24 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXV - n° 1 - janvier 2016
DOSSIER
Avancées thérapeutiques et évolution des méthodologies en oncologie-hématologie
© La Lettre du Pharmacologue 2015;
29(2):59-61.
Nanomédicaments en oncologie :
enjeux et perspectives
Nanomedicine in oncology: achievements and perspectives
R. Fanciullino1, J. Ciccolini1
1 SMARTc, laboratoire de pharmaco- cinétique, Inserm UMR S_911, CRO2, université Aix-Marseille.
L
e développement de vecteurs spécifiques en cancérologie, capables de délivrer une molé- cule cytotoxique au niveau d’une tumeur ou de sites métastatiques, est aujourd’hui en plein essor.Les raisons expliquant l’intérêt des nanotechnologies en oncologie s’expliquent par une balance efficacité/
toxicité parfois complexe à gérer sur le plan clinique en raison de l’étroitesse des marges thérapeutiques de la majorité des cytotoxiques classiques, ainsi que de la variabilité pharmacocinétique interindividuelle exposant fréquemment les patients à une sortie de la zone thérapeutique (1). À cet égard, la nanomé- decine constitue un réel espoir pour le dévelop- pement et la mise à disposition du thérapeute de formes vecto risées présentant une efficacité accrue, tout en limitant les effets indésirables usuels de la chimiothérapie (2). Il est important de rappeler que les nanotechnologies en oncologie ne visent pas à toucher de nouvelles cibles pharmacologiques cellulaires ou moléculaires, mais principalement à améliorer le profil pharmacocinétique des agents déjà existants afin d’en accroître la spécificité envers les tissus tumoraux, augmentant ainsi leur efficacité (3).
Divers supports vectoriels disponibles
Les nanotechnologies sont actuellement représen- tées par des formes vectorielles dites classiques, telles que les liposomes, les dendrimères, les capsules et les nanoparticules solides, ou par des formes dites conjuguées. Il existe plusieurs formes de classification possibles, selon la nature, la composi- tion ou la structure des vecteurs choisis. On peut, par exemple, distinguer les supports inertes (silice, nano- tubes de carbone, métaux précieux) des supports biocompatibles de type vecteurs lipidiques, ces derniers représentant aujourd’hui la quasi-totalité
des nanoparticules sur le marché, telles les diverses déclinaisons d’anthra cyclines liposomales. L’avan- tage de ces formes complètement biocompatibles est qu’elles ne s’accumulent pas à long terme dans l’organisme. Les supports inertes sont aujourd’hui encore uniquement au stade de développement non clinique ou clinique (4).
Par ailleurs, de nouvelles formes vectorielles repo- sant sur l’association entre une macromolécule et un cytotoxique via un linker spécifique sont en plein essor et déjà sur le marché. Lorsque la macro- molécule est un anticorps monoclonal, on parle alors d’Antibody-Drug Conjugate (ADC), un concept dont le chef de file est le trastuzumab emtansine (TDM-1). La macromolécule peut également être une protéine physiologique comme l’albumine ou un folate. Le nab-paclitaxel est ainsi aujourd’hui le chef de file des nano-albumin drugs (5). Enfin, les immunoliposomes sont un complexe formé par une nanoparticule lipidique encapsulant un ou plusieurs cytotoxiques, à la surface de laquelle est accroché, via un linker, un anticorps monoclonal.
Divers immunoliposomes sont aujourd’hui en phase de développement clinique (1, 4).
Optimisation pharmacocinétique
Appréhender la pharmacocinétique des formes vectorielles représente un enjeu capital dans le développement de ces technologies et leur appli- cation en pratique clinique. La résorption diges- tive des nanomédicaments est considérée comme médiocre, et toutes les formes aujourd’hui sur le marché s’administrent par voie parentérale. Le profil et les propriétés pharmacocinétiques des nanomédicaments découlent directement de leurs caractéristiques biopharmaceutiques (type de
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Figure. Principe de l’Enhanced Permeability Retention Effect. La fenestration au niveau de l’endothélium permet aux nanoparticules de s’accumuler en périphérie tumorale.
Fenestrations 100 nm
Perturbation dans la vascularisation par chimiotactisme tumoral
Nanoparticules < 100 nm ne diff usent qu’à proximité des tumeurs Tissu tumoral
Prodrogue liée à un polymère Médicament actif
Tissu tumoral
Renforcement de la concentration
antitumorale du médicament
Médicament libéré de Scaff old
Tissu normal Vascularisation
normale
Perméabilité vasculaire
Perméabilité vasculaire
Résumé
vecteur, taille, forme, furtivité). L’étude de la pharma- cocinétique des formes vectorielles est très spécifi que et implique, sur le plan bioanalytique, la capacité de distinguer forme libre et forme encapsulée au niveau systémique (6), le recours à des techniques d’imagerie in vivo dédiées en fl uorescence, biolu- minescence, ou sondes radiomarquées afi n d’ob- jectiver l’accumulation intratumorale et de préciser les mécanismes de pénétration cellulaire (7). Des approches de modélisation originale mécanistiques ou semi-mécanistiques de type PB-PK (physiologi- cally-based pharmacokinetics) paraissent nécessaires pour appréhender les phénomènes d’accumulation et de sidération des nano-objets et comprendre au mieux les interactions vecteurs/tumeurs et en amont la pharmaco cinétique systémique (8). L’ob- jectif premier des nanomédicaments est toujours d’améliorer la spécifi cité dans la phase de distribution de la molécule active au profi t de l’atteinte du tissu tumoral, tout en limitant l’exposition des tissus sains afi n de réduire l’incidence des effets indésirables (3).
C’est, en effet, via un meilleur ciblage antitumoral,
plus que par des mécanismes pharmacodynamiques intrinsèquement nouveaux, que les formes vecto- rielles présentent un bénéfice thérapeutique en oncologie clinique. Cette spécifi cité peut s’exercer de façon passive via les phénomènes de EPR-Effect (Enhanced Permeation Retention) [fi gure] (9). Les tumeurs solides sont, en effet, caractérisées par un réseau vasculaire important et fenestré ainsi que par un drainage lymphatique faible. Ces caractéristiques induisent une augmentation de la perméation liée aux fenestrations de l’endothélium ainsi qu’à une augmentation de la rétention en raison du faible drainage lymphatique. Les nanoparticules sont alors capables de s’accumuler massivement dans les tissus tumoraux, pour autant que leur dimension respecte une taille limite de 100-150 nm, cut-off correspondant au diamètre des pores vasculaires en périphérie tumorale (10). Une plus grande spécifi cité peut également être atteinte grâce à des approches plus sophistiquées d’adressage des vecteurs vers une cible membranaire antigénique exprimée à la surface de la tumeur (ADC ou immunoliposomes ciblant Les nanotechnologies présentent de nombreux avantages en oncologie, dont la possibilité de délivrer des médicaments au niveau du site tumoral avec une plus grande spécificité. Cet article analyse les avantages et les enjeux des nanomédicaments en oncologie, et s’interroge sur les développements futurs de cette nouvelle technologie.
Mots-clés
Nanomédecine Oncologie
Pharmacocinétique Biodistribution
Summary
Nano-medicine is a ground- breaking innovation in oncology with a variety of possible applications. In this review, we will discuss the possibility to improve drug delivery to tumors using encap- sulated or conjugated drugs.
Additionally, we will discuss the future development of nanotechnologies in the fi eld of cancer.
Keywords Nanodrugs Oncology Pharmacokinetics Drug-delivery
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Nanomédicaments en oncologie : enjeux et perspectives
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des récepteurs membranaires contre lesquels les anticorps monoclonaux sont dirigés) [4] ou dans la matrice extracellulaire (nano-albumin drugs, ciblant la protéine SPARC). Dans ce dernier cas, les formes vectorisées peuvent présenter, via un ancrage au niveau de la matrice extracellulaire, un mécanisme d’action original en agissant sur l’environnement microtumoral, en addition d’un effet cytotoxique direct sur la cellule cancéreuse (11). Au-delà du ciblage tumoral, ces formes revêtent en amont des caractéristiques qui distinguent leur pharmacociné- tique de celle des molécules conventionnelles. La faible taille des nanoparticules usuellement déve- loppées et le recours fréquent à des techniques de masquage, via la pégylation de surface, permettent de réduire la reconnaissance par les macrophages et le système réticuloendothélial, tout en limitant le captage hépatique et en freinant les phases de biotransformation métabolique (12). De la même façon, des nanoparticules peuvent limiter l’impact d’une prise en charge par la glycoprotéine P (PgP), améliorant ainsi l’atteinte des tissus cibles pour certaines molécules. On attend un profil pharmaco- cinétique optimisé se traduisant, outre par la meil- leure spécificité antitumorale évoquée plus haut, par une clairance réduite avec un allongement de la demi-vie d’élimination plasmatique (13). Cet avan- tage est surtout obtenu par des formes de type furtif, ainsi que par des particules de taille suffisamment petite pour éviter les phénomènes d’opsonisation ou de reconnaissance par les macrophages, tout en étant assez volumineuses pour éviter les risques de coalescence et d’instabilité dans le flux sanguin (14).
Formes actuelles et en développement
Si de très nombreuses formes vectorielles ont été développées ces 20 dernières années, relati- vement peu de médicaments ont réussi à arriver sur le marché. Les anthracyclines, notamment la doxorubicine, sont le premier cytotoxique à avoir été développé sous forme de liposomes, pégylés ou non. L’objectif premier était la réduction de la cardio- toxicité de la molécule (4). Une forme vectorielle de cytarabine est également disponible sur le marché, présentant l’avantage d’une meilleure atteinte du liquide céphalorachidien et, donc, un schéma d’ad- ministration facilité, notamment en neuro-oncologie pédiatrique (4). De nombreuses formes nanoparti- culaires de taxanes, gemcitabine, sels de platine ou irinotécan, sont aujourd’hui en phase de dévelop-
pement clinique (5). Les ADC ont pour objectif de profiter de la spécificité des anticorps monoclonaux pour distribuer sélectivement des cytotoxiques aux cellules cancéreuses exprimant un antigène cible.
Deux médicaments sont aujourd’hui sur le marché : le brentuximab vedotin (traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif récidivant ou réfractaire chez l’adulte et du lymphome anaplasique à grandes cellules systémique récidivant ou réfractaire chez l’adulte) et le trastuzumab emtansine (indiqué dans le traitement des cancers du sein HER2+ méta- statiques ou localement avancés). Le nab-paclitaxel est une formulation de paclitaxel lié à l’albumine, formant une nanoparticule conjuguée qui exploite l’affinité naturelle de l’albumine humaine pour la protéine SPARC exprimée dans de nombreuses tumeurs, permettant l’administration d’une dose plus élevée de paclitaxel par le biais de perfusions plus courtes dans le cancer du sein métastatique et le cancer du pancréas. De très nombreuses autres formes vectorielles sont actuellement en dévelop- pement, relevant le plus souvent des technologies de type ADC ou d’immunoliposomes (4, 8).
Limites et perspectives
Les nanotechnologies représentent un réel espoir en oncologie, trouvant de nombreuses applications dans le domaine de l’imagerie, de la délivrance de radionucléides ou encore à travers le développement de nanomédicaments. Si une meilleure spécificité dans la biodistribution est généralement observée, beaucoup d’études ont montré une grande variabi- lité pharmacocinétique des formes vectorielles (6).
Les hypothèses que l’on peut émettre quant à cette variabilité sont une consommation variable par la tumeur (à l’instar de ce que l’on observe avec les biothérapies), un rôle important du système immu- nitaire (monocytes et macrophages) ou encore les caractéristiques individuelles des patients. Un écueil limitant le développement des formes vecto- rielles est la difficulté à gérer les problématiques de scale-up autorisant une production industrielle de nanoparticules, ainsi que les risques émergents d’une toxicité à long terme liée à une accumulation de particules inertes dans l’organisme (15). Cette problématique pousse les chercheurs à s’orienter plutôt vers des supports 100 % biocompatibles, et l’évolution d’une législation européenne dans le domaine pourrait à terme rendre encore plus complexes le développement et la mise sur le marché
de nanomédicaments (5). ■
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec l’écriture de cet article.
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Références bibliographiques
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Nanomédicaments en oncologie : enjeux et perspectives
DOSSIER
Avancées thérapeutiques et évolution des méthodologies en oncologie-hématologie
Références bibliographiques (suite de la p. 26)
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