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Article pp.77-81 du Vol.39 n°230 (2013)

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Texte intégral

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D O S S I E R

Gratuité et prix

nouvelles pratiques, nouveaux modèles

sous la direction de

Patricia Coutelle-Brillet Marine Le Gall-Ely

Caroline Urbain

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« U

ne fois la valeur d’échange neutralisée dans un processus de don, de gratuité, de prodi- galité, de dépense, la valeur d’usage elle- même devient insaisissable ». Cette réflexion de Baudrillard (1972) met en lumière les questions actuelles relatives au prix et à la gratuité ainsi que les concepts sous-jacents à la compréhension de leurs effets sur les comportements d’échange.

Longtemps apanage des services publics (l’éducation, les transports, la santé, la cul- ture avec les bibliothèques, les radios, les télévisions, la fête de la musique, etc.), la gratuité a, depuis une décennie, investi mas-

sivement les espaces privés et marchands.

Internet décuple son potentiel et exacerbe les questions qu’elle induit. Le télécharge- ment de fichiers et la téléphonie gratuite se développent. En 2001 est créée Wikipédia, première encyclopédie gratuite en ligne par ailleurs les journaux et archives scienti- fiques en ligne se multiplient (par exemple les revues PLoS ou les archives HAL – Hyper articles en ligne). La question du piratage et des droits d’auteur devient alors cruciale et les dispositifs pour y répondre sont en pleine construction et débats (lois

« Hadopi »). De surcroît, si le Web est un terrain particulièrement propice à la gra- PATRICIA COUTELLE-BRILLET

Université François Rabelais ; IAE de Tours MARINE LE GALL-ELY

Université de Bretagne Sud CAROLINE URBAIN Université de Nantes ; IEMN-IAE

Gratuité et prix,

nouvelles pratiques, nouveaux modèles

DOI:10.3166/RFG.230.77-81 © 2013 Lavoisier

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tuité, y compris pour son propre fonction- nement (avec notamment le développement de l’open source), il n’en a pas l’exclusi- vité, comme en témoigne le développement de la presse gratuite (Métro, 20 Minuteset autres VillePlus).

Le terme « gratuit » mérite de s’y arrêter. Il peut signifier tour à tour sans valeur d’échange (sans prix), sans valeur d’usage (sans utilité), sans rationalité (une affirma- tion sans preuve), généreux, gracieux (un cadeau) et enfin, pour celui qui donne, libre, sans obligation et sans exigence de retour, sens le plus contesté, notamment par différents courants de recherche sur le don.

Ainsi, Sagot-Duvauroux (1995) remarque que « le donateur adresse son don de façon souveraine et crée éventuellement une dette, une dépendance, une réciprocité pour celui qui reçoit. La gratuité est une mise à disposition anonyme ou quelconque. » Un acte gratuit aurait un caractère désintéressé, sans fondement, tandis que le don engen- drerait une relation fondée sur la dépen- dance du receveur (Godbout et Caillé, 1992 ; Mauss, 1923-1924).

Cette polysémie (Godbout et Caillé, 1992) conduit à caractériser, au moins, trois types, ou logiques, de gratuité1que les contribu- tions à ce dossier consacré à l’émergence de nouvelles pratiques et de nouveaux modèles interrogent.

1) la gratuité comme production d’une sphère non-marchande dans l’économie, soutenue par des financements publics : c’est le modèle de service public (école, bibliothèques, hôpital, musées et monu- ments – Le Gall-Ely et al., 2008, etc.)

La première contribution, proposée par Anne Gombault (Bordeaux, École de mana- gement), porte justement sur les leçons à tirer du cas britannique d’utilisation de la gratuité dans les musées. Une étude de cas narrative du retour de la gratuité perma- nente dans les grands musées nationaux et régionaux du Royaume-Uni, décidé par le gouvernement travailliste en 1998, montre la complexité contemporaine de la gratuité à l’entrée des musées, une action-prix hybride, entre politique publique et straté- gie marketing. L’idéologie d’espaces d’échanges non marchands cède-t-elle le pas au pragmatisme ?

2) La gratuité comme refus des individus de se soumettre aux lois du marché : piraterie, perruque dans les ateliers, autoréductions dans les supermarchés, mais aussi travail coopératif, développement de logiciels libres ; la deuxième contribution, rédigée par Ronan Divard et Patrick Gabriel (Uni- versité de Bretagne Occidentale, Brest), vise justement à mieux identifier les raisons avancées par les internautes au télécharge- ment illégal de musique, en s’appuyant sur la théorie de la neutralisation. Celle-ci explique comment les individus arrivent à transgresser des normes en évitant ou limi- tant la culpabilité qu’ils pourraient éprou- ver. Leurs résultats, issus d’une enquête auprès de jeunes internautes, montrent que l’opportunisme calculé semble prévaloir sur les considérations éthiques, que la sympa- thie et l’empathie pour les victimes du télé- chargement illégal sont quasiment inexis- tantes et qu’on ne décèle pas de réelle dimension idéologique qui refléterait une contre-culture numérique porteuse de

1. Voir les articles de la Revue Vacarme, hiver 2010, n° 50, Défendre la gratuité. « Ce n’est pas que la gratuité ne vaut rien, c’est que toutes les gratuités ne se valent pas ».

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valeurs en opposition avec celles communé- ment admises. Cette gratuité auto-attribuée exprime-t-elle un refus des lois du marché ou un individualisme opportuniste ? 3) La gratuité, enfin, comme technique de vente : produits gratuits appelant des versions payantes, lecture gratuite sur fond de clignotement publicitaires, business models (presse, radios, moteurs de recherche) construits sur une offre gratuite financée par la publicité ou les produits dérivés. La troisième contribution de ce dossier, écrite par Alix Poels et Sandrine Hollet-Haudebert (Université Paris-Est) interroge les valeurs et les pratiques asso- ciées à la gratuité « permanente » des jour- naux gratuits. Elle montre, à l’aide d’obser- vations et d’entretiens, comment l’objet gratuit va être valorisé ou déprécié selon qu’il est envisagé de manière individuelle, collective ou sociétale, et comment vont se construire des pratiques de consommation propres aux journaux gratuits. Une tech- nique de promotion avec pour levier la gra- tuité peut-elle conduire à une interrogation sur sa signification et ses effets ?

L’apport principal de ces recherches est de montrer l’enchevêtrement de ces trois logiques. Dans un modèle de service public construit sur une idéologie non marchande, la gratuité s’infiltre comme un outil de stra- tégie marketing de marchandisation de l’offre. Dans des espaces que l’on pourrait penser comme des espaces de résistance aux lois du marché, de coopération et de création se développent des comportements massivement opportunistes. Enfin, dans un contexte de consommation jusqu’alors payante, la gratuité réintroduit un débat sur les pratiques et sur leurs conséquences sur un plan individuel, social et sociétal.

En parallèle, de profondes évolutions sur les modèles de prix, au-delà des modèles low cost qui se sont installés depuis (Combe, 2011), sont à l’œuvre. De nouveaux modes de tarification apparaissent, prenant la forme, par exemple, d’un mixage gratuit/payant (complémentarité de gamme avec offres de base et premium), de contribu- tion volontaire (Pay What You Want, illustré lors du lancement de l’album de Radiohead en 2007) ou d’enchères (Name Your Own Price). Cette coexistence de modalités d’échange perturbe les frontières entre gra- tuité, don, contribution volontaire et prix. La diffusion de la gratuité dans des sphères mar- chandes, l’introduction de logique de prix dans des sphères non marchandes, l’évolu- tion des rapports de force entre les acteurs remettent en cause les repères, les processus de décision, les comportements des indivi- dus ainsi que les modèles d’affaires et les modèles économiques de certaines filières.

Ces constats amènent à se pencher sur les nouvelles stratégies de prix. Les recherches ont montré que les mécanismes de percep- tion des prix se fondent sur des jugements comparatifs vis-à-vis des offres proposées, du type « ce produit est trop cher ou bon marché par rapport à… ». Les acheteurs disposent d’un prix de référence : prix d’un produit alternatif, prix des concurrents, prix barré dans le cadre d’une promotion, seuil de prix mémorisé par l’acheteur et forgé sur l’expérience passée ou à partir d’un objectif ou encore sur une contrainte budgétaires.

Ce prix de référence leur sert d’élément de comparaison pour évaluer le prix d’une offre (Hamelin, 2000 ; Zollinger, 2004) et déterminer leur consentement à payer (Le Gall-Ely, 2009). De façon générale, au-delà du niveau de prix de vente proposé, c’est Gratuité et prix, nouvelles pratiques, nouveaux modèles 79

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l’écart entre le prix de vente et le prix de référence qui va influencer la décision. Ce cadre théorique général explique deux importants phénomènes actuels : l’élargis- sement de l’éventail de comparaison suite au développement des offres à bas prix et la défiance à l’égard des prix. Les consomma- teurs défiants à l’égard des prix pratiqués ont donc tendance à développer des straté- gies réactives de résistance aux politiques de prix considérées comme injustes (Robert-Demontrond, 2008). Ces réactions sont plurielles et apportent un regard nou- veau sur la segmentation des comporte- ments : désaffection pour les marques, attrait pour les formules hard discount, recours aux déstockeurs, recherche du gra- tuit ou des bonnes affaires, émergence d’une consommation engagée orientant le consommateur vers des circuits d’approvi- sionnements alternatifs tels que les groupe- ments d’achats solidaires, recours à des systèmes d’échanges locaux ou au « free- ganisme ». La compréhension du compor- tement de l’acheteur vis-à-vis des prix demande d’adopter une conception élargie du prix, en intégrant ses composantes monétaires et non monétaires, directes et indirectes.

Les deux dernières contributions du dossier éclairent ces évolutions. Patricia Coutelle- Brillet et Arnaud Rivière (Université de Tours), montrent comment, ces dernières années, le paysage de la distribution a été marqué par le développement important d’enseignes discount et par une con - currence prix accrue entre enseignes tradi- tionnelles, ce contexte amenant les hard discountersà s’interroger sur leur position-

nement. Leur recherche, menée auprès de 196 consommateurs, montre que le posi- tionnement prix des hard discounters est bien perçu mais peut être renforcé en agis- sant sur différentes dimensions du concept d’image-prix. Elle permet de conclure éga- lement à la pertinence à compléter ce posi- tionnement prix par le choix d’axes de dif- férenciation non économiques, ceci en s’appuyant sur le concept de valeur perçue (Rivière et Mencarelli, 2012).

Enfin, Florence de Ferran (Université de La Rochelle), Didier Louis (IUT de Saint- Nazaire), Blandine Labbé-Pinlon et Cindy Lombart (Audencia Nantes) analysent l’ef- ficacité de promotions-prix sur des produits équitables dont les « justes prix » sont cen- sés garantir une juste rémunération des petits producteurs. Deux expérimentations menées en magasin laboratoire montrent que la sincérité perçue d’une promotion- prix sur des produits équitables a une influence directe et indirecte, viasa valori- sation utilitaire et hédonique, sur l’attitude des consommateurs envers cette promotion qui influence alors directement leurs com- portements d’achat spécifiques.

Ainsi, les politiques de prix, qui peuvent s’élaborer sur des configurations inédites, voient leur rôle renforcé dans la construc- tion du positionnement de l’offre. Ces nou- velles approches du prix invitent donc entreprises et organisations à repenser en profondeur leurs modèles (Dang Nguyen et Pénard, 2004).

Même si les interrogations sur la gratuité et le prix ne sont pas chose nouvelle, les contributions de ce dossier (ainsi que les nombreuses autres reçues mais qui n’ont pu 80 Revue française de gestion – N° 230/2013

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trouver leur place dans ce dossier)2 les nourrissent de réflexions et de regards nou- veaux. Les chercheurs qui ont abordé ces questions n’ont pas hésité à recourir à des méthodologies de recherche diversifiées (étude de cas narrative, observations, enquêtes quantitatives, expérimentations en magasin laboratoire), ceci afin d’en saisir toute la complexité. L’intérêt que portent les gestionnaires – praticiens ou chercheurs – à ces phénomènes relève encore aujour- d’hui de préoccupations sporadiques et frag-

mentaires, en général instrumentales. Le corpus de recherche sur les nouvelles pra- tiques face aux prix qui se constitue depuis ces dernières années montre qu’il ne convient ni d’ignorer, ni de craindre les enseignements d’un regard attentif aux réac- tions des consommateurs et des entreprises.

Il invite à dépasser les approches instrumen- tales et subies des politiques de prix en met- tant à jour les mécanismes de nouveaux modes de rémunération, ou rétribution, des échanges et de création de valeur.

BIBLIOGRAPHIE

Baudrillard J. (1972). Pour une critique de l’économie politique du signe, Gallimard.

Combe E. (2011). Le low-cost, La Découverte, Paris.

Dang Nguyen G. et Pénard T. (2004). « La gratuité à la croisée de nouveaux modèles d’affaires sur Internet », Réseaux, vol. 124, n° 2, p. 81-109.

Godbout J.T. et Caillé A. (1992), L’esprit du don, Paris, La Découverte.

Hamelin J. (2000). Le prix de référence : un concept polymorphe, Recherche et Applications Marketing, vol. 15, n° 3, p. 75-88.

Le Gall-Ely M. (2009). Définition, mesure et déterminants du consentement à payer du consommateur : synthèse critique et voies de recherche, Recherche et Applications en Marketing, vol. 24, n° 2, p. 91-113.

Le Gall-Ely M., Urbain C., Bourgeon D., Gombault A., Petr C. (2008). « La gratuité : un prix ! », Revue française de gestion, vol. 34, n° 186, p. 35-51.

Mauss M. (1923-1924), Essai sur le don. Formes et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Paris, Presses Universitaires de France.

Rivière A. et Mencarelli R. (2012). « Vers une clarification théorique de la notion de valeur perçue en marketing », Recherche et Applications en Marketing, vol. 27, n° 3, p. 97-123.

Robert-Demontrond P. (2008). « Mesurer le juste prix des produits issus d’une filière

“commerce équitable local” : principes, enjeux et limites épistémologiques d’une approche », Management et avenir, vol. 6, n° 20, p. 216-239.

Sagot-Duvauroux J.L. (1995). Pour la gratuité, Paris, Desclés De Brouwer.

Zollinger M. (2004). « Le jugement comparatif de prix par le consommateur », Recherche et Applications Marketing, vol. 19, n° 2, p. 73-97.

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2. Nous remercions les auteurs des 25 contributions reçues ainsi que les nombreux évaluateurs ayant permis la publi- cation de ce dossier thématique.

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