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Comment déterminer le minimum pour une vie décente? Inspirations de la jurisprudence allemande

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Comment déterminer le minimum pour une vie décente? Inspirations de la jurisprudence allemande

HERTIG RANDALL, Maya

HERTIG RANDALL, Maya. Comment déterminer le minimum pour une vie décente? Inspirations de la jurisprudence allemande. In: Hottelier Michel/Hertig Randall Maya/Alexandre Flückiger.

Etudes en l'honneur du Professeur Thierry Tanquerel. Entre droit constitutionnel et droit administratif: questions autour du droit de l'action publique . Genève : Schulthess, 2019. p. 145-158

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:124094

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Comment déterminer le minimum pour une vie décente ? Inspirations de la jurisprudence

allemande

MAYA HERTIG RANDALL

Professeure à l’Université de Genève

« Das Motto, ein bisschen hungern, dann gehen die schon, könne es doch wohl nicht sein. »1

Introduction

Dans une perspective comparative, la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière des droits sociaux a été innovante2. En 1995, la cour suprême helvétique a reconnu le droit à des conditions minimales d’existence comme un droit fondamental non écrit, au motif qu’« [a]ssurer les besoins humains élémentaires […] est somme toute la condition de l’existence de l’être humain et de son développement » ainsi que « la composante indispensable d’un Etat démocratique fondé sur le droit »3. Réfutant deux objections courantes à la justiciabilité des droits sociaux – leurs implications financières considérables et leur contenu peu précis4 – le Tribunal fédéral a souligné, d’une part, que le droit à des conditions minimales d’existence ne vise qu’un minimum et n’implique pas des tâches qui ne seraient pas déjà reconnues par les cantons en matière d’assistance sociale, et, d’autre part, que « [c]e qui constitue la condition indispensable à une vie conforme à la dignité humaine est clairement reconnaissable et peut être obtenu dans une procédure judiciaire. »5 Pourtant, le contenu de la garantie aux conditions minimales d’existence, codifiée depuis lors à l’art. 12 Cst., est loin d’être évident et suscite des débats. Conçu comme le dernier filet de secours, qui intervient de façon subsidiaire à l’effort individuel et aux autres prestations disponibles, le droit à des conditions minimales d’existence concerne aujourd’hui essentiellement les personnes exclues

L’auteure remercie M. Christophe TAGOUO et Mme Morgane VENTURA, assistant-e-s auprès du Département de droit public de l’Université de Genève, pour la précieuse aide apportée à la mise au point du texte.

1 Propos du juge de la Cour constitutionnelle allemande Paul Kirchhof à l’audience de l’affaire Hartz IV (infra 2.A), cité dans Die Welt, 20.6.2012, accessible sur https://www.welt.de/politik/deutschland/article106639588/

Asylbewerber-sollen-auf-Hartz-Niveau-Anrecht-haben.html (consulté le 18 octobre 2018).

2 Pour une étude comparative des droits sociaux, cf. KrzysztofWOJTYCZEK (éd.), Social Rights as Fundamental Rights. XIXth International Congress of Comparative Law/Le IX Congrès international de droit comparé, La Haye 2016.

3 ATF 121 I 367 consid. 2.b) in JdT 1997 I 278.

4 Pour une analyse de ces objections, et une étude sur la justiciabilité des droits sociaux, cf. Gregor T.CHATTON, Vers la pleine reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels, Genève, p. 174 ss, 351 ss, 419 ss.

5 ATF 121 I 367 c. 2.c) in JdT 1997 I 278.

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de l’aide sociale, en particulier les requérant-e-s d’asile débouté-e-s ou ceux qui ont fait l’objet d’une décision de non-entrée en matière (NEM)6. En termes quantitatifs, le nombre de personnes relevant du droit d’asile au bénéfice de l’aide d’urgence est estimé, en 2017, à environ 80007, un chiffre minime comparé au 3,3% de la population ayant recours à l’aide sociale8.

La consécration juridique du droit fondamental à des conditions minimales d’existence conduit à la quête d’un équilibre délicat entre deux logiques antinomiques : il s’agit, d’une part, des considérations de politique migratoire ayant pour objectif de rendre le séjour en Suisse « peu attractif », et, d’autre part, les considérations humanitaires, visant à assurer à tout être humain une vie décente. Cet antagonisme nourrit des controverses sur les prestations minimales découlant de l’art. 12 Cst. Alors que les acteurs de la société civile et les chercheurs critiquent les prestations fournies au titre de l’aide d’urgence comme insuffisantes pour mener une vie conforme à la dignité humaine9, d’autres cercles s’attèlent à réduire les prestations, ou à en changer les modalités, pour inciter les bénéficiaires au départ10. Les disparités entre les législations cantonales (l’aide d’urgence relevant comme l’aide sociale de la compétence des cantons)11, semblent également démentir la thèse selon laquelle ce qui relève de l’aide d’urgence serait « clairement reconnaissable ». Des incertitudes concernant le contenu ne sont cependant pas une spécificité de l’aide d’urgence ou, plus généralement, des droits sociaux.

Formulés sous forme de principes, dans des termes hautement généraux et abstraits, tous les droits fondamentaux, y compris les libertés classiques, doivent être concrétisés par voie législative et surtout, par voie jurisprudentielle. Avant-gardiste en consacrant le droit à des conditions minimales d’existence comme un droit constitutionnel non écrit, droit conçu comme un véritable droit humain, revenant à toute personne humaine indépendamment de sa nationalité ou de son statut à la lumière de la police des étrangers12, le Tribunal fédéral s’est montré plutôt timoré jusqu’à présent en ce qui concerne le contenu de l’art. 12 Cst. Statuant sur des recours qui mettaient en cause le caractère suffisant des prestations fournies au titre de l’aide d’urgence, il a été peu enclin à désavouer les législations et pratiques cantonales (0).

L’approche largement déférente du Tribunal fédéral tranche avec celle de la Cour constitutionnelle allemande. Les juges de Karlsruhe ont rendu plusieurs arrêts portant sur le contenu du droit à des conditions minimales d’existence qui ont suscité un vif intérêt au-delà de l’Allemagne (II). Dans quelle mesure la jurisprudence allemande pourrait-elle être une source d’inspiration et offrir des repères à la jurisprudence helvétique, en vue de mieux cerner

6 Cf. art. 82 al. 1 de la Loi suisse sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi ; RS 142.31).

7 Cf. SEM, Rapport de suivi sur la suppression de l’aide sociale. Rapport annuel 2017 (1er janvier – 31 décembre 2017), Berne-Wabern, juin 2018, disponible sur https://www.sem.admin.ch/dam/data/sem/asyl/sozialhilfe/ab- 2008/ber-monitoring-2017-f.pdf (consulté le 8 octobre 2018).

8 Voir les informations relatives à l‘année 2016 disponibles sur https://www.bfs.admin.ch/bfs/de/home/statistiken/

soziale-sicherheit/sozialhilfe/empfaenger-innen-sozialhilfe-weiterer-sinn/asylbereich.assetdetail.4083584.html (consulté le 8 octobre 2018).

9 Cf. PatrickBODENMANN/ChristophePASCHE/IsabelleMARGUERAT-BOUCHE ET AL,Durcissement des lois sociales et santé des migrants forcés, Revue médicale Suisse2008,p.2563 SS ; voir aussi les Rapports de l’Organisation suisse des réfugiés (OSAR) sur l’aide d’urgence, mettant en exergue les disparités entre les cantons, Kathrin BUCHMANN/Silvana KOHLER, Nothilfe im Asylbereich, Einzelschicksale und Überblick über die kantonale Praxis, Berne 17 août 2006 ; Muriel TRUMMER, Aide d’urgence pour requérants d’asile déboutés, commentaire sur l’extension de l’exclusion de l’aide sociale, Berne, 15 décembre 2008; Michael SUTTER, Mise à jour du rapport sur l’aide d’urgence 2008, Berne, 1er février 2011 ; les trois rapports sont disponibles via le site https://www.osar.ch/droit-dasile/procedure-dasile/aide-durgence.html (consulté le 8 octobre 2018).

10 Pour une critique de l’usage de l’aide d’urgence comme faisant partie d’une politique dissuasive dans le domaine de l’asile, cf. MargaritaSANCHEZ-MAZAS, La construction de l’invisibilité : Suppression de l’aide sociale dans le domaine de l’asile, Genève 2011.

11 Cf. art. 82 al. 1 LAsi. Pour les disparités cantonales, voir les rapports de l’OSAR sous note 9.

12 ATF 121 I 367 c. 2.d ; ATF 131 I 166 c. 3.1.

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le contenu de l’aide d’urgence ? Nous tenterons de répondre à cette question en adoptant une perspective comparative (III).

Tant l’objet que la méthode de notre contribution relèvent des centres d’intérêts du jubilaire.

S’agissant d’abord de l’objet : intellectuel engagé, Thierry Tanquerel s’est consacré, pendant quatre ans, en sa qualité de membre de l’Assemblée constituante, à la rédaction de la nouvelle Constitution genevoise13, laquelle est innovante dans le domaine des droits fondamentaux, y compris les droits sociaux. L’art. 39 Cst.GE prévoit sous le libellé « droit à un niveau de vie suffisant », le droit de toute personne « à la couverture de ses besoins vitaux afin de favoriser son intégration sociale et professionnelle. » L’intitulé de la disposition, repris de l’art. 11 du Pacte ONU I14, laisse entendre une volonté d’aller au-delà du « droit à obtenir de l’aide dans des situation de détresse » de l’art. 12 Cst., terminologie qui s’était imposée pour souligner le contenu minimal de cette garantie constitutionnelle15. En ce qui concerne la méthode ensuite : publiciste actif tant dans le domaine du droit administratif que celui du droit constitutionnel, la curiosité intellectuelle de Thierry Tanquerel l’a amené à développer un vif intérêt pour le droit constitutionnel comparé, intérêt qu’il a tenu à transmettre à ses étudiant-e-s dans des cours consacrés au droit constitutionnel des cantons et, plus généralement, au droit constitutionnel comparé. Nous osons le pari que la jurisprudence allemande sur le droit à des conditions minimales d’existence intéressera encore le jubilaire à un autre titre. En tant que directeur du Centre d'étude, de technique et d'évaluation législatives (CETEL), Thierry Tanquerel accorde une attention particulière aux méthodes d’élaboration et d’évaluation des lois, lesquelles occupent une place centrale dans la jurisprudence allemande. Celle-ci sera examinée à la suite d’un bref aperçu de la jurisprudence helvétique sur le contenu du droit à des conditions minimales d’existence.

I. L’approche du Tribunal fédéral

Les développements du Tribunal fédéral au sujet du contenu du droit à des conditions minimales d’existence mettent l’accent sur la finalité de ce droit et soulignent son contenu minimal :

« Le droit fondamental à des conditions minimales d’existence selon l’art. 12 Cst. ne garantit pas un revenu minimum, mais uniquement la couverture des besoins élémentaires pour survivre d’une manière conforme aux exigences de la dignité humaine, tels que la nourriture, le logement, l’habillement et les soins médicaux de base. L’art. 12 Cst. se limite, autrement dit, à ce qui est nécessaire pour assurer une survie décente afin de ne pas être abandonné à la rue et réduit à la mendicité […]. L’aide d’urgence, par définition, a en principe un caractère transitoire. L’art. 12 Cst.

ne vise qu’une aide minimale - à savoir un filet de protection temporaire pour les personnes qui ne trouvent aucune protection dans le cadre des institutions sociales existantes - pour mener une existence conforme à la dignité humaine. »16

Le passage précité brosse à grands traits le contenu de l’art. 12 Cst. de façon négative (en précisant que le droit aux conditions minimales d’existence ne confère pas le droit à un revenu minimum, donc à un montant chiffrable), et de façon positive, en mentionnant à titre

13 Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE ; RS/CH 131.234 ; RS/GE A 2 00)

14 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 (R.S. 0.103.1).

15 Cf. Thomas GÄCHTER/Gregori WERDER, Art. 12, in Bernhard Waldmann/Eva Maria Belser/Astrid Epiney, Bundesverfassung. Basler Kommentar, Bâle 2015, n° 3.

16 ATF 139 I 272 c. 3.2.; voir aussi ATF 135 I 119 c. 5.3.

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d’exemple les besoins fondamentaux qui doivent être couverts (nourriture, logement, habillement et soins médicaux de base), lesquels sont mis en lien avec la valeur fondamentale de la dignité humaine. A noter que cette énumération se limite à l’aide matérielle sans mentionner des formes d’aide immatérielle17, aussi couvertes par l’art. 12 Cst. Faisant preuve de retenue à l’égard des pouvoirs législatifs cantonaux, le Tribunal fédéral relève qu’il revient avant tout aux collectivités publiques compétentes de déterminer par la voie législative le mode et l’ampleur des prestations, celles-ci pouvant être fournies en argent ou en nature18. La fourniture sous la forme de prestation en nature, prévue par la LAsi pour les requérant-e-s d’asile et les personnes à protéger qui ne bénéficient pas d’une autorisation de séjour, n’est selon le Tribunal fédéral pas contraire à l’art. 12 Cst. Pour les personnes qui séjournent illégalement en Suisse (comme les requérant-e-s NEM ou débout-é-s), les prestations en nature seraient en principe préférables aux prestations en espèces, au motif que la fourniture en nature faciliterait la distribution des prestations et l’utilisation conforme à leur but19.

D’une manière plus générale, le Tribunal fédéral admet que l’ampleur et les modalités des prestations peuvent être différenciées en fonction du statut des bénéficiaires. Bien que les juges de Mon Repos relèvent à juste titre que l’aide d’urgence « ne saurait être utilisée comme un moyen de contrainte pour obtenir l’expulsion ou pour réprimer des abus en matière de droit des étrangers »20, ils admettent une distinction selon le statut légal des bénéficiaires, avec la conséquence que les requérant-e-s NEM et débouté-e-s ne se voient octroyer que des prestations minimales. Ce régime différencié se justifie selon les juges fédéraux essentiellement pour deux raisons21 : la première se rapporte à l’absence de tout intérêt d’intégration pour des personnes dont la présence en Suisse est en principe temporaire, et ne requiert aucun contact social durable ; la seconde se réfère à l’objectif de réduire l’incitation de demeurer en Suisse. La différenciation selon le statut, indique le Tribunal fédéral, est aussi reflétée dans la LAsi, qui établit une distinction nette entre l’aide sociale (fournie aux requérant-e-s dont la procédure d’asile est en cours), et l’aide d’urgence due aux personnes NEM ou déboutées22. La seconde est aux termes de l’art. 82 al. 4 LAsi inférieure à la première. La dichotomie légale et jurisprudentielle, opérée entre l’aide sociale (visant à satisfaire le minimum vital social), d’une part, et l’aide d’urgence (conçue comme une aide temporaire à la survie), d’autre part23, favorise une interprétation restrictive de l’art. 12 Cst.

Compte tenu du constat que le séjour « en principe temporaire » des personnes en situation irrégulière tend en réalité souvent à se prolonger, l’art. 12 Cst. confère-t-il, à partir d’un séjour d’une certaine durée, le droit de recevoir de l’argent de poche, ouvrant aux bénéficiaires un espace de liberté et leur permettant de couvrir des besoins sociaux psychiques et immatériels élémentaires ? Dans un arrêt rendu le 20 mars 2009, le Tribunal fédéral a laissé cette question ouverte au motif que le recourant avait, dans le cas d’espèce, la possibilité de gagner de l’argent de poche en participant à un programme d’occupation au centre d’hébergement24. Les juges fédéraux n’ont donc pas pris position sur la question de savoir si l’art. 12 Cst. consacre uniquement un droit à la survie physique ou vise également à assurer des besoins immatériels, de nature socio-culturelle. Au sujet du logement, le Tribunal fédéral précise dans le même arrêt que le séjour dans un lieu d’hébergement collectif est conforme aux exigences de l’art. 12

17 L’art. 12 Cst. consacre le « droit d’être aidé et assisté » (« Anspruch auf Hilfe und Betreuung ») en plus du droit de « recevoir les moyens indipsensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. » Pour l’aide immatérielle, cf. GÄCHTER/WERDER (note 15), n° 25 s.

18 ATF 121 I 367, c. 2.c. in JdT 1997 I 278; ATF 139 I 272 c. 3.2.; ATF 131 I 166 c. 8.2. et 8.5.

19 ATF 135 I 119 c. 6.

20 ATF 135 I 119 c. 5.4; ATF 131 I 166 c. 7.1.

21 ATF 139 I 272 c. 3.3 ; ATF 135 I 119 c. 5.4 ; ATF 131 I 166 c. 8.2. (se référant uniquement à la première raison mentionnée dans la suite du texte).

22 Art. 82 al. 1 LAsi.

23 Cf. ATF 138 V 310 c. 2.1. Pour une critique de la dissociation de l’aide d’urgence de l’aide sociale, cf. Jörg Paul MÜLLER, Verwirklichung der Grundrechte nach Art. 35 BV. Der Freiheit Chancen geben, Berne 2918, p. 180 s.

24 ATF 135 I 119 c. 7.5; ATF 136 I 254 c. 6.3.

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Cst. pour un jeune homme célibataire, sans problèmes médicaux attestés25. Ce raisonnement laisse entendre que le même type de logement serait contraire à la Constitution pour des personnes spécialement vulnérables26 (notamment des enfants, des personnes âgées, des femmes ayant fait l’objet d’agression sexuelle, ou des personnes souffrant d’un handicap ou atteintes dans leur santé physique ou mentale). En effet, le Tribunal fédéral a admis la nécessité d’individualiser des prestations dans son principe27, relevant que les besoins nutritionnels ne sont de toute évidence pas identiques selon que l’on a affaire à un nourrisson, une personne âgée ou en adolescent en pleine croissance. Il semble cependant plus exigeant en ce qui concerne le logement28. L’attribution d’une chambre privée pour des motifs de santé ne se justifie qu’en cas de « motifs impérieux »29. Statuant sur le recours d’un requérant qui souffrait de diabète nécessitant plusieurs injections d’insuline par jour, et qui présentait, de surcroît, selon un rapport médical, une vulnérabilité psychique, le Tribunal fédéral n’a pas suivi les avis médicaux recommandant le logement dans un appartement où le recourant pourrait lui-même préparer ses repas. Selon les juges de Mon Repos, « une contre-indication médicale absolue à un hébergement collectif » n’était pas établie30. De même, la pathologie du recourant n’excluait pas d’emblée de satisfaire ses besoins nutritionnels par des repas fournis dans les hébergements collectifs31. Quelques aménagements étaient cependant nécessaires pour tenir compte de l’état de santé du recourant (communication des plans de menu par avance, possibilité offerte au recourant d’en peser les composantes, accessibilité de compléments de boissons ou de nourriture sucrées pour pouvoir réagir en cas d’hypoglycémie, mise à disposition d’un endroit sûr et accessible en tout temps pour conserver ses médicaments et son matériel d’injection, ainsi que d’un lieu de soins à proximité en cas d’urgence médicale)32.

En résumé, le Tribunal fédéral adopte une approche largement déférente à l’égard des autorités cantonales. Bien qu’il admette en principe la nécessité d’assurer aux particuliers une vie conforme à la dignité humaine et d’individualiser les prestations pour tenir compte de la vulnérabilité particulière des bénéficiaires, il se montre réticent à remettre en cause un traitement largement standardisé. La différence de régime fondée sur un critère formel – le statut légal ou non de la personne –, admissible selon le Tribunal fédéral pour des considérations de politique migratoire, est peu propice à une prise en compte de la situation factuelle et des besoins réels des bénéficiaires. Jusqu’à ce jour, le Tribunal fédéral n’a à notre connaissance jamais admis un recours au motif que les prestations restaient en deçà du minimum requis par l’art. 12 Cst.

II. L’approche de la Cour constitutionnelle allemande

La Cour constitutionnelle allemande a jusqu’à présent rendu deux arrêts fondamentaux pour cerner le contenu du droit à des conditions minimales d’existence. Le premier arrêt, « Hartz

25 ATF 135 I 119 c. 6, confirmé dans ATF 139 I 272, c. 3.4 pour un hébergement dans un abri PC sous terre.

26 Voir ATF 139 I 272 c. 4., en lien avec le grief de l’art. 3 CEDH. Pour les groupes de personnes vulnérables, l’obligation de tenir compte de leurs besoins spécifiques découle aussi d’une interprétation de l’art. 12 Cst. à la lumière d’autres dispositions constitutionnelles ou conventionnelles (pour les enfants, voir l’art. 11 Cst. et les art.

23 ss de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (CDE ; RS 0.107) ; pour les personnes handicapées, cf. art. 8 al. 2 et 4 Cst. et la Convention relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006 (CRDPH ; RS 0.109).

27 ATF 131 I 166 c. 8.2.

28 ATF 131 I 166 c. 8.2.

29 Arrêt du TF 8C_459/2014 du 29 mai 2015, c. 5.

30 Arrêt du TF 8C_459/2014 du 29 mai 2015, c. 6.

31 Arrêt du TF 8C_459/2014 du 29 mai 2015, c. 7.1.

32 Arrêt du TF 8C_459/2014 du 29 mai 2015, c. 7.2.

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IV » du 9 février 201033 (A) s’inscrit dans un contexte politique très mouvementé. Il concerne une importante réforme du marché de travail et de la sécurité sociale en Allemagne (connue, d’après le nom de l’inspirateur de la restructuration de l’Etat providence sous la dénomination de « réforme Hartz »). L’arrêt porte plus précisément sur la pièce maîtresse des quatre « lois Hartz » entrées en vigueur entre 2003 et 2005, à savoir la loi « Hartz IV »34. Cette loi controversée réduit, d’une part, la durée de l’assurance chômage donnant droit aux allocations chômage (« Arbeitslosengeld 1 » (« ALG 1 ») et instaure, d’autre part, pour les personnes capables d’exercer une activité lucrative mais plus couvertes par l’assurance chômage des prestations en espèces nommées « Arbeitslosengeld 2 » (« ALG 2 »)35. Celles-ci sont jugées insuffisantes par les opposants de la réforme qui portent la législation devant la Cour constitutionnelle. L’ALG 2 concernait en 2010, année durant laquelle la Cour constitutionnelle a statué, 4'837’846 personnes36, ce qui correspondait à environ six pourcent de la population allemande. En termes monétaires, les prestations dues à titre de ALG 2 représentaient plus que quatre-vingt pourcent des dépenses sociales37.

Dans le second arrêt (B.), rendu le 20 juin 201238, la Cour constitutionnelle allemande a été appelée à statuer sur la constitutionnalité des prestations forfaitaires versées en vertu de la législation en matière d’asile (loi dite « Asylbewerberleistungsgesetz39 » [«AsylblG»]), qui s’applique aux personnes dans le domaine de l’asile indépendamment de leur statut régulier ou non et concerne donc tant les personnes dont la demande d’asile est en cours que les

33 BVerfGE 125, 175. Pour des commentaires, voir Isabelle BOURGEOIS, Arrêt de Karlsruhe à propos de Hartz IV : une loi conforme mais perfectible, Regards sur l’économie allemande, mars 2010, disponible sur http://rea.revues.org/4034 (consulté le 24 septembre 2018) ; Stefanie EGIDY, Casenote – The Fundamental Right to the Guarantee of a Subsistence Minimum in the Hartz IV Case of the German Federal Constitutional Court, German Law Journal 2011, p. 1961-1982 ; Claudia BITTNER, Casenote – Human Dignity as a Matter of Legislative Consistency in an Ideal World : The Fundamental Right to Guarantee a Subsistence Minimum in the German Federal Constitutional Court’s Judgment of 9 February 2010, German Law Journal 2011, p. 1941-1960 ; Ingrid LEIJTEN, The German right to an Existenzminimum, Human Dignity, and the Possibility of Minimum Core Socioeconomic Rights Protection, German Law Journal 2015, p. 23-48 ;ID., Core Socio-Economic Rights and the European Court of Human Rights, Cambridge etc. 2018, p. 171 ss ; Thorsten KINGREEN, Schätzungen „ins Blaue hinein“ : Zu den Auswirkungen des Hartz IV-Urteils des Bundesverfassungsgerichts auf das Asylbewerberleistungsgesetz, Neue Zeitschrift für Verwaltungsrecht (NVwZ), p. 558-562 ; Klaus MEßERSCHMIDT, The Good Shepherd of Karlsruhe. The "Hartz IV" Decision on Unemployment Benefits and Social Allowances – A Good Example of Judicial Review by the Federal Constitutional Court ?, in Patricia Popelier/Armen Mazmanyan/Werner Vandenbruwaene (éd.), The Role of Constitutional Courts in Multilevel Governance, Cambridge 2012, p. 235-247 ; Corinna SICKO, Erfüllen Gesetzesfolgenabschätzung und Gesetzesevaluation die verfassungsrechtlichen Anforderungen an das innere Gesetzgebungsverfahren ? Überlegungen anlässlich des

„Hartz-IV-Regelsatz-Urteils“, Zeitschrift für Rechtssoziologie 2011, p. 27-42 ; Inga T. WINKLER/Claudia MAHLER, Interpreting the Right to a Dignified Minimum Existence : A New Era in German Socio-Economic Rights Jurisprudence ?, Human Rights Law Review 2013, p. 388-401 ; Christian SEILER, Das Grundrecht auf ein menschenwürdiges Existenzminimum : Zum Urteil des Bundesverfassungsgerichts vom 9. 2. 2010, Juristenzeitung (JZ), 2010, p. 500-505. Pour une étude approfondie, cf. Jens-Hendrik HÖRMANN, Rechtsprobleme des Grundrechts auf Gewährleistung eines menschenwürdigen Existenzminimums. Zu den Auswirkungen des

„Regelleistungsurteils“ auf die „Hartz IV“-Gesetzgebung und andere Sozialgesetze, Studien zum Sozialrecht, Band 33, Hambourg 2013.

34 Loi du 24 décembre 2003, BGBl I 2003, p. 2954 portant modification au Code de droit social (« Sozialgesetzbuch »), disponible en ligne via le site https://www.gesetze-im-internet.de/index.html.

35 Ces prestations relèvent du livre II du Code social (SGB II). Les personnes qui ne sont pas capables d’exercer une activité lucrative peuvent prétendre à l’aide sociale, régie par le livre XII du Code social (SGB XII).

36 En 2018, 4'191’534 personnes reçoivent ces prestations. Voir les statistiques disponibles sur https://de.statista.com/statistik/daten/studie/1396/umfrage/leistungsempfaenger-von-arbeitslosengeld-ii- jahresdurchschnittswerte/ (consulté le 2 octobre 2018).

37 HELENE ROTH, Pauvreté et aide sociale en Allemagne – talon d’Achille du modèle allemand ?, Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], n° 93-2, 2016, n° 12, mis en ligne le 22 janvier 2018, disponible sur http://journals.openedition.org/bagf/883 ; DOI : 10.4000/bagf.883 (consulté le 1 octobre 2018).

38 BVerfGE 132, 134.

39 Loi du 5 août 1997, BGBl. I 1997, p. 2022 (dernière révision du 17 juillet 2017, BGBl. I p. 2541), accessible sur https://www.gesetze-im-internet.de/asylblg/AsylbLG.pdf.

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personnes déboutées ou admises à titre provisoire. En termes quantitatifs, le nombre de bénéficiaires des prestations dues en vertu de l’AsylblG se chiffrait au 31 décembre 2017 à 468’48840.

A. L’arrêt Hartz IV

L’arrêt Hartz IV est fondateur tant sur le principe d’un droit fondamental à la garantie des conditions minimales d’existence digne (« Grundrecht auf Gewährleistung eines menschenwürdigen Existenzminimums ») que sur la détermination du contenu de ce droit.

S’appuyant sur la jurisprudence antérieure, la Cour constitutionnelle reconnaît explicitement l’existence du droit fondamental mentionné, droit déduit de la dignité humaine (art. 1 LF41) et du principe de l’état social (art. 20 al. 1 LF)42. Comme l’art. 12 Cst., ce droit consacre des prétentions justiciables à l’égard de la collectivité publique. Il couvre uniquement les moyens indispensables pour assurer une existence conforme à la dignité humaine et garantit l’ensemble des conditions d’existence43. Conçu comme une garantie unique (« einheitliches Grundrecht »), le droit à des conditions minimales d’existence digne englobe non seulement les besoins de base nécessaires à la survie physique (« physisches Existenzminimum ») comme les aliments, les vêtements, les objets de ménage, le logement, le chauffage, l’hygiène et les soins de santé mais aussi les besoins socio-culturels élémentaires (« soziokulturelles Existenzminimum »)44. Cette dernière composante – qui ne trouve aucune mention explicite dans la jurisprudence du Tribunal fédéral – garantit la possibilité d’entretenir des relations interpersonnelles et un minimum de participation à la vie sociale, culturelle et politique. Elle tient compte du fait que l’être humain, en tant que tel, se réalise forcément dans les relations avec autrui.

Dans un raisonnement semblable à celui du Tribunal fédéral, la Cour relève que des prestations précises, voire chiffrables dues en vertu du droit à des conditions minimales d’existence ne peuvent pas être déduites directement de la Constitution, mais doivent être concrétisées par le pouvoir législatif. Celui-ci est libre de déterminer les modalités des prestations qui peuvent être fournies en espèces, en nature, ou sous forme de services45. La marge d’appréciation du législateur est cependant plus étroite pour la détermination des prestations visant à couvrir les besoins physiques que pour celles ayant pour but de satisfaire des besoins immatériels46. Cette marge d’appréciation concédée au législateur a pour corollaire un pouvoir de cognition restreint de la Cour constitutionnelle. L’examen matériel du juge constitutionnel se limite à vérifier si les prestations sont manifestement insuffisantes47.

Le contrôle restreint du contenu des prestations ressemble à l’approche adoptée par le Tribunal fédéral. Les juges de Mon Repos et de Karlsruhe divergent cependant sur un point essentiel : la Cour constitutionnelle allemande relève dans l’arrêt Hartz IV que le contrôle matériel limité nécessite à titre compensatoire un contrôle de nature procédurale48 : il incombe à la Cour constitutionnelle d’examiner les bases et la méthode appliquées pour déterminer les prestations concrètes en vue de s’assurer qu’elles tiennent compte de l’objectif du droit

40 Voir Statistisches Bundesamt (Destatis), Sozialleistungen. Leistungen an Asylbewerber, Fachserie 13 Reihe 7, 23 août 2018, disponible sur https://www.destatis.de/DE/Publikationen/Thematisch/Soziales/

Asylbewerberleistungen/Asylbewerber2130700177004.pdf?__blob=publicationFile (consulté le 2 octobre 2018).

41 Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949 (une version française est disponible via le site https://www.bundestag.de, consulté le 2 octobre 2018).

42 BVerfGE 125, 175 (222).

43 BVerfGE 125, 175 (222).

44 BVerfGE 125, 175 (223).

45 BVerfGE 125, 175 (224).

46 BVerfGE 125, 175 (225).

47 BVerfGE 125, 175 (226).

48 BVerfGE 125, 175 (226).

(9)

fondamental à des conditions d’existence digne49. La Cour pose ensuite les exigences qui servent de référentiel au contrôle procédural50. Elle relève, tout d’abord, que le législateur doit concrétiser toutes les prestations en utilisant une méthode appropriée (« sachgerecht »), qui vise à déterminer tous les éléments nécessaires d’une existence digne en se fondant sur les besoins effectifs et actuels. En d’autres termes, la méthode doit être axée sur la réalité (« realitägsgerecht

»), ce qui implique que les faits soient établis de façon complète et exacte et que les prestations soient continuellement revues pour être adaptées à la réalité économique et sociale51. La Cour constitutionnelle requiert aussi une approche cohérente52 : la Constitution ne dictant pas le choix d’une méthode déterminée, le législateur est libre d’en déterminer une, pourvu qu’elle soit appropriée. Une fois qu’il a opté pour une méthode, il ne peut cependant pas s’en écarter sans justification objective. Enfin, les juges de Karlsruhe fixent des exigences en matière de transparence53 : le contrôle procédural exercé par la Cour suppose que le législateur rende public, de façon compréhensible (« nachvollziehbar ») la méthode et les différentes étapes du calcul54.

Ayant posé ces paramètres, la Cour vérifie par la suite la conformité de la loi Hartz IV aux exigences procédurales. Cet examen porte essentiellement sur la détermination d’un montant forfaitaire (« Regelsatz ») conçu comme un soutien temporaire dont bénéficie une personne en quête d’emploi. Le montant (à l’époque du jugement de 345 € par mois pour une personne célibataire, et de 416 € par mois en 201855) vise à satisfaire des besoins courants et s’ajoute à la prise en charge d’autres besoins, notamment aux frais de logement56. Le montant forfaitaire n’est aux yeux de la Cour pas manifestement insuffisant57. Pour déterminer les montants des différents postes, le législateur a utilisé une méthode dite statistique (prenant comme base les revenus et la consommation des 20% de ménages à une personne aux revenus nets les plus bas), méthode en principe considérée comme étant appropriée par la Cour constitutionnelle58. Les juges de Karlsruhe estiment, cependant, que le législateur n’a pas satisfait l’exigence de cohérence en s’écartant « sans justification objective des principes structurants du modèle statistique qu’il avait lui-même choisi 59». En effet, certains postes n’ont pas été pris en compte (notamment en matière de formation), et pour d’autres, les chiffres ont été adaptés, « à l’aveuglette » (« ins Blaue hinein »60), à savoir sans fondement empirique suffisant. La Cour relève également que les besoins atypiques permanents ne sont pas suffisamment pris en compte dans les montants forfaitaires, la législation devant prévoir une clause de rigueur pour permettre une couverture adéquate de ces besoins61. De surcroît, l’évaluation des besoins des enfants est insatisfaisante. Le législateur a arrêté le forfait mensuel à hauteur de 60% du forfait pour un adulte, sans fondement empirique prenant en compte les spécificités des enfants qui

« ne sont pas des adultes en miniature » (« Kinder sind keine kleinen Erwachsenen »62). Leurs besoins doivent être évalués compte tenu des « phases dans l’évolution de l’enfance et de ce qui est nécessaire au développement de sa personnalité »63. En particulier, les dépenses nécessaires en lien avec l’école (calculatrices, manuels scolaires, etc.) doivent être couvertes, faute de quoi l’égalité des chances des enfants serait prétéritée ; ce qui serait contraire aux

49 BVerfGE 125, 175 (226).

50 BVerfGE 125, 175 (224 s.).

51 BVerfGE 125, 175 (225).

52 BVerfGE 125, 175 (225).

53 BVerfGE 125, 175 (225).

54 BVerfGE 125, 175 (226).

55 Voir les chiffres sur l’évolution du forfait disponible sur https://www.hartziv.org/regelbedarf.html (consulté le 20 septembre 2018).

56 Pour les postes couverts, voir https://www.hartziv.org, consulté le 20 septembre 2018.

57 BVerfGE 125, 175 (227), cité selon la traduction de BOURGEOIS (note 33), n° 8.

58 BVerfGE 125, 175 (232 ss).

59 BVerfGE 125, 175 (238).

60 BVerfGE 125, 175 (238).

61 BVerfGE 125, 175 (255).

62 BVerfGE 125, 175 (246).

63 BVerfGE 125, 175 (246), traduction libre par l’auteure.

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deux principes fondateurs du droit à des conditions d’existence, la dignité humaine et le principe de l’état social.

Ayant constaté que la détermination du montant forfaitaire est entachée de plusieurs vices et est partant inconstitutionnelle, la Cour impartit au législateur un délai au 31 décembre 2010 pour arrêter les montants forfaitaires dans une procédure conforme aux exigences procédurales de l’arrêt Hartz IV64. Les nouveaux montants n’auraient pas d’effet rétroactif au moment du prononcé de l’arrêt, compte tenu des implications financières considérables. Ils seraient cependant applicables à partir du 1 janvier 2011 pour éviter que le législateur ne puisse tirer profit d’un éventuel manque de réactivité65. Une modification législative mettant en œuvre l’arrêt Hartz IV est entrée en vigueur à la date fixée par le juge constitutionnel. Elle a également été portée devant la Cour de Karlsruhe. Dans un arrêt rendu le 23 juillet 201466, la Cour constitutionnelle a exprimé certaines réserves à l’égard de la nouvelle législation mais a néanmoins rejeté le recours, ceci nonobstant le fait que le nouveau montant forfaitaire (€ 364 par mois) fixé dans la législation querellée correspondait au même chiffre qui aurait été obtenu en application de la législation désavouée dans l’arrêt Hartz IV67. Elle a en effet considéré que le nouveau forfait se fondait sur une méthode conforme à ses propres exigences.

B. L’arrêt sur les prestations sociales en matière d’asile

Deux années après l’arrêt Hartz IV, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur les montants forfaitaires dus aux personnes relevant du domaine de l’asile, lesquels se situaient à 35% au- dessous des forfaits ALG 268. Compte tenu de cet écart, et eu égard au fait que les montants n’avaient pas été revus depuis 1993 malgré une hausse des prix significative, la Cour conclut que les prestations étaient manifestement insuffisantes et violaient donc le droit à des conditions d’existence digne dans son volet matériel69. Elle a retenu de surcroît une violation sous l’angle procédural. Le législateur a failli à son devoir de déterminer les montants selon une procédure transparente et appropriée visant à établir les besoins effectifs et actuels des bénéficiaires70. En plus des exigences procédurales, qui s’imposent au législateur, celui-ci est selon la Cour aussi tenu au respect des standards pertinents qui découlant des conventions internationales des droits humains ratifiées par l’Allemagne,y compris les normes spécifiques relatives aux droits de l’enfant71.

Par un raisonnement qui tranche avec celui du Tribunal fédéral, la Cour souligne que des différenciations entre diverses catégories de personnes doivent se fonder sur des données empiriques montrant, de façon transparente, des écarts significatifs entre les besoins réels des différents groupes. Une différenciation qui se fonde sur le critère du statut régulier ou non des bénéficiaires ne satisfait pas à ces exigences72. Il incombe au législateur de démontrer concrètement en quoi un séjour temporaire implique des besoins moindres qu’un séjour permanent, tout en tenant compte des besoins supplémentaires générés par un séjour de courte durée73. Les juges de Karlsruhe se montrent critiques à l’égard du lien établi entre le statut juridique du bénéficiaire et la durée du séjour. La présomption prévue dans la législation selon laquelle le séjour des personnes en situation irrégulière serait de courte durée

64 BVerfGE 125, 175 (258).

65 BVerfGE 125, 175 (258 s).

66 BVerfGE 137, 34.

67 BVerfGE 137, 34 (80).

68 BVerfGE 132, 134 (147).

69 BVerfGE 132, 134 (166).

70 BVerfGE 132, 134 (166).

71 BVerfGE 132, 134 (162).

72 BVerfGE 132, 134 (164).

73 BVerfGE 132, 134 (164).

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est qualifiée de problématique à l’aune de la Constitution74, qui exige une évaluation des besoins factuels et actuels. A partir d’un séjour de quatre ans, conclut la Cour, le séjour ne pourrait en tout cas plus être qualifié de temporaire75.

La Cour insiste en outre sur le fait que même la perspective d’un séjour de courte durée ne justifie pas de réduire les prestations à la satisfaction des besoins physiques, le droit à des conditions d’existence digne étant un droit unique englobant un minimum de besoins tant physiques que socio-culturels76. Dans les paroles de la Cour, « [l]es ressortissants étrangers ne perdent pas le statut en tant qu’individus sociaux par le fait de quitter leur pays et de séjourner de façon temporaire en Allemagne. »77 Dans un raisonnement aux antipodes de celui du Tribunal fédéral, les juges écartent des considérations de politique migratoire :

« Des considérations de politique migratoire visant à garder les prestations à un niveau bas pour ne pas créer des incitations à des flux migratoires par un niveau de prestations qui serait éventuellement élevé en comparaison internationale ne peuvent d’emblée pas justifier de réduire des prestations en dessous des standards des conditions minimales d’existence physique et socio-culturelle. La dignité humaine, garantie à l’art. 1 al. 1 LF, ne peut pas être relativisée pour des raisons de politique migratoire. 78»

A la suite de ces critiques et admonestations tranchantes adressées au législateur, la Cour constitutionnelle s’est aussi montrée sévère dans le dispositif de l’arrêt. La nature manifestement insuffisante des prestations et l’absence de perspective d’une adaptation législative dans un délai raisonnable vont amener la Cour à établir elle-même une solution transitoire79. Cette solution reprend la législation adoptée pour établir le montant forfaitaire ALG 2 conformément aux critères posés dans l’arrêt Hartz IV. Les forfaits ALG 2 sont appliqués depuis l’entrée en vigueur de la loi, soit à la fin de la période transitoire arrêtée dans l’arrêt Hartz IV (le 1er janvier 2011) aussi aux personnes relevant du domaine du droit d’asile.

En conférant un effet rétroactif à son arrêt du 20 juin 2012 et en optant pour une solution transitoire permettant aux étrangers relevant du domaine de l’asile de prétendre au même niveau de prestations que les citoyen-ne-s allemand-e-s aptes à exercer un emploi, la Cour a créé une forte incitation pour le législateur à revoir la législation jugée inconstitutionnelle. Une révision du AsylbLG a été adoptée le 18 décembre 2014 et est entrée en vigueur le 1er mars 2015. La législation révisée augmente le forfait dû au bénéficiaire en prenant le forfait ALG 2 comme référence et prévoit, à partir d’un séjour de 15 mois en principe, des prestations analogues à l’aide sociale80. A la différence du forfait ALG 2, le forfait dû aux personnes relevant de l’asile n’a cependant pas été revu depuis lors, contrairement aux exigences procédurales posées par la Cour constitutionnelle81. A cela s’ajoute que des révisions subséquentes ont introduit une palette large de motifs permettant de réduire les prestations pour sanctionner toute une série de comportements « abusifs » ou « non coopératifs » qui entravent l’éloignement des personnes sans droit de séjour en Allemagne82. Ces sanctions permettent en substance de réduire les prestations aux conditions minimales d’existence physique en contradiction avec la vision de la Cour de Karlsruhe d’un droit unique, couvrant les besoins physiques et socio-économiques, et ne pouvant être relativisé pour des considérations de politique migratoire.

74 BVerfGE 132, 134 (172).

75 BVerfGE 132, 134 (172).

76 BVerfGE 132, 134 (172).

77 BVerfGE 132, 134 (172), traduit par l’auteure.

78 BVerfGE 132, 134 (173), traduit par l’auteure.

79 BVerfGE 132, 134 (174 ss).

80 Pour l’aide sociale en Allemagne, cf. note de bas de page 35.

81 Cf. Georg CLASSEN, Leitfaden zum Asylbewerberleistungsgesetz, état 5 septembre 2018, disponible sur http://www.fluechtlingsinfo-berlin.de/fr/asylblg/Leitfaden_AsylbLG.pdf, consulté le 18 octobre 2018. Le texte sera publié dans un ouvrage en automne 2018 qui pourra être commandé via le lien www.dvs-buch.de.

82 Ibid.

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III. Remarques comparatives et conclusives

Une comparaison entre la jurisprudence du Tribunal fédéral et celle de la Cour constitutionnelle allemande montre tant des convergences que des divergences. Les deux cours suprêmes ont reconnu le droit à des conditions minimales d’existence comme un droit fondamental non écrit, en se fondant sur la dignité humaine. Celle-ci est la ligne directrice pour déterminer le contenu de cette garantie fondamentale. Malgré ce fondement commun, le Tribunal fédéral et les juges de Karlsruhe ne semblent pas partager une conception identique du droit : alors que la Cour constitutionnelle allemande consacre le droit à des conditions minimales d’existence comme un droit unique couvrant aussi bien les besoins physiques que socio-culturels, le Tribunal fédéral semble pencher en faveur d’une conception plus étroite qui verrait l’art. 12 Cst. comme une garantie visant à sauvegarder la survie physique83. Le contexte législatif dans lequel opèrent les deux juridictions est un des facteurs qui explique probablement ces visions différentes. Dans l’ordre juridique suisse, l’aide d’urgence intervient subsidiairement à l’aide sociale et les deux types d’aides sont clairement distingués dans la LAsi. Cette approche favorise une conception de l’aide d’urgence qui se distingue nettement de l’aide sociale : le droit à des conditions minimales d’existence est défini comme un droit à la survie physique par contraste à l’aide sociale qui consacre un minimum vital social destiné à permettre la participation à la vie sociale et professionnelle. En revanche, l’ordre juridique allemand ne connaît pas une différence conceptuelle analogue. Le droit à des conditions minimales d’existence a été reconnu en lien avec une législation (Hartz IV) qui ressemble à la réglementation en matière d’aide sociale suisse, ce qui a été propice à sa conception plus généreuse incluant explicitement les besoins socio-culturels.

Concernant les prestations concrètes qui découlent du droit à des conditions minimales d’existence, le Tribunal fédéral et la Cour constitutionnelle allemande convergent dans la mesure où les deux juridictions font preuve de retenue. Elles refusent d’énoncer un montant chiffré et admettent que les prestations peuvent être fournies en espèces ou en nature. Pour déterminer si les prestations allouées sont suffisantes en vue de mener une vie conforme à la dignité humaine, les deux cours concèdent aux législateurs une marge de manœuvre considérable. A la différence du Tribunal fédéral, la Cour constitutionnelle allemande n’a cependant pas hésité à qualifier les prestations de « manifestement insuffisantes » dans son arrêt sur les prestations octroyées dans le domaine de l’asile. Ce constat d’insuffisance est étroitement lié au contrôle procédural auquel procède la Cour constitutionnelle allemande, lequel n’a pas d’équivalent dans la jurisprudence des juges fédéraux. Les arrêts au sujet du droit à des conditions minimales d’existence s’inscrivent en Allemagne dans un « tournant légistique »84 dans le contrôle de constitutionnalité des lois. Les diverses exigences posées par la Cour (choix d’une procédure appropriée pour déterminer les besoins réels des bénéficiaires des prestations, exigence de cohérence et de transparence, obligation de suivi et d’adaptation des prestations) s’inspirent en effet des préceptes de légistique. Comme le relève Popelier, l’approche intégrant ces préceptes dans le contrôle de constitutionnalité des lois reflète une conception de la légitimité du pouvoir législatif selon laquelle

« [l]a rationalité du législateur, jadis un axiome juridique lié à la souveraineté du parlement, n’est plus une présomption irréfragable. Loin de là, le législateur est forcé de justifier la légitimité et la rationalité de ses

83 Pour les différentes positions doctrinales sur la portée de l’art. 12 Cst., cf. GÄCHTER/WERDER (note 15), n° 27.

84 Alexandre FLÜCKIGER,(Re)faire la loi. Traité de légistique pour penser l’impact de la loi à l’ère du droit souple paraître), texte accompagnant la note de bas de page 640, se référant à la contribution de Angel Daniel OLIVER- LALANA/Klaus MEßERSCHMIDT, On the "Legisprudential Turn" in Constitutional Review: An Introduction, in Angel Daniel Meßerschmidt/Oliver-Lalana (éd.), Rational Lawmaking under Review: Legisprudence According to the German Federal Constitutional Court, Berlin 2016, p. 1. Un tournant légistique est aussi présent dans la jurisprudence de la CourEDH (GC), n° 48876/08, Animal Defenders International c. Royaume-Uni (2013) ; cf.

FLÜCKIGER, précité, texte accompagnant la note de bas de page 2276.

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produits législatifs, en convainquant le citoyen et le juge qu’il a pris ces mesures en connaissance de cause et sur base d’une soigneuse balance des intérêts. « Taking facts seriously devient insensiblement la nouvelle devise, pour le législateur comme pour le juge constitutionnel. »85

La nécessité de « prendre les faits au sérieux » est mise en exergue dans la jurisprudence allemande. Le législateur se doit d’établir les besoins effectifs et actuels des personnes, ce qui implique que la détermination des prestations se fonde sur des données empiriques. Cette approche conduit les juges de Karlsruhe à rejeter une approche schématique et formaliste.

L’argumentation de la Cour au sujet des enfants – dont il convient d’évaluer les besoins propres – en est un parfait exemple. Le raisonnement critiquant la présomption législative selon laquelle le séjour en Allemagne des requérant-e-s d’asile sans statut légal serait de courte durée est aussi illustratif. Aux yeux de la Cour, les prestations doivent être déterminées en adéquation avec la durée réelle du séjour et les besoins effectifs. Même pour des séjours de courte durée, il convient d’établir concrètement en quoi les besoins des personnes concernées seraient moindres que ceux des personnes résidant en Allemagne pour une plus longue durée.

Le raisonnement de la Cour constitutionnelle, soulignant l’obligation de déterminer et d’adapter les prestations en fonction de la durée du séjour des bénéficiaires, est à notre sens plus convaincant que l’approche du Tribunal fédéral qui accorde un poids trop important à un facteur formel, la régularité du séjour. L’approche fondée sur les besoins effectifs, démontrés de façon concrète, va de pair avec le rejet d’autres considérations inadéquates compte tenu de la finalité du droit à des conditions minimales d’existence – assurer une vie conforme à la dignité humaine - et de la nature de droit humain de cette garantie. Contrairement au Tribunal fédéral, la Cour constitutionnelle rejette des considérations de politique migratoire et exclut l’incitation au départ comme facteur pertinent pour déterminer les prestations dues aux bénéficiaires en situation illégale. Partant de la prémisse que le droit à des conditions minimales d’existence est une garantie unique, qui couvre tant les besoins physiques que les besoins immatériels (socio-culturels) de tout être humain, la Cour constitutionnelle s’oppose à la réduction des prestations dues aux requérant-e-s d’asile à des conditions minimales d’existence physiques, ce qui semble admissible selon le Tribunal fédéral. Les besoins socio- culturels ne sont en effet pas pris en considération dans la jurisprudence helvétique au motif qu’il n’y aurait aucun intérêt d’intégration pour des personnes dont la présence en Suisse est en principe temporaire, et ne requiert donc aucune nécessité d’établir des contacts sociaux durables. Cette approche tranche avec l’affirmation de la Cour constitutionnelle allemande selon laquelle « [l]es ressortissants étrangers ne perdent pas le statut en tant qu’individus sociaux par le fait de quitter leur pays et de séjourner de façon temporaire en Allemagne. »86 La jurisprudence helvétique sur l’art. 12 Cst. serait plus conforme à la finalité et à la nature du droit à des conditions minimales d’existence si elle s’écartait des considérations d’ordre formel au profit d’une approche fondée sur la situation factuelle et les besoins réels des bénéficiaires de prestations. Une transposition intégrale des exigences procédurales développées par la jurisprudence allemande en Suisse ne serait toutefois pas sans poser problème. En effet, l’arrêt Hartz IV a donné lieu à de vives controverses, qui ont poussé le président de la Cour constitutionnel allemande à préciser la portée du jugement dans la presse et à réfuter la critique selon laquelle la Cour aurait prétendu redéfinir l’Etat social87. En Suisse, un reproche analogue se heurterait au fait que la jurisprudence sur le droit aux conditions minimales d’existence ne touche pas à l’instrument principal de l’Etat social (les assurances sociales ou l’aide sociale) mais uniquement un filet de secours subsidiaire destiné à une partie minime (environ un pour mille) de la population. En réalité, l’aide d’urgence, contrairement à la législation Hartz IV, ne concerne que marginalement les citoyen-ne-s suisses et touche

85 Cf. Patricia POPELIER, Le droit constitutionnel en contexte, Revue interdisciplinaire d'études juridiques 2013, p.

149-164, p. 150.

86 Voir supra, II.B. et note de bas de page 78.

87 BOURGEOIS (note 33), p. 33.

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essentiellement des requérant-e-s d’asile dont le séjour est illégal en Suisse. Vu la politisation des questions de migration, ce fait ne serait pas propice à la réception sereine d’une jurisprudence analogue aux deux arrêts allemands discutés dans cette contribution. A cela s’ajoute le fait que le scepticisme à l’égard du contrôle de constitutionnalité des lois est nettement plus fort en Suisse qu’en Allemagne. Les réserves exprimées par une partie de la doctrine allemande88 à l’égard du contrôle procédural de la législation seraient amplifiées en Suisse. L’on reprocherait sans doute aux juges fédéraux de limiter de façon excessive la marge de manœuvre politique du législateur et de méconnaître le fonctionnement du processus politique, qui n’est pas nécessairement orienté vers la solution la plus rationnelle mais appelle des compromis politiques89, particulièrement dans la démocratie helvétique de concordance.

Ce dernier argument aurait plus de force si le contrôle judiciaire des exigences procédurales était généralisé et s’exerçait sur un champ assez large90. Appliqué aux droits à des conditions minimales d’existence, il doit à notre sens être nuancé. Comme le champ d’application et l’essence de ce droit coïncident91, il nous semble difficilement conciliable avec la nature de garantie minimale de ce droit que la détermination de son contenu soit laissée exclusivement aux tractations politiques, sans que des exigences d’ordre méthodologique ne posent un cadre, lequel peut par ailleurs être plus ou moins large selon l’intensité du contrôle judiciaire92. L’absence de telles exigences conduit à une distinction entre l’aide d’urgence et l’aide sociale qui semble paradoxale, compte tenu du fait que la première forme d’aide, moins étendue que la seconde, rend les bénéficiaires plus vulnérables à toute tentative de relativisation par le politique. En effet, dans le domaine de l’aide sociale, « le souci de justifier scientifiquement le montant nécessaire à la couverture des besoins de base était présent de tout temps »93. Le forfait pour l’entretien fixé par les normes CSIAS se fonde ainsi sur des données statistiques des revenus et de la consommation94, une méthodologie semblable à celle utilisée pour arrêter les forfaits Hartz IV en Allemagne. Un contrôle judiciaire sous l’angle procédural pourrait inciter des réflexions méthodologiques et scientifiques sur la détermination de l’aide d’urgence (par exemple dans le cadre de la CSIAS) et conduire à une plus grande uniformité des pratiques cantonales.

L’exemple de l’Allemagne nous met toutefois en garde de ne pas surestimer l’emprise des exigences procédurales sur le politique95. Comme nous l’avons vu, la révision de la loi Hartz IV qui a fait suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle a conduit au montant forfaitaire voulu par les décideurs politiques. Il ne convient pas non plus de surestimer l’emprise du juge constitutionnel sur le politique, surtout dans le domaine de la politique migratoire : la

88 Voir p.ex. DANN (note 33), p. 630, 634, 637 s. ; BITTNER (note 33), p. 1954.

89 Cf. DANN (note 33), p. 640 s.

90 Dans ce sens SICKO (note 33), p. 39, qui met en garde contre un champ d’application trop large des exigences procédurales formulées dans l’arrêt Hartz IV.

91 Cf. ATF 142 I 1 c. 7.2.4.

92 A titre d’exemple, des exigences moins élevées que celles posées dans la jurisprudence allemande découlent de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud, qui revoit les politiques publiques dans le domaine des droits sociaux sous l’angle de la « reasonableness ». (Cf. Government of the Republic of South Africa and Others v. Grootboom and Others 2001 (1) SA 46 (CC), § 39 ss ; Minister of Health and Others v.

Treatment Action Campaign and Others (No 2), 2002 (5) SA 721 (CC), § 123 ; pour un aperçu de cette jurisprudence, et une critique d’un arrêt plus récent, cf. Murray WESSON, Reasonableness in Retreat ? The Judgment of the South African Constitutional Court in Mazibuko v City of Joh[a]nnesburg, Human Rights Law Review 2011, p. 390 ss). Le critère de « reasonableness » est aussi prévu à l’art. 8 al. 4 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 10 décembre 2008 (Doc. NU A/63/435) : « Lorsqu’il examine les communications qu’il reçoit en vertu du présent Protocole, le Comité détermine le caractère approprié des mesures prises par l’État Partie [en anglais : reasonableness of the steps taken by the State Party], conformément aux dispositions de la deuxième partie du Pacte. Ce faisant, il garde à l’esprit le fait que l’État Partie peut adopter un éventail de mesures pour mettre en œuvre les droits énoncés dans le Pacte. »

93 CSIAS, Le minimum vital social de l’aide sociale. Document de base de la CSIAS, Berne 2016, p. 9.

94 Ibid., p. 10.

95 Cf. EGIDY (note 33), p. 1982.

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législation allemande en matière d’asile permettant de réduire les prestations à la couverture des besoins physiques à titre de sanction montre les réticences du parlement à mettre en œuvre la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. L’influence limitée du juge constitutionnel est le résultat de l’opposition entre deux logiques contradictoires : la logique humanitaire, défendue par la Cour constitutionnelle – visant à protéger la dignité humaine de toute personne de manière égale, quels que soient sa nationalité et son titre de séjour – et la logique qui sous-tend la politique migratoire, soit l’incitation des personnes déboutées au départ. Le poids du juge constitutionnel ne suffit pas pour assurer que la première logique ne soit marginalisée par la seconde. Le concours d’autres pouvoirs est nécessaire. Le constituant genevois a joué son rôle en consacrant le « droit à un niveau de vie suffisant » (art. 39 Cst.GE), libellé de façon plus généreuse que l’art. 12 Cst. Il revient maintenant aux autres pouvoirs d’assurer que la dignité humaine ne soit pas remise en question pour des considérations de politique migratoire96.

96 Voir la citation de la Cour constitutionnelle allemande, supra, texte accompagnant la note de bas de page 78.

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