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Organes : préndre le risque de prelever sans y être explicitement autorise ?

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REVUE MÉDICALE SUISSE

WWW.REVMED.CH 24 février 2016

418

point de vue

Organes : prendre le risque de prélever sans y être explicitement autOrisé ?

Réparer les vivants, certes, mais à quel prix ? Prélever des organes sur des morts, certes, mais dans quel cadre ? La France est ici à un nouveau tournant dans sa pra­

tique ; et les discussions en cours dans l’Hexagone témoignent de l’évolution d’une équation empruntant à parts égales à la médecine et à l’éthique.

Résumons l’affaire. L’Agence française de biomédecine vient de publier les der­

niers chiffres reflétant ce qu’il en est de l’évolution de la pratique des greffes d’or­

ganes. Leur nombre a augmenté de 7 % en 2015 par rapport à 2014. Soit 5746 greffes réalisées, dont 60 % de greffes rénales. Cette bonne nouvelle se double d’une mauvaise : le nombre de personnes en attente d’or­

ganes ne cesse d’augmenter. Il a presque doublé en dix ans et dépasse aujourd’hui les 21 000 personnes – c’est là une consé­

quence directe du vieillissement de la popu­

lation et de la démocratisation de la trans­

plantation, activité intégralement prise en charge par la collectivité nationale.

Lutter efficacement contre la pénurie de greffons ? Réduire, autant que faire se peut, la file d’attente ? Le législateur fran­

çais s’y est récemment employé ; en cher­

chant à « renforcer le caractère présumé du consentement au don ». A dire vrai, ce consentement présumé était depuis long­

temps acquis mais n’était, en pratique, jamai s strictement utilisé. Il y avait, le mo­

ment venu, la consultation du registre na­

tional informatisé recensant toutes celles et ceux (environ cent mille personnes) qui, de leur vivant, avaient manifesté leur oppo­

sition. Il y avait ensuite, en cas d’absence du donneur présumé sur le registre, la con­

sultation de ses proches – une consultation visant à obtenir un consentement de fait.

Or l’expérience montre que l’équipe médicale souhaitant prélever essuie un refus envi­

ron une fois sur trois.

C’est à ce niveau que le lé­

gislateur a choisi d’intervenir – dans le cadre d’une loi dite

« de modernisation du système de santé » qui vient d’être pro­

mulguée. Cette nouvelle loi dispose que « le médecin in­

forme les proches du défunt, préalablement au prélèvement envisagé, de sa nature et de sa

finalité, conformément aux bon nes pra­

tiques arrêtées par le ministre chargé de la Santé sur proposition de l’Agence de la bio­

médecine. » Elle ajoute : « ce prélèvement peut être pratiqué sur une personne ma­

jeure dès lors qu’elle n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélève­

ment, principalement par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Ce refus est révocable à tout mo­

ment. » Ces dispositions entreront en vi­

gueur au plus tard le 1er janvier 2017.

Supprimé par le Sénat (de droite), ce texte avait finalement été rétabli par les députés (de gauche). « Aujourd’hui, dans notre pays, plus de 20 000 personnes sont en attente d’une greffe, avaient résumé les partisans du projet. Depuis 1994, ce nom bre a plus que triplé. Dans le même temps, le besoin en greffons ne cesse de croître et le niveau de l’ac­

tivité, bien qu’important, ne suffit pas à le couvrir. En 2012, alors que 1286 per­

sonnes étaient ajoutées sur une liste d’attente, seules 78 greffes supplémen taires, par rapport à l’année précédente, ont pu être réalisées. Plus grave encore, cha que année, ce sont des centaines de per­

sonnes qui décèdent faute de greffe. »

Le texte promulgué prévoit donc de

« renforcer le principe du consentement présumé au don ». En dépit de sa portée éthique et de ses conséquences pratiques, cet amendement n’avait, lors du débat parlementaire, guère soulevé l’attention des médias généralistes. Actuellement en cours, la rédaction du décret d’application ne mobilise pas plus l’opinion.

« Cette rédaction fait actuelle­

ment l’objet de réunions de concertation réunissant asso­

ciations de patients, profession­

nels de santé, représentants des religions… la dernière de­

vant se tenir le 24 mars. Les discussions y sont vives » con­

fiait, il y a quelques jours, Le Monde. L’auguste quotidien res tait toutefois muet quant à l’objet précis et au degré exact de cette vivacité.

« Une part importante de la popula­

tion n’a même jamais réfléchi au don de ses organes et ne souhaite pas se position­

ner sur cette question, qui confronte à la mort », observe­t­on auprès de l’associa­

tion Renaloo 1 qui regroupe des personnes directement concernées par la dialyse et la transplantation rénale. Ses membres re­

doutent que ce texte de loi n’ait l’effet in­

verse de celui escompté et ne provoque un recul du don. L’association « exprime ses réserves, liées à la difficulté pour les équi­

pes à passer outre un refus de la famille ou des proches, le possible traumatisme pour des familles / proches se sentant écartés et surtout à un risque d’emballement média­

tique qui pourrait finalement faire baisser les dons ». Elle dit aussi souhaiter « que les modalités d’expression du refus restent compatibles avec l’application “souple” du consentement présumé et permettent le témoignage par les proches d’un refus ex­

primé de son vivant. »

Pour autant, cette association est op­

posée à ce que l’on passe de l’actuel « re­

gistre national des “ non ” » à un « registre des “ oui ” ». « La création d’un tel registre, régulièrement évoquée, serait une dérive et un glissement dangereux vers le consen­

tement explicite, fait valoir cette associa­

tion. Les professionnels du prélèvement, médecins et infirmières, ont fait connaître, dès l’adoption de l’amendement initial, leur grande réticence à réaliser un prélèvement lorsque la famille s’y oppose. Au plan éthi­

Jean-Yves nau jeanyves.nau@gmail.com

les profession- nels du prélè-

vement ont fait connaître

leur grande réticence à réaliser un prélèvement

lorsque la famille s’Y

oppose

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ActuAlité

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que, une telle perspective est incompa­

tible avec les principes qui régissent les re­

lations avec des patients et leurs familles.

Les professionnels redoutent en outre des réactions très violentes de la part des pro­

ches. Leur expérience “ du terrain ” doit être entendue et prise en compte. Les relations avec les proches d’une personne qui dé­

cède dans des conditions inattendues et souvent dramatiques sont toujours diffi­

ciles et douloureuses. »

Comment, d’autre part, ne pas tenir compte des poursuites en justice que pour­

raient engager des proches qui se seraient sentis agressés, au motif de « prélèvements abusifs » ou de « défaut de soins en vue d’un prélèvement abusif » ? Comment des

« représentants des patients » ne seraient­

ils pas préoccupés par les risques induits par une application « dure » du consente­

ment présumé, limitant les possibilités d’ex pression du refus à l’inscription sur un registre informatisé ne donnant aucune place au témoignage de l’opposition re­

cueilli auprès des proches du défunt ?

« Le risque est ici que la mise en œuvre de la loi soit considérée comme liberticide, interprétée comme le signe d’une évolu­

tion vers une médecine utilitariste ou to­

talitaire, transformant le don d’organes en une nationalisation des corps par l’Etat, conclut l’association Renaloo. Le prélève­

ment serait alors assimilé à une extorsion autoritaire des organes. C’est bien la con­

fiance de la population vis­à­vis du don d’or ganes qui est en jeu. Or, elle est au­

jourd’hui forte, y compris vis­à­vis du con­

sentement présumé. Cette confiance est le résultat de plusieurs décennies d’efforts.

La position de la France en matière de pré­

lèvement d’organes est loin d’être honteuse vis­à­vis des autres pays, même si cela n’est pas suffisant. Prendre le risque de compro­

mettre ces acquis nous semble très dange­

reux, en particulier pour les patients en attente de greffe. »

Nous ajouterons, pour notre part, les risques majeurs inhérents à la médiatisa­

tion des plaintes d’une famille qui aura estimé – à tort ou à raison – avoir été mal­

traitée et, métaphoriquement, spoliée. Un risque d’autant plus grand que l’Agence française de biomédecine entrouvre depuis peu la porte à de nouvelles expériences de prélèvements après arrêt cardiaque et / ou après échec des thérapeutiques préalable­

ment mises en œuvre – des expériences qui se rapprochent des frontières de l’éthique et du consentement éclairé. Réparer les vivants, certes, mais jusqu’à quel prix ?

1 www.renaloo.com/

penser les limites

Mes voyages fréquents m’em- pêchent de voir de manière suffisamment rapprochée mes patients. Alors je leur offre la possibilité de me contacter par e-mail, même si je connais ma radicale diffi- culté à répondre, encore que de manière concise. D’ordi- naire, cette opportunité est appréciée et cela non seule- ment me rassure, mais dimi- nue un peu mon sentiment de culpabilité face au manque de régularité. Et je vais conti- nuer de la proposer, même si une expérience toute récente m’a bien interpellé.

Sur invitation pressante d’un collègue je reçois un homme dans la cinquantaine, brillant, qui a une formation de tech- nicien en chimie.

Pour se donner une chance professionnelle à la hauteur de ses compétences, il décide, il y a quatre ans, d’entre- prendre des études universi- taires tout en gardant une vie de travail à 100 % dans son entreprise : il doit subvenir aux besoins de sa famille.

C’est un travailleur acharné et méticuleux. La précision obsessionnelle est une qualité obligatoire chez les chi mistes.

En sacrifiant presque tout – avec le soutien de sa femme et au prix d’une regrettable inattention à l’égard de ses deux enfants – il arrive au terme de son cursus et pré- pare sa thèse de diplôme.

C’est là que la crise survient : c’est son corps qui lâche sous

la forme curieuse et inatten- due de l’hypocondrie. Il a mal : ses douleurs sont migrantes et inconstantes, ses yeux voient double, il transpire quand il fait froid et grelotte dans une chambre bien chauffée. Et puis il ne dort plus. Des idées suicidaires lui traversent répétitivement l’esprit. Il se traite avec des médicaments homéopa- thiques – sans grand succès – de peur de dépendre de molécules allopathiques poten tiellement dangereuses.

Son anxiété est visiblement envahissante.

Naturellement, rédiger une thèse le confronte à l’obliga- tion de créer activement, et pas seulement d’apprendre passivement des formules.

C’est la liberté et le défi nar- cissique qui l’affolent. Son corps a réagi si fortement qu’il s’est résolu à demander à la faculté – et il l’a obtenu – un moratoire pour sa thèse.

Mais le mal s’est ancré dans son existence et il ne va de loin pas mieux.

Avec les soignants, il déploie la même ardeur insistante dont il avait fait preuve en conduisant en même temps les études et le travail. Nom- breux sont les praticiens qu’il consulte. Je l’encourage à renoncer à la multiplication des requêtes d’avis chez un nombre consistant de spécia- listes, pharmaciens, naturo- pathes, etc.

La contre-mesure suggérée a été celle, ordinaire, vu mes contraintes de temps, de me rendre moi-même accessible par voie d’e-mails.

Je reçois de sa part environ deux longs mails par jour avec une description détail- lée de ses plaintes, avec des requêtes insistantes d’avis.

J’ai ainsi constaté à mes dépen s, avec des patients évidemment obsessionnels, les risques inhérents à une telle disponibilité.

Je me sens en difficulté, dans

une condition d’inconfort analogue – bien qu’en moindre mesure – à la sienne, surtout face à ma crainte qu’il puisse passer à l’acte.

Et s’il est plus important de savoir quelle est la richesse du patient – dans ce cas une détermination hors du com- mun – que de connaître la nature de la maladie qui l’af- flige – ici une dépression majeu re et les troubles ob- sessionnels – il me faudra, à chaque fois, soupeser les limi tes, négocier l’ampleur des besoins à l’aune d’une certaine modestie de mes possibilités d’engagement.

Il me faut repenser aux limites qu’il convient de poser aux patients ; distinguer celles qui équivaudraient à un refus d’attention à leur souffrance de celles qui garantissent une équité à l’égard de moi-même et des autres malades. Penser les limites et leurs raisons devrait me faire prendre la mesure de ma disponibilité et de mes obligations – notam ment celle d’encoura- ger mon patient à se garder en vie –, sans élargir illusoi- rement la première ni me dérober aux deuxièmes.

Carte blanChe

Pr Marco Vannotti

Cerfasy 2000 Neuchâtel mvannotti@gmail.com

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