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Immunothérapies en cancérologie : de l'immunosurveillance à l'association aux chimiothérapies conventionnelles - La Lettre du Cancérologue, janvier 2016

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6 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXV - n° 1 - janvier 2016

DOSSIER

Avancées thérapeutiques et évolution des méthodologies en oncologie-hématologie

Immunothérapies en cancérologie :

de l’immunosurveillance à l’association

aux chimiothérapies conventionnelles

Immunotherapy in oncology: from immunosurveillance to combination with conventional chemotherapy

B. Royer1, C. Borg2

1 INSERM, UMR1098, Besançon ; laboratoire de pharmacologie, CHU de Besançon.

2 INSERM, UMR1098, Besançon ; université Bourgogne-Franche- Comté ; Établissement français du sang, service d’oncologie, CHU de Besançon.

F

in 2013, le prestigieux journal Science quali- fiait l’immunothérapie des cancers d’“avancée scientifique la plus significative en 2013” (1).

L’éditorial de ce journal faisait en particulier référence à une étude utilisant des anticorps CTLA-4 (Cytotoxic T-Lymphocyte-Antigen 4) et anti-PD-1 (Programmed Death 1), que nous évoquerons ultérieurement, et ajoutait que “cette année 2013 marque un tournant dans le traitement du cancer dans la mesure où les efforts menés de longue date pour libérer le système immunitaire contre le cancer sont enfin payants”.

Mise en évidence de la réponse immunitaire face aux cancers

Historiquement, la notion de contrôle des tumeurs grâce à l’immunité a été avancée dans les années 1950 par F.M. Burnet et L. Thomas après la décou- verte des antigènes de tumeurs (2). Ils postulèrent que les transformations cellulaires conduisant aux cancers doivent induire l’expression de nouveaux antigènes susceptibles d’être reconnus par le système immunitaire entraînant l’élimination des cellules. Malgré plusieurs tentatives pour démontrer que la répression du système immunitaire augmen- tait la fréquence des tumeurs spontanées ou chimio- induites, ce n’est qu’au milieu des années 1990 que les premières données en faveur de ces hypothèses

ont été publiées grâce, en particulier, aux souris RAG-γc. Chez ces souris complètement déficientes en lymphocytes Natural Killer (NK), T et B, on a observé qu’après injection d’un agent inducteur de sarcomes, les tumeurs se sont développées plus rapidement et plus fréquemment que chez leurs homologues immunocompétentes. De plus, elles développent plus souvent des tumeurs malignes spontanées. C’était la preuve attendue du concept de contrôle des tumeurs grâce à l’immunité.

La preuve du concept chez l’homme

Chez l’homme, ce sont les situations d’immuno- dépression acquise (prévention des rejets de greffes) ou primaire (infection par le VIH), chez des patients qui bénéficient d’un suivi particulièrement assidu, qui confirment cette théorie car on observe une augmentation de la fréquence des pathologies tumorales indépendantes d’une étiologie virale : mélanomes malins, sarcomes autres que Kaposi, tumeurs colorectales, pulmonaires, vésicales, rénales, endocrines, etc.

Enfin, le lien entre le pronostic favorable des patients et la présence de lymphocytes infiltrant les tumeurs (TIL) montre le rôle du système immunitaire dans la surveillance des tumeurs. C’est le cas, par exemple,

© La Lettre du Pharmacologue 2015;

29(2):42-7.

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La Lettre du Cancérologue • Vol. XXV - n° 1 - janvier 2016 | 7 des mélanomes, des cancers du sein, de la vessie,

du côlon, de la prostate, de l’ovaire, du rectum ou encore des neuroblastomes.

De l’immunoédition à l’échappement tumoral aux cellules immunitaires

G.P. Dunn, L.J. Old et R.D. Schreiber ont, de leur côté, décrit le phénomène d’immunoédition condui- sant au développement d’une tumeur (3). Selon eux, le processus tumoral se déroule en 3 étapes.

La première est appelée “élimination” et implique l’immunité innée et acquise. Pendant cette phase, les cellules de l’immunité innée (macrophages, NK) reconnaissent les cellules tumorales comme anor- males et les détruisent. Elles sécrètent également des cytokines (dont l’interféron γ [IFNγ], l’interleukine 12 [IL-12], les TNF [Tumor Necrosis Factor] qui recrutent et activent les cellules dendritiques (CD) qui elles- mêmes activent et présentent des antigènes tumo- raux aux cellules de l’immunité acquise (lymphocytes [LT] CD4, CD8). Ces dernières participent aussi à l’élimination des cellules tumorales anormales. La deuxième phase est une phase d’“équilibre” qui ne concerne que quelques variants tumoraux ayant échappé au processus d’élimination. Pendant cette phase, qui ne met en jeu que l’immunité acquise et qui peut durer plusieurs années, le système immuni- taire de l’organisme contient les cellules tumorales dans un état empêchant leur développement patho- logique. On suppose que c’est pendant cette phase qu’un processus de sélection darwinien peut conduire à l’émergence de clones ayant les capacités de se soustraire au système immunitaire. Dans ce cas, on entre dans la phase d’“échappement” pendant laquelle la tumeur se développe. Plusieurs méca- nismes peuvent expliquer cet échappement. Tout d’abord, au niveau tumoral, on peut observer une perte d’expression des antigènes tumoraux (émer- gence de clones cellulaires qui expriment moins certains antigènes impliqués dans le rejet lié au système immunitaire ou de récepteurs du complexe majeur d’histocompatibilité [CMH] de classe I qui les expriment) ou une diminution de la sensibilité

aux mécanismes de mort induite par le système immunitaire. On observe également une modifica- tion du microenvironnement tumoral en faveur d’un moindre contrôle de la surveillance immunitaire de la tumeur avec production de cytokines immu- nosuppressives par la tumeur (comme le facteur de croissance transformant β [TGFβ] ou l’indoléa- mine 2.3-dioxygénase [IDO]) et recrutement in situ de cellules immunosuppressives. Deux types cellu- laires semblent particulièrement impliqués dans ce processus. D’une part, les LT régulateurs (Treg) qui ont le potentiel d’inhiber l’activation des autres LT impliqués dans la réponse anti tumorale via la sécrétion de cytokines comme l’IL-10 ou le TGFβ, mais aussi en exprimant des molécules de costimu- lation inhibitrices comme CTLA-4, PD-1 et PD-L1 (le ligand de PD-1). D’autre part, il y a recrutement de cellules myéloïdes suppressives (Myeloid-Derived Suppressor Cells [MDSC]) qui, elles aussi, participent à la réduction de la réponse immunitaire contre la tumeur en induisant la différenciation de lympho- cytes Treg à partir de LT naïfs, en produisant du TGFβ ou en provoquant une perte de la reconnaissance immunologique.

L’immunothérapie ou les immunothérapies

L’immunothérapie est polymorphe, et il existe de nombreuses façons de tenter de restaurer la fonc- tion immunitaire antitumorale chez les patients déficitaires. On peut les classer en immunothéra- pies passives ou actives, et les différentes stratégies sont résumées dans la revue de L. Galluzzi et al. (4).

Nous allons nous focaliser sur certaines d’entre elles, mais on peut néanmoins citer pour rappel que l’ad- ministration d’anticorps monoclonaux ou encore de cytokines fait partie des immunothérapies, de même que le transfert adoptif de cellules immuno- compétentes. Dans ce cas, on prélève chez le patient soit des lymphocytes circulants, soit des TIL, on les sélectionne, les amplifie et les active avant de les réinjecter. Le meilleur exemple de ce type de trai- tement est celui des mélanomes. On peut remarquer que certaines équipes profitent de la fonctionnalité cytotoxique de certains LT pour les reprogrammer

» L’association de ces chimiothérapies aux immunothérapies pourrait permettre d’optimiser l’action du système immunitaire tout en conservant les effets thérapeutiques.

Highlights

»Immunosurveillance of cancers is now considered as one of the main factors of cancer development. When immune system is low, this facilitates the emergence of cancers.

»Immunotherapy acts as immune system activator.

»Use of anti-CTLA-4 and anti- PD-1 MAbs is promising.

»Some conventional chemo- therapy agents are also effi- cient via the modulation of the immune system.

»Combination of chemo- therapy and immunotherapy may potentiate their effects on immune system while keeping the conventional effect of the chemotherapy.

Keywords Cancer

Immunosurveillance Immunotherapy Chemotherapy Combination

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Immunothérapies en cancérologie :

de l’immunosurveillance à l’association aux chimiothérapies conventionnelles

DOSSIER

Avancées thérapeutiques et évolution des méthodologies en oncologie-hématologie

ex vivo afin de restaurer leur capacité à reconnaître et à détruire les cellules tumorales. Cela a conduit au développement de LT génétiquement modifiés pour exprimer un récepteur d’antigène chimérique spéci- fique de cellules malignes (Chimeric Antigen Receptor [CAR]) [5]. Cela peut être réalisé en sélectionnant un récepteur particulièrement efficace chez un patient dont la réponse immunitaire est forte. Ensuite ce récepteur est transfecté dans les lymphocytes du patient avant d’être réinjecté. L’inconvénient de cette stratégie est que le récepteur transfecté est restreint à un certain type de CMH (celui du patient bon répondeur) et que le patient receveur doit posséder le même type de récepteur. Cette stratégie peut cependant encore être optimisée en utilisant des CAR présentant l’avantage de posséder la partie variable de cet anticorps spécifique d’un antigène tumoral à laquelle est associée la partie intracellulaire du récepteur aux antigènes. Ainsi, la partie variable d’un anticorps spécifique de l’antigène tumoral peut se fixer sur des cellules cancéreuses indépendamment du CMH des patients et trans- mettre aux LT transfectés le même signal qu’un récepteur classique aux antigènes. Actuellement, cette stratégie donne des résultats très intéressants avec des lymphocytes ciblant CD19 dans le traite- ment d’hémopathies lymphoïdes B réfractaires ou en rechute. Récemment ce type de traitement admi- nistré à 30 enfants et adultes préalablement traités (chimiothérapie, allogreffe, anticorps bispécifiques) pour des leucémies aiguës lymphoblastiques en rechute a permis d’obtenir des réponses complètes chez 90 % des patients et une probabilité de survie sans maladie à 6 mois de 73 % (6). Une autre cible prometteuse pour ce type d’immunothérapie est la mésothéline. Il s’agit d’un antigène de différen- ciation exprimé dans les mésothéliomes (100 %), les adénocarcinomes pancréatiques (100 %), les tumeurs séreuses de l’ovaire (85-100 %), les adéno- carcinomes pulmonaires (50 %) ou certains cancers du sein. Des résultats préliminaires, présentés lors de la dernière réunion de l’American Association for Cancer Research, ont montré que les lymphocytes reprogrammés pour cibler la mésothéline migraient au site tumoral et pouvaient persister 28 jours chez les patients.

Un autre moyen de favoriser la réponse immuni- taire contre les tumeurs est de favoriser l’expression d’anti gènes tumoraux par les cellules présenta- trices d’antigène grâce à la vaccination peptidique ou fondée sur l’ADN (7). Dans le premier cas, on administre un peptide ou un antigène complet.

On y adjoint un adjuvant qui aura pour objectif

de faire maturer les CD afin d’optimiser la réponse associée à cet antigène. En théorie du moins, plus le peptide est long, meilleure est la réponse car dans le dernier cas, le peptide est apprêté par les cellules présentatrices d’antigène avant présenta- tion. Dans le cas de la vaccination fondée sur l’ADN, ce ne sont plus des peptides qui sont administrés, mais des gènes codant pour des antigènes tumoraux afin d’être exprimés par des cellules présentatrices d’antigène qui pourront activer les cellules immu- nitaires effectrices de façon spécifique. Associer une stratégie vaccinale à un transfert adoptif de LT est la méthode originale d’administrer un vaccin adoptée pour le vaccin Spileucel-T. Cela consiste à cultiver des leucocytes périphériques de patients avec une protéine recombinante incorporant un antigène prostatique (et un adjuvant : le GM-CSF [Granulocyte-Macrophage Colony-Stimulating Factor pour permettre aux cellules présentatrices d’anti- gène d’apprêter la protéine avant de la présenter aux cellules effectrices) avant de les réinjecter aux patients. Cela est répété 3 fois et permet l’activation du système immunitaire in vivo et in vitro. Ce type de stratégie a montré son efficacité en augmentant la survie globale (SG) de 4 mois et en réduisant le risque relatif de mortalité de 22 % par rapport au placebo. Une autre stratégie vaccinale a montré son efficacité dans le traitement du cancer de la prostate : l’association de vecteurs viraux à des trans- gènes de l’antigène prostatique spécifique (PSA) et à des protéines de costimulation du système immu- nitaire, ce qui a conduit à un gain de SG de 8,2 mois.

D’autres types de vaccins ont prouvé qu’ils pouvaient induire des réponses immunitaires : l’administration de virus recombinants qui ne peuvent se répliquer pour délivrer des antigènes prostatiques, de lignées cellulaires de prostates irradiées et sécrétant du GM-CSF ou même celle d’ADN ou de mARN nus.

D’autres essais avec d’autres stratégies vaccinales et d’autres organes sont présentés dans le tableau.

Les anticorps

immunomodulateurs anti-CTLA-4 et anti-PD-1 : une grande avancée dans le traitement des cancers

Les anticorps monoclonaux immunomodulateurs ont pour objectif de restaurer ou d’induire une nouvelle réponse immunitaire, et ce sont les résul- tats des études utilisant les anticorps anti-CTLA-4 et

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La Lettre du Cancérologue • Vol. XXV - n° 1 - janvier 2016 | 9 anti-PD-1 qui ont, entre autres, conduit la revue

Science à considérer l’immunothérapie comme l’avancée scientifique de l’année 2013. Le mode d’action de ces anticorps est le suivant : CTLA-4 est un récepteur membranaire exprimé par les LT après leur activation. Il a pour ligand un corécepteur porté par les cellules présentatrices d’antigènes, ligand qu’il partage avec CD28, une molécule de coacti- vation des lymphocytes. Lorsqu’une cellule immuno- compétente présente un antigène au lymphocyte, il y a compétition entre CTLA-4 et CD28 au niveau de la membrane du lymphocyte pour la liaison du corécepteur porté par les cellules présentatrices d’antigènes. Si c’est CD28 qui lie le corécepteur, le lymphocyte est activé, si c’est CTLA-4 qui le lie, le lymphocyte est inhibé. L’affinité de CTLA-4 pour ces molécules de costimulation est supérieure à celle de CD28, générant ainsi un antagonisme

compétitif. L’anticorps anti-CTLA-4 ipilimumab empêche la fixation des ligands de CTLA-4 à son récepteur et, donc, bloque l’inhibition des LT tout en facilitant l’activation, via le CD28. Le récepteur PD-1 est exprimé par les LT activés et a pour ligands les molécules PD-L1 et PD-L2. L’activation de ces récepteurs par ces ligands bloque la réponse des lymphocytes. L’expression de PD-L1 est induite par les signaux inflammatoires comme l’IFNγ. La présence de PD-L1 et de PD-L2 à la surface des cellules tumorales inhibe la réponse immunitaire.

Le nivolumab empêche la fixation de ces ligands et restaure l’activité des lymphocytes. Comme ces 2 mécanismes apparaissent complémentaires, il a été décidé de les associer dans les mélanomes de stade avancé (8). Les auteurs de cette étude ont montré que l’association des 2 anticorps permettait d’observer des réponses chez la plupart des patients Tableau. Synthèse présentant certains essais améliorant la survie des patients grâce à des stratégies vaccinales (d’après [7]).

Type de cancer Nom de l’agent Type de vaccination Type de réponse

Cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC) stade IIB-IV

Racotumumab Anticorps anti-idiotype permettant d’activer une réponse immunitaire contre des gangliosides présents sur la membrane de nombreuses cellules cancéreuses

Amélioration de la survie globale (10,6 versus 6,3 mois)

CPNPC Belagenpumatucel-L Vaccin composé de mélanges de 4 lignées cellulaires de CPNPC avec inhibition de la sécrétion de TGFβ

Amélioration de la survie globale des patients répondeurs au vaccin (32,5 versus 11,6 mois).

Une seconde étude de phase III montre que cet effet serait limité à certains types de patients CPNPC métastatique Tergenpumatucel-L 3 lignées cellulaires de CPNPC transfectées avec

le gène murin de l’α-1,3-galactosyltransférase Amélioration de la survie globale des patients répondeurs au vaccin (21,9 versus 7,2 mois) CPNPC stade III non résécables GV1001 Vaccin dirigé contre la partie active

de la télomérase Amélioration de la survie globale des patients répondeurs au vaccin (19 versus 3,5 mois) Cancer du sein avec un haut

risque d’échappement Vaccination avec HER2 (la cible du trastuzumab)

avec des agents adjuvants Bénéfice (PFS) essentiellement pour les patientes atteintes de cancer du sein exprimant faiblement cette protéine

Mélanome, stade local avancé,

stades III et IV gp100 (fragment d’une glycoprotéine

transmembranaire des mélanocytes) + IL-2 Amélioration de la survie globale des patients répondeurs au vaccin (17,8 versus 11,2 mois pour IL-2 seule), de la PFS et du taux de réponse (16 versus 6 %)

Mélanome métastatique CD apprêtées avec divers antigènes (dont gp100) et différentes formes d’antigènes des mélanomes (MAGE)

Amélioration de la survie globale des patients répondeurs au vaccin (21,9 versus 8,1 mois)

Mélanome stade III-IV Vaccination avec un peptide de cancer des

testicules (NY-ISO1) inséré dans des poxvirus Amélioration de la survie globale des patients répondeurs au vaccin (82 versus 15 mois) Mélanome métastatique Comparaison de la vaccination avec des extraits

tumoraux totaux irradiés chargés ou non sur des CD

Amélioration de la survie des patients vaccinés avec les CD (72 versus 31% à 2 ans)

Pancréas Vaccin basé sur la protéine KRAS mutée La survie à 10 ans des patients atteints de cancer du pancréas est de 20 % (4 patients sur 20) versus 0 % (0 sur 87) pour les patients non vaccinés Cancers colorectaux stade I-IV Oncovax® Vaccin constitué de cellules tumorales autologues

irradiées Amélioration de la survie mais essentiellement

pour les patients de stade II CD : cellules dendritiques ; PFS : Progression-free survival.

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Immunothérapies en cancérologie :

de l’immunosurveillance à l’association aux chimiothérapies conventionnelles

DOSSIER

Avancées thérapeutiques et évolution des méthodologies en oncologie-hématologie

avec des toxicités acceptables (avec la dose maxi- male : 53 % de réponse objective et une réduction tumorale > 80 %) et que la réponse était supérieure à celle observée avec l’utilisation des anticorps seuls.

De plus, alors que l’étude ne sélectionnait pas les patients sur le statut mutationnel des mélanomes, la réponse obtenue avec l’association des anticorps apparaissait au moins aussi bonne que celle obtenue dans la situation pronostique la plus favorable : utili- sation d’une thérapie ciblée (vémurafénib) chez des patients avec un statut mutationnel fixé (muta- tion V600E). Ces résultats ont été confirmés très récemment dans les mélanomes : supériorité de l’association par rapport à l’ipilimumab seul (9).

Dans cette étude, le taux de réponse objective était de 61 % et le taux de réponse complète de 22 % en faveur de l’association versus 11 et 0 % lors de l’utilisation de l’ipilimumab en monothérapie. La combinaison des immunomodulateurs améliore la survie sans progression (hazard ratio [HR] : 0,4 ; p < 0,001) au prix d’une toxicité inflammatoire et auto-immune de grade 3-4, toutefois réversible, survenant chez 50 % des patients. La très grande supériorité du nivolumab par rapport à la chimio- thérapie habituelle (la dacarbazine) a été mise en évidence chez 418 patients atteints de mélanomes en première ligne de traitement (10). Dans cette étude randomisée, l’immunothérapie neutralisant PD-1 a permis d’obtenir un taux de survie à 1 an de 72 % versus 41 % pour le traitement de référence (p < 0,001). Le taux de réponse objective était de 40 % pour les patients traités par nivolumab versus 10 % pour ceux traités par chimiothérapie. Enfin, les effets positifs de ces anticorps ont été également observés dans d’autres types de tumeurs : cancers du poumon, du rein, de l’estomac ou encore de la vessie.

Immunothérapie et chimiothérapies conventionnelles : amies ou ennemies

Le bon sens aurait tendance à opposer l’immuno- thérapie aux chimiothérapies conventionnelles dans la mesure où ces dernières sont souvent associées à des immunodépressions parfois sévères. Dans ces conditions, les chimiothérapies s’opposeraient à l’effet bénéfique de l’immunothérapie. Cependant, un certain nombre de données récentes nous amènent à modérer ces appréciations. Tout d’abord, certaines chimiothérapies “classiques” peuvent moduler les

réponses immunitaires en faveur de la surveillance immunologique. Ces chimiothérapies (anthra- cyclines comme la doxorubicine, la mitoxantrone, le cyclophosphamide, l’oxaliplatine, voire les irra- diations ; mais pas comme l’étoposide, le cisplatine ou la mitomycine C) ont des effets sur des souris immunocompétentes qui dépendent du système immunitaire. L’équipe de L. Zitvogel et G. Kroemer de l’institut Gustave-Roussy a montré que cet effet, appelé mort immunogène, dépend de 3 facteurs liés au stress prémortem et conduit à rendre les cellules tumorales immunogènes (11). Le premier de ces facteurs est l’expression membranaire de la calréticuline qui va faciliter la phagocytose par les cellules présentatrices d’antigènes, première étape de la future présentation des antigènes tumoraux aux cellules de l’immunité acquise. Le deuxième facteur est le relargage d’un facteur appelé High Mobility Group Box 1 (HMGB1), un signal d’apop- tose tardive, qui va favoriser l’activation des cellules présentatrices d’antigènes. Le dernier facteur est la libération d’ATP par les cellules cancéreuses mourantes qui va induire la production d’IL-1β, qui, elle-même, va activer les LT cytotoxiques et conduire à la libération d’IFNγ, dont on a vu précédemment l’importance pour la réponse immunitaire antican- céreuse. Le rôle de ce mécanisme a été prouvé chez les patients dans la mesure où les malades porteurs de polymorphismes inhibiteurs des gènes du récep- teur à HMGB1 ou du récepteur à l’ATP répondent moins bien aux chimiothérapies (respectivement chimiothérapie adjuvante pour les cancers du sein et du côlon et anthra cyclines en situation adju- vante pour les cancers du sein) que ceux porteurs de gènes sauvages. Dans notre laboratoire, nous avons également montré que la réponse à certains vaccins thérapeutiques était liée à une bonne réponse à la chimiothérapie. La stratégie vaccinale adoptée est fondée sur la sous-unité catalytique de la télomérase (hTERT). Cette enzyme élonge les télomères et est particulièrement exprimée dans les cellules tumorales car elle permet d’échapper à la mort liée au raccourcissement de ces derniers. Nous avons pu décrire des peptides antigéniques à partir de cette sous-unité de la télomérase aboutissant à une vaccination antitumorale ayant pour objectif de réactiver la surveillance immunologique liée à l’expression des télomères. Après avoir vérifié que ces peptides (nommés UCP pour Universal Cancer Peptide dans la mesure où ces peptides apparaissent indépendants de l’origine de la tumeur) sont effecti- vement antigéniques, nous avons observé la réponse au vaccin chez 55 patients atteints de cancer du

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La Lettre du Cancérologue • Vol. XXV - n° 1 - janvier 2016 | 11 poumon non à petites cellules (12). Le taux de

réponse est le même quelle que soit la progression de la maladie. En revanche, chez les patients qui avaient une maladie stabilisée, on observait une meilleure SG chez ceux qui répondaient au vaccin avant la chimiothérapie. Mais, surtout, la SG était augmentée chez les patients répondeurs à la fois au vaccin et à une chimiothérapie à base de platine, alors que les patients dont la maladie progressait après cette chimiothérapie ne bénéficiaient pas de l’effet positif du vaccin. Pour expliquer cette diffé- rence, l’hypothèse suivante a été émise : chez les patients répondeurs à la chimiothérapie, à la suite de la lyse des cellules tumorales induite par cette dernière, il y a libération de la protéine hTERT qui est ensuite prise en charge et apprêtée par les cellules présentatrices d’antigène stimulées par le vaccin afin de restaurer une réponse immunitaire préexis- tante (13). Cet effet serait bien moindre chez les patients ne répondant pas à la chimiothérapie.

L’union fait la force…

Nous n’avons montré que quelques aspects des nouvelles propriétés immunologiques des chimio- thérapies “classiques” dans leur effet antitumoral.

Il serait également possible de citer l’effet des chimiothérapies métronomiques comme le cyclo- phosphamide à faible dose pour éliminer les lympho- cytes Treg ou encore l’effet de la gemcitabine ou du 5FU dans l’élimination des MDSC (14).

Les nouvelles propriétés immunologiques des chimiothérapies “classiques”, démontrées en plus de leur activité cytotoxique, amènent à penser que, en dépit des succès spectaculaires obtenus avec les immunothérapies ces dernières années, elles garde- ront toute leur place dans l’arsenal thérapeutique pour lutter contre le cancer. On développera de nouvelles stratégies pour combiner les effets clas- siques des chimiothérapies à leur capacité à opti-

miser les immunothérapies. ■

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Références bibliographiques

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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