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LE DÉSORDRE ALIMENTAIRE MONDIAL

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COLLECTION J. BRÉMOND

LE DÉSORDRE ALIMENTAIRE

MONDIAL

Surplus et pénuries : le scandale

J e a n - P a u l C h a r v e t

Maître de conférence à l'Université de Paris X

HATIER

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Dans la même collection

• Dictionnaire économique et social.

• Comprendre l'information économique et sociale.

• Dictionnaire des théories

et des mécanismes économiques.

• L'énergie dans le monde stratégies face à la crise

• L'économie française face aux défis mondiaux.

• Le dollar

monnaie américaine ou monnaie mondiale ?

• L'informatique

enjeux économiques et sociaux.

• La Bourse

temple de la spéculation ou marché financier ?

• Singapour, Taiwan, Hong Kong, Corée du Sud, les nouveaux conquérants ?

• Initiation à l'économie

les concepts de base, les techniques, les grands économistes.

• Dictionnaire d'histoire économique de 1800 à nos jours.

• La productivité

progrès social ou source de chômage ? . Keynes et les keynésiens aujourd'hui

des solutions pour sortir de la crise ?

• Les politiques industrielles

libéralisme ou intervention de l'Etat ?

• L'économie du Japon une menace ou un modèle ?

©HATIER PARIS SEPTEMBRE 1987

Toute représentation, traduction, adaptation ob reprottuction même partielle, par tous procédés, en tout pays, faite sans autorisation préalable, est iUjértWet exposerait le contrevenant à des pour- suites judiciaires. Réf. : Loi du 11 mars 2-218-01541-2.

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INTRODUCTION

Depuis quelques années, les incohérences de la situation alimen- taire mondiale ne cessent de s'accentuer :

—pendant que les marchés de la plupart des produits agricoles croulent sous les excédents et que des stocks impressionnants s'accumulent, près des deux tiers de la population mondiale con- tinuent à souffrir de malnutrition ou de sous-nutrition.

—sur le marché international des céréales, les Etats-Unis et la CEE se battent à coup de centaines de millions de dollars de sub- ventions afin d'écouler leurs productions et le principal bénéfi- ciaire de cette guerre commerciale fratricide n'est autre que...

l'URSS.

—les grands marchés à terme de produits agricoles comme celui de Chicago sont en train de perdre le rôle de référence mondiale qu'ils avaient jusqu'ici du fait de la désorganisation des marchés.

—les accords internationaux concernant les produits agricoles sur lesquels avaient été fondés beaucoup d'espoirs au cours des années 1970 ont aujourd'hui presque tous sombré dans la tempête qui a bouleversé les marchés des produits de base.

Ces quelques faits, auxquels bien d'autres pourraient être ajou- tés, amènent à se poser un certain nombre de questions :

—Comment se fait-il que le cours d'un produit agricole puisse, en un laps de temps très court, varier du simple au double, ou du simple au triple, voire dans certains cas, dans une proportion de un à trente, sur le marché mondial ? Les «spéculateurs» sont- ils seuls en cause ?

—Allons-nous, comme dans le domaine industriel, vers une divi- sion internationale des activités de production agricole, certains pays se réservant certains segments ou certains créneaux de pro- duction et imposant leur loi dans ces domaines ?

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— Comment se fait-il que dans presque dans tous les pays — qu'ils soient riches ou pauvres — se pose de façon aïgue le pro- blème de la parité des revenus des agriculteurs par rapport à ceux des autres catégories socio-professionnelles ?

— Comment se fait-il que dans les pays en développement la pro- duction agricole soit souvent lourdement taxée de façon directe ou indirecte alors que, dans les pays industrialisés, elle se trouve presque toujours soutenue par différents systèmes d'aides publi- ques ?

Ces traitements opposés des productions et des populations agri- coles posent d'autant plus problème que dans les pays pauvres ce sont souvent 65 à 75 % de la population active qui se trouvent employés dans l'agriculture, alors que dans les pays riches les agriculteurs comptent presque toujours pour moins de 10%, voire pour moins de 5 % de la population active.

— Dans quelles circonstances peut-on être amené à payer des agriculteurs pour ne pas produire ?

— Comment parvient-on à des situations du type de celle que l'on rencontre aujourd'hui au Japon, où les productions de riz reçoivent jusqu'à huit fois le cours mondial pour une produyc- tion dont les surplus doivent être ensuite écoulés à bas prix sur les marchés internationaux en tant qu'aliment pour le bétail ? Tout en essayant d'expliquer les raisons de ces «désordres», le présent ouvrage a également l'ambition de mettre en garde ou du moins de faire réfléchir à propos de réponses ou de solu- tions simplistes souvent avancées dans les média.

Si le problème alimentaire constitue bien un des problèmes majeurs des pays du Tiers monde, il convient de se garder, dans ce domaine comme dans d'autres, des schématismes et des cari- catures ; il est en effet loin d'être assuré que les animaux des pays riches mangent la nourriture des hommes des pays pauvres ou que le développement des cultures de rente se trouve à l'ori- gine des déficits alimentaires des pays du Tiers monde.

Sur un plan plus général, on s'interrogera à propos des solu- tions libérales prônant la suppression des politiques de soutien des revenus des agriculteurs mises en place dans de nombreux Etats et recommandant la seule prise en compte des «avantages comparatifs» existant entre pays.

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1

La demande

de produits agricoles

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Bien qu'elle corresponde à un besoin physiologique pri- mordial, la consommation de produits alimentaires varie très largement d'un individu à l'autre : les niveaux alimen- taires observés dans le monde s'échelonnent entre 1500 et 4500 calories par jour, soit dans des proportions allant du simple au triple.

Les chiffres de consommation moyenne par Etat que publient des organismes internationaux comme la FAO ou l'OCDE cachent des disparités sociales ou régionales par- fois très marquées. Ces données chiffrées n'en sont pas moins très utiles pour cerner les grands traits de la con- sommation et de la demande alimentaire dans le monde : elles permettent, malgré leur caractère global, de poser un certain nombre de problèmes et en particulier de mettre en évidence les écarts qui existent entre pays riches et pays pauvres dans le domaine de la consommation alimentaire.

Le déficit alimentaire dans les pays pauvres

On a calculé que sur les 1300 millions de bouches nouvel- les qu'il faudra nourrir d'ici à l'an 2000, près de 1200 mil- lions se trouveront dans des pays pauvres. Tout le problème

— et c'est le principal enjeu alimentaire auquel se trou- vent confrontés les habitants de la planète — est de savoir comment et dans quelle proportion ces besoins supplémen- taires considérables pourront être satisfaits alors que la situa- tion actuelle est déjà très préoccupante.

Il est toujours arbitraire de tracer des limites précises entre populations bénéficiant d'une alimentation considérée comme convenable et populations disposant de ressources alimentaires insuffisantes sur le plan quantitatif et/ou sur le plan qualitatif.

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Retenons seulement dans l'immédiat quelques points de repère correspondant aux normes généralement admises par les experts de l'Organisation Mondiale de la Santé.

Malnutrition, sous-nutrition et famine

La malnutrition peut débuter dès que l'on passe en-dessous de 2500 calories par personne et par jour si les apports de protéines animales sont inférieurs à 20 grammes par per- sonne et par jour.

En-dessous de 2000 calories et de 10 grammes de pro- téines animales par personne et par jour on passe de la mal- nutrition à la sous-nutrition.

Enfin, au-dessous de 1500 calories et de 5 grammes de protéines animales par personne et par jour les gens se trou- vent en situation de famine.

On estime qu'actuellement 1700 à 1800 millions de per- sonnes, soit 35 % de la population mondiale, souffrent de malnutrition à des degrés divers1. Cette malnutrition cor- respond principalement à un déficit en protéines animales.

Elle affecte, parmi d'autres, les populations du Maghreb et de l'Egypte, mais aussi celles de « nouveaux pays indus- triels» : Corée, Mexique ou Brésil.

En outre, 1500 millions de personnes, soit environ 30 % supplémentaires de la population mondiale, se trouvent en situation de sous-nutrition ou de sous-alimentation1 : leur ration alimentaire quotidienne est à la fois insuffisante sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif. Les populations de l'Inde relèvent de ce groupe, même si la sous-nutrition n'est souvent que temporaire, comme lorsqu'elle corres- pond à une période de soudure entre deux récoltes.

Enfin, 450 à 500 millions de personnes, soit environ 10 % de la population mondiale, souffrent d'une sous- nutrition quasi permanente, donc de faim au plein sens du terme. A l'intérieur de chaque région et de chaque pays concerné, certaines catégories de population apparaissent plus touchées que d'autres par la famine : enfants, habi- tants des bidonvilles, paysans sans terre, paysans micro fundiaires...

1. J. Klatzmann. Nourrir dix milliards d'hommes ? P.U.F., 1983

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fundiaires... Les principales «poches de famine» que l'on peut relever à la surface du globe correspondent à autant de «poches de pauvreté» : Bolivie, Nord-Est du Brésil, Haïti, Bangladesh, Kampuchéa, Sahel africain... Il est très difficile de préciser combien de personnes meurent cha- que année de faim : souvent l'insuffisance de nourriture ne se trouve qu'indirectement à l'origine de la mort, les organismes affaiblis par les privations étant incapables de lutter contre des maladies même bénignes. En outre, les guerres entre Etats ou les guerres civiles ne manquent pas de transformer des situations alimentaires difficiles en véri- tables catastrophes, comme on a pu le voir récemment au Soudan et en Ethiopie.

Greniers pleins et ventres vides

Une amélioration de la production alimentaire comme celle qui est survenue ces dernières années en Inde est loin de suffire à régler tous les problèmes : il n'est en effet pas rare de voir coexister des greniers pleins et des ventres vides i

Malnutrition, sous-nutrition et famines ne renvoient pas uniquement à des niveaux insuffisants de production agri- cole, mais, d'une manière encore plus fondamentale, à des situations de pauvreté plus ou moins marquées. Les famil- les dans le besoin éprouvent toujours beaucoup de diffi- cultés pour se procurer la nourriture nécessaire quel que soit le volume global de la production agricole du pays où elles vivent.

Il est assez peu réaliste de croire que les économies de la plupart des pays du Tiers monde connaîtront d'ici à l'an 2000 un développement économique suffisant pour vain- cre la pauvreté ou même pour l'atténuer de façon sensi- ble. Les niveaux d'endettement de nombreux pays et la part importante des budgets mobilisés par le service de la dette extérieure constituent autant de freins supplémentaires. Ce contexte économique s'ajoute aux difficultés plus spécifi- ques rencontrées pour accroître la production agricole locale.

1. S. Brunei. Asie-A&iqtio : greniers \ ide.%. greniers pleins. Economica. 1986.

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L a c o n s o m m a t i o n d e g r a i n s d a n s l e s p a y s e n d é v e l o p p e m e n t *

* Chine exclue

1. Moyennes sur 3 années centrées sur 1960 ou 1980 2. Projections

Source : Conseil International du Blé, 1983.

Le poids de la démographie

Les projections effectuées pour l'an 2000 par le Conseil International du Blé et portant sur la consommation de grains montrent que la croissance de la demande alimen- taire proviendra assez peu, dans les pays en développement, d'une amélioration de la consommation par tête et princi- palement de l'augmentation du nombre de la population.

Le chiffre avancé pour la progression de la consommation humaine par tête (+0,7 % par an sur la période 1980-2000) peut même paraître optimiste : il suppose des accroisse- ments de revenu que l'on est loin de constater partout. En fait, pour seulement maintenir les niveaux de consomma- tion actuels, le plus souvent insuffisants, face à un taux

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d'accroissement moyen de population de +2,3 % par an sur la période 1980-2000, de très gros efforts devront être faits. Sans tomber dans le pessimisme de Malthus qui pen- sait que l'augmentation de la production agricole ne pour- rait pas suivre le rythme d'accroissement de la population mondiale, il serait dangereux de sous-estimer le poids que fera peser la démographie sur la situation alimentaire mon- diale dans les décennies à venir.

Le régime alimentaire des pays pauvres

Disparités de consommation alimentaire dans les pays pauvres Les moyennes nationales ne manquent pas de cacher d'importantes disparités sociales et/ou régionales. Citons

- parmi bien d'autres — l'exemple du Brésil.

Dans ce pays, vers le milieu de la dernière décennie, les dépenses alimentaires d'une famille de cadre supérieur étaient en valeur absolue trois fois plus élevées que celles d'une famille d'ouvrier agricole et deux fois plus élevées que celles d'une famille de manœuvres vivant en ville.

Sur le plan géographique, des différences très sensibles pouvaient également être relevées : dans les campagnes de Sao Paulo chaque personne disposait alors en moyenne de 2400 calories par jour ; pendant que dans les campagnes de Recife — c'est-à-dire dans celles du Nordeste brésilien

— chaque individu ne disposait que de 2000 calories par jour. Enfin, dans les villes du Nordeste la situation était encore plus préoccupante ; la sous-nutrition y était la règle avec moins de 1900 calories par personne et par jour'.

Des disparités comparables ont été mises en évidence à propos de l'Afrique où la ration moyenne exprimée en calo- ries par personne (2150 calories) est déjà de 8,5 % infé- rieure à la ration considérée comme souhaitable ou « nor- male» (2350 calories).

1 J-P Bertrafid, Brésil : modernisation agricole et restructuration alimentaire. Tiers Monde, n" 104, oct.-déc. 1985

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En fait 30 % des Africains disposent de rations inférieu- res de 15 % à cette moyenne et 32 % supplémentaires de rations encore inférieures de 3 % à celle-ci.

En revanche, les 4 % d'Africains qui consomment le plus dans le domaine alimentaire disposent de près de 3000 calo- ries par jour, soit 28 % de plus que la moyenne. Il s'agit de ceux dont les revenus sont les plus élevés.

Finalement, seulement 22 % des Africains connaissent un régime alimentaire supérieur à la ration souhaitable de 2350 calories par jour.

Répartition de la consommation de calories par tête d'habitant en Afrique

Source USDA ERS FAER n"221 IUln 1986

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Les groupes humains les plus touchés par la malnutri- tion et la faim sont les enfants, les éleveurs et les habitants des régions enclavées au cœur du continent africain.

La situation alimentaire déjà très préoccupante de l'Afri- que noire s'est encore aggravée depuis le début des années 1980, la production et la consommation de céréales par tête d'habitant ayant fortement chuté.

Evolutions de la consommation et de la production de céréales par tête d'habitant en Afrique Noire.

D'après Banque Mondiale et FAO

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Des régimes alimentaires peu diversifiés

Dans la plupart des pays pauvres, la faiblesse des disponi- bilités alimentaires par tête — disponibilités d'ailleurs sou- vent surévaluées dans les statistiques officielles — s'accom- pagne d'un fort rétrécissement de la palette des produits consommés. Les régimes alimentaires apparaissent fré- quemment dépendants d'un tout petit nombre de plantes.

Dans de nombreux pays du Tiers monde, les céréales constituent plus de 60 % des apports énergétiques. Des chif- fres nettement plus élevés peuvent même être atteints : au Mali, la ration alimentaire moyenne est constituée à hau- teur de 71 % par des céréales et au Bangladesh, à hauteur de 85 %.

Permanence des grandes plantes de civilisation

D'une aire géographique à l'autre, ce ne sont pas les mêmes céréales qui se trouvent placées en tête. Les plantes qui ont accompagné pendant des millénaires telle grande civi- lisation traditionnelle continuent à marquer les habitudes alimentaires locales : c'est le cas pour le riz dans l'Asie des moussons, pour le blé au Proche-Orient et dans l'Inde du Nord-Ouest, pour le maïs en Amérique latine, pour le mil en Afrique sahélo-soudanienne... Au Mali, mils et mil- lets fournissent encore plus de 50 % des rations alimen- taires. Au Bangladesh et en Indonésie la plus grande par- tie des calories consommées provient du riz : plus de 75 % au Bangladesh ! Au Pakistan, à l'autre bout du subconti- nent indien, près de 50 % des calories — 47 % exactement

— sont apportés par le blé. Dans les pays qui sont chauds et humides toute l'année, les tubercules (manioc, igname, taro...) l'emportent sur les céréales : au Zaïre, le seul manioc fournit 56 % des calories consommées.

Si l'on met à part quelques pays comme la Jamaïque ou les Philippines, où une proportion non négligeable des céréales disponibles se trouve utilisée pour l'alimentation

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Consommation de céréales dans quelques pays du Tiers monde.

Sources : USDA + Banque Mondiale, 1985.

Principales plantes consommées dans quelques pays 1 du Tiers monde.

En pourcentage de la consommation alimentaire totale.

Sources : USDA + Banque Mondiale, 1985.

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animale, la règle générale est que les hommes consomment directement les grains. La chasse, la pêche ou de petits éle- vages peuvent fournir localement de faibles quantités de protéines animales, mais dans l'ensemble on est en pré- sence de régimes alimentaires essentiellement végétariens.

L'existence d'interdits alimentaires comme par exemple celui portant sur la viande de porc en Indonésie musulmane ne fait que renforcer cette situation.

Urbanisation et nouvelles habitudes alimentaires

Ces régimes alimentaires peuvent cependant évoluer rapi- dement, en particulier dans les villes : l'exode rural cons- titue presque toujours une occasion de rupture avec les habi- tudes alimentaires traditionnelles. Un exemple — parmi bien d'autres — de mutation des habitudes alimentaires à la faveur d'une migration en ville a été analysé de façon pré- cise pour la ville de Kingston située en Jamaïque '.

L'acquisition de nouvelles habitudes alimentaires y appa- raît très rapide : dès la première année suivant leur instal- lation en ville, la consommation de riz, de pain, de poulet et d'œufs des nouveaux arrivés augmente de façon très sen- sible, et ce mouvement va en s'accentuant dans les années qui suivent. Parallèlement, la consommation d'ignames, de bananes, de patates douces... qui est largement répan- due dans les campagnes, chute assez rapidement et finit par être abandonnée par les nouveaux citadins. On peut par- ler d'une «occidentalisation» de leur régime alimentaire.

Ce phénomène se retrouve, plus ou moins marqué, dans de nombreuses villes et même dans certaines campagnes du monde tropical. Il apparaît favorisé par les politiques de scolarisation qui constituent indirectement de puissants vecteurs de diffusion de nouveaux modèles de consomma- tion alimentaire. Il a pris une ampleur spectaculaire dans

1. R. Paquette, Rapidité des changements dans les habitudes de consommation alimentaire à Kingston. Jamaïque. 25e Congrès International de Géographie, Paris, 1984

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les grandes villes-ports d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine. Les importantes fonctions économiques'et politiques remplies par ces villes font que les gouvernements sont tou- jours très attentifs à leur approvisionnement. En outre, les situations portuaires favorisent les importations lointaines.

Dans ces conditions on comprend aisément que si un pay- san sénégalais consomme en moyenne 158 kg de mil, 20 kg de riz et 2 kg de blé par an, un habitant de Dakar puisse utiliser annuellement pour son alimentation 10 kg de mil, 77 kg de riz et 33 kg de blé La consommation de blé, soit sous forme de pain, soit sous forme de pâtes alimen- taires, s'est beaucoup développée au cours des dernières décennies dans le monde intertropical, c'est-à-dire dans un domaine bioclimatique où, pour des raisons écologiques, il n'est guère possible de pratiquer la èulture de cette céréale.

Evolution des habitudes alimentaires des migrants ruraux nou- vellement installés dans la ville de Kingston

Source : R. Paquette, 1984.

Nouveaux modèles alimentaires et dépendance extérieure Les dangers liés à une situation de dépendance alimentaire vis-à-vis des fournisseurs étrangers ont été — à juste titre

— abondamment soulignés. La consommation de produits importés plutôt que de produits indigènes retire des mar-

1. J.R. de Benoist. Manger sénégalais. Croissance des Jeunes Nations. n° 254. oct 1983.

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chés aux agriculteurs locaux. En outre, les bas prix de cer- taines denrées fournies dans le cadre de dons peuvent décou- rager la production locale. Enfin, si les prix des grains importés se situent aujourd'hui à des niveaux très bas, rien ne prouve qu'il en sera toujours ainsi : la facture alimen- taire de bien des pays pourrait alors s'alourdir brutalement et leur position de dépendance vis-à-vis des pays qui leur procurent à la fois des grains et les crédits nécessaires à l'acquisition de ces grains se trouverait aggravée d'autant.

Les faits apparaissent cependant plus complexes : les chan- gements d'habitudes alimentaires ne comportent pas que des aspects négatifs : ainsi, dans l'exemple des ruraux nou- vellement installés à Kingston, le régime alimentaire adopté en ville apparaît plus fourni sur le plan quantitatif et mieux équilibré sur le plan qualitatif (accroissement de la con- sommation de protéines d'origine animale). Il y a donc dans ce cas une amélioration réelle des rations alimentaires même si l'on peut regretter que la rupture vis-à-vis des habitudes alimentaires des campagnes soit aussi rapide et aussi mar- quée. De même, on présente souvent la consommation de pain de froment comme venant se substituer à celle des den- rées alimentaires traditionnelles (mil, maïs, tubercules...) ce qui est dans certains cas exact. Mais, dans d'autres, le pain ne vient qu'en complément des denrées alimentaires locales. La production de celles-ci s'est même trouvée puis- samment stimulée par la demande urbaine à la périphérie de nombreuses villes africaines, qu'il s'agisse de Lagos, d'Ibadan, d'Abidjan ou de Bamako... Il est fréquent de constater qu'autour de ces villes, les cultures vivrières ont regagné du terrain sur les cultures de rente destinées à l'exportation. La consommation de pain peut donc, dans certains cas, ne constituer qu'un élément de diversifica- tion et d'enrichissement du régime alimentaire tradition- nel. La vente de produits tropicaux en échange de céréales importées n'est pas obligatoirement une mauvaise affaire pour le pays importateur. Sur ce point comme sur d'autres les situations peuvent être, selon les lieux et les moments, bien différentes les unes des autres.

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L'incontournable problème du pouvoir d'achat

Toutefois, l'amélioration et la diversification des régimes alimentaires passent par une condition sine qua non qui est l'accroissement du pouvoir d'achat des consommateurs.

Celui-ci peut être obtenu soit par des subventions permet- tant d'abaisser les prix des denrées alimentaires, soit par une amélioration des revenus. L'exemple des pays expor- tateurs de pétrole est tout à fait significatif à cet égard.

L'envolée des cours du pétrole en 1973 puis en 1979 avait entraîné une forte augmentation de leurs importations de produits alimentaires. La retombée ultérieure du prix de l'or noir a, en sens inverse, engendré une contraction de leurs achats dans ce domaine.

La faiblesse du développement économique d'ensemble joue un rôle fondamental dans les phénomènes de malnu- trition et de sous-nutrition des pays pauvres.

La majorité des Etats qui sont classés par la Banque Mon- diale dans le groupe des pays «à faible revenu» (Produit National Brut par habitant inférieur à 400 dollars par an) sont des Etats où les apports alimentaires par personne et par jour demeurent nettement en-dessous des quantités con- sidérées comme nécessaires pour maintenir les populations dans un état d'activité et de santé normal. On rencontre encore dans la catégorie des pays dits «à revenu intermé- diaire» un certain nombre de pays où les apports journa- liers de calories par habitant demeurent en-dessous des nor- mes définies par la FAO : Cameroun, Nigeria, Zim- babwe... en Afrique ; Bolivie, Pérou, Salvador... en Amé- rique latine. Mais, au-delà d'un P.N.B. par habitant supé- rieur à 1000 dollars, on passe à des pays où les rations ali- mentaires sont, au moins sur le plan quantitatif, suffisantes.

Les agricultures nationales sont loin d'être les seules res- ponsables de cette situation : bien des pays qui ne parvien- nent pas à couvrir leurs besoins alimentaires à partir de leur propre production agricole, disposent cependant de res- sources et de revenus suffisants pour importer et assurer un niveau de consommation alimentaire décent à leurs habi- tants. On touche là le problème essentiel de la solvabilité de la demande. �

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Apports alimentaires par tête d'habitant dans différents pays à faible revenu

Pays P.N.B./hab. (en dollars) Apports en % des besoins

GHANA 350 66 %

TCHAD ? 68 %

MALI 140 68%

MOZAMBIQUE ? 71 %

BANGLADESH 130 81 %

BÉNIN 270 83 %

KENYA 310 83 %

HAÏTI 320 83 %

GUINEE 330 84 %

BURKINA FASO 160 85 %

ANGOLA ? 87 %

SOMALIE 260 89 %

LAOS ? 90 %

SOUDAN 360 90 %

A titre de comparaison :

FRANCE 9760 139 %

ETATS-UNIS 15 390 137 %

Source : USùA + Banque Mondiale, 1986.

La situation alimentaire dans les pays riches

Le modèle de consommation cc occidental..

Parmi les régimes alimentaires des pays industrialisés, seul le régime alimentaire japonais continue à présenter une réelle originalité malgré les très fortes pressions à l'occi- dentalisation qu'il a subies et qu'il continue à subir. C'est dans les pays industrialisés que se trouvent les 25 % de la population mondiale que l'on peut considérer comme bien nourris, voire trop nourris.

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L'Europe du Nord-Ouest

plus de 3000 calories par personne et par Jour

Dans les pays de l'Europe du Nord-Ouest, la consomma- tion énergétique est en général nettement supérieure à 3000 calories par personne et par jour, avec une consommation de céréales comprise entre 60 et 70 kg par personne et par an. Pour des raisons historiques et climatiques il s'agit essentiellement de blé : cette plante a été et demeure la grande céréale de civilisation des peuples européens.

Régimes alimentaires de quelques pays industrialisés à économie de marché au début des années 1980.

1. riz exclu 2. beurre exclu 3. y compris volailles Source : OCDE, 1985.

Si l'on met à part la France, la consommation de sucre et de produits sucrés apparaît toujours au moins égale à 40 kg par personne et par an. De même, les niveaux de consommation de fruits et légumes sont élevés : ils attei- gnent plus de 100 kg par personne et par an en Républi- que fédérale d'Allemagne et plus de 150 kg par personne et par an aux Pays-Bas.

Pour les produits laitiers, les Pays-Bas avec plus de 225 kg par personne et par an et le Danemark avec plus de 250 kg par personne et par an se placent nettement en tête : il s'agit de pays où l'élevage laitier occupe une place impor- tante depuis longtemps.

Pour la viande enfin, les niveaux de consommation sont proches ou supérieurs à 75 kg par personne et par an, même

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si la répartition entre les différents types de viandes con- sommées varie sensiblement d'un pays à l'autre : les Alle- mands et les Néerlandais mangent principalement du porc, les Britanniques font à peu près autant appel à la viande bovine qu'à la viande porcine...

Mondialisation des approvisionnements

Afin de faire face à un ensemble de besoins devenus très variés, des réseaux d'approvisionnement planétaires ont été mis en place. Le modèle de consommation occidental fait appel à des productions agricoles venant de tous les conti- nents et pas seulement d'Europe occidentale ou d'Améri- que du Nord . le café, le cacao, les fruits tropicaux, une partie du sucre et des produits oléagineux viennent d'Afri- que, d'Amérique latine ou de différentes îles de l'Océan Indien ou de l'Océan Pacifique : une partie de la viande provient d'Australie, de Nouvelle-Zélande ou d'Argen- tine... Des légumes produits à contre-saison en Afrique au Sénégal ou au Mali sont acheminés par avion sur les mar- chés européens. La demande de produits agricoles géné- rée par le modèle alimentaire occidental s'exprime de plus en plus à un niveau géographique mondial.

La spécificité Japonaise

Ceci s'applique également au Japon. Toutefois, ce pays con- tinue à présenter une forte originalité dans le domaine ali- mentaire, comme dans d'autres domaines, par rapport aux autres pays industrialisés.

La consommation moyenne de calories par habitant et par jour y demeure nettement plus faible : de l'ordre de 2600 calories, malgré une très nette progression par rap- port à l'époque de la Seconde Guerre mondiale.

Vers 1950, la ration alimentaire du Japonais moyen mesu- rée en terme d'énergie était de l'ordre de 1850 calories par jour et 50 % de ces calories provenaient de la consomma- tion de riz. La viande représentait alors moins de 2 % des calories consommées, le sucre moins de 4 %, les fruits et légumes à peine plus de 4 %. Parallèlement, des produits

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de cueillette comme les châtaignes tenaient encore une-place non négligeable dans l'alimentation des Japonais : le Japon figure d'ailleurs toujours, avec l'Italie, parmi les premiers producteurs mondiaux de châtaignes.

Actuellement, la ration alimentaire moyenne du Japonais est considérée — avec 2600 calories — comme idéale sur le plan de l'apport énergétique par bon nombre de diététi- ciens. Notons toutefois, afin d'introduire une nuance, que la taille et le gabarit moyens du Japonais ne sont pas ceux de l'Américain du Nord.

Le Japonais demeure un gros consommateur de riz (78 kg par an) et de poissons (36 kg par an), mais le riz apporte désormais moins de 30 % des calories absorbées. Sous l'influence du modèle de consommation nord-américain, son régime alimentaire s'est largement diversifié et occi- dentalisé : la viande (35 kg par an) fournit désormais plus de 12 % des calories, le sucre et les produits sucrés (22,5 kg par an) plus de 9 % des calories... La consommation de fruits et de légumes s'est développée, de même que celle d'aliments auparavant très peu représentés sur les tables 1 japonaises comme les produits laitiers ou les aliments à base de blé. Le Japonais consomme en moyenne aujourd'hui 32 kg de blé par an : le pain, les pâtes alimentaires et même...les pizzas lui sont devenus familiers.

L'influence exercée après la guerre, lors de la recons- truction de l'économie japonaise, par le modèle nord- américain a été décisive dans cette mutation des habitudes alimentaires. Les produits nord-américains ont alors fait l'objet d'une promotion systématique : les petits Japonais ont appris à manger du pain et à boire du lait à la faveur des déjeuners offerts dans les cantines scolaires par l'aide alimentaire américaine. Ces nouvelles habitudes de con- sommation, confortées ultérieurement par des campagnes publicitaires vantant les mérites du hamburger ou de la pizza, ont fait du Japon un des tout premiers acheteurs de céréales américaines. Cette occidentalisation des régimes alimentaires a d'abord touché les jeunes et les villes. Au cours des années 1970 elle s'est étendue aux campagnes et à des couches toujours plus nombreuses de la population.

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Les pays se trouvant au seuil d'une «transition alimentaire"

Les régimes alimentaires des pays pauvres du Sud de l'Europe (Portugal) ou du Proche-Orient (Turquie) sont dans une large mesure le reflet du décalage économique qui existe vis-à-vis de l'Europe du Nord et du Nord-Ouest.

Régimes alimentaires de la France, du Portugal et de la Turquie au début des années 1980

On peut cependant légitimement penser qu'une améliora- tion des niveaux de vie des populations de ces pays se tra-

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duirait assez vite par un rapprochement d'avec le modèle de consommation occidental, malgré la persistance proba- ble de quelques traits spécifiques.

Dans l'immédiat, aussi bien en Turquie qu'au Portugal, les besoins énergétiques apparaissent largement couverts avec plus de 3000 calories par personne et par jour. Cepen- dant, la consommation directe de céréales sous forme de pain, de galettes, de pâtes alimentaires et de semoule demeure importante (plus de 130 kg par personne et par an au Portugal) voire très importante (plus de 200 kg par personne et par an en Turquie). Inversement, les niveaux de consommation de sucre et de produits sucrés, de pro- duits laitiers et de viande sont nettement inférieurs à ceux des pays riches. Ainsi, se trouve souligné le rôle des reve- nus. Lorsque, dans un pays pauvre, les revenus de larges couches de la population (et pas seulement ceux de petits groupes de privilégiés) augmentent, on note dans un pre- mier temps un accroissement de la consommation directe de céréales : la Turquie illustre assez bien ce cas. Si les augmentations de revenu sont encore plus sensibles on assiste, à partir d'un certain niveau, à un tassement puis à une baisse de la consommation directe de céréales et, parallèlement, à une diversification des régimes alimen- taires accompagnée d'une consommation accrue de viande.

Celle-ci peut être à l'origine de l'essor d'une consomma- tion indirecte de grains comme par exemple au Portugal.

Etant donné qu'il faut jusqu'à 7 à 8 calories végétales pour produire une calorie animale, il est fréquent que le déve- loppement de la consommation de viande entraîne un essor marqué de la consommation indirecte de céréales.

L'Union soviétique et l'Europe de l'Est

Seul le modèle «américain» de production de viande — c'est-à-dire la nourriture des animaux à l'aide de mélan- ges de céréales et de tourteaux de graines oléagineuses — permet d'accroître rapidement et de façon régulière la pro- duction de viande. Ce type d'élevage a été développé au cours des années 1970 en Union soviétique et dans les pays d'Europe de l'Est.

(26)

Evolutions récentes des régimes alimentaires de l'URSS et des pays d'Europe de l'Est

Au début des années 1970, alors qu'avaient été privilé- giées jusque là les activités de production industrielle et en particulier l'industrie lourde, les gouvernements de ces pays sont devenus plus attentifs aux aspirations consumé- ristes de leurs administrés. La reconstruction des écono- mies autorisait une certaine amélioration des niveaux et des conditions de vie. En outre, on ne peut pas totalement exclure, comme le suggère Dan Morgan dans son ouvrage consacré aux «Géants du grain», que les émeutes de 1970 en Pologne aient constitué une sorte de sonnette d'alarme pour les dirigeants des pays d'Europe de l'Est. Déjà, à l'époque, les ouvriers des chantiers navals de Gdansk récla- maient davantage de viande...

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T

TATE & LYLE, 119 TENNECO, 139

Terres Vierges (U.R.S.S.), 2 2 7 Tiers Monde, 196

Transition alimentaire, 23 TURQUIE, 23, 2 4

U

UNILEVER, 85, 123, 125 U.R.S.S., 24, 226, 244, 2 5 4

V

Viandes, 134 Vigne, 68

XYZ ZAIRE, 13

INDEXHAT

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Sommaire

INTRODUCTION 3

PREMIERE PARTIE :

LA DEMANDE DE PRODUITS AGRICOLES 5

Le déficit alimentaire dans les pays pauvres 6 Les régimes alimentaires dans les pays pauvres 10 La situation alimentaire dans les pays riches 19

DEUXIEME PARTIE :

L'EFFET DE KING ET SES RETOMBEES 37

L'effet de King 38

Les retombées de l'effet de King . . . 45

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