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sexuels entre 1989 et 2012 dans la presse française
Annie Lochon
To cite this version:
Annie Lochon. L’évolution de la réaction sociale aux violences et crimes sexuels entre 1989 et 2012 dans la presse française. Sociologie. Normandie Université, 2019. Français. �NNT : 2019NORMC018�. �tel-02943344�
Pour obtenir le diplôme de doctorat
Spécialité SOCIOLOGIE, DEMOGRAPHIE
Préparée au sein de l'Université de Caen Normandie
L'évοlutiοn de la réactiοn sοciale aux viοlences et crimes sexuels
entre 1989 et 2012 dans la presse française
Présentée et soutenue par
Annie LOCHON
Thèse soutenue publiquement le 18/09/2019 devant le jury composé de
M. DOMINIQUE BODIN Professeur des universités, Université Paris-EstCréteil (UPEC) Rapporteur du jury Mme RENEE ZAUBERMAN Directeur de recherche au CNRS, Université deVersailles Saint-Quentin Rapporteur du jury Mme ANNE-CLAUDE AMBROISE-RENDU Professeur des universités, Université de VersaillesSaint-Quentin Membre du jury Mme VERONIQUE LE GOAZIOU Chargé de recherche au CNRS, Aix-MarseilleUniversité Membre du jury
Thèse dirigée par DOMINIQUE BEYNIER et DIDIER DRIEU, Centre d'étude et de recherche sur les risques et les vulnérabilités (Caen)
THÈSE
Pour obtenir le diplôme de doctorat
SpécialitéSOCIOLOGIE, DEMOGRAPHIE
Préparée au sein de l’Université de Caen Normandie
L’évolution de la réaction sociale aux violences et crimes sexuels
entre 1989 et 2012 dans la presse française
Tome I
Présentée et soutenue par
Annie Lochon
Thèse dirigée par Dominique Beynier, Centre de Recherche sur les Risques et Vulnérabilités (EA 3918)
Et Didier Drieu, Centre de recherche sur les fonctionnements et les dysfonctionnements psychologiques (EA 7475)
Thèse soutenue publiquement le 18/09/2019 devant le jury composé de
M. DOMINIQUE BODIN Professeur des universités, Université Paris-est Créteil (UPEC) Rapporteur du jury
Mme RENEE ZAUBERMAN Directeur de recherche au CNRS, Université de Versailles Saint-Quentin Rapporteur du jury
Mme ANNE-CLAUDE AMBROISE-RENDU Professeur des universités, Université de Versailles Saint-Quentin Membre du jury
Mme LE GOAZIOU VERONIQUE Chargé de recherche au CNRS, Aix-Marseille Université Membre du jury
M. BEYNIER DOMINIQUE Professeur émérite, Université Caen Normandie Directeur de thèse
Remerciements
Un travail comme celui-ci ne peut se réaliser sans le soutien et l’appui de différentes personnes. Tout d’abord, je tiens à remercier mes deux directeurs de thèse. Chacun d’entre eux a contribué grâce à sa personnalité et ses connaissances à accompagner ce travail et l’enrichir, tout en me laissant le temps dont j’avais besoin pour mûrir ma réflexion.
Dominique, je n’aurais osé commencer ce travail si tu ne m’y avais pas encouragé. Ta présence dans les moments de découragements, tes précieux conseils d’écriture, et ton aide technique, en particulier concernant la statistique, m’ont conduite jusqu’à l’achèvement de ce long processus réflexif. Je te dois aussi de m’avoir confié mes premiers cours et de m’avoir fait ainsi découvrir le métier que j’aimerais avoir la possibilité d’exercer : enseigner.
Didier, ce travail doit beaucoup au « séminaire du jardin » et aux discussions partagées avec l’ensemble des jeunes chercheurs et chercheuses que tu as réunis régulièrement. Ces précieux moments d’échange ont donné un rythme à mon travail. Nos échanges ont permis de faire émerger nombre de points présentés ici. Les diverses rencontres que j’ai pu faire grâce aux colloques que tu as organisés m’ont aussi fait grandir en tant qu’être humain.
Un travail de recherche s’inscrivant toujours dans un laboratoire de recherche, je remercie l’ensemble de l’équipe d’accueil CERReV, avec une pensée spéciale pour les deux piliers de l’axe DIV, Hélène Marche et Pauline Seillier. Par ailleurs, les équipes de direction successives m’ont confié des responsabilités lors de mes deux mandats de représentante des doctorant.e.s, ce qui m’a permis de découvrir le fonctionnement d’un laboratoire de recherche.
Dans mes travaux scientifiques, j’ai pu collaborer en particulier avec Gillonne Desquesnes, Cécile Dolbeau-Bandin et Vassili Riveron. Chacun à votre manière vous m’avez apporté une aide précieuse, m’avez aidée, fait découvrir des auteurs, et fait grandir en tant que chercheuse. Je vous en suis redevable.
Toujours au sein du CERReV, Laurence Dauvin, Pierre Laurent, puis Muriel Bollengier m’ont apporté leurs connaissances des arcanes administratives de l’université. Participer avec vous à l’organisation de colloques et de manifestations scientifiques, toujours dans la bonne humeur, a été très enrichissant.
J’adresse ma reconnaissance aux trois ingénieurs statisticiens de la Plate-forme Universitaire de Données de Caen pour les formations réalisées sur le logiciel R ainsi que l’aide apportée lors du traitement statistique des données analysées dans ce travail.
Je remercie les personnels de la MRSH pour leur accueil et m’avoir confié un espace où travailler, ce qui est rare pour une thésarde non financée, dans un contexte de pénurie de locaux. Je remercie en outre, les représentants de l’école doctorale HRST, pour son suivi administratif, l’organisation de formation et son soutien aux différentes communications réalisées.
Mes collègues de méthodologie ont aussi été des soutiens attentionnés : Marie-Claude Leneveu, Anne Pellissier, Anne Golse, Pauline Seiller, Thomas Denise, Laurent Boceno, et Matthieu Laville ont chacun contribué à ma formation d’enseignante-chercheuse et à ma socialisation professionnelle. Marie, je te remercie également pour tes relectures, tes conseils et tes critiques.
Charline, Victoria, Min, Issaka et Walidou, mes collègues de bureau, je vous remercie pour la chaleur humaine, les nombreuses discussions et thés partagés.
Stéphanie, Mathilde, Chloé, et Pierre, je vous adresse ma gratitude pour votre soutien émotionnel et parfois matériel.
Guillaume Viel, je te remercie de tes relectures, de tes conseils et critiques, de ta patience et de ta compréhension quotidienne face à la lourdeur du sujet.
Ma reconnaissance s’adresse aussi à mes parents, mes grands-parents, mes oncles et tantes qui ont contribué à la formation du capital culturel qui m’a permis de faire mon chemin à l’université.
Enfin, dans mes divers « jobs alimentaires », j’ai rencontré des personnalités extraordinaires qui m'ont beaucoup appris. Sophie et Lydie, Angélique et Maryse ; Valérie, Nicolas et France ; l’équipe des CEMEA de Basse-Normandie, Marianne, Mina, Liséa et Chloé (et leurs parents), je vous sais gré de tous ces temps d’humanité lorsque, dans cette thèse, j’ai été confrontée à ce que l’humain renvoie à sa marge.
Sommaire
Remerciements ...a Sommaire ... c Liste des sigles ... h
INTRODUCTION ...1
PARTIE I DES TABOUS SEXUELS AUX VIOLENCES SEXUELLES : PLUSIEURS SIECLES D’EVOLUTIONS DANS DIFFERENTS CHAMPS SOCIAUX ET SCIENTIFIQUES ...9
Chapitre 1. Les crimes sexuels : entre contextes culturels et tabous universels ... 10
I. Les anthropologues confrontés à la question de l’inceste ... 10
A. Les origines de l’interdit de l’inceste ... 10
B. La symbolisation des tabous sexuels dans quelques sociétés premières ... 12
II. Un nouveau regard sur les violences sexuelles au Moyen-Âge ... 29
A. Des influences législatives et sociales diverses ... 29
B. Le Moyen-Âge : protéger l’enfant des violences sexuelles ... 36
III. Les philosophes des Lumières : les précurseurs d’un nouvel ordre moral, social et juridique ... 49
A. Charles de Montesquieu face aux mœurs ... 49
B. Le regard des Encyclopédistes sur le crime et la peine ... 50
Résumé du chapitre ... 51
Chapitre 2. L’évolution des mœurs et des sciences au cours du grand XIXème siècle : des facteurs du début de la judiciarisation des violences sexuelles ? ... 52
I. Une législation à construire ... 52
A. Les premières évolutions législatives des révolutionnaires ... 52
B. Les évolutions législatives et judiciaires du XIXème siècle : construire une politique criminelle sur les violences sexuelles ... 54
C. Les mineurs et les « imbéciles » : la présomption de défaut de consentement aux actes à caractère sexuel... 57
II. Des progrès sociaux : facteurs d’influence sur les dispositions prises ? ... 60
A. L’attention portée à l’enfance et au corps dans la société du XIXème siècle : les débuts de la protection de l’enfance et des droits de l’enfant ... 60
B. L’évolution du discours sur la sexualité ... 63
C. Les évolutions de la sensibilité populaire ... 64
III. La médecine et le droit au XIXème siècle : naissance et progrès de la médecine légale ... 66
A. La naissance des sciences sur le psychisme : comprendre les déviances sexuelles ... 66
B. La construction de la criminologie scientifique ... 74
Résumé du chapitre ... 86
Chapitre 3. De 1950 à aujourd’hui : La fin des tabous et l’émergence des violences sexuelles... 87
I. Le développement des idées humanistes dans la politique pénale et la libéralisation des mœurs : ... 87
A. Contexte général : vers la civilisation des mœurs ? ... 87
B. Les explications sociales du crime : les apports de la sociologie et de la criminologie ... 91
II. L’évolution des mœurs : mai 1968 introduit-il une rupture ? ... 114
A. La diminution de la violence interpersonnelle dans un contexte de paix en Europe occidentale ... 114
B. Les avancées faisant suite à mai 1968 ... 116
C. Quelle signification sociale du viol ? D’une évolution sociale à un changement paradigmatique ... 121
Résumé du chapitre ... 124
Chapitre 4. La société de la sécurité, du risque zéro et les médias ... 126
I. L’apparition des émotions dans le discours public... 126
A. L’utilisation des émotions dans le discours public ... 126
B. Conséquence : la victime s’immisce dans les discours publics ... 136
II. Vers une société de la sécurité après 1975 : le symptôme d'une société en crise ? .... 140
A. L’apparition d'une société de la sécurité et l'inflation de la législation pénale ... 140
B. Le symbolisme des discours sécuritaires ... 149
C. L’insécurité a des conséquences sur la justice et la démocratie ... 152
III. Médias et violences sexuelles depuis la fin des années 1980 ... 159
A. Quelques éléments statistiques sur la délinquance sexuelle : ... 159
B. La presse francophone et les violences sexuelles depuis la fin des années 1980... 163
C. Quelques recherches sur la couverture médiatique de la maltraitance et des abus sexuels en langue anglaise ... 168
D. L’application de la notion de dangerosité aux délinquants sexuels ... 174
Résumé du chapitre ... 179
Chapitre 5. Le soin obligé comme mesure de contrôle social, résultat d’un enchevêtrement progressif entre santé et justice ... 181
I. Le corps et la santé : Mens sana in corpore sano ... 181
II. La prise en compte de la douleur et la reconnaissance des victimes ... 187
A. Le stress post-traumatique (PTDS) : la reconnaissance de l’effet à long terme des chocs et des violences... 187
B. Le syndrome de l’enfant battu et la reconnaissance de la douleur chez l’enfant ... 189
C. La vulgarisation des savoirs « psy » et la société... 191
III. L'avènement de la psychanalyse et de la psychologie : une première étape vers l’accompagnement des pédophiles ? ... 193
IV. Le psychologue, le psychiatre face à la criminalité sexuelle : le soin comme mesure de justice ... 195
A. Cadre théorique d'intervention ... 195
B. Les méthodes de soins ... 197
C. Les confusions de la relation entre justice et psychiatrie ... 203
Résumé du chapitre ... 206
PARTIE II DE LA PRISE EN COMPTE DES VIOLENCES SEXUELLES À L’AVENEMENT DES VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES (1989-2012) ADOPTER UNE METHODE POUR CONSTRUIRE L’ANALYSE DE DEUX CORPUS RASSEMBLANT 1472 ARTICLES DE PRESSE ... 208
Chapitre 1. Définir une méthode sélection et d’analyse des corpus ... 209
A. Différentes approches d’études du phénomène criminel, pas toutes adaptées à l’étude de la
réaction sociale ... 209
B. La sociocriminologie ou l’étude de la réaction sociale au crime ... 211
II. Les quatre hypothèses qui articulent cette recherche ... 217
A. La presse, un média critique qui s’appuie toutefois sur le fait divers ... 217
B. Une pathologisation des déviances sexuelles fondée sur un néo-hygiénisme punitif ... 219
C. Des changements culturels expliquent l’évolution des représentations sur les violences sexuelles dans la presse ... 221
D. Prise en compte des victimes : différentes périodes se distinguent ... 222
III. Définir une méthode objective de recherche ... 224
A. La presse quotidienne, modalité d’étude d’une controverse ... 224
B. La formation et la construction du corpus : définir les modalités du recueil de données .. 226
C. Choisir un outil d’aide à l’analyse de données textuelles afin d’étudier les controverses . 238 Résumé du chapitre ... 245
Chapitre 2. Description et temporalité des deux corpus recueillis ... 247
I. La signature des articles et la profession des auteurs (ou narrateurs) ... 247
II. Les pages et les rubriques des articles ... 251
A. Ouest-France (OF) ... 251
B. Le Monde (LM) ... 253
III. La temporalité des corpus ... 255
A. Généralités ... 256
B. Les moments de présence des 12 expressions clés ... 258
C. L’appel au fait-divers dans les deux journaux ... 324
Résumé du chapitre ... 328
Chapitre 3. Des thématiques principales qui se rapportent à la sécurité, la justice et la violence ... 330
I. Les principaux champs lexicaux dans les deux journaux ... 330
A. Les entités les plus mobilisées dans Ouest-France et Le Monde ... 330
B. Les principales catégories discursives des deux journaux ... 333
II. Les autres champs lexicaux révélateurs du traitement de la violence et de la délinquance sexuelle ... 372
A. Le propre et le sale ... 372
B. Le champ lexical du désastre ... 381
C. Le moralisme (240 occurrences dans les deux corpus) ... 383
Résumé du chapitre ... 387
Chapitre 4 Une mise en avant des acteurs politiques ... 388
I. Les principaux acteurs : description générale ... 388
A. Ouest-France sollicite 25 types d’acteurs ... 388
B. Les 22 types de personnes citées dans Le Monde ... 391
II. Les acteurs politiques les plus présents dans les deux corpus ... 394
A. À droite de l’échiquier politique, un sécuritarisme affiché ... 394
B. La gauche, plus humaniste ou plus laxiste ? ... 402
III. Les liens entre justice et psychiatrie concernant les AVS ... 411
V. La question des moyens pour travailler portée par les syndicats des différents secteurs
... 418
VI. Le rôle des associations de protection de l’enfance, des associations de victimes et de défense des droits des femmes ... 421
VII. Les victimes et les auteurs : des destinataires de politiques peu entendus ... 425
Résumé du chapitre ... 434
DISCUSSION GENERALE ... 436
I. Exploration des hypothèses ... 436
A. La presse, un média critique qui s’appuie toutefois sur le fait-divers ... 436
B. Une pathologisation des déviances sexuelles fondée sur un néo hygiénisme punitif ... 438
C. Des changements culturels expliquent l’évolution des représentations des violences sexuelles ... 440
D. Des évolutions dans le discours sur la violence et la délinquance sexuelle : 6 périodes se distinguent ... 442
II. Les limites identifiées ... 451
A. Les limites liées aux modalités d’analyses ... 451
B. Les limites liées au matériel récolté et à la méthode de recueil de données ... 452
III. Pistes de prolongements ... 453
CONCLUSION ... 456
BIBLIOGRAPHIE ALPHABETIQUE ... 461
I. Ouvrages scientifiques, rapports scientifiques et thèses ... 461
II. Articles scientifiques et chapitres d’ouvrages ... 471
III. Eléments statistiques ... 485
IV. Romans, essais, documentaires et témoignages ... 488
V. Rapports parlementaires et rapports publics ... 489
VI. Textes législatifs, décisions de justice et recueils de jurisprudence ... 489
VII. Articles non-scientifique (vulgarisation), articles de presse (hors corpus), pages internet, articles de blogs, émissions radios et vidéos ... 490
VIII. Cours, usuels, dictionnaires et outils de travail ... 493
IX. Logiciels et bases de données ... 494
X. Sites Internet ... 494
BIBLIOGRAPHIE ANALYTIQUE ... 495
I. Criminologie, histoire de la criminologie, sociologie du crime et sociologie juridique.. ... 495
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 495
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 496
II. Délinquance, dangerosité, récidive, risque et insécurité ... 497
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 497
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 499
III. Déviances, psychiatrie et justice ... 501
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 501
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 502
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 504
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 505
V. Sociologie et histoire de la médecine, de la maladie et de la douleur ... 507
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 507
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 508
VI. Sociologie des émotions et des sentiments ... 509
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 509
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 510
VII. Sociologie des médias et histoire de la presse ... 511
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 511
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 512
VIII. Sociologie de la famille, protection de l’enfance et enfance en danger ... 515
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 515
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 516
IX. Histoire sociale, histoire des religions et histoire des violences sexuelles ... 517
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 517
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 518
X. Justice et histoire de la justice ... 519
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 519
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 519
XI. Psychologie, psychiatrie et histoire de la psychiatrie ... 520
Ouvrages scientifiques ... 520
XII. Autres références de sociologie, d’anthropologie et d’histoire ... 520
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 520
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 521
XIII. Historiographie, épistémologie et méthodologie de la sociologie ... 521
A. Ouvrages scientifiques et rapports ... 521
B. Articles (scientifiques et de vulgarisation) et chapitres d’ouvrages ... 522
XIV. Statistiques ... 523
XV. Romans, essais, documentaires et témoignages ... 525
XVI. Textes législatifs et réglementaires ... 526
XVII. Cours, usuels, dictionnaire et outils de travail ... 527
XVIII. Logiciels ... 528
XIX. Sites internet ... 528
Index ... 530
Table des figures ... 537
Table des tableaux ... 540
Liste des sigles
Ces sigles apparaissent soit dans le corps de cette thèse, soit dans les articles de presse appartenant aux deux corpus examinés.
ADN Acide Désoxyribo-Nucléique
AFIREM Association française d’Information et de Recherche Sur l’Enfance Maltraitée
AP Administration Pénitentiaire
APACS Association pour la Protection contre les Agressions et Crimes Sexuels
APEV Association d’Aide des Parents d’Enfants Victimes
ASE Aide Sociale à l’Enfance
AVFT Association contre les Violences faites aux Femmes au Travail
AVS Auteur de violences sexuelles
CE Comité d’Entreprise
CEDH Cour Européenne des Droits de l’Homme
CEF Centre Educatif Fermé
CES Conseil Economique et Social, devient le Conseil économique social et environnemental (CESE) en 2008
CESDIP Centre de recherche Sociologique sur le Droit et les Institutions Pénales
CFCV Collectif Fermium Contre le Viol
CFPS Centre Fermés de Protection Sociale
CHU Centre Hospitalier Universitaire
CIDE Convention Internationale des Droits de l’Enfant
CIM Classification Internationale des Maladies
CMPP Centre médico-Psycho-Pédagogiques
CNCB Comité National Contre le Bizutage
CNIL Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés
COFRADE Conseil Français des Associations pour les Droits de l'Enfant
CSA Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
CSM Conseil Supérieur de la Magistrature
DARES Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques
DDASS Direction Départementale de l’Action Sociale (ancienne ASE)
DSK Dominique Strauss-Kahn
DSM Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ou en français Manuel
diagnostique et statistique des troubles mentaux
ENVEFF Enquête Nationale sur les Violences Envers les Femmes en France (2000)
FNAEG Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques
GENEPI Groupe d’étudiants national d’Enseignement aux Personnes Incarcérées
GNCP Groupe Nationale de Concertation Prison
GRIF Groupe de Recherche et d'Information Féministes
IFOP Institut Français d’Opinion Publique (organisme de sondages et d’études)
INAVEM Institut National des Associations d'aide aux Victimes et de Médiation Institut National d’Études Démographiques
INPES Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé INSEE Institut National de la Statistique et des Études Économiques INSERM Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale
IVG Interruption Volontaire de Grossesse
JAP Juge de l’Application des Peines
JO Journal Officiel de la République française
LM Le Monde
LOPPSI Loi d'Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure
LR Les Républicains (parti politique de droite qui prend la suite de l’UMP en 2015)
MLF Mouvement de Libération des Femmes
NR Non Renseigné
ODAS Observatoire Décentralisé de l’Action Sociale
OF Ouest-France
OIP Observatoire Internationale des Prisons
OJD Office de Justification de la Diffusion
OMS Organisation Mondiale de la Santé
OND Observatoire National de la Délinquance
ONDRP Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales
ONU Organisation des Nations Unies
PJJ Protection Judiciaire de la Jeunesse
PQN Presse Quotidienne Nationale
PQR Presse Quotidienne Régionale
PS Parti Socialiste
PSE Placement sous surveillance électronique
PSEM Placement sous Surveillance Electronique Mobile
PTSD Abréviation anglaise de : Stress Post-Traumatique
QPC Question Prioritaire de Constitutionnalité
RPR Rassemblement Pour la République (parti politique, classé à droite, fondé en
1976 et dissout en 2002)
SIDA Syndrome d'Immuno-Déficience Acquise
SM Syndicat de la Magistrature (classé à gauche)
SMPR Service Médico-Psychologique Régional (pénitentiaire)
SNAEG Service National Automatisé des Empreintes Génétiques
SNATED Service National d’Accueil Téléphonique de l’Enfance en Danger (connu pour
son numéro à trois chiffres : le 119), remplace depuis la loi du 5 mars 2007 le Service National d’Accueil Téléphonique pour l’Enfance Maltraitée (SNATEM)
SPIP Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation
TCC Thérapies Cognitivo-Comportementales
UDC Union du Centre
UDF Union pour la Démocratie française (parti politique de centre droit)
UMP Union pour un Mouvement Populaire (parti politique de droite, successeur du RPR)
UNICEF United Nations International Children's Emergency Fund ou Fonds des Nations unies pour l'enfance
USM Union Syndicale des Magistrats (syndicat de magistrats classé à droite)
I
NTRODUCTIONEn août 2007, un homme récemment sorti de prison, peine effectuée à la suite d’une condamnation pour viol, réitère ce crime. La victime est un enfant âgé de cinq ans. La médiatisation de ce fait conduit le président de la République à proposer une nouvelle modalité de prise en charge des auteurs de violences sexuelles, alors qu’une quinzaine de jours auparavant une loi sur la sécurité1 avait été adoptée. En 1996, l’affaire Dutroux en Belgique,
puis l'affaire Dickinson en France avaient déjà suscité l’intérêt des médias. La couverture médiatique de ces affaires a participé au renouvellement du regard sociétal sur les violences sexuelles commises envers les enfants. Peu après ces crimes, la loi du 17 juin 19982, en
préparation depuis plusieurs années, est adoptée. Ces lois renforcent la condamnation de faits qui hier n’étaient pas ou peu judiciarisés. Paradoxalement, ces affaires révulsent et fascinent, cherchent à comprendre le « monstre humain ». La rationalisation des comportements, qui caractérise les sociétés modernes, s’oppose au fait de céder à ses pulsions, ce qui en cas d’échec est d’autant plus stigmatisé et réprimé. La recherche de la rationalisation des comportements individuels induit la recherche du risque zéro et au renouvellement de la vision sociale des violences, notamment sexuelles.
Quelques chiffres symbolisent l’évolution des représentations liées aux violences sexuelles. En 1989, 2 182 personnes sont écrouées en raison d'une condamnation pour « viol, agression sexuelle » en France. En 2012, ce chiffre atteint 7 722 personnes3. Ce nombre a été
multiplié par 3,5 en moins de 25 ans. Dans le même temps, l’effectif des personnes écrouées condamnées pour une infraction sur les stupéfiants a doublé, celui des vols simples a diminué et celui des homicides volontaires est resté relativement stable4. Un éventuel effet de
l’allongement des peines ne saurait expliquer à lui seul cette augmentation. Pour preuve, en
1 Loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, JORF, n° 185
du 11 août 2007, p. 13466. URL :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000278633&categorieLien=id, vérifié le 30/10/2018.
2 Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la
protection des mineurs, JORF, n° 139 du 18 juin 1998, p. 9255. URL :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000556901&categorieLien=id, vérifié le 30/10/2018.
3 Ces chiffres sont issus du « Tableau 26 : Personnes écrouées condamnées : structure par infraction principale au
premier janvier de chaque année (effectif et part en pourcentage) », Direction de l’Administration Pénitentiaire, Séries statistiques des personnes placées sous-main de justice 1980 – 2014, Paris, Ministère de la Justice, mai 2014, pp. 36-37. URL : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/ppsmj_2014.PDF, vérifié le 10/01/2018.
1989, il y a eu 682 condamnations pour viol5 contre 1 606 en 20126, soit une multiplication par
2,4. En outre, en 2012, entre 10 % et 13 % des victimes d’une infraction sexuelle7 déposent une
plainte dans un service de police ou de gendarmerie soit un peu plus de 30 500 personnes8. En
1989, 22 628 atteintes aux mœurs9 avaient été constatées10 par ces mêmes services de police et
de gendarmerie. Entre 1989 et 2012, le nombre de plaintes est multiplié par 1,348. Si l’on prend en compte l’augmentation de la population, les évolutions sémantiques ainsi que les nouvelles incriminations, il y a une relative stabilité des faits constatés. Cependant, le rapprochement de l’évolution des faits constatés avec le nombre de personnes écrouées à 24 ans de distance interpelle. Même s’il faut rester prudent et se méfier des effets de marge, comment expliquer que le nombre de personnes écrouées pour une infraction sexuelle triple alors que le nombre de plaintes semble relativement stable ? Appréhender ces chiffres suggère de s’intéresser aux différentes évolutions que la société française a connues depuis la fin des années 1980.
Pour rendre le débat plus clair, il semble pertinent de rappeler au préalable la définition des différents termes qui appartiennent au champ lexical des infractions sexuelles. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la violence sexuelle comme « tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité d’une personne utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais sans s’y limiter, le foyer et le travail »11. Dans la pratique, l’expression « violence
sexuelle » est davantage utilisée par les féministes, alors que les juristes et les criminologues
5 Carine Burricand, « La récidive des crimes et délits sexuels », Infostat justice, n° 50, décembre 1997, p. 2. URL : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/infostat50.pdf, vérifié le 14/05/2018.
6 Odile Timbart & Faustine Busch, Les condamnations. Année 2012, Paris, Ministère de la Justice, décembre 2013,
p. 8. URL : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Stat_Conda_2012.pdf, vérifié le 14/05/2018.
7 La dénomination « infraction sexuelle » recouvre le viol, le harcèlement sexuel, les agressions sexuelles et toutes
autres atteintes d’ordre sexuelles confondues.
8 ONDRP, Criminalité et délinquance enregistrée en décembre 2014, Paris, INHESJ, Coll. « Bulletin mensuel de
l’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales », janvier 2015, pp. 28-29 et 34. URL :
https://inhesj.fr/sites/default/files/ondrp_files/publications/bulletins-mensuels/bm_2015-01.pdf, consulté le 11/05/2018.
& Camille Vanier, « Les interlocuteurs des victimes de viol d'après les enquêtes "Cadre de vie et sécurité" », La note de l’ONDRP, n° 11, février 2017, p. 1. URL :
https://inhesj.fr/sites/default/files/fichiers_site/ondrp/note/note_11.pdf, vérifié le 02/05/2018.
9 Les atteintes aux mœurs regroupent le proxénétisme, les viols, les attentats à la pudeur, l’excitation de mineur à
la débauche (corruption de mineur aujourd’hui) et les autres atteintes aux mœurs.
10 Direction générale de la police nationale et Direction centrale de la police judiciaire, Aspects de la criminalité
et de la délinquance constatées en France en 1989 par les services de police et de gendarmerie d’après les statistiques de police judiciaire, Paris, La Documentation française, 1990, p. 9.
11 Rachel Jewkes, Purna Sen et Claudia Garcia Moreno, « chapitre 6 La violence sexuelle », Etienne G. Krug,
Linda L. Dahlberg, James A. Mercy, Anthony Zwi et Rafael Lozano-Ascencio (dirs.), Rapport mondial sur la violence et la santé, Genève, OMS, 2002, p. 165. URL :
adoptent plus volontiers les termes de « criminalité sexuelle » ou de « délinquance sexuelle ». L’acception « délinquance sexuelle » désigne les actes ayant fait l’objet d’un jugement ou avoués alors que, l’expression « criminalité sexuelle » comprend les infractions à caractère sexuel sanctionnées, connues ou commises sur une période donnée. La locution « criminalité sexuelle » englobe les actes non connus des services de police et de justice. Si un certain flou existe entre ces deux dernières acceptions, elles restent cependant génériques. L’expression « délinquance sexuelle » est souvent mobilisée pour désigner l’ensemble des violences sexuelles, y compris les viols qui sont répertoriés en tant que crimes. Néanmoins, toutes deux relèvent du domaine judiciaire, ceci à l’instar du terme « infraction sexuelle ». Les infractions sexuelles sont strictement définies dans la loi et sont inscrites dans le Code pénal. En fonction de son degré de gravité, l’infraction sexuelle peut être soit un crime (le viol, i.e.), soit un délit (l’agression sexuelle, i.e.). Les travailleurs sociaux semblent préférer l’expression « abus sexuels ». Cette expression existe notamment lors de la découverte des violences, en particulier lorsque les victimes sont des mineurs, avant que toute qualification pénale soit posée. Elle correspond au « fait d’imposer un rapport sexuel sous quelques formes que ce soit »12. Au sein de
cette étude, ces différents termes seront utilisés comme synonymes parce qu’ils caractérisent les mêmes actes, à savoir une activité sexuelle non consentie par au moins une des personnes en présence. Cette approche considère que ces termes et expressions ne sont pas utilisés de la même manière par les différents acteurs qui interviennent sur le sujet. De fait, en matière de respect d’autrui et de sa sexualité, la loi sociale tout comme la loi juridique déterminent un certain nombre de prohibitions, dont une part peut avoir une valeur universelle. Aussi, la limite entre le licite et l’illicite pose le cadre d’intervention des pouvoirs publics, qu’ils soient politiques ou judiciaires. Or, depuis la fin des années 1980, la législation en matière d’infractions sexuelles a évolué. À titre d’exemple, le délit de harcèlement sexuel a été introduit dans le Code pénal en 1992, et les agressions sexuelles ont supplanté les attentats à la pudeur. La période retenue pour effectuer cette recherche va s’étendre de 1989 à 2012. Cet espace-temps se caractérise par de nombreux changements sociétaux. Tout d’abord, l’année 1989 se remarque pour l’adoption la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE). Ce texte international, et les droits qu’il institue, semble être un point de départ pertinent pour expliquer les modifications législatives et les pratiques que ces derniers ont engendrées. Ensuite, l’année 2012 se distingue quant à elle par les élections présidentielles et la profession de foi des différents candidats. Les questions de sécurité sont apparues à plusieurs reprises comme
pouvant faire basculer l’opinion. En effet, nous pensions, lors du dépôt de ce projet de recherche, que les débats sur les questions de sécurité, et en particulier sur la prise en charge des délinquants sexuels, pouvaient être un des points régulièrement soulevés lors de la campagne électorale. Ce thème aura été en fait peu évoqué. Par ailleurs, pendant cette période, les combats féministes et associatifs ont fait évoluer la frontière entre le licite et l’illicite, le moral et l’immoral.
La mémoire humaine et les représentations sociales qu’elle véhicule ne sont pas apparues comme une source propice à l’appréhension des évolutions de la prise en compte des violences sexuelles dans la société française en raison des facteurs et dimensions multiples qui ont fait émerger ce sujet. Aussi, notre choix s’est orienté vers l’investigation de la presse quotidienne qui permet une étude longitudinale plus fiable.Les médias en général et la presse en particulier traitent largement de ces sujets qui fournissent les « Unes » et les chroniques judiciaires. Dans les médias, les personnalités politiques tentent d'expliciter leur conception du droit pénal à leurs concitoyens. Les débats médiatiques touchent plus facilement le grand public que celui qui a lieu au sein des hémicycles parlementaires. La façon dont deux grands quotidiens français abordent cette question, à savoir Le Monde et Ouest-France, a été examiné . Les journaux étant un des « miroirs de la société », le choix de la presse quotidienne comme matériel d’analyse permet d’étudier la nature du message transmis aux citoyens ainsi que le regard médiatique sur la décision politique, comme partie de la réaction sociale à la délinquance. Aussi, étudier ces deux grands quotidiens français a permis d’examiner les réactions sociales intimement liées à la création ou à la modification de la norme pénale. La presse, afin de relayer les différents enjeux d’un sujet, se fait écho d’« un jeu souvent complexe d’acteurs sociaux dont la nature, les intérêts, les moyens d’action et l’influence sont très diverses »13. La presse répercute également les représentations sociales relatives à la délinquance et à la violence, parfois en la relayant, d’autres fois en la déconstruisant. La place accordée aux problématiques sécuritaires entraîne alors l’émergence ou le renforcement d’un sentiment d’insécurité. Ce postulat posé, l’identification des étapes du processus de la construction sociale et les représentations qui en découlent face aux violences sexuelles ont été recherchées. Ceci à partir de la manière dont ces phénomènes sont abordés par la presse écrite.
Nonobstant, s’intéresser à la construction sociale du phénomène criminel, c’est aussi se demander comment le crime, en tant que phénomène social, interpelle la société dans son
ensemble, et ne pas restreindre la question aux seuls décideurs. Tous les lieux de pouvoir sont concernés par le crime. Le pouvoir parlementaire travaille à sa définition, le pouvoir exécutif le repère, le pouvoir judiciaire le sanctionne, et le « pouvoir médiatique » relaie les faits divers et les positions des différents acteurs, mais aussi critique la loi en train de se faire, existante ou désuète, afin de rappeler la norme morale. Cet assemblage montre, non seulement, à quel point ces différents lieux pouvoirs, qui sont en phase avec la violence et la délinquance, sont imbriqués, mais également comment ils fondent la richesse, mais aussi la complexité de leur étude. L’étude du crime, en France, est un des domaines de la sociologie, mais ce n’est pas le cas dans d’autres pays francophones ni dans les pays anglophones, où la criminologie est instituée en tant que discipline. Il sera fait appel à plusieurs des travaux de celle-ci dans cette recherche doctorale.
Deux grands courants idéologiques parcourent la criminologie à partir du XIXème siècle :
la criminologie positiviste et l’anthropologie criminelle. Ces courants influencent encore les débats quant à la politique pénale. Aucune étude scientifique ne montre la suprématie de l’une ou de l’autre sur l’évolution des courbes délictuelles et criminelles. Toutefois, cette réflexion sur le discours portant sur la délinquance sexuelle est souhaitée objective. Il s'agit de mieux en saisir le sens et accéder aux enjeux et valeurs sociétales sur lesquels ils sont construits, tout en tenant compte de l’héritage idéologique qui les sous-tend.
Cette réflexion a permis d’examiner le sens de la législation relative aux infractions à caractère sexuel, mais aussi la façon dont ces dernières la justifient et leurs évolutions. En matière de respect d’autrui et de sa sexualité, la loi pose un certain nombre de prohibitions, dont une part peut avoir une valeur universelle. En effet, les atteintes à l’intégrité physique (actuelle ou potentielle) « diffusent de la méfiance et de la peur »14. Ainsi, les représentations sociales relatives aux actes de violence sont négatives, et la victime bénéficie de l’appui du reste de la société. Nonobstant, cela n’a pas toujours été le cas pour les violences sexuelles. Les évolutions récentes des représentations sociales invitent à ouvrir un questionnement sur les différents facteurs et l’étiologie de cette évolution. La presse s’impose comme un support judicieux pour observer ces évolutions. Elle rapporte les éléments de la réaction sociale que la délinquance sexuelle et la violence sexuelle suscitent.
Comment la presse écrite a-t-elle participé à la construction sociale et à la réaction sociale de la violence et de délinquance sexuelle entre 1989 et 2012 ? Cette question de recherche sous-tend un questionnement. Comment raconte-t-elle ce phénomène ? Quels sont
les thèmes et champs lexicaux abordés dans les articles de presse ? Quels sont les acteurs qui interviennent ou sont sollicités ? Comment les discours relatifs à la délinquance et à la violence sexuelle révèlent-ils des structures propres à la société (représentations) ? Quelle est la part consacrée à la contextualisation du sujet et à la déconstruction de ce problème public ? De quels éléments le discours en faveur des victimes se constitue-t-il ? Quelles modalités de prise en charge des auteurs de violences sexuelles sont-elles envisagées ? Comment se forme la prévention de la récidive ? Grâce à ce questionnement fondamental, ce travail de thèse cherche à comprendre les évolutions sociétales et représentations qui se cachent derrière l’évolution des chiffres constatée au début de cette introduction. Tant la structure du langage interne que la structure des phrases retranscrites au sein des journaux renvoient à la structure d’une société donnée. Selon cette approche, la sémantique adoptée dans les médias s’impose comme le reflet de la société. L’homologie entre discours et action ou proposition d’action interroge, de manière indirecte, les « rapports entre langage et culture »15, pour reprendre les termes de C.
Lévi-Strauss. Dès lors, la presse apparaît à la fois comme un élément constitutif de la réaction sociale et comme un des vecteurs de transmission de celle-ci, puisque le langage est à la fois le produit et la condition de la culture. Si l’orientation politique et culturelle des journaux mobilisés donne des indications sur le public ciblé, d’un point de vue général, nous supposons aussi que la sémantique adoptée par les journaux est le reflet des représentations sociales et de leur mise en pratique. La récurrence des termes, l’utilisation de synonymes, de formules percutantes, la construction des phrases sont autant de signes des représentationsnormatives et sociales que véhiculent les médias en général et la presse en particulier. En ce sens, le processus informationnel s’assimile à un fait social total16 qui influence toutes les strates de la société à
des degrés divers.
Aussi, il est supposé que la façon dont les débats sociaux sont retranscrits a un impact sur les représentations sociales, les médias ayant un rôle d’ « infrastructures culturelles »17.
Différents facteurs d’ordre socioanthropologiques, juridiques, médicaux et historiques déterminent ce phénomène. Les liens entre les mœurs sexuelles et les rapports entre la justice et la psychiatrie sur la question de la responsabilité des auteurs de violences sexuelles constitueront les principaux points d'accroche de cette réflexion. Afin de les identifier, un modèle d’analyse et une méthode d’enquête ont été construits. La méthode quantitative s’est
15 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Press Pocket, Coll. « Agora », n° 7, 1985, p. 84. 16 Ce concept a été défini par Marcel Mauss. Le fait social total peut se définir comme un fait aux multiples
dimensions. Économie, droit, religion, éducation, institutions, etc. s’entremêlent pour créer et soutenir le maintien des faits sociaux totaux.
imposée comme une évidence. Onze termes et expressions clés ont été choisis pour recueillir les articles de presse dans une base de données. Sur la période étudiée, tous les articles du
Monde étaient numérisés, ce qui n’était pas et n’est toujours pas le cas pour Ouest-France. Le
recueil complémentaire a été réalisé en archives. Un logiciel d’aide à l’analyse, nommé Prospéro®18, a été sélectionné pour faciliter l’analyse de contenu. De fait, ce logiciel a offert la
possibilité d’examiner l’agencement de la temporalité et les liens entre les différents thèmes, acteurs, et catégories discursives qui sont mobilisés dans les deux journaux.
Appréhender les évolutions de la prise en considération des violences sexuelles demande en premier lieu de construire un état de l’art de la question. Plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales ont été sollicitées pour cela. Durant la période étudiée, de nombreux changements sociétaux sont intervenus. Ces changements ont, dans une certaine mesure, affecté l’objet de cette recherche. Peu à peu, les frontières de l’inacceptable ont bougé. Des comportements plus ou moins tolérés au début des années 1990 ne le sont plus aujourd’hui. Examiner le sujet de la violence et de la délinquance sexuelle sans prendre en compte ces changements serait l’isoler de la société à laquelle il appartient et reviendrait à se passer d’une partie de l’explication des évolutions constatées. Il a semblé par conséquent pertinent de commencer cette réflexion aux débuts de la dénonciation de ces violences afin de dégager comment ces actes sont compris et réprimés. En filigrane, est examiné comment des actes vont peu à peu être désignés comme moralement répréhensibles, voire déviants. Pour cela, notamment l’anthropologie, l’histoire, la sociologie, la criminologie et le droit ont été mobilisés. Sera ainsi expliqué comment notre société passe des non-dits à la publicisation des violences sexuelles. La seconde partie de ce travail présentera d’abord la méthode définie et les outils utilisés pour étudier la presse, puis la présentation des deux corpus ainsi obtenus. Le choix a été fait de concentrer les analyses sur les principaux thèmes des discours et des catégories de personnes sollicitées pour des entretiens ou citées dans les articles de presse. Seront examinées en particulier leur présence et leurs stratégies discursives au fil du temps. Ces éléments permettent de déterminer la nature de l’argumentaire de chacun des acteurs ainsi que les représentations sociales de la délinquance sexuelle et de la violence sexuelle véhiculées par les médias. Cette évolution est marquée par la prise en compte de l’agression sexuelle à la fin des
18 Le nom du logiciel est une simplification de « PROgramme de Sociologie Pragmatique, Expérimentale et
Réflexive sur Ordinateur ». Le logiciel est présenté comme « est un logiciel d'analyse de données textuelles proposant une technologie littéraire pour les sciences humaines » (Source : http://prosperologie.org/?sit=22, vérifié le 21/09/2018). Outre la classification et le suivi de dossiers, Prospéro permet de travailler sur les temporalités ainsi que de comparer « des dossiers complexes » afin d’aider les chercheurs et chercheuses à mieux
années 1980 et par l’apparition de l’expression « violences sexistes et sexuelles » à l’approche des années 2010.
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ARTIEI
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ES TABOUS SEXUELS AUX VIOLENCES SEXUELLES:
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EVOLUTIONS DANS DIFFERENTS CHAMPS SOCIAUX ET SCIENTIFIQUESCette partie présente plusieurs thématiques grâce à la mobilisation de différentes disciplines des sciences humaines et sociales. Les études réalisées sur la criminalité sexuelle l’ont été dans plusieurs domaines : l’histoire, la criminologie, la sociologie, l’anthropologie, la psychiatrie. Il s’agit aujourd’hui à la fois d’un problème pénal et d’un problème de santé publique. Cette première approche par la littérature scientifique, ou état de l’art, commencera par un regard sociohistorique sur les tabous et violences sexuelles des sociétés premières aux sociétés contemporaines afin d’en interroger les continuités et ruptures. Ainsi, les différents aspects des violences sexuelles et leurs évolutions sont envisagés (chapitre 1 à 3). Elle se poursuivra par l’interrogation des questions liées aux risques et à l’insécurité et à la manière dont ces questions sont traitées dans les médias (chapitre 4). Elle se termine sur les questionnements liés à la santé et au soin obligé dans notre société contemporaine (chapitre 5). Cela conduira à l’établissement de quatre hypothèses relatives au traitement des violences et de la délinquance sexuelle par deux journaux français entre 1989 et 2012. Ces dernières ainsi que la méthode définie seront exposées dans la seconde partie de cette thèse.
Chapitre 1.
Les crimes sexuels : entre contextes culturels et tabous
universels
Dans ce chapitre, l’exemple d’autres sociétés sera utilisé pour examiner la question des mœurs, celle de la place des femmes dans la société et celle de l’éducation des enfants. Cela permettra d’esquisser les premiers traits de la place des violences sexuelles et de leur symbolique. De telles recherches ont été conduites par des anthropologues et des historiens. Les objectifs de ce chapitre sont de rechercher s’il existe des éléments soit universels relatifs aux tabous sexuels et aux violences sexuelles, soit des éléments liés au contexte culturel afin de comprendre les enjeux actuels du débat sur les violences sexuelles. Pour ce faire, dans une première partie, la recherche d’invariants existants dans les sociétés premières et les sociétés antiques seront identifiées pour mieux comprendre les premières représentations de l’inceste et de violences sexuelles. La seconde partie vise à déterminer les causes du changement sur la question des violences sexuelles à partir du Moyen-Âge. Enfin, la troisième partie s’intéresse aux premières évolutions de l’époque moderne, qui amorcent les changements des trente dernières années.
I.
Les anthropologues confrontés à la questio
n de l’inceste
Il ressort des travaux des anthropologues et des historiens que l’interdit de l’inceste vise à la protection et à la continuation de la lignée. Les anthropologues interrogent notre regard sur la construction et le développement de notre société à travers l’histoire et les pratiques des sociétés premières. Ceux-ci tentent de dégager des règles et des pratiques caractérisant l’humanité, à partir d’observations, souvent participantes, de la vie des sociétés qu’ils étudient. Avant de déterminer quels sont les tabous sexuels existants et leur acception dans quelques sociétés premières, l’origine de l’interdit de l’inceste qui existe sur tous les continents de la planète, sous différentes formes, est examinée.
A. Les origines de l’interdit de l’inceste
Lorsque sont abordés les tabous et d’interdits sexuels, le premier auquel nous pensons est l’inceste. Sa définition va être précisée et son origine anthropologique déterminée.
Le Petit Larousse définit l’inceste comme un ensemble de « relations sexuelles entre un homme et une femme liés par un degré de parenté entraînant la prohibition du mariage, dans une société
donnée »19. Cette définition est critiquable sur plusieurs points. Tout d’abord, selon cette définition, l’inceste ne peut avoir lieu qu’entre individus de sexe différents. Elle est donc construite sur une conception hétéronormée de la sexualité. Ensuite, cette définition comporte une ambiguïté. Elle lie inceste et degré de parenté pour établir une prohibition au mariage. Ce rapprochement entre mariage et degré de parenté suppose implicitement que les relations sexuelles n’ont lieu que dans le cadre du mariage. Cette définition correspond aux conceptions de la sexualité et des interdits sexuels de la religion chrétienne. Elle met de côté le fait que toutes les relations sexuelles n’ont pas lieu dans le cadre du mariage. Si cette définition est révélatrice de représentations, elle ne peut servir de base dans ce travail. L’inceste est ici défini comme toutes relations entre apparentés prohibées par la société, quels que soient l’âge et le sexe des personnes concernées. Les degrés de parenté concernés varient d’une société à une autre. Aussi, cette deuxième définition peut être qualifiée de relative. Selon l’anthropologue C. Lévi-Strauss, l’interdit de l’inceste astreint le groupe familial à la réalisation d’échanges avec d’autres groupes de populations que le sien. Ces échanges et alliances doivent assurer la paix sociale et la survie du groupe. Le pendant négatif de cet interdit est qu’il « exige l’abandon du désir de jouissance de l’être proche »20. Ainsi, il existe des critères sociaux de conformité des
comportements sexuels. Ils se traduisent par le fait que les conduites sexuelles déviantes font l’objet de sanctions sociales. « L’acculturation de la sexualité implique en effet la détermination de partenaires permis et de partenaires interdits, ainsi que des conditions dans lesquelles les interactions sexuelles sont socialement admises »21. L’interdit de l’inceste fonde les sociétés humaines, assure
leur pérennité et leur développement grâce à différents types d’échanges. Parmi ces échanges, figurent les alliances matrimoniales et le commerce. C’est « la démarche fondamentale dans laquelle s’accomplit le passage de la nature à la culture »22. F. Héritier préfère la définition du Grand Littrépour lequel l’inceste est « une conjonction illicite entre des personnes qui sont parentes ou alliées au degré prohibé par les lois »23. Cette définition est proche de celle du Lexique de
sociologiepour lequel l’inceste est une « relation sexuelle entre des individus qui sont apparentés à un degré prohibé […] Est incestueuse une relation que la société considère prohibée en tant que telle »24. Cette dernière acception correspond à la réalité des mœurs et coutumes des sociétés
19 Petit Larousse 1995, Paris, 1994, p. 541.
20 Xavier Lameyre, La criminalité sexuelle, Paris, Flammarion, Coll. « Dominos », n° 206, 2000, p. 84.
21 Pierre Collart, Les abuseurs sexuels d'enfants et la norme sociale, Louvain, Bruylant, Coll. « Intellection », n° 1,
2005, p. 148.
22 Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, Paris, Mouton, 1967 (2ème édition). 23 Françoise Héritier, Les deux sœurs et leur mère, Paris, Odile Jacob, 1994, p. 17.
qui vont être évoquées ici. Elle servira de référence pour les analyses de cette recherche. Essayons d’en préciser les contours.
F. Héritier analyse la prohibition de l’inceste comme une forme d’organisation du groupe. « Par la prohibition de l’inceste imposée aux autres mâles, le père impose sa domination sur toutes les femmes du groupe […] En éliminant les pratiques incestueuses qui suscitent la jalousie et la compétition au lieu de l’autorité et de la coopération, la prohibition de l’inceste aurait donc pour but de maintenir la hiérarchie entre les générations et la discipline nécessaire à la cohésion du groupe »25.
F. Héritier distingue deux formes d’inceste : l’inceste du premier type et l’inceste de deuxième type. L’inceste du premier type est le plus connu. Il prohibe les relations sexuelles entre parents et enfants, frères et sœurs, cousins, oncles et nièces, etc. Il regroupe l’interdiction des relations sexuelles entre consanguins et apparentés. L’inceste du deuxième type est « la prohibition des rapports sexuels qui mettent en contact des consanguins par l’intermédiaire d’un partenaire commun »26. L’auteure cite « plusieurs variantes de l’inceste du deuxième type : un homme avec deux sœurs, deux frères avec deux sœurs, un homme avec la fille de son épouse - l’identité de substance est entre la mère et sa fille -, ou systématiquement, une femme avec deux frères, une femme avec le fils de son époux, etc. »27. Cette prohibition de l’inceste du deuxième type incite à « nouer des alliances avec le plus de partenaires possible, donc à ne pas renouveler immédiatement une alliance matrimoniale déjà établie »28. L’importance de l’inceste du deuxième type varie d’une société à l’autre. Il est d’ailleurs partiellement présent dans notre société. En effet, nous réprouvons au nom des bonnes mœurs les rapports sexuels entre un homme qui fut le beau-père d’une jeune fille, même devenue majeure, mais nous admettons qu’une femme puisse avoir des relations sexuelles avec un ancien partenaire d’une de ses sœurs. Avant la loi de 1975, belles-sœurs et beaux-frères ne pouvaient s’épouser. La conception de l’inceste du deuxième type peut par conséquent varier dans l’espace et dans le temps. À titre d’exemple, les Na de Chine connaissent une acception différente de la parenté et donc de l’inceste.
B. La symbolisation des tabous sexuels dans quelques sociétés premières
Toutes les sociétés premières ou traditionnelles, qu’elles soient patriarcales ou matriarcales, ont défini des tabous sexuels. Le non-respect de ceux-ci est aussi sévèrement
25 Françoise Héritier, Op. Cit., 1994, pp. 19-20.
26 Françoise Héritier, « présentation » in Françoise Héritier, Boris Cyrulnik, Aldo Naouri, De l’inceste, Paris, Odile
Jacob, Coll. « Poche », n° 22, 2000, p. 9.
réprouvé que peuvent l’être dans les sociétés de la modernité les auteurs de délinquance sexuelle. Peut-on pour autant faire des comparaisons ou y trouver une origine des violences sexuelles telles que nous les conceptualisons ? Si quelques continuités sont présentes, néanmoins le sens donné aux actes n’est pas symbolisé de la même manière. L’examen successif d’une société matriarcale, les Na de Chine, des mythes de la Grèce antique et les pratiques de la Grèce moderne ainsi que de l’étude des mœurs de peuples d’Océanie révèlent que l’interdit de l’inceste vise un unique objectif, même s’il prend des contours différents.
1/ Les Na de Chine : les tabous sexuels dans une société matriarcale
En Asie, le patriarcat domine comme sur les autres continents. Dans beaucoup de sociétés, filles et garçons n’ont pas la même « valeur ». Les filles sont considérées soit comme une monnaie d’échange ou comme une charge, et font l’objet d’éliminations (avortement, infanticide). Dans ce contexte, les sources sur la question des violences sexuelles et la sexualité vis-à-vis des filles, en général, sont rares. Cependant dans ce paysage, une tribu, les Na de Chine, fait exception pour plusieurs raisons
Ce qui est intéressant est le contexte dans lequel évolue cette société. Ancienne tribu décrite dans les récits de Marco Polo, les Na, société matriarcale, vivent sur un territoire géré par la Chine dans la région du Yongning29. C’est une région du monde où le patriarcat est la
règle. Les Na « jouent » avec les autorités chinoises pour conserver leurs mœurs. Chez les Na, le foyer n’est pas composé d’un couple, de ses enfants et d’ascendants, mais d’une lignée. Sœurs et frères vivent dans la même maison avec les enfants des filles. Les femmes ont des enfants, principalement grâce aux visites nocturnes d’hommes. Le mot père n’existe pas dans la langue Na. Les enfants sont éduqués par la mère, la ou les tantes et le ou les oncles. Aussi, la parenté est consanguine et matrilinéaire (sauf pour la famille du chef où le mode patrilinéaire a été introduit afin de mieux dialoguer avec les autorités locales). Les biens sont transmis d’une génération à l’autre de manière collective. Au sein d’une famille, il y a deux chefs, un de chaque sexe. Le chef de sexe masculin s’occupe des affaires extérieures, tandis que la cheffe de sexe féminin s’occupe de l’agriculture et des affaires de la maison. Les chefs ont des rôles de gestionnaires. Pourtant les décisions importantes sont prises en commun par les membres de la maisonnée. La conception de la famille étant différente, celle de l’inceste l’est aussi. « Ceux qui mangent dans le même bol et la même assiette ne doivent pas s’accoupler »30. Cette règle s’applique
aux consanguins qui ont le même ancêtre de sexe féminin. La transgression du tabou de l’inceste
engendre trois types de sanctions sociales. Toutes aboutissent à la mort des transgresseurs. Des sanctions de la nature sont évoquées : cornes qui poussent, naissance d’enfants-animaux, etc. Si le géniteur de l’enfant ne participe pas à l’éducation de celui-ci, les hommes semblent connaître leur paternité31. « Que le géniteur soit connu ou ignoré n’a aucun effet dans le système de parenté ni sur le statut de l’enfant »32. « Entre le géniteur et l’enfant, aucun contact spécifique, aucun lien n’existe. Les liens sexuels ne créent aucun droit et aucun devoir entre les açia [amants], et entre l’enfant et le géniteur »33. « L’appariement est prohibé ente les consanguins dans cette société, comme partout ailleurs. Dans la mesure où le commerce sexuel n’est pas interdit (même si c’est désapprouvé) entre une femme et son géniteur (qu’elle ne connaît pas nécessairement). Il en est de même entre un Zo min34 et la fille de sa cohabitante (qui n’est pas issue de lui). Leur cercle de consanguin correspond
bien au champ d’application de leur prohibition de l’inceste. Entre consanguinité et prohibition de l’inceste, il existe donc une relation parfaite »35. La conception de l’inceste est moins large que
dans les sociétés patriarcales décrites par C. Lévi-Strauss, puisqu’une fille peut avoir des relations sexuelles avec son géniteur, ses ascendants et descendants. Elle n’a pas connaissance de l’existence des autres enfants de son père. En théorie, une fille pourrait avoir une relation d’açia avec un de ses demi-frères sans le savoir, ce qui diffère de la conception occidentale de l’inceste. « Pour les Na, ceux qui ne sont pas descendus d’un même ancêtre féminin ne sont pas dotés du même « os », et donc pas la même qualité de consanguinité. Ils sont donc non consanguins les uns par rapport aux autres »36. Nonobstant, dans la conception de la famille chez les Na, il apparaît que l’interdit de l’inceste vise les membres de la famille. Ainsi, une règle concernant l’inceste peut être dégagée : les relations sexuelles sont interdites entre des personnes ayant vécu sous le même toit (définition stricte) et ayant au moins un de leurs géniteurs en commun (définition large). Les coutumes Na répondent à la définition stricte. Par ailleurs, un usage permet de prémunir l’inceste du deuxième type. Si « dans le passé, la mère a été açia [amante] du même visiteur »37, elle peut le faire comprendre à sa fille. Cependant, la fille est libre de continuer la relation si elle le souhaite.
Chez les Na, le tabou sexuel s’étend à la parole et au discours sur la vie sexuelle, affective, sentimentale ainsi que toute évocation sexuelle. L’introduction d’un ou plusieurs
31 Cai Hua, Op. Cit., 1997, p. 161. 32 Ibidem, p. 174.
33 Ibid., p. 175.
34 Homme vivant avec une femme, peut s’apparenter à une forme de concubinage. 35 Cai Hua, Op. Cit., 1997, p. 350.
partenaires sexuels dans la lignée est considérée comme un crime. Cela entraîne la séparation du matrilignage.
Le peuple Na respecte un ensemble de tabous sexuels. L’inceste du premier type comme du deuxième type existe dans cette société. Cependant, son cadre et ses règles sont différents des sociétés patriarcales, desquelles notre société contemporaine hérite, telle la Grèce Antique.
2/ Les cités grecques : des mœurs calquées sur la mythologie ?
La Grèce Antique évolue pendant une période de sept siècles entre 900 av. J.-C. et 146 av. J.-C. Il semble légitime de se demander si les mœurs et l’éducation des enfants de la Grèce antique ont influencé les mœurs de la Grèce moderne.
a. Les mœurs des cités grecques
Deux grandes figures idéales-typiques antagonistes représentent l’homme en devenir dans les mythes grecs. Il y a d’un côté Télémaque, l’enfant sage, et de l’autre Icare, l’imprudent. Cela indique que la figure de l’enfant idéal est celle qui respecte et écoute ses parents. Ces derniers sont ceux qui savent pour lui. Dans les cités grecques, l’éducation du futur citoyen et de son épouse est primordiale pour la continuité de la Cité. Leur éducation ne porte pas seulement sur les apprentissages de bases et la connaissance du monde, mais aussi sur la sexualité. Pour les garçons, comme pour les filles, la prime enfance se déroule à la maison, en compagnie des parents et des esclaves. Une certaine affection et des attentions leur sont apportées. Ainsi, des prémices de la pédiatrie se développent avec Hippocrate. Cette société sait que la morphologie de l’enfant est différente de celle de l’adulte.
Selon l’historienne Y. Knibiehler38, dans la cité de Sparte, les garçons quittent le foyer
à l’âge de sept ans pour rejoindre leurs pairs dans une sorte de collectivité où ils vont devenir des citoyens-soldats. À Athènes, à partir de 7 ans, soit les enfants vont à l’école, pour ceux issus de familles qui ont les moyens de payer le maître, soit ils travaillent. Les enfants qui vont à l’école sont accompagnés d’un esclave nommé le « pédagogue ». L’enfant est encadré par les adultes. C’est dans les rites religieux qu’apparaissent les filles de sept à onze ans. Quatre d’entre elles, souvent issues de familles nobles, étaient choisies pour servir la déesse Athéna.
L’éducation sexuelle des garçons passe par la pédérastie. « Entre 12 et 18 ans tout jeune Athénien a un amant adulte, faute de quoi, il serait déconsidéré, comme si personne ne pouvait