B. SAUVEUR
INRA Centre de
Tours-Nouzilly
Station
de Recherches Avicoles 37380Nouzilly
Evolution de la
perception de la qualité de l’œuf:
conséquence ou origine des
réglementations ?
Qu’est-ce que la qualité de l’oeuf ? Les réponses possibles à cette question sont multiples et relèvent de plusieurs ordres : technique, commercial, réglementaire... voire émotionnel. Délaissant pour
unefois l’approche strictement technique du problème, l’attention est
focalisée ici
surles motivations du législateur et celles du
consommateur afin de voir dans quelle
mesurechacun
apu influencer
l’autre
au coursdes 30 dernières années.
Au cours des 30 à 40 dernières
années,
les modalités deproduction
et de commercialisa- tion des oeufs encoquille
ont connu des modi-fications radicales : à une
production
fer-mière, saisonnière,
vendue en direct ou àtravers des marchés
hebdomadaires,
s’estsubstituée
progressivement
uneproduction
totalement
rationalisée, désaisonnée,
aboutis-sant à un
produit pré-emballé
livré deplus
enplus
souvent au consommateur dans unrayon de
grande
surface. Simultanément la consommation des oeufs a évolué defaçon
très variable dans les différents pays d’Eu- rope
(figure
1).Diverses
réglementations françaises, puis européennes
àpartir
de1968,
ont codifié defaçon
deplus
enplus
stricte les modalités de mise enmarché,
etplus
récemment de pro- duction de l’aeuf. Avecquelles
intentions cesréglementations
ont-elles été introduites ? Cherchaient-elles àrépondre
à des demandesdes
consommateurs,
desproducteurs...
ou desseuls « eurocrates » ?
Quelles
ont été leursrelations avec les différentes
perceptions
dela
qualité
duproduit,
elles-mêmes en évolu- tion ?Tels sont les
sujets
de réflexion abordés dans leslignes qui
suiventqui supposeront
connus les critères
objectifs
dequalité
del’oeuf (sinon se
rapporter
à Sauveur 1988)pour
privilégier
lesapproches sociologiques
etréglementaires
duproblème.
Parmi les différents
concepts jugés impor-
tants par le consommateur
d’oeufs,
celui defraîcheur du
produit est,
encoreaujourd’hui, placé largement
en tête(Feenstra
et al 1992).C’est aussi celui
qui
ainspiré
leplus
detextes
réglementaires
etqui
sera donc leplus largement
examiné ici avec toutes les ambi-guïtés qui
lui sont attachées. Un autreaspect
Résumé
———————————————————————Le but de cet article est de rapprocher l’évolution des règlements
français
puis européens relatifs à l’oeuf de consommation, et celle de la perception de la qualitéde ce produit. Les règlements ont eu pour premiers objectifs d’identifier
l’origine
de l’oeuf et d’en garantir le statut microbiologique sous-tendant la notion de fraî- cheur. Cette dernière a été clairement comprise par les consommateurs jusqu’à la
fin des années 70. Elle semble aujourd’hui recouvrir une
perception élargie
de la qualité et englober, pour certains consommateurs des composantes telles que le mode d’élevage des poules (en cages ou non) ou la coloration du produit, totale-ment indépendantes de l’âge de l’œuf après la ponte. A partir des années 80, en
réponse
à un mouvement del’Europe
du nord, laréglementation
européenne a eneffet autorisé l’indication du mode
d’élevage
despoules,
ouvrant ainsi la porte àun nouveau champ de marketing mais aussi à l’ambiguïté soulevée plus haut
dans la perception de la qualité.
Le seul autre aspect véritablement réglementé et connu des consommateurs est le
poids de l’oeuf, classé en un nombre de catégories sans doute trop élevé. Il n’est pas exclu que, dans les années à venir, des critères de qualité interne liés aux pro-
priétés fonctionnelles ou à la composition des contenus fassent l’objet de nou-
veaux règlements ou comme c’est déjà le cas pour certains d’entre eux, de certifi- cations de conformité.
du
problème
méritecependant
d’êtrerapide-
ment examiné au
préalable,
celui de l’embal-lage
de l’oeuf avant la vente.1 / L’emballage des oeufs n’est pas
unedemande uniforme du consommateur
Jusqu’aux
années60,
presque tous les oeufs étaient vendus en vrac, l’acheteur étant ainsi à même de voir leproduit qu’il
achetait. Unedes
premières préoccupations
dulégislateur
fut d’instaurer un certain suivi de
l’origine
des oeufs vendus et donc
d’imposer
l’indica-tion du site de conditionnement sur un
emballage,
celui-ciayant
en outrel’avantage
de
protéger
les oeufs contre les chocs(règle-
ment CEE de
1969).
En1971,
on ne trouvaitcependant
encore que 30 % des oeufspré-
emballés avant la
vente,
certains consomma-teurs estimant que ceux-ci coûtaient
plus cher,
étaient moinsfrais,
ousimplement n’ap- préciant
pas de se voirimposer
un nombrefixe d’oeufs
(SOPEXA 1971).
Si dix ansplus tard,
Chambolle(1980) soulignait bien,
aunom de
consommateurs,
la nécessité d’embal-lages
propres,solides,
peusophistiqués,
Seretnotait encore en 1982 que 40 % seulement des oeufs étaient
pré-emballés. Aujourd’hui,
sur les 5 milliards d’oeufs vendus en
«
grandes
et moyennes surfaces» (soit
envi-ron les 2/3 des achats des
ménages)
97 % desoeufs sont
pré-emballés (Le
Boucher1993).
Les
arguments
relatifs à la fixité du nombre d’oeufs paremballage
ont étélargement pris
en
compte
enmultipliant
lesprésentations
qui, aujourd’hui,
sont certainement devenuestrop
nombreuses(cf. plus loin). Enfin,
la demande de l’acheteur de voir les oeufs aumoment de l’achat ne semble pas éteinte pour autant : Feenstra et al
(1992) rapportent
queplus
de la moitié des acheteurs hollandaisenquêtés préféreraient
encore les oeufs non-emballés.
2 / La fraîcheur de l’oeuf :
définition protéiforme de la qualité
2.
1 / Aspects microbiologiques
Comme le notait Thouvenot
(1981)
dans sestrès intéressantes études consacrées à l’évo- lution de
l’image
de 1’oeuf à travers les texteslittéraires,
« la crainte d’un manque de fraî- cheur de l’oeuf est trèsancienne,
lesbourgeois
de Rome
déjà
s’eninquiétaient
». Au début duXIXème
siècle,
Brillat-Savarinrappelait
que« les
(oeufs) plus
frais sont les meilleurs» et,
à la fin du mêmesiècle,
les frères Goncourt admiraient E. Zola en ces termes « D’un oeuf à la coque, en examinant lachambre,
il vousindique professoralement
combien l’oeuf a dejours,
a d’heures ».Cette
inquiétude
ancienne vis-à-vis de l’oeuf non-frais estd’origine microbiologique.
L’oeuf
possède
des barrières naturelles de défense contre lapénétration
desmicro-orga-
nismes
(cuticule, coquille,
membranescoquillières,
activitésantibiotiques
du blancdue au
lysozyme
ou àl’ovo-transferrine)
maislorsqu’elles
sontdépassées,
parexemple après
micro-fêlure de lacoquille,
l’oeufpeut
devenir un milieu deprolifération
intense demoisissures et surtout de
bactéries,
et ce d’autantplus
que latempérature
est élevéeet la conservation de l’oeuf
prolongée.
L’exis-tence d’oeufs
pourris, aujourd’hui quasi-incon-
nue en
Europe,
était une réalité courantejus- qu’aux
années 60 et toutinspecteur
sanitaireapprenait
àdistinguer
lespourritures noire,
rouge, verte etc.
qu’il
trouvait dans les oeufs livrés à la consommation.2.
2 / Aspects réglementaires
Rien d’étonnant donc à ce que, dans un but de
protection
sanitaire duconsommateur,
lelégislateur
aitcherché,
dès les années30,
à définir des conditions minimales de commer-cialisation des oeufs. En France le décret de
1965, s’appliquant
à toutes les structurescommercialisant
plus
de 60 oeufs parjour,
a constitué uneétape importante
de cetteapproche
enimposant :
- une définition des oeufs livrables à la consommation en
l’état,
- la déclaration
départementale
des sitesde
conditionnement,
- une liste de critères minimaux concer-
nant les locaux
(protection
contre lapluie, l’humidité,
lestempératures excessives..., séparation
d’avec les cabinets d’aisance!...),
- le
mirage
et le tri desoeufs,
- un contrôle des conditions de conserva-
tion
lorsque
celle-ci estpratiquée (par réfrigé-
ration ou stabilisation à la
chaux).
A
partir
de cette mêmepériode,
laproduc-
tion de l’oeuf s’est trouvée désaisonnée
grâce
à
l’éclairage
despoules
enhiver ;
les besoins de conservation sont devenus enconséquence
mineurs. L’ouverture de la CEE et le début des
échanges
intracommunautaires ontimposé l’obligation
d’unrèglement européen qui
a vu lejour
en 1968-1969 avec révision en1975
(directive
1619/68 etrèglements 95/69, 2772/75).
Lespréoccupations hygiéniques
y restaientprédominantes et,
outre desdisposi-
tions
déjà présentes
dans laréglementation française,
on y a vuparaître :
- l’interdiction du
lavage
de l’oeuf(qui
altère la cuticule et
peut permettre
lapéné-
tration de germes à travers la
coquille),
- l’estimation de
l’âge
de l’oeufaprès
laponte
parmirage
de la chambre àair,
-
l’obligation d’indiquer
sur lesemballages
la semaine de conditionnement
(en
clair ou encode,
la seconde solution étant d’abordadoptée
par tout lemonde).
Une
réponse complémentaire
à la demandede sécurité des consommateurs a été
apportée
par la définition de l’oeuf
extra-frais, âgé
de moins d’une semaineaprès
conditionnement.Au fil des
années,
d’autresrèglements européens
sont venuspréciser
les délais admissibles entre laponte,
le conditionne-ment,
la vente et la consommation de l’oeuf encoquille.
Ainsi:
- en 1984
(règlement 1831/84),
enréponse
à une demande forte des
consommateurs,
la dated’emballage
doit désormais êtreindiquée
en clair
(jour
oupériode
du tant autant...), ),
- en 1985
(règlement 1943/85)
lapossibilité
est offerte
d’indiquer
une date de venterecommandée, après laquelle
reste un délairaisonnable de
stockage
à domicile avantconsommation,
- en 1991
(règlement 1274/91),
la date deponte
est « enfin » autorisée àfigurer
directe-ment sur l’oeuf. Cette décision n’est sans
doute pas
indépendante
del’épisode
« Salmo-nelles » survenu en
Grande-Bretagne
à la finde 1988. Il est
vrai, cependant,
que lademande de cette datation avait été maintes fois formulée par des consommateurs et dis- tributeurs aussi bien
français (Seret 1982,
Bursin
1987) qu’allemands (Kress 1987).
Ellene reflète pas pour autant une connaissance
précise
de leurpart
descinétiques
de déve-loppement
microbien à l’intérieur de l’oeufqui
ne
justifient
nullement de vouloirpermettre
la consommation de l’oeuf dès le lendemain de laponte (Humphrey 1993).
Cette ouverture
réglementaire
aintégré
enfait une évolution des
systèmes
deproduction
eux-mêmes : c’est
l’apparition
desgrandes
structures de
production
dites « fermes deponte » regroupant
en un même siteplusieurs
centaines de milliers de
poules
et un centrede conditionnement
intégré qui permettait
désormais de livrer les
grandes aggloméra-
tions dans un délai de 24 à 48 h
après
laponte.
L’indication de la date deponte
deve- nait dès lors unargument
de communication extrêmement fort tant pour lesproducteurs
que pour les structures de vente. La progres- sion des ventes d’oeufs datés
depuis
cettepériode (figure 2)
en est le reflet.Simultanément,
lerèglement européen
de91
prévoyait
quepuisse
êtreindiquée
unedate recommandée de
consommation, jugée plus
«pédagogique
» que la date deponte
elle-même etégalement
souhaitée par des consommateurs(Bursin 1987).
- Cette évolution s’est
poursuivie
en 1993(règlement 2617/93)
où l’indicationobliga-
toire de la date
d’emballage
a été désormaisremplacée
par celle d’une date de « durabilité minimale » ou « date limite d’utilisationopti-
male ». Elle s’est traduite en France par l’in- dication sur les
emballages
de la mention « àconsommer de
préférence
avant le... » accom-pagnée
de la recommandation deréfrigérer
les oeufs
après
achat. En outre la mention« Extra » doit désormais s’écrire « Extra
jus- qu’au...
».On retrouve bien ainsi au fil des années
une
préoccupation
constante dulégislateur européen qui,
tout enpréservant
les intérêtséconomiques
des structures deproduction
eten veillant à lever toute entrave à la circula- tion des
produits,
a surtout cherché à garan- tir la livraison d’oeufs offrant le meilleur sta- tutmicrobiologique possible.
Le message a-t-il été entièrementcompris
par le consom-mateur ?
Que met-il, quant
àlui,
derrière la notion de fraîcheur ? Les éléments deréponse disponibles
ne sont pasexempts d’ambiguïté.
2.
3 / La fraîcheur perçue par le consommateur
contemporain
Dans toutes les
enquêtes réalisées,
la fraî-cheur reste le
premier
critère de choix des oeufs pour 85 à 95 % des acheteurs(Berger
etal
1980,
Thouvenot1981,
Feenstra et al1992).
Ce fut le mérite de
Berger
et al(1980)
d’êtreparmi
lespremiers
à noterqu’il
ne fallaitpeut-
être pas déduire de cette
réponse
que le consommateurdisposait
d’une informationjuste
sur lesrisques objectifs
de contamination de l’oeuf Suite à uneenquête
menée àDijon,
ils notaient que « très peu de
sujets
font inter- venir dans la notion de fraîcheur lapropreté
ou
l’intégrité
de lacoquille,
de même que letemps
ou les conditions de conservationdepuis
la
ponte
». A la mêmeépoque
et au mêmeendroit, Sauvageot
et Colas(1981)
consta-taient que la moitié des consommateurs testés
sur un marché choisissaient encore des oeufs sales
(portant
des fientes et de lapaille) plutôt
que des oeufs propres,
probablement
sans rienabandonner de leurs
exigences
de fraîcheur.La notion de
fraîcheur, toujours
trèsvive, apparaît
doncprogressivement
synonyme d’unequalité
perçue defaçon plus large englobant
d’autresaspects
tels que les moda- lités deproduction (cages
ousol)
et de distri-bution de l’oeuf
(vente
directe en vrac oupré- emballée).
« On fait confiance », notentBerger
etal,
« à uneproduction
artisanale à l’ancienne que l’onpeut
acheter surplace
».Kress
(1987) souligne
de même quebeaucoup
de consommateurs allemands
pensent
que les oeufs achetés à laferme,
et même sur le mar- chéhebdomadaire,
sont «plus
frais » queceux des
grands magasins...
Thouvenot(1981) s’interrogeait déjà :
« la fraîcheur neserait-elle
plus qu’une exigence formelle,
ver-bale,...
réactionplus
ou moins consciente de méfiance ancestrale... alors que les motifsprécis
de mécontentement sont faibles ».Aujourd’hui,
onpeut
réellement se demandersi, après
une série deglissements
séman-tiques,
certains consommateurs nequalifient
pas de « frais » un oeuf
qui
leurplaît (couleur
de la
coquille,
dujaune, pondu
par despoules
en
plein-air...)
même s’ils enignorent
totale-ment
l’âge.
On
peut
certesobjecter
que lesépisodes
decontaminations
salmonelliques signalés
dès1987 aux USA et 1988 en
Grande-Bretagne
sont là pour
rappeler
lesrisques
réelsqui
existent et la notion de fraîcheur
vraie ;
onsait
cependant qu’ils
touchentbeaucoup plus
la consommation collective que celle des
ménages.
Au sein de cesderniers,
il fautadmettre,
chez nombre de consommateurs(30
à 40 % selon Thouvenot1981),
l’existence d’une «nostalgie
de laproduction
artisanale » conduisant clairement à unexemple
de « qua- lité perçue » ou «d’image-qualité
» sans rela-tion réellement établie avec des caractéris-
tiques techniques
duproduit
maisdéterminant fortement leur
comportement
d’achat(Panigyrakis 1986).
Cette
situation,
bienperceptible
en Francemais aussi dans d’autres pays
européens, jus-
tifierait la
reprise d’enquêtes approfondies
sur le
concept
même de fraîcheur de 1’oeuf.Quoi qu’il
ensoit,
la «nostalgie
du bonvieux
temps
» est donc un des éléments moteursqui,
avec le souci deprotection
desanimaux,
ajustifié
une autre évolutionrégle- mentaire, relative,
cettefois,
à l’indication du moded’élevage
des animaux.3 / Modalités d’élevage et
qualité de l’oeuf
Dès les années
70,
un mouvement s’était faitjour
enEurope
du Nord(Danemark,
Alle-magne,
Grande-Bretagne)
pourlimiter,
voireinterdire,
le maintien despoules
en batteriesde cages dans une
perspective
deprotection
de l’animal.
Après
delongues négociations
etl’élaboration d’un
règlement français
dès1983,
la CEEintégrait
cette demande en défi-nissant en 1986
(directive 113/86)
des normesminimales
d’élevage applicables
àpartir
de1988 aux cages nouvellement construites et à
partir
du 1/1/1995 à toutes les cages en ser-vice.
Simultanément ou presque
(règlement
CEE
1943/85),
la Commission autorisait que soientportées
sur lesemballages
des men-tions relatives au mode
d’élevage
des ani-maux. Cette innovation
apparaît
bien refléter l’évolution deperception
de laqualité
del’oeuf dans un sens
plus
«global
»,puisqu’elle
reconnaît peu ou prou que cette
qualité intègre
lafaçon
dont l’oeuf a été obtenu. Les indicationspermises sont,
parexemple :
« oeufs de
poules
élevées enplein air, système
extensif » ou « oeufs de
poules
élevées ausol » ;
elles serontconfirmées,
avecquelques
modifications
(«
œufs depoules
élevéesen libre
parcours »)
dans lerèglement
de1991
(n 1274/91).
En
France,
uneenquête
conduite trois ansaprès
la mise enplace
de cetteréglementa-
tion
(1988),
montrait que les motivations d’achat des oeufs «plein-air
» restaientpriori-
tairement la fraîcheur
(73 %),
suivie du calibre(50 %),
de la recherche d’unproduit
fermier naturel
(40 %)
et dugoût (34 %) (enquête
les Fermiersd’Argoat, BCMW,
rap-portée
par Le Boucher etVejdovsky 1988).
L’hétérogénéité
de cesréponses
confirme bien le caractèrecomposite
del’appréciation quali-
tative décrit
précédemment.
La
production
dite « deplein
air » ou de«
poules
en liberté » a trouvé peu à peu saplace (figure 3). Néanmoins,
les oeufsqui
ensont issus ne
représentaient
en 1993 enFrance que
3,3
% des oeufs achetés par lesménages
en GMS(figure 2).
L’évolutionparaît plus rapide
auxPays-Bas
mais unecertaine confusion y
règne
entre les oeufs« alternatifs
» (élevages
avecparcours)
etceux dénommés « scharrel
» (poules
ausol).
Selon Feenstra et al
(1992)
70 % des ache-teurs hollandais
préféreraient
acheter des oeufsproduits
au solqu’en
batterie(80
%pensant
d’ailleurs que la densitéd’élevage
ausol est inférieure au chiffre de 7
poules/m’
fixé par la
CCE). D’après
La Lettre Verte du 22/03/93 lagrande
chaîne de distribution hol- landaise AlbertHeijn
aurait d’ailleurs retiré les oeufs de batterie de ses listes de référence.Cette
progression
des oeufs issus de sys- tèmes « alternatifs » nepeut s’expliquer
par des différencesobjectives
decomposition
del’oeuf. Comme le montre la revue de Sauveur
(1991),
laproduction
rationnelle « au sol »,comparée
à laproduction
en cages, n’entraîneen effet que des variations
minimes,
souventnon
significatives
et nonreproductibles
de lacomposition
de l’oeuf. A l’inverse laqualité microbiologique
est souvent moinsbonne,
même s’il est
possible
d’obtenir uneproduc-
tion de
plein-air bactériologiquement
cor-recte.
4 / Autres critères réglementés
de la qualité de l’oeuf -
perspectives
4.
1 / Calibre
Le calibre de l’oeuf est un critère facile à déterminer et à contrôler et
qui figurait
doncdéjà
dans laréglementation française
de1965 avant d’être
repris
en l’état(avec
ses 7classes de
poids)
dans laréglementation européenne
de1969, puis
dans les suivantes.S’il est clair que le
poids
de l’oeuf n’est pas indifférent auconsommateur,
ceci nesignifie
pas que la demande de celui-ci
porte
surl’existence de 7 classes. Il semblerait au
contraire
qu’elle
se limite souvent à 3 ou 4classes définies par des
qualificatifs
tels quepetit,
moyen, gros, éventuellement très gros.Une
simplification
de cet ordre contribue- rait enpartie
à réduire lamultiplicité
desconditionnements
qui,
parailleurs,
renfer-ment actuellement de 4 à 60
pièces
en pas- sant par6, 10, 12, 18, 20, 24, 30,
36 et 48 ! Cet extraordinairemélange
des deux sys-tèmes décimal et
duo-décimal, joint
à l’exis-tence des
catégories qualitatives,
conduit àun nombre de références
beaucoup trop
élevépour rendre le marché réellement
transpa- rent,
mêmesi,
etheureusement,
la totalité des combinaisons n’estjamais
réalisée. Elleexplique également
la demande réitérée de certains consommateurs de voir affiché unprix
aukg.
Sans doute y a-t-il là matière àune évolution des
réglementations.
4.
2 / Qualité interne de l’oeuf Lorsque
l’on étudie lesréglementations
mises en
place après-guerre
aux USA(dès 1948),
on y trouve des allusions assezpré-
cises à la
qualité
interne de l’oeufparlant
deblanc
translucide, plus
ou moinsferme,
dejaune plus
ou moins bien centré etc.Ces
préoccupations
relatives auxqualités physiques
du blanc étaient directement liéesau fait
qu’une part importante
des oeufs était consommée alors aux USA sous formepochée, impossible
à réussir si le blanc de l’oeuf neprésente
pas un état suffisammentgélifié.
Le 15
septembre 1959,
cetteappréciation
était
précisée
par l’introduction officielle « à l’essai » des unitésHaugh (Haugh 1939) qui permettent
dequantifier
la hauteur formée par legel
du blancindépendamment
dupoids
de l’oeuf. Cette mesure rencontra un réel suc-
cès parce
qu’elle
traduisait correctement les souhaits desconsommateurs, jusque
làfigu-
rés par des
photographies
de référence.Parce que le
gel
de blanc seliquéfie après
la
ponte,
les unitésHaugh
ont eu tendanceensuite à devenir une mesure universelle- ment reconnue de « fraîcheur » de l’oeuf. En
Europe,
bienqu’elles
aient été introduites dansplusieurs avant-projets
durèglement
de1991,
les unitésHaugh
n’ont finalement pas été retenues comme critèreofficiel,
auxmotifs que :
- elles varient à la fois en fonction de
l’âge
de la
poule
et del’âge
de l’oeufaprès
laponte
et ne sont donc pas un critère absolu de
« fraîcheur »,
- elles se réfèrent à des
préoccupations technologiques qui
ne concernent pasobliga-
toirement l’ensemble des
consommateurs,
- leur
signification est, jusqu’à
cejour,
inconnue de la
quasi-totalité
desEuropéens.
Sans avoir atteint par
conséquent
le statut de critère officiel enEurope,
les unitésHaugh
y ont
cependant
trouvé droit de cité au sein de contratspassés
entreproducteurs
et dis-tributeurs
et, plus récemment,
dans le cadre de certifications deproduits.
Leursignifica-
tion devrait par
conséquent
être de mieux enmieux connue et il n’est pas exclu de les voir
réapparaître
dans unprochain projet régle-
mentaire.
Dans l’attente de cette
éventualité,
la qua- lité interne de l’oeufeuropéen
continue d’être décrite au moyen de termes relativement vagues tels que « blanc de consistancegélati-
neuse... » ou
« jaune
ne s’écartant pas sensi- blement de laposition
centrale... ».La coloration du
jaune qui paraît jouer
unrôle croissant dans
l’appréciation
du consom-mateur
(de
Vries et Vonder1994)
ne fait pas actuellementl’objet
d’uneréglementation,
sice n’est sur la nature des
pigments
utilisésdans l’alimentation des
poules.
4.
3 / Valeur nutritionnelle
Si les
réglementations, européennes
ouautres,
se sontdepuis longtemps préoccupées
de
garantir
le statutmicrobiologique
de l’oeufet éventuellement certaines de ses caractéris-
tiques physico-chimiques,
elles n’ont nulle-ment visé la
composition
duproduit, réputée
par ailleurs stable.
C’est dans les années
70,
aux EtatsUnis, qu’ont
débuté les fortescritiques
adresséesau cholestérol de l’oeuf et Hunton
(1993)
n’hé- site pas à déclareraujourd’hui qu’elles
ontété orchestrées par certains lobbies tels que celui des huiles
végétales. Quelle qu’en
soitl’origine,
cescritiques
ont fortement contri- bué àdégrader l’image
de l’oeuf dansl’esprit
du consommateur. Elles ont abouti aussi au
développement,
auxUSA,
d’un nombre crois- sant deproduits
desubstitution,
à teneurréduite en cholestérol.
Même
si,
durant les dernièresannées,
cesattaques
ontperdu
de leur intensité du fait d’une relativisation du rôlenégatif
du choles-térol,
le contexte des années 80 avait conduit à étudier en détail lespossibilités
de modifi-cation de la
composition
de l’aeuf. On sait ainsiaujourd’hui qu’il
est facile deproduire
des oeufs « enrichis » en acides gras
poly-insa-
turés de la série co3
(cf.
revue de Sauveur1994)
et il n’est donc pas exclu que, àl’avenir,
desprocédures
decertification,
à défaut derèglements, garantissent
même la teneur de l’oeuf en tel ou tel élément nutritionnel.Conclusion
L’image
de l’oeuf dansl’esprit
du consom-mateur a connu, au cours du dernier demi-
siècle, d’importantes
évolutions mêmesi,
comme le note Thouvenot
(1981),
l’oeufreste,
pour le
citadin,
unproduit
fortement identifiécomme
d’origine campagnarde.
Si le consom-mateur continue de
façon
immuable(et
comme mû par un réflexe
ancestral)
à affir-mer la fraîcheur de l’oeuf comme
premier
cri-tère de son
choix,
il se révèle deplus
enplus incapable
d’en définir lasignification.
En cesens, la
réglementation européenne
mise enplace
s’est substituéeparfaitement
auxpré-
cautions
anciennes ;
ellegarantit
le statuthygiénique
des oeufs en mêmetemps qu’elle permet
leur libre circulation.Au fur et à mesure que d’autres compo- santes de la
qualité
perçue sont apparues, elles ont pu se trouver incluses dans le pro-cessus
réglementaire (ex.
le moded’élevage
des
poules)
ou en êtreignorées (colorations
duproduit,
teneurs en certains élémentsnutritifs...).
Dans certains cas(obligation d’emballage,
gamme decalibres...), le risque
n’est pas nul que la
réglementation
soit alléeau-delà de la demande
sociologique.
Cecipeut
relever notamment d’une volontépédago-
gique
dulégislateur préférant
parexemple imposer
une date recommandée de consom-mation
plutôt qu’une
date deponte,
alors que la demande des consommateurs allait nette- ment vers la seconde.Références bibliographiques
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aspects del’image
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Summary
Evolution
of egg quality perception by
theconsumer: consequence or
origin of the regula-
tions ?
The aim of this paper is to focus on the mutual
relationships
between the evolution of the French and theEuropean regulations concerning
table eggs and the evolution of the egg
quality perception by
the consumer. The first purpose ofregulations
was toidentify
theorigin
of the egg and tocertify
itsmicrobiological
status whichsustained the freshness
concept.
Thisconcept
was
clearly
understoodby
the consumer up to the last seventies.Today,
« freshness » seems to havegot
a broadermeaning:
for some consu-mers, it
would include otherconcepts
such as the hens’housing (cages
vs floor) or egg colorations which are nottechnically
related to the eggageing
afterlaying. Indeed,
since theeighties,
taking
into account demands from northernEurope,
theEuropean regulations
have authori-zed to indicate on egg boxes the
type
of hens’housing.
Thispermission
hascertainly opened
the door to new ways of
marketing
but also to theconfusions indicated above.
The
only
otherregulated
eggtrait,
knowby
theconsumer is egg
weight; it
is classified into a pro-bably
toogreat
number of classes. In thefuture,
some traits relative to internal
quality
of eggs(functional properties
oryolk composition)
couldbe also
incorporated
intoregulations,
or, atleast,
intoconformity
certificationprocedures.
SAUVEUR
B.,
1995. Evolution de laperception
dela