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(1)

CENTRE· O'ADIOPOOOUMÉ (COTE O'IVOIRE)

SECTION SCIENCES HUMAINES

ZIOMBLI:

L'ORGANISATION SOCIALE D'UN VILLAGE GUÉRÉ-NIDROU

(CO·TE D'IVOIRE)

ALFRED SCHWARTZ

DOCUMENT DE TRAVAIL

OCTOBRE 1965

(2)

,

OFFICE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE OUTRE-MER CENTRE D'ADIOPODOUME

Section Sciences Humaines

Z I O M B L I :

LlO R GAN 1 S A T ION SOCIALE DIU N VIL L AGE GUE R E - NID ROU •

Document de travail

(Côte d'Ivoire)

Alfred SCH\~ARTZ

Octobre 1965

(3)

SOM MAI R E

1. LE VILLAGE ORIGINES DU PEUPLEMENT ACTUEL ET HISTORIQUE DE ZIOMBLI.

A. La connaissance généalogique et son apport

B.

Origines du peuplement actuel : la constitution du groupement Nidrou

p. 7

B

C. L'historique du village de Ziombli 15

1. La période pré-coloniale: le village-lignage 17 2. La période coloniale : éclatements et regroupements 24 3. La période post-coloniale : stabilisation et

fixation 30

II. LA STRUCTURE DEMOGRAPHIQUE

A. La structure par ~ge 35

B. Natalité et mortalité 38

C. Répartition de la population et structure lignagère 39

III. L'ORGANISATION SOCIALE

A. Les unités territoriales

B.

Les unités sociales

IV. LA STRUCTURE DE PARENTE

A. Les termes de parenté

B.

Les catégories de parenté C. Les types de comportement

V. LA STRUCTURE MATRIMONIALE A.

Monogamie et polygamie B. Les règles d'exogamie

C.

La sphère des échanges matrimoniaux D. La dot

E. Les différentes formes de mariage F. Le rituel de mariage

G. Adultère et divorce

H. Filiation et transmission de l'appartenance clanique

CONCLUSION

41 45

50 56 62 72 73 75 79 81 94 107 10B 111 119

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(4)

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LE PA YS GutRÉ

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(5)

Les populations communément désignées sous le terme

"Guéré" s'étendent approximativement, entre les 6ème et 7ème parallèles de latitude Nord, de la Sassandra au Cavally

Uusqu'à la hauteur de Toulépleu) et à la Nuon du COté Ivoirien, pour s'enfoncer dans le Hinterland libérien jusqu'à la vallée de la Douobé.

La dénomination "Guéré" elle-meme recouvre une réalité ethnique qui n'est homogène qu'en apparence. Elle regroupe en effet sous le même vocable des groupements humains qui n'ont de commun qu'une structure sociale de type clanique et à descendance patrilinéaire, entretenant quelquefois à l'intérieur d'une même aire géographique des rapports

d'alliance, mais le plus souvent s'ignorant totalement les uns les autres d'une extrémité à l'autre du territoire. C'est le capitaine Laurent qui, le premier, en 1911, dans un souci de classification, "les a réunis en un seul bloc, n'ayant pas pu sa faire indiquer par eux le nom sous lequel ils se dési- gnent ••• Il leur a appliqué la dénomination Guéré ou Gué, an usage chez leurs voisins du Nord, Dan et Mandingue" (1).

D'après Lavergne de Tressan "les Guéré se nomment eux- m8mes Wehu, Wenyon, Gwenyon; ils sont appelés Gué (=anthropo-

phage) par les Dan, et Guéré par l'administration"(2).

(1) Capitaine Laurent; Monographie du Cercle du Haut Cavally; 1911, Document manuscrit. Archives Nationales;

Ministère de l'Information; Abidjan.

(2) Lavergne de Tressan. Inventaire linguistique de l'Afrique Occidentale française et du Togo. p. 134~ Mémoire Ifan Dakar 1953.

(6)
(7)

Mais des enqu6tes effectuées aupr~s des différents groupemente de l'actuelle Sous-Préfecture de Toulépleu, i l apparatt clairement que les anciens n'ont pas conscience d'avoir jamais appartenu à une entité ethnique qui ait pu se superposer à l'unité territoriale et politique supr6me qua conetituait ~a traditionnelle fédération de lignages. Lee

traditi~ns orales des différents groupemente sont souvent ellee-mOrnes à ce point divergentes qu'il n'est d'ailleurs mOme pas possible de retenir l'hypoth~se d'une origine commune.

La diversité et l'hétérogénéité des populations dites

"Guéré" (19 "tribus" en Cate d'Ivoire) apparaissent sncore plus nettement loraqu'on s'engage dans l'inextricable lab~­

rinthe des groupements claniques de l'Hinterland libérien.

Officiellement, les Guéré du Libéria sont appeléa Krahn.

Selon Lavergne de Tresaan, "Krahn est une déformation de Kuraan, terme par lequel Gyo (Dan du Lib6ria) et Manon dési- gnent lea peuplades Kpaan, identique à ce que nous appelons Géré (1)".

D'après Schwab (2), les Krahn (kra) réunissent les Tié et les Sapé. B. Holas ne distingue pas moins ds 13 tribus en pays Krahn, qui seraient toutes originaires de l'actuelle CBte d'Ivoire. "Lss légendes qui nous ont été racontées si- tuent ls pays d'origine de toutes les peuplades paa sur l'au- tre c6té du fleuve Cavally; les aborigènes de Toulépleu sont désignés comme directement apparentés. Ces liens d'ailleurs subsistent tr~s nettemsnt" (3).

(1)

(2)

(3)

Lavergne de Treeean - Ouvrage cité p. 134

G. Schweb. Tribes of the Liberian Hinterland. Report of the Peabody Museum Expédition to Libérie-Cambridge Massachussets - USA - 1947 - "Tië and Sap~ are Called by the Mano and Gio" - p. 28.

B. Halas. Mission dans l'Est Libérien p. 133 Mlf AN nll14 1952.

-

KraJ

(8)

-3- Linguistiquement le Gere avait été rangé par Baumann et Westermann (1) en 1948 parmi les dial_ectes Mandé-Fou. Il est désormais acquis que le Gere appartient au groupe Krou ou Eburnéo libérien (2).

Administrativement les Guéré ressortissent en CSte

d'Ivoire aux Sous-Préfectures de Duékoué, Guiglo, Bangolo et Toulépleu, Département de l'Ouest; au Libéria au Grand Gedeh County (3). Du cOté ivoirien la population est forte de

120.000 individus environ. Du cOté libérien elle peut-8tre évaluée approximativement à 30.000 personnes.

Notre enquête a été limitée à l'étude des Guéré de la Sous-Préfecture de Toulépleu, et plus particulièrement au cadre d'un traditionnel groupement de guerre, le groupement Nidrou, constitué de 20 lignages, répartis actuellement sur 17 villages. Dans les limites de la Sous-Préfecture de Tou- lépleu, on compte 5 de ces groupements (improprement appelés

"tribus"): Neao, Boo, Nidrou, Pehua et Welao. Avant l'occupa- tion coloniale, i l s'y ajoutait trois autres: Winlao, Gbao et Mao. La mise en place d'une administration militaire à Toulépleu en 1913 entraîne rapidement un exode massif vers le Libéria, portant quelquefois sur des tribus entières. Ce fut le cas des Gbao et des Mao. Quant aux Winlao, ils furent

(1) Baumann & Westermann. "Les peuples et les civilisa- tions de l'Afrique" p. 454.

(2) cf. Lavergne de Tressan. Ouvrage cité p.133 cf. égale- ment J. Bertho • "La place des dialectes Gere et Wobe par

rapport aux autres dialectes de la COte d'Ivoire". BIFA-t.

XIII 1951 n2 4 pp. 1272-80.

(3) La réforme administrative de 1964 a supprimé la divi- sion terri~oriale du pays en provinces. Le Libéria est désor- mais divi~é en comtés (9); l'Eastern Province est ainsi

devenue le Grand Gedeh County, chef-lieu Tchien ou Zwedru.

(9)

progressivement intégrés par les Pehua. Tous ces groupements ont entretenu au cours de l'histoire des relations tant6t d'alliance, tant6t (et ceci le plus souvent) conflictuelles.

L'intér~t du choix de la Sous-Préfecture de Toulépleu comme centre de notre enquête réside dans le caractère tri- plement marginal de la région

- marginal géographiquement : Toulépleu est à 650 km.

d'Abidjan, au plus profond de la for~t de l'Ouest ivoirien;

la première colonne militaire sous les ordres du Lt. Liorzon, n'atteignit Toulépleu qu'en 1913, et était partie de Dan~né,

la pénétration à partir de Guiglo étant encore quasi~impossi­

ble; ce n'est qu'en 1961 que le bac de Sahibli, sur

le

Ca val- ly, fut remplacé par un pont;

- marginal économiquement: l'introduction de la culture du café ne dete que de 1926 (installation des frères Leroy à Dieya, à 31 Km de Toulépleu); la Route de Guiglo - Tou2~pleu

n'est achevée qu'en 1931; l'éloignement rend l'évacuation des produite difficile et grève l'acheminement des marchanaises ds frais de transport très élevés; la difficulté des communi- cations bloque pendant longtemps les migrations vers la Basse- Cete, ralentit l'infiltration d'idées nouvelles et contribue à maintenir le Guéré dans le cadre traditionnel de l'économie de subsistance;

- marginal politiquement: la proximité de la frontière libérienne, l ' a t t r a i t exercé par la République Noire 00 les travaux publics sont inexistants et les prestations inconnues, l'absence apparente de coercition ont contribué à sensibili- ser à l'extrême la population à une situetion qui leur pareis- sait d'autant moins inélectable qu'il était possible de la fuir très facilement, et à créer un climat d'instebilité, d'hostilité et d'insécurité permanentes. "Les Libériene ne . se sont jamais fait f~ûte d'exciter nos gens à fui~ ~otre

(10)

-5- autorité "écrit René Viard (1) en 1932". L'exemple de la

région voisine dans laquelle i l n'est levé aucun imp6t régu- lier, o~ l'on ne voit personne 6tre astreint eux prestations, où i l semble que chacun peut vivre à sa guise et selon ea

fantaisie n'est évidemment pas pour nos populations un élement de soumission. La tentation est parfois grande d'échapper à ce que notre règle peut avoir de rigoureux et à ce que notre Administration peut avoir ds surprenant ••• "René Viard estime à 15.000 lss Guéré qui ont passé au Libéria de 1913 à 1930 •••

Compte tenu de tous ces éléments, i l est dès lors inté- ressant de saisir comment à l'heure actuelle une telle socié- té s'intègre à un ensemble plus' vàste, qu'il soit régional ou national. Selon quel processus le schéma traditionnel s'adapte- t - i l à la réalité moderne ? Quels sont les dynamismes révélés par l'évolution en cours? Les facteurs de changement sont- ils induite de l'intérieur ou imposés de l'extérieur?

Seule l'étude en profondeur d'une communauté villageoise peut nous permettre d'analyser en termes suffisamment concrets la portée réelle des transformations socio-économiques entrai- nées d'une part par le développement des cultures commerciales, et la monétarisation de l'économie, d'autre part par la poli- tique de modernisation des villages et de "reconstruction

sociale" dans laquelle s'est hardiment lancé le gouvernement depuis la proclamation de l'Indépendance. Aussi avone-noue retenu comme centre d'enqu0te, à l'intérieur du groupement

(1) René Viard - Renseign~ments sur le Libéria. Région Singbé-Tchien. Rapport 4ème trimestre Juin 1932. Archives Nationales. Ministère de l'Information. Abidjan.

(11)

Nidrou le village de Ziombli, sur la rive droit du Cavally, à 2 km du fleuve. Autour de l'ancien Ziombli se sont regrou- pées successivement en 1961 et en 1965 deux communautés villa- geoises voisines : Guiriambli et Klabo.

Si le travail d'enqu@te n'a pas toujours été facilité par suite d lune certaine fluidité et d'une extr~me mobilité de la population au tours de cette période de "reconstruction"

l'expérience en cours nous a permis par une observation

directe permanente de procéder à une approche qualitative plus concrète, et partant plus significative de la réalité villa- geoise. Les 3 villages réunis constituent en mars 1965 une population de 736 personnes.

(12)

-7-

1 - LE VILLAGE· : ORIGINES DU PEUPLEMENT ACTUEL ET

---~---

Il nous a ~t~ possible d'étudier les origines du peuplement actuel et de faire l'historique du village de Ziombli, graceaux apports conjoints de la connaissance généalogique et de la tradition orale.

A - Le ~onnai6sance génsalogj.que et son apport

La profondeur g~n6alogique des famil18s que nous avons étudiées atteint une moyenne de 8 à 10 g~nêrations, l'anc~tre

fondateur étant presque ~oujours assimilié au guerrier qui commandait la famille lors des luttes qui ont accompagné son implantation dans la région. Il nous fut rarement possible d'aller BU delà. Dans un cas tout à fait exceptionnel

cependant, un informateur, le chef du village da Diai, dot~

d'une mémoire g~néalogique étonnante, nous a reconstitué un arbre s'étendant de la base au sommet sur 15 générations.

L'investigation généalogique nous sembla utile à quatre points de vue :

elle nous permet teut d'abord de ~avoir si nous

avons affaire à un clan (impossibilité de déterminer le lien généalogique précis qui unit chacun de ses membres à lranc~­

tre fondateur, et partant entre eux), ou à un lignage (aucune interruption dans la généalogie);

- elle nous donne ensuite la dimension gâographique de la famille : importance des groupements locaux, nature de l'éparpillement, mouvements migratoires individuels, etc ••• >

(13)

parenté (détermination du lien exact de parenté et des règles de comportement) et des échanges matrimoniaux (détermination de la sphère des meriages possibles);

- elle nous permet enfin d'établir une chronologie approximative des évènements qui ont touché la famille : lutte tribele illustrée par tel guerrier qui est "situé"

dans la généalogie, migration sous la conduite de tel chef, etc •••

Ainsi l'implentation du groupe Nidrou sur les berges du Cavally s'est-elle effectués, selon toute vrsisemblance, vers le milieu du 1Sème siècle. Il nous est possibls d'avancer cette date gr8ce aux recoupements que permet l'analyse compa- rative des arbres généalogiques des différente lignages qui ont participé

&

cette migration. En effet, la tradition orale perpétue dans chaque famille les hauts faits de tel ou tel de ses chefs militbires. Il suffit de "situer" les guerriers illustrés per le conflit avec les f~:-pa dans la gén6alogi8. Nous obtenons dans chacun des cas une profondeur moyenne de 1 à 8 générations, ce qui correspond en gros •

200 ans.

B - Origines du peuplement actuel , la constitution du groupement Nidrou

Les circonstances qui entourent la création des clans ou lignages sont centrées sur un mythe d'origine dont le thème, très fréquent en pays Gu6ré, est la fécondité.

A titra d'exemple nous relaterons la légende qui entoure la création du lignage 5euandi.

(14)

-9- Seuan a une femme Sehi, qui après de longues années de mariage, ne lui a toujours pas donné d'enfant. Craignant de ne pas laisser de descendance, il s'en va, accompagné de son frère Duho, et de sa femme Sehi, implorer la Montagne-fétiche

(non localisée géographiquement) de guérir sa femme de la stérilité qui l'accable. Une voix sort de la Montagne et proclame: "Tu auras de nombreux descendants et tu fonderas une grande fa~ille", en m~me temps qu'une main mystérieuse tend à Seuan le remède (une poudre) miraculeux qui rendra sa femme féconde. Mais en retour, la"Voix" exige que Duho reste dans la Montagne pendant quatre jours (chiffre féminin).

Quatre jours passent. Le frère ne revient pas. Seuan par à sa recherche, retourne auprès de la Montagne et appelle Duho. A la place du frère, un chien (g'be) vient au-devant de lui, et la "Voix" une nouvelle fois se fait entendre: " Ce chien est ton frère. Ne l'appelle pas g'be, mais continue à l'appeler Duho. Devant la consternation de Seuan, la "Voix"

continue: "Va, emmène-le avec toi, et dans l'adversité, le malheur et la guerre, apprends à dominer et calmer ton ceur".

Seuan retrouve Sehi et tous deux entourent le "chien- frère" d'une chaude et tendre affection. Et la légende se termine comme un conte de Perrault. Duho demeura avec eux jusqu'à sa mort.' Seuan et Sehi "vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants".

La légende de Duho transformé en chien est particuliè- rement significative à un double point de vue :

- en premier lieu, i l apparatt clairement que la métamorphose de Duho est le prix exigé par la "puissance surnaturelle" pour la guérison de Sehi. Or un tel sacrifice ne semble nullement justifié et appara1t comme purement

gratuit. Le mouvement d'indignation de Seuen est vite mattrisé

(15)

après les paroles mi-d'apaisement, mi-de réprimande de la Montagne et à la consternation succède la résignation : atti- tude de soumission passive à une force qui appara!t comme incontr6lable;

- en second lieu, la stérilité appara1t comme une malédiction telle qu'aucun sacrifice n'est trop grand pour payer le prix de sa guérison. La fécondité devient ainsi le bien supr6me, le signe le plus évident de la bénédiction des puissances surnaturelles, le moteur de la prospérité du

groupe. Dans ces conditions, i l est clair que si Seuen avait eu à se prononcer entre la métamorphose de son frère en chien et la guérison de sa femme, c'est sans hésitation la première solution qu'il aurait retenue. Le thème de la fécondité

demeure encore actuellement au centre de toutes les manifes- tations de la vie sociale Guéré.

22 Tradition orale et Histoire

La tradition orale quitte ensuite le domaine de la mythologie pour entrer dans celui de l'histoire, du moins si lIon en juge par la similitude de la concordance des faits dont elle entoure l'implantation du groupe Nidrou de part et d'autre des rives du Cavally.

A l'origine, toutes les familles appartenant au futur groupe Nidrou habitent le pays Wobé (1), dans la région de

(1) Certains informateurs sont allés jusqu'à localiser troie villages d'oD seraient partis les éléments Wobé:

- Nidrou : Ni= eau; Drou= tete; littéralement "t6te de l'eau", c'est-à-dire source; village du canton Tao, 8oU8- préfecture de Kouibli, département de Man.

- Paoulo Zirebo

du même canton,

canton Zerabao, sous-préfecture de Bangolo.

(16)

-11-

Man. Les traditions orDles familiales sont légèrement diver- gentes quant aux raisons et aux circonstances exactes de la migration qui a été à l'origine du peuplement actuel des berges du Cavally, et qui s'est effectuée, selon l'hypothèse formulée ci-dessus, vers le milieu du 1Bème siècle.

Selon une première version, les Wobé formaient une tribu de chasseurs, dont certains éléments s'enfonçaient très loin dans la forêt, en direction da l'Ouest, en qu~te

de gibier. Sur les bords du Cavally, ces chasseurs rencon- trèrent une population autochtone, les f;:-pa, agriculteurs sédentaires, avec qui ils pratiquèrent pendant un cartain temps le "troc à la muette" : le nouvel arrivant puisait le mais dont i l se nourrissait dans les greniers des fa:-pa, et en retour déposait devant leurs cases, la contrepartie sous forme de gibier. Ces échanges qui ne se faisaient jamais en présence des intéressés, se pratiquèrent sans accroc jusqu'au jour où une famille autochtone s'estime lésée et saisit le prétexte pour attaquer l'étranger et tenter de le refouler hors du pays. Quelques chasseurs parvinrent à échapper aux f ,.Ja:-pa,- et s'en furent donner l'alerte et chercher des ren- forts "à l'Est". Les familles intéressées se constituèrent en

"groupement de guerre" sous l'autorité de ni-gri (1), "Fétiche de l'eau", et la conduite du féticheur Ksi-Bosran (de la

famille "Zaa").

...,

(1) ni-gri (en Wobé ni-koO "Fétiche de l'Eau", est

~.

l'appellation donnée à ce fétiche par les fa:-pa. Ni-gri est soigneusement imbibé d'eau chaque matin. Son r6le est double:

- r6le d'orienteur: porté par le féticheur qui marche en tGte, i l lui indique la direction;

r6le de catalyseur: en cas d' "opération militaire",

parven~_.à proximité immédiate de l'ennemi, i l déclan- che une pluie diluvienne qui déjoue la surveillance de l'adversaire et le neutralise. Il suffit alors de le surprendre et de l'écraser. Par extension, les f~:-p~

appelèrent tout le groupement guerrier sous l'obédience de ce fétiche "ni-gri".

(17)

Selon une seconde version, la pérégrination des Wobé de la région de Man au Cavally n'est pas u~ phénomène

d'isolés mais le fait d'une tribu de chasseurs nomades, qui, au fur et à mesure que les réserves locales de gibier s'épui- sent, va chercher sa nourriture toujours plus loin. Cette migration serait donc l'aboutissement logique du mode de vie de tout un groupe, dans des conditions écologiques qui, pour rester optimales, étant donné l'équipement technico-économi- que de l'époque, doivent Otre renouve16es en permanence.

~

L'itinéraire suivi n'a pas été le pays da et la vallêe du Cavally, au peuplement déjà dense, mais les Wobé ont effectué une sorte de marche en équerre: du Nord au Sud d'abord, d'Est en Ouest ensuite, jusqu'au Cavally. Un ensemble de familles était détaché en avant-garde et progressait "en éclaireurs".

Ce groupe répondait à l'autorité de ni-gri, "fétiche de l'Eau", et était conduit par le féticheur Kei-Bosran. A proximité du Cavally les ni-gri se heurtèrent à la population autochtone, les fa:-p~, qui tentèrent de porter un coup d'arrOt à leur progression.

Il Semble qu'en réalité la migration Nidrou ait une origine plus historique, et se soit' faite en deux phases.

La pays Wobé ne serait le point de départ que de l~.seconde

étape. La tradition orale de certains lignages Nidrou fait en effet partir la famille de l'ancOtre d'un "pays o~ i l n'y a pas de forOt, situé très loin vers le Nord". De ce pays les Nidrou auraient été "chassés par un envahisseur". Selon

toute vraisemblance, la frange forestière et la savane au Nord-Est de Man pourraient @tre le berceau des "tribus" qui peuplent actuellement l'Ouest de la CBte d'Ivoire (Nidrout

' peus et u'elao). Ces "Guéré du Nord", éparpillés en minus- cules groupements claniques, sane organisation politique

(18)

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(19)

solide, ont été affectés par le double mouvement de popula~

tians dont la COte d'Ivoire a été la scène au XVIIIème siècle:

poussée Mandé au Nord, qui les refoule (en même temps que les Dan et les Gouro) dans la foret; migration Agni à l'Est qui refoule Gouro, Bété et Guéré de l'Est vers l'Ouest.

Les Nidrou auraient ainsi gagné en une première étape l'actuel pays Wobé. Certains groupements s'y sont installés définitivement (ce qui explique l'identité de langue entre Wobé et Guéré de Toulépleu). D'autres, dans la crainte d'etre poursuivis par l'envahisseur, ont continué à s'enfoncer vers le Sud. A la hauteur de Guiglo, ils ont da se heurter aux

"Guéré de l'Est" qui avaient déjà franchi la Sassandra, et être 'contraints à obliquer vers l'Ouest. Ceci expliquerait leur marche en équerre du Nord au Sud, puis d'Est en Ouest.

C'est au terme de cette seconde étape qu'ils ont atteint le Cavally.

A partir de ce point, les traditions orales concordent.

La guerre éclate entrs ni-gri et fr:-p:. Elle est rude et longue (près d'un an). Les ni-gri remportent la victoire et refoulent les fa:-p~ au-delà de la rivière Nuon (1)(actuelle frontière entre CBte d'Ivoire et Libéria).

(1) On retrouve de nos jours des villages fat_pa sur la rive droite de la Nuon, au Libéria. La rivière Nuon consti- tuait en effet une ligne de démarcation stratégique facile à défendre. ft:-p~ signifie littéralement "nombreux peureu~".

Il semble que la lutte ait finalement été moins rude que ne le rapporte la tradition orale Nidrou.. ~ A l'approche de l'en- vahisseur les fal-pa abandonnaient leurs villages et fuyaient vers l'Ouest. C'est ce qui leur valut le surnom de "peureux".

Les populations que les Nidrou désignent sous le nom de f~:-p~

constituent vraisemblablement le groupe Kpaan {cf. introduc- tion}, ou Kpan (K'p~), que les Gyo et les Manon appellent Kuraan, et l'administration libérienne Krahn, ethniquement et linguistiquement assimilés aux Guéré de COte d'Ivoire.

(20)

1 1L- __

-14-

A l'issue des hostilitês, le vainqueur s'êtablit définitivement sur les terres conquises. Chaque chef de lignage fonde son propre village. Le groupement de guerre, son rele terminé, se dissout de lui-marne, msis l'alliance entre les familles se maintient en permanence (il n'y eut jamais de guerre interne), et retrouve toute son efficacité par la suits dans les luttes qui opposent les ni-gri ,aux 'boa.

Le terme ni-~ri'se transformera en ni-drou (Nidrou) (1) et désigne encore actuellement l'ensemble des familles qui ont participé à cette guerre.

(1) La transformation de ni-gri en ni-dru semble 8tre unique- ment le fait d'une mauvaise trenscription phonétique au mo- ment de la pénétration française, et le terme ni-dru actuel ne doit pas être pris dans son sens éthymologique premier : ni=eau; dru= tOte; eoit "tête de l'eau", par extension sourcs, et désignant une localité située à proximité œle source d'une rivière. En effet, dans l'ouvrage publié par la mission

Hostains d'Ollone "De la Cote d'Ivoire au Soudan" qui passe dans la région en 1900 le capitains d'Ollone parle déjà de ni-gri jc~. la carte ethnique qu'il a dressée des régions tra versées) •

(21)

-15-

c -

L'historique du village de Ziombli

L'histoire du village de Ziombli est celle des va-et- vient permanents de 7 lignages (1) ou segments de lignage sur une période de 200 ans environ. L'ai~e géographique de ces déplacements a toujours été le cadre territorial traditionnel- lement occupé par le groupe Nidrou. Les motivations en sont nombreuses: abandon de village au décès de l'ancatre fonda- teur, découverte d'un site stratégiquement plus facile à dé- fendre, exécution des recommandations d'un féticheur qui conseille de s'établir à tel endroit, dissensions internes entre deux branches d'un m~me lignage, éclatement d'un groupe social devenu trop vaste, épuisement des terres, éparpille- ment des individus au moment de la pénétration coloniale

(exode massif vers le Libéria), regroupements imposés par l'administration, etc •••• A ceci i l faut ajouter le tempéra- ment instable du Guéré, allergique à toute forme d'attache •

..

Aussi, lee multiplee essais de regroupement que ten~ent

les administrateurs coloniaux sont-ils tous voués à lléchec • Bien plus, accélèrent-ils encore davantage le mouvement de dispersion, puisque chaque déplacement est accompagné d'une serie d'éclatements du lignage. Qui s'en va s'installer avec sa famille dans un campement en pleine forêt où i l échappera à tout contr6le de l'administration (le but du regroupement étant précisément de faciliter la tache administrative)# qui préfère rejoindre tel village plutBt que tel autre etc •••

(1) Le lignage u'elao ne fait pas partie du groupe Nidrou, et son arrivée sur le territoire du village est récente: elle date de 1928.

(22)

-16- Le cadre villageois traditionnel, constitué par le lignage, est l'objet d'une désagrégation progressive. On assiste à une véritable atomisation de la famille, à l'emenuisement des fonctions du lignage en tant que groupe organique, à l'apparition d'une nouvelle unité sociale qui est le village actuel, sens homogénéité, sans structure interne et sans autorité réelle.

La politique de regroupement des villages qui connatt un échec total sous l'administration coloniale est la premiè- rs des tmches reprise par les autorités ivoiriennes dès la proclamation de l'Indépendance en 1960, et poursuivie sans re19che encore à l'heure actu~lle. Le but est de constituer des unités villageoises à peuplement optimum de manière à justifier les aménagements collectifs élémentaires dont toute communauté devrait ~tre pourvue : école, dispensaire, piste carrossable qui en permette l'accès en toute saison, etc ••• L'emplacement du nouveau village est fixé par l'auto- tité administrative, le lotissement est obligatoire, et les mesures mises en oeuvre pour assurer le succès de l'opération et venir à bout d'éventuels récalcitrants sont à ce point radicales que l'oeuvre de regroupement est dès à présent pratiquement achevée.

L'historique de Ziombli nous permettra de concrétiser sur un exemple précis les étapes successives qui ont abouti à la création du village. Nous rcmontcrans aussi loin que la tradition orale nous le permet, afin de saisir chaque famille isolément, et de suivre sa pérégrination du premier lieu

d'implantation au site actuel.

Nous avons vu dans quelles circonstances les familles qui constituent le groupe Nidrou sont parvenues sur les bords du Cavally vers le milieu du 1Bème siècle: lente migration

(23)

en direction de l'Ouest, à travers une forCt inoccupée, con-

~ ~

flit avec les fa:-pa, population autochtone établie entre le Cavally et la Nuon, refoulement des vaincus au-delà de la

Nuon et installation des vainq~eurs sur le territoire conquis.

Le groupement de guerre est dissous, chaque famille retrouve son autonomie, et sous l'égide de l'a1né commence l'organisa- tion de l'espace.

Le choix du site est fonction des possibilités stratégi- ques qu'offre l'emplacement. Les premiers villages s'édifient tous sur des hauteurs faciles à défendre. Les guerriers les plus valeureux établissent leur campement en "postes avancés"

sur la périphérie. Leur mission est de prémunir le groupe contre toute attaque-surprise. La distance entre villages est telle qu'à tout moment, le tam-tam peut donner l'alerte et mobiliser les guerriers quasi-instantanément.

L'histoire des lignages qui nous intéressent peut Otre divisée pour la clarté de l'exposé en trois parties:

- la période précoloniale, marquée par l'existence du village-lignage;

la période coloniale, jalonnée par une succession d'éclatements et de regroupements;

- la période post-coloniale, qui connaît la première

"stabilisation" réelle, maie qui sur les bases de l'héritage précédent, donne naissance à un type de villages tout-à-fait nouveau, véritable agglomérat de segments épars de lignage.

19 - La période pré coloniale : le village-lignage

Avant la pénétration coloniale, le village forme un grou- pe organique fondé sur la parenté. Le chef de lignage choisit librement le site o~ i l vivre avec les siens, et décide de son abandon le jour o~ cela se justifie. Toute la famille le suit, et est soumise à sa seule autorité.

(24)

-16-

..."

....

Apr~s les hostilités avec les fa:-pa, l'implantation des

7 lignages Nidrou qui constituent l'actuel village de Ziombli, et les étapes successives qui jalonnent leurs déplacements sont les suivantes :

- les dak~ occupent un "poste avancé" face à l'Esta Kahibli du nom du fondateur Kahi; Kahibli était situé à'

proximité de l'actuel Douhozé. Vers 1860, au cours des luttes Boo-Nidrou, le clan éclate: la branche la plus importante s'installe à Tahibli; une seconde branche rejeint les bords de la Nuon et s'implante à Zieuebli; un segment plus res- treint (dont est issue l'actuelle famille dako de Ziembli) seus la conduite de Ouellé, franchit le Cavally peur s'éta- blir aupr~s des K'pao et des duiako à Klabe;

- les duiak~, sous la cenduite de Tua, fils de Batahin, créent Tuabli, à proximité du Cavally, entre les actuels

villages de Diai et de Paoule. Peu Clp.:e'è.s, le fr~re de Tua, Batahu, est dépêché par la famille en "peste avancé" face aU Sud. Il quitte Tuabli, s'installe sur une hauteur qui porte le nom de Gohin ('gol) à proximité de Diai, et fonde Gohinbli. Tuabli ne connatt qu'une existence éphémère, et déjà du vivant de Tua, la famille effectue un léger glisse- ment vers le Nord-Ouest, pour s'installer au bord memc du Cavally, o~ elle se sent plus en sécurité, et crée le village de 'paglo (1) (à 500 mètres environ de l'actuel Paoule).

(1) 'p~glo : vient de pa

=

abondance, richesse; glo

=

village ; litt~ralement "village de l'abondance". Or dans la société traditionnelle i l n'y a de richesse que d'enfants. On retrouve ici le th~me de la fécondité, autour duquel sont centrées toutes les préeccupations de la société Guéré.

(25)

Au décès de Batahu, à la suite d'une querelle familiale, le lignage 'duiako se scinde (1) en deux branches: Diaikswé quitte Gohinbli, occupe la hauteur de Diai (2), et donne naissance à la branche des di'aiko (= ceux de Diai); Kanhié demeure installé avec sa famille dans l'ancien village, et sa descendanca pour se différencier des Diaikon portera le nom da 'kanifdi (= les descendants de Kanhié). Vers 1850, la branche des 'kani'di, sous la direction de Sehi, fianchit le Cavally et s'installe auprès des k'pao à Klabo (cf. ci-dessous)~

Vers 1900 enfin, Tugbé, fils de 5ehi et guerrier renommé, crée un "poste avancé" sur une hauteur au Sud de Klabo, qui porte- ra le nom de Tugbébli.

- Les 'glao, clan de pOcheurs, ont une histoire légère- ment différente des autres familles, puisqu'ils n'ont pas participé à la migration Nidrou, mais seraient venus sur place vers la mOme époque, en suivant le Cavally depuis le Mont Nimba. Ils s'allient aux Nidrou et avec eux combattent les fl:-p~~ Ils s'installent sous la direction de 'glao-'ko;

(glao-kohon)~l'ancêtrefondateur du clan, sur une hauteur à proximité immédiate du Cavally: Dotroya (3) près de Tahibli.

Les 'glao occupaient le poste le plus avancé vers le Nord.

Vers le milieu du 19 ème siècle, Dotroya est délaissé, et le clan, mené par Sahi, descend ~e fleuve, trouve un endroit plus poissonneux, et crée Sahibli l'emplacement où la route de Guiglo-Toulépleu franchit le Cavally). Mais très rapidement, pour des raisons inconnues, le clan éclatez une

(1) Il existe même actuellement trois branches 'duiako:

les di'aiko,les 'kani(di et les 'eigadi (ou'ppfo~di), descen- dants de Siga, frère de Batahu, établis à Paoulo.

(2) Diai signifie "en haut", et Diai-Kawé est l'éponyme par lequel an désignait Kawé qui s'était installé sur cette hauteur.

(3) Dotroya : Do

=

terme Dan pour désigner le Samba;

Tro

=

la montagne; Ya = le sommet; littéralement "le sommet de la montagne du Samba".

(26)

branche reste à Sahibli,' une autre sous la oonduite dè Gbohu~

crée Gbohubli, en ~va1 de Sahib1i, et une ~~a~~ià~e dB~c~nd encore plus loin le,long du fleuve et fonda Pantro~B

(f).

- La t.radi tion 0:r81e des k1pao ne prêcis8 pala

~j;.ta de la prem~ère implantation du groupe en pays N~drou~ On sa~t

seulement que c'est le petit-fils de Badahirancêtre fOndateur du 11gnage, Ziga, qui crée Gbahuo (2) au bo:çd du

Càvall'y,

à proximité de Gbohubli. dans la premi~re moit!~ du 19 ~me siè~le (mais Gbahuo es~ antérieu:r à Gbohubl±).

- Les k'pao sous la conduite de KpaO'....Sia, s·insta,t:~·!3nt sur une c~lline à l'Eet de Toulépleu, et donnent à leuf:villa- ge le nom de Kpaotro

(3).

A la mQrt do l'ancatre fond~teur,

son fils Diollé abandonne les lieux et fonde Diollébli, sur le terroir de l'actue~ Ziombli. A la disparition de Diollé, la famille devenue trop nombreuse éclate: une partie s'instal- le à Douhozon; la branche actuellement à Ziombli, sou§ la

conduite de Pitgo crée le village de Klabo ~4) vers 18~O, du nom d'un affluent du Cavally qui baigne le site.

(1) Pantroya : littéralement pa= abondance, au sens de fécondité; tro = montagne; ya = sommet; littéralement "le sommet de la montagne de la fécondité": le site aurait été désigné par un féticheur comm3 particulièrement propice à la

m~ltiplication du groupe. Nous r3t~mbons sur le marne thème de la fécondité.

(2) Gbahuo : littéralement "coin n6ir". Le village était édifié dans une clairière qu'assombrissait de tous c6tés

l'épais feuillage de la forot.

(3) Kpao-Tro : "la montagne de Kpao".

(4) Klabo: en réalité Kra-bo; Kra: creux, par extension rivière: bo=qui fait front, qui tient tête; littéralement:

"la rivière qui fait front" (au Cavally). Exprime l'idée que le petit affluent dont les calmes eaux se font refouler par le flot tumultueux du grand fleuve, doit "lutter" pour se

~aire accepter par le géant.

(27)

Les 'stuadi, à l'issue des hostilités, s'Btablissent sur une hauteur près de l'actuel Meo, Bahia. Mais le site ne satisfait pas longtemps les chefs militaires de la famille qui songent à une v~ritable organisation "stratégique" de l'espace, et préfèrent décentraliser leurs forces plut8t que de présenter un ensemble concentré, beaucoup plus vulnérable, aux attaques d'un éventuel ennemi.

la défense ~rientale" est confiée à Guirau -Zegbe, dont le fils Sahi-Guibahon passe pour ~tre invincible.

Il installe son poste à proximité de celui des 'dak~

et donne à l'endroit le nom de Duhozé, qui signifi~

"invincible". La descendance de Guirau-Zegbe forme actuellement le lignage des 'duoz~ko;

Puhindi s'en va renforcer la défense septentrionale et crée Kuisra, près de l'actuel village de Péhé. La force de Puhindi et la frayeur qu'il suscitait étaient telles qu'on le surnomma "'zirE" le "dragon". Ses

descendants forment actuellement le lignage des

'zir~boko (1);

Près de l'ancien site de Bahia, Bahuo crée le village de Meo, au retour de son frère Zohinon parti chercher le fétiche à Méhin (2) village "loin à l'Ouest", et réputé pour sa prospérité. Mee est une transcription de.Méhin, et désigne par extension toute la descen- dance de Bahuo.

(1) 'zir~bokp ; bo = littéralement "entre les jambes de"1 ko

=

tous ceux qui .•• ; 'zirlboko

=

"les descendants du dragon". 'zir~ est présenté comme un animal fabuleux, dont le-s yeux "brillaient comme des phares" et qui semait la ter- reur dans la forat. Quiconque le rencontrait était condamné eoit à mourir sur le champ, soit à perdre la raison. 'zir~

aurait hanté la for~t jusqu'à l'arrivée des Européens • ....

(2) Méhin ('mt: ) signifie riche, fécond, prospère.

Cette prospérité est liée à la présence du fétiche. Meo eet le "village de la prospérité".

(28)

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(29)

- à proximité immédiate de Meo, Pehu-Dohu installe la forge qui fabriquera les outils et les armes dont les 's~uadiJ auront besoin. Les forgerons sont appelés g'beo (1) et leur village porte le mOme nom. Apr~s

Gbeo, le lignage s'installe à Denan (cf. ci-dessous).

Maia au cours des rivQlit~9 Niddou-Boo, la position avancée de Denan s'avère particulièrement inconfor- table pour les plus 8gés des g'beo, qui ne peuvent plus se replier assez rapidement derrière le Cavally en cas d'attaque-surprise des Boo. Aussi décident-ils de s'établir définitivement de l'autre cOté du fleuve, et viennent-ils s'installer auprès des 'glao à

Gbohubli (vers f850). Seuls les éléments jeunes du lignage restent à Denan;

- les 'zaa, sous la conduite da Kei-Bosran, un des plus . célàbres guerriers at féticheurs de la guerre contre

~ ~

lee fa:-pa, créent lB village da Denan, poste Nidrou le plus avancé à l'Est. A l'instar de la stratégie défensive des 'slu:di, deux nouveaux villages, diri- gés par les frères da Kei-Bosran, voient le jour ra- pidement ". l'arrière" sur les bords du Cavally : Bo-Dbelu occupe une hauteur près de Diai, appelée

Irowé (2); Gadeba s'installe près de Paoulo, à Zobo~).

C'est de Zobo qu'à la fin du siècle dernier, Fléan s'en va créer son campement à proximité immédiate de Panglo. Il est rejoint à Fléambli non seulement par

(1) g'beo :"noir"; les hommes noirs (noircis par les fumées dB la forge). Par extension g'bso désigne tout le

village des forgerons.

(2) Irowé : Iro

=

le soleil; Wé

=

là oQ; littérale- ment

"1.

oQ i l y a l e soleil", par extension là oQ i l fait très chaud.

(3) Zobo 1 Zo = nom d'une rivière; Bo

=

le bas deJ littéralement "le bas du Zou •

(30)

-23 - tout le reste de sa famille, mais également par les

'duiako de Paoulo,~ qui donnent le nom de leur ancien village au niveau site.

CONCLUSION

A partir de l'analyse détaillée de cette histoire pré- coloniale, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle est mouvementée, i l nous est possible de dégager les principales caractéristiques de la société traditionnelle.

- .Elle nous appara1t avant tout comme instable :dépla- cements permanents des lignages, création de villages dont l'existence n'est qu'éphémère, enracinement faible.

- Mais en dépit de son instabilité, cette société est fortement structurée: chaque village constitue un groupe 'organique autour du lignage ou du segment de lignage dont

l'a1né est le chef. La dispersion imposée par des contingen- ces de défense extérieure n'est jamais anarchique: l'espace est rigoureusement organisé, et les villages qui se créent ont toujours une unité réelle. Mmme dans les rares cas 00

l'éclatement résulte de dissenssions intérieures, les segments en conflit retrouvent chacun de leur caté une unité nouvelle, et leurs effectifs restent numériquement suffisamment impor- tante pour constituer des unités sociales parfaitement

autonomes. L'occupation d'un site par deux ou trois segments de lignage nuit rarement à l'unité interne du village, puis- que la cohabitation est le résultat d'un choix librement consenti.

- La possibilité d'interpénétration de plusieurs ligna- ges sur les bases de la communauté de résidence, nous permet de croire à l'existence d'un réseau très dense de relations sociales. La société traditionnelle, basée sur le village- lignage, n'est pas fermée sur elle m~me, mais constitue un groupe ouvert. Cette ouverture est sollicitée par deux impé- ratifs majeurs

(31)

le système matrimonial qui ne permet de prendre femme qu'à l'extérieur de son propre lignage;

- la nécessité vitale d'opposer un front uni ê l'ennemi, dont les attaques menacent le groupe en permanence.

- La société traditionnelle nous paraIt enfin atteinte d'une véritable R~ychose de la guerre: l'organisation de l'espace est quasi-militaire, l'habitat même est conçu en termœ"de ~epli défensif" (case ronde ê toit conique qui des- cend jusqu'au sol, une ouverture minuscule en guise d'entrée, aucune fen~tre), les alliances sont entretenues avec soin

(il n'y eut jamais de conflit notoire entre lignag~du groupe Nidrou).

Ainsi, la société traditionnslle, loin d'@tre figée, est mue par un ensemble de normes créées par son propre dyna- misme. Un équilibre coopératif s'instaure entre lignages, le danger extérieur cimente les liens d'alliance, l'organisation de l'espace est l'expression d'une stratégie collective.

Cet édifice sera sérieusement ébranlé par la pénétration coloniale.

Au moment de la pénétration française en pays Guéré (1913) la localisation géographique des lignages ou segments de lignage qui nous intéressent est la suivante 1

- 'dako : Klabo;

~

'duiko 1 Klabo, Tugbébli;

'glao : Gbohubli;

k'pao klabo, - k'pao Gbahuo;

- 's~uadi-g'beo 1 Gbohubli, - 'zae 1 PangloJ

(32)

-25- La résistance au colonisateur ne fut que sporadique : devant la puissance de feu et la rapidité d'évolution de l'envahisseur l'ancien jeu des alliances resta inopérant.

La première réaction de la population est de chercher refuge dans les profondeurs de la forêt et d'échapper aux militaires par une dispersion extr~me. Le lignage éclate et donne nais- sance ê des unités plus légères, plus mobiles, centrées sur la famille é1émsntaire, établies dans des campements de for- tune dans les endroits les plus reculés, et prOtes à s'éva- nouir dans la nature à la moindre œerte.

L'implantation coloniale marque également le début d'un véritable exode vers le Libéria : i l suffit de franchir le Caval1y pour 6tre en sécurité. La frontière est tout ce qu'il y a de plus perméable, et les autorités libériennes encouragent mOme le mouvement. Des familles isolées, des

segments de lignage, quelquefois des villages entiers traver~

sent le fleuve. De 1914 à 1918, le recrutement des tirailleurs pour la guerre en Europe accélère encore les départs. Cet

exode durera une dizaine d'années, mais meme par la suite, ne put jamais ~tre totalement enrayé."

Il serait fastidieux de relever en détail les inciden- ces des premières années de colonisation sur la constitution des lignages dont nous faisons l'étude. Tous sont touchés.

Les familles se retrouvent isolées dans les campements.

L'atomisation sociale est complète.

L'organisation administrative qu~ accompagne l'occupa- tion coloniale crée d'autres causes d'éclatement. La nouvelle unité cantonale essaie de se calquer sur les anciens gro~pe­

ments d'alliance et de guerre, mais par suite de l'extreme dispersion des lignages n'y réussit qu'imparfaitement. La mise en place d'autorités locales nouvelles, qui ne sont pas toujours admises par la totalité de ~a population, constitue

(33)

1 1

L

souvent un sujet de mécontentement, qui peut aller jusqu'à entra1ner le départ de familles entières hors du canton.

L'individu "choisit" plus qu'il n'accepte l'autorité par laquelle i l va @tre régi : i l fuit la tutelle de tel chef trop zélé pour se refugier auprès de tel autre plus complai- sant. La conséquence directe en est l'assouplissement du cadre rigide du vieux groupement de guerre, et avec la dis- parition de ses "frontières", une dispersion géographique des segments de lignage encore plus grande.

En 1913, Ba-Gomnan, chef du lignage 'glao, est pres- senti comme chef ~u canton Nidrou, dont la frontière Ouest eat fixée au Cavally, alors que le traditionnel groupement de guerre étendait son territoire bien au-delà de la rive droite du fleuve. Ba-Gomnan quitte Gbohubli, franchit le Cavally et entra1ne toute sa famille à Pantrokin, chef-lieu

,.,

.

du nouveau canton. Seule la branche g'beo des 's&uad1 reste à Gbohubli.

En 1914, Tusrin, de la famille 'zaa à Paoulo est

déclaré "bon pour le service armé" mais au lieu de préparer ses bagages pour la france, i l les fait pour le Libéria où

l'accompa~~nt son père, sa mère et ses frères. Ils reviennent deux ans plus tard et s'installent en face de Paoulo à Klebo, où l'administration les ignore, puisque Klabo relève du canton de Toulépleu, alore que Paoulo est du ressort du canton Nidrou.

Tuerin échappe ainsi à l'enrOlement forcé, mais la menace planant toujours sur lui de l'autre cOté du Cavally, i l ne rejoindra jamais son village d'origine.

Après le mouvement de dispersion générale entra1né par l'arrivée du colonisateur, le calme se rétablit peu à peu.

Mais comment contr6ler une poussière de campements épars dans la for@t

?

L'autorité militaire essaie de reconstitUer des entités administrativement viables. Des villages se reforment, mais sur des bases entièrement nouvelles : les liens de

(34)

-27-

per~nté et les affinités d'alliance qui prévalaient dans le village traditionnel cèdent le pas è l'intéret purement

matériel que l'on espère retirer du choix de tel site. Aussi, une fraction importante du lignage k'pa~ s'installe-t-elle à Péhé, une minorité seulement rejoint Gbahuo. di'aik~ et

tkani~di se retrouvent partiellement à Klabo, et devant le péril commun, oublient leurs querelles familiales et rsfont leup unité.

'dak~ et k'pao restent en majeure partie fidèles à Klabo, mais trouvent leurs effectifs également diminués.

Le premier regroupement officiel tenté par l'adminis- tration date de 1923. Il coincide avec le remplacement de Ba-Gomnan à la tete du Canton Nidrou par Kprihi, de la branche

'zir~boko des 'sluadi, à la suite d'une affaire d'empoisonne- ment des eaux du village dans laquelle était impliqué Mandju~

fils a!né et successeur pressenti de Ba-Gomnan. L'ancien chef de canton, relevé de ses fonctions, rejoint son village d'ori- gine, Gbohubli, qui n'est alors plus qu'un campem~nt 's~u~di.

Guidy."chef provincial" des Guéré, craignant le ressentiment de Ba-Gomnan en le reléguant dans un minuscule village, essaie de redonner au chef déchu un semblant de prestige en faisant de Gbohubli un centre important. Aussi, par l'entremise de l'auto- rité militaire, demande-t-il aux habitants de Gbahuo (lignage k'pa~) et de Klabo (lignages 'dako, 'duiako, k'pao et "zaa) de rejoindre Ba-Gomnan à Gbohul\li , et d'édifier avec les 'glao et les 's~adi~ un village à la dignité de l'ancien chef.

Mais i l semble beaucoup plus vraisemblable que Guidy, habile politique, ait organisé ce regroupement dans le seul but de neutraliser l'autorité et l'influence de Ba-Gomnan après sa chute, en imposant à la famille 'glao~ en la noyant au milieu d'une somme d'autres lignages, un rapport de force

(35)

qui ne soit plus à son avantage. Le nouveau village ne porte d'ailleurs plus le nom de Gbohubli mais de Klabo et le chef nommé par Guidy n'est pas Ba-Gomnan, mais Bassahon, du ligna- ge k'paë.

En 1928, avant m~me que le regroupement ne soit entiè- rement achevé, Be-Gomnan et son fils Mandju meurent mysté- rieusement (1), à une semaine d'intervalle. Un vent de pani-

~, que souffle sur la famille 'glao, qui derrière son nouveau chef, Zion, se hate de quitter les lieux et s'en va créer le campement de Ziombli, en pleine forêt à l'Ouest de Gbohubli.

La branche g'beo des 's~u~di demeure fidèle aux 'glao et les accompagne dans leur déplacement.

Mais la contagion de la peur gagne aussi les autres lignages : à la demande de Blo, chef de la branche 'kanitdi des 'duiako, qui était retourné au campement de Tugbé dès 1924, après le décès de son frère, 'di'aiko, k'pao, k'pao et 'zaa le rejoignent è Tugbébli, qui prend le nom de Klabo.

Gbohubli est totalement abandonné.

En 1929, une querelle de famille éclate entre deux

branches du lignage u'elao à Bakoubli. Pour r~gler le litige, l'administration enjoint aux antagonistes de fonder des vil- lages séparés. Sous la conduite de Pahu, l'une de cee branches vient s'installer auprès des 'glao et des 's~uad1~. à Ziombli et construit le village avec eux. Une dizaine d'années après, la querelle s'étant apaisée, une fraction u'elao importante retourne à Bakoubli, une autre part pour le Libéria, un seul segment demeure à Ziombli.

(1) Une enquête fut ouverte à la suite de ce double décès par l'administration coloniale, mais elle resta sans suite.

(36)

-29- En 1931, Guirian, du lignage 'dako, crée un campement, Guiriambli, sur le site de l'ancien Klabo. En 1941, une série de décès frappe Tugb6bli. Les 'dako, k'pa~, k'pao et la bran- che di'eiko des 'duiak~ quittent alors le village, et rejoi- gnent Guirian à Guiriambli. Seule la branche 'kaniédi des

-

'duiako et les 'zaa restent sur place. Officiellement Guiriambli et Tugbebli ne forment toujours qu'un village Klabo. Au recensement administratif de 1958 i l est question pour différencier les deux villages d'appeler Tugbebli,

Klabo 1, et Guiriambli, qui n'est qu'une annexe de Tugbebli, Klabo II. Mais finalement i l semble bien plus commode è tout le monde de reconna1tre purement et simplement l'existence - qui sera d'ailleurs éphémère - de Guiriambli. Quant au villa- ge de Tugbébli, i l portera désormais le nom de Klabo.

CONCLUSION

Ainsi la pénétration coloniale entraine-t-elle l'ébranle- ment de la société traditionnelle :

- détérioration de la structure des groupements d'allian- ce dont les frontières deviennent perméables;

- éclatement du village-lignage, suivi d'une véritable atomisation sociale ;

- affaiblissement du cadre lignager traditionnel, affir- mation de la famille élémentaire comme groupe organi- que, individualisation des rapports sociaux ;

- organisation de l'·espace qui n'est plus dictée par le dynamisme interne du groupe, mais imposée de l'exté- rieur: tentatives de regroupement qui restent sans lendemain, création d'unités résidentielles artifi- cielles, sans homogénéité et sans fonction sociale réelle;

- conditionnement de la société traditionnells par le nfait colonial".

(37)

32 La période post-coloniale : stabilisation et fixation

---

En 1960, au moment où l'administration ivoirienne prend la rélève, la situation est déjà considérablement éclaircie t

les 8 lignages de notre étude ne sont plus diepersés géogra-

, ~-

phiquement que sur troie sites: Guiriambli ('dako, k'pao, k'pao, di'aiko), Klabo ('kani(di, 'zaa) et Ziombli ('glao, 's~u~di, u'elao). Mais la colonisation a donné naissance à des communautés villageoises tellement hétérogènes que l'achè- vement de l'oeuvre de "reconstruction sociale" devient une t8che délicate, qui nécessite de la part du nouvel administra- teur beaucoup d'habileté, de tact et de doigté.

Nous avons vu ci-dessus sur quelles bases se faisait actuellement l'opération" regroupement de villages n. La notion d' "unité optimum" est bien difficile à définir, et ce qui peut paraltre un optimum pour l'extérieur ne l'est pae forcément pour les communautés claniques en présence.

La décision de regrouper les trois villages de Guiriambli, Klabo(1), et Ziombli, sur le site de Ziombli, remonte à 1961.

Les motivations en sont les suivantas :

- rapprochar les communautés de Guiriambli et de Klabo de l'axe Toulépleu-Guiglo, et permettre au nouveau village d'Otre relié à l'extérieur, faciliter par le fait même l'éva- cuation des produits, une piste en principe carrossable en toute saison reliant Ziombli à la route principale;

- édifier un village nouveau, sur un emplacement loti, répondant à un minimum de normes sanitaires, et offrant un espace suffisant pour permettre à la communauté de s'étendre sana risquer d'être bloquée à court ou à long terme par des

-(1) Les distances qui séparent Guiriambli et Klabo de Ziombli sont respectivement de 2 et 3 kilomètres.

(38)

- - - ---- - - -

-31-

"obstacles naturels" (ravins, marécages, rivières, etc ••• ) qui en gOneraient la croissance normale;

- créer un centre suffisamment important pour justifier les"amènagements collectifs" élémentaires dont toute communau- té devrait Btre pourvue: école, dispensaire •••

La tradition historique des lignages ou segments de lignage en présence n'opposait pas cl'empOchement majeur à ce regroupement. Nous avons vu que leur destin avait été le mBme pendant plus de deux siècles, dans le cadre du groupement de guerre et d'alliance Nidrou (le groupe u'elao ex~epté, mais i l constitue une minorité insignifiante). L'expérience de Gbohubli n'avait pas révélé d'incompatibilité fondamentale de 1923 à 1928. Rien ne devait donc empOcher la création d'une véritable communauté villageoise moderne.

Dès 1961 Guiriambli effectue le déplacement:'doko, k'pa~, k'pao, di'aiko s'installentitoJ à Ziombli.

Mais i l en est tout autrement de Klabo. La population oppose une passivité extraordinaire aux injonctions de l'ad- ministration. Depuis 1961 elle pratique une politique de tem- porisation, jouent sur le changement des administrateurs et les périodes de flottement qui en résultent pour gagner du temps et espérer voir le projet abandonné définitivement. Au début de 1965, personne n'a encore bougé. L'administration se fait meneçante et l'épreuve de force est imminente. Le chef de Klabo (Tusrin du lignage 'zaa) détruit alors symbolique- ment sa case et vient s'installer à Ziombli avec sa famille.

Le Sous-Préfet adresse un ultimatum à la population; la date- limite est fixée au 30 Avril. Il reste quinze jours à peine pour démenager ••• Le village s'agi~fièvreusement,et le

déplacement commence. A la fin du mois, la destruction s'avère inutile, l'administration triomphe, et les trois villages

sont enfin regroupés.

(39)

A la mi-Mai, plus de la moitié des 'kanildi s'est déjà réinstallée à Klabo •••

Notre objet n'est pas d'engager une discussion sur

l'opportunité du regroupement des villages, problême ardu et complexe. Mais i l n'èst pas possible ds faire abstraction d'une conjoncture qui détarmine et conditionne toute la vie actuelle de la communauté villageoise. Il est encore trop tCt pour essayer de dégager les leçons de l'expérience en coure.

Auesi limiterons-nous notre analyse à quelquea considérations d'ordre génêral sur les bases de l'exemple pré cie du village qua nous étudions, dans la mesure où, êtant donné le peu de recul dont nous disposons, cela peut se faira dês i préeent.

Il est clair que ce jeu de dupes entre l'administration et la population de ~l~bo ne trompe personne. D'un ceté nous avons l'administration, disposant d'un pouvoir coercitif, soucieuse d'appliquer une politique aaborée dans l'intérêt public. De l'autre cOté, nous trouvons une communauté clani- que, fortement enracinée à un site occupé depuis plus d'un

demi-si~cle, habituée dans des conditions écologiques préci- ses (proximité immédiate du Cavally) à un mode de vie parti- culier, liéè au passé, aux fétiches des ancêtres (qui ne peu- vent être déplacés), aux terras du village •••

L'administration n'ignore pas ces données. Mais le

conflit se situe à un autre niveau : faut-il résolument sacri- fier la société traditionnelle, avec les risques de crise gra- ve que cela comporte

?

Du faut-il la préserver des transfor- mations trop rapides qu'exigent les impêratifs du d6veloppe- ment économique et eocial, en attendant qu'elle s'adapte d'ella-mOrne, au risque de la figer dans un immobilisme sene iesue ?

(40)

-33- La voie dans laquelle s'est hardiment lancée la COte d'Ivoire fournit une réponse sans àmbages, qui n'accepte pas la demi-mesure. Le Nouveau Code Civil, en v~gueur depuis le 1er Janvier 1965 est l'expression la plus concrète de son désir de briser le cadre traditionnel. La "reconstruction sociale" ne se fera pas sans criee grava: le conflit (1)

administration - population, ouvert par les mesures da regrou- pement des villages, n'en sst que la première manifestation.

Si n008 nous plaçons dans une perspactive purement démogra- phique - et notre analyse se limite • ce nivesu - que sera le village regroupé de demsin ? En créant des communautés de pr.s de 1.000 habitants pour la plupart, quelquefois davan- tage, svec un taux moyen de croissance de l'ordre de 3 ~ per an, il faut environ une génération (30 ans) pour doubler le population actuelle. La pression démographique sur des

terroirs (2) devenue trop exigus sera alors telle qu'un nouvel éclatement ne pourra plue etre évité (. moins d'une transformation radicale de l'organisation économique actuel- le ou d'un appel extérieur massif de main d'oeuvra suscepti- ble ds résorber l'excédent da la population active jeune). Il est d'autre part peu probable que dans les années qui viennent

(1) Dens le cadre de la sous-préfecture de Toulépleu, l'opération "regroupement de villages" a été différemment accueillie suivant les cantons: elle s'est pratiquement effectuée sans heurt apparent dans les cantons Boo, Nea-Blao Nord e~ Sud. Elle fut beaucoup plus difficile dans les canton.

Nidrou, Tou16pleu et Bakoubli. Il fallut. plusieurs reprises recourir • la force, et faire démolir par des commandoe de la milice, au jour J et à l'heure H lss villeges récalcitrants.

(2) L'incidsncs du regroupement des villeges eur l'orga- nisation du tsrroir sere étudiée ult6rieurement.

(41)

l'~quipement collectif euive le ~ythme d'acc~Dissementde lB population. Le d'sajustement ent~e les besoins et leu~ satis- faction, qu'on essaie de réduire à l'heure actuelle par la création d'unités de peuplement eptima, à moins d'une injec- tion massive de fonds publics (1) n'ira qu'en s'accél'rant.

CONCLUSION

La communauté villageoise actuelle, définitivement sta- bilisée au terme d'une longue série de déplacements, n'a cependant pas encore trouvé son véritable équilibre.

Il est ~out d'abord impropre de parler de ~communauté

villageoise" : une communauté suppose l'existence d'une unité, d'une cohésion, d'une homogénéité internes. Dr l'hétérogénéi- té des groupes en présence est telle qu'il se~ait plue exact de dé~inir le village nctucl comme u~·"agglomé~at de communautés claniques" ayant chacune aon autonomie propre.

En second lieu, cette juxtaposition ds'co'muneutée est

a~tificielle: le plue souvent elle est le résultat d'une

intervention edminiat~ative coercitive. Le manque d'unité s'en

t~ouve encore accru.

L'hétérogénéité des groupes en présence rend enfin la gestion interne du villege difficile, sinon impossible.

Le chef , choisi dans un des lignages les moins reprêsenta- tifs, pour ne pas fausser le rapport de force entra puissante, n'a qu'une Butorit6 symbolique. les ~f8ires vêritablement

importantes ne sont pas traitées à l'êchelle du village, mais au niveau de chaque chef de lignage.

(1) le financement des écoles actuellemsnt en cours de construction est assuré par la seuls population villageoise.

Quend on sait que le revenu annuel p~r tete d'habitant est de l'ordre de 4.DOO~, on imagine aisément l'effort que les villa- geois sont obligês da fournir et les restrictions qui ils s'im- posant. Si cet effort devait être soutenu trop longtemps, on s'acheminera inévitablement vers un "seuil de rupture", qui risque de mettre un terme brutal aux manifestations actuelles de bonne volonté.

(42)
(43)

II - LA STRUCTURE DEMOGRAPHIQUE

Etant donné la taille réduits de l'échantillon sur

lequel a porté notre investigation quantitative, il est exclu d'accorder une valeur statistique autre qu'indicative aux résultats da l'enqu8te démographique. Celle-ci a été menée sur Iss bases d'un questionnaire élaboré dans une optique d'étude des structures de parenté, et les données réunies au niveau de chaque lignage ont été complétées et vé~ifi'es à l'aide de la reconstitution systématique des arbres généalo- giques. Nous avons établi au préalable un celendrier his~ori­

que, ce qui nous a permis de déterminer d'une façon relative- ment précise, indépendamment des jugements supplétifs, l'age exact dee habitants du village.

A - La structure par 8ge 11. La pyramide des Iges

La pyramide des Igee. (cf. tableau n2

1),

triangulaire et à base très large, est ce11s d'une population jaune:

36,69~ de moins de 10 ans (cf. tableau nI 2), 45,93~, de mains de 15 ane, 55,58~ de moins de 20 ane.

Que peut-on dire de cette pyramide des 8gee ?

La base, particulièrement aplatis jusqu'à l'8ge de 10 ans, permet de conclure que l'essor démographique actuel est un phénom.ne récent, dO à une chute spectaculaire, d'une part du taux de mortalité infantile, d'autre part du taux de

mortalité des entante de 1 à 9 ans. L'ouverture du poste médical de Toulêpleu en 1953, les efforts du service des grandes 8"dêmias, les campagnes de vaccination et de prophy- laxie ont certainement contribué considérablement

a

l'amélio- ration de l'~tat sanitaire de la population. Entre 2D et 35 ans, on constate un légsr déficit du cet~ maeculin, dO essen- tiellement à l'~migration temporaire d'une par~ie de 18

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