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Etude des dynamiques et des mécanismes de l’agrégation dans les sociétés de fourmis, en particulier

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Academic year: 2021

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UNIVERSITE PARIS XIII – PARIS NORD

U.F.R. LETTRES, SCIENCES DE L'HOMME ET DES SOCIETES UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES

FACULTE DES SCIENCES

N° attribué par la bibliothèque

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T H E S E

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS XIII

DOCTEUR EN SCIENCES DE L’UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES Discipline : BIOLOGIE DES ORGANISMES

(Mention Biologie du Comportement) présentée et soutenue publiquement

par

Stéphanie DEPICKERE

le 03 novembre 2003

Etude des dynamiques et des mécanismes de l’agrégation dans les sociétés de fourmis, en particulier

chez Lasius niger (L.)

JURY

P. JAISSON Professeur, Université Paris XIII Président

O. PETIT CNRS, Université Strasbourg I Rapporteur

C. RIVAULT CNRS, Université Rennes I Rapporteur

C. DETRAIN FNRS, Université Libre de Bruxelles Examinatrice J.-L. DENEUBOURG FNRS, Université Libre de Bruxelles Examinateur

(Directeur de thèse) D. FRESNEAU Professeur, Université Paris XIII Examinateur

(Directeur de thèse) 1

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A mes parents A ma famille

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REMERCIEMENTS

Toutes ces années de thèse, intenses en réflexions, en échanges, en amitiés, je les dois à mes promoteurs, Jean-Louis DENEUBOURG et Dominique FRESNEAU : qu’ils en soient ici remerciés. Jean-Louis, tu m’as fait découvrir la biologie théorique et la programmation, univers inconnus devenus compréhensibles et passionnants !!! Pour toute ta patience, ta bonne humeur, ton dévouement pour chacun d’entre nous malgré la tonne de travail qui t’incombe, et surtout pour l’immensité de tes connaissances que tu n’hésites pas à partager et à essayer de nous ensei- gner, trouve ici mes mercis les plus chaleureux. A toi Dominique, pour ta bonne humeur malgré toutes les difficultés que la vie apporte parfois, pour ton aide, ton intérêt pour le phénomène agrégatif, pour tes connaissances impressionnantes des fourmis et de la biologie, je te remercie également sincèrement.

Je souhaite remercier Grégoire NICOLIS (ULB) et Pierre JAISSON (Paris XIII) pour m’avoir permis d’effectuer une thèse dans leurs services respectifs.

Mes plus vifs remerciements sont adressés aux membres du Jury : Colette RIVAULT et Odile PETIT pour la gentillesse avec laquelle elles ont accepté d’être rapporteurs de cette thèse, Claire DETRAIN et Pierre JAISSON pour leur empressement à répondre présent à ma demande.

Je remercie également René LEFEVER, pour m’avoir suivie durant mon doctorat, Jacques DELABIE, Sanford PORTER et Jochen KETTERL pour l’aide qu’ils m’ont apportée lors de la détermination de mon espèce de Solenopsis, et enfin Annie et Guy LEROUX pour leur enthou- siasme, leur aide et les conversations intéressantes que nous avons eues.

Je remercie le Fonds National de Recherche Scientifique, la fondation Van Buuren et le Re- search Training Network "Complexity in Social Science" (COSI) pour leur soutien financier. A cette occasion, je remercie Pasquale NARDONE, Françoise DECORTIS et tous les membres de COSI pour les relations multi-disciplinaires qu’ils ont créées et l’enrichissement qui en découle.

Merci de tout coeur à tous mes collègues devenus amis, avec qui j’ai passé toutes ces années, pour leur humour, la joie de travailler tous ensemble, leur aide et nos conversations fructueuses !

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Anne-Cath, Ana, Denis, Audrey, Raph, Jérôme, Pablo, Anne, Johann pour les non moins im- portants !!! Mais je n’oublierai pas de remercier les personnes dont j’ai croisé le chemin, telles que Cristina qui travaille sur les Atta, et Maria-René, Gaby et Yaskara pour leur aide avec les Solenopsis !!!

Des immenses mercis tous spéciaux à mes parents, qui m’ont soutenue et aidée de manière permanente, à toute ma famille dont je suis fière de leur soutien et de leur amour sans faille.

Qu’ils reçoivent ici toute mon immense gratitude !!!!

Mes derniers et mes plus chers remerciements vont tout droit à Marcelo sans qui la vie ne serait pas la même ... Pour son soutien constant malgré ses propres soucis, pour les discussions passionnantes entre biologie et physique, pour son ouverture d’esprit et sa gentillesse, pour tout, . . . gracias, nayax jumar munta kunturaja . . .

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Table des matières

I Introduction 11

I.1 Pourquoi se rassembler ? . . . 11

I.1.1 Meilleure protection contre les prédateurs . . . 12

I.1.2 Succès reproducteur plus important . . . 13

I.1.3 Amélioration de l’efficacité alimentaire . . . 15

I.1.4 Renforcement de la cohésion des sociétés . . . 16

I.2 Comment se rassembler ? . . . 17

I.2.1 Réponse aux hétérogénéités de l’environnement . . . 18

I.2.2 Réponse aux inter-attractions . . . 19

I.2.3 Synergie : hétérogénéités et inter-attractions . . . 20

I.3 Agrégation chez les insectes sociaux . . . 21

I.3.1 Observations . . . 21

I.3.2 Caractérisation des phénomènes d’agrégation et d’auto-organisation . 22 II Buts du travail 25 III Matériel et Méthode 27 III.1 Biologie des espèces utilisées . . . 27

III.1.1 Lasius niger (L.) . . . 30

III.1.2 Linepithema humile (Mayr) . . . 32

III.1.3 Atta sexdens rubropilosa (Forel) . . . 34

III.1.4 Crematogaster scutellaris (Olivier). . . 36

III.1.5 Myrmica rubra (L.) et Myrmica ruginodis (Nyl.) . . . 38

III.1.6 Pheidole pallidula (Nyl.) . . . 40

III.1.7 Solenopsis interrupta (Santschi) . . . 42

III.2 Méthode d’étude . . . 48

III.2.1 Définition de l’agrégation . . . 48

III.2.2 Elevage des colonies . . . 49 7

(8)

III.2.3 Dispositifs utilisés . . . 49

III.2.4 Traitements et Mesures . . . 50

III.2.5 Comportements individuels et modélisation . . . 52

III.2.6 Expériences atypiques . . . 53

IV Influence de la densité dans un dispositif en couronne 55 IV.1 Dispositif Expérimental et Méthode . . . 56

IV.1.1 Influence de la population totale . . . 56

a. Etude au niveau collectif . . . 56

b. Etude au niveau individuel . . . 57

c. Modèle . . . 59

IV.1.2 Influence du marquage . . . 61

IV.2 Résultats . . . 61

IV.2.1 Influence de la population totale . . . 61

a. Résultats collectifs . . . 61

b. Résultats individuels . . . 70

c. Résultats théoriques . . . 71

IV.2.2 Influence du marquage . . . 73

IV.3 Discussion . . . 75

V Influence de la densité et de la surface 77 V.1 Dispositif Expérimental et Méthode . . . 77

V.2 Résultats . . . 79

V.3 Discussion . . . 88

VI Influence du polyéthisme 89 VI.1 Dispositif Expérimental et Méthode . . . 90

VI.1.1 Expériences en lumière rouge . . . 90

a. Etude au niveau collectif . . . 91

b. Etude au niveau individuel . . . 92

VI.1.2 Expériences en absence totale de lumière . . . 95

VI.1.3 Recherche d’une différence de température . . . 95

VI.2 Résultats . . . 96

VI.2.1 Expériences en lumière rouge . . . 96

a. Résultats collectifs . . . 96

b. Résultats individuels . . . 101

c. Résultats théoriques . . . 103

(9)

TABLE DES MATIÈRES 9

VI.2.2 Expériences en absence totale de lumière . . . 104

VI.2.3 Recherche d’une différence de température . . . 108

VI.3 Discussion . . . 109

VII Influence du jeûne 113 VII.1 Dispositif Expérimental et Méthode . . . 114

VII.1.1 Expériences en lumière rouge . . . 114

VII.1.2 Expériences en absence totale de lumière . . . 115

VII.2 Résultats . . . 115

VII.2.1 Expériences en lumière rouge . . . 115

VII.2.2 Expériences en absence totale de lumière . . . 117

VII.3 Discussion . . . 120

VIII Etude chez d’autres espèces 123 VIII.1 Crematogaster scutellaris . . . 126

VIII.1.1 Dispositif Expérimental et Méthode . . . 126

a. Agrégation en lumière rouge . . . 126

b. Agrégation en absence totale de lumière . . . 127

c. Exploration . . . 128

VIII.1.2 Résultats . . . 128

a. Agrégation en lumière rouge . . . 128

b. Agrégation en absence totale de lumière . . . 131

c. Exploration . . . 133

VIII.1.3 Résumé . . . 134

VIII.2 Atta sexdens rubropilosa . . . 135

VIII.2.1 Dispositif Expérimental et Méthode . . . 135

VIII.2.2 Résultats . . . 136

VIII.2.3 Résumé . . . 139

VIII.3 Solenopsis interrupta . . . 139

VIII.3.1 Dispositif Expérimental et Méthode . . . 139

a. Agrégation . . . 139

b. Exploration . . . 140

VIII.3.2 Résultats . . . 141

a. Agrégation . . . 141

b. Exploration . . . 145

VIII.3.3 Résumé . . . 146

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VIII.4 Pheidole pallidula . . . 146

VIII.4.1 Dispositif Expérimental et Méthode . . . 146

VIII.4.2 Résultats . . . 149

VIII.4.3 Résumé . . . 153

VIII.5 Linepithema humile . . . 154

VIII.5.1 Dispositif Expérimental et Méthode . . . 154

VIII.5.2 Résultats . . . 156

VIII.5.3 Résumé . . . 161

VIII.6 Myrmica . . . 162

VIII.6.1 Dispositif Expérimental et Méthode . . . 162

VIII.6.2 Résultats . . . 165

VIII.6.3 Résumé . . . 169

VIII.7 Discussion . . . 169

IX Discussion 175 IX.1 Aspect général de l’agrégation . . . 175

IX.2 Comportements individuels conduisant à l’agrégation . . . 179

IX.3 Perspectives . . . 181

Bibliographie 187

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Chapitre I Introduction

Lorsque l’on s’intéresse à la vie animale, un des phénomènes les plus remarquables est le regroupement d’individus. En effet, il suffit de lever la tête les soirs d’été pour apercevoir des nuées de moustiques, ou de soulever une pierre au jardin pour y découvrir des groupes de four- mis ou de cloportes. Ce phénomène est appelé agrégation. Les rassemblements qu’il engendre peuvent être mono- (essaim d’abeilles) ou multi-spécifiques (plancton), permanents ou tempo- raires. Quels sont donc les avantages de la vie en groupe pour qu’autant d’espèces aient adopté ce mode de vie, même si ce n’est que de manière temporaire ? Que leur apporte-t-il ? Comment les individus parviennent-ils à former ces groupes qui, parfois, peuvent rassembler un grand nombre d’individus comme lors des migrations des criquets, des oiseaux, des grands troupeaux d’herbivores en Afrique, ou lors des rassemblements de manchots en Antarctique ? Nous pou- vons rassembler ces questions en deux grands groupes complémentaires, à savoir le pourquoi, qui traite de la valeur adaptative du phénomène, et le comment, qui s’attache à expliquer les mé- canismes proximaux du phénomène. Nous aborderons ces deux aspects de l’agrégation avant d’étudier plus spécifiquement l’agrégation chez les insectes sociaux.

I.1 Pourquoi se rassembler?

L’étude de la causalité des rassemblements d’animaux revient à rechercher la valeur adapta- tive du comportement. Le parcours de la littérature montre que quatre bénéfices majeurs ont été mis en évidence. Ils ont trait respectivement à la protection contre les prédateurs, à la reproduc- tion, à l’alimentation et enfin à la cohésion du groupe et au support d’autres activités sociales.

Ces différents bénéfices ne sont pas spécifiques à une espèce ou à une organisation sociale par- ticulière. Nous verrons pour les différents types de bénéfices que nos exemples viennent aussi bien de groupes de vertébrés que d’invertébrés.

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I.1.1 Meilleure protection contre les prédateurs

La protection contre les prédateurs a été particulièrement bien étudiée pour les bancs de poissons (Magurran 1990 ; Parrish & Hamner 1997 ; Wilson 2000). La moitié des espèces de poissons (soit quelques 10 000 espèces) se réunissent en bancs au moins une fois au cours de leur vie. Les bancs correspondent au regroupement temporaire d’individus nageant en étroite cohésion, à une distance déterminée les uns par rapport aux autres. Ils sont constitués le plus souvent par des individus d’une même espèce, des deux sexes et d’âge identique. L’effectif, la distance inter-individuelle et la vitesse de déplacement sont fonction de l’espèce.

Un large groupe de proies mouvantes peut confondre le prédateur qui essaie de focaliser son attention sur la capture d’une des proies, ce qui diminue la probabilité de succès du prédateur.

Ainsi, il est reconnu que diverses espèces de poissons telle que les perches (Perca fluviatilis) mais également des céphalopodes comme les calmars (Loligo vulgaris) ont un succès de pré- dation plus faible dans les grands bancs que dans les petits bancs (Neill & Cullen 1974). Cette

"confusion" peut être accentuée par la coloration des poissons (souvent argentés, à motifs ré- fléchissants) et par les stratégies qu’adopte le banc lors de l’attaque d’un prédateur : scission du banc, dispersion des individus selon différentes stratégies comme la "flash expansion" ou

"l’effet fontaine" ... (Partridge 1982).

Les déplacements en groupe réduisent les risques individuels de rencontre avec un prédateur.

De plus, quand un prédateur s’attaque au banc, il ne consomme qu’une partie des individus, la grande majorité d’entre eux s’en sortant indemne (de même pour les regroupements de têtards : Waldman 1991). Les individus du banc ne bénéficient pas des mêmes avantages : la périphé- rie est plus exposée au danger que le centre. Il en résulte un turn over entre les individus de la périphérie et les individus du centre du banc. Ainsi, au-dessus d’un certain seuil de taille, l’augmentation de l’effectif du banc permet une protection de plus en plus efficace étant donné que le volume du banc augmente plus rapidement que sa surface. Le groupe procure également une meilleur vigilance pour détecter les prédateurs, étant donné le plus grand nombre de paires d’yeux disponibles (Wolf 1987 ; Domenici & Batty 1994). Il permet, en outre, d’augmenter l’endurance des individus nageant en groupe (jusqu’à six fois) par une amélioration de l’effica- cité hydrodynamique de la nage (Wiehs 1973).

Ces divers avantages face à la prédation ne sont pas réservés aux milieux marins et dul- cicoles, ils ont également été mis en évidence chez d’autres groupes d’animaux tels que les oiseaux (Lissaman & Shollenberger 1970 ; May 1979 ; Driver & Humphries 1988) ou les mam-

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Chapitre I. Introduction 13

mifères (Stacy 1986 ; Boinski & Garber 2000). La détection d’un prédateur par un membre du groupe peut être signalée à tous les congénères par des stimuli d’origine chimique (par exemple, la phéromone d’alarme chez les fourmis, Hölldobler & Wilson 1990), vocal (oiseaux : Alatalo & Helle 1990, mammifères : King 1955), etc., permettant aux individus d’entreprendre un comportement de fuite (Ydenberg & Dill 1986) ou d’attaque (Brown & Hoogland 1986) qui a plus de succès que si ces individus étaient solitaires. Enfin, si la majorité des recherches a été consacrée aux vertébrés, différents travaux ont mis en évidence des effets similaires chez divers arthropodes et insectes grégaires (Krause & Ruxton 2002). Chez les insectes sociaux, un exemple typique d’effet de groupe est l’augmentation, chez les abeilles, de la perception de la proximité d’un prédateur par les gardes à l’entrée de la ruche : plus ils sont nombreux, meilleure est leur perception (Millor 2000).

I.1.2 Succès reproducteur plus important

Le deuxième bénéfice que retirent les individus vivant en groupe est une augmentation de leur succès reproducteur (Wilson 2000). En effet, la vie en groupe permet d’augmenter l’ef- ficacité reproductive, soit par une rencontre et un choix plus aisé du partenaire, soit par une meilleure protection des jeunes et une aide à l’élevage de la progéniture.

La période de reproduction peut amener la formation de groupes éphémères. Ainsi, chez les manakins moines Manacus manacus, les individus se réunissent sur des aires précises ap- pelées leks ou arènes de reproduction, où chaque mâle parade et défend un petit territoire, très temporaire, uniquement réservé à la reproduction (jusqu’à 70 mâles sur une arène de 150 à 200 m2). Les femelles sont attirées par les vocalises extrêmement sonores et spécifiques des mâles. Dès l’arrivée d’une femelle, les mâles commencent à parader simultanément. La femelle choisit alors son partenaire, s’accouple et quitte le lek pour établir le nid ailleurs pendant que le mâle continue à parader et à s’accoupler avec d’autres femelles (Lill 1974 ; Aron & Passera 2000 ; Campan & Scapini 2002). Pour Bradbury (1982), la formation d’un lek est une tactique adaptative à la très grande dispersion des femelles, rendant plus probable une rencontre entre les sexes. Un autre exemple de rassemblement est celui des lucioles : chez certaines espèces (Pte- roptyx cribellata, P. malaccae, etc.), plutôt présentes en Asie, les mâles se rassemblent dans un arbre et attirent les femelles en émettant de la lumière de manière synchrone (Lloyd 1973 ; Buck & Buck 1976 ; 1978). Cette synchronisation pourrait permettre, entre autres, d’attirer un plus grand nombre de femelles (Otte & Smiley 1977). Les leks et les essaims de reproduction comme on en trouve chez les fourmis, les moustiques, les termites, etc. ont les mêmes fonctions de reproduction et permettent un brassage génétique important de la population (Wilson 2000).

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Un cas particulièrement intéressant montrant que la socialité améliore la reproduction est celui des amibes sociales Dictyostelium (Bonner 1967). En temps normal, ces amibes vivent indépendamment les unes des autres et se reproduisent par scission. Cependant, lorsque l’envi- ronnement devient défavorable et qu’elles ne trouvent plus de nourriture, les amibes s’agrègent en une masse, appelée pseudoplasmodium, qui va se différencier et disséminer les spores qui pourront germer et donner de nouvelles amibes. La fonction de cette agrégation est clairement reproductive.

Vivre en groupe permet également d’augmenter la survie de la progéniture. Un élément in- téressant est la participation des congénères à l’élevage des jeunes. Ainsi, chez les oiseaux, les mammifères et quelques poissons, il a été mis en évidence que des jeunes d’une portée précé- dente, sexuellement matures, peuvent rester avec les parents ou d’autres couples et participer à l’élevage de la nouvelle portée, à la recherche de nourriture et à la défense du territoire. La for- mation de ces groupes est importante pour les deux parties. Ces individus, nommés assistants, aides ou auxiliaires, restent souvent près des parents ou d’autres couples à cause d’une satura- tion de l’habitat (manque de bons sites de nidification où s’installer : fauvette des Seychelles, Komdeur 1992). Les couples bénéficiant de ces aides voient, quant à eux, leur succès reproduc- teur augmenter, surtout pour les couples novices (Geai de Floride, Woolfenden & Fitzpatrick 1984), et voient une diminution de leur charge parentale, ce qui leur permet de procréer plus rapidement (Brown et al. 1978). Il faut signaler, en outre, le rôle important du groupe dans la protection des jeunes : ainsi, chez les éléphants et d’autres ongulés, il a été montré que, lors- qu’un danger menace, les adultes du groupe entourent les jeunes qui se retrouvent ainsi dans une zone protégée pendant que les adultes font front au danger (Wilson 2000). De plus, si leur mère meurt, les jeunes peuvent être élevés par les autres membres du groupe (chimpanzee, ba- bouins, lycaons, etc., Wilson 2000). Les jeunes peuvent aussi être réunis dans des crèches, sous surveillance d’adultes assurant leur protection (comme chez les mangoustes : Rood 1974, les lions : Wilson 2000). Ces coopérations sont également caractéristiques des sociétés d’insectes, nous en discuterons dans la section qui leur est consacrée dans cette introduction.

Enfin, le groupe de jeunes par lui-même peut accroître la survie de ses membres. En effet, chez la tortue marine Chelonias mydas qui pond dans plusieurs trous une centaine d’oeufs, une étude rapporte qu’un jeune issu d’un oeuf isolé a beaucoup moins de chance de sortir du trou dans lequel il a été pondu. Le groupe a pour effet de stimuler le creusement pour accéder à l’air libre et de stimuler la course jusqu’à la mer (Wilson 2000). De même, chez la mouche d’Australie Perga affinis, les oeufs sont pondus dans les tissus végétaux que les larves doivent

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Chapitre I. Introduction 15

percer pour sortir et poursuivre leur développement (Carne 1966). Or, seules une ou deux larves arrivent à percer les tissus et à libérer l’ensemble du groupe. Ensuite, ces larves doivent s’enfouir dans la terre afin de se métamorphoser en adulte. De nouveau, seules quelques rares larves arriveront à percer la croûte et à s’enfouir, créant ainsi une porte d’entrée pour que les autres larves puissent s’enfouir à leur tour. L’agrégation est donc une étape nécessaire afin de devenir adulte chez ces animaux (Carne 1966).

I.1.3 Amélioration de l’efficacité alimentaire

Le troisième avantage lié au regroupement a trait à l’alimentation (Giraldeau & Caraco 2000). On peut signaler des bénéfices au niveau de la recherche, de la capture et de la consom- mation des ressources. Un premier bénéfice, à condition qu’il y ait partage, est une fréquence de découvertes élevée grâce au plus grand nombre d’individus cherchant. En effet, la recherche en groupe permet un balayage élargi de la surface disponible. La source de nourriture peut ensuite être communiquée "volontairement" aux autres membres du groupe (recrutement chimique chez les fourmis : Beckers 1992 ; vocalisation chez la poule : Campan & Scapini 2002 ; vols et cris des congénères chez les vautours : Heinrich 1988, etc.), mais aussi involontairement comme c’est sans doute le cas chez certaines araignées sociales (Krafft & Pasquet 1991). Les regroupe- ments d’animaux, d’une manière générale, quels que soient leurs liens, constituent des systèmes d’information dans lesquels un sujet qui a découvert de la nourriture donne une information aux autres sur sa localisation (Cezilly 1992). De plus, les membres du groupe peuvent bénéficier du savoir d’individus plus expérimentés qui ont une meilleure connaissance de l’environnement et des ressources alimentaires (Wilson 2000).

Le second bénéfice est une meilleure probabilité de réussite dans la capture de proies et la possibilité de sélectionner les proies les plus profitables. C’est typiquement le cas de la chasse coopérative. On peut prendre pour exemple la capture collective de proies chez les labres (Thalasomma lucasanum). Ces animaux se nourrissent d’embryons du sergent-major (Abudef- duf traschelli), poisson territorial dont le nid peut contenir jusqu’à 250 000 embryons. Foster (1987) a montré que seuls les labres en bancs peuvent déjouer le comportement défensif des sergents-majors et que la réussite du comportement de prédation est liée à la taille du banc : plus les labres formant le banc sont nombreux, plus ils éloignent longtemps les sergents-majors de leur nid et plus ils consomment d’embryons. Des résultats similaires ont été mis en évidence pour d’autres groupes d’animaux : la chasse coopérative chez les chimpanzés (Pan troglodytes, Boesch 1994a ;b), chez les buses de Harris (Parabuteo unicinctus, Bednarz 1988), etc. Cette manière de chasser, qui caractérise les grands carnivores sociaux, peut permettre de s’attaquer

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à des proies de taille plus importante que celles auxquelles pourrait prétendre un individu isolé (voir par exemple Kruuk 1972, Creel & Creel 1995). Cependant, ils ont également été mis en évidence chez les arthropodes. Les araignées sociales sont un exemple de ce type où un groupe d’individus peut non seulement capturer des proies plusieurs dizaine de fois supérieures à la taille d’une araignée mais également ramener cette proie dans la retraite du groupe. Des phé- nomènes similaires dans la capture et le transport des proies sont également bien connus chez les insectes sociaux, en particulier chez les fourmis (Hölldobler & Wilson 1990 ; Detrain &

Deneubourg 1997).

Enfin, le fait de consommer la nourriture en groupe permet une meilleure défense de la ressource face à d’autres prédateurs, une amélioration de la prise de nourriture grâce à une baisse de la vigilance (Klein & Klein 1973 ; Podolsky 1990) et l’exploitation et le partage de sources alimentaires par certains individus normalement inaccessibles à d’autres membres comme les jeunes (Struhsaker 1981 ; Waser 1984).

I.1.4 Renforcement de la cohésion des sociétés

Le dernier rôle essentiel de l’agrégation dans les sociétés est de renforcer la cohésion entre les membres de la communauté au travers du développement d’un signal commun. Ce rôle a été montré chez les primates, par exemple, où les rassemblements d’individus permettent les toi- lettages réciproques qui servent à confirmer l’appartenance au groupe, à diminuer les tensions entre les membres du groupe, et de manière générale, à renforcer la cohésion entre les membres (Boinski & Garber 2000 ; Wilson 2000 ; Leca 2002, O. Petit, com. pers.). Un autre exemple sur lequel nous nous attarderons un peu plus longuement, est celui des insectes sociaux comme les fourmis. Un nid de fourmis est caractérisé par la présence de nombreux agrégats au sein des- quels les individus sont en contact étroit les uns avec les autres et peuvent pratiquer des toilettes sociales ou des trophallaxies (échange de nourriture). Ces échanges contribuent au mélange des odeurs individuelles, composées d’hydrocarbures cuticulaires, et dont l’ensemble forme l’odeur de la colonie ("Gestalt colony odour") (Crozier & Dix 1979 ; Isingrini & Lenoir 1986 ; Crozier 1987 ; Dahbi et al. 1999 ; Inoue et al. 1999 ; Lenoir et al. 1999).

Il a été montré chez les Formicidae que les hydrocarbures cuticulaires sont synthétisés par des cellules spécialisées situées dans le corps gras abdominal, certainement les oenocytes (Aron & Passera 2000). Les hydrocarbures sont ensuite véhiculés par l’hémolymphe. Une partie d’entre eux va traverser la cuticule par des pores-canaux et s’étaler à la surface de l’individu.

L’autre partie va être stockée dans la glande postpharyngienne, et aussi dans le jabot social

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Chapitre I. Introduction 17

(Soroker & Hefetz 2000). Un schéma similaire de synthèse et circulation des hydrocarbures a été montré chez les blattes (Fan et al. 2003). Les toilettages réciproques entre fourmis vont permettre à chaque individu de récupérer les hydrocarbures cuticulaires des congénères et de les stocker dans leur propre glande postpharyngienne (Hefetz et al. 2001). Quant aux trophal- laxies, elles assurent le passage des hydrocarbures stockés dans la glande postpharyngienne du donneur au receveur, puisque cette glande débouche au niveau du pharynx. L’auto-toilettage va également permettre d’étaler le mélange d’hydrocarbures de la glande postpharyngienne sur la cuticule de l’individu. L’ensemble de ces mécanismes assure une homogénéisation permanente des substances cuticulaires conduisant à l’odeur sociale (Soroker et al. 1994 ; 1995 ; Dahbi et al. 1998 ; Soroker et al. 1998 ; Boulay et al. 2000 ; Lenoir et al. 2001 ; Soroker et al.

2003). De ce fait, les individus renforcent leur appartenance à la société. Il n’est pas exclu que d’autres composés que les hydrocarbures, issus de glandes exocrines, entrent dans la composi- tion de l’odeur coloniale. De plus, même s’il existe un "bouquet commun d’odeurs coloniales", il peut exister des différences inter-castes, dues à des variations de proportions entre les hy- drocarbures. En effet, chez Camponotus vagus, Bonavita-Cougourdan & Clément (1994) ont montré des proportions différentes d’hydrocarbures cuticulaires entre les ouvrières confinées à l’intérieur du nid et celles qui récoltent la nourriture à l’extérieur du nid ; de même Wagner et al.

(1998) ont montré chez Pogonomyrmex barbatus des variations quantitatives d’hydrocarbures entre les ouvrières spécialisées dans la découverte de nouvelles sources de graines, celles spé- cialisées dans leur récolte et celles chargées des tâches domestiques.

L’agrégation, permettant les échanges entre les individus de la colonie, intervient donc dans la reconnaissance coloniale et de ce fait dans la cohésion et la structuration du groupe. Chaque individu peut être renseigné sur la quantité et la qualité des réserves de nourritures ainsi que sur le volume et l’activité d’autres groupes d’ouvrières assurant des tâches différentes au sein de la colonie (Campan & Scapini 2002). Une certaine régulation sociale peut donc être assurée.

I.2 Comment se rassembler?

L’agrégation est un phénomène important au sein du règne animal du point de vue évolutif et a été relativement bien étudié à ce niveau. Par contre, peu de travaux se sont penchés sur les mécanismes : comment se forme un agrégat ? Quels comportements individuels conduisent à la formation d’un groupe stable d’individus ? Pour répondre à ces questions, il faut commencer par distinguer les différentes origines de l’agrégation.

Un agrégat peut tout d’abord se former de manière passive, sans que la mobilité de l’indi-

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vidu intervienne. Ainsi, il est observé de très grandes concentrations de plancton en certains endroits, dues aux courants marins qui emportent les organismes et les agrègent dans certaines zones (Okubo 1980). Mais l’agrégation peut aussi être active, les organismes se déplaçant et se regroupant d’eux-mêmes. C’est à celle-ci que nous nous intéressons. Dans ce cas, deux origines à l’agrégation peuvent être distinguées : la réponse aux hétérogénéités de l’environnement et la réponse, par inter-attractions, aux congénères.

I.2.1 Réponse aux hétérogénéités de l’environnement

L’identification des hétérogénéités n’est pas toujours évidente pour un observateur humain, car l’espèce étudiée peut être très sensible à des différences, par exemple, de température, de luminosité, ou d’humidité, différences auxquelles nous, nous ne sommes pas sensibles. Un exemple classique est celui de la mouche Stomoxys calcitrans qui se rassemble préférentiel- lement dans des zones de 29C (Fraenkel & Gunn 1961). Chez l’humain, nous pouvons relever des comportements similaires lorsque nous observons des personnes agrégées sous un abris en attendant que la pluie passe, ou lorsque nous observons de longues files d’attente devant l’en- trée d’un cinéma. Dans ce dernier cas, les personnes sont attirées au même endroit, non pour un

"motif social", nécessitant une interaction entre les personnes, mais en réponse à une informa- tion externe au groupe et pour un but : regarder un film.

Les hétérogénéités auxquelles répondent les individus peuvent être d’origine abiotique (tem- pérature, lumière, humidité, etc) ou biotique (ressources). La réponse et les mécanismes de réponse des individus à ces facteurs peuvent être très divers : cinèse, taxie, . . . Nous pouvons relever, par exemple, l’utilisation de la klinotaxie : un individu se trouvant dans une zone de température préférentielle augmente, au cours du déplacement, sa probabilité de changer de di- rection. Il en résulte un accroissement du temps de séjour individuel dans la zone de préférence de température et, dès lors, une augmentation de la densité dans cette zone. Le pou (Pediculus humanus corporis) présente ce type de comportement (Fraenkel & Gunn 1961). Ces systèmes sont caractérisés par une dynamique et des niveaux d’agrégation indépendants de la population totale, étant donné que ce comportement n’implique pas d’interactions avec d’autres individus.

Pour illustrer ce point, supposons deux zones A et B. Notre espèce théorique considérée est caractérisée par un temps de séjour TA dans la zone A et TB dans la zone B, TA > TB. Les individus passent d’une zone à l’autre. Si les individus sont dispersés homogènement (50 % des individus dans chaque zone) au début de l’expérience, la population va croître au cours du temps dans la zone où le temps de séjour est plus élevé (donc la zoneA) et ce, indépendamment de la population totale. Au risque de paraître trivial, ce type d’agrégation ne peut s’observer que

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Chapitre I. Introduction 19

si des hétérogénéités sont présentes dans le milieu, et si les animaux y sont sensibles. Ainsi, ce type d’agrégation ne requiert pas de communication entre les individus qui sont simplement attirés au même endroit par un facteur environnemental.

I.2.2 Réponse aux inter-attractions

Ce type d’agrégation existe chez toutes les espèces sociales ou sub-sociales, où les interac- tions entre les individus sont multiples et conduisent à un rassemblement, les individus étant attirés les uns par les autres. Les contributions des inter-attractions et des autres mécanismes dans la formation des groupes ne peuvent pratiquement être étudiées qu’en laboratoire. Il est, en effet, difficile en milieu naturel de séparer les mécanismes basés sur la réponse aux hétéro- généités environnementales et sur les inter-attractions entre individus.

L’agrégation active fait appel à tous les supports de communication : visuels, tactiles, élec- triques, sonores ou chimiques, qui peuvent être classés suivant leur portée. Ainsi, les commu- nications visuelles et sonores, importantes chez les oiseaux et les mammifères, peuvent être caractérisés par de très grandes portées par rapport à la taille de l’individu. Au contraire, la communication tactile est très souvent à courte portée (de l’ordre de la taille de l’individu). La communication chimique occupe une place essentielle chez de nombreuses espèces et peut agir à longue ou à faible distance. Ainsi, des pistes chimiques (fourmis, Hölldobler & Wilson 1990), des phéromones diffusant dans l’air (Dendroctonus micans, Grégoire et al. 1982), ou des com- posés volatiles présents dans les faeces (Schofield & Patterson 1977 ; Lorenzo Figueiras et al.

1994 ; Lorenzo Figueiras & Lazzari 1998) peuvent être utilisées pour rassembler des individus en un endroit. A l’opposé, chez certaines espèces, le signal reste "attaché" à l’individu émetteur.

Chez les espèces plancto-benthiques, les larves sont libres, alors que les adultes sont fixés sur le benthos. Une larve passant à l’état adulte va s’établir, et le choix de son emplacement de fixa- tion peut être influencé par les marques chimiques laissées par les adultes sur le substrat comme c’est le cas chez les cirripèdes (Crisp & Meadows 1962). D’autres exemples bien connus alliant l’agrégation et la communication chimique peuvent être cités, montrant la grande variabilité des rôles de l’agrégation et des organismes les utilisant. Chez les unicellulaires, les amibes sociales (Dictyostelium discoideum) sont un exemple classique où un jeu entre l’émission d’une molé- cule et une réponse chimiotactique permet aux individus, en période de jeûne, de se rassembler en un endroit pour former le pseudoplasmodium, organisme multicellulaire comprenant 10 000 à 100 000 cellules qui, par la suite, va se différencier et produire des spores (Bonner 1967 ; 1983 ; Golbeter 1996). Un autre exemple est celui du scolyte Dendroctonus micans dont les larves sont grégaires et forment des groupes qui consomment ensemble l’écorce des conifères

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afin de déjouer l’action de défense de l’arbre (Grégoire 1988). Ces larves émettent une phé- romone qui est un sous-produit des substances défensives de l’arbre. Cette phéromone diffuse dans l’environnement qui est confiné et attire les autres individus qui remontent le gradient de concentration. Il en résulte des augmentations de densité des larves et des émissions de phéro- mones qui vont attirer de plus en plus de congénères.

Une des deux plus importantes caractéristiques de ces systèmes avec inter-attraction est une dépendance au paramètre densité et/ou nombre d’individus, ce que nous n’observons pas dans le cas de situations de réponse à une hétérogénéité du milieu. De nombreuses études montrent l’existence d’une densité critique, en dessous de laquelle l’agrégation est nulle, ou lente et négligeable (Camazine et al. 2001). La seconde caractéristique est la possibilité de former un agrégat dans un monde homogène, y compris de marquer un choix préférentiel entre des sites identiques (Rivault & Cloarec 1998 ; Amé et al. 2003 ; Jeanson 2003).

I.2.3 Synergie : hétérogénéités et inter-attractions

Dans de nombreux processus d’agrégation, les hétérogénéités et les inter-attractions entre individus contribuent à la formation des agrégats. Tout d’abord, les individus peuvent se ras- sembler de manière identique avec ou sans hétérogénéités mais l’emplacement de l’agrégation sera influencé par l’hétérogénéité alors qu’il se place au hasard s’il a lieu en milieu homogène.

Le degré d’agrégation ou de réponse à l’hétérogénéité n’est donc pas affecté dans ce cas. Ce- pendant, on peut remarquer dans certains cas que la synergie entre la réponse aux hétérogénéités et la réponse aux inter-attractions peut aboutir à une amplification de la réponse aux hétérogé- néités. Ainsi, lorsqu’une source de nourriture est présente en un endroit, certains individus vont la découvrir et s’y nourrir. Cette hétérogénéité initiale va être amplifiée par les inter-attractions puisque de plus en plus d’individus vont aller s’y nourrir, en réponse à une phéromone attrac- tante (volatile ou de piste). C’est typiquement le cas lors du recrutement alimentaire chez les fourmis. Dans d’autres cas, la synergie entre hétérogénéités et inter-attractions aboutit à une ré- duction de la réponse aux inter-attractions. Ainsi, Allee (1931) a montré que les étoiles de mer, qui forment de grands agrégats, s’agrègent beaucoup moins dans des milieux pourvus d’hété- rogénéités tels que des herbes marines ou des pierres. En effet, les étoiles de mer montrent un comportement thigmotactique similaire envers ces herbes ou ces pierres qu’envers un congé- nère, ce qui diminue leur probabilité de bouger et de rechercher un congénère, et donc diminue leur probabilité de s’agréger.

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Chapitre I. Introduction 21

I.3 Agrégation chez les insectes sociaux

I.3.1 Observations

Dans les sociétés d’insectes, l’agrégation est omniprésente. Elle intervient dans divers com- portements telles que la défense, la reproduction, l’alimentation, etc.

- la défense :

Elle s’effectue en groupe. Ainsi, chez les abeilles, lors d’une perturbation, un individu qui se met à piquer un intrus, émet des phéromones d’alarme par les glandes de l’appareil piqueur et les glandes mandibulaires qui vont attirer d’autres congénères et les inciter à piquer l’intrus (Winston 1987). Ce mécanisme permet notamment aux abeilles de "concentrer" leurs piqûres en un endroit où une abeille a réussi à piquer. La réponse individuelle aux phéromones dépend de la température (maximale vers 20C, Southwick & Moritz 1985). Cette réponse est aussi fonction de la race de l’abeille. Elle peut ne générer qu’un simple envol de quelques individus qui ne vont que bourdonner autour de l’intrus, ou, au contraire, générer un envol massif d’abeilles qui vont attaquer et infliger de nombreuses piqûres à l’intrus (Spivak et al. 1991).

- la reproduction :

L’agrégation intervient dans la reproduction, par exemple lors des vols d’essaimage chez les fourmis ou les termites. Ces vols sont sous la dépendance de facteurs abiotiques : chaleur, humi- dité, etc. et sous la dépendance d’inter-attractions entre les individus, afin que mâles et femelles de la même espèce, de colonies identiques ou différentes, puissent copuler. A l’intérieur du nid, l’agrégation est aussi observée dans le soin au couvain : les larves sont rassemblées en certains endroits précis du nid et même triées selon leur âge (Leptothorax, Franks & Sendova-Franks 1992).

- l’alimentation :

L’agrégation est parfaitement démontrée chez les fourmis moissonneuses qui accumulent les graines récoltées dans des chambres particulières du nid appelées greniers (McCook 1880 ; MacKay & MacKay 1984). Lors de l’exploitation d’une ressource, nous observons également l’agrégation des individus autour de celle-ci et sur le chemin qui y conduit. En fait, le recrute- ment est une forme comparable d’agrégation due à une hétérogénéité du milieu (la source de nourriture) et aux inter-attractions entre individus (par le dépôt d’une piste par exemple). Celui- ci permet une exploitation rapide des ressources et dans un certain nombre de cas, sa défense (Theraulaz et al. 1998)).

- la construction du nid :

La construction peut utiliser une agrégation d’objets, comme chez les termites ou les fourmis, où nous observons un empilement des grains de sable ou de terre pour former les piliers, les

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chambres, etc (Theraulaz et al. 1998 ; Rasse & Deneubourg 2001). Mais la construction peut aussi demander une agrégation des individus eux-mêmes, comme chez les fourmis légionnaires où, pour établir le bivouac, les fourmis s’agrègent et se maintiennent par leurs tarses pourvus de griffes solides, réalisant ainsi des chaînes, qui couches après couches, forment un cylindre ou une masse ellipsoïdale pouvant mesurer jusqu’à 1 m (Schneirla 1971 ; Gotwald 1995).

- autres observations :

Le comportement agrégatif apparaît également dans la formation des cimetières chez les four- mis (Kair et al. 1994 ; Chretien 1996 ; Theraulaz 1997) ; dans la formation de chaînes chez les fourmis Oecophylla qui les utilisent pour la construction du nid ou pour passer d’un point à un autre, par exemple en recherchant la nourriture (Hölldobler & Wilson 1990 ; Lioni 2000).

I.3.2 Caractérisation des phénomènes d’agrégation et d’auto-organisation

Comme nous avons pu le remarquer dans les divers exemples, le phénomène d’agrégation chez les insectes sociaux est issu des réponses des individus aux stimulations émises par leur environnement et par leurs congénères. Selon l’intensité et le contexte dans lequel ces signaux sont émis, ils sont attractifs ou répulsifs, inhibiteurs ou activateurs. Les modèles, en général utilisés pour expliquer ces phénomènes d’agrégation, reposent sur la coopération décentralisée d’unités autonomes distribuées dans l’environnement. Dans ces types de modèles, la structure globale n’est pas explicitement programmée au niveau individuel mais résulte de l’enchaîne- ment d’un grand nombre d’interactions entre les individus ou entre les individus et leur envi- ronnement. Ainsi, lors de la construction du nid chez les termites, le dépôt d’une boulette de terre est déterminée par les dépôts antérieurs effectués par les congénères. Ces dépôts portent, en effet, une phéromone issue des manipulations buccales de la boulette. Cette phéromone est attractive, l’insecte porteur de boulette va remonter le gradient de concentration de cette phé- romone et déposer sa boulette au point de concentration maximale. Il en résulte l’apparition de piliers, régulièrement espacés grâce à la diffusion de la phéromone (Theraulaz et al. 1998).

Ce type de processus est dit auto-organisé. Cette notion d’auto-organisation, développée par des physico-chimistes interpellés par les caractéristiques du vivant, a connu de nombreuses applica- tions en biologie moléculaire et en écologie (Nicolis & Prigogine 1977). Bien que les systèmes auto-organisés présentent un ensemble de caractéristiques communes, les différents domaines qui se revendiquent de l’auto-organisation ont acquis leur spécificité, notamment en abordant des questions ignorées par exemple du "physico-biochimiste". Ce qui caractérise les systèmes sociaux obéissant à l’auto-organisation, c’est l’abondance des interactions entre les éléments du système qui sont essentiellement auto-catalysés (existence de boucles de rétroactions positives).

Il résulte, de la compétition entre différentes boucles positives, la formation d’une structure col-

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Chapitre I. Introduction 23

lective (Camazine et al. 2001). La formation des cimetières chez la fourmi Lasius niger est un exemple de ce type de processus : des cadavres disposés régulièrement dans une arène vont être petit à petit regroupés par les ouvrières (Chretien 1996). La découverte d’un cadavre stimule l’ouvrière à le porter. Il sera déposé aléatoirement en milieu homogène, ou sinon au niveau d’une hétérogénéité. Si la fourmi rencontre un autre cadavre pendant qu’elle transporte, sa pro- babilité de dépôt sera plus forte à cet endroit. Au fil du temps, une structure spatio-temporelle collective va apparaître sous forme de tas de cadavres. Cette émergence résulte des interactions locales entre les fourmis et/ou des interactions avec l’environnement. Des boucles de rétroac- tions positives qui amplifient le phénomène (ici, plus le tas de cadavres est gros et plus la fourmi aura tendance à y déposer le cadavre qu’elle transporte) et des boucles de rétroactions négatives qui stabilisent le processus (ici, le nombre limité de cadavres ou de fourmis transportant) ré- gulent l’émergence de la structure globale. De nombreux comportements collectifs sont ainsi auto-organisés et peuvent alors être étudiés du point de vue mécanistique par une analyse des comportements individuels des hyménoptères sociaux (alarme chez les abeilles : Millor et al.

1999, recrutement alimentaire chez les fourmis : Beckers et al. 1990 ; 1992a ;b ; 1993, construc- tion : Rasse 1999 ; Rasse & Deneubourg 2001, . . . ).

Cette thèse porte sur l’étude de l’agrégation des fourmis et sur l’étude de plusieurs facteurs pouvant influencer ce comportement. Les insectes sociaux sont de bons modèles pour étudier ce comportement, du fait de la facilité d’observation et de manipulation. Les fourmis, en parti- culier, sont intéressantes car les espèces sont nombreuses, et surtout parce que l’agrégation est réduite à deux dimensions (trois chez l’abeille par exemple). Cependant, la raison essentielle de l’étude de l’agrégation chez les fourmis est que nous pensons que ces comportements d’agréga- tion jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement de la société. Nos dispositifs simulent un nid simplifié et nos expériences visent à offrir des éléments de compréhension du fonction- nement des sociétés d’insectes. En effet, comme nous l’avons signalé, un nid de fourmis peut être vu comme un ensemble d’individus plus ou moins agrégés devant coopérer. Des facteurs tels que la densité d’individus, la caste à laquelle appartiennent les individus, la luminosité ou le degré de satiété des fourmis jouent sur les interactions entre individus et sur le lien entre les individus et leur environnement, affectant leur disposition au sein du nid. Des ensembles d’ex- périences, présentés dans les chapitres suivants, visent à identifier les liens entre ces facteurs et le comportement agrégatif des fourmis.

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Chapitre II

Buts du travail

Cette étude se veut une contribution à la compréhension générale du phénomène d’agré- gation et de l’organisation des fourmis dans leur nid. Nous souhaitons comprendre comment se manifeste l’agrégation chez les fourmis. Une série de question apparaît alors : comment se structurent les fourmis lorsqu’elles sont en environnement homogène ? Quels sont les méca- nismes sous-tendant l’agrégation? Quels sont les facteurs qui influencent l’agrégation? Quelles influences ont-ils sur la structuration des fourmis ? Les réponses à ces questions nous permet- tront de mieux comprendre l’organisation spatiale des fourmis à l’intérieur du nid, et le rôle que peut avoir le phénomène d’agrégation au sein des colonies de fourmis. Notre étude est basée principalement sur l’espèce Lasius niger, commune en Europe.

Nos résultats s’organisent en cinq chapitres (IV à VIII). Chacun d’entre eux a pour but de répondre à une question précise. Dans le chapitre IV, nous cherchons à caractériser l’agré- gation : sa dynamique, la structure agrégative qui apparaît et sa stabilité. Une recherche des mécanismes sous-tendant le phénomène a également été menée grâce à une étude des compor- tements individuels des fourmis. Nous y étudions également l’influence sur l’agrégation de la densité de fourmis dans le dispositif. En effet, de par son caractère auto-organisé, l’agrégation est certainement influencée par ce facteur (du moins dans certaines plages de paramètres), et il est intéressant d’analyser comment les fourmis réagissent.

Dans le chapitre V, nous approfondissons l’étude réalisée précédemment mais avec l’objec- tif d’une situation à deux dimensions. Nous analysons l’influence de trois paramètres qui sont associés : la densité, la surface disponible et le nombre d’individus. Nous nous intéressons en particulier à l’existence des différentes régulations notamment sur le nombre d’agrégats, leur taille maximum ou encore leur distribution spatiale.

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Dans le chapitre VI, nous étudions l’influence sur l’agrégation du polyéthisme et les diffé- rences éventuelles entre les castes de fourmis. Dans les sociétés de fourmis, le polyéthisme est fondamental et pourrait jouer sur l’organisation spatiale des fourmis à l’intérieur du nid. Y a- t-il une variation dans la réponse à l’agrégation entre fourmis effectuant des tâche différentes ? En particulier, les nourrices présentent-elles des tendances agrégatives différentes des fourra- geuses?

Le chapitre VII est consacré à l’étude de l’influence de l’état de satiété de la colonie sur l’agrégation. Cette question a été motivée en particulier par l’importance de l’état de satiété sur l’exploitation des ressources. En effet, il a bien établi que plus une colonie est affamée, plus le nombre de fourmis participant à la recherche de nourriture et le nombre de fourmis parti- cipant au au recrutement alimentaire qui fait suite à une découverte augmentent (chez Lasius niger, Mailleux 2002). Ce dernier auteur a montré que ces augmentations ne sont pas dues à un plus grand nombre de fourmis pistant lors du recrutement alimentaire, ou à une plus grande fréquence de dépôt de phéromone. Notre hypothèse est que le niveau de satiété peut moduler le niveau d’agrégation qui, à son tour, module les probabilités des fourmis à quitter spontanément le nid pour explorer ou les probabilités d’être recrutées.

Dans le chapitre VIII, nous abordons l’étude de l’agrégation chez différentes espèces. Des expériences préliminaires avaient montré l’existence de différences interspécifiques et il nous a paru intéressant de nous attacher à analyser plus en détail ces différences. Cette étude peut être vue également comme une étude complémentaire de celle sur l’influence du polyéthisme. En effet, dans les espèces choisies, certaines sont polymorphes, c’est-à-dire que des castes morpho- logiques sont identifiables. Comme de nombreux auteurs l’ont montrée, cette caractéristique est souvent liée au partage des tâches au sein de la colonie.

Le dernier chapitre (IX) sera consacré à une synthèse et une discussion de nos résultats.

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Chapitre III

Matériel et Méthode

III.1 Biologie des espèces utilisées

La majorité des études est effectuée sur la fourmi Lasius niger. D’autres espèces ont été utilisées lors de nos études comparatives : Atta sexdens rubropilosa, Crematogaster scutellaris, Linepithema humile, Myrmica rubra, Myrmica ruginodis, Pheidole pallidula et Solenopsis in- terrupta. Ces espèces ont été sélectionnées en fonction de la possibilité d’obtenir des nids et également en fonction de leurs caractéristiques (nombre de reines, existence ou non d’un po- lymorphisme, existence ou non d’un pistage actif lors de l’exploration, etc.), ce qui va nous permettre d’observer l’influence de ces différentes caractéristiques sur le comportement agré- gatif.

Toutes les espèces de fourmis appartiennent à une seule famille appelée Formicidae, qui se divise en 13 sous-familles, nommées ci-dessous. Deux d’entre-elles ont vu leurs représentants disparaître et sont donc considérées maintenant comme fossiles.

1. Sous-famille Sphecomyrminae (fossile) 2. Sous-famille Ponerinae

3. Sous-famille Nothomyrmeciinae 4. Sous-famille Myrmeciinae 5. Sous-famille Dorylinae 6. Sous-famille Ecitoninae 7. Sous-famille Leptanillinae 8. Sous-famille Pseudomyrmecinae

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9. Sous-famille Myrmicinae

• Tribu Attini Genre Atta

• Tribu Crematogastrini Genre Crematogaster

• Tribu Myrmicini Genre Myrmica

• Tribu Pheidolini Genre Pheidole

• Tribu Solenopsidini Genre Solenopsis 10. Sous-famille Aneuretinae 11. Sous-famille Dolichoderinae

• Tribu Tapinomini Genre Linepithema

12. Sous-famille Formiciinae (fossile) 13. Sous-famille Formicinae

• Tribu Lasiini Genre Lasius

Nous pouvons remarquer que les espèces étudiées dans ce travail se distribuent entre trois sous-familles : les Myrmicinae (six espèces), les Dolichoderinae (une espèce) et les Formicinae (une espèce). Nous allons maintenant présenter individuellement chaque espèce. La première sera Lasius niger étant donné que notre recherche se fonde essentiellement sur les données recueillies sur celle-ci. Les autres seront présentées par sous-familles, en commençant par les Dolichoderinae représentées dans ce travail par une seule espèce, puis les Myrmicinae où les espèces seront présentées par ordre alphabétique.

Afin de faciliter la présentation des espèces, nous allons d’abord définir un certain nombre de termes décrivant la biologie des espèces. Ce vocabulaire décrit un ensemble de caractéristiques communes aux Formicidae. Nous pouvons discerner trois grands groupes de caractéristiques : celles se rapportant au mode de croissance des colonies, celles définissant le polyéthisme chez les individus et enfin celles qui ont trait au marquage chimique.

• la fondation et le mode de croissance d’une colonie

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Chapitre III. Matériel et Méthode 29

Une colonie de fourmis est composée de deux castes : la reine et les ouvrières. Une caste est dé- finie comme l’ensemble des individus ayant les mêmes caractères morphologiques. Cependant, Wilson (1971) étend cette définition à l’ensemble des individus effectuant la même tâche au sein du nid (caste éthologique). Nous le suivrons dans cette définition. Une nouvelle colonie est fondée soit de manière dépendante (la nouvelle reine reste dans la colonie dont elle est issue, la fécondation se fait à l’intérieur du nid), soit de manière indépendante (la reine encore vierge sort de son nid de naissance, est fécondée à l’extérieur, lors du vol nuptial ou juste après au sol, puis cherche un endroit où installer sa propre colonie). Cette fondation indépendante peut s’effectuer par haplométrose (une seule reine est à la base d’une nouvelle colonie) ou par pleométrose (plu- sieurs reines s’associent pour fonder la nouvelle colonie). Une reine peut se faire féconder par un seul mâle (monoandrie) ou plusieurs mâles (polyandrie). En cas de fondation indépendante, la reine une fois au sol, arrache ses ailes, s’enterre dans un trou et commence à pondre. Chez certaines espèces, la reine reste cloîtrée dans sa loge souterraine, vivant et faisant naître ses pre- mières ouvrières grâce à ses réserves (fondation claustrale), tandis que chez d’autres espèces, la reine sort pour chercher de la nourriture (fondation semi-claustrale). Puis, au fur et à mesure que la reine pond, la colonie grandit, les ouvrières s’occupent de l’entretien du nid, des soins à la reine et au couvain ainsi que de la recherche de nourriture. Une fois que la colonie atteint une taille suffisante, des adultes sexués apparaissent afin d’assurer la reproduction de l’espèce et participer au vol nuptial.

• la répartition des tâches ou polyéthisme

Au sein de la caste ouvrière, nous pouvons distinguer plusieurs types d’individus par leur âge ou leur morphologie (castes). Toutes les ouvrières effectuent en général une tâche déterminée au sein de la colonie : c’est ce qu’on appelle le polyéthisme. Certaines fourmis s’occupent plutôt du couvain tandis que d’autres plutôt de la recherche de nourriture. Cette répartition du travail dépend de différents facteurs, tels que l’âge de l’individu : les jeunes sont attachées au soin du couvain et de la reine, puis avec l’âge, elles deviennent domestiques, s’occupant du nid et enfin fourrageuses, cherchant la nourriture ; ou le polymorphisme : chez certaines espèces, des castes morphologiques sont distinguables parmi les ouvrières (espèces polymorphes, par oppo- sition aux espèces monomorphes où la distribution des tailles des ouvrières est unimodale et faiblement étendue). On s’aperçoit alors que les fourmis sont spécialisées dans une tâche pré- cise suivant leur morphologie (Otto 1958 ; Lenoir 1979 ; 1987). Enfin, un ensemble de facteurs encore mal connus peuvent également influencer le polyéthisme : la taille et l’âge de la colo- nie, son état de nutrition (plus la colonie est affamée, moins d’inactives sont observées, Lenoir 1979), l’expérience individuelle des fourmis, leur variabilité individuelle (dans des conditions identiques, une nourrice deviendra plus vite fourrageuse qu’une autre nourrice) et la génétique

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des individus (Stuart & Page 1991 ; Fraser et al. 2000).

• le marquage chimique

Les molécules chimiques sont omniprésentes dans la communication entre fourmis. Nous n’al- lons pas entrer dans le détail ici mais nous souhaitons simplement clarifier deux notions qui apparaissent dans nos études. Nous appelons "marquage" tout dépôt actif ou passif laissé par les fourmis qui conduit ou non à la formation de pistes. Par contre, lorsqu’une espèce utilise une piste chimique quand elle est confrontée à un nouveau territoire, nous utilisons le terme de

"piste d’exploration".

Ces différentes notions précisées, nous pouvons décrire les différentes espèces utilisées. Un tableau récapitulatif se trouve à la fin de la section (Tab.III.1).

III.1.1 Lasius niger (L.)

FIG. III.1 – Lasius niger : ouvrières et couvain

C’est une espèce cosmopolite, largement répandue dans les régions circum-boréales (Gaspar 1971a ;b), et une des plus communes en Europe (Fig.III.1). Les Formicinae se reconnaissent à plusieurs caractéristiques (Passera 1984) :

• le pétiole porte une écaille dressée,

• elle ne présente pas d’aiguillon, mais possède de l’acide formique qu’elle propulse à distance sur ses agresseurs ou proies,

• l’abdomen vu de dessus montre cinq segments,

• le cloaque anal est circulaire,

• les nymphes sont le plus souvent abritées dans un cocon.

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Chapitre III. Matériel et Méthode 31

On rencontre Lasius niger aussi bien dans les milieux forestiers herbacés que dans les mi- lieux urbains (Pisarski & Czechowski 1978). Elle niche dans la terre, dans les branches mortes ou les souches. Elle creuse des galeries profondes où elle peut élever des pucerons de racines.

Les ouvrières sont brun-noirs, monomorphes, mesurant 3-4 mm de long. Les reines sont de taille beaucoup plus grande : 7-9 mm, tandis que les mâles ne dépassent pas les 3,5-4 mm (van Boven 1977). Les colonies sont populeuses et formées de plusieurs milliers d’ouvrières : 5400 en moyenne (Stradling 1970), mais d’autres auteurs pensent que les colonies peuvent atteindre 10 000 ouvrières (Lindauer 1962). Cette espèce exploite principalement les colonies de puce- rons présentes sur les arbres et arbustes. En échange d’une protection contre les prédateurs, les ouvrières de L. niger récupèrent le miellat, substance liquide sucrée excrétée par les aphides.

L’exploitation de ces sources de nourriture se fait grâce à un recrutement de masse, phénomène qui a été particulièrement bien étudié chez cette espèce (Beckers et al. 1990 ; 1992b ; 1993 ; Mailleux et al. 2000 ; Portha et al. 2001 ; Mailleux 2002).

Lasius niger est une espèce monogyne. En juillet-août a lieu le vol nuptial, synchronisé pour toutes les colonies d’un même biotope, ce qui permet un brassage génétique de la population.

L’accouplement a lieu en vol, l’espèce est polyandre (Forel 1921). La fondation est de type claustrale, par haplométrose mais des fondations par pléométrose ont également été observées (Lenoir 1979 ; Sommer & Hölldobler 1995 ; Bernasconi & Strassmann 1999). Cependant, dans ce dernier cas, Lenoir (1979) signale qu’à l’automne ou au printemps de l’année suivante, il ne reste plus qu’une seule reine dans chaque fondation.

Lenoir & Ataya (1983) ont étudié le polyéthisme chez L. niger : ils ont montré que trois catégories d’ouvrières peuvent être distinguées :

- les nourrices, qui soignent le couvain ;

- les fourrageuses, qui cherchent et ramènent la nourriture au nid ;

- les "fourmis de réserve" ou "inactives", individus disponibles selon les besoins de la co- lonie.

L’existence d’un polyéthisme d’âge a été bien établie chez L. niger (Lenoir 1979 ; Lenoir

& Ataya 1983), comme chez de nombreuses espèces (par exemple chez Formica polyctena : Otto 1958). Les ouvrières les plus jeunes s’occupent des soins au couvain et à la reine alors que les plus âgées sont attachées à la recherche et au rapatriement de la nourriture ainsi qu’à la défense de la société. Quant aux ouvrières d’âge intermédiaire, elles s’occupent du nid (répara- tion, nettoyage, . . . ). Chez L. niger, les ouvrières sont monomorphes, même s’il est possible de

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distinguer des individus de plus faible taille ("minimes") pendant les premières années de vie d’une colonie. L’influence du facteur polymorphisme est donc relativement faible chez L. niger, d’autant plus que nous utilisons des nids adultes.

III.1.2 Linepithema humile (Mayr)

Cette espèce est la seule représentante des Dolichoderinae dans ce travail (Fig.III.2). Cette famille possède les caractéristiques suivantes (Passera 1984) :

• le pétiole porte une écaille basse et inclinée,

• absence d’aiguillon,

• l’abdomen vu de dessus ne montre que quatre segments,

• le cloaque anal forme une fente transversale,

• les nymphes sont nues.

FIG. III.2 – Linepithema humile : reine et ouvrières

Cette espèce est originaire de l’Amérique du Sud. Elle a été décrite pour la première fois en 1868 à Buenos Aires, Argentine. Elle s’est installée au Brésil et les pays voisins (Whee- ler 1906) avant de coloniser bon nombre de régions à travers le monde (USA : Titus 1905 ; Wilson 1951 ; Afrique du Sud : Skaife 1955 ; Australie : Passfield 1968 et Europe : Marchal 1917 ; Chopard 1921) grâce aux échanges commerciaux internationaux : fruits, légumes, café, bois, épices . . . et à son caractère opportuniste. L’invasion par ces fourmis agressives a été sy- nonyme d’altération de la diversité et de la composition des communautés de fourmis indigènes de nombreuses régions qu’elles ont colonisées (Touyama et al. 2003). Elle s’est accompagnée, en plus, de problèmes pour les cultures : destruction de bourgeons, fleurs et fruits dont elles se

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Chapitre III. Matériel et Méthode 33

nourrissent (canne à sucre, café, agrumes . . . ) et protection de populations d’Aphides et Coc- cides, insectes nuisibles aux cultures, mais producteurs de miellat que les fourmis recherchent et exploitent. Depuis le début du siècle, les fourmis d’Argentine sont considérées comme une peste majeure. Leur succès écologique résulte d’au moins trois facteurs : la taille et la structure des sociétés, leur tolérance écologique et le développement de mécanismes rapides et efficaces dans le contrôle et l’exploitation des territoires.

Linepithema humile vit en très larges colonies de plusieurs centaines de milliers à quelques millions d’individus. Elle niche dans toutes sortes de milieux : la terre mais aussi les arbres, le bois, sous les tuiles, les pierres, dans les matières organiques en décomposition, . . . (Newell 1908 ; Chopard 1921 ; Skaife 1955 ; Benois 1973 ; Ward 1987), ce qui démontre une très grande capacité d’adaptation. Les ouvrières sont petites (2,2 à 2,8 mm) et monomorphes. Les reines sont reconnaissables par leur plus grande taille : 6 mm en moyenne (Newell 1908 ; Chopard 1921 ; Pavan & Ronchetti 1955). La fourmi d’Argentine se nourrit principalement de nectars de fleurs, de fruits (surtout agrumes), d’exsudats d’homoptères et de petits insectes (diptères, collemboles . . . ) (Newell 1908 ; Bond & Slingsby 1984 ; Buys 1987). Cette espèce exploite les ressources en utilisant un recrutement de masse à l’aide d’une sécrétion de la glande ventrale de Pavan (Pavan & Ronchetti 1955 ; van Vorhis Key et al. 1981). Cette espèce présente également une exploration sociale organisée grâce à un recrutement massif d’ouvrières vers un nouveau territoire (Aron 1990). Un individu qui est confronté à un nouveau territoire revient au nid en laissant une piste chimique (piste d’exploration). Des invites antennaires stimulent les inactives à quitter le nid et à remonter la piste. Les exploratrices fraîchement recrutées suivent les pistes et les renforcent avant même d’avoir atteint le nouveau territoire. La structure ainsi formée est celle d’une colonne de fourmis déployée à partir du nid, à l’extrémité distale de laquelle un

"nuage" d’individus constitue un front d’exploration.

Les sociétés de Linepithema humile sont polygynes. Bien qu’il y ait production de mâles et femelles ailés, les vols nuptiaux sont rares dans cette espèce et l’accouplement a lieu à l’intérieur du nid. Seuls les mâles essaiment, assurant un échange entre nids et ainsi une certaine variabilité génétique (Mc Cluskey 1963 ; Wilson 1971 ; Keller & Passera 1988). Les femelles peuvent être polyandres. Elles restent ensuite sur place (fondation dépendante) et commencent à pondre de suite. La reproduction des sociétés s’effectue par bouturage ou sociotomie (Newell 1909) : des ouvrières, accompagnées ou non de reines, quittent le nid en emmenant du couvain et vont simplement s’installer un peu plus loin, en gardant contact avec le nid mère. Cette reproduction conduit à l’élaboration de structures polycaliques constituées d’un réseau de nids interconnectés par des pistes chimiques permanentes, au niveau desquelles sont assurés des échanges continus

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de reines, d’ouvrières et de couvain.

III.1.3 Atta sexdens rubropilosa (Forel)

Cette espèce est une Myrmicinae (Fig.III.3). Cette sous-famille est moins évoluée que les deux autres et se reconnaît par ces caractéristiques (Passera 1984) :

• le pétiole est formé de deux articles,

• présence d’un aiguillon,

• les nymphes sont nues.

a) b)

© LEEC, Paris 13

a) b)

© LEEC, Paris 13

FIG. III.3 – Atta : a) insertion d’un fragment de feuille sur la meule ; b) transport de feuilles

Cependant, les Attini font parties des Myrmicines les plus évoluées. Leur degré d’évolu- tion est tel qu’elles ont perdu l’aiguillon, la défense étant dorénavant assurée par les puissantes mandibules. Leur distribution géographique se limite au Nouveau Monde. La plupart des 12 genres et 190 espèces sont présentes en zone tropicale du Mexique, Amérique Centrale et du Sud. Les Atta montrent un comportement unique : ce sont les seules fourmis qui partagent avec les termites Macrotermitinae et certains Coléoptères l’habitude de cultiver des champignons (Hölldobler & Wilson 1990). Ce champignon est cultivé sur une litière de feuilles et de fleurs coupées par les fourmis. Etant donnée la grande taille des colonies de Atta (plusieurs millions d’individus), on peut comprendre aisément les problèmes qu’elles constituent lorsqu’elles s’at- taquent aux feuilles des arbres des plantations (caféiers, arbres fruitiers, . . . ) et leur influence sur les forêts des régions tropicales. Cherrett (1986) a estimé, sur la base de 12 études, que la quantité de végétation coupée par les seules Atta dans les forêts tropicales s’élevait à 12 - 17 % de la production de feuilles. 30 à 150 kg de matière sèche sont consommés chaque année par colonie de A. capiguara, 90 à 250 kg par celle de A. vollenweideri, qui sont toutes deux des es- pèces consommant les espèces herbacées. Leur poids économique est extrêmement important :

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