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Le rapport à la mort des résistants de France 1940-1944 : étude de leurs derniers écrits

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Le rapport à la mort des résistants de France

1940-1944

Étude de leurs derniers écrits

Sautel Déborah

2019-2020

Master Histoire, civilisation, patrimoine (M1) Pratiques de la recherche historique

Sous la direction de M. Denéchère Yves

Membres du jury Denéchère Yves | Professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers Douzou Laurent | Professeur d’histoire contemporaine à l’Institut d’études politiques de Lyon

Soutenu publiquement le :

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Je remercie Yves Denéchère pour avoir accepté que je travaille sur ce sujet et pour ses commentaires et corrections.

Je remercie William Trouvé pour m’avoir communiqué deux lettres de Charles Boizard.

Je remercie Jérémie Brucker de m’avoir proposé son aide.

Je remercie les services de la bibliothèque universitaire d’Angers ainsi que le Sudoc et Gallica.

Je remercie ma mère pour son soutien.

R E M E R C IE M E N T S

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Sommaire

LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES INTRODUCTION

ÉTAT DE L’ART 1 La Résistance

2 Les répressions allemande et française 3 Les résistants face à la mort

4 Le suicide des résistants

5 Les meurtres commis par les résistants 6 Les fusillés

7 Études des lettres et messages des fusillés BIBLIOGRAPHIE

1 La France dans la guerre 2 La Résistance

2.1. Histoire de la Résistance 2.2. Biographies de résistants 2.3. Mouvements, groupes, réseaux 2.4. La lutte par les armes

3 Exécutions de résistants 3.1. Répression et justice 3.2. Les fusillés

4 L’appréhension de la mort par les résistants SOURCES

1 Typologie des sources 2 Localisation des sources 3 Sources publiées

3.1. Recueils d’écrits de résistants 3.2. Récits de résistants

4 Archives

ÉTUDE DE CAS - ENTRE DÉSIR DE VENGEANCE ET DE JUSTICE : LE THÈME DES HOMICIDES DANS LES DERNIÈRES LETTRES DES RÉSISTANTS

1 La réflexion sur les homicides commis 1.1. L’expérience de l’homicide

1.2. L’aversion de l’homicide 2 Le désir de vengeance 2.1. Les motifs de la vengeance 2.2. Les acteurs de la vengeance 3 Le refus de la vengeance

3.1. Les raisons personnelles du refus 3.2. La demande de justice

CONCLUSION

TABLE DES ANNEXES ANNEXES

TABLE DES ILLUSTRATIONS

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Liste des sigles et acronymes

AS : Armée secrète

BBC : British Broadcasting Corporation

BCRA : Bureau central de renseignement et d’action BS : Brigades spéciales

CH2GM : Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale CNR : Conseil national de la Résistance

CNRS : Centre national de la recherche scientifique

DGTO : Délégation générale (du gouvernement français) dans les territoires occupés EHESS : École des hautes études en sciences sociales

FFI : Forces françaises de l'intérieur FTP : Francs-Tireurs et Partisans

FTPF : Francs-Tireurs et Partisans français

FTP-MOI : Francs-Tireurs et Partisans de la Main d’œuvre immigrée

MBF : Militärbefehlshaber in Frankreich (commandement militaire en France) BNF : Bibliothèque nationale de France

MOI : Main d’œuvre immigrée

MUR : Mouvements unis de la Résistance

NSDAP : Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (parti national-socialiste des travailleurs allemands) OBdH : Oberbefehlshaber des Heeres (commandant en chef de l'armée de terre)

OCM : Organisation civile et militaire

OVRA : Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell’Antifascismo (organisation de vigilance et de répression de l'antifascisme)

PCF : Parti communiste français

RSHA : Reichssicherheitshauptamt (office central de la sécurité du Reich)

Sipo-SD : Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst (police de sécurité et service de sécurité) SOE : Special Operations Executive

SS : Schutzstaffel (escadron de protection) STO : Service du travail obligatoire

URSS : Union des républiques socialistes soviétiques

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Introduction

Le rapport à la mort des individus dépend du contexte historique dans lequel ils se situent, en raison des manières dont ils peuvent être exposés à la mort, tandis que l'appréhension qu'ils en ont est aussi forgée par leur caractère, leur éducation, leur religion et leur origine sociale. Le rapport à la mort des résistants tient sa spécificité non du contexte de guerre en lui-même, bien qu’il soit intrinsèquement lié à la mort, mais à la manière dont ils vivent la guerre1. En effet, il ne s’agit pas d'un affrontement ouvert entre deux armées. L'État français ayant signé un armistice avec l'Allemagne le 22 juin 1940 puis un avec l'Italie le surlendemain, les Français souhaitant continuer le combat doivent le faire à l'insu de leur gouvernement.

Certains Français décident de rallier Londres, formant la France Libre avec le général de Gaulle, tandis que d'autres mènent en métropole une lutte clandestine vis-à-vis des occupants comme de l'État Français constituant progressivement la Résistance. Selon Pierre Laborie, la Résistance est la volonté de nuire, pensée en tant que situation de guerre, aux occupants et à leurs collaborateurs. Elle doit s'observer non à l'aune d'actes mais de ce qui les a motivés et constitue une « pratique de transgression »2. « L’éthique du résistant est que la vie ne vaut d’être vécue que dans le respect et la défense de valeurs »3, ils risquent donc quotidiennement leur vie pour les défendre.

Les résistants peuvent être tués au cours d'arrestations, mourir lors d'interrogatoires ou être condamnés à mort par des tribunaux. La mort, qui peut être définie comme la cessation de la vie, doit être interrogée sous divers angles dans le cadre de la Résistance : la perception qu'en ont les résistants, la signification qu'ils lui donnent, les conditions dans lesquelles elle a lieu mais aussi qui elle vise. Les résistants peuvent eux-mêmes choisir de se tuer (au moment de leur arrestation ou en captivité) ou de tuer des occupants, des collaborateurs ou des traîtres. Les choix de leurs victimes, les raisons du passage au meurtre dans les conditions de l'Occupation, la manière dont il est vécu ainsi que les moyens mis en œuvre pour tuer sont à étudier. À l'inverse, il faut aussi tenir compte du rapport que les résistants entretiennent avec les défunts que ceux-ci soient des camarades de résistance victimes de la répression (par les hommages rendus, l'aide aux familles, la perte ressentie, etc.) ou des victimes indirectes de leurs actions (les otages, les victimes collatérales d’attentats).

Les sources du for privé sont à privilégier pour appréhender ce sujet car elles permettent d'accéder à l’expression de leurs réflexions particulièrement dans leurs journaux mais aussi dans leurs correspondances.

Les témoignages des résistants publiés après-guerre contiennent de nombreux renseignements bien qu'il faille les examiner en tenant compte de l'influence du contexte d'écriture. D'autres sources produites par les résistants fournissent des informations : la presse clandestine, les papillons et tracts, la documentation interne aux mouvements et réseaux de la Résistance et les discours prononcés à la BBC. Les dossiers des services de répression des occupants et de l'État Français renseignent sur les homicides commis par les résistants, leur suicide, les circonstances et les motifs de leur arrestation et condamnation.

L'étude de cas de ce mémoire est une contribution à l'histoire du rapport des résistants à la mort en abordant le thème des homicides dans les derniers écrits des résistants. Cette étude est permise par l’analyse des lettres de résistants fusillés et des graffitis des prisons croisés avec d’autres sources telles que la presse clandestine et les témoignages de résistants réalisés après-guerre. L’étude porte sur les années 1941 à 1944 ne couvrant donc pas tout à fait les années d’Occupation pour des raisons de déficit de matériaux. L’angle d’approche des homicides permet de cerner les motivations des résistants, les cas de conscience que peuvent

1 Sur la spécificité du vécu de la guerre par les résistants se référer à VAST Cécile, L’identité de la Résistance : être résistant de l’Occupation à l’après-guerre, Paris, Payot, 2010.

2 LABORIE Pierre, « L'idée de Résistance, entre définition et sens : retour sur un questionnement », in Les Français des années troubles : de la guerre d'Espagne à la Libération, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, pp. 73-90.

3 Témoignage de René Remond. URL : https://www.memoresist.org/temoignage/rene-remond/

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leur causer leurs actions mais aussi, indirectement, leurs dernières préoccupations avant leur mort. Il permet également de comprendre comment les violences physiques et morales infligées aux résistants dans le cadre de la répression peuvent les amener à céder à la volonté de s’en venger jusqu’à désirer la mort des bourreaux et, au contraire, la façon dont certains résistants parviennent à ne pas céder à la haine. Cette thématique donne ainsi à voir la perception qu’ont les résistants des Allemands et des traîtres et la manière dont ils envisagent les relations futures entre la France et l’Allemagne.

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État de l’art

1 La Résistance

Plusieurs historiens ont entrepris de définir la Résistance4. Pierre Laborie, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Toulouse-Le Mirail et directeur d'études à l'EHESS spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, a montré les limites des tentatives de ses prédécesseurs dans l'article « La Résistance et les Français, nouvelles approches »5. Le premier point qu'il tient à souligner est que « ce que fait la Résistance est à distinguer de ce qui la fait, de ce qu'elle est », pensant la Résistance non par les effets de ses actions mais par ce qui les a motivées. Il distingue ainsi action de résistance et acte de Résistance. La Résistance est selon lui la lutte volontaire contre « un ennemi identifié, occupant ou au service de l’occupant » comprenant « une juste conscience du risque » et « l’acceptation, de fait ou de principe, de la nécessité de la lutte armée ». Elle constitue une « pratique de transgression » tant du « jeu social » que des lois. Il conclut en soulignant les limites de son travail puisqu'il n'intègre pas l'environnement social. Celui-ci est difficile à positionner les habitants pouvant couvrir ou aider ponctuellement des résistants.

Il est nécessaire de comprendre la manière dont l'histoire de la Résistance s'est progressivement construite afin d'apprécier les diverses ressources à disposition pour l'étudier. Laurent Douzou, professeur d'histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Lyon et spécialiste de cette période, a publié en 2005 un essai historiographique intitulé La Résistance française : une histoire périlleuse ?6 Bien qu'il n'ait pas pu lire toutes les publications sur le sujet, et étant conscient de cette limite, sa connaissance de la période lui permet d'établir un bilan global. Il met l'accent sur la difficulté que représente l'écriture de l'histoire de la Résistance, tentant de concilier sa dimension légendaire avec la rigueur méthodologique, puis démontre l'intérêt que portent les résistants à la manière dont sera écrite leur histoire et la façon dont certains commencent à l'écrire dès la guerre. La Résistance peut leur apparaître épique bien que ce ne soit pas une généralité : à ses débuts elle consiste surtout en un sursaut d'honneur et de patriotisme. Il définit le sacrifice selon les résistants (d'après leurs paroles et leurs actes) et ce que représente pour eux le fait de résister.

Entre 1944 et 1959, le gouvernement met en place des institutions afin de rendre un jour possible l'écriture de l'histoire de la Résistance par les historiens (la Commission d'histoire de l'Occupation et de la Libération de la France en octobre 1944 et le Comité d'histoire de la guerre en juin 1945 lesquels fusionnent en décembre 1951 donnant naissance au Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale dont le secrétaire général est Henri Michel). Les membres de ces institutions collectent des publications de résistants et leurs témoignages (préférentiellement par voie orale).

De 1944 à 1974, « les témoins gardent la parole et prennent la plume ». Les résistants narrent eux- mêmes leurs actions hors du cadre des institutions afin de préserver tôt une mémoire s'estompant rapidement et de rendre hommage aux morts. Certains hésitent cependant à le faire craignant que les mots ne suffisent pas à

4 MICHEL Henri, Les mouvements clandestins en Europe, Paris, Presses universitaires de France, 1961 ; BÉDARIDA François,

« Sur le concept de Résistance », in GUILLON Jean-Marie, LABORIE Pierre (dir.), Mémoire et histoire : la Résistance, Toulouse, Privat, 1995, pp. 45-50 ; DE JONG Louis, DOUZOU Laurent, « La Résistance française face à l'hypothèque de Vichy », in BIDUSSA David, PESCHANSKI Denis (dir.), La France de Vichy : archives inédites d'Angelo Tasca, Milan, Fondazione Feltrinelli, 1996, pp. 3-42.

5 LABORIE Pierre, « L'idée de Résistance, entre définition et sens : retour sur un questionnement », art. cité. Article originellement paru sous le titre « La Résistance et les Français, nouvelles approches » dans les Cahiers de l'IHTP, no. 37, décembre 1997, pp. 15-27.

6 DOUZOU Laurent, La Résistance française : une histoire périlleuse ?, Paris, Éditions du Seuil, 2005. Les paragraphes suivants résument son propos.

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décrire leur vécu et sachant qu'une reconstruction des faits est forcément approximative. Le contexte dans lequel sont rédigés ces écrits influence leur contenu : des ouvrages font honneur au gaullisme, au communisme mais aussi au socialisme ou encore à la démocratie chrétienne. D'autres acteurs, a l'instar des femmes et des juifs, tentent de faire entendre leur voix.

Il est alors difficile de réaliser des synthèses en raison, d'une part, de la dispersion des sources et, d'autre part, de la proximité des événements qui peut induire des tensions (au point de vue politique mais aussi individuel). Lucien Febvre, cofondateur des Annales d'histoire économique et sociale, insiste sur la nécessité du témoignage des résistants7. L'important est de commencer à écrire cette histoire, de manière certes lacunaire et imparfaite, afin qu'elle ne sombre pas dans l'oubli. Les premiers travaux doivent permettre de guider les futurs historiens8. Pour pallier l'interdiction par la Sorbonne de consulter les archives en-deçà d'un délai de vingt ans, le CH2GM crée une Commission d'histoire de la Résistance en décembre 1955 destinée à établir des sujets réalisables et à les assigner à des chercheurs. Ceux-ci sont généralement d'anciens résistants, ce qui facilite leur compréhension du sujet et leur permet d'approcher facilement d'autres acteurs pour les interroger. À partir de 1975 émerge cependant une nouvelle génération d'historiens qui n’ont pas toujours une expérience personnelle de la Résistance. À cette période, le mythe du résistancialisme est remis en question, l'intérêt se portant sur Vichy (notamment avec La France de Vichy de Robert Paxton9), la collaboration et l'attentisme.

À partir de 1978 l'historiographie de la Résistance est « remise en cause et renouvelée ». Le CH2GM cède la place à l'Institut d'histoire du temps présent qui est inauguré en 1980. Des travaux originaux paraissent : par exemple Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, travaille sur celui-ci en se positionnant en historien10. Il décide de privilégier les archives, se méfiant des témoignages ce qui constitue une nouveauté. Les témoignages eux-mêmes se renouvellent dans leur forme et leurs propos, prônant une histoire scientifique. Les historiens insèrent leurs études locales de la Résistance dans une approche globale11. Ils tentent de faire le point sur le rôle des partis politiques12 et s'intéressent à des acteurs moins connus comme les immigrés13.

Enfin, Laurent Douzou démontre « l'érosion » de la stature des héros de la Résistance. Certains tombent dans l'oubli tels que Jacques Bingen, tandis que d'autres sont l'objet de calomnies, parfois de la part d'autres résistants, comme Jean Moulin (qui est défendu par Daniel Cordier). Cependant, dans le même temps, les enfants de résistants, atteignant l'âge mûr, s'intéressent au vécu de leurs parents et tentent de l'exprimer dans des ouvrages bien qu'ils aient conscience des limites de l'écrit14.

7 FEBVRE Lucien, « Au jour le jour », « Une tragédie, trois comptes rendus, 1940-1944 », Annales ESC, 1948, pp. 51-68 ; Id.,

« Avant-propos », in MICHEL Henri, MIRKINE-GUETZÉVITCH Boris (éd.), Les idées politiques et sociales de la Résistance, documents clandestins, 1940-1944, Paris, Presses universitaires de France, 1954, pp. VI-XI.

8 BAUDOT Marcel, L'opinion publique sous l'Occupation : l'exemple d'un département français (1939-1945), Paris, Presses universitaires de France, 1960 ; MICHEL Henri, Les courants de pensée de la Résistance, Paris, Presses universitaires de France, 1962 ; DENIS Henri, Le Comité parisien de la Libération, Paris, Presses universitaires de France, 1963.

9 PAXTON Robert, La France de Vichy 1940-1944, Paris, Éditions du Seuil, 1973.

10 CORDIER Daniel, Jean Moulin. L'inconnu du Panthéon, Paris, Jean-Claude Lattès, 3 vol., 1989-1993 ; Id., Jean Moulin. La République des catacombes, Paris, Gallimard, 1999.

11 LABORIE Pierre, Résistants, Vichyssois et autres. L'évolution de l'opinion et des comportements dans le Lot de 1939 à 1944, Paris, Éditions du CNRS, 1980 ; SAINCLIVIER Jacqueline, La Résistance en Ille-et-Vilaine, 1940-1944, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1993.

12 COURTOIS Stéphane, Le PCF dans la guerre : de Gaulle, la Résistance, Staline, Paris, Ramsay, 1980 ; SADOUN Marc, Les socialistes sous l'Occupation. Résistance et collaboration, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1982.

13 COURTOIS Stéphane, PESCHANSKI Denis, RAYSKI Adam, Le sang de l'étranger : les immigrés de la MOI dans la Résistance, Paris, Fayard, 1989 ; WIEVIORKA Annette, Ils étaient juifs, résistants, communistes, Paris, Denoël, 1986.

14 WAYSAND Georges, Estoucha, Paris, Denoël, 1997 ; YUNG-DE PRÉVAUX Aude, Un amour dans la tempête de l'histoire.

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Grâce à l'abondance des travaux sur la Résistance réalisés par des historiens, résistants ou descendants de résistants, il est possible d'établir des synthèses sur le sujet. Dans les années 1960 cet important travail, qui avait été ardemment souhaité dès la sortie de la guerre, est entrepris par Henri Noguères, Marcel Degliame- Fouché et Jean-Louis Vigier15. Ceux-ci sont conscients de leurs limites, ne serait-ce qu'en raison de l'indisponibilité de nombreuses sources due au délai d'accessibilité, mais ils pensent qu'écrire tôt une première synthèse est primordial afin que les résistants puissent la critiquer. Leur histoire de la Résistance se présente sous la forme d'une chronique citant abondamment les sources. Afin que les partis politiques soient équitablement représentés, les auteurs appartiennent à trois tendances différentes : Henri Noguères est socialiste, Marcel Degliame-Fouché avait été communiste et Jean-Louis Vigier est gaulliste, cependant ce dernier quitte le projet dès le deuxième tome (qui en totalise cinq) estimant, comme il le fait noter dans le premier tome, que les communistes sont trop bien lotis16.

D'autres synthèses sont ensuite éditées respectant sensiblement les mêmes bornes chronologiques (1940-1945) notamment une Histoire de la Résistance en France en 1993, régulièrement rééditée, dans la collection Que sais-je des PUF par Jean-François Muracciole, professeur à l'Université Paul-Valéry de Montpellier17. Elle évoque en particulier les institutions de la Résistance et les tensions des objectifs politiques entre la France libre et la France intérieure mais aussi entre mouvements, partis et syndicats. La dernière entreprise récente est effectuée par Sébastien Albertelli, Julien Blanc, docteurs et professeurs agrégés d'histoire travaillant respectivement dans le secondaire à Paris et à l'EHESS, et Laurent Douzou qui publient en 2019 La lutte clandestine en France : Une histoire de la Résistance 1940-194418.

2 Les répressions allemande et française

Les résistants sont confrontés à une intense répression menée à la fois par les Allemands, qui veillent à la sécurité de leurs troupes, et par les Français, le gouvernement français espérant ainsi montrer sa souveraineté.

Ces répressions conduisent à la mort de nombreux résistants qui peuvent être tués ou se tuer lorsque les forces du maintien de l'ordre tentent de les arrêter ou être condamnés à mort par des juridictions martiales ou judiciaires.

Le Militärbefehlshaber in Frankreich (Commandement militaire en France) est, au début de l'Occupation et jusqu'en 1942, la principale instance de répression allemande en France ayant des compétences policières et judiciaires par le biais de ses tribunaux militaires. Ainsi que l'explicite Michel de Boüard de l'Université de Caen, à partir du 1er juin 1942 le pouvoir d'exécution du MBF est transféré au Reichssicherheitshauptamt (office central de la sécurité du Reich). Le général Karl Oberg, qui est nommé Höhere SS und Polizei Führer (chef supérieur de la SS et de la police), dirige désormais les affaires de police.

Cependant les institutions du MBF continuent de fonctionner19. À l’inverse, le Militärbefehlshaber in Belgien und Nordfrankreich (Commandement militaire de Belgique et du Nord de la France), auquel sont rattachés les départements du Nord et du Pas-de-Calais, est dirigé de mai 1940 jusqu’en juillet 1944 par le général von

15 NOGUÈRES Henri, en collaboration avec DEGLIAME-FOUCHÉ Marcel, VIGIER Jean-Louis, Histoire de la Résistance en France de 1940 à 1945, Paris, Robert Laffont, 5 vol., 1967-1981.

16 DOUZOU Laurent, op. cit., p. 183.

17 MURACCIOLE Jean-François, Histoire de la Résistance en France, Paris, Presses universitaires de France, 1993.

18 ALBERTELLI Sébastien, BLANC Julien, DOUZOU Laurent, La lutte clandestine en France : Une histoire de la Résistance 1940-1944, Paris, Éditions du Seuil, 2019. Chaque chapitre est introduit par la présentation d'un document visuel.

19 BOÜARD Michel de, « La répression allemande en France de 1940 à 1944 », Revue d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, no. 54, 1964, pp. 53-70.

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Falkenhausen sans que ses prérogatives ne soient entravées20. L’intensité de sa politique de répression suit l’évolution de l’action de la Résistance.

Gaël Eismann, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Caen et enseignante-chercheuse au Centre de recherche d'histoire quantitative, a réalisé sa thèse sur « la politique de ''maintien de l'ordre et de la sécurité'' conduite par le Militärbefehlshaber in Frankreich et ses services »21. Elle y détaille son rôle actif dans la répression et son évolution. Elle a rappelé les principales étapes de la répression conduite par les tribunaux du MBF dans une publication antérieure22. Pour les distinguer, elle a utilisé les rapports de situation de l'état-major du commandement du MBF, les listes générales et de confirmation des sentences prononcées par les tribunaux, les états récapitulatifs des condamnations à mort et les archives de la Délégation générale dans les territoires occupés.

Les tribunaux militaires jugent les infractions aux ordonnances allemandes, leur organisation est définie par la Kriegsstrafverfahrensordnung (ordonnance pénale de guerre). Les audiences se tiennent à huis clos, en présence d'un procureur et de trois juges. L'accusé n'a le droit à un avocat que s'il encoure la peine de mort et ne peut pas faire appel. Le Gerichtsherr (haut justicier) entérine les jugements bien que l'Oberbefehlshaber des Heeres (commandant en chef de l'armée de terre OBdH) doive confirmer les peines les plus graves. Les peines se basent sur le Reichsstrafgestezbuch (code pénal du Reich), le Militärstrafgesetzbuch (code pénal militaire), la Kriegssonderstrafverordnung (ordonnance pénale spéciale de guerre) et des ordonnances du MBF.

Gaël Eismann définit quatre phases de la répression. De juin 1940 à l'été 1941, les tribunaux appliquent sévèrement le droit allemand, prononçant déjà des peines de mort. Cependant, plus de la moitié des condamnés à mort seraient graciés par l'Oberbefehlshaber des Heeres. De l'été 1941 à juin 1942, la répression judiciaire se radicalise. Cette radicalisation commence avant même l'entrée de la Résistance dans la lutte armée (due à l'invasion de l'URSS). Les principaux motifs des condamnations fluctuent cependant avec l'action de la Résistance, les condamnations pour « détention d'armes » s'accentuant avec le développement des attentats. Les condamnations à mort sont plus fréquentes, les juges utilisant moins la diversité des peines à leur disposition.

Le renforcement de la sévérité des tribunaux engagé par le MBF est encouragé par Adolf Hitler, l'ObdH et l'Oberbefehlshaber der Wehrmacht. Entre juin 1942 et janvier 1943, « la répression judiciaire militaire accompagne la radicalisation de la répression policière ». À partir de juin 1942, les compétences policières du MBF sont transférées à la Sipo-SD, elle peut interner administrativement et déporter des communistes et des résistants en vertu du décret Nacht und Nebel. Les tribunaux du MBF continuent cependant de juger des résistants pour détention d'armes, « intelligence avec l'ennemi » mais également de plus en plus pour des « actes de francs-tireurs » (lesquels ne peuvent se solder que par un acquittement ou une condamnation à mort). Peu de tribunaux tentent de résister à la sévérité que leur imposent les Gerichtsherren qui cassent les jugements leur semblant trop indulgents. Les années 1943-1944 marquent « l'apogée de la terreur judiciaire ». À la fin de 1943, l'Oberkommando der Wehrmacht (haut commandement de l’armée allemande) étend la juridiction militaire à la zone sud. Les tribunaux ne peuvent plus juger les auteurs d'actes de sabotage ou de terrorisme à partir de juillet 1944. Les « terroristes » doivent être abattus immédiatement en cas de flagrant-délit. Ils sont déférés à la Sipo- SD s'ils sont pris postérieurement. Malgré cela, des résistants continuent d'être conduits devant les tribunaux qui les condamnent fréquemment à mort, principalement pour « actes de francs-tireurs ».

20 THIERY Laurent, « Les politiques de répression conduites par le Militärbefehlshaber in Belgien und Nordfrankreich dans le Nord-Pas-de-Calais (1940-1944) », Revue du Nord, vol. 1, no. 369, 2007, pp. 81-104.

21 EISMANN Gaël, Hôtel Majestic. Ordre et sécurité en France occupée (1940-1944), Paris, Tallandier, 2010.

22 Id., « L'escalade d'une répression à visage légal. Les pratiques judiciaires des tribunaux du Militärbefehlshaber in Frankreich, 1940-1944 », in EISMANN Gaël, MARTENS Stefan (dir.), Occupation et répression militaire allemandes. La politique de

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La logique de la répression que conduit le MBF peut se comprendre par la perception qu'ont ses membres des résistants, ce qui a été étudié par Jean Solchany, alors maître de conférences en histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Lyon, à l'occasion d’un colloque sur la Résistance qui s'est déroulé en novembre 1995 à Cachan23. Jean Solchany a examiné les archives du MBF lesquelles, bien que limitées (les structures de la Résistance ne sont pas détaillées), permettent d'appréhender les conceptions mentales des membres du MBF à l'égard des résistants. Ils considèrent toute forme de résistance comme illégale en se fondant sur une vision restrictive des conventions de la Haye et qualifient de francs-tireurs (c'est-à-dire de criminels attaquant par traîtrise) les résistants qui encourent donc la peine de mort. La répression est particulièrement sévère à partir de 1941 ce qu'Ahlrich Meyer, docteur en philosophie ayant enseigné les sciences politiques à l'Université Carl von Ossietzky d'Oldenbourg, a montré dans sa contribution au même colloque24. Il a étudié la perception des attentats par les membres du MBF et la manière dont ceux-ci les considèrent comme l’œuvre d’un « terrorisme judéo-bolchevique » en s'appuyant principalement sur les archives du MBF. La Geheime Feldpolizei (police militaire secrète) pense que l’attentat du 21 août 1941, contre l’aspirant de marine Alfons Moser, constitue un acte de vengeance vis-à-vis des rafles de juifs à Paris à la suite de la manifestation du 13 août 1941. Un décret est signé le 23 de ce mois sur les otages : ceux-ci doivent préférentiellement appartenir au même milieu que les terroristes. Le MBF remarque le développement des actions résistantes communistes à la suite de l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’URSS. Il considère que les attentats sont le fait d’une minorité d’activistes non soutenus par la population et qu’ils ont pour objectif de susciter de violentes représailles allemandes afin de retourner l’opinion des Français contre les nazis. Il tente de faire comprendre à Adolf Hitler, qui souhaite que pour un Allemand tué cent otages soient exécutés, le risque politique de mise à mort d’otages. C’est à partir de ce constat que sont finalement mises en place les déportations massives des communistes et des juifs à l’Est. Ahlrich Meyer a souligné l’importance de ne pas observer isolément le « cycle attentats-répression » mais de le replacer dans un contexte plus large (politique mais aussi événementiel avec ici la prise en compte des rafles de juifs). Il estime que la politique de représailles relève d’une guerre idéologique, les auteurs des attentats étant perçus sous cet angle.

Peu d'autres historiens allemands ont étudié la répression de la Résistance française par les occupants.

Steffen Prauser, maître de conférences à l'Université de Birmingham, a fait le point sur l'historiographie allemande à ce sujet lors d'un colloque en 201025. Le seul ouvrage qui est consacré à la Résistance française est la thèse de doctorat d'Hans Luther, chef de la Sipo-SD de Bordeaux, laquelle constitue un remaniement de la plaidoirie qu'il a faite à son procès après la guerre26. Hans Luther considère que les résistants n'ont pas le droit de lutter contre l'occupant en raison de la convention d'armistice et du droit international (ils devraient porter un signe distinctif et leurs armes de manière visible selon la convention de la Haye de 1907). Il justifie également les exécutions d'otages en arguant que les communistes sont responsables d'attentats. Il opère d'ailleurs une distinction entre les communistes et la résistance gaulliste car celle-ci évite de s'attaquer frontalement aux Allemands. Cet ouvrage a influencé l'historiographie allemande jusqu'aux années 1980. Hans Umbreit

23 SOLCHANY Jean, « Le commandement militaire en France face au fait résistant : logiques d'identification et stratégies d'éradication », in DOUZOU Laurent, FRANK Robert, PESCHANSKI Denis, VEILLON Dominique (dir.), La Résistance et les Français : Villes, centres et logiques de décision, Paris, IHTP, 1996, pp. 511-530.

24 MEYER Ahlrich, « Les débuts du ''cycle attentats-répression'' en automne 1941 », in DOUZOU Laurent, FRANK Robert, PESCHANSKI Denis, VEILLON Dominique (dir.), La Résistance et les Français, op. cit., pp. 486-497.

25 PRAUSER Steffen, « La résistance française et sa répression par l'occupant dans l'historiographie allemande », in DOUZOU Laurent (dir.), Faire l'histoire de la Résistance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, pp. 239-255.

26 LUTHER Hans, Der französische Widerstand gegen die deutsche Besatzungsmacht und seine Bekämpfung, Tübingen, Institut für Besatzungsfragen, 1957.

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considère aussi les communistes comme des terroristes et les exécutions d'otages légales. Il se montre globalement indulgent à l'égard du Militärbefehlshaber in Frankreich minimisant les conséquences du décret

« Nuit et Brouillard » et rejetant la charge des atrocités sur la Waffen-SS27. Eberhard Jäckel n'utilise le terme

« terroriste » qu'entre guillemets et se démarque de la vision légaliste, remarquant que les catégories juridiques existantes ne peuvent convenir à la situation de l'occupation allemande en France, mais affirme que les membres du MBF sont opposés à la politique du Reich28.

Pour Steffen Prauser, les travaux de Franz Knipping, qui a étudié la conception militaire de la Résistance et ses réseaux29, marquent un tournant dans la façon qu'ont les Allemands de concevoir la Résistance française puisqu'il s'intéresse à son organisation interne. Bernd Kasten a ensuite étudié l'action de la police française lors de l'Occupation, il souligne le rôle de la Wehrmacht dans la répression notant qu'elle dirige les actions contre les maquis en 194430. Comme ses prédécesseurs, il opère une distinction entre les résistants gaullistes et les résistants communistes, ne se préoccupant pas de ces derniers dans son ouvrage. Ahlrich Meyer, qui ne pense pas que les communistes souhaitent l'escalade de la violence, et Regina Delacor croient que la lutte contre la Résistance répond à une idéologie anti-communiste et antisémite en raison de la politique des otages31. Peter Lieb, professeur au department of war studies de la Royal Military Academy Sandhurst en Grande- Bretagne, réprouve cette thèse, selon lui des communistes sont pris comme otages car des membres du PCF participent effectivement aux attentats32. Il justifie sa position en notant que les Allemands décident de concentrer leur répression sur les communistes après que le général de Gaulle a demandé l'arrêt des attentats contre les Allemands le 23 octobre 1941 à la BBC33. Les Allemands se sont principalement centrés sur la question de la légitimité de la répression et de la politique des otages. Bien que leurs points de vue divergent quelque peu, ils conviennent généralement que les Allemands respectent le droit international dans leur répression ou, au moins, profitent de ses imprécisions.

La répression allemande ne s'exerce pas uniquement par les exécutions d'otages et les jugements des résistants arrêtés. Les troupes d'occupation peuvent participer à leur capture et les mettre à mort sans attendre un procès. Lors de leur lutte contre la Résistance, elles commettent parfois des massacres. Peter Lieb a étudié

27 UMBREIT Hans, Der Militärbefehlshaber in Frankreich 1940-1944, Boppard-sur-le-Rhin, Harald Boldt, 1968.

28 JÄCKEL Eberhard, Frankreich in Hitlers Europa. Die Deutsche Frankreichpolitik im Zweiten Weltkrieg, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 1966 (trad. La France dans l'Europe d'Hitler, Paris, Fayard, 1968).

29 KNIPPING Franz, « Militärische Konzeptionen der französischen Résistance im Zweiten Weltkrieg », in SCHULZ Gerhard (dir.), Partisanen und Volkskrieg. Zur Revolutionierung des Krieges im 20. Jahrhundert, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1982, pp. 125-146 ; Id., « ''Réseaux'' und ''Mouvement'' in der französischen Résistance, 1940-1945 », in SCHULZ Gerhard (dir.), Geheimdienste und Widerstandsbewegungen im Zweiten Weltkrieg, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1982, pp. 105- 142.

30 KASTEN Bernd, « Gute Franzosen » : die französische Polizei und die deutsche Besatzungsmacht im besetzen Frankreich 1940- 1944, Sigmaringen, Jan Thorbecke, 1993.

31 MEYER Ahlrich, Die deutsche Besatzung in Frankreich 1940-1944. Widerstandsbekämpfung und Judenverfolgung, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2000 ; DELACOR Regina, Attentate und Repressionen. Ausgewählte Dokumente zur zyklischen Eskalation des NS-Terrors im besetzen Frankreich 1941/42, Stuttgart, Jan Thorbecke, 2000 ; Id.,

« Weltanschauungskrieg im Westen. Zur Rolle der Wehrmacht bei Geiselexekutionen im besetzten Frankreich 1941/42 », Militärgeschichtliche Zeitschrift, no. 62, 2003, pp. 71-100.

32 LIEB Peter, Konventioneller Krieg oder Weltanschauungskrieg ? Kriegführung und Partisanenbekämpfung in Frankreich 1943/44, Munich, R. Oldenbourg, 2007.

33 Il s’agirait en fait d’un mélange entre conceptions idéologiques et considérations pragmatiques comme l’indique EISMANN Gaël, « Représailles et logique idéologico-répressive. Le tournant de l'été 1941 dans la politique répressive du Commandant

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cette forme de répression34. En 1944, Hugo Sperrle, adjoint du haut commandant de l'Ouest, édicte l'ordonnance dite de Sperrle qui incite les troupes allemandes de la Wehrmacht à faire feu sur les résistants même en présence de civils (si certains d'entre eux meurent, la faute en incombe aux résistants selon l'ordonnance) et à brûler les maisons de ceux qui auraient abrité des « terroristes ». Les troupes ne peuvent pas être condamnées pour leurs excès dans la répression. En mars, Wilhelm Keitel, chef de l'Oberkommando der Wehrmacht, ordonne de fusiller directement les francs-tireurs arrêtés sans les livrer aux tribunaux militaires. Les massacres perpétrés par certaines troupes (à Oradour-sur-Glane, Maillé, etc.) sont à lier à l'ordonnance de Sperrle selon Peter Lieb.

Il dresse un « profil type » des acteurs de ces massacres comprenant quatre critères : l'idéologie nationale- socialiste, l'expérience du front de l'Est, la sensation des membres d'appartenir à des troupes d'élite et la durée de leur lutte contre les « terroristes ». Peter Lieb estime qu'entre 1943 et 1944, la lutte des Allemands contre les résistants armés fait environ 15 000 victimes françaises dont le tiers sont des civils.

Originellement, pour lutter contre la Résistance, les occupants privilégient l'infiltration des mouvements et des réseaux pour connaître leur structure et un maximum de leurs membres avant de les démanteler, ce qu'a mis en évidence Fabrice Grenard, directeur historique de la Fondation de la Résistance, dans son ouvrage La traque des résistants35. Il explique que les Allemands recrutent en France dès le début de l'Occupation des Vertrauensmänner (hommes de confiance) afin de lutter efficacement contre les résistances que pourraient leur opposer les civils dans un territoire qu'ils ne maîtrisent pas. Ces hommes et femmes sont des Français ou des étrangers réfugiés en France qui se laissent séduire par des avantages financiers et matériels ou, dans le cas des résistants retournés, espèrent se soustraire à la torture et à la mort. Fabrice Grenard a détaillé dix-sept affaires qu'il considère représentatives de la diversité des résistants comme des acteurs de la répression, elles concernent tant des mouvements que des réseaux et des maquis. Il a pu les étudier grâce à l'ouverture des fonds des services secrets conservés au Service historique de la Défense à Vincennes (sous-série GR 28 P).

Alya Aglan, alors maîtresse de conférences à l'Université de Paris X-Nanterre, a étudié plus spécifiquement la façon dont « meurent les réseaux » pour un colloque qui s'est tenu en décembre 2005 au mémorial de Caen sur la répression en France durant la Seconde Guerre mondiale36. Elle y définit les réseaux comme « des groupes, souvent constitués autour d'un chef à forte […] personnalité, dont le principal caractère est l'accomplissement d'une tâche à fort degré de technicité (renseignement, action et évasions) ». Les réseaux sont cloisonnés et morcelés afin de réduire les risques. Ils demeurent cependant exposés à la répression en raison des nombreux déplacements qu'ils impliquent et de la centralisation des agents de liaison. Les opérateurs radio peuvent être repérés par la goniométrie allemande. Les réseaux subissent cependant le plus de pertes en raison d'une méthode de provocation : un agent allemand, ou un résistant retourné, se fait passer pour un agent de l'Intelligence Service et propose son aide à des résistants, ce qui lui permet de les infiltrer. Il tâche ensuite d'en apprendre le plus possible sur la hiérarchie du réseau et son fonctionnement avant de le faire tomber. Des réseaux découverts parviennent à se reconstituer sous un autre nom après un certain délai grâce aux membres encore en liberté, les réseaux pouvant en comporter des centaines.

34 LIEB Peter, « Répression et massacres. L'occupant allemand face à la résistance française, 1943-1944 », in EISMANN Gaël, MARTENS Stefan (dir.), Occupation et répression militaire allemandes, op. cit., pp. 169-185.

35 GRENARD Fabrice, La traque des résistants, Paris, Tallandier, Ministère des Armées, 2019. Le chapitre sur l'affaire de Caluire a été rédigé par Jean-Pierre Azéma.

36 AGLAN Alya, « Comment meurent les réseaux », in GARNIER Bernard, LELEU Jean-Luc, QUELLIEN Jean (dir.), La répression en France, Caen, Centre de Recherche d'Histoire Quantitative, CNRS-Université de Caen Basse-Normandie, 2007, pp. 227-236.

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Parallèlement à la répression menée par les Allemands, l'État Français incite à une répression française afin de marquer son indépendance, d'exercer les fonctions régaliennes qui lui restent et de marquer sa souveraineté face à l'occupant. En conséquence, il développe et réforme la police originelle et crée des polices parallèles. Jean-Marc Berlière, professeur à l'Université de Bourgogne au Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions pénales, a fait le point sur les différentes polices de l'État Français37. Le gouvernement décide d'étatiser la police. Elle passe, à l'exception de la police parisienne, de la direction des maires à celle des préfets régionaux. Le 7 juillet 1941 sont créés les Groupes mobiles de réserve chargés du maintien de l'ordre38. Le Service de police anticommuniste est institué la même année. René Bousquet, secrétaire général à la police, le remplace l'année suivante par un Service de répression des menées antinationales. En 1942, le général SS Karl Oberg conclut avec René Bousquet les accords dits Oberg-Bousquet qui confirment le rôle de la police française dans la répression. Les policiers n'apparaissant pas assez efficaces aux yeux de l'Occupant et du chef du gouvernement, Pierre Laval, ce dernier crée en janvier 1943 la Milice. La Milice est une association de Français qui s'occupe d’abord de propagande et de renseignement avant de participer activement à la répression ayant reçu l'autorisation par l'occupant de s'armer39. De la même manière que la Milice doit pallier les manquements des policiers, des cours martiales sont créées par l'État Français pour pallier le manque de sévérité dans la répression des magistrats qui deviennent plus précautionneux dans leurs jugements alors que l'avantage semble tourner aux Alliés. Ces cours martiales ont été étudiées par Virginie Sansico alors qu'elle préparait une thèse sur la répression judiciaire contre la Résistance dans la région lyonnaise40.

Les cours martiales n'ayant laissé que peu d'archives, elle s'est servie des registres d'écrou de prisons, des dossiers des cours de Justice de l'épuration, des archives préfectorales, des ministères de la Justice et de l'Intérieur et de témoignages de familles des fusillés. Les cours martiales sont instaurées le 20 janvier 1944, elles restent actives jusqu'en août. Lors de ces quelques mois, elles sont responsables d'environ deux cents exécutions surtout dans les régions lyonnaise et parisienne mais aussi dans l'ensemble du pays. Elles sont chargées de condamner les individus « agissant isolément ou en groupes, arrêtés en flagrant délit d'assassinat ou de meurtre, commis au moyen d'armes ou d'explosifs, pour favoriser une activité terroriste »41. À partir du 14 mai, le flagrant délit n’est plus obligatoire. Le jugement, effectué sans instruction préalable et sans la présence d'avocat, n'a que deux issues possibles : la condamnation à mort ou la déclaration d'incompétence de la cour sur l'affaire jugée (elle est alors envoyée au procureur qui la renvoie généralement aux sections spéciales). Les condamnés ne peuvent pas faire appel ni demander de grâce.

Les cours martiales apparaissent comme l'« aboutissement d'un processus de radicalisation de la répression légale »42. L'État Français se sert d'abord du tribunal correctionnel, adoptant les lois promulguées par la Troisième République sur le communisme, le défaitisme, etc. En 1941, avec l'entrée en résistance du parti communiste, il crée des juridictions d'exception dont les sections spéciales chargées de juger les auteurs d'actes

37 BERLIÈRE Jean-Marc, « Les ''polices'' de l'État Français : genèse et construction d'un appareil répressif », in GARNIER Bernard, LELEU Jean-Luc, QUELLIEN Jean (dir.), La répression en France, op. cit., pp. 107-127. Lire aussi BERLIÈRE Jean- Marc, Polices des temps noirs : France 1939-1945, Paris, Perrin, 2018.

38 À ce sujet : PINEL Alain, Une police de Vichy : les groupes mobiles de réserve (1941-1944), Paris, L'Harmattan, 2004.

39 Sur la Milice : DELPERRIÉ DE BAYAC Jacques, Histoire de la Milice, Paris, Fayard, 1969 ; AZÉMA Jean-Pierre, « La Milice », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, no. 28, 1990, pp. 83-105 ; GIOLITTO Pierre, Histoire de la Milice, Paris, Perrin, 1997.

40 SANSICO Virginie, La justice du pire. Les cours martiales sous Vichy, Paris, Payot, 2003.

41 Article 2 de la loi créant les cours martiales cité dans Ibid., p. 50.

42 SANSICO Virginie, « Les cours martiales de Vichy en 1944 : un cas extrême de justice d'exception », in GARNIER Bernard,

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terroristes, anarchistes ou communistes43. Le 1er janvier 1944, Joseph Darnan, chef de la Milice, devient secrétaire général au Maintien de l'ordre. Les cours martiales, instituées pour compenser le manque d'efficacité répressive des sections spéciales, sont placées sous sa direction. Elles sont utilisées dans la répression des maquis, des mutineries (à la centrale d'Eysses et à la prison de la Santé), des Groupes francs de la Résistance et contre des individus (seuls ou en groupes) ayant fait usage de leur arme (lors d'actions ou de contrôles d'identité).

3 Les résistants face à la mort

L'action des différentes instances de répression fait peser une menace de mort constante sur les résistants. Ceux-ci en sont bien conscients, les ordonnances étant promulguées et les avis des condamnations à mort paraissant dans la presse et sur les murs des villes.

Le rapport à la mort des hommes a été étudié par des historiens lors du développement de l'histoire des mentalités. Philippe Ariès, un des pionniers de cette histoire, a travaillé sur l'évolution des attitudes de l'homme occidental face à la mort dans l'Occident, retraçant plus d'un millénaire d'histoire dans son ouvrage L'homme devant la mort paru en 197744. À sa suite, Michel Vovelle, directeur de l'Institut d'histoire de la Révolution française à la Sorbonne, a publié en 1983 La mort et l'Occident de 1300 à nos jours45. Cependant, ils n'abordent pas le cas de la Seconde Guerre mondiale. D'autres historiens ont travaillé sur certains aspects du rapport des hommes à la mort, notamment du point de vue religieux. Jacques Le Goff, médiéviste à l'École pratique des hautes études, a par exemple publié l'article « L'attente dans le christianisme : le Purgatoire » dans lequel il retrace l'apparition du concept de Purgatoire, lieu situé dans l'Au-Delà près de l'Enfer où les âmes purgent leurs péchés véniels, et le décrypte montrant l'attente dans lequel il met les chrétiens (attente de l'accès au Paradis s'il y a des proches du défunt encore vivants pour prier pour lui ; attente du Jugement dernier pour les autres)46. Jacques Le Goff avait auparavant rédigé un ouvrage sur la naissance de ce concept47.

Les historiens spécialistes de la Résistance n'ont que peu étudié la relation des résistants à la mort, la traitant de manière détournée par certains objets d'étude tels que les organes de répression, les maquis et l'histoire de certains mouvements. Cependant, Pierre Laborie a dressé un état de la question48. Il a démontré la particularité de cette guerre (ce n'est pas un combat entre des armées à découvert dont les soldats sont tués au hasard des coups des armes, les modalités d'exécution sont différentes : exécutions dissimulées, décapitations, représailles collectives, etc.) et souligné que tous les résistants (quel que soit leur statut au sein de la Résistance) sont soumis aux mêmes risques. La mort revêt un sens particulier pour les résistants qui ne sont pas appelés à combattre par un avis de mobilisation du gouvernement mais choisissent de se battre pour leur patrie et leurs idéaux. Elle est donc perçue comme utile par ceux qui l'affrontent et relève du sacrifice volontaire. L'historien a aussi montré le lien qui s'exprime entre les vivants et les morts par les obsèques des résistants, qui conduisent parfois à l'expression d'un certain esprit de solidarité du corps social lors de l'Occupation, et l'enjeu qu'a la mort lors de la Libération (entre ressentiment du côté des résistants et représailles du côté des nazis). Il a repris en

43 Sur l'évolution des pratiques judiciaires françaises sous l'Occupation : SANSICO Virginie, La justice déshonorée 1940-1944, Paris, Tallandier, 2015.

44 ARIÈS Philippe, L'homme devant la mort, Paris, Éditions du Seuil, 1977.

45 VOVELLE Michel, La mort et l'Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983.

46 LE GOFF Jacques, « L'attente dans le christianisme : le Purgatoire », Communications, no. 70, 2000, pp. 295-301.

47 Id., La naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981.

48 LABORIE Pierre, « Résistance, résistants et rapport à la mort », in GARNIER Bernard, LELEU Jean-Luc, QUELLIEN Jean, SIMONIN Anne (dir.), Pourquoi résister ? Résister pour quoi faire ?, Caen, Centre de Recherche d'Histoire Quantitative, CNRS- Université de Caen Basse-Normandie, 2006, pp. 25-33.

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partie cette contribution dans la définition qu'il donne de la mort dans le Dictionnaire historique de la Résistance49. Laurent Douzou, lors d'un autre colloque portant spécifiquement sur la mort, a précisé que la mort des résistants est loin de paraître toujours héroïque comme peut le laisser penser la mort de Jean Moulin (sous la torture sans avoir divulgué d'informations). Elle peut être accidentelle lors d'un acte de résistance si un sabotage tourne mal par exemple50. La mémoire des résistants décédés au combat se focalise après la guerre sur un nombre très restreint de résistants, ceux-ci ont vocation à représenter la Résistance dans sa diversité afin qu'elle ne sombre pas dans l'oubli.

Alain Guérin, poète et journaliste, a détaillé les différentes modalités de mort auxquelles sont confrontés les résistants (pouvant être fusillés, guillotinés, assassinés ou se suicider) dans sa Chronique de la Résistance51. Il l'a réalisée à l'aide d'environ quatre cents témoignages de résistants qui prennent donc la majeure partie de l'ouvrage. Celui-ci contient quatre parties (la première sur la naissance de la Résistance ; la deuxième sur les résistants face à leurs bourreaux ; la troisième sur l'aspect mondial de la guerre et les maquis et la dernière sur l'Occupation, la collaboration, les moyens de résister et la victoire). Le chapitre analysant la mort des résistants est compris dans la deuxième partie, « Du côté des bourreaux ». Il s'appuie sur des exemples précis étayés par diverses sources tentant ainsi d'éclairer certaines morts dont les circonstances demeurent floues telles que celle de Jean Moulin et celle de Berty Albrecht.

4 Le suicide des résistants

Au moment de leur capture ou lors de leur emprisonnement, les résistants choisissent parfois, lorsqu'ils en ont la possibilité, de se suicider afin d'être certains de ne pas trahir leurs camarades en parlant sous la torture.

Les circonstances de leur mort sont souvent mal connues, les Allemands peuvent présenter un décès sous la torture comme un suicide tel que cela semble être le cas pour Jean Moulin et Berty Albrecht bien qu'il soit difficile de l'établir avec certitude.

Le suicide d'Émile Durkheim, publié en 1897, est une œuvre pionnière sur le sujet bien qu'il le traite uniquement comme fait social52. Émile Durkheim est un sociologue qui a cherché à établir une méthode propre à la sociologie afin de la positionner comme science et de la légitimer. Son ouvrage se présente comme l'illustration de la méthode que devraient adopter les sociologues. Il définit clairement le suicide expliquant l'importance de la définition et le cheminement de sa réflexion pour y parvenir. Il en arrive à ceci : « On appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d'un acte positif ou négatif [refuser de subvenir à ses besoins vitaux], accompli par la victime elle-même et qu'elle savait devoir produire ce résultat53. » Il étudie ensuite les facteurs extra-sociaux pouvant influencer le suicide en observant, selon leur présence, la variation du nombre de suicides dans les pays européens. L'influence de ces facteurs n'étant pas probante, il s'intéresse aux facteurs sociaux. Il distingue ainsi quatre catégories de suicide : le suicide égoïste, lié au degré d'intégration des individus à des groupes sociaux tels que la religion (variation du taux de suicide selon la confession) et l'état matrimonial (plus l'intégration est forte moins l'individu risque de mettre fin à ses jours) ; le suicide altruiste qui dépend d'une forte intégration à l'armée ; le suicide anomique qui peut être

49 LABORIE Pierre, « Mort », in MARCOT François (dir.), LEROUX Bruno, LEVISSE-TROUZÉ Christine (collaborateurs), Dictionnaire historique de la Résistance, Paris, Robert Laffont, 2006, pp. 955-960.

50 DOUZOU Laurent, « Les morts de la Résistance », in DUMOULIN Olivier et THÉLAMON Françoise (dir.), Autour des morts.

Mémoire et identité, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 2001, pp. 409-417.

51 GUÉRIN Alain, « La mort », in Chronique de la Résistance, Paris, Omnibus, 2010, pp. 497-675.

52 DURKHEIM Émile, Le suicide : étude de sociologie, Paris, Presses universitaires de France, 1993.

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économique (nécessité d'un équilibre entre les besoins et les moyens financiers) ou conjugal (divorce, veuvage) et le suicide fataliste qui concerne les individus opprimés par la société et dont les désirs et espérances sont par elle réduits à néant54.

Le suicide est également étudié par des historiens. Georges Minois, membre du CIRET (Centre international de recherches et d'études transdisciplinaires) et spécialiste de l'histoire des mentalités religieuses, a écrit une Histoire du suicide55. Il a étudié les interdits qui pèsent sur le suicide et sa perception en retraçant l'histoire du suicide du Moyen Age jusqu'au XXe siècle. Il n'a cependant traité de ce siècle que très sommairement pour brosser un rapide état de la sociologie, psychanalyse et médecine à ce propos.

Il n'y a pas d'ouvrage portant spécifiquement sur le suicide ou les tentatives de suicide d'un ou de résistant(s), cependant ce thème est abordé dans certains travaux. Sébastien Albertelli a précisé que les services britanniques, constatant les tortures que subissent les résistants arrêtés, décident de donner aux agents envoyés en France une pilule de cyanure. Ils cessent de le faire après le débarquement car la découverte d’une de ces pilules par les Allemands trahit l’activité de son détenteur56. L’utilisation du cyanure est controversée, comme le rapporte Alain Guérin, certains résistants estiment que leurs camarades risquent de choisir le suicide avant d’avoir éprouvé leur résistance physique57. Le cyanure n’est pas le seul moyen adopté par les résistants pour se suicider : certains retournent leur arme contre eux, se défenestrent, d’autres se taillent les veines, etc. Alain Guérin a décrit plusieurs de ces cas dans sa Chronique de la Résistance. Les suicides sont aussi évoqués dans certaines biographies. Le journaliste Pierre Péan a par exemple mené une enquête sur Jean Moulin, consultant des archives et recueillant des témoignages, qu'il a publiée sous le titre Vies et morts de Jean Moulin58. Il y retranscrit notamment le récit de Jean Moulin sur sa tentative de suicide en 1940 et, à l'appui des témoignages de Klaus Barbie, chef de la Gestapo à Lyon, et Marie-Rose Holveldts, femme de ménage au 84 avenue Foch d'octobre 1942 à août 1944, explique qu'il aurait tenté de se tuer en 1943, juste avant son décès, en se cognant violemment la tête contre des murs. La sœur aînée de Jean Moulin, Laure, a écrit un ouvrage sur son frère basé sur ses souvenirs mais aussi sur de nombreux documents. Elle relate également la tentative de suicide de Jean Moulin en 1940, son arrestation en 1943, expose des témoignages de ceux qui l'ont aperçu durant sa captivité (elle ne mentionne pas de tentative de suicide), l'acte de décès que sa famille a reçu et tente de retracer le devenir du cadavre de son frère. Elle n'a pas pu voir son corps qui a été incinéré59.

Jean-Michel Chaumont, professeur de sociologie historique à l'Université catholique de Louvain, a rédigé un livre sur les individus qui refusent au contraire d'aller jusqu'au sacrifice : Survivre à tout prix ? Essai sur l'honneur, la résistance et le salut de nos âmes60. Dans la première partie, il analyse les réactions suscitées par le retour de résistants communistes belges du camp de Breedonk qui ont été torturés. Il établit une typologie de ces résistants, les distinguant en quatre catégories : les « incorruptibles » qui n'ont pas parlé, les « pénitents » qui sont réintégrés dans le parti après un délai, les « déshonorés » qui ont livré des informations et les

« dévergondés » qui ont trahi et ne s'en sont pas amendés.

54 Il ne cite le suicide fataliste qu'en bas de page le considérant comme minoritaire et difficile d'étude.

55 MINOIS Georges, Histoire du suicide : la société occidentale face à la mort volontaire, Paris, Fayard, 1995.

56 ALBERTELLI Sébastien, « La marque du clandestin : la pilule de cyanure », in Les services secrets de la France libre, Paris, Nouveau monde éditions, 2017, pp. 101-102.

57 GUÉRIN Alain, Chronique de la Résistance, op. cit., p. 561.

58 PÉAN Pierre, Vies et morts de Jean Moulin, Paris, Fayard, 1998.

59 MOULIN Laure, Jean Moulin. Biographie, Paris, Les Éditions de Paris, 1999.

60 CHAUMONT Jean-Michel, Survivre à tout prix ? Essai sur l'honneur, la résistance et le salut de nos âmes, Paris, La Découverte, 2017.

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5 Les meurtres commis par les résistants

Certains résistants choisissent de tuer des Allemands, dans une lutte directe contre l'occupant, ou des policiers, miliciens et collaborateurs afin d'enrayer la répression. Il est aussi possible qu'ils tuent par vengeance, ce qui ne semble pas encore avoir été étudié par des historiens. En revanche, des chercheurs se sont intéressés à la vengeance pour d'autres périodes de l'histoire. Jean-Claude Bourdin, Frédéric Chauvaud, Pascal-Henri Keller et Ludovic Gaussot, respectivement professeur de philosophie, d'histoire contemporaine, de psychopathologie et maître de conférences en sociologie, ont dirigé l'ouvrage Faire justice soi-même : Études sur la vengeance dans lequel sont étudiées différentes formes de vengeance ainsi que sa dimension psychologique61. Raymond Verdier, directeur de recherche au CNRS, a également dirigé un ouvrage transdisciplinaire sur la vengeance qui comporte une contribution sur les injonctions des monothéismes méditerranéens à ce sujet62.

Le parti communiste français n'est pas entré dans une position de lutte dès le début de l'Occupation.

L'URSS ayant conclu avec l'Allemagne un pacte de non-agression le 23 août 1939, L'Humanité, organe de presse du PCF, dénonce la guerre, qualifiée d'impérialiste, et demande à ses militants de ne pas y participer.

L'invasion de l'URSS par l'Allemagne le 22 juin 1941 permet au journal de renouer avec son discours anti- hitlérien d'avant-guerre. Serge Wolikow, professeur à l'Université Bourgogne à Dijon, a souligné cette rupture dans un article paru en 200363. Les dirigeants du PCF appellent désormais à chasser l'occupant. Les allusions à des actions concrètes contre les Allemands, comme le sabotage, commencent à être suggérées dans le journal.

Cependant il est surtout fait allusion aux otages et peu aux auteurs d'attentats contre des soldats dans un premier temps. Ce n’est qu'à partir du début de 1942 que paraissent des exhortations à la création de groupes armés.

Auparavant, les attentats sont menés par des jeunes militants (membre des jeunesses communistes et des bataillons de la jeunesse) et des vétérans des brigades internationales64. Le parti communiste lutte aussi contre les délateurs et les donneurs. Il établit des listes noires répertoriant les militants traîtres au parti. Ces listes ont été étudiées par Franck Liaigre, chargé de recherche au CNRS, et Sylvain Boulouque, enseignant-chercheur à l’Université de Reims65. L’élaboration de listes noires conduit à l’exécution de certains traîtres, ce qui a été étudié par Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre. Grâce au dépouillement des archives de la brigade spéciale antiterroriste, conservées à la préfecture de police de Paris, croisées avec des témoignages et archives privées de militants, ils ont étudié la mise en place du détachement Valmy par le PCF, son organisation, ses actions et la manière dont ses membres sont réprimés66. Les historiens indiquent les méthodes utilisées par les cadres spéciaux du détachement pour exécuter les traîtres, la manière dont des militants peuvent être assassinés sur simples soupçons de trahison mais aussi le rôle progressivement joué par le groupe dans la lutte directe contre l’occupant par des attentats à l’explosif.

61 BOURDIN Jean-Claude, CHAUVAUD Frédéric, GAUSSOT Ludovic, KELLER Pascal-Henri, Faire justice soi-même : études sur la vengeance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.

62 VERDIER Raymond, « Du devoir à l'interdit dans les monothéismes méditerranéens », in VERDIER Raymond (dir.), Vengeance : le face-à-face victime/agresseur, Paris, Autrement, 2004, pp. 68-72.

63 WOLIKOW Serge, « Entre guerre impérialiste et lutte armée : L'Humanité dans la clandestinité de la Seconde Guerre mondiale », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no. 92, 2003, pp. 51-62.

64 FERRAGU Gilles, « La Seconde Guerre mondiale », in Histoire du terrorisme, Paris, Perrin, 2014, pp. 208-236.

65 BOULOUQUE Sylvain, LIAIGRE Franck, Les listes noires du PCF, Paris, Calmann-Lévy, 2008.

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