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ARTheque - STEF - ENS Cachan | L'éducation à la santé : histoire, enjeux, idéologies

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Texte intégral

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

L’ÉDUCATION À LA SANTÉ

HISTOIRE, ENJEUX, IDÉOLOGIES

Didier NOURRISSON

Professeur d’histoire contemporaine, IUFM de Lyon

MOTS-CLÉS : ÉDUCATION Á LA SANTÉ – HISTOIRE – HYGIÉNISME

RESUMÉ : L’éducation à la santé a aussitôt fait du corps l’objet de tous ses soins. Elle débute par le « ménage de soi-même », l’hygiène privée. Elle passe à l’hygiénisme, c’est-à-dire à l’action collective publique, par peur des épidémies et de la « dégénérescence » des populations. Deux temps forts, deux politiques, sont considérés : les années 1880 qui marquent la première intervention de l’État par le domaine scolaire (enseignement antialcoolique) ; les années 1950 où l’éducation à la santé doit tenir compte de la médiatisation de la consommation.

ABSTRACT : Health education (HE) was early in charge of body and began in « self-cleaning » in personal hygiene. Later, HE became « hygienism » and take some public action against various epidemics and population’s « degeneration ». We have considered two periods and two policies : the 1880’s with the first state’s intervention in schools (temperance teaching) and the 1950’s with the consumption is getting more and more media exposure.

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1. INTRODUCTION

Le corps a fait l’objet d’une attention constante dans son enveloppe matérielle (la peau, les os), dans son internalité et son externalité (les organes, les circulations), dans ses mobilités (la marche, la course, le saut), mais aussi le corps « mystique », c’est-à-dire dans sa spiritualité (« Ceci est mon corps ») et dans son intellectualité (force mentale). En somme, le corps résume l’être, hormis ce supplément impalpable, invérifiable, l’âme. Et Jacques Le Goff vient de rappeler qu’au Moyen Âge, prompt à la négation ou à l’exaltation, le corps est également perçu et médicalisé1. Pourtant,

l’éducation à la santé du corps ne commence guère qu’avec la « Renaissance », période de découverte de l’homme, de l’enfant. Ainsi, « l’humanisme » va imprégner durablement les pratiques des éducateurs en santé. C’est cette formation du corps avec cette philosophie (théorie et praxis) que nous voudrions évoquer ici. L’état du corps dépend bien sûr de l’état de santé individuelle et de santé sociale du moment, selon le triptyque médecine (mentalités, découvertes), société (comportements, préjugés), culture (savoir, diffusion, communication). Il est à la fois une réalité biologique, un vécu (dans le balancement entre le normal et le pathologique) et une représentation sociale. L’histoire de l’éducation à la santé doit tenir compte de cette triple figure.

2. DU MÉNAGE DE SOI Á L’HYGIÈNE PRIVÉE

L’éducation à la santé renvoie d’abord à l’individu. Il s’agit de faire le « ménage de soi-même » selon le titre de l’ouvrage (Le mesnager de soi-même) de ce Noble vénitien qui vécut presque centenaire, Luigi Cornaro (1467-1566), au prix d’une observation physiologique quotidienne. Cette conduite que l’on tient dans l’administration de son bien, le ménage impose l’hygiène privée. Le vieux verbe hippocratique _________ (ugiainein), se bien porter, reprend vie. Les ouvrages d’entretien, de « conservation » de la santé des XVIe-XVIIe siècle deviennent « traités d’hygiène » au XIXe2, ou « revue de santé » au Xxe siècle ; ils gardent une actualité permanente. Cornaro est

d’ailleurs réédité au Xxe siècle ; le docteur Daremberg traduit en 1847 le Discorso della vita sobria initialement publié à Padoue en 1558, etc. L’ouvrage-phare, Avis au peuple sur sa santé, du docteur vaudois Samuel Tissot, connaît même 18 rééditions entre 1761 et 1792 (encore réédité en 1993)3.

Ces conseils de santé, et jusqu’à nos jours, peuvent s’apparenter à des pratiques charlatanesques4.

1 LE GOFF J. et TRUONG N. (2003). Une histoire du corps au Moyen Âge. Paris : éd. Liana Levi. 2 VIGARELLO G. (1985). Le propre et le sale. Paris : Le Seuil, coll. Univers historique.

3 Paris, Quai Voltaire, 1993. Présentation TEYSSEIRE D. et JOLIVET C.

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Michel Lévy, dans son Traité d’hygiène publique et privée (1e édition en 1845), résume parfaitement le champ d’action, opératoire pourrait-on dire, de l’hygiène en désignant six lieux par leur nom latin : les « circumfusa » (tout ce qui nous environne, l’air, l’eau, le sol, les localités et le climat), les « ingesta » (les choses introduites en nous par les voies alimentaires : aliments, condiments, boissons), les « excreta » (matières éliminées par les organes excréteurs), les « applicata » (choses appliquées à la surface du corps, comme les vêtements, les cosmétiques), les « percepta » qui comprennent l’activité morale et intellectuelle de l’homme, les « gesta » (choses que nous faisons : exercice, veille, sommeil). L’hygiène se place ainsi, d’emblée, comme l’art de gérer nos sens et de contrôler chacun de nos actes vitaux. Selon le médecin Marat (1775), « la santé n’est donc que cette heureuse disposition du corps qui dépend du jeu aisé des organes de la vie, ou si l’on veut, d’un équilibre entre les puissances de la circulation. »5 Avec l’humanisme en hygiène,

il n’y a plus de péché ; il peut y avoir en revanche faute, par défaut (omission de la propreté) ou insuffisance. Ces traités d’hygiène, de toute époque, sont donc, dans tous les sens, des « manuels de savoir-vivre ».

Aussi l’hygiène peut-elle se définir bien vite comme « science des rapports sanitaires de l’homme avec le monde extérieur et des moyens de faire contribuer ces rapports à la viabilité de l’individu et (c’est nous qui soulignons) de l’espèce »6. On glisse ainsi bien vite à une philosophie de l’action

sanitaire ; ce sera « l’hygiénisme ».

3. L’HYGIÉNISME, UNE POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE

L’hygiénisme commence avec la « prise en compte » des peurs sociales et la « prise en charge » des politiques publiques de santé7. Les peurs naissent d’une constatation des risques de

« dépopulation », c’est-à-dire de non-renouvellement de la population, par suite des épidémies, voire de « dégénérescence », c’est-à-dire de dégradation physique, mais aussi mentale, de la santé du peuple, à la suite de comportements nocifs (alcoolisme, syphilis, tuberculose). Les termes de « fléaux sociaux » au XIXe siècle, de « grande cause nationale » ou de « priorité nationale » au

5 Cité par ORTHOUS M-H., « Santé physique et santé morale : les arguments éducatifs de l’exercice physique au XVIIIe siècle », in Éducation pour la santé et activité physique et sportive, 1ère Biennale de l’AFRAPS, 2004, pp.81-88. 6 ARNOULD J., professeur d’hygiène à la faculté de médecine de Lille, Nouveaux éléments d’hygiène, Paris, J.-B.

Baillère et Fils, 1889, p.2.

7 Selon les formules employées heureusement à propos des politiques sportives publiques par Pascal Ory, in La belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire. 1935-38, Paris, Plon, 1994.

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XXe exprimeront durablement ces peurs8. L’État, de plus en plus sollicité par un « corps » médical

toujours plus fort de ses savoirs et de ses pouvoirs9, finit par s’engager. La prise en charge de

l’hygiène, devenue santé publique, par l’État se fait en trois temps10 :

1750-1870 : le souci populationniste et les premières orientations préventives (vaccination antivariolique) du premier hygiénisme ;

1870-1940 : la peur du microbe et les premières mesures d’hygiène publique (logement, voirie) du second hygiénisme ;

Le « second » XXe siècle qui cumule toutes les peurs et en vient à souhaiter « le risque zéro », marqué par les avancées thérapeutiques et les campagnes nationales de prévention (alcoolisme, cancer, tabagisme, sida etc.).

4. LA SOCIÉTÉ INTERPELÉE

Deux temps forts de politique de santé publique peuvent être saisis comme modèles épistémologiques : semblables par leur contexte, différents par les moyens engagés, les années 1880-1900 et les années 1950-1970.

La première forme d’éducation à la santé fait suite à la terrible défaite de 1871. Les troupes françaises ont été balayées, estime-t-on, parce que elles n’étaient pas en état (sanitaire) de combattre. Ce « corps » de troupe, il faut le « redresser » au sens physique et moral du terme11.

L’École en est chargée : « Nul n’ignore combien il est urgent d’introduire dans l’instruction populaire des notions simples et précises d’hygiène. C’est dans le domaine de la vie physique et de la santé publique ou privée que l’ignorance des lois fondamentales de la nature a ses pires effets » (Dr Pécaut, 1883). L’École devient un enjeu national. En même temps, elle constitue un réservoir de microbes et un conservatoire de comportements nocifs. Haut lieu de la transmission des savoirs… et des maladies12, l’École prêche l’exemple : « Faites moins de lois, auxquels nous

8 Dans son Dictionnaire des idées reçues, Flaubert le définit comme « cause de toutes les maladies modernes ». 9 LÉONARD J. (1981). La médecine entre les pouvoirs et les savoirs. Paris : Aubier, coll. Historique.

10 Selon FAURE O. (2002). Hygiène, hygiénisme et santé publique en France. In NOURRISSON D. (dir.), Éducation à la santé. XIX-XXe siècle. Rennes : École nationale de santé publique, pp.13-30.

11 « Nos enfants, nos jeunes gens, nos soldats, ne savent plus marcher… Nous adjurons MM les recteurs de la

gymnastique scolaire de réformer ces habitudes et de nous rendre nos qualités de race, en les cultivant » (RIANT A., chargé du cours d’hygiène au lycée Charlemagne, professeur d’hygiène à l’École normale de la Seine, Hygiène scolaire.

Influence de l’école sur la santé des enfants, Paris, Hachette, 1ère édition 1874, p.331).

12 « À l’âge de six ans, les enfants commencent à fréquenter l’école. Par conséquent, ils vivent, à partir de cet âge, dans une atmosphère commune, boivent la même eau et sont exposés à tous les contacts que favorisent les jeux. La

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n’obéissons que lorsque nous le voulons. Et faites plus de propagande », réclame Émile Duclaux, le directeur de l’Institut Pasteur (L’hygiène sociale, 1902). « Aidez au mouvement en y travaillant depuis l’école, semez avant de vouloir récolter, car vous hâterez ainsi le moment où votre intervention devenant possible, elle deviendra nécessaire ».

L’enseignement de la gymnastique et de « l’éducation physique »13, obligatoire dans les écoles

normales depuis 1869, entre dans les programmes du primaire et bientôt du secondaire14. Et au delà,

c’est l’ensemble de la res scolaria (comme il y a une res publica) qui se charge de l’éducation sanitaire et morale. L’École de Ferry devient alors en effet le lieu passage obligé de toute la jeunesse et porte donc en elle l’avenir de la nation. En même temps, cette Ecole veut se fermer aux influences extérieures, jugées toujours nocives. L’éducation de masse à la santé naît donc scolaire. Elle se veut sanitaire et morale. Un bon exemple de cette idéologie est fourni avec l’enseignement antialcoolique15. Sous l’impulsion du ministre Raymond Poincaré en 1895, l’antialcoolisme envahit

le champ de toutes les disciplines enseignées à l’école primaire. Un matériel pédagogique est construit avec les tableaux muraux livres de morale, manuels de mathématiques avec exercices adaptés. Le corps est pris à témoin privilégié : les enfants, dans une propagande inlassable, voit des foies sains opposés à des foies « dégénérés », des ivrognes vieillis prématurément, des rixes de cabaret, des scènes effroyables de vie familiale cassée par l’alcoolisme du père.

Le second temps fort couvre les années 1950-1970. La France connaît d’abord un état sanitaire dramatique. La guerre a fatigué les organismes, freiné le développement des individus, alors que depuis 1943, le pays est gagné d’une vigueur démographique étonnante et d’un appétit de vivre exceptionnel16. L’éducation sanitaire est élevée au rang d’un service public par l’arrêté du 15

octobre 1945 du Ministère de la santé publique. Mais en même temps, l’éducation à la santé sort du cadre strictement scolaire et est assurée, modestement, par des organismes parapublics (Comité National d’Éducation Sanitaire, 1952) ou par des associations privées (Comité National de Défense Contre l’Alcoolisme en 1952, Comité National Contre le Tabagisme en 1950). « Il appartient à

population infantile, passant aujourd’hui presque toute entière par l’école, celle-ci devient un moyen redoutable de propagation des maladies transmissibles » (ROCHAT J. Encyclopédie d’hygiène et de médecine publique, Paris, 1897). 13 Samuel Tissot le réclamait depuis longtemps : « La gymnastique est cette partie de la médecine qui enseigne

l’entretien ou le rétablissement de la santé par les exercices » (cité par ULLMANN J. (1977). De la gymnastique aux

sports modernes. Paris : Vrin, p. 133).

14 TERRET T. (2002). Éducation physique et santé (1880-1998). In NOURRISSON D. (dir.), Éducation à la santé. XIX-XXe siècle. Rennes : École nationale de santé publique, pp.107-116.

15 NOURRISSON D. (2002). Un enseignement antialcoolique à l’école. In NOURRISSON D. (dir.), Éducation à la santé. XIX-XXe siècle. Rennes : École nationale de santé publique, pp.143-152.

16 NOURRISSON D .(2002). Des cantines pour l’école. In NOURRISSON D. (dir.), À votre santé ! Education et santé

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l’Éducation sanitaire… d’apporter à l’ensemble de la collectivité les connaissances convenables capables de développer chez elle l’esprit de prévention et de lui fournir les notions utiles à la défense de la Santé »17. Au moment où l’éducation à la santé sort ainsi de l’École pour rejoindre le

« grand public », le sport lui aussi s’échappe de l’éducation physique scolaire18. À l’inverse, une

entreprenante publicité pousse à la frénésie consumériste de produits pas toujours inoffensifs en terme de santé (alcools). L’État, lui-même, partagé entre son souci de protection sociale et ses impératifs financiers, n’hésite pas à inciter à la consommation tabagique19. Un nouveau corps se

modèle : jouisseur et actif, souriant et dynamique. Plus que jamais, le corps est pris à témoin et s’étale à longueur de message publicitaire.

5. CONCLUSIONS

L’histoire permet de dégager quelques perspectives en éducation à la santé :

- La prise en charge personnelle de sa santé est un fait quotidien ancien. On n’a pas attendu la définition de l’OMS (1945) ou de la charte d’Ottawa (1986) pour savoir qu’il s’agissait de viser le bien-être physique, mental, et même matériel de la personne. L’éducation à la santé, quelque soit son site, le cadre familial, la rue, ou l’école, reste installée dans un processus moral éducatif global de la personne. « l’éducation à la santé apparaît comme la meilleure voie pour réintroduire le respect du futur et le sens de ses responsabilités vis à vis de son corps. »20

- La prise en charge collective de la santé publique est un fait récent. Elle relève du secteur associatif, et surtout de la responsabilité de l’État. L’hygiène est depuis deux siècles entrée au cœur des politiques sociales. Deux modèles ont pu être dégagés : le modèle scolaire-craintif et le modèle général-ludique. L’École a servi de porte d’accès à la propagande sanitaire à la fin du XIXe siècle. Elle a ensuite perdu ce monopole au profit d’associations privées ou d’organismes parapublics. Les politiques d’information en santé publique ont alterné les thèmes comme les moyens. Elles balancent toujours entre deux polarités. Un pôle de la terreur. Il s’agit de faire peur au risque de stresser et de déresponsabiliser. Dans ce cas, l’émotion prime sur la raison. Et le pôle de la confiance, de la responsabilisation. On veut faire sourire et avertir. Ce pôle s’appelle « éducation ».

17 PARISOT J., préface p. VIII, in VIBOREL L., L’éducation sanitaire, Tours, Arrault, 1953.

18 TERRET T .(2002). Le sport contre la santé. Les redéfinitions de l’éducation physique. In NOURRISSON D. (dir.),

À votre santé ! Education et santé sous la IVe République. Saint-Étienne : PUSE, pp.11-54.

19 Il faudra attendre 1976 pour que l’État prenne la première loi contre le tabagisme (loi Veil). NOURRISSON D., (2000). Le tabac en son temps : de la séduction à la répulsion. Rennes : ENSP, chapitre IV.

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