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Le soin comme éthique : l’épistémologie morale à la recherche d’un nouveau paradigme à l’hôpital

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Academic year: 2021

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Le soin comme éthique : l’épistémologie morale à la

recherche d’un nouveau paradigme à l’hôpital

Florence Porretta

To cite this version:

Florence Porretta. Le soin comme éthique : l’épistémologie morale à la recherche d’un nou-veau paradigme à l’hôpital. Ethique. Université Paris Sud - Paris XI, 2012. Français. �NNT : 2012PA11T031�. �tel-00923144�

(2)

UNIVERSITÉ PARIS XI

FACULTÉ DE MÉDECINE PARIS - SUD

UNIVERSITE PARIS VII - Denis DIDEROT

École doctorale 400, Savoirs scientifiques

Épistémologie, histoire des sciences, didactique des disciplines

2011 - 2012 N° attribué par la bibliothèque

THESE

Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS XI

Spécialité : Éthique, sciences, santé et société

Présentée et soutenue publiquement par

Florence PORRETTA GRUAT

Le 19 juin 2012

LE SOIN COMME ÉTHIQUE

L’épistémologie morale à la recherche

d’un nouveau paradigme à l’hôpital

Directeur de thèse : Emmanuel HIRSCH

JURY

Pr. Didier SICARD, Professeur de médecine, Professeur émérite à l’Université Paris

Descartes, Président d’honneur du Comité Consultatif National d’Éthique, Président du Jury.

Pr. Emmanuel HIRSCH, Directeur de l’Espace éthique de l’Assistance Publique des

Hôpitaux de Paris et du Département de recherche en éthique de l’Université Paris-Sud,

Directeur de thèse.

Pr. Élisabeth G. SLEDZIEWSKI, Philosophe, Maître de conférence de science politique,

Université de Strasbourg, Membre du département de recherche de l’Espace éthique de l’Assistance des Hôpitaux de Paris, Université Paris Sud (EA 1610), Rapporteur.

Dr. Grégoire MOUTEL, Praticien hospitalier, Maître de conférence des Universités,

Discipline médecine légale et éthique médicale, Université Paris René Descartes, Rapporteur.

Pr. Armelle DEBRU, Professeur émérite d’histoire de la médecine à l’Université Paris René

Descartes.

M. Alain CORDIER, Membre du collège de la Haute Autorité de Santé, Membre du Comité

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UNIVERSITÉ PARIS XI

FACULTÉ DE MÉDECINE PARIS - SUD

UNIVERSITE PARIS VII - Denis DIDEROT

École doctorale 400, Savoirs scientifiques

Épistémologie, histoire des sciences, didactique des disciplines

2011 - 2012 N° attribué par la bibliothèque

THESE

Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS XI

Spécialité : Éthique, sciences, santé et société

Présentée et soutenue publiquement par

Florence PORRETTA GRUAT

Le 19 juin 2012

LE SOIN COMME ÉTHIQUE

L’épistémologie morale à la recherche

d’un nouveau paradigme à l’hôpital

Directeur de thèse : Emmanuel HIRSCH

JURY

Pr. Didier SICARD, Professeur de médecine, Professeur émérite à l’Université Paris

Descartes, Président d’honneur du Comité Consultatif National d’Éthique, Président du Jury.

Pr. Emmanuel HIRSCH, Directeur de l’Espace éthique de l’Assistance Publique des

Hôpitaux de Paris et du Département de recherche en éthique de l’Université Paris-Sud,

Directeur de thèse.

Pr. Élisabeth G. SLEDZIEWSKI, Philosophe, Maître de conférence de science politique,

Université de Strasbourg, Membre du département de recherche de l’Espace éthique de l’Assistance des Hôpitaux de Paris, Université Paris Sud (EA 1610), Rapporteur.

Dr. Grégoire MOUTEL, Praticien hospitalier, Maître de conférence des Universités,

Discipline médecine légale et éthique médicale, Université Paris René Descartes, Rapporteur.

Pr. Armelle DEBRU, Professeur émérite d’histoire de la médecine à l’Université Paris René

Descartes.

M. Alain CORDIER, Membre du collège de la Haute Autorité de Santé, Membre du Comité

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Note au lecteur

         

La recherche qui est présentée ici est le fruit d’une réflexion nourrie, pendant plusieurs années par une expérience vécue, des études menées et des observations participantes ou non, effectuées dans un centre hospitalier général et au sein d’un institut de formation en soins infirmiers qui lui est rattaché.

Les remarques, les commentaires ainsi que les propositions avancées par l’auteur n’engagent que lui même. Pour des raisons évidentes de confidentialité le nom et le lieu où se situe l’hôpital observé ainsi que les identités des soignants dont les propos sont rapportés ont été préservés.

Travail réalisé dans le cadre du Doctorat Ethique, science, santé et société. Université Paris XI – Faculté de Médecine Paris Sud.

Pour reproduire ou utiliser une partie ou l’intégralité de ce document, veuillez consulter l’auteur ou le Directeur de thèse.

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Remerciements

 

   

Je remercie infiniment et tout particulièrement Monsieur Le Professeur Emmanuel Hirsch, pour sa générosité, sa patience, son indéfectible fidélité et l’exemple qu’il nous donne.

Je remercie Madame Le professeur Armelle Debru, pour son esprit critique et les conseils avisés qu’elle a toujours su prodiguer.

Je remercie le Docteur Renaud Gruat, mon mari et nos enfants Tom et Arthur sans qui cette thèse n’aurait pu voir le jour.

Je remercie ma mère, Antoinette et Sylvie, Charlène, pour ce temps que je leur ai confisqué.

Je remercie mes étudiants, puissent-ils toujours garder leur esprit critique et porter la réflexion éthique toujours plus loin.

Je ne remercie pas tous mes amis qui m’ont accompagnée tout au long de ce travail. Ceux là savent que je les aime.

Je remercie surtout, tous ceux qui ont tenté de me décourager et de me désespérer. Ils m’ont permis de persévérer, de faire preuve d’obstination raisonnable et de non abandon.

Enfin, je dédie cette thèse aux personnes malades et à leurs proches qui ont gravé ma mémoire pour toujours.

(6)

 

« Il y a plus affaire à interpréter les interprétations qu'à interpréter les choses, et plus de livres sur les livres que sur autre sujet : nous ne faisons que nous entregloser. Tout fourmille de commentaires : d'auteurs, il en est grand cherté. Le principal et plus fameux savoir de nos siècles, est-ce pas savoir entendre les savants ? Est-ce pas la fin commune et dernière de toutes études ? Nos opinions s'entent les unes sur les autres. La première sert de tige à la seconde : la seconde à la tierce. Nous eschellons ainsi de degré en degré. Et advient de là, que le plus haut monté, a souvent plus d'honneur, que de mérite. Car il n'est monté que d'un grain, sur les épaules du pénultième. »

Michel de Montaigne  

   

(7)

Table des matières

Paroles ... 10 Introduction ... 13 PARTIE I Pourquoi ?... 19 Emergence du problème ... 20 Du discours à la réalité ... 22 Le « pourquoi » ... 22

Des suppositions aux compréhensions ... 24

PARTIE II Des poupées russes… ... 26

Evolutivité de la pensée « bioéthique » en France... 27

Muss es sein ? Es muss sein !... 29

Quand les lois ne suffisent pas ... 32

La nouvelle gouvernance hospitalière... 39

Prima facie : le sens du devoir... 44

Apprendre, est-ce devenir meilleur ? ... 53

L’engagement moral... 57

De l’éthique à la bioéthique... 72

Des injonctions à l’inquiétude morale... 74

Penser l’éthique à l’hôpital... 75

Entrée dans la complexité ... 92

PARTIE III …à la boite de Pandore... 94

Démarche méthodologique... 95

(8)

Limites et contraintes de l’étude ... 98

Historicité d’une trajectoire ... 100

Entre pratiques et interrogations... 101

Les années d’espérance ... 105

De l’éthique du soin au soin de l’éthique. De l’indignation ?... 106

La visée bonne à l’épreuve du réel... 108

Entre temps de parole et éthique de la discussion ... 110

Formation à l’éthique. Quelle didactique ? ... 112

Formation initiale ... 112

Entre espérance et désenchantement ... 128

Paroles et actes soignants ... 184

Formation continue... 192

Les acquis de l’expérience ... 195

Espace éthique ... 197

Une charte éthique comme symbole ... 201

Les réunions de limitations ou d’arrêts des thérapeutiques actives en réanimation médicochirurgicale ... 203

La question des prélèvements d’organes et de tissus ... 214

La souffrance comme rédemption ... 219

Personnes âgées vulnérables. Premières inquiétudes ... 221

De l’inquiétude à la certitude. La récidive barbare ... 225

Du « Comment » au « Pourquoi ». L’avis des experts... 228

PARTIE IV Le soin comme éthique ... 235

Qu’est-ce que soigner ? Une double compétence ... 236

Le soin ou les soins ? ... 241

L’éthique du care comme solution ? ... 249

Qu’est ce qu’un soignant ?... 257

Peut-on être méchant volontairement ? ... 260

Détour philosophique... 263

De l’acrasie... 264

(9)

De la bonne volonté... 269

Entre raison et sentiments... 271

De la philosophie à la psychologie en passant par la sociologie... 277

Psychologie des sauveteurs ... 280

Raison et motivation morale... 283

Autres approches psychologiques de la motivation... 285

Entre philosophie et psychologie, la psychanalyse ... 288

De la philosophie aux neurosciences... 289

Comment agir dans le champ hospitalier ? ... 292

Peut-on ignorer le contexte ?... 292

Peut-on fonder une éthique hospitalière sur des valeurs ? ... 299

Peut-on fonder une éthique sur la notion de qualité ? ... 308

Observations en ce qui concerne le site étudié ……… 311

De l’éthique à la qualité et inversement………. 313

Entre valeur et qualité : la norme ... 318

Peut-on fonder l’éthique sur un corpus de connaissances ? ... 322

La formation à l’éthique soignante ... 322

La question du savoir ... 329

Peut-on fonder une éthique sur quelques uns ? ... 331

Vers plus de simplicité. Le quoi et le pourquoi ? ... 336

De la bienfaisance à la bientraitance ... 339

Du sens des mots ... 343

Apaiser ... 346

Du tragique : entre dilemme et quotidienneté... 349

Le soin comme éthique ... 352

Existe-t-il une éthique du soin ? ... 352

Le soin c’est l’éthique même... 353

A la recherche d’un nouveau paradigme ... 356

La coordination de prélèvements d’organes et de tissus comme modèle ? ... 357

L’humanité de l’humain ... 362

Les possibles d’un nouveau paradigme... 366

(10)

De la réflexion à la quotidienneté... 370

Un paradigme de simplicité... 373

Le recrutement et la formation des futurs soignants... 373

Sensibilité ontologique et vulnérabilité... 375

Et si nous ne proposions rien ?... 378

Conclusion... 381 Bibliographie ... 386 Ouvrages ... 386 Rapports... 396 Revues ... 398 Chartes ... 401 Textes législatifs... 402 Divers... 404                                        

(11)

Paroles

« La certification de notre hôpital approche. La Haute Autorité de Santé vient de publier ses nouvelles recommandations. Il existe des pratiques exigibles prioritaires. Nous devons finaliser le projet de soin et décliner son plan d’actions. Vous savez toute l’importance que j’attache à ces questions. Je vous confie une mission transversale importante : la coordination des démarches en lien avec l’éthique de notre établissement et la rédaction de son axe dans le projet de soins. »

Un directeur des soins, mai 2008

« Madame, l’hôpital brûle. On n’a pas de temps à perdre avec l’éthique. L’éthique c’est une affaire qu’il faut laisser aux seuls médecins. Vous n’êtes pas dans un CHU. Il y a des choses plus importantes à faire. Il faut se recentrer sur les projets. Ce qui compte c’est d’obtenir des résultats. »

Un directeur, décembre 2010

« Finalement, est-ce qu’on ne se pose pas trop de questions sur la dignité des personnes ? Est-ce si grave de laisser une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, souillée alors qu’elle ne s’en rend pas compte ? »

Un cadre supérieur de santé, décembre 2010

« Il faut vous recentrer sur les projets de réorganisation et de conduite au changement. Ce que je veux ce sont des managers. La bientraitance dont on n’arrête pas de parler n’est qu’un néologisme et l’éthique ça ne rime à rien dans le contexte actuel. »

Un directeur, mai 2011

« Un fonctionnaire c’est fait pour fonctionner. »

(12)

Quand vie et mort se côtoient,

« Entre encore vivant et déjà mort, entre pas tout à fait mort mais plus tout à fait vivant, tout se confond et se mélange. On est perdu. Vous vivez cela au quotidien, nous c’est l’événement tragique de notre vie… On s’en souviendra toujours, chaque mot que vous prononcez raisonnera à nos oreilles à jamais, les lieux seront gravés pour toujours dans nos mémoires… ».

Fils d’un patient donneur d’organes, juin 2009

« Je me sens plus accompagnante que soignante. Je mets un point

d'honneur à être là pour tenir la main de la personne qui s'en va. Il y a des personnes âgées, grabataires, qui n'ont plus de communication verbale, qui refusent de manger, même à la petite cuillère, qui ont de grosses escarres qui les font souffrir. Ils n'ont plus de liberté, ils serrent les dents. Et puis un jour, on sent qu'ils sont prêts à partir quelque part. La famille nous demande combien de temps ça va durer. Alors on s'en occupe pour qu'ils ne s'abîment pas. Et puis des fois, les patients meurent quand je ne suis pas là. Alors qu'on ne s'y attendait pas. On se dit alors qu'on a tout raté, qu'on n’a pas vu, qu'on n’a pas entendu. »

Une infirmière d’EPHAD, juin 2006

« Je sais que vous avez beaucoup de travail. Je sais aussi que je vais bientôt mourir… Mais s’il vous plait, quand le moment sera venu, ne fermez pas la porte de ma chambre… ».

Un malade de service d’oncologie, octobre 2010  

   

(13)

                 

  « Que si notre sympathie avec le chagrin est généralement une sensation

plus vive que notre sympathie avec la joie, elle est communément bien en deçà de la violence de ce qui est naturellement senti par la personne concernée. »

(14)

Introduction

« C’est par l’accomplissement des actions justes qu’on devient juste, à ne pas les accomplir nul ne saurait jamais devenir bon. Mais la plupart des hommes au lieu d’accomplir des actions vertueuses se retranchent dans le domaine de la discussion, et pensent qu’ils agissent ainsi en philosophes et que cela suffira à les rendre vertueux… ».

(15)

Alors que ce qui restait de la morale semblait devoir être détruit, l'éthique a semblé jaillir du néant. « Tout le monde semble s'être réveillé en sursaut pour apercevoir la nécessité de faire de l'éthique1. »À peine la morale semblait vouloir relever la tête qu'elle pouvait apparaître comme une forme de normalisation insidieuse qu'il fallait rejeter. Aujourd'hui, l'éthique semble pouvoir valider ou invalider n'importe quel propos. Quand le mot éthique est prononcé, tout semble dit. L'éthique envahit tous les domaines, tel un tsunami nous voilà submergés par un cahot éthique dont l'épicentre reste incertain. L’inquiétude éthique subsiste, un besoin d’éthique s’impose. De l'entreprise, des médias, à la politique en passant par la santé, l'éthique semble incontournable. Des comités, des groupes de réflexions ont vu le jour, certains en sont aux balbutiements, d’autres sont en gestation, d’autres enfin sont reconnus, des réseaux s’organisent. L'éthique se crée des espaces. Elle se régionalise, se nationalise, traverse les continents. Il s'agit d'être éthique en toutes circonstances. « Ethics pays » selon la formule anglo-saxonne et voilà que le commerce se doit d'être équitable avant que de devenir éthicable. Voilà qu'apparaît « La valse des éthiques2. » Une société qui semble vouloir s'intéresser à l'éthique est sûrement préférable à un monde qui l'ignore ! Quelles sont les raisons de cette apparente omniprésence de l'éthique ? D'où vient ce désir mimétique qui, si nous n'y prenons pas garde, finira par faire violence. Quel « bouc émissaire3 » nous faudra-t-il bientôt sacrifier si ce n'est peut-être l'éthique elle-même ? Déjà l'éthique lasse, agace parfois, mais revendique clairement les principes fondateurs de la démocratie en hommage aux droits de l'homme, dans une recherche inconditionnelle de dignité.

Didier Sicard4 en questionne son sens, précise qu’elle reste un concept fondateur qui ne se réduit pas à un slogan et, sans indulgence affirme : « L’éthique est… malmenée. Les « premières classes » font ripaille et s’offrent des fins de repas humanistes pendant que les « fonds de cale » réclament simplement de l’eau et de       

1 Monique Canto-Sperber, L'inquiétude morale et la vie humaine, Paris, Presses Universitaires de

France, 2001, p.6.

2 Alain Etchegoyen, La valse des éthiques, Paris, Editions François Bourin, 1991. 3 René Girard, Le bouc émissaire, Paris, Le livre de poche, Grasset, 1982.

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l’air. » Il nous met en garde contre cette éthique qui peut être instrumentalisée, le danger de son recours incantatoire : l’éthique paravent, bouclier ou alibi.

Ainsi, à l'instar de Charles Péguy, nous pourrions dire que lorsqu'un mot se retrouve partout, c'est que la chose qu'il désigne est en voie de disparition. L'éthique serait-elle devenue référence obligée de tout discours ? Et si la multiplication des éthiques, notamment professionnelles, risquait de mettre l'éthique en crise ? Et si l’éthique avant de nous éclairer sur des solutions possibles et bienveillantes devenait un problème pour certains ? Doit-on considérer que cette éthique ramenée à l’homme, le droit, l’Autre… n’a de sens que dans sa confrontation aux situations, aux processus singuliers, comme le suggère Alain Badiou5 dans son essai sur la conscience du mal ? Et si un humain idéal, éthiquement correct, pouvait exister, serait-il « plus humain » ou « sur humain », voire non humain, comme ironise Frédéric Schiffter6 ?

Si individualisme et relativisme caractérisent notre société moderne, ne devons-nous pas dès lors, promouvoir l'émergence d'une éthique universelle dont l'application à des domaines particuliers ne pourrait être que l'application de cette éthique universelle ? Ceci n’est-il pas plus vrai encore dans le domaine du soin qui garde par ailleurs une place prépondérante, tant sa finalité doit rester l'homme, l'essence même de l'homme ? La protection de la vie humaine reste le fondement de toute société basée sur le respect de la dignité et des droits de l’homme. N’est-ce pas la vulnérabilité de l’homme qui rend N’est-ces fondamentaux sacrés ?

Ainsi « nous avons à nous poser des questions fondamentales, nous qui prenons le risque d'engager la profession vers une voie complexe et difficile tant par l'attitude qu'elle réclame, la démarche qu'elle requière et les conséquences qu'elle entraînera notamment sur la conception des soins et des options et choix fondamentaux pour la personne et la société qui découleront de ces conceptions, tant pour les usagers des soins que pour les soignants7. »

Depuis de nombreuses années, la question de l'éthique hospitalière et du soin semble revêtir une grande importance, une importance nouvelle, une importance peut être jamais connue auparavant.

      

5 Alain Badiou, L’éthique, essai sur la conscience du mal, Paris, Editions Nous, 2003. 6 Frédéric Schiffter, Le bluff éthique, Paris, Editions Flammarion, 2008, p.44.

(17)

Les médias, reflets de notre société, quotidiennement relaient des informations, pénètrent l’univers soignant et filment parfois à son insu le quotidien des acteurs de santé. Des scandales où les prises en charge médicales dénoncent une altération de la sécurité et de la qualité des soins voient le jour. Des négligences, voire des actes de violences dévoilés, sont abordés et débattus en public, des sondages sont réalisés. Les politiques en font un chapitre incontournable dans leurs programmes électoraux.

Des écrits sont publiés et mettent en garde sur « le non respect d’autrui : droits et devoirs des usagers et des professionnels de santé8 ». Des comportements individualistes, une complexité de situations sociétales difficiles, dans un contexte incertain, mouvant, instable, de crise économique et financière récurrente, engendre lassitude et pression. Des tensions sont évoquées, aggravées par un manque d’écoute, de dialogues tendus, d’information ou de surinformation contribuant à une inquiétude des personnes malades et de leurs proches.

Des condamnations morales sont évoquées par tous ceux qui s’insurgent contre une banalisation de violences institutionnelles, psychologiques ou des négligences clairement exprimées voire infligées, par des professionnels de santé vis-à-vis des usagers, des usagers vis-à-vis des soignants. Des actes de maltraitance dite « ordinaire », puis avérée retiennent l’attention, mobilisent les responsabilités, déterminent de nouveaux enjeux. Des altérations du système de santé fragilisé, corollaire d’une précarisation grandissante sur fond de crise économique, des dommages liés aux soins, liés à des conflits d’intérêts réinterrogent paradoxalement et parallèlement à des programmes de recherche qui aboutissent à de véritables et incroyables prouesses scientifiques.

Des ouvrages traitant de ces questions d’éthique ne cessent de voir le jour, des enquêtes et des études sont menées, des rapports sont publiés, des formations organisées, des espaces et des comités d'éthiques créés, l'éthique pour certains inenseignable9 est enseignée à la faculté de médecine, à l’université, au sein des instituts de formation, en formation initiale et continue à l’hôpital.

      

8 Jean-Paul Delevoix, “Le journal du Médiateur de la République”, décembre 2009 - janvier 2010. 9 Suzanne Rameix, Fondements philosophiques de l’éthique médicale, Paris, Ellypses, 1996, p. 3.

(18)

Des lois sont promulguées, loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé10, loi de bioéthiques11, loi relative aux droits des malades et à la fin de vie12. De toutes parts des injonctions naissent et se multiplient tout particulièrement concernant le respect de la dignité, de l'autonomie, des choix et des droits des patients devenus usagers. Le consentement, l’accompagnement de la fin de vie, la limitation ou l’arrêt des thérapeutiques actives et la douleur suscitent de nouvelles interrogations. Dernière, étrange et particulière injonction de la Haute Autorité de Santé (HAS) qui est celle de promouvoir la bientraitance et de prévenir les facteurs de maltraitance à l'hôpital. Préconisations qui génèrent un discours de l’amélioration de la qualité dont certaines démarches deviennent des pratiques qualifiées d’exigibles et prioritaires13.

Parallèlement, des lois réformant la gouvernance hospitalière14 relatives aux patients, à la santé et aux territoires (HPST)15 voient le jour et se succèdent, concernant un système de soins chamboulé, dont les déficits budgétaires et financiers concernant des établissements de santé restent abyssaux. Les notions de performance, d’efficience, de rentabilité des prestations de soins remodèlent le paysage hospitalier. Certains établissements sont amenés à disparaître, d’autres à conjuguer leurs efforts en mutualisant leurs ressources, souvent à moyens constants, notamment dans le cas de regroupements de territoires. De nouveaux modes de financements voient le jour, les recettes découlent des activités produites. Une tarification à l’activité est instaurée où les recettes prennent le pas sur les dépenses et les résultats sur les moyens. Le retour à l’équilibre financier devient à tous prix une préoccupation essentielle de directions institutionnelles. Les activités de soins se doivent d’être désormais rentables. Nous rentrons dans l’ère de la production des soins, des directeurs producteurs de soins… Les modes de management sont incités à davantage d’efficacité. Dès lors, des formations       

10 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de

santé.

11 Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, révisée le 7 juillet 2011. 12 Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

13 Haute Autorité de Santé (HAS), “Manuel de certification des établissements de santé”, version

2010 (V2010), Direction de l’Amélioration de la Qualité et de la Sécurité des soins. Novembre 2008.

14 Ordonnance n° 2005-406 du 2 mai 2005 simplifiant le régime juridique des établissements de

santé.

15 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la

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s’adaptent. La posture éthique s’impose aussi au sein de nouvelles formations managériales, l’enjeu qui en résulte se révèle être pour certains déterminant. Un directeur de Centre Hospitalier Universitaire (CHU)16 met en garde contre des risques perceptibles envers les plus fragiles : « Il est facile, au quotidien pour un médecin ou un établissement, qui serait exagérément tourné vers l’esprit du lucre, de ne pas assumer son devoir de non abandon à l’égard d’une personne en fin de vie. » Il rajoute dans ses propos, que « c’est par une démarche éthique intégrée au raisonnement des soignants que seront évités les dérives possibles ».

Ainsi les acteurs subissant ces mutations sociétales, sociologiques et économiques, ne peuvent qu’exprimer dès lors un mal-être grandissant dans leur exercice quotidien. Certains évoquent comme cause au « malaise » vécu par ces soignants au sein de leur pratique, la fracture qui existe entre la recherche de l'idéal espéré et le vécu quotidien dans l’immersion d’une réalité plus contraignante. Beaucoup rangent ce phénomène dans la case de la normalité et le trouvent même nécessaire à l'acquisition de réelles remises en question, de professionnalisation, de développement de compétences quand les responsabilités individuelles et collectives sont mobilisées, quand le consumérisme s’oppose à la rationalisation. D'autres estiment que la remise en cause de cet idéal bousculé, de cette visée du bien touche la personne soignante au plus profond de son être. « Les souffrances éthiques, psychologiques, sociales et professionnelles sont en effet intimement mêlées dans leur surgissement17.» Le soignant « en souffrance » lui-même serait alors dans l'incapacité, en particulier de participer à la créativité éthique, génératrice d’humanisation dans toute situation de soin18.

Cette confrontation entre l'idéal et la pratique est souvent présentée comme une fracture entre non pas un idéal mais plutôt une utopie entretenue. Cette utopie, se heurtant à la réalité des soins, devient la source d'une aporie tragique vécue avec souffrance par la plupart des professionnels qui en témoignent au quotidien.

      

16 Jean-Jacques Romatet, sous la direction de Emmanuel Hirsch, Ethique et nouvelle gouvernance

hospitalière, Ethique, médecine et société, Paris, Vuibert, 2007, p. 298-203.

17 Pierre Boitte, Bruno Cadore, D. Jacquemin, Sergio Zorrilla, Pour une bioéthique clinique.

Médicalisation de la santé, questionnement éthique et pratiques de soins, Villeneuve D'Ascq, Editions Presses Universitaires du Septentrion, 2003, pp. 144-147.

18 Armelle de Bouvet, Monique Sauvaige, Penser autrement la pratique infirmière, Paris, Editions

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PARTIE I

Pourquoi ?

« Hier ist kein warum19 . »

Primo Levi20

      

19 Hier ist kein varum : Ici il n’y a pas de pourquoi.

(21)

Emergence du problème

 

 

Pourquoi ces observations, ces témoignages récurrents, ces écrits, ces enquêtes, ces études, ces avis, ces comités, ces enseignements, ces injonctions, ce renouveau de la philosophie morale réinterrogée ? Pourquoi ces lois qui réaffirment les droits des patients ? Est-ce la déclaration des droits de l'homme qui guide nos pas et nos esprits ? Est-ce que ce sont les dissertations philosophiques qui de l'Antiquité jusqu’à nos jours nous ont enfin montré le bon chemin ? Est-ce « l'essence de la technique moderne qui en nous arraisonnant nous fait pénétrer dans un destin de dévoilement et tout en nous donnant une nouvelle liberté nous expose aussi au danger et nous met en demeure de trouver nous-mêmes ce qui doit nous sauver » comme l’a écrit Martin Heidegger21 ?

« Est-ce que la puissance d'un amoncellement exponentiel de connaissances, de ce savoir qui croit sans cesse, et qui devient de plus en plus ésotérique, fragmentaire, et ouvre devant nous un gouffre devant lequel le prix à payer est l'émergence d'un savoir de substitution et de nouvelles superstitions qui nous effraie ? » comme l’a écrit Hans Jonas22 ?

Est-ce le contexte qui deviendrait de plus en plus déterminant, transformant nos rapports à autrui et plus particulièrement vis-à-vis des plus vulnérables d’entre nous ? « Est-ce que parce que nous nous sentons de jour en jour plus faibles par rapport à ceux qui décident, ceux qui savent, ceux qui sont puissants que nous nous tissons une enveloppe éthique faite d'une morale de valeurs propre à nous protéger d'un mal que nous ne pouvons nommer ? » comme l’affirme Nietzsche23 ?

Est-ce que cette éthique n'est pas plus simplement née de notre effroi post Nuremberg, qui nous a conduit notamment à proposer un code et des règles morales concernant la recherche biomédicale, d'où sont nés les grands principes

      

21 Martin Heidegger, Essais et conférences, Paris, Gallimard, 2003, p. 38. 22 Hans Jonas, Le principe responsabilité, Paris, Flammarion, 1995, p. 313. 23 Nietzsche, Généalogie de la morale, Paris, GF Flammarion, 1996, p. 113.

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d’autonomie, de bienfaisance, de non-malfaisance, de justice et de futilité, de la bioéthique nord-américaine résumés dans le rapport Belmont24 ?

Dès lors, des experts réfléchissent et sensibles à la primauté de la personne et à l’humanisation des hôpitaux vont poursuivre leur mise en garde. La réforme hospitalière de 1991 et les ordonnances d’avril 1996 amorcent les droits des usagers et font l’objet de nouvelles recommandations. La notion de démocratie sanitaire va consolider les droits des usagers face au système de santé. De nouvelles lois ne tarderont pas à créer de nouvelles orientations envers les établissements de santé qui se gèrent davantage comme des entreprises.

Le XXIe siècle amorce bien des réformes hospitalières qui n’apportent pas les résultats escomptés. La réflexion éthique est encouragée au sein des pratiques, pratiques qui elles-mêmes ne permettent plus le temps de se penser. Un juste équilibre entre théorie, expérience, empirisme, esprit critique, doute, rationalité et subjectivité vont nourrir les questionnements tour à tour confrontés au déontologisme, au conséquentialisme et au cadre juridique qui entoure l’exercice des équipes soignantes.

L’avis n° 84 du CCNE25 sur la formation à l’éthique médicale approuve et vient également réaffirmer les propositions exposées dans le rapport Cordier26 sur éthique et profession de santé. Ces propositions incitent à développer l’esprit critique au cœur de la démarche épistémologique, à privilégier outre les normes déontologiques et la dimension existentielle et intersubjective, à minorer la conception de l’éthique en tant que délibération rationnelle fondée sur des principes éthiques universels, à prioriser davantage un enseignement de l’éthique en prise directe avec la clinique et favoriser le développement d’une réflexion collégiale entourant les principes de soin et les concepts fondamentaux dans les processus de délibération et de décision.

      

24 Rapport Belmont, 1979.

25 Donatien Mallet, “Synthèse de l’avis n° 84 du 29 avril 2004 du CCNE”, compte rendu de la

journée “Formation à l’éthique”, Amiens, 2006.

26 Alain Cordier, “Rapport de la commission de réflexion : Ethique et profession de santé”, au

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Du discours à la réalité

Le « pourquoi »

Dès lors, nous pouvons nous demander pourquoi ces injonctions, pourquoi ces recommandations de bonnes pratiques, puis pourquoi des lois s'imposent aux professionnels de santé ou sont imposées à l'hôpital ? Pourquoi ces obligations concernant les droits des malades, le respect de leur dignité, la prise en charge de leur fin de vie ? Pourquoi ces préconisations touchant le prendre soin des patients souffrants, le rappel au respect de leur autonomie ? Pourquoi réaffirmer qu’il est nécessaire de dispenser des soins respectant des critères de qualité en toute sécurité ? Pourquoi cette obligation faite enfin concernant la promotion de la bientraitance et la prévention de la maltraitance ? Est-ce parce que les malades doivent avoir des droits particuliers ? Les soignants ne respectent-ils pas la dignité des patients ? N'accompagnent-ils pas, peu ou mal les personnes en fin de vie ? La douleur des malades n'interpelle-t-elle pas ? L'autonomie reste-t-elle un concept flou, incompris des praticiens dont la mission est de la comprendre fondamentalement dans la clinique au quotidien et de la respecter ?

Est-ce que l'hôpital, lieu d'hospitalité, lieu où sont réunis les plus vulnérables, les plus fragiles, les plus démunis est resté, est ou serait devenu un lieu où la bienveillance, la finalité même du soin, le premier art de la vie, l'essence même de l'éthique, n'auraient jamais existé ou seraient aujourd'hui occultés ?

Est-ce que le bien à l'hôpital serait en danger ? Est-ce que le mal roderait au cœur même des unités de soins ? Est-ce que comme l'écrit et le dénonce Jean-François Mattéi27 une barbarie intérieure, insidieuse, menace ? Pourquoi si le verbe maltraiter existe depuis longtemps dans les dictionnaires, a-t-on depuis si peu de temps inventer ces nouveaux termes qui deviennent des concepts émergents, des néologismes, comme bientraitance ? Sans doute est-ce qu’à l'hôpital le fait de traiter, de dispenser des traitements, de prodiguer des soins, de prendre soin, ne       

27 Jean-François Mattéi, La barbarie intérieure, Essais sur l’immonde moderne, Paris, Presses

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peut se comprendre que comme bien soigner ? Peut-être avons-nous pris enfin conscience que nos façons de dire, de concevoir, d’agir, d’ouvrir notre relation à l'autre nous questionnaient nous-mêmes sur notre propre humanité, notre partie d'humanité d'humain, notre partie d'humanité de soignant.

Enfin, quels moyens sont offerts aux professionnels de santé dans un contexte aussi contraint ? Quelle gestion humaine des ressources est proposée, quelles compétences sont mobilisées et sollicitées ? Quels processus et quelles concertations sont activés dans l’analyse des pratiques au service des missions premières des soignants ? Quels sentiments d’appartenance les animent-ils ? Quelle axiologie sous-tend toutes ces organisations hospitalières ? Peut-on encore parler de valeurs communes qui animent le cœur de tous les métiers de la santé ? Quelle responsabilité laisse-t-on assumer aux acteurs dans cet exercice si singulier touchant les plus faibles, les plus fragiles, les plus démunis ? Ludwig Wittgenstein écrivait : « Il est impossible de parler d’éthique. » Serait-il alors de plus en plus difficile outre d’en parler, d’agir de façon éthique à l’hôpital ? Peut-on accepter cette aporie ? Doit-on changer notre manière de considérer les choses ? Doit-on appréhender un autre mode de pensée ? En quoi l’analyse phénoménologique et anthropologique peut-elle contribuer au développement de la réflexion éthique du soin ? Doit-on et peut-on dès lors changer de paradigme ?

L’éthique hospitalière et du soin peine à se développer. En quoi le paradigme épistémologique et sociologique à l’hôpital influence-t-il le développement de la réflexion éthique du soin ? La finalité compte tenu des enjeux fondamentaux qui touchent au plus près des résultats attendus en matière de santé, aux droits et à la dignité des personnes soignées en institution, n’est-il plus de s’en tenir aux constats mais de les dépasser ?

Le but de l’étude a pour objectif de répondre à des interrogations cliniques récurrentes en situation de soins ou dans les processus empiriques qui les déterminent, d’apporter une lecture critique des phénomènes et des facteurs qui freinent le développement de la réflexion éthique, de mieux appréhender ces réticences. Il restera à comprendre et à proposer des solutions à ces

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problématiques démocratiques qui restent préoccupantes, non seulement pour toutes les personnes qui prodiguent des soins, mais également pour tous ceux qui s’y intéressent en tant que citoyens. 

La relation à l’Autre, cet autre nous même, nécessite de l’attention, dans une rencontre authentique. Il nous faut aller au devant de la souffrance même lorsqu’elle est indicible. Il nous faut aider et ne pas blesser.

Des suppositions aux compréhensions

Au delà de leurs missions et de leurs compétences, les soignants sont comme convoqués par cette injonction morale. Mais, malgré les lois, les recommandations et les démarches déjà mises en place, une véritable réflexion concernant l’éthique du soin, ayant comme finalité une amélioration des pratiques, peine à émerger et à se développer dans l’établissement de santé observé. Des freins et des entraves subsistent et s’opposent non seulement à la réflexion mais surtout aux actions destinées à permettre le développement de l’amélioration des bonnes pratiques en ce domaine.

Je tenterai de montrer que les causes de ces résistances sont multiples et plurifactorielles. Certaines sont d’ordre général, culturel et sociétal, d’autres plus directement en rapport avec le contexte systémique et contingent de l’hôpital considéré, où les pratiques soignantes paraissent désormais avant tout dictées par la rationalité et la norme, dans un objectif à peine dissimulé de rentabilité et de performance qualifiée plus pudiquement par le terme angliciste d’efficience. Notre hypothèse est que l’éthique hospitalière et du soin n’est pas innée chez tous les acteurs et que les méthodes et les actions proposées, ayant comme finalité de la développer, doivent être discutées dans un contexte socio économique en pleine mouvance et d’instabilité systémique. 

Il faut soit s’obstiner à mettre en place des méthodes recommandées aujourd’hui par plusieurs auteurs selon certaines théories dans des champs différents, soit penser un nouveau paradigme. Notre thèse suppose d’appréhender un paradigme qui met l’accent sur l’aspect rationnel et scientifique, mais surtout prendre en compte une réalité multiple, plurielle, à la fois objective et subjective, soumise à

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une déterminante contextualisation. Cette approche systémique, holistique, épistémique doit tenir compte des valeurs et principes fondamentaux qui mettent l’accent sur le caractère profond de la nature humaine telle qu’elle est observée empiriquement et vécue dans sa profonde complexité.

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PARTIE II

Des poupées russes…

« Il est plus nécessaire d’étudier les hommes que les livres. »

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Evolutivité de la pensée « bioéthique » en France

Cette partie traitant de l’évolutivité de la pensée « bioéthique » en lien avec notre recherche n’est pas exhaustive. Elle nous permet simplement de mieux appréhender et de comprendre certains aspects phénoménologiques, dans la succession de processus et l’abord de concepts. Cette étude va ainsi les confronter à l’historicité et l’évolutivité de ce cadre théorique notamment au regard de certains textes de références étroitement en lien avec ce qui fonde l’acte soignant. Ce regard croisé avec le choix de ce socle conceptuel et théorique permettra sans doute de mesurer en conscience l’importance de la démarche de réflexion éthique dans le contexte sociologique du site étudié, au sein d’un continuum d’espace temps et dans une temporalité.

Depuis maintenant plus de deux décennies, une succession de réformes hospitalières ayant comme objectifs de réduire le déficit impossible à juguler des dépenses de santé, a remodelé le paysage hospitalier. De nouvelles formes de gouvernance se sont imposées nécessitant adaptation, optimisation de gestion, régulations majeures, rationalisation et performance. Ces réformes, dont l’objectif premier affiché semble louable en tentant de pérenniser un système de santé toujours fragilisé, ont aussi accentué de façon collatérale et dommageable une précarité objectivant des inégalités sociales dans l’accès aux soins et l’émergence de nouvelles pratiques à même de générer de nouveaux enjeux éthiques.

Après l'accumulation de recommandations, de règles, de procédures, de codes et de chartes concernant les patients hospitalisés, ces dernières années ont vu naître des textes de références en faveur de la protection et des droits des malades. Aujourd'hui, le respect de la dignité de la personne hospitalisée n'apparaît plus uniquement comme une valeur recherchée et devant être défendue par les soignants, mais s’impose à eux dans le cadre de la loi. Concomitamment la judiciarisation semble devoir être le nouvel et futur grand épouvantail de l'hôpital. C'est oublier que ces lois ont pour vocation d'estomper aujourd’hui un paternalisme jugé condescendant et la dissymétrie qui existait entre « celui qui sait

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et celui qui souffre28 ». C'est oublier que ces lois, qui semblent donner de nouveaux droits aux malades, ne font que rappeler en finalité les droits de tout citoyen.

Beaucoup parlent de la responsabilisation des médecins, des soignants. C'est oublier que la responsabilité même des malades est exacerbée par ces textes. Accepter un refus de soins, faire participer pleinement le patient aux choix thérapeutiques qui le concernent, fait partie du respect de l'autonomie de ce dernier. Mais, le risque est grand que la responsabilité des médecins s'en voit diminuée, puisque partagée au profit d'une médecine contractualisée. C’est déjà, alors que la loi assure une grande part à l’oralité, que l’on voit de plus en plus naître dans les hôpitaux des fiches standardisées dites d’information et de consentement. Les médecins, s'inspirant bien maladroitement de la loi Huriet29, font ainsi signer aux malades, quand ils ne le délèguent à des soignants, pour ce qui est des actes médicaux diagnostiques ou thérapeutiques dits invasifs, des fiches d'information et de consentement. Il est d’ailleurs regrettable que le consentement des patients ne leur soit finalement demandé que pour des actes mettant directement en jeu la responsabilité des seuls médecins. Le consentement aux soins, c'est-à-dire pour chaque soin, doit être priorisé et recherché par les soignants, demeurer une préoccupation de tous les instants et ne pas concerner que la communauté médicale. Le consentement ne pouvant être assujetti qu’à de possibles choix, eux mêmes corollaires d’une information loyalement assumée concomitamment. Force est de reconnaître qu’opposer cette judiciarisation qui effraie, ne relève le plus souvent que d’une crainte de la part des médecins et des administrations qui en viennent à formaliser des outils dans leurs intérêts propres. Nous verrons qu’une majorité de professionnels de santé ignore le contenu de ces lois, voire même leur existence pour certaines, ce qui ne va pas sans poser problème. Ce qui interpelle le plus les professionnels touche avant tout aux       

28 Alain Cordier, op.cit.

29 Loi Huriet-Sérusclat n°88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes se

prêtant à la recherche biomédicale, modifiée par les lois n°90-86 du 23 janvier 1990, n°91-73 du 18 janvier 1991 et n°94-630 du 25 juillet 1994 modifiant le livre II bis du code de la santé publique relatif à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales et l’ordonnance du n° 2000-548 du 15 juin 2000.

Seule cette loi qui se rapporte à la recherche biomédicale impose aux personnes qui acceptent de participer à une recherche, de signer une fiche de consentement éclairé.

La loi du 4 mars 2002 qui oblige à l’information du patient ne préconise à aucun moment la signature d’un document écrit.

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questionnements et dilemmes éthiques rencontrés au sein des unités de soins. Comment mener dès lors une démarche de réflexion éthique en occultant ces repères juridiques ? Comment respecter ces préalables encadrant la pratique soignante, si par ailleurs les fondements de ces lois, constituant un cadre de références, sont méconnus dans la pratique quotidienne ?

« Muss es sein ? Es muss sein !30 »

Des dates marquent l’histoire dont certaines, 1776 aux Etats-Unis et 1789 en France, caractérisent l’émergence de droits universels dans l’apparition de nouveaux textes fondateurs relatifs au respect d’autrui et plus particulièrement la dignité de l’homme. Le bilan de l’horreur consécutive aux exactions pratiquées pendant la seconde guerre mondiale a eu comme corollaire de renforcer les convictions des dirigeants politiques concernant la protection des personnes contre les oppressions, les tyrannies et les atrocités commises par des hommes à l’encontre d’autres hommes.

Le procès de Nuremberg a été intenté contre les principaux responsables du Troisième Reich nazi, accusés de complot, de crime contre la paix, crime de guerre et crime contre l'humanité. Il s’est tenu à Nuremberg du vingt novembre 1945 au premier octobre 1946, sous la compétence et les pouvoirs d’un tribunal militaire américain. Bruno Halioua31 appréhende dans son livre la dimension éthique réinterrogeant de nouveau les consciences, l’inavouable, l’indicible. « Le procès des médecins allemands fut précédé de celui des dignitaires nazis. Le monde entier est encore sous le choc de l'ampleur et de la gravité des crimes perpétrés par les nazis, et continue de prendre conscience de l'horreur de la Shoah. L'accusation met en évidence la dimension particulièrement atroce des expérimentations médicales réalisées sur des êtres humains dans les camps de concentration. Ce qui joue dans ce procès dépasse largement les actions criminelles de quelques médecins dévoyés. Il s'agit du fondement même du       

30 Ludwig von Beethoven, phrase écrite sur la partition originale de son quatuor pour cordes n° 16.

Muss es sein ? Es muss sein ! Est ce que cela doit être ? Cela doit être !

31 Bruno Halioua, Le Procès des médecins de Nuremberg, Irruption de l’éthique médicale

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nazisme et de sa prétention à ériger un autre code de comportement que celui que les hommes ont finalement privilégié, au moins à titre d'horizon souhaitable, dans nos sociétés de liberté et de démocratie. Les questions d'ordre éthique soulevées par les experts médicaux de l'accusation et les réponses qu'ils ont apportées aux arguments des accusés et de leurs avocats constituent une réflexion qui est à l'origine du Code de Nuremberg32. Elle sera poursuivie et approfondie un an plus tard dans la Déclaration universelle des droits de l'homme33 puis par la suite dans la Déclaration d'Helsinki34 qui énonce les « Principes éthiques applicables aux recherches médicales sur des sujets humains ». Le Code de Nuremberg, dont la portée historique est fondamentale sur le plan juridique et médical, définit la légitimité des expériences médicales et le statut des personnes participant à une expérimentation. Il annonce ainsi la naissance de la bioéthique moderne.35 »

Initialement formulée en 1964 par l'Association Médicale Mondiale, la déclaration d’Helsinki, plusieurs fois révisée, énonce notamment les principes fondamentaux de la recherche biomédicale portant sur des sujets humains. Presque paradoxalement, l’essentiel semble être comme redécouvert : « Dans la recherche médicale, le devoir du médecin est de protéger la vie, la santé, la dignité et l'intimité de la personne. »

Le nazisme est mort, mais pas la volonté totalitaire de certains. Même si les principes fondamentaux sont énoncés pour respecter les concepts moraux, éthiques et juridiques par le Code de Nuremberg, la vigilance et la résistance doivent demeurer des préoccupations de chaque instant dans les esprits de tous. Il existera toujours des hommes pour juger qu’il existe des vies ne valant pas la peine d’être vécues. Seul le souci de l’autre, l’inquiétude morale, la capacité de s’indigner, l’insoumission comme libre transgression ou comme ingérence éthique, pourront empêcher cette injonction d’assujettissement, de soumission, de domination de quelques uns à l’encontre des autres.

      

32 Le code de Nuremberg du 19 août 1947, suite aux expériences humaines en Allemagne pendant

la deuxième guerre mondiale.

33 La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée par l’assemblée générale des

Nations Unies le 10 décembre 1948 à Paris.

34 La déclaration d’Helsinki est un document officiel de l’Association Médicale Mondiale. Elle fut

adoptée en 1964 à Helsinki et fût révisée plusieurs fois lors d’assemblées générales. Dernière révision en octobre 2008 à Séoul.

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Les droits de l’homme sont inséparables de la dimension éthique qui les fonde. C’est en 1945 que la Charte des Nations Unies vient réaffirmer la dignité de la personne humaine et les droits de l’homme. En 1948 l’assemblée générale des Nations Unies adoptera à Paris : La déclaration universelle des droits de l’homme36. Dans son préambule, les droits de l’homme sont caractérisés comme droits fondamentaux, comme étant « la plus haute aspiration de l’homme ». La dignité et la valeur humaine y prennent toute leur dimension chez des êtres humains égaux en dignité et en droits, « doués de raison et de conscience qui doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

La Constitution française du 4 octobre 195837 est le texte fondateur de la Vème République. Elle organise les pouvoirs publics, définit leurs rôles et leurs relations. Norme suprême du système juridique français, elle sera modifiée à vingt quatre reprises. Son préambule renvoie directement à un texte fondamental : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Paradoxalement, alors que la plupart des constitutions des états membres de l’Union Européenne contiennent un chapitre spécifique stipulant l’inviolabilité de la dignité humaine, seule la Constitution Française, qui pourtant réaffirme un élan démocratique lors de sa modification en 2008, ne fait pas référence à cette dignité alors que la France est historiquement le pays des droits de l’homme, des droits universels, depuis le siècle des lumières. Un amendement à la Constitution a été proposé pour tenter de corriger cette lacune, ce « manque » proposé était : « La dignité humaine, valeur universelle due à tout être humain du fait même de son existence d’humain38.» Cet amendement proposé n’a toutefois pas été retenu par le législateur.

De toute part nous entendons parler des droits de l’homme. Les soignants n’y font pourtant pas souvent référence. Pour certains interrogés notre étude, la ville de Nuremberg évoque peu de choses pour certains. La plupart ne savent guère ce que peut être écrit dans la Constitution Française. Pour beaucoup les droits de       

36 Odile Paycheng, Stéphane Szerman, A la rencontre de l’éthique, Guide pratique des textes de

référence, Paris, Editions heures de France, novembre 2006.

37 La Constitution française. Dernière modification : loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet

2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

38 M. Debray, amendement n°3 (retiré avant séance), loi de modernisation des Institutions de la

Vème République française. Présenté le 19 juin 2009 et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles de la législation et de l’administration de la République française.

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l’homme ne s’intéressent qu’à l’égalité des droits entre les citoyens. Pourtant, que ce soit dans l’essai de résolution de dilemme éthiques comme l’ensemble des problématiques inhérentes aux pratiques soignantes quotidiennes, les textes fondamentaux que nous venons d’évoquer devraient impacter dans leurs fondements mêmes la relation duelle particulière entre personnes, entre soignant et soigné, dans tout colloque singulier, au sein d’un système dit de démocratie sanitaire.

Quand les lois ne suffisent pas

La loi Huriet-Sérusclat39 a mis fin au vide juridique qui existait auparavant, dans notre pays, dans le domaine de la recherche scientifique dite biomédicale sur l’humain. Elle a institué une protection obligatoire des sujets qui se prêtent à des études ou des protocoles de recherche clinique avec notamment, un devoir d’information écrit vis-à-vis de ces personnes, la nécessité de recueillir leur consentement écrit et l’obligation de couvrir les risques liés à la recherche par un contrat d’assurance spécifique. Cette loi ne s’intéresse qu’à la recherche biomédicale. Il faudra attendre 2002 pour qu’enfin les questions concernant le respect de la dignité des personnes, leur information, leur consentement aux soins et leur autonomie voient le jour dans la loi du 4 mars 200240.

La loi du 4 mars 2002 fait suite aux états généraux de la santé qui se sont déroulés en 1999, après une longue réflexion qui a duré plus de huit mois. Confiance, responsabilité et transparence sont trois principes issus de l’exposé des motifs du projet de cette loi initiée par Bernard Kouchner. Cette loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dans sa partie démocratie sanitaire, qui s'intéresse aux droits de la personne et aux droits et responsabilité des usagers, précise dans l'article 5 du chapitre Ier du titre II que : « Les établissements de santé mènent en leur sein, une réflexion sur les questions éthiques posées par l'accueil et la prise en charge médicale. » Cet article a été rajouté in extremis avant le vote de la loi. Deux lignes lui sont consacrées dans une loi de plus de quarante pages. Cet       

39 Loi Huriet – Sérusclat, ibid.

40 Loi n° 2002- 303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de

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article apparait imparfait. Il ne précise ni qui doit mener cette réflexion, ni véritablement ce qu'on entend par questions éthiques. Il est restreint aux questions posées par l'accueil et la prise en charge médicale. En ce sens, il peut paraître réducteur et ne pas impliquer la responsabilité des différents acteurs du soin. Cet article a cependant le mérite d'exister. C'est aux professionnels de santé, sans doute au-delà des mots, dans l'esprit du législateur, à en rechercher le sens et à déterminer les actions à mettre en œuvre qui en résultent. Pour ceux qui sont convaincus du bien fondé de l'importance d'une exigence éthique à l'hôpital, cet article permet d'interpeller, d'impliquer les dirigeants et décideurs des institutions et autres instances de santé.

Cette loi remarquable par son ampleur, a pour objectif de réguler les relations des professionnels des établissements de santé auprès des personnes soignées. Dominique Thouvenin, juriste, souligne « qu’il s’agit d’un corpus de règles extrêmement important aussi bien au regard de leur dimension symbolique que de leur portée pratique. En effet, non seulement elles signent le passage d’un modèle ancien à un modèle nouveau, mais en outre elles opèrent une unification dans la mesure où ces règles s’appliquent aussi bien aux professionnels qu’aux établissements de santé, qu’ils soient privés ou publics41. » Le titre Ier traite de la solidarité envers les personnes handicapées. Le titre II traite de la démocratie sanitaire. Dans son article 5, il mentionne que : « Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Le titre III est relatif à la qualité du système de santé, à l’amélioration des compétences professionnelles, ainsi qu’à la formation continue alors que le titre IV s’intéresse à la réparation des conséquences des risques sanitaires, à la responsabilité médicale et à la solidarité nationale. Cette loi met en exergue le respect de la dignité des personnes jusqu'à la fin de leur vie, leurs droits de ne pas souffrir, l’obligation stricte faite aux soignants de les informer, d’obtenir leur consentement pour toute investigation, diagnostique ou thérapeutique. La loi impose le respect de la dignité et de l’autonomie des patients, et leur participation aux choix thérapeutiques qui les concernent. Le droit d’être soigné par des professionnels qui analysent et améliorent leur compétence y       

41 Dominique Thouvenin, “Pourquoi une loi relative aux droits des malades a-t-elle paru

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est réaffirmé. La qualité du système de santé dans son ensemble comme dans sa quotidienneté y est réinterrogé. L’expression des usagers, directement et par l’intermédiaire de leurs représentants y est favorisée par la création dans chaque institution de santé d’une commission ad hoc42.

Cette loi pourtant fondamentale, est méconnue de la majorité des acteurs de santé, notamment paramédicaux, même s’ils savent aujourd’hui que la recherche du consentement aux soins est une obligation. La recherche d’une personne de confiance est devenue habituelle, même si bien peu savent que cette recherche est une obligation législative. Le risque est grand aujourd’hui que cette loi qui s’intéresse directement aux droits des personnes soignées apparaisse comme surannée, obsolète, oubliée avant même d’être connue, effacée par d’autres textes s’intéressant non pas directement aux patients, mais à la nouvelle gouvernance hospitalière et au financement des établissements de santé.

La loi du 8 juillet 201143

, relative à la bioéthique, est issue des processus de

révision de la loi première de juillet 1994, déjà révisée en août 2004. Elle fait suite au rapport de Jean Leonetti44 paru en janvier 2010. Cette loi prévoyait jusqu’alors son réexamen global dans un délai de cinq ans à partir de son entrée en vigueur. Cette caractéristique peut paraître étrange. Son réexamen programmé a été jugé nécessaire du fait des avancées scientifiques extrêmement rapides concernant les thématiques la composant. Dans la première révision de la loi, en date du 6 août 2004, le volet éthique traité dans son titre I concerne plus particulièrement notre étude. Il y est fait référence pour l’essentiel à des dispositions consacrées d’une part au Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE)45 et aux Espaces de réflexion éthique et, d’autre part, à l’Agence de la biomédecine46. Dans son article       

42 Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQPC). 43 Loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011, relative à la bioéthique, parue au Journal Officiel le 8 juillet

2011.

44 Jean Leonetti, “Rapport d’information n° 2235, Révision des lois de bioéthique, Favoriser le

progrès médical, Respecter la dignité humaine”, Mission d’information, Paris, XIIIème législature, Assemblée Nationale, Paris, janvier 2010.

45 Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE). Le 23 février 1983, le Président de la

République François Mitterrand créa, par décret, le premier Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé. Sa vocation est de susciter une réflexion de la part de la société sur les avancées de la connaissance scientifique dans le domaine du vivant.

46 L’Agence de la Biomédecine est une Agence publique nationale de l’Etat créée par la loi de

bioéthique de 2004. Elle exerce ses missions dans les domaines du prélèvement et de la greffe d’organes, de tissus et de cellules, ainsi que dans les domaines de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines. L’Agence met tout en œuvre pour que chaque malade reçoive les soins dont il a besoin, dans le respect des règles de sécurité sanitaire, d’éthique et d’équité. Par son

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premier, l’objet est essentiellement de renforcer la reconnaissance législative et l’indépendance du CCNE et de le rattacher aux services généraux du Premier ministre, et donc de l’affranchir de la tutelle de fait de l’Inserm. Il a été question un temps d’élargir la composition du CCNE à des représentants de la société et associations d’usagers et de malades. L’idée a toutefois été abandonnée compte tenu du rôle du CCNE, de la création d’Espaces de réflexion éthique et de l’organisation de l’Agence de la biomédecine47.

Dans le titre I de la loi, l’article L.1426-6 mentionne : « Des espaces de réflexion éthique sont créés au niveau régional ou interrégional ; ils constituent, en lien avec des centres hospitalo-universitaires, des lieux de formation, de documentation, de rencontres et d’échanges interdisciplinaires sur les questions d’éthique dans le domaine de la santé. Ils font également fonction d’observatoires régionaux ou interrégionaux des pratiques au regard de l’éthique. Ces espaces participent à l’organisation de débats publics afin de promouvoir l’information et la consultation des citoyens sur les questions de bioéthique. » Le titre III traite du don et de l’utilisation des éléments et produits du corps humain et de fait, encadre d’une manière très stricte l’activité de prélèvements de tissus et de greffes d’organes. La loi a instauré le CCNE et l’Agence de la biomédecine. L’arrêté relatif au fonctionnement des espaces de réflexion éthique régionaux est paru le 28 janvier 2012, au journal officiel48. Les évolutions législatives portent avant tout sur l’approche et les propositions de résolution de questions éthiques générales touchant essentiellement à la recherche, aux innovations technologiques et à la reproduction.

Tout se passe comme si la réflexion éthique se trouvait désormais cantonnée à des groupes d’experts, de sages, traitant de l’analyse de questions ou de dilemmes avérés ou à venir. Tout se passe comme si c’était à la fois au CCNE et surtout à l’Agence de la biomédecine de statuer sur l’éthique ou du moins ce qu’il est convenu d’appeler, sans que ce concept soit totalement éclairci : la bioéthique ;        expertise, elle est l’autorité de référence sur les aspects médicaux scientifiques et éthiques relatifs à ces questions.

47 Loi relative à la bioéthique n° 2004-800 du 6 août 2004, Dictionnaire permanent, bulletin 140

bis, Bioéthique et biotechnologie, modifiée par la loi n° 2001-814 du 7 juillet 2011, parue au Journal Officiel le 8 juillet 2011.

48 Arrêté du 4 janvier 2012 relatif à la constitution, à la composition et au fonctionnement des

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bioéthique qui ne semble, ni conceptuellement, ni en pratique, assimilable à l’éthique du soin.

La loi du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, a été votée à l’unanimité moins une voix dans un contexte très particulier après la publication d’un rapport de Jean Leonetti49 concernant la fin de vie. Cette loi, qui peut apparaître comme le complément de la loi du 4 mars 2002, est votée alors que la question de l’euthanasie était réapparue dans le débat politique suite à « l’affaire Vincent Imbert ». Cette loi se veut pédagogique, tant en ce qui concerne les savoirs faire, les savoirs être, la collégialité transdisciplinaire des acteurs de santé fortement sollicités, qu’en ce qui touche le respect de la volonté du malade, son information, son consentement ou celui des proches. Elle réaffirme la liberté des citoyens à disposer d’eux-mêmes et de décider de leur avenir en fonction de leurs choix.

Jean Leonetti, initiateur de cette loi, a constaté qu’elle était mal connue50 et que, au delà des critiques qu’elle a pu susciter, elle mériterait avant tout d’être appliquée. Cette loi propose la procédure à suivre et le cheminement à emprunter pour choisir la moins mauvaise des solutions possibles. « La question de la fin de vie a longtemps été traitée en creux par le droit français51 ». Il aura fallu attendre plus de vingt cinq ans pour qu’une loi prenne en compte, dans ce cadre, le droit pour les malades, de refuser des traitements, d’accéder à des soins de confort, de ne jamais être abandonnés, de ne pas souffrir, et de voir leur autonomie et leur dignité respectées jusqu’à la fin de la vie. Cette loi met aussi l’accent sur l’importance de la promotion de l’enseignement pour rendre plus effectif la prise en charge humanisée des personnes nécessitant notamment des soins de continuité dits palliatifs52. Enfin, la loi réaffirme l’interdiction de l’euthanasie dans notre pays.

      

49 Rapport fait au nom de la mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie.

Rapporteur et président, Jean Leonetti, Paris, 30 juin 2004.

50 Le Conseil d’Etat, dans ses études sur la révision des lois de bioéthique, “Accompagner la fin de

vie”, Edition La Documentation Française, Paris, 2009, reprend ce constat et cite aussi notamment le rapport d’Alain Cordier, « Ethique et professions de santé » de mai 2003 et l’Avis n° 84 du CCNE, « La formation à l’éthique médicale » d’avril 2004.

51 Jean Leonetti, op. cit. p. 104.

52 Les études du Conseil d’Etat, op. cit. p.103.

Elles ont aussi fait état, suite à des auditions auxquelles l’auteur a participé, du constat suivant : « La grande sensibilité des personnes au déroulement de la fin de vie n’est pas liée uniquement à l’angoisse de la mort face à laquelle l’action publique est impuissante. Elle relève aussi des

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