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Alcoolisme et vodka: les nouveaux chiffres de l’équation russe

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412 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 12 février 2014

actualité, info

Alcoolisme et vodka : les nouveaux chiffres de l’équation russe

Publication étonnante, il y a quelques jours, dans The Lancet.1 Publication médicale bien évidemment, mais comportant de considé- rables résonances à la fois démographiques et économiques, politiques et diplomati ques.

Au centre de ces questionnements, la vodka et la Russie. On sait que pour les spécialistes d’alcoologie une molécule d’alcool en vaut une autre. Bière industrielle, rhum des An- tilles ou pinot noir des Amoureuses (Cham- bolle-Musigny). Sans doute ont-ils raison.

Peut-on pour autant passer sous silence la dimension topographique des imprégnations alcooliques ? Guerre froide ou pas, le terri- toire du bourbon n’est pas celui de la vodka ; le cognac continue sa progression asiatique tandis que les adolescents du nord du Vieux Continent expérimentent sauvagement les bitures express avec tout ce qui, alcool et sucre, permet une perte rapide de conscience.

Vodka. Boisson alcoolique incolore titrant (généralement) entre 40 et 45 degrés. Eau- de-vie issue de la fermentation-distillation de pomme de terre ou de céréales (blé, sei- gle), voire de betterave. «Alcool national»

en Rus sie, Pologne, Ukraine et Finlande, la vodka pénètre aussi sous différentes lati- tudes via la mode des «cocktails». On compte désormais plusieurs milliers de marques commer ciales d’origines et de qualités émi- nemment variables.

Historiquement, elle fut d’abord perçue comme un possible médicament avant de devenir rapidement l’objet d’engouements festifs et destructeurs – dans la population russe comme dans celle d’autres pays d’Eu- rope centrale et du Nord. Puis, elle devint progressivement, à compter du XVIIIe siè cle, le principal vecteur du fléau de l’alcoolisme – notamment en Russie. Trois siècles plus tard, rien sur le fond n’a changé.

Comment comprendre ? Est-ce l’âme slave ? Les exaltations bipolaires qui portent ce nom – merveilleusement traduites par Kessel et auxquelles le romantisme va si bien ? Toujours est-il, comme le rapporte The Lancet, que la Russie porte aujourd’hui à la quintessence la question de l’alcoolisme. Jusqu’à soulever la problématique du suicide lent et collectif.

Quel pays du Vieux Continent accepterait sans ciller que 25% de ses hommes meurent avant l’âge de 55 ans ? En Grande-Bretagne (qui s’y connaît en alcools de grains et où l’alcoolisme de masse inquiète depuis long-

temps le gouvernement et les autorités sani- taires), cette mortalité masculine très pré- maturée «n’est que» de 7%. Sait-on que l’es- pérance de vie moyenne à la naissance pour les hommes en Russie est de 64 ans ? Que, sur ce critère, la Russie figure parmi les cin- quante derniers pays du monde ?

Déni ou pas, tout cela ne semble guère émouvoir ce pays. La publication du Lancet est le fruit d’une étude, toujours en cours, com mencée il y a quinze ans ; une étude finan cée par le Conseil britannique de recher- che médicale, la British Heart Foundation,

le Cancer Research UK, l’Union européenne et l’Agence internationale de l’OMS pour la recherche sur le cancer.

Elle dresse l’état actuel des lieux alcoo- liques à partir d’une cohorte de 151 000 hom- mes. C’est une étude prospective menée sous la prestigieuse férule de Sir Richard Peto (Clinical Trial Service Unit et études d’unité épidémiologique, Université d’Oxford). Le coauteur principal est le Dr Paul Brennan (Centre international de recherche sur le cancer ; OMS, Lyon) et le premier auteur est le Pr David Zaridze, Russian Cancer Re- search Centre, Moscou).

On a demandé aux 151 000 volontaires quel les étaient leurs habitudes de consom- mation concernant la vodka. On les a suivis pendant une dizaine d’années – période du- rant laquelle environ 8000 sont morts. «Les deux études ont révélé des risques plus éle- vés de décès chez les hommes qui buvaient plus de trois bouteilles de vodka par semaine que chez les hommes qui en buvaient moins d’une bouteille par semaine», peut-on lire

dans le communiqué de presse du Lancet, communiqué largement repris par la presse anglo-saxonne et en partie par l’allemande.

«Certains des volontaires qui avaient dit au départ être des petits buveurs sont deve- nus, plus tard, des gros buveurs et vice-versa, souligne le Dr Brennan. Les différences de mortalité que nous avons observées doivent sensiblement sous-estimer les dangers réels de l’abus d’alcool persistant.» Les chercheurs estiment que le risque de mourir dans les vingt prochaines années chez les fumeurs âgés de 35 à 54 ans est de 35% pour ceux qui déclarent boire un demi-litre ou plus de vodka par semaine. Ce risque est de 16%

chez ceux qui déclarent boire moins d’un demi-litre. Soit des risques respectifs de mou- rir entre 55 et 74 ans de 64 et 50%.

Aucune originalité physiopathologique : les excès de mortalité prématurée chez les grands buveurs sont les conséquences direc- tes ou indirectes des grandes intoxications alcooliques : les accidents, la violence, le sui- cide et les principales pathologies associées.

A savoir, dans la Russie d’aujourd’hui : can- cers de la gorge, du foie, tuberculose, pneu- monies, pancréatites, affections hépatiques.

L’évolution des données épidémiologiques de mortalité sont pleinement compatibles avec les fluctuations observées ces trente der- nières années dans les politiques publiques en matière de restrictions d’alcool sous les présidents Gorbatchev, Eltsine et Poutine.

La vente et la production de vodka furent sérieusement limitées de l’époque d’Andro- pov jusqu’à celle de Gorbatchev. Incompa- tible avec les libertés publiques, le commu- nisme ne le fut pas toujours aves la santé publique. Puis, il y a vingt ans, peu après la disparition de l’Union soviétique, le mono- pole étatique sur la production de vodka prend fin et l’importation d’alcool (pour l’essentiel de la vodka) est autorisée dans la nouvelle Russie. Les mêmes causes produi- sant les mêmes effets, ce secteur de produc- tion est vite gangréné par la clandestinité et par la mafia. Des tentatives furent observées pour tenter de rétablir le monopole et réduire la consommation.

Aucune fatalité, donc, dans les chiffres ac- tuels de consommation et de mortalité pré- maturée. En sachant néanmoins qu’il faut compter avec une spécificité russe dans les modalités de la quête de l’ivresse. C’est le sujet abordé par le Dr Jürgen Rehm (Centre for Addiction and Mental Health, Toronto – University of Toronto) dans un commentaire du Lancet. «A lui seul, le volume global de l’alcool consommé en Russie, bien qu’im- portant, ne peut pas expliquer la mortalité élevée, explique-t-il. Cette mortalité est la point de vue

CC BY Janeklass

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 12 février 2014 413 combinaison du volume global élevé et du

modèle spécifique de l’ivresse épisodique.»

Selon ce spécialiste, des mesures politiques drastiques vis-à-vis de l’alcool et du tabac sont nécessaires et urgentes.

Un rapport de l’OMS, publié en 2011, fait état d’une consommation annuelle d’alcool en Russie de l’ordre de 15,7 litres par per- sonne. Mais la mortalité prématurée qui y est associée est nettement plus élevée que celle de pays, comme la France, où les chif- fres ne sont pourtant pas très éloignés. Au 1er janvier, le prix officiel de la bouteille d’un demi-litre la moins chère du marché a subi une nouvelle hausse, passant de 3.75 euros à 4.40 euros. L’âge légal pour acheter de l’al- cool pourrait aussi être relevé et passer de 18 à 21 ans. Sera-ce efficace ?

A la veille des Jeux Olympiques d’hiver qu’il a voulus et qu’il a obtenus, Vladimir Poutine, 61 ans, prend un plaisir manifeste à exposer sa musculature et à montrer au monde entier, via les médias, les symptômes éclatants de sa vitalité physique. Aura-t-il le courage politique d’engager radicalement son pays dans le combat contre le tabac et la vodka ? L’avenir de la Russie est, pour partie, à ce prix. C’est un défi qui ne manquerait pas de panache. Ce défi est-il compatible avec ce que ceux qui n’en sont pas dotés appel lent l’âme slave ?

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

: www.alcoologie.ch/alc_home/

alc_documents/alc-lettre information-2.htm

Distribuer de la naloxone aux usagers d’héroïne pour qu’ils disposent d’un antidote aux overdoses est rentable

1 D. Zaridze, S. Lewington, A. Boroda, et al. Alcohol and mortality in Russia : Prospective observational study of 151 000 adults. Lancet 2014 ; epub ahead of print.

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