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L’accompagnement des femmes et des enfants victimes de violences conjugales au centre Flora Tristan

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L’accompagnement des femmes et des enfants victimes de violences conjugales au centre Flora Tristan

Accompanying women and children victims of domestic violence at Flora Tristan Centre

Franc¸oise Toutain

Centre Flora Tristan

Résumé.Les violences conjugales sont un problème de société massif. Les données compilées chaque année par le secrétariat d’État en charge de l’égalité femmes-hommes et par la Délé- gation aux victimes du ministère de l’Intérieur font état de centaines de milliers de femmes victimes. Les nombreux enfants qui vivent dans un foyer où elles s’exercent sont aussi victimes, directes ou indirectes. Les analyses d’appels de femmes victimes de violences conjugales faites dans le cadre de l’observatoire du 3919 (Violences Femmes Info) corroborent et confirment que les enfants sont souvent présents lors des épisodes de violences envers elles et qu’une partie d’entre eux subissent des maltraitances et des violences directes.

Le centre Flora Tristan, membre du réseau Solidarité Femmes, existe depuis 40 ans.

Il a été créé pour offrir une solution immédiate aux femmes qui devaient fuir les violences conjugales et se mettre en sécurité. Le cœur de métier des professionnel.le.s qui y travaillent est l’accompagnement de ces femmes victimes et de leurs enfants. Cette spécificité se décline par le biais de dispositifs d’hébergement, dont un service d’urgence, d’accueil et d’écoute, de groupes de parole, d’actions collectives, et d’un espace enfants-jeunes.

Le travail sur la parentalité est un axe important de l’accompagnement des femmes qui ont souvent été dénigrées, humiliées, rabaissées dans leur rôle de mères par le conjoint violent.

Les rassurer quant à leurs compétences maternelles est essentiel.

Dans le temps de leur séjour au centre, un travail avec les enfants se met en place. Pour ces petites filles et petits garc¸ons, il est aussi essentiel de comprendre la situation qu’ils et elles vivent et d’exprimer les émotions ressenties. Les violences conjugales qu’ils ont vécues leur ont souvent fait adopter une posture de protection, d’adaptation ou de sur adaptation, non conforme à leur évolution d’enfant. Jouer seul ou en groupe, en interaction avec les éducatrices, est aussi important pour retrouver un espace d’expression adapté à leur âge.

C’est de la contextualisation des violences conjugales et de la déclinaison de ces deux axes, soutien à la parentalité et travail éducatif avec les enfants, dont il est question dans cet article.

Mots clés :violences conjugales, mise en sécurité, enfants victimes de violences conjuga- les, soutien à la parentalité, accompagnement éducatif spécifique des enfants, association spécialisée du réseau Solidarité femmes, projet d’établissement

Abstract.Domestic violence is a huge social problem. The data compiled each year by the State Secretariat for Gender Equality and the Delegation of Victims of the Ministry of the Interior indicate that hundreds of thousands of women are victims. The many children living in a home where these are exercised are also victims, directly or indirectly. The analysis of calls from women victims of domestic violence made in the context of the call to 3919 (violence women info hotline) corroborates and confirms that children are often present during episodes of violence against women and that some of them suffer mistreatment and direct violence.

The Flora Tristan Centre, member of the Solidarity Femmes network, has been in existence for 40 years.

It was created to offer an immediate solution to women who had to flee domestic violence and put in safety. The core business of the professionals working there is the accompa- niment and support of these women victims and their children. This specificity is available through accommodation facilities, including an emergency service, reception and listening, talk groups, collective actions, and a child-youth area. The work on parenthood is an important axis of support for women who often been denigrated, humiliated, degraded into their role as mothers by their abusive partner. Reassuring these women on their maternal skills is essential.

During their stay at the Centre, a work with these children is put into action. For these little girls and boys, it is also essential to understand the situation that they experienced and to

doi:10.1684/mtp.2018.0698

m t p

Tirés à part : F. Toutain

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express the emotions they felt. The conjugal violence they went through has often led them to adopt a position of protection, adaptation or over-adaptation, which is not suitable with their child development. Playing alone or in a group, interacting with their educators, is also important to find a space of expression according to their age.

The subject of this article is to detail the concept of conjugal violence and the declination of these two axes: support for parenthood and educational work with children.

Key words: domestic violence, secured, child victims of domestic violence, support for parenthood, specific educational support for children, specialized association within the network Solidarité femmes, institution project

O

n compte en France, pour l’année 2017, 225 000 femmes qui se déclarent victimes de violences au sein du couple [1] et 143 000 enfants vivant dans un foyer où une femme se déclare victime de violence sexuelle ou physique [2].

En 2001, le rapport Henrion [3] précisait que les vio- lences s’exerc¸aient aussi sur les enfants dans 10 % des cas de violences conjugales recensés et que«le risque pour les enfants de mères violentées d’être eux-mêmes victimes serait de 6 à 15 fois plus élevé».

L’observatoire du 3919, numéro d’appel Violences Femmes Info, géré par Fédération Nationale Solidarité femmes (FNSF), faisait état des chiffres suivants en 2016 : – Plus de quatre femmes sur cinq (82 %) victimes de violences conjugales concernées par les appels du 3919 avaient des enfants (soit 7 348 femmes sur un panel de 8 961 appels analysés). Dans plus de la moitié des cas, les femmes victimes déclaraient avoir entre deux et trois enfants (54 %). La grossesse, la naissance ou l’adoption sont les facteurs d’aggravation ou d’apparition des violences les plus cités. Le fait d’avoir des enfants en bas âge est aussi un des facteurs de risque observé au 3919. Plus de 12 665 enfants étaient concernés par les violences conjugales.

– 2 % des victimes ont déclaré que leur(s) enfant(s) fait l’objet d’un placement en famille d’accueil ou en foyer. Au minimum, 202 enfants sont concerné.e.s par ces mesures.

– Dans 5 % des situations l’enfant est hébergé.e chez le père exclusivement et dans 3 % il/elle fait l’objet d’une résidence alternée.

–7 072 femmes ont déclaré être enceintes et/ou avoir au moins 1 enfant.

– 39 % d’entre elles ont précisé la nature des vio- lences subies par leur(s) enfant(s) et leurs manifestations.

Parmi celles-ci :

• 92 % des victimes ont déclaré que leurs enfants sont témoins des violences et 22 % qu’ils sont victimes de maltraitances.

• 6 % des victimes ont dénoncé des comportements violents de leur(s) enfant(s) exercés à leur encontre ou envers une tierce personne1.

1Extrait de l’analyse des données issues des appels au 3919 – Violences Femmes Info – Fédération nationale solidarité femmes –

En 40 ans d’existence, le centre Flora Tristan, membre de Solidarité Femmes, a accueilli et hébergé 4 500 femmes et 4 900 enfants victimes de violences conjugales. Et sur les dix dernières années, entre 2008 et 2017, son service de mise en sécurité a hébergé en urgence 1 282 femmes et 1 182 enfants.

Il faut comprendre ce que signifie le fait de franchir la porte d’un lieu comme le centre Flora Tristan pour se mettre en sécurité. C’est pour les femmes victimes quitter son foyer le plus vite possible parce qu’elles y sont en dan- ger. Pour elles, le domicile conjugal est devenu un endroit plein de peurs, plein d’angoisses, dans lequel elles sont prises au piège d’une conjugalité terrifiante.

Elles vivent en état d’angoisse permanente, du fait d’un conjoint qui menace, qui rabaisse, qui frappe, qui interdit, qui torture, qui viole. Leur intégrité physique et psychique est rabotée chaque jour par les coups, sous leurs diffé- rentes formes, qu’elles rec¸oivent et qu’elles sont portées à excuser parfois lorsque le travail de sape systématique dont elles sont l’objet leur infuse la culpabilité de ce qui leur arrive. Ou les prive de toute distance sur les faits tant elles sont maintenues sous pression, doutant d’elles- mêmes, redoutant le pire. Leur conjoint, le père de leurs enfants, est un danger pour elles. Elles supportent encore un peu, pour les enfants justement, parce que c’est leur père, parce qu’elles ne se sentent pas le droit de les séparer de lui, parce que«c’est quand même un bon père», parce qu’ils leurs ont dit qu’ils les tueraient si elles partaient avec les enfants. . .

Elles supportent jusqu’à ce jour où elles partent, souvent parce qu’elles ont eu la chance de trouver quelqu’un.e à qui en parler et qui les a écoutées et crues, un.e ami.e, une assistante sociale, un.e voisin.e., ... Ou parce qu’elles sont hospitalisées après avoir été frappées, ou parce que la police est intervenue au domicile et que leur vie dépend de leur mise en sécurité.

Elles partent aussi lorsque les enfants subissent à leur tour les violences et que ce qu’elles«acceptaient»pour elles leur devient intolérable quand il s’en prend aux enfants.

Toutes les études s’accordent aujourd’hui pour dire que les violences qu’elles ont vécues, toutes ces atteintes à leur intégrité physique, psychique, ont bien évidem- ment un impact important sur ces enfants qui vivent dans un schéma familial où la violence est la norme. Leur

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violences créent un climat permanent de danger, d’insécurité, de peur (...). Cet état de terreur et de stress nuit gravement au développement de l’enfant»[4].

Comme cela a été bien mis en évidence par les auteurs du rapport Henrion, le développement de l’enfant peut être mis à mal dès la grossesse, période qui est souvent un facteur déclenchant ou aggravant des violences conjuga- les. Ces violences retentissent sur l’enfant à naître du fait des souffrances infligées à la mère et, dans certains cas,

«l’enfant à naître est lui-même directement touché par les violences : mort in utero, retard de croissance in utero» et plus rarement, mais existant tout de même, des lésions atteignant directement l’enfant à travers le corps maternel et le liquide amniotique : fractures des membres ou plaies par arme blanche»[5].

Les auteurs du rapport Henrion listent les risques, qu’engendrent les violences conjugales sur les enfants :

– « de lésions traumatiques : blessures accidentelles. . . ou intentionnelles de la part d’un de ses deux parents. Les blessures peuvent être de tout type et de localisations différentes.

de troubles psychologiques : troubles du som- meil, cauchemars ; troubles de l’alimentation ; anxiété, angoisse ; état dépressif ; syndrome post-traumatique.

de troubles du comportement et de la conduite. Le climat de violence qui règne à la maison et la terreur engen- drée par cette violence déséquilibrent l’enfant et peuvent provoquer en lui désintérêt et désinvestissement scolaire, agressivité et violence, fugues et délinquance, conduites addictives et toxicomanies, idées suicidaires et tentatives de suicide, suicide.

de troubles psychosomatiques. Le manque de soins ou le traumatisme psychologique engendré par les violences entraînent des troubles sphinctériens à type d’énurésie, des retards staturo-pondéraux, des troubles de l’audition et du langage, des infections respiratoires à répétition.»

Ces enfants sont susceptibles de reproduire la vio- lence, seul modèle de communication qu’ils connaissent, soit dans les lieux publics (à l’école, dans la rue) soit en privé (à la maison, dans une future relation de couple) [3].

Tous ces troubles de l’enfant font miroir avec ceux de la mère qui vit en état de stress permanent, et qui se voit disqualifier dans son rôle de mère par le conjoint violent. Les enfants sont pris dans des conflits de loyauté, se sur-adaptent à la situation, s’identifient à la victime, à l’agresseur, imaginent des stratégies pour se protéger psychologiquement et physiquement des violences, etc.

Un jour, Madame prend la courageuse décision de partir, avec ses enfants, entamant alors le parcours de la combattante pour se protéger de son ex conjoint, pour se reconstruire, psychologiquement et socialement et pour mener la bataille juridique de la séparation, du divorce, des droits de garde, et pour trouver un toit, un emploi, des ressources, etc.

Elle a besoin d’aide et de soutien dans ce parcours long, parsemé de doutes et de craintes quant à l’avenir.

Elle a souvent besoin de restaurer son rôle de mère, de s’autoriser à poser des limites à ses enfants, de retrouver des modes de communication fluide avec eux.

C’est pour elles et eux que le centre Flora Tristan, et d’autres lieux associatifs du réseau Solidarité Femmes, pro- pose des accompagnements spécifiques aux femmes et aux enfants victimes de violences conjugales.

Des accompagnements spécifiques

Chaque situation est unique et pourtant souvent sem- blable dans la construction de la mécanique et de l’enchaînement des violences.

Au sein du service de mise en sécurité du centre, la quasi-totalité des femmes qui sont mères arrivent avec leurs enfants. L’accueil y est inconditionnel, à partir du moment où les violences conjugales sont avérées et où Madame est en danger immédiat.

109 femmes et autant d’enfants ont été hébergé.e.s en 2017, mais nous avons dû en refuser plus 364 faute de places car ce service n’a que 15 places.

Le temps de séjour est court, 24 jours en moyenne sur l’année passée, mais cette durée limitée permet de mettre en sécurité plus d’une centaine de femmes et centaine d’enfants par an. C’est le temps d’un accompagnement social et psychologique qui va leur permettre de par- ler et d’être entendues par des professionnelles formées à cette problématique. Leurs vies sont bousculées, leurs repères familiaux désintégrés, leurs états de santé alté- rés, quelques jours c’est peu pour retrouver un début d’équilibre mais durant ces jours elles trouvent une empa- thie, une disponibilité et une écoute qui amorceront le chemin de leurs reconstructions. C’est dans ce temps court qu’il faut également envisager une sortie du ser- vice, un hébergement à plus long terme, éventuellement hors région parisienne, une solution familiale ou amicale, l’hôtel via le 115, un retour au domicile parfois. Car partir définitivement, se défaire de l’emprise du conjoint, est un processus complexe qui peut engendrer des allers-retours fréquents entre le domicile et un lieu de mise à l’abri. Les professionnel.le.s des violences conjugales reconnaissent sans la juger l’ambivalence des femmes victimes dans ces moments de séparation et savent faire avec pour ne pas ajouter de la confusion ou de la critique dans leur par- cours.

L’accompagnement par l’équipe du centre peut conti- nuer à l’issue d’un temps de mise en sécurité. Un service d’accueil et d’écoute peut les recevoir régulièrement pour les accompagner, les soutenir et les orienter dans leurs démarches. 315 femmes ont été rec¸ues par ce service en 2017 et 112 se sont inscrites dans un accompagnement de

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plusieurs mois, voire années. Le centre dispose également de 61 places d’hébergement à plus long terme – dans trois services aux temporalités différentes – dans 22 apparte- ments – auxquelles elles pourront accéder peut-être plus tard, en fonction des disponibilités et d’autres critères tels que l’inscription au SIAO (Service Intégré d’Accueil et d’Orientation), l’adhésion au règlement du service et au projet social du centre, les ressources. Ces hébergements, contrairement à la mise en sécurité, ne sont pas incon- ditionnels et les conditions qu’ils imposent sont aussi la garantie de roulement dans les services, permettant ainsi, au terme d’un accompagnement de plusieurs années par- fois, d’accueillir d’autres femmes et d’autres enfants qui cherchent apaisement et stabilité après leurs vécus de vio- lences conjugales.

En transversal à l’ensemble des services, un binôme travailleuse sociale-psychologue anime des groupes de parole. Le premier groupe réunit les mêmes femmes sur dix séances pour un travail de soutien psychologique et de compréhension des situations individuelles par le biais d’observations et d’analyses collectives. Ces temps collec- tifs éclairent également les vécus singuliers sous l’angle de la domination masculine, pierre angulaire de la mise en place du continuum des violences envers les femmes.

Le second, le groupe « entre mères» propose des ren- contres thématiques sur le thème de la parentalité et de la co-parentalité dans un contexte de violences qui per- durent après la séparation et où les enfants sont souvent le moyen pour le père de maintenir son emprise sur Madame.

Dans un tel contexte, la co-parentalité est à proscrire. Le film de Xavier Legrand,«Jusqu’à la garde», sorti en 2017, en fait une brillante démonstration.

La place et l’accompagnement des enfants sont pris en compte dans tous les services avec une acuité particulière pour ce qui est du service de mise en sécurité.

La place et l’accompagnement des enfants

Que comprennent-ils de ce qu’ils vivent lorsqu’ils se retrouvent dans une autre maison, du jour au lendemain, d’un moment à l’autre ? Une maison pleine d’adultes qu’ils n’ont jamais vus, et où il y a d’autres enfants aussi.

Que peuvent ou veulent dirent leurs mères à ce moment- là ? Qu’est-ce qui est dicible, qu’est-ce qui ne l’est pas ? Comment expliquer à des enfants qu’ils ne vont pas aller à l’école pendant quelques temps pour éviter à leur mère, et parfois à eux aussi, le risque d’y rencontrer leur père ? Que répondre à leurs questions ?

Les mères sont souvent démunies face au question- nement de leurs enfants car elles sont elles-mêmes sans réponse à leurs propres questions. En se réfugiant dans le centre, elles se confirment à elles-mêmes, si besoin en

était encore, qu’elles sont victimes de violences. C’est une première étape importante sur le parcours de sortie des violences. Il faut souvent du temps pour y voir un peu plus clair, pour qu’elles soient rassurées quant à leur déci- sion de partir du domicile. Dans ce tumulte émotionnel, il est pour certaines d’entre elles difficile d’expliquer à leurs enfants les raisons de leurs départs et de leur présence au centre.

Lors des entretiens qu’elles ont avec l’équipe ou lors des groupes de parole, elles peuvent penser, mettre des mots sur les violences, être encouragées, et accompagnées si elles en expriment le besoin, à parler à leurs enfants.

L’ensemble de la prise en charge proposée vise aussi à restaurer leur confiance en leur capacité de mères.

Les enfants trouvent aussi leurs places au centre qui dispose d’un espace enfants-jeunes

Deux éducatrices y travaillent à mi-temps. L’espace est ouvert six demi-journées par semaine. Il accueille les enfants dès la naissance et jusqu’à 18 ans pour les ado- lescents. Lorsque leurs enfants y sont accueillis, les mères peuvent se concentrer sur les échanges et entretiens pro- grammés avec les travailleuses sociales de l’hébergement.

La première mission de ce lieu est de redonner à chaque enfant sa place d’enfant dans un contexte familial violent. Comme nous l’avons vu précédemment, l’étude qui ressort des appels au 3919 montre qu’une très grosse majorité des enfants de femmes victimes de violences conjugales sont exposés aux violences. Les effets majeurs des violences repérés par les mères appelantes, et que nous retrouvons auprès des enfants que nous accueillons, sont, sur le plan comportemental, un isolement/repli sur soi et sur le plan de la santé l’apparition de peurs allant jusqu’à l’angoisse.

Les modalités d’adaptation de chaque enfant à ce dys- fonctionnement qu’est la violence au sein de la famille peuvent être de plusieurs types. Elles dépendent aussi de violences qu’ils ont pu subir directement.

Lorsque l’enfant a été privé de mots il peut se sen- tir instinctivement investi d’une mission réparatrice et va alors chercher à arranger la situation en s’adaptant à ce qu’il imagine que l’on attend de lui : s’effacer, être sage ou protéger le plus faible. Dans d’autres cas, il se protégera lui-même en faisant«comme»le parent violent, insultera sa mère, la tapera, la dénigrera. Ces deux comportements peuvent apparaître alternativement. Entre ces deux cas de figure, une multiplicité de comportements peut être obser- vée qui va découler de l’âge de l’enfant, de la présence ou non dans son entourage d’adultes«ressource», de son propre tempérament, et de toutes les variables qui rendent singulier chaque enfant.

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La difficulté de l’enfant à tenir sa place d’enfant est ainsi une constante chez ceux que nous recevons. Ils peuvent se désinvestir de leur propre vie, de leurs appren- tissages ou avoir des difficultés à rentrer dans le jeu, ou s’essayer à vouloir être grands pour réparer les liens.

Dans un dessin conservé à l’espace enfants, une petite fille se met en scène, entre ses parents, dans un double mouvement, à la fois de lien en reliant ses parents et de séparation en disant non à la violence.

Quelle pédagogie est mise en place à l’espace enfants ?

Tout commence par se mettre à l’écoute de l’enfant, accueillir sa parole ou ses silences, préalable nécessaire pour mieux l’accompagner et faciliter son expression par la suite afin qu’il puisse mettre des mots sur ses maux, sur ses ressentis, sur ses souffrances, et cela à son rythme.

Verbaliser nos émotions et partager nos perceptions, cela permet de prendre du recul dans le vécu et de mieux comprendre notre relation au monde. Cette mise à distance est précieuse lorsque les émotions deviennent trop envahissantes au point d’altérer notre communi- cation avec l’entourage. Franc¸oise Dolto, médecin et psychanalyste, référente reconnue en ce qui concerne la connaissance et la psychologie de l’enfant, définit l’être humain comme un être de langage. Dolto insiste sur la mise en mots des perceptions de l’enfant car, selon elle, la communication avec un autre permet de«se réunifier» et de de se retrouver.

Cela passe par des dialogues en tête-à-tête avec l’éducatrice ou en groupe avec tous les enfants présents, et souvent au travers de jeux, d’activités adaptées à chacun pour qu’ils puissent se détendre et nourrir les besoins liés à leur âge et au moment présent. Les jeux symboliques comme jouer au papa et à la maman, jouer à la dinette, avec les poupées, au docteur permettent aussi d’exprimer des choses difficiles. Certains enfants vont préférer quant à eux s’exprimer au travers d’activités créatrices : dessin, peinture, collage, pâte à modeler.

Jean Epstein2 affirme : «L’enfant existe par le jeu. Il ne joue pas pour apprendre mais apprend parce qu’il joue ; d’une part, à travers le plaisir qu’il éprouve à essayer, d’autre part, à travers son environnement».

La grande majorité des enfants qualifient l’espace enfants de« paradis», d’endroit super pour jouer, pour réaliser des créations, pour parler, pour se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls à vivre les violences conjugales...

Souvent ils réclament – après l’avoir expérimenté – le jeu des cartes des émoticônes pour«faire la météo des émo- tions», c’est-à-dire choisir les cartes qui correspondent à

2Psychosociologue, spécialiste de l’enfance.

leurs émotions du moment avec pour finalité d’en parler ensemble.

Les autres axes d’intervention des éducatrices de l’espace enfants sont :

– d’observer les enfants afin de faire part de ces observations lors des réunions d’équipe ou parfois lors d’entretiens avec les mères – et, dans certaines situations, se questionner afin d’affiner réflexions et analyses pour d’éventuelles mesures de protection de l’enfance si c’est nécessaire ;

– de soutenir la mère dans sa parentalité et dans ses difficultés de communication avec son enfant, à pro- pos des violences ou autre, tout en la valorisant et l’accompagnant afin qu’elle reprenne confiance en elle et dans son rôle de mère. Car en effet, beaucoup de mères arrivent au centre, mise à mal dans leur rôle maternel car elles ont été violentées, humiliées, rabaissées devant leur enfant.

Ce soutien à la parentalité ainsi que la prise en compte des violences subies par les enfants sont des préoccupa- tions constantes dans l’action des travailleuses sociales du centre Flora Tristan. De plus, la loi du 4 août 2014 rela- tive à l’ordonnance de protection3élargit la protection des victimes aux enfants du couple ; cette modification peut jouer un rôle déterminant dans la protection et la prise en compte des enfants exposés aux violences. Elle induit qu’il n’est plus possible de penser que les situations de violences conjugales relèvent exclusivement de l’intimité des adultes et sont sans conséquences sur les enfants. Un bémol cependant : les ordonnances de protection sont peu attribuées dans certains départements en dépit des demandes faites.

Une action spécifique

Le focus particulier posé sur cette problématique à travers une action spécifique «enfants exposés aux vio- lences » va permettre de dégager des constats et de décliner des orientations de travail à plus long terme.

Ce projet spécifique d’accompagnement des enfants

3La loi n2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes modifie les dispositions relatives à l’ordonnance de protection (OP) introduites par la loi n2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. L’OP a été créée pour permettre aux personnes affirmant être victimes de violences au sein du couple, ou de violences exercées par un ancien conjoint, un ancien concu- bin ou un ancien partenaire de pacte civil de solidarité, d’obtenir dans les meilleurs délais des mesures visant à éviter la réitération des violences. Grâce à la loi de 2014, les enfants exposés à des faits de violence et à un danger peuvent bénéficier d’une ordonnance de pro- tection, sans que les dispositions ne prévoient de mesure concernant le conjoint ou ex-conjoint.

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exposés aux violences et de soutien aux liens mère-enfants dans un contexte de violences conjugales, pensé conjoin- tement avec nos collègues de l’Escale, situé à Genevilliers et également membre de la FNSF, a débuté en novembre 2015.

Encadré par la directrice et avec le soutien de la psy- chologue, le projet est conduit par les éducatrices de l’espace enfants et par une travailleuse sociale de l’équipe hébergement. Il consiste en la mise en place de quatre séances d’accompagnement pour les enfants et les mères victimes de violences conjugales. Elles s’adressent surtout à des femmes qui viennent dans le cadre du lieu d’accueil et d’écoute et qui vivent séparées du conjoint violent.

Leurs enfants vivent avec elles, le père a des droits de garde ; il arrive parfois aussi qu’il y ait une garde parta- gée. Comme nous l’avons dit plus haut, souvent, les pères se saisissent de cette autorité parentale partagée, de ces droits de garde, avec la volonté de maintenir une emprise sur leur ex-conjointe par le biais des enfants.

Ces séances ont pour but de soutenir les mères dans leur parentalité, de permettre aux enfants de mieux comprendre la situation qu’ils subissent, de s’en proté- ger, et d’aider mère et enfants à mettre des mots sur cette situation, parfois de s’en déculpabiliser. Elles permettent aussi de revaloriser les compétences des mères, et aussi des enfants, et de les aider à poser un cadre sécurisant dans leur nouveau quotidien. Ces séances s’adressent à une famille à la fois.

La première séance regroupe mère et enfants et pose le cadre de l’accompagnement qui va se réaliser pendant les trois séances suivantes ; la deuxième et la troisième séance se déroulent séparément, les enfants à l’espace enfants et la mère en entretien avec une travailleuse sociale, et enfin, la dernière séance, se déroule à nouveau en présence des enfants.

Les séances sans enfants permettent aux mères d’exprimer leurs ressentis sur la répercussion des violences conjugales sur leurs enfants ainsi que sur leurs capacités parentales suite aux dénigrements de l’agresseur.

Madame X parlera pour la première fois des violences qu’elle a subies devant ces enfants, que le père obligeait à regarder et à l’issue desquelles il interdisait tout récon- fort, tout câlin et tout élan des enfants vers leurs mères.

L’aîné des enfants, âgé de 4 ans, manifeste aujourd’hui beaucoup d’anxiété et se fait malmené à l’école. . .La cor- rélation entre l’anxiété de l’enfant et ce qu’il a vu, entendu, vécu lors des scènes de violences est une évidence ; cet espace de travail permet d’en prendre la mesure et d’envisager des pistes pour aider mère et enfant, notam- ment en s’autorisant à en parler à la direction de l’école de son fils pour que sa fragilité soit prise en compte et que des mesures adaptées soit prises. Il lui permettra aussi pro- gressivement de dire non à sa petite fille, âgée de deux ans et demi, coléreuse et agressive, face à laquelle elle n’osait pas poser de limites.

Pendant ce temps les enfants verbalisent ressentis et émotions auprès des éducatrices de jeunes enfants qui les aident en cela par le biais d’outils divers (émoticônes, dessins, etc.) et par la parole.

Les mères qui ont participé à nos rencontres ont pu exprimer les changements dans leur relation avec les enfants au quotidien. Elles ont notamment entendu que les enfants percevaient les émotions qu’elles n’osaient dire.

Souvent dans un souci de protection, les mères ne veulent pas expliquer ce qui se passe, ce qu’elles ressentent (peurs, angoisses, colère...) et laissent leurs enfants mettre un sens sur des émotions qui ne leur appartiennent pas.

Les mamans ont également pu laisser de la place à leurs enfants pour dire ce qu’ils ressentent, ce qu’ils comprennent. Elles ont entendu et accueilli cette parole, avec pour la plupart d’entre elles, un grand étonnement quant à la compréhension que leurs enfants avaient de la situation. Elles ont entendu la nécessité de mettre des mots sur les émotions ressenties au quotidien. Elles ont été réceptives et se sont saisies des outils de communication non violente que nous leur avons proposés (papier des émotions, les deux maisons...).

Les mères ont pu trouver une écoute pour dire leurs peurs à poser des limites aux enfants dans un nouveau contexte familial. Ses femmes ont été disqualifiées dans leur rôle de mères par le père des enfants. Elles ont compris la notion dunonbienveillant qui apporte des repères sécu- risants à leurs enfants, elles ont peu à peu repris confiance en leurs capacités maternelles. De cette manière, elles ont pu s’autoriser à réfléchir à une définition du rôle maternel et commencer à reconstruire leurs compétences«paren- tales».

Les femmes et les enfants ont également pu identifier par la réalisation du«cercle de soutien »les personnes ou acteurs sociaux et éducatifs les soutenant dans leur situation. Ceci leur a permis de visualiser les étayages pos- sibles et de les activer si besoin. Notamment de voir qu’il existe des lieux dans lesquels un travail thérapeutique peut être engagé avec leurs enfants tels que les CMP (malheu- reusement souvent saturés) ou des cabinets de praticiens privés.

Conclusion

Notre travail d’accompagnement des enfants victimes de violences conjugales au sein du centre Flora Tristan se développe et s’intensifie sur les questions de parentalité mais aussi de prise en charge directe des problématiques des enfants exposés et/ou victimes eux-mêmes de vio- lences conjugales. Cette prise en charge sous différentes formes d’accompagnement (en individuel, en fratrie, en collectif) est indispensable. Elle constitue une condition essentielle pour améliorer la santé globale des enfants,

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y compris leur scolarité, les relations avec les tiers, les relations amoureuses et pour prévenir les violences qu’ils risquent d’intégrer comme une norme dans les rapports à l’autre.

Parallèlement, les études existantes et la réflexion glo- bale menée aujourd’hui, par exemple à travers le prisme du vocable à employer (enfants témoins, enfants expo- sés, enfants victimes), montre bien que l’attention de l’ensemble des corps de métier susceptibles de travailler sur ce sujet évolue, amenant à considérer l’impact des vio- lences sur les enfants comme un sujet d’importance pour notre société.

Le premier plan triennal 2017-2019 de lutte et de mobilisation contre les violences faites aux enfants se fixe comme objectif, entre autres, de mieux repérer les enfants victimes de violences au sein du couple. Le groupe d’expert.e.s réuni.e.s au sein d’un groupe de tra- vail par le centre Hubertine Auclert a quant à lui décliner de nombreuses préconisations pour «mieux protéger et accompagner les enfants co-victimes de violences conju- gales»[2]4.

En ce qui nous concerne, ce travail spécifique auprès des enfants ne peut se faire qu’en partenariat avec les ser- vices de l’Aide Sociale à l’Enfance, avec les services de justice des mineurs, avec les Brigades de Protection de la famille de la police, avec les PMI, avec l’Éducation natio- nale, etc. Les situations très complexes que nous avons eues à accompagner récemment mettent en évidence que ces partenariats sont fluidifiés lorsque les profession- nel.le.s de ces différents services ont été sensibilisés ou formés à la problématiques des violences conjugales et à leurs effets sur les enfants. La coopération entre les institu- tions se trouvent renforcer au bénéfice de l’enfant victime et de sa mère.

Nous sommes optimistes quant au fait que la conju- gaison des intentions politiques, des travaux scientifiques, des connaissances et pratiques professionnelles adaptées permettront progressivement une prise en charge de plus en plus efficace et appropriée des violences conjugales, pour les femmes et enfants qui en sont victimes.

4Pour la FNSF, les directrices du relais de Sénart (77) et le centre Flora Tristan (92) ont participé à ce groupe.

Points à retenir

Les violences conjugales, dont les femmes sont très majoritairement les victimes, sont un fléau social majeur qui touche toutes les couches de la société.

Les enfants en sont témoins ou y sont exposés, ils en sont des victimes directes ou indirectes.

Les centres, tels que le centre Flora Tristan, qui accueillent et hébergent des femmes victimes de violences conjugales accompagnées de leurs enfants, mettent en place des actions pour soutenir les mères dans leur parentalité mise à mal par les violences et pour offrir à leurs enfants des espaces d’expression et de jeu qui les aident à mieux comprendre les situations qu’ils vivent.

Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

Références

1.Secrétariat d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes. http://stop-violences-femmes.gouv.fr/les-chiffres-de- reference.

2.Rapport«Mieux protéger et accompagner les enfants co- victimes des violences conjugales»: les préconisations du groupe de travail réuni par l’Observatoire Régional des Violences Faites aux Femmes du Centre Hubertine Auclert - Mars 2017.

3.Henrion R. Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé. Paris : La Documentation Franc¸aise, 2001, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports- publics/014000292/index.shtml.

4.Ronai E. Préface. In : Durand E,Violences conjugales et parentalité - Protéger la mère, c’est protéger l’enfant. Paris : L’Harmattan, 2013 : 11.

5.Vasselier-Novelli C, Heim C. Les enfants victimes de violences conjugales. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux2006 ; 36(1) : 185-207.

Références

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