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L Vingt-cinqansdepratiquepsycho-oncologiqueàNewYork:unerétrospective

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Vingt-cinq ans de pratique psycho-oncologique à New York : une rétrospective

Twenty-five years of psycho-oncology in New York: a retrospective

Sylvie DOLBEAULT1

Jimmie C. HOLLAND2

1Institut Curie, 26, rue d’Ulm, 75005 Paris

<sylvie.dolbeault@curie.net>

2Memorial Sloan Kettering Cancer Center, Département de Psychiatrie et de Sciences Comportementales, New York, USA

Article reçu le 17 août 2007, accepté le 15 janvier 2008

Résumé. Cet article se propose de montrer, sous la forme d’une rétrospective, comment la psycho-oncologie, pionnière aux Etats-Unis, a pu prendre place au Memorial Sloan Kettering Cancer Center et se développer au fil des ans, offrant une diversité de services aux patients et à leurs proches et permettant aux équipes d’améliorer les modalités de leur prise en charge. Il justifie la manière pragmatique chère aux pays anglo-saxons, mais aussi souple et adaptée à la réalité médicale des patients. Il souligne l’importance d’impliquer tous les soignants dans la prise en charge psycho-oncologique, en tout cas en première intention. Le développement concomitant de la recherche clinique, présenté comme l’indispensable pendant de la clinique de terrain, a permis de mettre en évidence la prévalence des troubles psychopathologiques en oncologie, la nécessité de les repérer précocement et de mettre en place diverses interventions thérapeutiques dont l’évaluation permanente vise à estimer l’efficacité. La place de la psycho-oncologie comme l’un des piliers du soin de support n’est plus en cause, elle doit désormais poursuivre son développe- ment aux côtés des autres spécialités qui ont pour objectif l’amélioration de la qualité de vie du patient et de ses proches, pendant la maladie tout autant que dans l’après-traitement.▲

Mots clés:psycho-oncologie, qualité de vie, soins de support, recherche clinique, formation

Abstract.This article offers a retrospective overview of 25 years of implementation of psycho-oncology at the Memorial Sloan Kettering Memorial Cancer Center. It shows the ways and means used to obtain a progressive development of this sub-specialty for the purpose of improving patients’ quality of life and helping professional teams wishing to offer integrated care to patients and families. It justifies the pragmatic approach adopted in the English- speaking world, which is also flexible and suited to the somatic realities of cancer. The role of all the various professionals care is highlighted, as is the parallel development of clinical research hand in hand with clinical practice in the field. This has enabled the determination of the prevalence psycho-pathologies in the field of cancer, and demonstrated the need for early screening, and the instatement and evaluation of various specific interventions. Today, psycho-oncology is considered as a natural component of supportive care, but it should continue to develop alongside other specialities in order to help patients and families to cope with cancer better, both during and after treatment.

Key words:psycho-oncology, quality of life, supportive care, missions, clinical research, training

L

e service de psychiatrie et de sciences comportemen- tales du professeur Jimmie C. Holland, à l’hôpital du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (le Memorial Hospital représentant le secteur clinique tandis que le Sloan Kettering Center réunit tous les laboratoires de recherche) a fêté ses 25 ans. Plus de deux décennies se sont écoulées

depuis sa création, qui ont été l’occasion de la mise en place et de l’extraordinaire développement d’une nouvelle spécia- lité médicale : la psycho-oncologie [1].

Historique

L’hôpital du Memorial est doté d’un service de psychiatrie depuis les années 1950, mais ce n’est qu’avec l’arrivée de Jimmie C. Holland que la psycho-oncologie a vraiment fait Tirés à part : S. Dolbeault

doi:10.1684/bdc.2008.0618

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ses premiers pas à New York. Aujourd’hui, le service compte plus de 70 membres permanents et a tissé des liens privilégiés avec de nombreux intervenants au sein de l’hôpital (unité de soins palliatifs, équipes chargées du traitement de la douleur, secteurs de soins infirmiers, département social, spirituel, équipe de volontaires...), pour tenter d’améliorer de jour en jour la prise en charge globale du patient atteint de cancer.

Le développement progressif du département semble avoir bénéficié de l’évolution des mentalités aux Etats-Unis : mé- diatisation et facilitation de l’accès au savoir médical, perte du statut d’omnipotence de certains professionnels, émer- gence de mouvements associatifs puissants défendant les droits des patients, généralisation des procédures légales de consentement informé avant tout acte médical, recours à des procédures judiciaires en cas de désaccord médecin-malade, etc. L’importante modification des soubassements de la rela- tion médecin-malade a également facilité l’intégration pro- gressive des concepts psycho-oncologiques au paysage mé- dical [2, 3].

Arrivée en 1977 comme première représentante de la psy- chiatrie, J.C. Holland a d’emblée opté pour une politique d’intégration et d’immersion dans le monde médical. Plutôt que d’envisager l’implantation d’un service de psychiatrie individualisé dans ce lieu de soins somatique, elle a souhaité que ce nouveau département devienne une spécialité médi- cale à part entière, émanant du champ de la médecine oncologique [4]. Cette position était sous-tendue par deux idées maîtresses : d’une part, elle permettrait probablement de trouver plus facilement le financement nécessaire à cette création et à son développement , d’autre part et surtout, elle serait probablement plus « acceptable » aux yeux des méde- cins oncologues du Memorial Hospital. Pendant des siècles en effet, la maladie cancéreuse a été rattachée, au même titre que la tuberculose, la syphilis ou la lèpre, au cortège de ces maladies fortement stigmatisantes, chargées de culpabilité et de honte, à l’origine de marginalisation, voire d’exclusion sociale [3, 4]. Si l’on se rappelle comment, a fortiori, le groupe des maladies mentales a été−et est encore−consi- déré, l’idée d’une spécialité regroupant ces deux domaines représentait nécessairement une forte prise de risque.

Pour illustration, rappelons que, depuis des années, l’hôpital est nommé Memorial Hospital of Cancer and Allied Diseases, cette appellation permettant au public de ne pas se focaliser seulement sur la maladie cancéreuse... et malgré l’implanta- tion récente au Memorial d’un secteur d’activité liée au virus VIH qui, comme le cancer, est considéré comme une maladie chronique, engageant le pronostic vital, chargée elle aussi du risque potentiel de voir se développer des complications psychiatriques, il faut être réellement bien informé pour réaliser que l’hôpital prend aussi en charge cette autre mala- die stigmatisante.

Toute la mise en place de la discipline psycho-oncologique au Memorial Hospital a été guidée par la volonté ferme de réduire le fossé pouvant séparer certaines spécialités entre elles et d’améliorer ainsi l’approche intégrée du malade cancéreux [5-7]. Pour autant, la psycho-oncologie fait partie intégrante de la discipline psychiatrique et se rattache natu- rellement au champ de la psychiatrie de consultation-liaison, développée dans de nombreux pays à l’occasion de la prise en charge par des professionnels de la santé mentale de patients atteints de maladies somatiques sévères. Cette sous- spécialité de la psychiatrie dépend, aux Etats-Unis, de l’Aca- démie de médecine psychosomatique (American Psycho-

somatic Society), qui parraine tous les lieux de soins psychiatriques ayant en commun la prise en charge de pa- tients atteints de maladies chroniques et grevant le pronostic vital, dont la psycho-oncologie.

Un certain nombre d’études visent à étudier les liens entre facteurs psychologiques et survenue ou évolution pronosti- que du cancer : leurs conclusions très souvent divergentes aujourd’hui doivent inciter cliniciens et chercheurs à la plus grande prudence [8, 9]. Le domaine de la neuro-psycho- immunologie est un vaste chantier à l’étude actuellement, dont la complexité laisse augurer du temps qui sera néces- saire à l’approfondissement des connaissances en la matière [10]. Dans cette attente, il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur les études disponibles pour lutter contre un certain nom- bre d’idées reçues et de mythes ou croyances irrationnelles, selon lesquels le stress génère le cancer ou le patient est

« responsable » de sa survenue, idées largement répandues auprès des malades atteints de cancer et de leurs familles, mais parfois aussi dans le milieu médical et paramédical.

Nombre de ces représentations de la maladie cancéreuse ont pour effet d’en alourdir encore les répercussions psychologi- ques et les conséquences personnelles, professionnelles et sociales. Les psycho-oncologues, qui par essence sont mem- bres de la communauté médicale scientifique, ont pour mis- sion de diffuser les informations disponibles et valides, au même titre que les autres intervenants du corps soignant.

Dès son arrivée au Memorial, l’équipe de psycho-oncologie de J.-C. Holland a fixé pour son département trois objectifs prioritaires [5, 7] :

– se mettre au service des patients pour les aider à mieux affronter leur maladie et à s’adapter aux multiples conséquen- ces de celle-ci ;

– développer des études de recherche clinique ayant deux buts principaux : identifier la prévalence des troubles psy- chiatriques susceptibles de toucher les malades atteints de cancer, dans les différentes phases de leur maladie (cela en se référant à la classification nosographique proposée par le DSM, manuel diagnostique et statistique des maladies men- tales) [11], mettre en place des essais thérapeutiques permet- tant d’identifier les traitements spécifiques les plus adaptés aux troubles psychiatriques, dans ce contexte ;

– devenir un département pilote, où des professionnels de divers horizons peuvent venir se former, afin de diffuser à leur tour le savoir-faire psycho-oncologique.

Aujourd’hui, le département de psychiatrie représente le plus grand centre mondial de psycho-oncologie, tant par son activité clinique annuelle que par sa capacité en matière de formation et de recherche. Il représente pour de nombreux pays un modèle expérimental dont se sont inspirées peu à peu de nombreuses autres équipes de par le monde, et notam- ment en France [12, 13]. Dénommée psycho-oncologie en Amérique du Nord, la discipline s’est plus volontiers déve- loppée en Europe sous la dénomination d’oncologie psycho- sociale.

Historiquement, une nuance culturelle est peut-être à appor- ter quant aux modalités de mise en place de la spécialité.

Dans certains pays européens, l’Angleterre par exemple, où la psycho-oncologie est née dans des lieux d’exercice psy- chiatrique avant tout, l’intérêt des cliniciens s’est d’emblée focalisé sur la recherche étiologique d’interactions potentiel- les entre facteurs psychologiques (troubles de la personnalité notamment) et survenue ou évolution de la maladie cancé- reuse. En prenant naissance dans des hôpitaux destinés aux

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malades cancéreux, les Etats-Unis ont adopté d’emblée une ligne de conduite plus pragmatique, focalisant leurs observa- tions sur les réactions psychologiques des personnes confron- tées à la maladie cancéreuse (patients, familles, équipes médicales) et étudiant les mécanismes d’adaptation de ces sujets aux différentes phases évolutives de la maladie.

Aujourd’hui, la psycho-oncologie rassemble des équipes de divers horizons autour de modalités de fonctionnement simi- laires (du moins dans ses principes) et sur des sujets d’intérêt commun en matière de recherche.

Modalités de fonctionnement de l’équipe

Fonctionnement interne

Pour pouvoir répondre aux différents besoins énoncés, le département de psycho-oncologie doit disposer de plu- sieurs compétences : le noyau de l’équipe est constitué de psychiatres, psychologues et infirmières (psychiatriques ou non). Au Memorial Hospital, la collaboration entre psychia- tres et psychologues est une réalité solide. Dès le début, les psychologues semblent avoir apporté aux psychiatres leurs compétences en matière de recherche clinique, tandis que ces derniers faisaient partager leur philosophie de la psychia- trie de consultation-liaison. Quant aux infirmières formées à la psychiatrie oncologique, elles représentent souvent un excellent moyen d’établir des liens naturels entre le patient, l’équipe médicale référente et l’équipe psycho-oncologique [14]. L’un des membres de l’équipe est plus spécifiquement chargé des questions d’éthique qui ne manquent pas d’être soulevées dans la pratique clinique quotidienne.

En parallèle, ce noyau dur développe des relations privilé- giées avec les autres personnes intervenant dans la sphère psychosociale. Au Memorial, une place fondamentale est attribuée aux travailleurs sociaux qui, certes, sont chargés de résoudre les difficultés matérielles des patients, mais qui coordonnent en parallèle un grand nombre de consultations de soutien individuel et la plupart des activités de groupe, qu’il s’agisse de groupes d’information, d’éducation ou de parole, et aux représentants de la sphère spirituelle.

La convergence de savoirs et de points de vue différents au départ, la mise en commun d’expériences cliniques et la réalisation commune de travaux de recherche permettent d’obtenir un modèle d’équipe opérant dans sa représentation pluridisciplinaire. D’autres équipes fonctionnant sur un prin- cipe similaire existent en Angleterre, en Allemagne, en Bel- gique ou en Scandinavie.

Pour qu’une équipe de psycho-oncologie puisse fonctionner de manière efficace et adaptée à ses ambitions, il semble fondamental que chacun de ses membres se reconnaisse dans le choix d’une pratique située à la frontière du médical et du psychologique, porte un réel intérêt à la dimension médicale dans laquelle le patient se situe, apprécie la collaboration avec les équipes, même lorsque les soins requis sont d’un très haut niveau de technicité et de complexité, et soit capable d’apprécier la richesse de cette confrontation permanente avec des partenaires issus de tous les autres horizons [14, 15].

Il s’agit d’une pratique demandant curiosité et ouverture d’esprit, mais aussi un certain degré d’humilité pour accepter certaines situations où le psycho-oncologue aura nécessaire- ment le mauvais rôle.

Contacts avec les intervenants externes

Au sein du Memorial Hospital, l’intégration de l’équipe de psycho-oncologie s’est faite très lentement, et cela à partir de certains principes clés : l’équipe a commencé par proposer ses services dans un département donné, essayant de répon- dre avec la plus grande disponibilité possible aux demandes d’aide psychologique, sachant ainsi faire reconnaître le type de services qu’elle était susceptible de rendre. Se mettant à la disposition des patients et de leurs familles, mais aussi du personnel soignant en difficulté, elle a permis l’émergence progressive des difficultés psychologiques existantes et intro- duit des techniques de résolution de cas.

Faisant le choix de participer à tous les moments forts de la vie du service, elle a fait preuve de sa volonté d’intégration dans l’univers médical. En se laissant « apprivoiser », elle a permis l’abandon, par un certain nombre de partenaires de soins, de préjugés et de craintes concernant la sphère des soins psy- chologiques et psychiatriques ainsi que de la suspicion qui les accompagne parfois. Il semblait en effet fondamental de rassurer les équipes médicales sur les pratiques de l’équipe psycho-oncologique, de lui montrer que celles-ci reposent avant tout sur un modèle médical ou médicopsychologique et peuvent être d’une grande utilité dans de nombreuses situations cliniques.

Sur ce point, soulignons à nouveau l’importance potentielle du rôle de l’infirmière−ce d’autant plus qu’elle est elle-même issue d’une des équipes de soins − formée à la pratique psycho-oncologique, susceptible de démontrer son savoir- faire à ses collègues [5]. Cela permet une formation sur le terrain de toute l’équipe, dont on est susceptible d’attendre un effet boule-de-neige fructueux.

Ainsi, l’équipe psycho-oncologique a tissé peu à peu des relations privilégiées avec des partenaires de soins qui ont appris à lui faire confiance. Progressivement, elle a étendu son rayon d’action à d’autres départements cliniques, ayant démontré aux autorités administratives que des moyens hu- mains complémentaires étaient nécessaires...

Au service des malades

Le département de psychiatrie et de sciences comportemen- tales s’est fixé comme tâche d’offrir aux patients un certain nombre de services cliniques permettant de répondre à leurs besoins psychologiques [16]. L’objectif est que soit ici représentée toute la gamme d’outils thérapeutiques nécessai- res à la prise en charge des différentes situations cliniques rencontrées.

L’une ou l’autre des ces orientations thérapeutiques est pro- posée au patient et s’associe de manière variable avec d’autres modalités de support, social, spirituel, etc. On peut ainsi identifier quatre approches thérapeutiques principales [6, 7].

L’approche psychothérapique

Celle-ci est le plus souvent orientée sur le court terme et la résolution des situations de crise. En l’espace de 4 à 6 consul- tations en moyenne, souvent réitérées de manière rapprochée dans la période aiguë, le psychiatre ou le psychologue aide le patient à dépasser la crise : difficulté d’acceptation d’un dia- gnostic ou d’une mauvaise nouvelle, refus d’observance, anxiété situationnelle, situation de deuil. L’objectif prioritaire est ici d’aider le patient à trouver des ressources personnelles

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pour affronter la situation par lui-même. Dès que possible et de manière progressive, le rythme des consultations est es- pacé, le patient gardant toujours la possibilité de revenir en consultation, selon ses besoins.

Parfois, il est nécessaire d’envisager une prise en charge psychothérapeutique au long cours, et notamment dans les situations de deuil qui peuvent nécessiter un travail plus soutenu et prolongé.

L’approche psychopharmacologique

L’équipe psycho-oncologique y a souvent recours, étant donné la forte prévalence de trois grands syndromes psycho- pathologiques pouvant nécessiter un traitement médicamen- teux : troubles anxieux, troubles dépressifs (considérés ou non comme troubles de l’adaptation), syndromes confusion- nels. Plus rarement, le psycho-oncologue est confronté à des troubles psychotiques, des troubles addictifs, des troubles de la personnalité, des troubles du comportement, etc. requérant également souvent une aide pharmacologique.

Au Memorial Hospital, l’abord pharmacologique est réalisé tant par les psychiatres, qui prescrivent les traitements psy- chotropes qu’ils jugent nécessaires, que par les psycholo- gues, qui bénéficient d’une formation approfondie dans le champ pharmacothérapeutique et proposent à l’équipe de soins des recommandations en matière de traitements médi- camenteux.

L’approche cognitivo-comportementale

Elle a dans ce domaine des applications variées mettant au service des malades les diverses techniques de cette disci- pline, en proposant des méthodes de relaxation et de désen- sibilisation aux patients atteints de troubles spécifiques (pho- bies isolées, anxiété généralisée, anxiété anticipatoire avant traitement chimiothérapique, douleur ou autre symptôme invalidant), ou encore en aidant le patient à reconnaître les schémas cognitifs souvent perturbés concernant la maladie, son pronostic, son impact psychosocial, et à introduire des modalités plus « opérantes » de fonctionnement mental.

Un programme très complet est proposé ici à tous les patients fumeurs, qui interrompent leur consommation tabagique de manière assez impérative dès lors qu’ils sont hospitalisés. Ce programme s’appuie sur des techniques cognitivo- comportementales et peut être prolongé par une prise en charge de plus long terme, visant à maintenir l’abstinence et à prévenir la rechute. Il est à déplorer qu’aucune approche similaire n’ait pu jusqu’à présent être mise en place pour les patients alcoolodépendants ou souffrant d’autres troubles comportementaux les mettant à risque face à la survenue de certains cancers.

D’une manière plus générale, l’approche pragmatique des thérapies cognitivo-comportementales est assez en vogue au Memorial Hospital : tout traitement susceptible de soulager un symptôme en redonnant au patient une forme de maîtrise de la situation et une possibilité de participation personnelle active aux soins, est jugé extrêmement positif et adapté au malade atteint de cancer, dont l’une des problématiques a souvent trait à la perte du contrôle et de l’autonomie.

L’approche familiale

Pratiquée de manière informelle au quotidien par les psycho- oncologues de l’hôpital, car le patient n’est jamais appré-

hendé en dehors de son contexte environnemental, elle peut aussi devenir le cœur de l’action thérapeutique proposée à certains malades pour lesquels la survenue de la maladie cancéreuse a bouleversé les équilibres familiaux antérieurs.

Si les situations aiguës de dysfonctionnement familial liées au cancer peuvent être gérées sur place, les prises en charge systémiques plus approfondies ou celles qui dépassent le cadre de la maladie somatique, nécessiteront souvent de mettre la famille en relation avec un thérapeute spécialisé à l’extérieur de l’hôpital.

Bien entendu, ces diverses approches ne sont pas exclusives et peuvent être utilisées, séparément ou en association, en fonction de la problématique de chaque patient.

Ainsi, la plupart des modes de soutien psycho-oncologique se planifient dans le court et le moyen terme. Il semble cepen- dant fondamental que le psycho-oncologue puisse garder la possibilité de suivre un petit nombre de patients dans un cadre psychothérapique plus traditionnel, alternance de pra- tiques qui lui permet d’équilibrer harmonieusement son acti- vité clinique. Le travail de long terme doit avoir trait à la survenue ou à l’évolution de la maladie cancéreuse. Il est à réserver au patient ambulatoire sorti de la phase hospitalière, période aiguë où la pathologie somatique est souvent si lourde qu’elle envahit tout l’espace psychique et qu’il semble alors plus adapté de se polariser sur une modalité de soutien...

De nombreux mouvements alternatifs se sont développés aux Etats-Unis durant les vingt dernières années et nombreux sont les patients qui vont y chercher ce qu’ils n’ont apparemment pas trouvé dans le système médical traditionnel proposé ici.

Un mouvement national de représentation des traitements alternatifs complémentaires a vu le jour aux Etats-Unis, qui tente actuellement d’intégrer cette approche aux programmes d’enseignement des universités de médecine de certains états du pays.

Après des années de méfiance réciproque, des médecins ont reconnu l’intérêt pour le patient de certains de ces mouve- ments et le Memorial a évolué au fil du temps [17]. Recon- naissant l’importance de l’approche du patient dans toutes ses dimensions, physique, psychologique, sociale et spiri- tuelle, le département de psychiatrie a décidé de mettre en place au Memorial un service de médecine intégrative, super- visé par un membre du département et regroupant un certain nombre de services se référant au concept d’approche globale : art-thérapie, musicothérapie, relaxation, médita- tion, prise en charge nutritionnelle, programmes d’activité physique, support spirituel, etc. Tous ces aspects sous-tendent des possibilités d’amélioration de la prise en charge globale du patient cancéreux, à condition, bien sûr, qu’ils n’empê- chent pas la poursuite des traitements médicaux et chirurgi- caux requis.

Le département de psychiatrie et sciences comportementales assure la prise en charge psychologique et psychiatrique des patients hospitalisés (450 lits), suivis dans les cliniques ambu- latoires et au centre de consultation psycho-oncologique. En lien avec le service social ont été développées des équipes de prise en charge psychosociale, comportant pour chaque site tumoral un psychologue, un psychiatre et deux assistantes sociales qui se rencontrent de façon hebdomadaire au sujet des patients hospitalisés et ambulatoires. Par ailleurs, une collaboration étroite s’établit entre ce département, le service social et le service de médecine intégrative, sous-tendue par des réunions cliniques régulières où les cas complexes sont

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évoqués et où sont envisagées les modalités de la prise en charge multidisciplinaire.

Il est cependant probable que le mouvement qui s’opère actuellement aux Etats-Unis ne soit pas aisément transposa- ble à d’autres pays ou à d’autres cultures, et la méfiance qui règne dans de nombreux lieux de soins, notamment en Europe, à l’égard de certains mouvements alternatifs est sou- vent de mise.

Un lieu de formation et de recherche

Il s’agit de deux missions complémentaires de l’activité clini- que, auxquelles on doit attacher la plus grande importance.

La formation a plusieurs cibles [14, 15]. Depuis les années 1980, le département de psychiatrie a accueilli plus de 1 500 personnes de professions et de pays d’origine extrême- ment divers. Ceux-ci reçoivent ici une formation intensive (de quelques jours à 1, voire 2 ans) avant de repartir dans leurs pays respectifs pour y mettre en place à leur tour des unités de psycho-oncologie ou de soins palliatifs ou pour y apporter la pratique de l’approche globale du malade atteint de cancer.

Ils participent aux consultations effectuées dans l’hôpital par les permanents du service de psychiatrie et bénéficient de leur expérience. Parallèlement, ils ont accès à de multiples enseignements théoriques, conférences de cas cliniques, ate- liers de réflexion, qui ont la particularité appréciable d’être toujours ouverts à tous. Certains bénéficient plus spécifique- ment d’une formation à la recherche clinique.

La formation concerne également les équipes soignantes du Memorial Hospital. A partir des cas cliniques concrets qui se posent aux équipes, les soignants bénéficient d’une formation sur le terrain et d’une sensibilisation progressive à la dimen- sion psychologique du soin au patient atteint de cancer. Des enseignements ciblés leur sont également dispensés et ils sont bienvenus à toutes les formations proposées par ailleurs au sein de l’hôpital.

Sur un dernier versant, mais non des moins originaux et appréciables, la formation s’adresse aux patients et à leurs familles. Le département de psychiatrie a en effet largement participé à la mise en place et à l’extension du département d’éducation thérapeutique à l’intention des patients. Celui-ci a développé toute une série de supports écrits concernant les différents aspects de la maladie cancéreuse et de ses traite- ments, qui peuvent être délivrés systématiquement dans cer- tains services ou encore mis à la disposition du public, patients et proches. En parallèle, des conférences sont orga- nisées tous les ans à leur intention. Ces réunions sont l’occa- sion pour le malade et sa famille de recevoir une information médicale de source sûre. Pour le médecin, elles représentent une occasion exceptionnelle de sortir du mode relationnel habituel avec les patients et de se mettre à l’écoute de leurs questionnements dans un dialogue interactif et souvent animé. Elles permettent enfin aux soignants de réaliser le très haut niveau d’éducation et d’information de certains patients à l’égard de leur pathologie, venant confirmer leur qualité d’experts.

Enfin, le Memorial est un centre majeur de recherche clinique en psycho-oncologie [17, 18]. La recherche est structurée autour de cinq axes principaux : contrôle des symptômes (sommeil, fatigue, anxiété, dépression, deuil), communica- tion et relation patient-soignant, aspects neurocognitifs, sciences comportementales (alcool, tabac, hygiène de vie), évaluation des programmes avec l’extra-hospitalier. Deux

autres laboratoires travaillent sur les thèmes de l’oncopédia- trie et de l’oncogériatrie, en lien avec les référents respectifs de ces deux disciplines. Tous les essais cliniques en cours comportent un axe d’évaluation avec recours aux outils d’évaluation jugés les plus pertinents selon l’objectif recher- ché (qualité de vie, anxiété, dépression, détresse).

Les premières études réalisées ici se sont intéressées au patient pendant la période active de traitement. En effet, il s’agissait prioritairement de faire un état des lieux des divers troubles psychologiques et psychiatriques rencontrés chez les patients, de définir leur prévalence, leurs caractéristiques et leur intensité, leur risque relatif de survenue aux différentes étapes de la maladie.

Outre la volonté d’obtenir des informations précises sur les patients, ces études ont également été l’occasion de démon- trer aux oncologues l’existence fréquente de troubles psy- chiatriques chez les patients atteints de cancer [16] et de rappeler la nécessité d’y répondre par des moyens thérapeu- tiques adaptés [19]. Avec l’extension progressive du nombre de cliniciens travaillant en psycho-oncologie, de multiples études ont permis d’accroître et d’affiner les connaissances psycho-oncologiques en relation avec la phase active du traitement, site par site et en fonction des diverses modalités de traitement. Les plus grandes études multicentriques por- tant sur l’évaluation des interventions psychothérapeutiques montrent une réduction significative de l’anxiété, de la dé- pression ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie [20, 21]. Pour ce qui concerne l’impact potentiel des interventions psychothérapeutiques sur la survie, la réplication par Spiegel de son étude de 1989 s’avère négative [22] et l’on peut considérer que cette question est résolue.

Les prochaines avancées à faire dans le domaine de la recher- che clinique en psycho-oncologie concerneront probable- ment les deux extrémités de la chaîne des soins :

– en amont, tous les aspects psychologiques et psychiatriques liés à la prévention ou à la détection précoce. Citons en particulier le champ des interventions psychologiques visant la modification d’un certain nombre de comportements à risque pour certaines pathologies tumorales (alcool, tabac, nutrition...) et, pour illustration, les travaux d’excellente qua- lité méthodologique portant sur les effets de la personnalité, de la dépression et du deuil, étudiés par Johansenet al. [23, 24] à partir des registres de population danois qui font émer- ger la responsabilité d’une surincidence de cancer par le biais de facteurs comportementaux tels que le tabac. Une autre dimension en plein essor actuellement concerne la mise en place de moyens de surveillance clinique, biologique ou encore le développement de consultations d’oncogénétique, qui s’adressent à des sujets sains mais à risque, et dont l’impact psychologique potentiel reste largement à défricher ; – en aval, les aspects psychologiques et psychiatriques de la médecine palliative et des problématiques de la fin de vie.

Outre les deux extrémités de la chaîne, on ne peut perdre de vue la notion decontinuumentre la première annonce dia- gnostique et la fin de vie d’un sujet atteint de cancer, et de multiples questions restent ouvertes, qui concernent la qua- lité de vie des survivants, dont le nombre ne cesse d’augmen- ter avec l’amélioration de la quantité de vie [17, 18].

Nombre de voies de recherche seront à explorer dans le futur pour tenter de mieux connaître l’impact à long terme du cancer et de ses traitements (problèmes d’infertilité, troubles cognitifs secondaires aux traitements, prévalence du syn- drome de stress post-traumatique, etc.).

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Conclusion

La mise en perspective de vingt-cinq années d’existence du département de psycho-oncologie du Memorial Hospital per- met de réaliser l’ampleur considérable qu’a prise l’une des dernières nées des spécialités oncologiques, la psycho- oncologie. Grâce à des efforts majeurs de souplesse et de disponibilité clinique et en apportant un savoir-faire que ses membres ont su adapter à l’oncologie, cette équipe a bénéfi- cié d’une intégration lente, mais solide, au cœur de l’hôpital.

Nombreux sont les patients et familles qui ont pu bénéficier de soins psychologiques et psychiatriques appropriés, et plus généralement de l’intégration du concept d’approche glo- bale, complément indispensable à la pratique de la médecine occidentale.

La promotion de programmes de formation ouverte sur le monde et le développement du champ de la recherche clini- que psycho-oncologique, qui fait écho aux problèmes clini- ques qui se posent aux soignants, ont été récompensés par la reconnaissance, aujourd’hui, d’un statut tout à fait particulier, de « laboratoire psycho-oncologique pour le monde ».

Celui-ci représente un exemple fructueux pour tous ; il est aussi un lieu d’où partent tous les jours de nouvelles interro- gations, dont les réponses permettront d’améliorer les soins dispensés au malade atteint de cancer.

Cet article est en partie issu d’une série d’interviews réalisées auprès du professeur J.C. Holland ainsi que de nombreux autres professionnels des soins de support, à l’occasion d’un séjour au Memorial Hospital. Les personnes intéressées par un séjour clinique ou de formation à la recherche clinique dans le service de psychiatrie et de sciences comportemen- tales au Memorial Hospital, aujourd’hui sous la responsabi- lité du professeur David W. Kissane, trouveront des informa- tions sur le site : www.mskcc.org/mskcc/html/77982.cfm ou peuvent adresser un courrier à l’adresse suivante : Network Project, Box 421 Memorial Sloan Kettering Cancer Center, 1275 York Avenue NY 10021 New York, Etats-Unis.

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ÉFÉRENCES

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Références

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