Sarcome d’Ewing des parties molles.
A ` propos d’un cas et revue de la litte´rature
Y. El Andaloussi, K. Hachimi, S. Fnini, A. Largab
Service de traumatologie-orthope´die (P32), CHU Ibn-Rochd, Casablanca, Maroc Correspondance :e-mail : yassirelandaloussi27@hotmail.com
Re´sume´ : Nous rapportons un cas de sarcome d’Ewing des parties molles, pathologie rare de l’adulte jeune. Il n’existe pas de signes cliniques ou radiologiques spe´cifi- ques, TDM ou IRM et le diagnostic est anatomopathologique. Ne´an- moins, c’est un diagnostic a` e´vo- quer de principe devant toute tumeur primitive des parties molles.
Mots cle´s :Sarcome d’Ewing – Parties molles – TDM
Ewing sarcome of soft tissues.
A case report and literature review
Abstract: A case of intraosseous Ewing sarcoma is reported. This pathology of the young adult is very rare, clinical or imaging (CT or MRI) findings are non-specific and diagnosis is based on histology.
Nonethless, this diagnosis should be considered in all patients with primary soft tissue tumors.
Keywords: Ewing sarcoma – Soft tissue – CT scan
Introduction
Les tumeurs des tissus mous sont de topographies et d’e´tiologies multiples. Le sarcome d’Ewing, dans sa forme typique, est de localisation osseuse, il repre´sente 10 a` 15 % des tumeurs osseuses malignes. Cependant, il existe des formes moins typiques qui peuvent se de´velopper dans les tissus mous.
Nous rapportons un cas de sarcome d’Ewing des parties molles. Il s’agit d’une pathologie rare de l’ado-
lescent et de l’adulte jeune, dont le diagnostic positif de tumeur des parties molles est facile en image- rie, mais dont le diagnostic e´tio- logique est difficile et rele`ve essentiellement de la biologie mole´- culaire.
Observation
Mme J.Z., 27 ans, sans ante´ce´dent particulier, pre´sentait depuis cinq ans (1998) une tume´faction de la face poste´rieure de la jambe droite, ayant augmente´e progressivement de volume, douloureuse. Dans un contexte d’alte´ration de l’e´tat ge´ne´- ral avec amaigrissement important.
L’examen clinique mettait en e´vidence une e´norme masse du tiers moyen de la face poste´rieure de la jambe droite : ferme par endroits et liquidienne par d’autres.
Il n’existait pas de circulation colla- te´rale, ni de signes inflammatoires ou d’ade´nopathies locore´gionales.
La radiographie de la jambe (Fig. 1) montrait une augmentation tre`s importante de la densite´ des parties molles, sans calcification, mais avec une e´rosion corticale de la face poste´rieure du tibia.
La TDM (Fig. 2) objectivait un volumineux processus tumoral de la loge poste´rieure de la jambe droite, mesurant 13,3 cm de diame`- tre transverse et 9,2 cm de diame`tre ante´roposte´rieur, e´tendu sur une hauteur de 20 cm, refoulant les deux os de la jambe en avant et les structures tibiofibulaires en pe´riphe´rie. Ce processus comporte une large composante tissulaire fortement rehausse´e apre`s injection de contraste et une partie lique´fie´e
pe´riphe´rique parcourue par des cloisons e´paisses e´galement rehau- sse´es par le contraste. La TDM a note´ e´galement l’e´rosion osseuse par contiguı¨te´ du tiers moyen de la face poste´rieure du tibia. L’IRM a e´te´
demande´e mais non faite par manque de moyens de la patiente.
Ne´anmoins, le bilan d’extension thoracoabdominopelvien par TDM avait objective´ la pre´sence de me´tastases pulmonaires et he´pati- ques. La biopsie de la moelle s’est re´ve´le´e normale.
Une biopsie musculaire e´tait re´alise´e, montrant un aspect multi- locule´, friable, he´morragique et ne´crose´. L’examen anatomopatho- logique e´tait difficile et l’e´tude immunohistochimique montrait la pre´sence d’anticorps anti-CD99, confirmant le diagnostic de sar- come d’Ewing des parties molles (Fig. 3). La patiente avait be´ne´ficie´
d’une chimiothe´rapie (adriamycine et endoxan) en janvier 2003, mais malheureusement le de´ce`s par insuffisance respiratoire et surinfec- tion pulmonaire en milieu de re´ani- mation, est survenue avant la fin de sa cure.
Discussion
Le sarcome d’Ewing des parties molles (EES) est une pathologie rare de l’adulte jeune, puisque seu- lement 150 cas environ avaient e´te´
de´crits en 1988 (Enzinger et al. [9]).
Tefft et al. [21] e´tait le premier a`
rapporter en 1969, quatre cas de SE non osseux paraverte´braux a` peti- tes cellules. En 1975, la premie`re se´rie conse´quente collige 39 cas, dont 77 % e´taient aˆge´s entre 10 et Oncologie (2007) 9: 310–312
©Springer 2007
DOI 10.1007/s10269-007-0627-z
ONCOLOGIE
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30 ans (moyenne 20 ans) [Angervall et al. [2]]. Pour Pritchard et al. [17], 70 % des patients avaient moins de 20 ans.
Selon les auteurs, il semble exister une discre`te pre´dominance masculine et la moyenne d’aˆge est de 20 ans, soit un peu plus que le sarcome d’Ewing osseux (15 ans).
Les signes d’appel clinique sont peu spe´cifiques : douleurs et/ou
tume´faction. La douleur ne survient que dans un tiers des cas par atteinte des nerfs pe´riphe´riques ou de la moelle avec possibilite´ de troubles moteurs et sensitifs, ou par he´morragie intratumorale (Allam et al. [5]). Il s’agit de le´sion a`
croissance rapide qui mesure clas- siquement 5 a` 10 cm au moment du diagnostic. Le de´lai diagnostique (entre les premiers symptoˆmes et le diagnostic de certitude anato- mopathologique) est en principe infe´rieur a` un an (Enzinger et al. [9]).
La topographie est ubiquitaire, mais atteint pre´fe´rentiellement la re´gion paraverte´brale (Enzinger et al. [9], Paoletti [16]), la paroi thoracique, le re´trope´ritoine et les extre´mite´s plutoˆt infe´rieures que supe´rieures (Magu et al. [13], Radouane et al. [18]), mais e´gale- ment la teˆte, le larynx et les fosses nasales (Allam et al. [1]). L’aspect bien limite´ de la tumeur n’est pas synonyme de be´nignite´. La le´sion est excentre´e par rapport a` l’os et l’atteinte osseuse est rare, secon- daire, par contiguı¨te´, lytique et/ou avec re´action pe´rioste´e (Rose et al. [19], Kobos et al. [12]).
En imagerie, les le´sions ne sont pas spe´cifiques. Il s’agit d’une tumeur des parties molles, bien limite´e, avec aspect de pseudoca- psule, polylobe´e, parfois tre`s volu- mineuse, souvent hypoe´choge`ne en e´chographie et hypodense en TDM par rapport aux muscles. Elle ne contient pas de calcifications avant traitement et elle est souvent hypervascularise´e, donc hyper- dense apre`s injection de produit de contraste (Rose et al. [19], O’Keeffe et al. [15]).
En IRM, la le´sion est plus ou moins he´te´roge`ne, en isohyposi- gnal Tl par rapport au muscle, en hypersignal T2, et en hypersignal Tl-Gadolinium (Allam et al. [1]). Le diagnostic diffe´rentiel, compte tenu de la symptomatologie et de l’aspect morphologique, se fait tout d’abord avec le sarcome d’Ewing osseux, mais la le´sion est excentre´e et l’atteinte osseuse est secondaire. Ensuite vient le neurofibrome ; le neuroblastome, le rhabdomyosarcome (fibres musculaires), l’histiocytome (aˆge
supe´rieur a` 45 ans, calcifications (O’Keeffe et al. [15]), l’histiofibro- sarcome, le liposarcome (aˆ ge supe´rieur a` 30 ans, graisse bien diffe´rencie´e (O’Keeffe et al. [15]).
Enfin, l’he´ mangiope´ ricytome, l’angiosarcome (Allam et al. [1]) et le neurinome.
Le diagnostic de certitude est apporte´ par l’examen anatomopa- thologique. La biopsie est re´alise´e sur une portion charnue de la tumeur, en re´gion non ne´crotique.
En cas de re´cidive tumorale ou d’atteinte ganglionnaire associe´e, un pre´le`vement cytologique a`
l’aiguille fine peut eˆtre suffisant (Bakbos et al. [3]).
Macroscopiquement, il s’agit d’une tumeur, multilobule´e, friable.
Le diagnostic extemporane´ est dif- ficile en microscopie optique. Il s’agit de petites cellules rondes ressemblant aux autres sarcomes et il n’existe pas de diffe´rence avec le sarcome d’Ewing osseux (Wigger et al. [22]).
L’ultrastructure est de type me´- senchymateux, avec absence de structures spe´cifiques comme les myofibrilles ou les granules neuro- se´cre´tants (Allam et al. [1], O’Keeffe et al. [15], Enzinger et al. [10]). Cet aspect rapproche le sarcome d’Ewing des tumeurs neuroectoder- miques primitives (PNET).
Le diagnostic rele`ve de la cyto- ge´ne´tique et de l’immunohisto- chimie, en particulier graˆce a`
l’hybridation in situ par immuno- fluorescence. Quatre-vingt cinq pour cent des PNET/EES pre´sentent une translocation t(21, 22) (q24, ql2) impliquant le ge`ne EWS (Ewing’s sarcoma gene), et 5 a` 10 % une translocation t(21, 22) (q21, ql2) (Siebenrock et al. [20], Dellatre [6], Dei Tos et al. [5], Christie et al. [4]).
Cette analyse histoge´ne´tique per- met le diagnostic dans les cas difficiles (Dei Tos et al. [5]).
Mais la translocation t(21, 22) est e´galement retrouve´e dans les tumeurs desmoplastiques et les tumeurs d’Askin. Par ailleurs, l’anti- corps monoclonal HBA 71 permet la mise en e´vidence de la glycopro- te´ine de surface p30-32 encode´
par le ge`ne mic2 pre´sent dans
Fig. 1.
Radiographie de la jambe (F + P) montrant une augmentation importante de la densite´ des parties molles, avec e´rosion de la corticale poste´rieure du tibia.
X-ray of leg showing an increasing of soft tissues density with posterior cortical erosion of the tibia.
Fig. 2.
La TDM de la jambe a objective´ un volumineux processus tumoral de la loge poste´rieure de la jambe, refoulant les deux os de la jambe en avant et les structures tibiofibulaires en pe´riphe´rie. L’e´rosion osseuse est e´galement note´e.
CT scan of the leg showing a posterior tumoral process of the leg.
CASCLINIQUE
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90 % des cellules d’Ewing (Dellatre [6], Christie et al. [4]) ; il s’agit d’une me´thode spe´cifique et sensible dif- fe´renciant les cellules d’Ewing des autres cellules (Miethienen et al.
[14]). L’anticorps CD99 permet la mise en e´vidence de mic2, absent dans les neuroblastomes (Mie- thienen et al. [14]).
Le traitement ne se conc¸oit qu’apre`s la confirmation du diag- nostic par biopsie, et il associe chirurgie, polychimiothe´rapie et radiothe´rapie. La chirurgie est pre- mie`re dans les petites tumeurs facilement extirpables, pre´ce´de´e par la biopsie et la chimiothe´rapie dans les autres cas.
Les me´tastases sont possibles (13 cas sur 22 dans la se´rie de O’Keeffe et al. [15]), les organes cibles sont le poumon (huit cas), le foie (trois cas) et le cerveau (trois cas), le squelette, le pe´ritoine, plus rarement les ganglions (a` la diffe´- rence du rhabdomyosarcome et du lymphome malin). Le pronostic esta priorimauvais, avec possibilite´
de re´cidive locale ou de me´tastases tardives (de´lai de trois mois a` deux ans) (Rose et al. [19], O’Keeffe et al.
[15]). Dans une se´rie de 34 cas, avec un suivi de sept a` dix ans, Sieben- rock et al. [20]) observe une survie de 50 % a` cinq ans, alors qu’elle est de 10 % dans les tumeurs me´tasta- tiques (Ek et al. [7]). Gururangan et al. [11] rapporte dans une se´rie de 17 cas, l’absence de re´cidive dans 12 cas, une re´cidive toujours en vie et quatre de´ce`s. La re´mission durable est donc possible.
Re´cemment, Engelhardt et al. [8]
de´montrent apre`s une revue de 35 patients a` un recul moyen de 8,5 ans que la chimiothrapie a` forte dose associe´e a` la transplantation auto- logue de cellules souches he´mato- peı¨tiques, ame´liore le pronostic a`
long terme.
Sur le plan e´tiopathoge´nique, il s’agit d’une tumeur me´senchyma- teuse apparente´e aux PNET, avec une pre´disposition ge´ne´tique : la translocation q12 du chromosome 22 e´tant retrouve´e dans 95 a` 100 % des cas. Cela explique la notion de contexte familial e´voque´ de`s 1995
(Enzinger et al. [9]). Parmi les patients ayant pre´sente´ un sarcome d’Ewing des parties molles, quatre pre´sentaient un contexte ne´opla- sique familial :
– un fre`re de´ce´de´ d’un sarcome d’Ewing osseux ;
– une me`re traite´e pour oste´o- sarcome ;
– un fre`re pre´sentant un sarcome d’Ewing osseux et une me`re pre´sentant un cancer pul- monaire.
Conclusion
Le sarcome d’Ewing des parties molles est une maladie rare et grave ne´cessitant une prise en charge dans un centre de re´fe´rence.
Le diagnostic est essentielle- ment mole´culaire. Il est tre`s proche des tumeurs neuroectodermiques sur le plan de l’ultrastructure, de la cytoge´ne´tique, de la biochimie et de l’immunologie. Devant l’absence de signe radiologique spe´cifique, il semble ne´cessaire de l’inclure dans le diagnostic diffe´rentiel de toute tumeur primitive des parties molles. L’imagerie, l’IRM en parti- culier, permet un bilan le´sionnel et d’extension exhaustive et un suivi the´rapeutique.
Le traitement repose sur l’asso- ciation radiothe´rapie, chimiothe´- rapie et chirurgie. Le pronostic est re´serve´ dans les formes diag- nostique´es tardivement.
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