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Pour un registre foncier public

FOËX, Bénédict

FOËX, Bénédict. Pour un registre foncier public. In: Kellerhals, Jean, Manaï, Dominique, Roth, Robert. Pour un droit pluriel : Etudes offertes au professeur Jean-François Perrin . Genève : Helbing & Lichtenhahn, 2002. p. 59-78

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:8556

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Pour un registre foncier public

Bénédict F OËx

Introduction

Dans une de ses publications récentes, le Professeur Jean-François Perrin rap- pelle que la fortune, l'avoir, d'une personne fuit en principe partie de la sphère privée protégée par l'art. 28 CCI Loin de nous l'idée de le contredire, de surcroît dans un ouvrage publié en son honneur !

II se trouve toutefois que cette protection souffre des exceptions, ainsi que Jean-François Perrin le souligne d'ailleurs lui-même': l'art. 28 al. 2 CC ré- serve notamment les cas où l'atteinte est justifiée par la loi. Or, on peut considérer - même si la doctrine ne le mentionne pas toujours' - que l'art. 970 CC constitue l'un des ces motifs justificatifs légaux. Cette dispo- sition fixe les conditions de la consultation du registre foncier et pennet donc aux tiers d'avoir accès à des infonnations sur certains éléments du patrimoine des personnes inscrites.

Cette règle trouve son fondement dans l'art. 942 al. 1 CC, qui prévoit que

<de registre foncier donne l'état des droits sur les immeubles». Le registre foncier est l'instrument de publicité en matière immobilière: il est chargé de

l-F. PERRIN, «La protection de la personnalité des personnes surendettées», in Insolvence, désendettement et redressement. Etudes réunies en l'honneur de Louis Dallèves (B. FoËX et L. THÉVENoz, éd.), Bâle et Genève 2000, p. 201 S8, p. 205 58.

2 PERRIN (note 1). p. 206.

Voir par exemple: A. MEILI, in Kommentar zum schwejzerischen Privatrecht. Schweize- risches Zivilgesetzbuch 1 (H. HONSELL, N.P. VOGT et T. GEISER, éd.), Bâle 1996, n. 47 ad art. 28; C. BRÜCKNER, Das Personenrecht des ZOB, Zurich 2000, p. 135. Voir cependant:

H. DESCHENAUX 1 P.-H. STEINAUER, Personnes physiques et tutelle, 4~ éd., Berne 2001, p. 200; A. BUCHER, Personnes physiques et protection de la personnalité, 4C éd., Bâle et Genève 1999, p. 130.

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Bénédict F aD:

rendre visible, manifeste pour les tiers, les droits réels immobiliers, à l'ins- tar de la possession en matière mobilière. Il ne peut évidemment remplir cette fonction que si les tiers peuvent le consulter. Le registre foncier doit donc être public. Et c'est précisément cette publicité (dite formelle') du registre foncier qui fait l'objet de l'art. 970 CC, ainsi que le rappelle d'ailleurs la note marginale'-

Adopté sans grandes discussions en 19076, l'art. 970 CC a été modifié par une loi du 4 octobre 1991', entrée en vigueur le 1" janvier 19948Il est aujourd'hui question d'amender à nouveau cette disposition'. Il nous a donc paru intéressant de lui consacrer les présentes lignes. Nous abordons ainsi une question du droit des biens qui a des répercussions dans un domaine cher au récipiendaire, celui de la protection de la personnalité et des données personnelleslO, avec le risque qu'il ne partage pas nos conclusions; nous comp- tons toutefois sur sa bienveillante indulgence: n'a-t-il pas écrit que «la vé- rité du mot 'droit' est introuvable»Ll?

4 Cf. par exemple: P.-H. STErNAUER, Les droits réels, Tome 1, 3e éd., Berne 1997, nO 534; H.

DESCHENAux, Le registre foncier, Traité de droit privé suisse, Tome VIIII2, Fribourg 1983, p. 134: etc.

S «Publicité du registre foncier», «puhblicità dei registra»), «OjJentlichkeit des Grondbuchs».

6 BO CN 1906 pp. \029 et \033; BO CE 1907 p. \08.

7 Loi fédérale sur la révision partielle du code civil (droits réels immobiliers) et du code des obligations (vente d'immeubles), du 4 octobre 1994, in RO 1993 II 1404 ss (cf. p. 1407).

8 RO 1993 Il 1409.

9 Cf. le Message du Conseil fédéral relatif à la loi fédérale sur les services de certification dans le domaine de la signature électronique (SCSél), du 3 juillet 2001, in FF 2001 p. 5423 ss (pp. 5449 et 5469). On peut également consulter le «Rapport d'activité)) de l'Office fédéral chargé du droit du registre foncier et du droit foncier présenté à l'occasion du 53e Congrès de la Société Suisse des Conservateurs du Registre foncier (7-8 septembre 2001 à Marti- gny))), publié en allemand in RNRF 2001 p. 380 ss (voir p. 382 s.) et disponible en fran- çais (ainsi qu'en allemand) sur les sites Internet de 1 'OFRF (http://www.ofj.admin.chlthemenl gba/intro-f.htm) et de la RNRF (http://www.zbgr.ch) (voir p. 3 s.).

Hl Cf. par exemple J.-F. PERRIN, «Evaluation de la loi fédérale sur la protection des données personnelles. (Quelques propositions méthodologiquement «légères))))), in Aux confins du droit. Essais en l'honneur du Professeur Charles-Albert Morand (A. AUER, J.-D. DELLEY, M. HOITELIER et G. MALINVERNI, éd.), Bâle et Genève 2001, p. 135 ss, où l'auteur conclut en appelant de ses vœux. «une revitalisation et [à] une réorientation de cette réglementa-

tion» (p. 151). '

Il J.-F. PERRrN, Sociologie empirique du droit, Bâle 1997, p. 23.

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Pour un registre foncier public

I. Les mutations de l'art. 970 CC:

une publicité des droits gaucbe

A. Le texte de 1912

Le Code civil adopté en 1907 énonçait très clairement le principe de publi- cité formelle du registre foncier: dans une phrase d'une belle simplicité, le premier alinéa de l'art. 970 indiquait que «le registre foncier est public». A première vue, chacun pouvait donc consulter le registre foncier, sans avoir à justifier d'un intérêt particulier. La loi tirait au troisième alinéa de l'art. 970 CC la conséquence logique de ce principe, en prévoyant que «nul ne peut se prévaloir de ce qu'il n'a pas connu une inscription portée au registre fon- cien>. Le système pouvait donc sembler cohérent: la consultation du registre foncier étant en principe libre, celui qui ne prend pas la peine d'effectuer cette démarche n'est pas protégé.

Mais, entre ces deux alinéas, entre l'affIrmation que le registre foncier est public et la fiction de la connaissance des inscriptions, l'on trouvait un deuxiéme alinéa à la rédaction quelque peu sibylline: «quiconque justifie d'un intérêt a le droit de se faire communiquer en présence d'un fonctionnaire du bureau les feuillets spéciaux qu'il désigne, avec les pièces justificatives, ou de s'en faire délivrer des extraits».

Ainsi donc, alors même que, selon le premier alinéa de l'art. 970 CC, le registre foncier était proclamé public, le deuxième alinéa n'ouvrait la con- sultation qu'à celui qui justifiait d'un intérêt. On a souvent dit qu'il y avait là une forme de contradiction, un registre ne pouvant pas à la fois être pu- blic et en même temps être accessible seulement à un cercle limité d'inté- ressés, aussi large soit-iP'. A vrai dire, ces deux alinéas n'étaient pas néces- sairement irréconciliables; on peut concevoir qu'un registre, quoique public, ne soit pas ouvert à tous vents: la fonction du registre foncier n'exige peut- être pas nécessairement qu'il soit donné libre cours, ainsi que le disait le Prof.

H. Deschenaux, «à une curiosité gratuite ou peut-être mal intentionnée»L3.

12 Voir par exemple: Message du Conseil fédéral à l'appui des projets de loi fédérale sur le droit foncier rural (LDFR) et de loi fédérale sur la révision partielle du code civil (droits réels immobiliers) et du code des obligations (vente d'immeubles), du 15 novembre 1988, in FF 1988 ID 889 ss, p. 1023; D. BANZlGER-COMW..GNONL, Die 6j[entlichkeit des Grundbuches - de Jege tata - rechtsvergleichend - de legeferenda, thèse, Zurich 1993, p. 30 s.; J. Scm.m>, in Kommentar zum schweizerischen Privatrechl. Schweizerisches Zivilgesetzbuch II (H. HONSELL, N.P. VOGT et T. GEISER., éd.), Bâle 1998, n. 2 ad art. 970; etc.

13 DESOIENAUX (note 4), p. 137.

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Bénédict Foilx

Quoi qu'il en soit, puisant leur inspiration dans le § Il de la Grundbuchoninung allemande du 24 mars 1897", les auteurs se sont assez vite convaincus que l'intérêt exigé par l'art. 970 al. 2 CC ne pouvait être quelconque, mais qu'il devait être légitime ou digne de protection". La con- sultation ne devait donc pas seulement être refusée à ceux qui sont mus par un caprice, par une curiosité mal placée, par une lubie ou peut-être par une intention de nuire, mais à tous ceux qui ne peuvent justifier d'un intérêt qualifié: pour pouvoir consulter le registre, il faut en quelque sorte se mettre au-dessus de la mêlée.

La jurisprudence s'est également montrée restrictive, le Tribunal fédéral exigeant que l'intérêt à consulter le registre foncier soit légitime et «perti- nent eu égard à la fonction du registre foncier comme instrument de publi- cité foncière»I'. Ainsi, notre Haute Cour a par exemple jugé en 1985 qu'un journaliste qui voulait consulter le registre foncier dans le cadre d'une en- quête sur une personne soupçonnée d'accaparer les terres agricoles, n'était pas au bénéfice d'un intérêt suffisant, motif pris notamment que l'intérêt allégué relevait «de l'information générale» et ne présentait donc pas «de rapport direct avec la fonction même du registre foncier comme instrument de la publicité foncière»l7.

Ainsi donc, sous l'ancien droit, au-delà du texte légal, la consultation du registre foncier n'était ouverte qu'à celui qui justifiait d'un intérêt qualifié.

Ce faisant, jurisprudence et doctrine ont introduit un facteur d'insécurité juridique non négligeable: ainsi que l'a indiqué lui-même le Tribunal fédé- ral, «la notion d'intérét légitime ressortit à l'appréciation selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC)>>I'; elle peut donc faire (et a fait) l'objet d'interprétations qui divergent d'un canton à l'autre, d'un conservateur à un autre, voire d'un fonctionnaire à un autrel9.

14 Voir aujourd'hui le § 12 al. 1 GBO: «Die Einsicht des Gnmdbuchs istjedem gestattet, der ein berechtigtes lnteresse darlegt».

I~ Cf C. WIELAND, Les droits réels dans le Code civil suisse. Tome Il, Paris 1914, n. 1 ad art. 970; F. OSITRTAG, Besitz und Grundhuch, Berner Kommentar, vol. IV.3, 2e éd., Berne 19l7, n. 2 ad art. 970; H. LEEMANN, Wer ist zur Einsjcht in das Grondbuch berechtigt?, in RSJ 1917 p. 373 S., p. 374; A. HOMBERGER, BesÎlz und Grundbuch, Zürcher"Korrunentar, vol. IV.3, 2' éd., Zurich 1938, n. 8 ad art. 970.

" ATF III Il 48/50; ATF 11 7 n 1511153, JdT 1993 1 16118; AIT 112 Il 422/426; etc.

11 ATF 11 1 Il 48/50.

" ATF III Il 48/50.

19 A titre d'illustration, l'on peut rappeler qu'en 1979, la République islamique d'Iran a cherché à recueillir des renseignements sur la fortune immobilière de l'ex-shah en Suisse. Le conservateur du registre foncier de Genève a fowni à la requérante J'ensemble des documents

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"

Pour ml registre foncier public

B. Le texte de 1994

Depuis l'entrée en vigueur, le la janvier 1994, de la loi du 4 octobre 1991, l'art. 970 al. 1 CC prévoit que «chacun a le droit d'apprendre qui est inscrit comme propriétaire d'un immeuble au registre foncier». En d'autres termes, si le principe selon lequel le registre foncier est public a été supprimé, il a été remplacé par une faculté nouvelle, celle qui compéte à tout un chacun d'apprendre, sans avoir à justifier du moindre intérêt20, qui est inscrit comme propriétaire d'un immeuble déterminé. Il ne s'agit toutefois pas d'un droit de consultation: la loi permet à chacun de se faire communiquer la désigna- tion du propriétaire (au sens de l'art 31 al. 1 lit a ORF) (voire, s'il y a plu- sieurs propriétaires, la forme de propriété collective qui les unit)2I, mais non pas de prendre connaissance du feuillet de l'immeuble concerné.

La consultation proprement dite du registre foncier reste régie par le se- cond alinéa de l'art. 970 CC, qui n'a subi que des modifications mineures.

En particulier, la loi n'exige plus que la consultation s'effectue (<en présence d'un fonctionnaire du bureau» du registre foncier, ce afin de permettre la consultation à distance, par le biais de l'ordinatetW-'. On peut enfin rappeler qu'un nouvel art. 9700, introduit également en 1994, prescrit que les acqui- sitions de propriété immobilière doivent être publiées par les Cantons, dans un but de transparence des opérations immobilières et de lulte contre la spé- culation foncière"; jugée dans un premier temps contraire au droit fédéral"

puis laissée dès 1989 à la discrétion des cantons", la publication des trans- ferts est ainsi devenue obligatoire.

demandés (extraits du registre foncier et copie des contrats cn cause); en revanche, son homologue des Grisons, s'il a bien délivré les extraits, a refusé de remettre une copie des actes notariés, estimant que la République islamique d'Iran n'avait pas établi d'intérêt légitime à cet égard. Cf. H. REY, <<2:·ur Offentlichkeit des Grundbuchs), in RNRF 1984 p. 73 5S, p.73.

20 Cf. STEINAUER (note 4), nO 581 s. Selon D. ZooL (Grundbuchrecht, Zurich 1999, nO 545), la loi pose en quelque sorte la fiction de l'existence d'un intérêt

21 ScHMID (note 12), n. 7 ad art. 970.

22 Cf. par exemple: Message (note 12), p. 1024; P. SLMONillS / T. SUTIER, Schweizerisches Immobiliarsachenrechl. Band I, Bâle 1995, p. 204; BANZIGER-COMPAGNONI (note 12), p. 32.

2J Cf. ScHMlD (note 12), n. 3 ad art. 970a.

" ATF 1I4 fi 40144 5., JdT 19891249/252 s.; ATF 11211422/428 s.

2) Voir l'art. 8 de l'Arrêté fédéral concernant un délai d'interdiction de revente des immeu- bles non agricoles et la publication des transferts de propriété immobilière, du 6 octobre 1989 (RO 1989 III 1974 ss), qui a cessé de produire effet le 31 décembre 1994 (cf.

l'art. 10 al. 3).

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Bénédict FoDe

Cela étant, pas plus qu'auparavant, l'art. 970 (version de 1994) ne précise que l'intérêt de l'impétrant à consulter le registre foncier doit être légitime (ou digne de protection): le Conseil redéral a estimé que cela allait de soi". Il aurait été néanmoins utile que le texte légal l'indique: en l'état, nous devons tou- joUIS nous contenter, pour toute base légale à cette exigence contestable, du

§ 12 de la Grundbuchordnung allemande ... Quoi qu'il en soit, même si la loi reste muette sur ce point, l'on doit retenir que, comme par le passé, la con- sultation proprement dite du registre foncier n'est ouverte qu'à celui qui jus- tifie d'un intérêt légitime". Le Tribunal fédéral l'a rappelé encore récemment"'.

Simultanément, notre Haute Cour a précisé qu'il fallait tenir compte, dans l'interprétation des art. 970 et 970a CC, des buts visés par le législateur (étendre dans une certaine mesure la publicité foncière et lutter contre la spéculation foncière)", ce qui l'a amenée à reconnaître un intérêt suffisant à un journa- liste qui voulait se faire communiquer, dans le cadre d'une enquête sur les activités spéculatives de trois personnes, la liste des immeubles acquis par celles-ci au COUIS des douze demiers mois"'. Il y a là une évolution non né- gligeable de la jurisprudence: la publicité du registre foncier étant réputée servir également à lutter contre la spéculation foncière, l'intérêt légitime justifiant la consultation s'étend en conséquence à cette nouvelle contrée" .

C. Le projet de loi fédérale du 3 juillet 2001

En annexe à son projet de Loi fédérale sur les services de certification dans le domaine de la signature électronique (SCSél), du 3 juillet 2001, le Conseil fédéral propose notamment de modifier les deux premiers alinéas de l'art. 970 CC, dont la teneur serait la suivante":

«1. Toute personne a accès aux informations suivantes du grand livre:

1. la désignation de l'immeuble et sa description;

2. le nom et l'identité du propriétaire;

3. le type de propriété et la date d'acquisition;

4. les inscriptions relatives aux servitudes et aux charges foncières;

5. les mentions.

" Message (note 12), p. 1023.

27 STEINAUER. (note 4), nO 584; ZOBL (note 20), na 551; etc.

" ATF 126111 5121517 S., JdT 20011228/233.

" ATF 1261115121518, JdT 20011228/233.

JO ATF 126 III 5121520, JdT 2001 1228/233.

31 Pour une critique de cet arrêt, voir par exemple J'analyse de D. OORRin PJA 2001 p. 721 s.

J2 Cf. Message (note 9), p. 5469.

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Pour un registre foncier public

2. La personne qui fait valoir un intérêt légitime dans un cas particulier ou de manière générale pour un nombre indéterminé d'intenugations peut obtenir des informations supplémentaires ou la délivrance d'un extrait)).

Le premier alinéa aurait pour effet d'étendre sensiblement les données qui seraient librement accessibles: au-delà de la désignation du propriétaire (et des données relatives à l'immeuble issues de la mensuration officielle"), ce seraient désormais la plupart des données du grand livre du registre foncier qui pourraient être consultées" sans avoir à justifier d'un intérêt. En outre, l'art. 970 al. 1 est rédigé de sorte à permettre un accès à distance, par Internet, lorsque les conditions s'y prêtent".

Le second alinéa du projet soumettrait à la justification d'un intérêt (qua- lifié, cette fois, de «légitime))) la consultation d'autres données (gages im- mobiliers, armotations), l'accès à des éléments constitutifs du registre autres que le grand livre (journal, pièces justificatives, etc.) ainsi que la délivrance d'extraits. Par ailleurs, il permettrait de reconnaître à certains utilisate\JfS un intérêt légitime générique (ou «d'ordre général)))l6, justifiant un nombre in- déterminé de consultations. Ainsi que le relève le Conseil fédéral dans son Messagel', cette disposition étendrait un régime introduit en 1995 à l'art. liim ORF", qui est toutefois limité au registre foncier informatisé, ne vaut que pour les ingénieurs-géomètres (ainsi que pour certains autres utilisateurs [autorités, officiers publics, titulaires de droits réels sur l'immeuble en cause)

33 Cf. à cet égard les art. 33 5S OMO ainsi que les art. 62 et 65 OTEMO; cf. M. HUSER 1 S. CHAUlMONfET, Droit suisse de la mensuration, Fribourg 2000, p. 97 s. Voir également le Message (note 9), p. 5449.

)4 Même si le texte allemand reprend (de façon probablement malheureuse) une partie la for- mulation de l'actuel premier alinéa (<<Jede Person ist berechtigt, Auskun/t über jolgende Da/en des Hauptbuchs tu erha(ten), il semble bien (à la lecture tant des textes français et italien du projet que du Message du Conseil fédéral [note 9] dans les trois langues) que le nouvel art. 970 al. ] CC conférerait le droit de consulter le registre foncier et non pas seulement celui d'apprendre quels sont les droits inscrits (FF 200 1 pp. 5706 et 5727 (alle~

mandJ, FF 2001 pp. 5134 et 5153 [italien J, FF 200 1 pp. 5449 et 5469 [français]). Le Message du Conseil fédéral précise d'ailleurs que les données visées à l'alinéa Lei" pourront être mises par les Cantons «à la disposition des intéressés sur Internet» (FF 200 1 p. 5449).

" Cf Message (note 9), p. 5449.

16 Message (note 9), p. 5449.

37 Message (note 9), p. 5449.

38 RO 1995 128; modification entrée en vigueur le Ler janvier 1995, cf. RD 1995 133. Sur l'art. Il lm ORF, voir en particulierK. KARAU, «L'article Il lm ORF et les réglementations cantonales concernant l'accès au registre foncier informatisé}), in RNRF 2001 p. 65 5S,

notamment p. 72 5S_ Voir aussi: SCHMID (note 12), n. 24 ss ad art. 949a.

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Bénédict Foôx

désignés par les cantons'·) et laisse aux cantons le soin de déterminer si cet accès par appel de données peut s'effectuer sans l'intervention et hors la pré- sence du conservateur du registre foncier (ou de l'un de ses subordonnés)".

Le projet du 3 juillet 2001 va plus loin, puisqu'il ne vise pas uniquement le registre foncier informatisé et qu'il définit de façon beaucoup plus large le cercle des personnes auxquelles l'intérêt générique pourrait être reconnu (de façon à inclure ,<les personnes habilités à dresser les actes authentiques, les autorités fiscales, les autorités de surveillance du registre foncier, ainsi que [. . .) certaines personnes ayant des activités dans l'immobilier ou le domaine hypothécaire» selon le Message du Conseil fédéral").

Ce n'est pas le lieu d'analyser en détail ce projet. On relèvera cependant que les ouvertures proposées constituent une demi-mesure: sauf à être l'un des bénéficiaires du blanc-seing octroyé à certains professionnels, il faudra continuer à justifier d'un intérêt légitime concret pour accéder à des don- nées aussi importantes que les gages immobiliers, par exemple, ou pour obtenir un extrait.

A cela s'ajoute que le Conseil fédéral ne fournit guère d'explications sur la ratio de ces distinctions. Se justifie réellement de soumettre les gages à un régime juridique différent de celui des servitudes et charges foncières?

Sont-ils moins opposables aux tiers que ces dernières? Comment va-t-<Jn traiter la lettre de rente, à la fois gage et charge foncière selon l'art. 847 al. 1 CC?

Pour quels motifs un intérêt légitime serait-il reconnu par avance aux ban- ques, assurances et agents immobiliers, mais non pas aux avocats ou aux agents d'affaires? Le notaire-avocat pourra-t-il toujours déterminer en laquelle de ses deux qualités il consulte le registre?"

On le voit, le projet de modification pose un certain nombre de questions, dont l'énumération pourrait se poursuivre. Lit de Procuste, le nouvel art. 970 est trop petit pour permettre une véritable publicité foncière, mais trop grand pour contenir dans des limites cohérentes un accès restreint aux données du grand livre.

39 Art Illm al. 2 ORF.

40 Sur cette distinction entre accès «direct» et «indireCD), voir KARAu (note 38), p. 72 s.

" Message (note 9), p. 5449 .

.. 2 Cf. à cet égard KARAu (note 38), p. 75, qui indique que «la situâlion est certes délicate»

lorsque les officiers publics au bénéfice de l'accès par appel de données prévu à l'art. Ulm ORF «exercent en même temps la profession d'avocav).

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Pour un registre foncier public

Il. Un bref bilan: les feuillets s'effeuillent

Le domaine de la publicité formelle du registre foncier est marqué par une évolution non négligeable: partant de la proclamation en 1912 que le regis- tre foncier est public, tempérée par une inteI]Jrétation frileuse de l'art. 970 al. 2 CC, l'on a tout d'abord admis que les cantons pouvaient publier les transferts (1989), puis l'on a considéré que le nom du propriétaire pouvait être connu de tout un chacun en même temps que l'on rendait obligatoire la publication des acquisitions immobilières (1994); les portes se sont ouvertes un peu plus encore lorsqu'un accès par connexion informatique a·été reconnu à certains intèressés (1995) et que le Tribunal fédéral a eu l'occasion de préciser son inteI]Jrètation des règles entrées en vigueur en 1994 (2000). Et voilà que s'annonce une nouvelle modification, qui assurerait une publicité accrue au registre foncier.

Bref, la tendance est à l'ouverture du registre, à l'effeuillage des feuillets.

Ce mouvement, qui s'est accéléré ces dernières années, est encore accentué par la jurisprudence récente". Le partisan d'un registre foncier véritablement public s'en réjouira.

Force est cependant de constater que ces avancées ont été réalisées en marge de modifications législatives poursuivant un autre but. Ainsi, l'auto- risation donnée aux cantons de prévoir la publication des transferts faisait partie d'un train de mesures destinées à lutter contre la spéculation foncière".

Les art. 970 et 970a CC entrés en vigueur en 1994 étaient intégrés dans un ensemble de nouvelles règles centrées pour l'essentiel sur la réglementation des droits de préemption, d'emption et de réméré. Quant à l'art. II lm ORF, il faisait partie d'un coI]Js de règles adopté pour permettre la tenue du regis- tre foncier informatisé. Enfin, le projet du 3 juillet 2001 vise avant tout à régler le statut juridique de la signature électronique, problématique somme

43 Voir l'ATf 126 III 512, ldT 20011228, ainsi que l'arrêt du Tribunal fédéral du 4 février 1999, paru in RNRF 2000 p. 192 (dont on peut se demander si l'issue aurait été la même si l'affaire avait été jugée il y a quinze ans); voir aussi l'arrêt du Kantonsgericht de SaÏflt- Gall, du 19 novembre 1997, in RNRF 1999 p. 97 ss, p. 98: «Dass das Zivi/recht er zulaw bzw. sogar vorschreibt, dass wesentliche Inhalte des Grundbuches durch die Publikalion weilen Bevolkerungskreisen voraussetzungsJos bekannt gemacht werden, muss bej der Anwendung des Art. 970 Abs. 2 ZGB berocksichtigt werden».

44 Cf. ZOSL (note 20), 1\0 564; W. PETER 1 H. NAEF, 8odenrechl/iche Sofortmassnahmen im Siedlrmgshereich. Erliiuternngen zu den Bundesbeschlüssen über Sperrfrist, Pfand- beJastungsgrenze und Anlagevorschriften vom 6. Oktober J 989, Zurich 1990, notamment p.38.

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toute fort éloignée de la publicité du registre foncier. C'est à se demander.

s'il ne faut pas à chaque fois un prétexte au législateur fédéral pour accroî- tre la publicité du registre foncier.

A cela s'ajoute que la publication des transferts, même si ene est rangée depuis 1994 sous la note marginale

«c.

Publicité du registre joncien) répond avant tout au souci d'assurer une certaine transparence du marché de l'im- mobilier", objectif somme toute fort différent de la fonction assignée au re- gistre foncier comme instrument de publicité des droits réels immobiliers".

Quoi qu'il en soit, il nous paraît qu'il n'est nul besoin d'attendre un nou- veau prétexte: il existe plusieurs raisons, propres à la fonction de publicité qui lui est dévolue, d'ouvrir plus encore les portes du registre foncier. C'est ce que nous voudrions tenter de démontrer maintenant.

III. De lege ferenda: petit plaidoyer pour un grand livre grand onvert

J. Le registre joncier donne l'état des droits sur les immeubles

Ce principe est ancré dans la première disposition que le Code civil consa- cre au registre foncier, l'art. 942 al. 1. Pour l'essentiel", ces «droits» sont les droits réels. Le registre foncier a donc pour fonction de renseigner sur l'état des droits réels; c'est l'instrument de publicité en matière immobilière:

ainsi que le soulignait déjà le Message du Conseil fédéral à l'appui du Code civil, en 1904, <de registre joncier a pour but d'assurer la publicité de tous les droits réels grevant les immeubles. La publicité et, au reste, la spécialité des charges frappant la propriété immobilière seront ainsi réalisées»".

Certes, l'art. 942 al. 1 CC n'indique pas expressément qui sont les desti- nataires de ces informations. Mais la réponse découle du principe de publi- cité, dont l'art. 942 al. 1 CC est une concrétisation: ce sont les tiers, tous les tiers, car les droits réels sont absolus. Ainsi que le soulignait le Prof.

" Cf. ATF 126111 512/517 S., JdT 20011228/232 s.: &HMlD (note 12) n. 3 ad art. 970a;

DilRR (note 31), p. 722; voir aussi ZooL (note 20), n" 564.

46 Cf: P.-H. STEINAUER,. (<Les projets de Lois fédérales sur le droit foncÎer rural et sur la ré- vision partielle du Code civil (droits réels immobiliers) et du CIXie des obligations (vente d'immeubles»)), in Le Notaire Bernois 1991 p. 17355, p. 191; DÛRR (note 31), p. 722.

47 DEscHENAUX (note 4), p. 3 (note 2) rappelle que l'art. 942 al 1 CC énonce une «fonnule partielle, en ce qu'elle ne semble viser que les droits réels».

4S Message du Cooscil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant le projet de code civil suisse, du 28 mai 1904, in FF 1904 N 1 55, p. 93.

68

(12)

Pour un registre foncier public

H. Deschenaux, «les droits réels sont des droits absolus dont les effets sont opposables à tout le monde (erga ornnes). Mais s'ils doivent être respectés par tous, il faut qu'ils soient rendus manifestes à quiconque peut se les voir

opposer»49.

Bref, la fonction dévolue au registre foncier, comme la nature des droits dont il est l'habit ou le porte-voix, est absolue et, à tout le moins d'un point de vue dogmatique, ne souffre pas d'exception. En d'autres termes, le regis- tre foncier ne peut pas remplir complètement sa mission si on limite le cer- cle des personnes susceptibles de le consulter. Les droits réels sont opposa- bles aux tiers, à tous les tiers, quelle que soit l'intensité du lien que ceux-ci entretiennent avec l'immeuble; partant, la consultation du grand livre doit être ouverte sans autre à toute personne.

2. Le registre foncier est censé connu

Il s'agit, là aussi, d'un principe énoncé par le Code civil; à nouveau, la for- mulation est absolue, dans les trois langues". Il en résulte que toute personne qui en fait la demande doit pouvoir consulter le registre. En effet, la fiction de connaissance des inscriptions, que l'on tire de l'art. 970 aL3 CC.:.', ne peut jouer que si l'on accorde un libre accès aux données censèes connues:

49 DESCHENAUX (note 4), p. 5. Voir aussi, par exemple, STEINAUER (note 4), nO 125: «Le droit réel doit généralement être revêtu d'une fonne extérieure, reconnaissable pour les tiers.

En tant que droit absolu, qui doit être respecté par tous, il doit en effet être rendu mani- feste pour les tiers». Voir encore M. P. HEDINGER, Über Publizitiitsdenken im Sachenrecht, Berne 1987, p. 41: «Die Fordernng nach Publizitiit im Grnndstücksrecht umfasst ZlVei Aspekte, die voneinander zu unterschieden sind. Zum einen muss - da ding/iche Rechte nicht Gegenstand der unmittelbaren sinnlichen Erkenntnis sein kOnnen - ein Miltel geschaffen oder bezeichnet werden, durch welches diese Rechte zum Ausdruck kommen sallen. Ferner muss dieses Mittel so gewiihlt werden, dass die vennittelte Aussage nicht nur for einen von vornherein bestimmten Personenkreis wahrnehmbar ist, sondern for einen pn'nzipiell unbeschriinkten Personenkreis. Nur wenn beide Eifordernis erfoUt sind, wird es sich wirklich um PubLizitiit, d.h. um offentliche Erkennbarkeit handeln. Beide Fordernngen Lassen sich dadurch in einwandfreier Weise erfollen, dass der materielle Rechtsbestand eines Grundstückes in Urkunden festgehalten wird, in die jeder Interessierte Einsicht nehmen kanm>.

50 Art. 970 al. 3 CC: «Nul ne peut se prévaloir de ce qu'il n'a pas connu une inscription portée au registre foncier»: «Die Einwendung, dass jemand eine Grundbucheintragung nicht gekannt habe, ist ausgeschlossen»; «Nessuno pua valersi dell'eccezione che igno- rasse il contenuto dei registro fondian'o».

~l Cf. STElNAUER (note 4), 590; DESCHENAUX (note 4), p. 148; SCHMID (note 12), n. 32 ad art. 970; etc.

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Bénédict F oÈX

"Mit der Ermoglichung der unbehinderten Einsicht kann das Gesetz nun im Interesse der Verkehrssicherheit voraussetzen, dass jeder Interessierte von dieser Moglichkeit auch Gebrauch macht. Abs. 3 des Art. 970 stellt deshalb die Fiktion auf, es sei jeder Grundbucheintrag bekannt»".

Ainsi donc, restreindre à certaines personnes le droit de consulter le re- gistre revient à contrecarrer les effets de l'art. 970 al. 3 CC", qui est pour- taut une pièce essentielle de notre système de publicité immobilière''.

3. Nec clam: pas plus que la possession, le registre foncier ne doit être secret

En matière mobilière, celui dont la possession est clandestine ne peut se pré- valoir des présomptions fondées sur la possession des art. 930 et 931 CC";

c'est assez logique: une maîtrise cachée n'est pas vectrice de l'apparence du droit réel, ne satisfait pas aux exigences de publicité. Même si l'on ne peut établir un parallèle complet pour les inuneubles, on peut néanmoins consi- dérer qu'une inscription confinée dans un registre à demi-ouvert ne présente guère les qualités suffisantes pour proclamer l'existence du droit réel. Pos- session et registre foncier, en taut qu'instruments de publicité, supposent tous deux une exposition au monde extérieur, que la loi devrait favoriser et non restreindre.

52 HOMBERGER (note 15), D. 13 ad art 970 (qui, curieusement, affirme néanmoins que seul

celui qui justifie d'un intérêt digne de protection peut consulter le registre [n. 8 ad art. 970])_

Voir aussi: BÂNZIGER-COMPAGNONI (note 12), pp. 33 et 219.

53 A noter que STEINAUER [(note 4), n° 590) contourne cette difficulté en indiquant que la fiction «ne peut être invoquée que ckms la mesure où les conditions requises pour la con- sultation du registre étaient remplies»; cette manière de voir, outre qu'elle est difficile- ment compatible avec le texte de l'art. 970 al. 3 CC, nous semble devoir poser des problè- mes d'application pratique (que le système légal ajustement pour effet d'éviter): ne sera-t-il pas souvent délicat de détenniner, a posteriori, si le droit de consulter le registre aurait été octroyé?

54 Cf. par exemple E, CATENAZZI, La pubb/icità formale dei registro fondiario, thèse Fribourg, Locarno 1973: «II principio di pubblicitàformale acquista tutta la sua pienezza e tutto il sua va/ore solo se combinato alla presunzione legale del/'art. 970 cpv. 3 CC».

5S Voir par exemple: STEINAUER (note 4), n° 391 et n° 393.

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Pour un registre foncier public

4. Droits réels et sphère privée sont difficilement conciliables

Ainsi que le note J. Carbonnier, «si le patrimoine est bien une émanation de la personnalité, il est naturel de le proclamer secret en principe, au même titre qu'incessible et indivisible, comme la vie personnelle de chacum>". Les droits réels sont évidemment des éléments du patrimoine. Mais cela ne si- gnifie pas pour autaot que, pris individuellement, ils bénéficient de ce statut privilégié: «le droit réel, [ . .] portant directement sur la chose, s'incruste pour ainsi dire en elle et participe de son existence objective, qui s'impose à tout le monde»". En d'autres termes, il résulte de la nature même du droit réel qu'il est public; selon l'art. 970 al.3 CC, le drOi/réel

inScnl"'!

mêmer6-

pute connu detôus.

Il y a donc une certaine contradiction à dire <<Je suis titulaire d'un droit réel, mais celaJait partie de ma sphère privée»". D'excellents auteurs sou- tiennent un avis contraire" et d'autres, avec le Tribunal fédéral60, indiquent qu'il faut dûment tenir compte des intérêts du propriétaire avant d'octroyer un accès au donnèes du registre foncier'l. Ils ne démontrent cependant pas comment concilier ces conceptions avec le caractère absolu des droits réels.

Nos voisins français soulignent à juste titre que la publicité foncière joue un rôle de protection: il s'agit d'assurer la sécurité des transactions immobilières et de protéger les tiers62. Si l'on peut estimer que la publicité foncière protège également les titulaires de droits réels parce qu'elle rend

56 J. CARBONNIER, Droit civil. Tome 3: Les biens, Ige éd., Paris 2000, p. 12. Voir aussi PERRIN, cité supra note 1. P.-H. STEINAUER, «Registre foncier et protection de la personnalité)}, in Hommage à Henri Deschenaux à l'occasion de son quatre-vingtième anniversaire, Fri- bourg 1988, p. 17 58, p. 21: <Œ 'avoir fait [ . .} partie, dans une certaine mesure, de la per- sonnalité, ... au moins de /a personnalité suisse 1».

57 CARBONNIER (note 56), p. 71.

58 Ainsi que le notait le Conseil fédéral en 1988 (Message [note 12], p. 1024; à propos de la publication des acquisitions de propriété immobilière): «/ Jon ne peut demander à des non- propriétaires de respecter les pouvoirs des propriétaires (art. 641, 2" a/., CC) que si ces derniers se sont fait connaître publiquement en tant que propriétaires. La tendiInce à / 'ano- nymat, dans Je domaine de la propriété foncière, ne sert pas / 'intérêt des propriétaires».

59 Cf. STElNAUER (note 56), p. 21 s.; ZoBL (note 20), n° 543.

60 Cf. ATF 126 III 512/520, JdT 2001 1228/235; ATF III ll48/50.

" REY (note 19), p. 82; &HMID (note 12), n. 20 ad art. 970.

62 Voir par exemple: S. PlEDELlÈVRE, La publicité foncière, in Traité de droit civil, Paris 2000, p. 3; P. SIMLER 1 P. DELEBECQUE, Droit civil. Les sûretés. La publicité foncière, 3 éd., Paris 2000, p. 613 s.; Y. PlCOD, Sûretés. Publicité foncière, Leçons de droit civil, tome 11111, 7e éd., Paris 1999, p. 532.

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Bénédict F oËX

leurs droits visibles et leur évite des conflits63, on a en revanche de la peine à se convaincre qu'elle puisse être instrumentalisée, en quelque sorte, pour préserver une certaine confidentialité des droits réels immobiliers. A cela s'ajoute qu'au vu des modifications intervenues en 1994 (libre accès à la désignation du propriétaire, publication systématique des acquisitions immobiliéres et même faculté laissée aux cantons de publier d'autres données, notamment la contre-prestation)"', l'argnment tiré de la sphère privée semble difficilement tenable". On peut donc retenir que des motifs tirés de la protection de la sphère privée ne sauraient faire obstacle à la consultation du registre foncier" (ce qui ne signifie pas pour autant que toute utilisation des données ainsi obtenues soit licite).

5. Une publicité partielle est une publicité trompeuse

Un immeuble pouvant simultanément faire l'objet de plusieurs droits réels, la publicité n'est complète que si l'information concemant l'ensemble de ceux- ci est communiquée à la personne qui consulte le registre. Ainsi, celui qui sait qui est propriétaire de tel immeuble, mais qui igoore que le bien-fonds est grevé d'un droit de superficie distinct et permanenri7 se fait une repré- sentation pour le moins lacunaire du droit du propriétaire. De même, l'in- formation relative à l'existence d'une servitude (par exemple, un droit d'ha- bitation) prend une consistance qui varie considérablement selon que le bien- fonds en question est, ou n'est pas, également grevé d'un gage primant la servitude" .

On ne peut donc se satisfaire d'une publicité incomplète, limitée à cer- tains droits. A ce titre, le systéme de l'art. 970 al. 1 CC actuel (désigoation du propriétaire librement accessible) ou du projet du 3 juillet 2001 (exten- sion aux servitudes et charges foncières) ne peut être retenu: non seulement l'existence de certains droits réels n'est révélée qu'à celui qui justifie de son intérêt, mais (par effet réflexe en quelque sorte) les données librement ac- cessibles sont difficilement utilisables par celui auquel une consultation com- plète est refusée.

63 Cf. Su.n.ER / DELEBECQUE (note 62), p. 614: «La publicité joue un rôle préventif des conflits susceptibles de naître d'opérations juridiques non publiées»,

64 Art. 970 al. 1 et 970a Cc.

6.'i Cf. BÂNZIGER-CoMPAGNONI (note 12), p. 213 ss.

66 Cf., en ce qui concerne l'art. 28 CC, supra, p. 59. En ce qui concerne la LPD, voir l'art. 2 al. 2 lit. d LPD.

67 Cf. notamment l'art. 779a al. 3 Cc.

" Cf. art. 812 al. 2 et 3 CC.

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(16)

Pour un registre foncier public

On observera par ailleurs que la publicité ne saurait non plus être limitée à certains feuillets. Lorsque l'on a affaire à des servitudes croisées concer- nant tout un périmètre ou à une copropriété par étages, le nombre de feuillets à consulter peut être important. Il faut s'être entendu dire par le préposé {mon, non, les autres feuillets» (du périmètre, de la copropriété) {me contiennent rien d'intéressant pour vous, vous ne pouvez donc pas les voir» pour mesu- rer combien il importe que ce soit celui qui consulte le registre qui déter- mine le champ de ses investigations.

Seul un registre donnant librement accès à l'ensemble des données du graud livre est donc susceptible de satisfaire aux impératifs de publicité.

6. La ratio de l'art. 970 al. 1 CC vaut pour tous les droits réels (immobiliers)

Selon la doctrine, l'actuel art. 970 aU CC s'explique essentiellement par le fait que l'on ne saurait attendre des tiers qu'ils respectent la propriété si on ne leur fournit pas la possibilité d'apprendre qui est propriétaire". Cette motivation, en soi tout à fait exacte, vaut également pour les autres droits réels: eux aussi procurent à leur titulaire une maîtrise dans laquelle les tiers doivent s'abstenir d'intervenir, ce qui implique qu'ils en connaissent l'exis- tence". C'est l'essence même du principe de publicité que de vouloir que l'ensemble des droits réels, sans distinction, soit rendu manifeste pour les tiers. Une loi conséquente ne devrait pas s'arrêter à mi-chemin et n'en tirer les conclusions qui s'imposent que pour la seule propriété: reconnaître, même implicitement, que la propriété ne peut pas supporter une publicité limitée à certains intéressés, c'est admettre (nolens, valens) qu'il en va de même pour les autres drorts réels.

En 1994, l'on s'est arrêté à la propriété, sans que l'on sache pourquoi;

c'est si vrai que, quelques années plus tard, l'on propose de faire deux pas de plus (servitudes et charges foncières), mais en s'arrêtant dans l'antichambre des gages. Il semble - sans que le Conseil fédéral le dise expressément - que les données relatives à l'engagement d'un immeuble soient plus sensi- bles que les autres; on s'explique cependant mal ce souci de maintenir une certaine confidentialité sur l'endettement du propriétaire, alors même que le

69 ZOBL (note 20), na 545: «Wenn schon jedermann das Eigentum ais absolutes Recht zu respektieren hat, muss auch die Moglichkeit offen stehen, den Eigentümer in Erfahrung zu bringem>. SCHMID (note 12), n. 5 ad art. 970; BÂNZIGER-COMPAGNONI (note 12), p. 31.

70 Voir aussi: BÂNZlGER-COMPAGNONl (note 12), p. 220.

(17)

Bénédict Fo~x

montant inscrit n'est pas nécessairement celui qui est dûn et qu'il n'est pas nécessairement dû par le propriétaire (soit qu'un tiers soit débiteur, soit que la dette ait été remboursée)"-Quoi qu'il en soit, à supposer qu'il s'agisse là de la ratio de la distinction qu'opère le projet du 3 juillet 2001, force est de constater qu'elle n'est pas pertinente eu égard à la fonction de publicité du registre foncier.

7. La notion d'intérêt légitime est introuvable,

La notion d'intérêt légitime est introuvable, pourrait-on dire en paraphrasant Jean-François Perrin". Dans sa thèse relative à la publicité du registre fon- cier, Daniela Biinziger-Compagnoni lui consacre une analyse qui prend pas moins de soixante pages" ! L'on ne saurait attendre de chaque préposé qu'il recoure à un tel tamis lorsqu'il lui faut déterminer si l'intérêt allégué dans un cas particulier est légitime. Il lui faut de surcroît trancher sur la simple vraisemblance", en appréciant dans les meilleurs délais (souvent sur le champ) si l'argumentation présentée ouvre ou non les portes du registre. Le résultat est que les pratiques varient d'un canton à l'autre76, d'un arrondissement à l'autre et même d'un fonctionnaire à l'autre: l'accès à telle donnée refusé aujourd'hui faute d'intérêt légitime, sera octroyé sans sourciller le lendemain par un autre interlocuteur; tel renseignement, dont l'obtention suppose une motivation substantielle ici, sera fourni ailleurs sur simple requête télépho- nique (voire sera communiqué par une autre autorité").

En sus de l'inconvénient lié à l'application non-uniforme du droit fédé- raI, il en résulte une insécurité juridique importante, que les possibilités de recours à l'autorité cantonale de surveillance", puis au Tribunal fédéral", ne suffisent pas à lever. Sur le plan des principes, il paraît d'ailleurs fort peu satisfaisant qu'une partie doive parfois porter jusque devant la plus haute aut(}- rité judiciaire du pays une requête tendant à ce que l'existence ou les con- tours d'un droit qui lui est censément opposable lui soit révélée.

7] Cf. notanunent les art. 794 al. 2, ,824 al. 1, 855 al. 2 et 872 CC.

7Z Cf. notamment les art. 815, 826, 827, 831, 832, 845 (et 851), 863 et 873 CC.

7J Cf. supra, p. 60 et la note Il.

74 BÂNZIGER-COMPAGNOM (note 12), pp. 74 à 135.

1S La loi n'exige pas la preuve de l'intérêt et se contente de la vraisemblance; cf. STEINAUER

(note 4), nC 585; ZoBl. (note 20), nO 560; etc.

76 Cf. l'exemple donné supra, note 19.

77 Cf. STEINAUER (note 56), p. 24.

78 Art. 956 al. 2 CC ct art. 104 ORF.

19 Art. 956 al. 3 CC et art. 97 ss OJF.

74

(18)

Pour un registre foncier public

Dans ce contexte, on ne peut s'empêcher de relever qu'en France, la doc- trine justifie ainsi le fait que l'accès aux données que renferment les bureaux de la conservation des hypothèque n'est pas subordonné à l'existence d'un intérêt particulier: «cette règle est inévitable. Si l'on avait voulu exiger un intérêt, on n'aurait pas pu le définir avec une précision suffisante: le simple curiera d'aujourd'hui est peut-être un prêteur éventuel, un acquéreur éven- tuel, qui veut être informé avant d'entamer une négociation»"'. Ce serait faire preuve de sagesse que de s'inspirer des ces principes et de renoncer à subor- donner la consultation du registre foncier à la justification préalable d'un intérêt (légitime ou non).

8. La publicité ne peut être à dera vitesses

La reconnaissance d'intérêts génériques conduit à une publicité immobilière à deux vitesses. Ce problème existe déjà, mais de façon limitée en droit actuel:

seuls des utilisateurs agissant ès qualités (ou étant titulaires d'un droit réel sur l'immeuble) sont susceptibles de bénéficier d'un tel régime", qui paraît de surcroît amplement fondé s'agissant d~s autorités, officiers publics et in- génieurs-géomètres.

Mais il s'amplifiera sensiblementsi l'art. 970 al. 2 CC du projet du 3 juillet 200 1 acquiert force de loi, pui:;que le cercle des bénéficiaires sera étendu à divers professionnels de l'immobilier". L'on assistera ainsi à la création de deux classes d'utilisateurs: les «aristocrates,> de la consultation qui, une fois adoubés, pourront consulter librement le grand livre (sous réserve de con- trôles a posteriori)" et la «piétaille,>, qui devra continuer à montrer patte blanche pour accéder aux données qui ne sont pas de toute manière libre- ment consultables.

Au-delà des problèmes d'égalité de traitement (et d'abus potentiels) que pose un tel régime", il est permis de penser qu'une telle évolution n'est en tout état de cause pas souhaitable. La publicité foncière a pour destinataires les tiers, sans distinction; il n'être guère justifiable de faciliter l'accès à cer- tains d'entre eux et n'est pas sain de donner l'impression que les droits réels sont avant tout opposables à un certain cercle d'initiés. Qu'il y ait de fort

80 1. FLOUR, Cours de droit civil. Les sûretés, la publicite foncière, Paris 1965-1966, p. 870 (cite par P'EDELIÉVIlE [note 62), p. 76, oo'e 1).

81 Art. Il lm ORE 82 Cf. supra, p. 65.

83 Cf. art. liim al. 3 ORF.

84 Voir des exemples supra, p. 65s.

(19)

Bénédict FOBx

bonnes raisons pratiques d'ouvrir grandes aux professionnels de l'immobi- lier les portes du registre foncier n'implique pas qu'il faille simultanément refuser cet avantage aux autres utilisateurs.

9. 11 Y a des précédents, à l'étranger comme en Suisse

Notre système juridique n'est évidemment pas le seul à devoir régler la question de l'accès aux données que renferme son instrument de publicité immobilière. Ainsi, on a déjà relevé que le droit allemand exige un intérêt légitime, ce qui n'a pas manqué d'influencer la doctrine suisse" . Mais la législation de trois autres de nos voisins aurait également pu et pourrait encore servir de source d'inspiration. Ainsi, l'art. 2196 al. 1 CCfr. permet à toute personne d'avoir accès aux données publiées au bureau des hypothèques, sans devoir justifier d'un intérêt particulier"; l'art. 2673 CCiI. renferme une so- lution similaire". Il en va de même en en Autriche" où, depuis peu, il est en outre possible de consulter le registre foncier par Internet"'.

Il devrait donc être possible, en Suisse également, d'ouvrir les portes du registre foncier à tout un chacun. En matière mobilière, certains registres peuvent d'ailleurs être consultès librement: tel est le cas du registre des aé- ronefs'" et du registre des pactes de rèserve de propriété" (mais non, il est vrai, du registre des bateaux" et du registre sur l'engagement du bétail").

g, Cf. supra, p. 62.

86 Art. 2196 CCfr.: «Les conservateurs des hypothèques sont tenus de délivrer, à tous ceux qui Je requièrent, copie ou extrait des documents, autres qUi! les borden!aux d'inscription, déposés à leur bureau dans /a limite des cinquante années précédant celle de la réqUisi- tion, et copie ou extrait des inscriptions subsistantes». Cf. PIEOELlÈVRE (note 62), p. 76;

$IMLER / DEL'BECQUE (note 62), p. 687.

87 Art. 2673 al. 1 CCit.: «Il conservatore dei registri immobiUari deve ri/asciare a chiunque ne fa richiesta copia delle trascrizioni. delle iscrizioni e delle annotazioni. 0 il certjficaro che non ~'e ne è alcuna». \bir L FERRI 1 P. ZANEw, Trascrizione immobiliare. in Commentario dei Codice civile. Art. 2643-2696, 3e éd., Bologne et Rome 1995, n. t ad art. 2673.

81 Art. 7 § 2 de la Bundesgesetz von 2. Februar /955 über die Gnmdbücher: «Jedemuum kann das Grundbuch in Gegenwarl eines Grundbuchsbeamten einseJren und Abschriften oder Auszüge dClraus erheben; der Grnndbuchsfii.hrer hot sie zu erteilen».

89 http://www.justiz.gv.atldb...grundbuchlabfrage.html. Voir notamment les art 6 ss de la Bundesgesetz yom 27. November 1980 über die Umstellung des Grundbuchs ouf aulomationsunterstützte Datenverarbeitung und die .. .fnderung des Grundbuchsgesetzes und des Gen·cht.skommissiirsgesetzes.

90 Art. 13 al. 2 de la Loi fédérale sur le registre des aéronefs, du 7 octobre 1959.

91 Art. 17 de J'Ordonnance du Tribunal fédéral concernant l'inscription des pactes de réserve de propriété, du 19 décembre 1910.

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