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Terrorisme, crimes contre l humanité et Cour pénale internationale

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Terrorisme,

crimes contre l’humanité et Cour pénale internationale

Philippe KIRSCH

Président de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale Ambassadeur du Canada en Suède

Les événements du 11 septembre 2001, qui ont entraîné la mort de milliers de civils à New York et à Washington et celle de tous les passagers qui se trouvaient à bord de quatre avions de ligne détournés par un groupe organisé de terroristes, ont mis tragiquement en évidence l’insuffisance des mécanismes internationaux disponibles pour faire face au fléau du terrorisme en général. Dans ce contexte, et plus précisément sur le plan juridique, on s’est penché sur les traités internationaux directement applicables aux différentes manifestations du terrorisme, mais aussi sur d’autres instruments et d’autres concepts, auxquels il serait possible d’avoir recours pour le combattre. On a ainsi relevé que le Statut de la Cour pénale internationale ne comprenait pas le terrorisme parmi les crimes qui relèvent de sa compétence, mais que ce crime pourrait par ailleurs être considéré comme un crime contre l’humanité, et faire dès lors l’objet de sanctions internationales pour ce motif, outre celles déjà disponibles sous d’autres chefs. L’objet de la présente note est d’aborder brièvement la question du terrorisme en regard du Statut de la Cour pénale internationale et des crimes contre l’humanité, aux fins de réflexion future.

La possibilité d’inclure le crime de terrorisme dans le champ de compétence d’une Cour pénale internationale n’est pas nouvelle.

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Déjà envisagée par la Société des Nations1, l’idée a été reprise par la Commission du droit international (CDI) en 1994, dans son projet de Statut de Cour pénale internationale qui serait utilisée lors des réunions préparatoires à la Conférence de Rome de 19982. En plus d’un « noyau dur » de crimes principaux, qui devaient être incorporés plus tard dans le Statut de la Cour pénale internationale en tant que « crimes les plus graves ayant une portée internationale »3, la CDI proposait que d’autres crimes relèvent de la compétence de la Cour, crimes repris d’un certain nombre de traités dont la liste figurait en annexe. Les traités en question portaient sur différents types de crimes : certains rentraient en fait dans les catégories de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ; d’autres relevaient du terrorisme et du trafic de stupéfiants.

Des discussions qui suivirent, au sein du Comité préparatoire à la Conférence de Rome, de 1996 à 1998, se dégagea une nette tendance en faveur d’un Statut qui serait limité aux crimes compris dans le « noyau dur », sans pour autant que l’on s’entende entièrement sur la portée de cette notion.

Graduellement, au cours des négociations au sein du Comité préparatoire et dans quelques cas à la Conférence de Rome elle- même, un certain nombre des crimes définis par traités ont été incorporés aux crimes principaux. Ainsi, les crimes définis dans les Conventions de Genève de 1949 pour la protection des victimes de la guerre et dans les Protocoles additionnels de 1977 allaient s’intégrer aux crimes de guerre. D’autres devaient prendre leur place parmi les crimes contre l’humanité, notamment la torture et l’apartheid4.

1En réaction aux actes de terrorisme commis à la suite de la première guerre mondiale, La Société des Nations adopta en 1937 la Convention pour la prévention et la répression du terrorisme (SDN Doc. C.546(1) M.3353 (1) 1937 V), assortie d’un Protocole portant création d’une cour criminelle internationale. Ni la Convention, ni le Protocole n’entrèrent jamais en vigueur.

2Rapport de la CDI sur les travaux de sa quarante-sixième session, 2-2 mai 1994, chapitre II.B.I, Documents officiels de l’Assemblée générale des Nations Unies, supplément No 10, A/49/10, 70.

3Article 1 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, document PCNICC/1999/INF/3 du 17 août 1999 (ci-après: “Statut de Rome”). Les articles 5 à 8 énoncent et décrivent les crimes relevant de la compétence de la Cour, à savoir le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, et le crime d’agression.

4Articles 7 et 8 du Statut de Rome; la torture et l’apartheid sont mentionnés aux articles 7(1)(f)(j), 7(2)(e)(h), 8(2)(a)(ii) et 8(2)c)(i).,

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Reste qu’au seuil de la Conférence, le rapport du Comité préparatoire comportait toujours, parmi les questions non réglées, des projets d’articles portant sur les crimes de terrorisme, les crimes contre le personnel des Nations Unies et le personnel associé, et les crimes liés au trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes5. Eu égard à l’insistance mise par un certain nombre d’Etats à inclure au Statut, en particulier, le terrorisme et le trafic de stupéfiants, mais aussi la résistance qui leur était opposée, ces questions étaient devenues trop politiques pour se prêter à un règlement au cours du processus préparatoire6.

A la Conférence elle-même, les différences persistèrent, plus profondes que jamais et revêtant un caractère particulièrement politique dans le cas du crime de terrorisme. Pour un certain nombre d’États pour lesquels le terrorisme représentait une préoccupation grave au quotidien, il était inconcevable qu’un crime dont l’importance internationale ne faisait aucun doute soit omis du Statut. C’était le cas, par exemple, de l’Inde, du Sri Lanka, de l’Algérie et surtout de la Turquie, laquelle considérait la question à ce point fondamentale, jusqu’à la toute fin de la Conférence, que le succès d’ensemble de celle-ci s’en trouva menacé7.

En revanche, les relevés officieux des positions énoncées par les délégations lors des discussions du Comité plénier sur les documents de travail présentés par son Bureau à propos du chapitre II du Statut (lequel portait notamment sur la définition des crimes devant relever de la compétence de la Cour), montraient également qu’un grand nombre de pays de toutes les régions entretenaient de sérieuses réserves quant à l’inclusion du crime de terrorisme, pour plusieurs raisons8.

5Rapport du Comité préparatoire pour la création d’une Cour criminelle internationale, A/CONF.183/2/Add.1 (14 avril 1998), chapitre II, article 5.

6Les attaques contre le personnel des Nations Unies et le personnel associé allaient à leur tour être intégrés aux crimes de guerre applicables aux conflits internationaux: Article 8(2)(b)(iii) du statut de Rome.

7Les propositions de ces Etats se retrouvent aux documents A/CONF.183/C.1/L.27 et L.27/Rev.1

8Le Bureau du Comité plénier présenta deux documents vers la fin de la Conférence afin d’alimenter la discussion sur le Chapitre II: “document de travail”

A/CONF.183/C.1/L.53 du 7 juillet 1998, et “proposition du Bureau”

A/CONF.183/C.1/L.59 du 10 juillet. En l’absence de tout rapprochement sur la question du terrorisme, le Bureau n’y proposait pas de projet d’article mais notait dans les deux cas que “d’autres propositions ont été faites au sujet du

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Sur le plan juridique, la principale en était que les conventions portant sur le terrorisme (comme d’ailleurs sur le trafic de stupéfiants) ne reflétaient pas le droit coutumier international au même degré que les crimes principaux. Sur le plan pratique, on pensait qu’il y avait danger d’ensevelir la Cour sous une avalanche de crimes relativement moins importants. Certains Etats, notamment les Etats-Unis, estimaient en outre que ces crimes se prêtaient mieux à l’exercice des compétences nationales et aux mécanismes classiques de coopération internationale qu’à la compétence d’une Cour pénale internationale.

Sur le plan politique, l’une des raisons principales des difficultés à accepter le crime de terrorisme était une conviction largement répandue qu’en l’absence d’une définition généralement acceptée de ce crime, tentée en vain depuis de nombreuses décennies, son inclusion serait une source dangereuse de politisation de la Cour. Il suffisait pour s’en convaincre de regarder l’histoire boiteuse de l’examen de cette question au sein des Nations Unies, à commencer par le débat sur l’assassinat des athlètes israéliens aux jeux olympiques de Munich en 1972, qui avait conduit à la création du Comité du terrorisme. Le Comité fut handicapé dès le départ par l’ambiguïté et la politisation de son mandat. Son histoire peu glorieuse se termina en 1979 par un projet de déclaration assez anodin, adopté de peine et de misère par un consensus aussitôt défait par l’Assemblée générale 9. Le problème de la définition du terrorisme n’est en réalité qu’un sous-produit d’un certain nombre de questions politiques de fond,

terrorisme..., qui nécessitent un examen plus approfondi. À la suite du débat sur le “document de travail” du Bureau, une publication des organisations non gouvernementales, “Rome Treaty Conference Monitor, Special Report of the NGO Coalition for an International Criminal Court” concluait le 10 juillet: “[o]n the “treaty crimes”, a general consensus is emerging that there is not enough time to satisfactorily resolve the question of their inclusion... 14 states indicated they wished to retain one or more treaty crimes; 38 indicated they should not be included, 13 of which due to a lack of time”. Après le débat sur la “proposition du Bureau”, le 15 juillet, donc deux jours avant la fin de la Conférence, la même publication, dans une édition intitulée “The Virtual Vote”, faisait état de l’absence persistante d’accord sur l’inclusion des crimes dit “de traités”, tout en ajoutant que

“several countries reiterated their support for inclusion“.

9Le Comité fut créé en vertu de la résolution RES. 3034 (XXVII) du 18 décembre 1972, dans une atmosphère profondément divisée. Les trois rapports du Comité du terrorisme se retrouvent aux documents A/9028 de 1973, A/32/37 de 1977 et A/34/37 de 1979. Voir aussi le rapport de la Sixième Commission, document A/34/786 du 8 décembre 1979.

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parmi lesquelles se situe d’abord celle des mouvements de libération nationale. Jusqu’à ce jour, ce problème oppose certains Etats qui s’inquiètent de ce que la lutte contre le terrorisme puisse servir de justification à nier aux peuples « leur droit légitime à l’auto-détermination et à l’indépendance », et les Etats qui craignent que, derrière ce souci, se cache le désir de légitimer les actes de terrorisme s’ils sont commis par des mouvements de libération nationale. Un second problème vient de la notion confuse de « terrorisme d’Etat », qui pour certains vise tout aussi bien l’action de « terroriser des populations entières » en période d’occupation qu’une politique d’agression ou de pression économique, alors que pour d’autres il s’agit simplement de l’implication de certains États dans la commission d’actes de terrorisme individuels. Un troisième problème est celui de la légitimité des réponses apportées au terrorisme, notamment si la force armée est utilisée, qui a amené dans certaines conventions antiterroristes, y compris les plus récentes, une clause de sauvegarde de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique d’un Etat10.

Enfin, il fut une époque où la tension était vive entre ceux qui voulaient prendre des mesures visant à combattre le terrorisme et ceux qui en contestaient la légitimité tant que ses causes sous- jacentes n’étaient pas réglées11.

À ces problèmes politiques traditionnels s’en ajoute maintenant un cinquième qui a pris naissance lors de l’élaboration de la Convention pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, à savoir l’exclusion des activités des forces armées du champ d’application de la Convention12.

10L’article 17 de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, par exemple, se lit comme suit: ”Les Etats Parties s’acquittent des obligations découlant de la présente Convention dans le respect de l’égalité souveraine et de l’intégrité territoriale des États, ainsi que celui de la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats”. Doc. A/52/653, adopté par la résolution A/RES/52/164 du 15 décembre 1997 de l’Assemblée générale des Nations Unies;

11Supra, note 9. Le titre de la question inscrite en 1972, et maintenu à l’ordre du jour de l’Assemblée générale jusqu’en 1990, est révélateur à cet égard:

“Mesures visant à prévenir le terrorisme international qui met en danger ou anéantit d’innocentes vies humaines, ou compromet les libertés fondamentales, et étude des causes sous-jacentes des formes de terrorisme et d’actes de violence qui ont leur origine dans la misère, les déceptions, les griefs et le désespoir et qui poussent certaines vies humaines, y compris la leur, pour tenter d’apporter des changements radicaux:.. »

12Supra, note 10. Article 19(2) “Les activités des forces armées en période de conflit armé, au sens donné à ces termes en droit international humanitaire, qui

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Acceptée alors avec difficulté par l’ensemble des Etats à l’insistance des Etats-Unis, en vue de sauvegarder les acquis de la Convention, cette même clause fut rejetée en 1998 lors de l’élaboration d’un projet de convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire13, projet bloqué depuis pour cette raison quoiqu’il soit complété par ailleurs. On constate aisément que tous ces problèmes politiques sont liés les uns aux autres.

Sous l’influence de ces divisions politiques persistantes, l’Assemblée générale des Nations Unies a passé plusieurs années à adopter toute une série de résolutions dont les premières au moins étaient passablement ambiguës14. Le malaise international à l’égard du terrorisme en tant que crime international s’est d’ailleurs reflété dans les Conventions antiterroristes elles-mêmes, conclues entre 1970 et 1999, où le mot « terrorisme » n’est apparu que deux fois, à la toute fin des années 90, et encore, jamais dans la définition du crime en question15. Même actuellement, alors que certains de ces problèmes se sont sensiblement atténués et que le consensus

sont régies par ce droit ne sont pas régies par la présente Convention, et les activités menés par les forces armées d’un Etat dans l’exercice de leurs fonctions officielles, en tant qu’elles sont régies par d’autres règles de droit international, ne sont pas non plus régies par la présente Convention”.

13Doc. A/C.6/53/L.4, Mesures visant à éliminer le terrorisme international, Rapport du groupe de travail.

14Ce n’est que dans sa résolution A/RES/40/61 de 1985, que l’Assemblée générale condamna pour la première fois sans équivoque tous les actes de terrorisme “où qu’ils soient commis et quels qu’en soient les auteurs”, formule désormais consacrée. Cependant, cette résolution contenait toujours une réaffirmation de la légitimité de la lutte des mouvements de libération nationale.

La référence à ces mouvements devait encore se renforcer dans la résolution A/RES/42/159 du 7 décembre 1987, qui se déclarait “sans préjudice” à leur lutte.

Par contre, le titre de la résolution A/RES/46/51du 9 décembre1991 se réduisit à

“Mesures visant à éliminer le terrorisme international”. Plus tard, la référence à la lutte des mouvements de libération nationale elle-même fut complètement omise de la résolution A/RES/49/60 du 9 décembre1994, à laquelle était annexée une

“Déclaration en vue d’éliminer le terrorisme international”. Les résolutions suivantes furent dans le même esprit: A/RES/50/53 du 11 décembre 1995, A/51/210 du 17 décembre 1996, qui créait un comité spécial chargé de l’élaboration de nouvelles conventions, AC/RES/52/165 du 15 décembre 1997, A/53/108 du 8 décembre 1998, A/RES/54/110 du 9 décembre 1999, et A/RES/55/158 du 12 décembre 2000.

15Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, supra, note 10. Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, adopté par la résolution A/RES/54/109 du 9 décembre 1999 de l’assemblée générale des nations Unies.

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international sur la nécessité de combattre le terrorisme n’a jamais été plus fort en raison des événements du 11 septembre, des difficultés ont resurgi aux Nations Unies dans le contexte de la négociation d’une convention globale contre le terrorisme, et plus précisément en ce qui concerne sa définition. Alors que les dispositions juridiques du projet de convention étaient à peu près terminées, et en dépit de l’intervention personnelle du Secrétaire général de l’ONU, le projet n’a pu être adopté en raison de divergences irréconciliables à propos d’une référence aux mouvements de libération nationale et de l’exclusion des forces armées des États du champ d’application de la Convention16. Lors des négociations de Rome, certains efforts ont été faits pour contourner le problème de la définition. On a proposé par exemple d’annexer au Statut les diverses conventions relatives au terrorisme et de ne donner compétence à la Cour que dans les cas de crimes commis sur le territoire d’un État ayant ratifié le Statut ou par ses ressortissants. Ainsi, si un Etat était partie à la Convention sur la prise d'otages, la Cour n’aurait compétence que sur les prises d’otages commises sur son territoire ou par ses ressortissants. Ce type de démarche n’était cependant pas exempt de problèmes : qu’adviendrait-il, par exemple, dans le cas d’un crime commis sur le territoire d’un Etat non partie au Statut, par des ressortissants de cet Etat, dont l’un, cependant, aurait également la nationalité d’un Etat partie ? La Cour aurait-elle compétence et, si oui, jusqu’à quel point ? Ces propositions n’ont pas été poursuivies faute de temps et d’accord sur les solutions possibles.

En définitive, sur l’insistance des pays intéressés et particulièrement de la Turquie, les deux principaux crimes définis par traités qui avaient été omis du Statut de Rome17 ont fait l’objet d’une résolution annexée à l’Acte final de la Conférence.

Cette résolution recommande qu’une conférence de révision « étudie le cas du terrorisme et des crimes liés à la drogue en vue de dégager une définition acceptable de ces crimes et de les inscrire sur la liste de ceux qui relèvent de la compétence de la Cour »18.

16Le projet de convention est contenu au document A/C.6/56/L.9, Mesures visant à éliminer le terrorisme international, Rapport du groupe de travail.

17D’autres propositions, notamment celles de mentionner parmi les crimes du Statut le mercenariat et les embargos économiques, ont été abandonnées.

18Acte final de la Conférence, Résolution E, A/CONF./10 du 17 juillet 1998. Une conférence de révision est prévue à l’article 123 du Statut, sept ans après son entrée en vigueur.

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Avant d’aborder la question de savoir si les crimes de terrorisme, ou certains d’entre eux, pourraient tomber dans le champ de la compétence de la Cour pénale internationale par d’autres moyens, ou, plus généralement, constituer des crimes contre l’humanité19, on peut donc conclure que l’exclusion du crime de terrorisme du Statut de la Cour ne fut pas accidentelle, mais une décision délibérée résultant d’un long mûrissement. Il est clair également qu’à la lumière des dispositions du Statut, il est difficile d’envisager comment la Communauté internationale, quand bien même elle le voudrait, pourrait disposer des moyens constitutionnels de modifier le Statut à court terme. En effet, l’ajout du crime de terrorisme au Statut ne pourrait se faire au plus tôt que sept ans après son entrée en vigueur, en vertu des dispositions régissant le processus d’adoption d’amendements20. Cela signifie donc un report de l’examen de la question de près d’une décennie.

Il faut convenir toutefois que ce fossé entre le Statut, avec ses limitations, et l’ampleur des crimes commis aux Etats-Unis le 11 septembre 2001, n’apparaît à beaucoup ni satisfaisant, ni convaincant. Pour sa part, observant que « les crimes de terrorisme comptaient parmi les menaces les plus graves à la paix », que « le monde ne peut et ne doit pas attendre aussi longtemps [que le temps requis par le Statut pour étendre la compétence de la Cour], et que « le droit… doit s’adapter à la réalité », la Turquie a déposé au cours de la dernière session de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale un document où elle favorise une « approche pragmatique » de cette question, visant à réviser le Statut de la Cour. Cela pourrait se faire, selon elle, soit au sein de la Commission préparatoire, soit au moyen d’une conférence internationale « afin que les crimes de terrorisme constituent une catégorie distincte de crimes, à côté de ceux qui sont déjà énumérés dans le Statut »21.

19Quoique cette question ne fasse pas l’objet de cette note, il n’est pas inutile de mentionner qu’un certains nombre de crimes de guerre inclus dans le Statut de Rome pourrait aisément constituer également des actes de terrorisme, dans la mesure où une attaque intentionnelles en vue de semer la terreur est fondamentalement contraire aux principes fondamentaux de droit international humanitaire. Voir par exemple les articles 8(2)(a)(i), (iii), (iv), 8(2)(b)(i), (ii), (v), (xiii), 8(2)(c)(i), (ii) (iii), 8(2)(e)(i), (ii), (xii).

20Article 121 du Statut de Rome.

21Observations de la Turquie concernant les crimes de terrorisme, document PCNICC/2001/DP.1 du 2 octobre 2001.

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Indépendamment du lien entre le crime de terrorisme et le Statut de la Cour pénale internationale, la question demeure de savoir si les crimes de terrorisme peuvent être considérés comme crimes contre l’humanité. En un mot, la réponse à cette question dépend de la magnitude des crimes commis et des circonstances. Pour constituer un crime contre l’humanité, certaines conditions doivent être remplies, qu’il s’agisse de terrorisme ou de tout autre crime qui rentre de prime abord, de par sa nature, dans la catégorie de crimes contre l’humanité22.

La question se pose naturellement de façon particulièrement aiguë à la lumière des crimes commis le 11 septembre. Certes, en raison de la non-rétroactivité du Statut de Rome, ces crimes ne sauraient relever de la compétence de la Cour23. Néanmoins, il est légitime de se demander si ces crimes, qui d’emblée semblent sans conteste figurer parmi les « crimes les plus graves ayant une portée internationale », peuvent être juridiquement considérés comme tels, et, plus spécifiquement, comme crimes contre l’humanité.

Contrairement au génocide et aux crimes de guerre, les crimes contre l’humanité n’ont jamais été définis conventionnellement, mais ils ont été décrits dans un certain nombre de documents, tels que les Statuts des Tribunaux de l’ancienne Yougoslavie et du Rwanda, de même que la Charte de Nuremberg. La codification la plus récente des crimes contre l’humanité se retrouve à l’article 7 du statut de la Cour pénale internationale.

Cette disposition est d’autant plus intéressante que, lors des négociations, les Etats ont déclaré codifier le droit international coutumier.

22En abrégé, la liste des crimes contre l’humanité contenue a l’article 7(1)(a-k) du Statut de Rome comprend le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou le transfert forcé de population, certaines formes d’emprisonnement ou de privation de liberté, la torture, certains crimes de nature sexuelle, la persécution pour certains motifs ou en fonction de critères définis au Statut, les disparitions forcées, l’apartheid et d’autres actes inhumains de nature analogue.

23Article 11(1) du Statut de Rome: “la Cour n’a compétence qu’à l’égard des crimes relevant de sa compétence commis après l’entrée en vigueur du présent Statut”.

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La définition, dont les composantes seront limitées ici aux crimes apparentés aux attaques du 11 septembre, se lit comme suit : 1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

a) Meurtre ;

b) Emprisonnement ou toute autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;

c) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou la santé physique ou mentale.

Les termes « attaque contre une population civile » sont à leur tour définis à l’article 7 (2) (a) comme suit :

2. Par « attaque lancée contre la population civile », on entend le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 à l’encontre d’une population physique quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque.

Il faudrait donc qu’un procureur prouve quatre différents éléments pour qu’un crime soit considéré comme crime contre l’humanité : 1) que certains actes ont été commis,

2) qu’ils l’ont été dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique,

3) que l’attaque était lancée contre une population civile, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation,

4) que l’auteur de ces actes savait qu’ils faisaient partie d’une attaque généralisée ou systématique.

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Sans entrer dans les détails d’une poursuite éventuelle, il est vraisemblable que ces conditions pourraient être satisfaites dans le cas particulier des événements du 11 septembre. Il ne fait guère de doute que les actes commis alors rentrent dans les catégories décrites dans l’article 7 (1), qu’il s’agisse de meurtre, de privation de liberté ou de traitement inhumain pour ceux qui ont survécu aux attaques. Un certain nombre de facteurs conduit à la conclusion de l’existence d’une attaque généralisée ou systématique exigée par l’article 7 (2), détaillés dans un autre contexte dans le jugement de l’affaire Blaskic du Tribunal pour l’ancienne Yougoslavie24 : le niveau détaillé de la planification et l’appui logistique requis, le nombre d’individus impliqués dans ces attaques, un acte criminel commis sur une large échelle, la

24Blaskic (IT-95-14), “Vallée de la Lasva”, décision de la chambre de première instance I. Cette décision énonce certains test en vue d’établir la preuve d’une attaque généralisée ou systématique, comme suit, paragraphes 198s.:

“le caractère systématique fait référence à quatre éléments qui, aux fins de la présente affaire, peuvent être énoncés de la façon suivante:

- l’existence d’un but de caractère politique, d’un plan en vertu duquel l’attaque est perpétrée ou d’une idéologie au sens large du terme, à savoir détruire, persécuter ou affaiblir une communauté;

- la perpétration d’un acte criminel de très grande ampleur à l’encontre d’un groupe de civils ou la commission répétée et continue d’actes inhumains ayant un lien entre eux;

- la préparation ou la mise en oeuvre de moyens publics ou privés importants, qu’ils soient militaires ou autres;

- l’implication dans la définition et l’établissement du dessein méthodique d’autorités militaires ou autres.

Ce dessein ne doit pas nécessairement être déclaré expressément, ni énoncé de façon claire et précise. Il peut se déduire de la survenance d’un ensemble de faits...

Le trait massif se réfère, quant à lui, à l’ampleur des actes perpétrés et au nombre des victimes... Un crime peut être massif ou de grande échelle par “l’effet cumulé d’une série d’actes inhumains ou par l’effet singulier d’”un seul acte de grande ampleur”.

Les conditions d’ampleur et de “systématicité” ne sont pas nécessairement cumulatives... Pour que des actes inhumains puissent être qualifiés de crimes contre l’humanité, il suffit que l’une de ces conditions soit remplie. Il n’en demeure pas moins qu’en pratique, ces deux critères seront souvent difficiles à séparés l’un de l’autre: une attaque d’ampleur qui vise un grand nombre de victimes repose généralement sur une forme quelconque de planification ou d’organisation.”

Voir aussi la décision du Tribunal international pour le Rwanda dans l’affaire Akayesu (Affaire N. ICTR-96-4-T), crimes contre l’humanité, 6.3, et les « Éléments constitutifs des Crimes » relatifs aux crimes contre l’humanité, adoptés par la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale en vertu de l’article 9 du Statut de Rome et contenus au document PCNICC/2000/1/Add.2 du 1er novembre 2000.

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commission répétée d’actes inhumains liés entre eux (les quatre détournements d’avions), l’utilisation de ressources humaines et financières importantes pour mener à bien les détournements d’avion, l’implication d’autorités de haut niveau d’une organisation (Al Qaida), le nombre de victimes et l’espace géographique couvert par les attaques.

Quant à l’exigence d’une attaque en application ou dans la poursuite d’une politique visant à commettre de tels actes, en vertu de laquelle il faut que « l’État ou l’organisation favorise ou encourage activement une telle attaque contre la population civile25 », la mort de milliers de civils au « World Trade Center » à elle seule, et la planification de ces crimes par les proches associés d’Oussama Bin Laden, semblent remplir ces conditions.

Ce survol de l’application aux événements du 11 septembre des éléments requis pour constituer un crime contre l’humanité est naturellement très sommaire, et d’autres éléments de preuve sont requis sur lesquels il n’est pas nécessaire de s’étendre ici, mais qui peuvent être capitaux dans d’autres circonstances26.

Il suffit cependant pour en arriver à deux conclusions provisoires : d’abord, il serait certainement prématuré de conclure que l’omission du crime de terrorisme du Statut de Rome exclut nécessairement tous les actes terroristes du champ d’application du Statut ; ensuite, et plus précisément, certains actes de terrorisme pourraient vraisemblablement faire l’objet de poursuites, dans ce contexte comme dans d’autres, en tant que crimes contre l’humanité, pourvu qu’ils satisfassent à un certain

25Éléments constitutifs des crimes, article 7, Crimes contre l’humanité, introduction, paragraphe 3. Cette politique ne doit pas nécessairement être déclarée: “¸[d]ans des circonstances exceptionnelles, une telle politique peut prendre la forme d’une abstention délibérée d’agir, par laquelle l’État ou l’organisation entend consciemment encourager une telle attaque”. Ibid., note 6.

26Par exemple, le Statut de Rome exige que l’acte criminel soit commis “en connaissance de cette attaque [généralisée et systématique lancée contre toute une population civile]”. Cette exigence, qui ne semble pas faire de doute dans le cas des événements du 11 septembre, avait été énoncée par le Tribunal pour le Rwanda dans l’affaire Kayishema (ICTR-95-1, paragraphes 134s.): “pour être coupable de crimes contre l’humanité, l’auteur doit avoir connaissance de l’existence d’une attaque contre la population civile et du fait que son acte s’inscrit dans le cadre de cette attaque”. Cette énonciation, et les explications qui l’accompagnaient, ont été reprises par le Tribunal pour l’ancienne Yougoslavie dans les affaires Kupreskic et consorts, “Vallée de la Lasva” (IT-95-16, paragraphe 557) et Blaskic (supra, note 19, paragraphes 247s.)

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nombre de critères généralement acceptés. Ces crimes tombent également sous le coup des législations nationales sous d’autres chefs, en tant que crimes de droit commun, à commencer par le meurtre et l’enlèvement, et dans certains cas en tant que crimes de guerre27.

Inversement, il est clair que la question de l’établissement de mécanismes juridiques internationaux satisfaisants en vue de combattre le terrorisme n’est pas réglée pour autant. Il serait difficile, pour la plupart des crimes de terrorisme commis à ce jour, de rencontrer tous les critères qui en feraient des crimes contre l’humanité. La convention globale contre le terrorisme qui est en voie de développement, l’application croissante de la compétence universelle au terrorisme, l’intensification de la coopération judiciaire entre Etats, la possibilité de voir le Statut de la Cour pénale internationale incorporer formellement un jour le terrorisme parmi les « crimes les plus sérieux ayant une portée internationale » apportent peut-être des éléments de réponse, mais il reste bien du chemin à faire.

27Supra, note 17.

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