préforment.

Que faire dans le moment historique où la puissance publique doit être restaurée tout en tenant compte de la forte présence d'un secteur qui s'est développé pres- que sans elle ? La réponse proposée par le rapporteur découle du constat du manque de cohérence des réalisations existantes et de l'absence d'une tutelle solide et uni- fiée. Si l'État joue le rôle de financeur - lui ou les instances de solidarité qu'il a contribué à mettre en place, la Sécurité sociale notamment - il n'a pourtant pas les droits du propriétaire. Remédier à cet état de chose impose préalablement de redé- finir les tâches : « Le remembrement des tâches [...] conduirait les pouvoirs publics à concentrer leurs efforts sur la planification, la coordination et le contrôle [...]. Pour les prestations de services [...] l'État ferait faire le plus possible, au lieu de trop faire lui-même ou de trop laisser faire, comme il y a actuellement tendance, suivant les départements. » (Ibid., p. 33.) Devant la diversité des situations, l'État, pragmatique, se place au-dessus du secteur et définit les règles du jeu. Face et avec les acteurs, FÉtat, en arbitre, va promouvoir le cas échéant, mais surtout coordonner et contrôler : c'est le célèbre « faire-faire », cet habile compromis d'inspiration social-démocrate qui se substitue au faire, trop interventionniste, et au laisser- faire, impossible à concevoir au moment où l'État s'impose à un secteur déjà constitué.

Prenant en considération le grand nombre d'actions de terrain - cela va de pair

avec la coordination -, le rapporteur propose de remplacer le contrôle administra-

tif a priori par un contrôle a posteriori facilitant les innovations et garantissant le

respect des procédures adoptées par conventions avec la tutelle. Les objectifs por-

teront sur l'unification des procédures préalablement approuvées par les parte-

naires. Le rapport définit une philosophie de l'action qui tient compte de l'existant :

l'outil influe sur le cadre de décision qui le légitime en retour. Cette constatation

entraîne deux remarques. D'une part, le rapporteur fait l'éloge de la sectorisation

administrative, dont il précise qu'elle « est le principal moyen d'unification des

services de prévention, dépistage, orientation » (ibid., p. 64). En outre, pour les

diverses catégories professionnelles concernées, elle autorise de plus amples pos-

sibilités de carrière professionnelle au sein d'un secteur homogène. Le rapporteur

se demande si cette conception verticale de l'intervention doit être systématisée et

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