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University of Namur
L'accueil au cœur de l'activité institutionnelle
RAVEZ, LAURENT; Robert, Patrick; D'Arcangelo, Tonino; Goethals, J.; Lebon, C.; Letellier,
M.
Published in:
Ethique et Sante
Publication date:
2020
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Citation for pulished version (HARVARD):
RAVEZ, LAURENT, Robert, P, D'Arcangelo, T, Goethals, J, Lebon, C & Letellier, M 2020, 'L'accueil au cœur de
l'activité institutionnelle', Ethique et Sante, VOL. 17, Numéro 1, p. 52-57.
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www.sciencedirect.com
ARTICLE
ORIGINAL
L’accueil
au
cœur
de
l’activité
institutionnelle
Reception:
at
the
heart
of
institutional
activity
L.
Ravez
a,∗,
P.
Robert
b,
T.
D’Archangelo
b,
J.
Goethals
b,
C.
Lebon
b,
M.
Letellier
baCentredebioéthiquedel’universitédeNamur,InstitutEsphin,Belgique
bServicesd’accueildejourpouradultesavechandicapmentaletservicesambulatoires,La
Galice,Belgique
Availableonline27février2020
MOTSCLÉS Éthique; Accueil; Admission; Hospitalité; Autonomie; Liberté; Institution; Don
Résumé Cetarticlerendcompteducheminementéthique accompliparuneéquipebelge d’accueil et d’accompagnement de personnes porteuses d’un handicap mental autour de la question de l’accueil. Au centre de la vie institutionnelle, l’accueil est souvent con-fonduavecl’admission.Pourtant,l’accueiln’ariend’uneprocédurequiseraitduressortde quelquespersonnesdésignéesspécifiquement,c’estunprocessusquisedéploietoutaulongde l’accompagnementetquiconcernel’ensembledupersonneldesinstitutions.Pouraccueillir, ilfautêtrecapabledelibérerdutempsetdel’espacepourquelaparoledel’autrepuisse selibérer,danslerespectdesesspécificitésetdesonautonomie.Unetelleapproches’avère toutàfaitenphaseavecla Conventiondesnationsuniesrelativeaux droitsdespersonnes handicapéesquipromeutnotammentl’autodéterminationdesbénéficiairesdenosservices. ©2020TheAuthor(s).PublishedbyElsevierMassonSAS.Thisisanopenaccessarticleunder theCCBY-NC-NDlicense(http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/).
KEYWORDS
Ethics; Welcome; Admission;
Summary Inthisarticle,wereportonanethicaljourneyaroundtheissueofreception expe-riencedby aBelgian team accompanying people witha mentaldisability. Atthecenter of institutionallife,receptionisoftenconfusedwithadmission.Butwelcomingisnota proce-durethatwouldbetheresponsibilityofsomepeoplespecificallydesignated,itisaprocess thatunfoldsthroughouttheaccompanimentandwhichconcernsallstaffoftheinstitutions.In ordertowelcome,onemustbeabletofreetimeandspacesothatthewordoftheothercanbe released,inrespectofitsspecificitiesanditsautonomy.Suchanapproachisverymuchinline ∗Auteurcorrespondant.Départementsciences,philosophies,sociétés,universitédeNamur,ruedeBruxelles,61,B5000Namur,Belgique.
E-mailaddress:laurent.ravez@unamur.be(L.Ravez). https://doi.org/10.1016/j.etiqe.2019.12.003
1765-4629/©2020L’Auteur(s).Publi´eparElsevierMassonSAS.Cetarticleestpubli´eenOpenAccesssouslicenceCCBY-NC-ND(http:// creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/).
L’accueilaucœurdel’activitéinstitutionnelle 53 Hospitality; Autonomy; Freedom; Institution; Gift
withtheUnitedNationsConventionontheRightsofPersonswithDisabilities,whichpromotes theself-determinationofthebeneficiariesofourservices.
©2020TheAuthor(s).PublishedbyElsevierMassonSAS.Thisisanopenaccessarticleunder theCCBY-NC-NDlicense(http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/).
Introduction
LaGalice1 estune institutionbelgetournée versl’accueil etl’accompagnementde personnesporteuses d’un handi-cap mental.Outre uneunité administrativecentrale, elle regroupedeuxservicesd’accueildejourpouradultesainsi que deux services d’accompagnement, le premier spéci-fiquementdédiéauxenfantsetauxadolescents,etlesecond auxadultes.
Entrejuin2015etfévrier2018,lesmembresducomitéde directionréunisauseinde«l’atelieréthique»accompagnés d’une personne-ressourceextérieure,ainsique de profes-sionnelsvenantdesdiversesentitésdel’associationsesont réunispériodiquementpourdiscuterd’unthèmequi appa-raissaitd’emblée essentielaux yeuxdechacun :l’accueil des bénéficiaires. Au fur et à mesure de la réflexion, la démarche d’accueil nous est progressivement apparue commelecœurmêmedenospratiques.Sansl’accueil,notre travail quotidienperdrait sonsens etsedéshumaniserait. Ainsi, notre discussiona moinsporté surlesmodalités de l’accueilquesurlesmotivationsprofondesdecelui-ci.
Durant toutes nos rencontres et réunions autour de l’accueil,ils’estbienagipournousde«fairedel’éthique», au sens où l’éthique peut se définir, dans un premier temps,commeuntravailderéflexioncritiqueàproposdes valeursenjeudansunesituationdonnée.Autrementdit,la démarcheéthiquequenousavonssuiviead’abordconsisté enun effortd’élucidation critiquede cequi setrame du côtédesvaleurslorsquel’onparled’accueil.Dansun sec-ondtemps,ennous appuyantsur notreréflexion critique, nousavonscherchéàsavoircequepourraitêtrelecontexte d’unaccueildequalitépournosbénéficiaires,eninsistant surl’importancedel’autonomieindividuelleetdelaparole propredubénéficiaire.
Ces deux temps de notre réflexion se retrouvent dans cet article. Ainsi, animés pour notre goût de la réflexiv-ité, nous nous interrogeronssurce qu’estl’accueilet sur lesvaleurs quise cachentderrière ce concept.Nous ver-ronsquel’accueilnevapasdesoi,mêmesihistoriquement les êtres humains ont toujours été appelés à s’accueillir les uns lesautres. Nousmettrons égalementen évidence quel’accueilpossèdeunrythmepropreetnousévoquerons lesconcepts connexesdedonetd’hospitalité.Surunplan pluspratique, nousmettrons l’accent surl’importancede l’ancrage institutionnel de toute réflexion sur l’accueil. C’est une institution qui accueille et c’est l’accueil qui faitl’institution.Dèslors,pourréussirledéfidel’accueil,
1https://www.guidesocial.be/lagalice-asbl/?page=2.
un balisage institutionnel solide est indispensable. Ainsi encadré,notreparcoursréflexifinsisteranotammentsurles différencesentrel’accueiletl’admission,surlesrisquesliés àl’accueiletsurlanécessaireinscriptiondecelui-cidans ladurée.
L’accueil
ne
va
pas
de
soi
Comme l’indique son étymologie (le verbe colligere qui désignel’action decueillir, recueillirauquelonadjoint le préfixeadquisignifievers,ajoutéà),leverbeaccueillirest associéà unedémarche volontariste.Accueillirne sefait passpontanément,ilfautallerversl’autre,celuioucelle quel’onaccueille[1],p.11-12 .
Nousle vivons quotidiennementdans notre institution, l’accueildemandebeaucoupdetravail,notammenten ter-mesdequalitédeprésence,dedisponibilitéetdecapacité à affronter l’inattendu, voire le non-souhaité. Il faut le souligner:accueillirnevapasdesoi.Celademandeparfois unefabuleuseénergie, notammentpour serendre pleine-mentdisponibleàlaparoledesbénéficiairesetécarterles jugements trop hâtifs oules représentations quiinhibent notrecapacitéd’écouteetdepensée.Cesdifficultéssont liéesàlastructuremêmeduphénomènedel’accueil.
L’accueil,historiquement,aétérendunécessaireparles déplacementsquelesêtreshumainsfontdepuistoujours[1]. L’accueilli,c’estavant toutl’étrangerquel’on estamené à accueillir, celui qui n’est pas d’ici, qui est différent de nous[2] ([3] Verspieren, 2006, [4] Montandon, 2004). À côté de la différence, il faut également pointer la fragilitédelapersonneaccueillie.Enaccueillantcelle-ci, onla met à l’abri des dangers du mondeextérieur. Dans l’Antiquité,pouvoirêtreaccueilliparunhôtebienveillant étaitunecondition indispensable à lasurvie duvoyageur. Plustard,l’accueilinstitutionneldespersonneslesplus frag-ilesmotiveralacréationdeshôpitaux,lieuxparexcellence del’hospitalité[3].Ladifférenceetlafragilitédel’accueilli constituentainsilesmotivationsdel’accueil,maisenfont égalementunexerciceparticulièrementdifficile.
En tant que professionnels du secteur de l’accueil et del’accompagnementdespersonneshandicapéesmentales, nousportonsuneresponsabilitétrèslourdequantàceque nousmettonsenplacepouretaveclapersonneaccueillie, d’autantque celle-cine dispose pasnécessairement d’un vécupositifparrapportauxaccueilsquiluiontétéréservés aucoursdeson existence.Iln’est pasinutilederappeler quelesservicesd’accueiletd’accompagnementcommele nôtreontétécrééspouraccueillirdespersonnesquine pou-vaientpas l’être ailleurs.Peut-être pourrions-nousparler,
pourcertainsdenosbénéficiaires,d’unaccueilpour« sans-abris psychiques », c’est-à-dire, pour des personnes à la recherched’un lieupour s’abriter,seprotéger,maisaussi plusfondamentalementpoursurvivrepsychiquement?
L’accueil,
c’est
l’institution
Par ailleurs, il est clair qu’il n’y a probablement pas d’institutionsansunefonctiond’accueil.Peut-être pourrait-on même dire que : « L’accueil, c’est l’institution... ». L’institution préserve sa qualité d’institution tant que nos métiers persévèrent dans le maintien de la fonction d’accueil.C’estparcequenousréservons etfaisons place à l’accueil que nous pouvons espérer aller plus loin dans l’exercicedenosmétiersd’éducateursetdesoignants.Pour mieuxcomprendrecela,onpourraitfaireappel,par analo-gie,àcequ’écriventFabienneBrugèreetGuillaumeLeBlanc àproposdel’hospitalitéàl’hôpital:«Maissil’hospitalité n’estriensansl’hôpital,ilrestequel’hôpitaln’estriennon plussans l’hospitalité»[5] .Par-là,ilfautentendreque c’estdanslegestemêmedel’accueildupatientvulnérable outout simplementensouffranceques’instituel’hôpital, mêmesisanslastructurehospitalière,cettehospitalité-là n’existeraitpas.
L’accueil n’est donc pas l’apanage de quelques héros du quotidien qui deviendraient en quelque sorte des professionnelsdel’accueil;ilpasseparuneréelle institu-tionnalisation.Pourréussircepariinstitutionnel,l’accueil doitdevenirl’affairedetous,àtoutmoment.ÀLaGalice, iln’yadoncpasde«spécialistes»del’accueilnimêmeun momentprécispouraccueillir;lapostured’accueilesten questiondefac¸onpermanente.C’estaunomdel’institution quenous accueillons, c’estdonccollectivement que nous devons chercher les moyens d’accueillir. Mais comment peut-ondoncinstituerl’accueil,pourreprendreune ques-tionque se pose notamment Alain Loute ? [6] Autrement dit,commentpeut-oninscrirel’accueildansl’espace-temps d’uneinstitution?
L’accueil,
ce
n’est
pas
l’admission
!
Danslesinstitutionscommelanôtre,lestermes«accueil» et«admission»sontparfoisutiliséscommedessynonymes pourdésignerleprotocoleàsuivreàl’arrivéed’unnouveau venu.Toutefois,enyregardantdeplus près,onvoitbien quel’accueilesttrèsdifférentdel’admission.
L’accueil n’a pas le côté administratif et ponctuel, évidemment indispensable, que peut avoir l’admission. Celle-ci se fait à un moment précis et a pour fonction principale d’inscrire le nouvel arrivant dans les registres del’institution. L’accueil, quant à lui, doitêtre envisagé commeunefonctionouunprocessusquines’arrêtepasà unlieuouàunmoment[7][8].
L’exemple suivant, recueilli lors d’un séminaire d’éthique institutionnelle, peut nous aider à compren-dre cette différence. Elisabeth est infirmière dans une unité de soins psychiatriques. Elle accueille Louisqui est orientéparsonmédecintraitantpouruntableau symptoma-tologiquedetypemaniaco-dépressif.Elisabethaccompagne Louisdans l’unité,ellelui indiquelesdifférents lieux qui
sont dédiés aux malades : le salon TV, l’ergothérapie, la salledeskinés,desinfirmiers,etc.Ellel’aideàs’installer danssachambreetàdéfairesavalise.Ensuite,l’infirmière retrouve ses collègues dans le bureau. Ceux-ci lui posent des questions relatives aux contacts à enregistrer sur la fiche d’admission, aux démarches à effectuer auprès de la mutuelle dont dépend Louis, aux médicaments dont il dispose, etc. Elisabeth ressent l’impression coupable de n’avoir pas fait ce que ses collègues attendaient d’elle. Pourtant,elleaégalementlesentimentd’avoirparticipéà un momentextrêmement important dans le processus de soin deLouis enlui ayant offert untemps d’accueil !On voitbieniciquel’onpeut«réussir»unaccueiletraterune admissionou,plussignificatifencore,réussiruneadmission etraterl’accueildelapersonne.
ÀLaGalice,l’arrivéed’unnouveauvenuestponctuéepar deuxmomentsspécifiques:lapréadmissionetl’admission. La préadmission est l’organisation et la formalisation d’uneréponseàunedemanded’intégrationdansles struc-turesdeLaGalice.Ellecorrespondàcequel’onappellela «prévisite »àlaCliniquedeLaBorde:«lefuturentrant estinvitéàvisiterlacliniqueavecdes‘‘poissons-pilotes’’: despensionnairesqui,toutenluifaisantvisiterleslieux, l’informentdelavie,tellequ’euxlavivent,àlaclinique. Donc,toutessortesd’informationsquisontdudomainedes hospitaliséssontainsidonnéesauvisiteur,qu’ilsoit,ilest intéressant de lesignaler, futurpensionnaire, famillede pensionnaire,stagiaireouvisiteurd’unjoursansstatutde malade. Des interrelations se tissent qui ne sont pas de l’ordredel’administratif.»[8].
L’admission correspond, quant à elle, à la mise en place d’un protocole administratif pour intégrer le nou-veauvenudansl’institutionpourunepériodedéterminée. Si l’admissionconstitue unmomentimportant, voire cap-ital pour la suitede la prise encharge dunouveau venu, ellen’effacecependantpaslanécessitéd’unedisponibilité etd’une qualitédeprésencequisontaufondementd’une initiatived’accueil.
Accueillir,c’estaccepterdefaire delaplaceà l’autre en lui donnant la parole et en lui permettant d’être ce qu’ilest,sans précipitationnijugementhâtif.Encesens, l’accueil sesitue davantage dans la sphère de l’être que du faire. L’accueil correspond à une attitude, à une pos-ture, pas à une liste de choses à faire. Pour accueillir, il ne s’agit donc pas de mettre en avant nos savoirs et nos techniques ou la bonne réputation de notre service, maisaucontrairedesemettreenretraitpourlaisser àla personneaccueillie l’espace etle tempsnécessaires pour raconter sonhistoireeténoncer lademandedont elleest porteuse.
Ilfautbieninsistersurcedernierpointquiesttoutàfait enphaseavecl’undes pointsessentielsde laConvention des nationsuniesrelativeaux droitsdespersonnes handi-capées.Eneffet,onyretrouveuneinsistanceparticulière sur«l’importancepourlespersonneshandicapéesdeleur autonomieetdeleurindépendanceindividuelles,ycompris lalibertédefaireleurspropreschoix»(préambule),ainsi que sur la participationaux processusde décision quiles concernent.Or,c’estbiendecelaqu’ilestquestionlorsque nousparlonsd’accueil:libérerdutempsetdel’espacepour quelaparoledenosbénéficiairespuisseêtreentendue,en insistantsurl’importancedel’autonomiedeceux-ci.
L’accueilaucœurdel’activitéinstitutionnelle 55
Les
trois
temps
du
processus
d’accueil
Onnepeutévidemmentpasenresterlàdansla compréhen-siondecequ’estl’accueil.Pourallerplusloin,onpourraitse laisserguiderparPierreGouirandquidistinguetroistemps dansleprocessusd’accueil.
Lepremiertempsestceluidelareconnaissance:«Celui qui rec¸oit, doit avant tout, reconnaître celui qui arrive comme pouvant ou devant être oune pas être accueilli. Sansreconnaissance,iln’ypasd’accueil.»[1],p.60.C’est aveccettephasedel’accueilqueceluiquidoitêtreaccueilli passedustatutd’étranger,voired’ennemiàceluid’hôte. Ilyadans cepremiertempsquelque chosedel’ordre de l’urgence.Nousavonstousunimmensebesoind’être recon-nus par les autreset ce besoin augmenteen fonction de l’étrangeté des lieux que nous avons àexplorer. Le mou-vementinversedelareconnaissanceestl’ignorance,voire le rejet. La reconnaissance dont il est question implique le respectparl’accueillant de l’altérité del’accueilli. En reconnaissantl’autre,onle reconnaîttelqu’il/elle estet nonpastelquel’onvoudraitqu’il/ellesoit.
Accueillirnosbénéficiaires,c’estd’abordlesreconnaître dans ce qu’ils sont en propre. Les professionnels de ser-vicesd’accueildejouretd’accompagnementdoiventdonc accepter de se dégager de leurs certitudes et de leurs routines,en créantdans leuresprit unespace désencom-bré et ouvert, ce qui peut parfois être particulièrement insécurisant.Oncomprendicitoutl’intérêtd’untravailen équipelorsdelaconfrontationàl’insupportabled’une his-toire,d’unévénement,d’untraumatismeoud’undestin.
Le deuxième temps de l’accueil est incarné par l’hospitalité.Onpeutdoncconsidérerquel’accueilestun mouvementplus large que l’hospitalité. Une fois reconnu comme un hôte possible, l’accueilli peut alors se voir offrir l’hospitalité. Dans la Grèce et la Rome antiques, l’hospitalité privée était soumise à des règles précises. « (...) ondevait au visiteur lelogis et la nourriture. On l’invitait à la tablefamiliale lepremier jour. Ensuite on luienvoyaitdesprovisions.Lorsdesondépart,onlui fai-sait des cadeaux et si, par malheur, il décédait pendant son séjour, on devait pourvoir à sa sépulture, car on ne pouvait laisser une âme errer sans repos » [1], p. 84). L’hospitalitéestégalementtrès présentedanslatradition judéo-chrétienne et on trouve de nombreux passages de l’Ancien etdu Nouveau Testaments l’évoquant. Le Coran n’y fait pas allusion directement, mais considère comme essentiellelacharitéàl’égardduvoyageuretdel’étranger ([9]Gotman,2001,p.17—18).L’hospitalitéestalors envis-agéecommeundevoirsacré:enaccueillantl’étranger,c’est Dieului-mêmequel’onaccueille.Parailleurs,levoyageur accueilliévoqueégalementmétaphoriquementlacondition humaine : les êtres humains ne sont que des voyageurs sur terre et leur séjour sera de courte durée, avant de rejoindreleurcréateuraprèsleurmort.Maisparallèlement, l’hospitalitéestaussil’expressiond’uneformede réciproc-ité,cardansl’AncienTestament,lesJuifssonteux-mêmes considéréscommedesétrangers dansleurexilenÉgypte. Nous devons accueillir le pauvre, l’affamé ou le malade, parcequenouspouvons,nousaussi,êtreunjourpauvres, maladesouaffamés.Accueillirneconsistepasainsiàagir «gratuitement»pour le bénéficedel’autre endétresse, maisplutôtàfairesociété,àserendresolidaire,d’unêtre
humain en difficulté, comme je l’ai été et le serai moi-même.
Encesens,l’hospitalité entretientdes rapportsétroits avec le don. Pour qu’il y ait don —– et non pas simple échange,troc outransaction—–,ilfautavant tout qu’ily aitune recherche deréciprocité. On nedonnepas gratu-itement,maispourcréerunlienavecl’autre.Parailleurs, pourquel’on puisseparlerdedon,ilfautqu’ilyaitdela partdeceluiquidonnedelaspontanéité,delaliberté,de l’imprévisibilité[10].
Progressivement,l’hospitalitévasedéplacerdelasphère privée à la sphère publique. D’ailleurs, on pense que le mot « hospitalité » serait apparu en 1206 forgé sur la racinelatinehospitalitasetdésignant «(...)l’hébergement gratuitetl’attitudecharitable quicorrespondàl’accueil des indigents, des voyageurs dans les couvents, les hos-piceset hôpitaux »[9],p. 13. Petità petit,le champde l’hospitalitéfamiliale,quis’étendaitinitialementàtousles visiteurs,vaseréduireauxprochesetauxamis.Une hospi-talitépubliquevaalorssedévelopper,d’unepart,pourles étrangersaccueillisdansdesaubergespayanteset,d’autre part,pourlesindigentsquiserontaccueillisdansdes insti-tutionscharitablescommeleshôpitauxetleshospices[9], p.20—23.
Après la reconnaissance et l’hospitalité, le troisième tempsdel’accueilmisenévidenceparGouirandestceluidu maternage.Cetermen’estsansdoutepasleplusadéquat, maisildésignetoutsimplementl’offredeservicesproposés parl’accueillant àl’accueilli.«Lematernagedel’accueil estlavolontédeveilleràcequeceluiquiestaccueilliait cedontila besoin:cepeutêtreuntoit,unrepasouun motaimable, cequi biensouventest leplusimportant»
[1],p.99.L’offredeservicesdoitévidemmenttenircompte del’altéritédel’accueillipourquicesservicespeuventêtre inappropriésounepascorrespondreàsesbesoins.Laboucle est bouclée etnous retournonsvers le premier tempsde l’accueil:lareconnaissance.
Onpeutillustrercepointenfaisantappelautémoignage d’unancienbénéficiairedesservicesdeLaGalice:« Peut-êtreque¸ac peutaiderunprofessionneldesavoircequis’est passéàmanaissance. (...)Qu’est-cequec¸avousapporte desavoirquejesuisnéàsixmois?Oui,peut-êtreque¸ac vousapporte,jen’ensaisrien,mais¸ac m’intéresseplusque l’onmedemande:Commentpuis-jet’aideraujourd’hui? Dequoias-tubesoin?Dois-jetelaissertedébrouillertout seul?Oui,c’est unesatisfactionaussidefaire leschoses parmoi-même...Cedontjesuiscapablebienévidemment, maissij’acceptaistoutel’aide,jeseraisunpantin,jene seraisplusmoi-même».L’offredeservicesn’adesensquesi lebénéficiaireestreconnudanssesspécificitésetlerespect desonautonomieindividuelle.
L’accueil,
c’est
parfois
risqué
Accueillir, c’est parfois prendre un risque, comme celui de laisser émerger de l’inaudible, de l’imprévu ou de l’impensable.N’est-cepasune desconditionsessentielles à un bon accueil institutionnel d’être prêt à enten-dre l’énonciation d’une demande, d’un besoin ou d’une préoccupation qui sortirait de notre cadre organisation-nelquotidienouencoredenostechniquesprofessionnelles
maîtrisées?Ilnes’agitpasicid’êtreforcédedevoir répon-dreimmédiatementetpositivementàlasollicitation,mais denepasesquiverourejetersonexistence ouson émer-gence.
À l’appui de cette réflexion, on pourrait donner l’exemplesuivant.Unbénéficiairevientdemanderdel’aide pourpassersonpermisdeconduire.Ils’avèrequele deman-deur est porteur d’une déficience intellectuelle et qu’il semble impensable pour son entourage (famille, réseau) qu’ilsoitunjourcapabled’obtenircepermis.L’équipede professionnelsencontactavecluiaégalementdesdoutes surlapossibilité demettreenœuvreceprojet. Comment allons-nousaccueillircettedemande?Allons-nousd’emblée la rejeter en répondant au bénéficiaire que ce n’est pas envisageable?Allons-nous l’esquiveren lanoyantdans la longue liste de nos interventionsà l’intention du bénéfi-ciaire,en comptantainsi surle tempspour faire tairela demande?Ouallons-nousoseraccueillircettedemandeet tenterd’enfaireinstitutionnellementquelquechose?
Ilnesuffirapasicid’invoquerl’unoul’autrearticlede laConventiondesnationsuniesrelativeauxdroitsdes per-sonnes handicapées. Un vrai travail de fond personnel et institutionnelseranécessaire.Unteltravailestrisqué,car l’ouvertureaux vulnérabilités des autres quiest au cœur duprocessusd’accueilpeutparfoisdepeserlourdementsur nospropresfragilités.Dans l’exemplecité,les accompag-nantspourraientêtretrèsembarrassésdedevoiraffronter lacraintedel’échecmanifestéeparl’entouragedu béné-ficiaire.Cette crainte pourrait parexemple leur rappeler leurspropreséchecsdontilsdevraientànouveausubirles effetspsychiquess’ilsencourageaientlademandedu béné-ficiaire.Lerisqueestgrandalorsdechercheràévacuerle plusrapidementpossible lemalaise ressentiau détriment d’unepostured’accueilquiferaitplaceàlademandeenlui accordantledroitd’êtreénoncéeettraitéeavecsoindans uneréflexioninstitutionnellecollective.
Un
accueil
dans
la
durée
Celaétant,ilestimportantdepréciserquel’attitude incon-ditionnelleetbienveillantepropreàunepostured’accueil n’exclutenrienlefaitdes’inquiéterdel’avenir.Combiende foisn’avons-nouspasaccueillidespersonnesqui,parleurs comportements déstructurés, ont mis à mal la possibilité degarentirlaqualitédel’accueilauquellesautresusagers avaientdroit.Cessituations souventtrèsdifficiles à vivre nousontappris, defac¸on onnepeutplus abrupte,la dif-ficultédemaintenirl’accueildel’unlorsqu’ilréduit,voire empêchel’accueildesautres.
Ilfautpouvoirserappelerici quel’accueilnedoitpas êtreconfondu avecl’admission.On peut offrir unaccueil dequalitéàunepersonneenl’orientantversd’autres ser-vicesque lenôtre,enestimanttoutsimplement quenous neseronspasadéquatsfaceauxbesoinsexprimés.L’accueil construitetstructuredansladuréeuneinstitution,ilnedoit paslaconduireauchaos.
Conclusion
Danscetarticle,nousavonsvoulurendrecomptedenotre cheminement réflexifautour dece qui constituele cœur
de notre travail quotidien dans nos centresde jour pour personnesporteusesd’unhandicapmental:l’accueil. Celui-ci,dontnousavonsmontrélesspécificitésparrapportaux procéduresclassiquesd’admission,nevapasdesoi.Ilest mêmesouventrisqué,carl’accueildel’autrepeut parfois nousconfronteràdel’inattendu,voiredel’impensable,en pesantsurnospropresfragilités.
Nousavonsdécritl’accueilcommeunedémarche volon-taristequiviseàlibérerdutempsetdel’espacepourque celui quel’on accueillepuisse êtrepleinement lui-même, dans le respect de son autonomie et de ses spécificités. Bien que répondant parfaitement aux besoins contempo-rains,lesfondementsdel’accueilnousrenvoientàunpassé trèslointain,àl’époqueoùlesêtreshumainsontcommencé à voyager.Tout au long del’histoire humaine, ilest alors apparu vital depouvoir être accueillipar nos semblables lorsquenousétionsloindecheznous.
Loin d’être une tâche parmi d’autres, l’accueil est au centre de l’activité institutionnelle. C’est l’affaire de chaqueintervenant,sans quel’onpuissele confinerà des momentsprécisdel’accompagnement.L’accueilestun pro-cessusquisedéploiedansletemps,pasuneprocédure.Plus précisément,inspirésparPierreGouirand,nousavonsdécrit un processus axé sur trois moments : la reconnaissance, l’hospitalité etle maternage.Dans un premiertemps,on reconnaît doncl’autre commedevant êtreaccueilli,dans lerespectdesesspécificités.Ensuite,viennentletempsde l’hospitalitéetceluidematernageoùl’on veilleàceque l’accueilliaitcedontilabesoin.Cestroistempsdel’accueil forment une boucle, car on ne peut offrir l’hospitalité à autruiquedanslerespectdesonpositionnementsingulier. Nousrefermonscetteréflexionaveclesentimentd’avoir pumontrerquecequisembleallerdesoiestparfois par-ticulièrementdifficileàmettreenœuvre.S’ilest évident quedans desinstitutionsd’accueiletd’accompagnement, l’accueilest central,encorefaut-il savoir cequ’accueillir signifieetaunomdequellesvaleursonlefait.
Remerciements
Noussouhaitonstoutescellesetceuxquinousontaidésdans cetravailderéflexionautourdel’accueilinstitutionnel,en particulierlespersonnessuivantes:NatachaLegrand, Marie-PierreLefebvre,Jean-ChristopheRobert,LaetitiaFersini.
Déclaration
de
liens
d’intérêts
Lesauteursdéclarentnepasavoirdeliensd’intérêts.
References
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