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Une certaine idée de la tradition épique, d'Empédocle à Lucain

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Une certaine idée de la tradition épique, d'Empédocle à Lucain

NELIS, Damien Patrick

NELIS, Damien Patrick. Une certaine idée de la tradition épique, d'Empédocle à Lucain. In:

Franchet d'Espèrey, S.; Lévy, C. Les présocratiques à Rome . Paris : Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 2018. p. 247-262

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:116178

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

UNE CERTAINE IDEE DE LA TRADIT ION £PIQUE, D'EMPEDOCLE A LUCAIN

1

Damien Patrick Nelis

Dans 1� ensemble des discussions scientifiques consacrees a la poesie amoureuse grecque et latine, on trouve tres peu de mentions d'Empedocle.

On peut d'emblee trouver ace silence beaucoup d'evidentes et excellentes raisons. La premierc est que, si la poesie d'Empedocle avait beaucoup a dire

I

sur !'amour en tant que force cosmique, ii ne s'

ag

issait pas la de poesie erotique au sens traditionnel. De plus, du fait que cette poesie subsiste clans un etat tres fragmentaire, on ne peut presque rien dire avec une absolue certitude sur sa fa<

;:

on de traiter l' amour comme une passion aussi bien humaine que cosmique.

Or la question de la reception d'Empedocle sur ce point merite d'etre posee pour au moins deux raisons: parce que nous savons qu'il avait beaucoup a dire sur le pouvoir de l'Amour et parce qu'il existe un texte grec clans lequel !'amour constitue un theme c;entral et pour lequel, de l'avis general des chercheurs, Empedocle represente un modele clef.

Le texte en question est le proeme du livre III des Argonautica d' Apolloriios de Rhodes, qui s'inspire d'un vaste ensemble de textes traitant de themes erotiques

2 •

Par la suite, son influence directe et profonde sur le « second prologue

»

de l' Eneide, au livre VII, atteste son importance dans la poesie epique plus tardive

3

. En se fondant sur l'hypothese probable que, dins les premiers vers de son troisieme livre, Apollonios fasse directement allusion a Empedocle et fasse un important usage thematique de sa poesie, on peut essayer de reconstruire une histoire litteraire, en trois etapes

4

1 Une premiere version de cet article, en anglais, est parue dans la revue en ligne Dictynna, n° 11, 2014. http://dictynna.revues.org/1057.

2 L'edition utilisee sera: Apollonius of Rhodes, Argonautica, book Ill, ed. Richard L. Hunter, Cambridge, Cambridge University Press, 1989. Voir aussl Malcom Campbell, A Commentary on Apo/lonius Rhodlus Argonautlca Ill, 1-471, Leiden, Brill, 1994.

3 Sur ces deux passages, voir Damien Nelis, Vergil's Aeneid and the Argonautica of Apollonius Rhodius, Leeds, Francis Cairns, 2001, p. 267-275.

4 Pour une discussion plus detalllee sur cette matiere, voir Damien Nelis, « Apollonius Rhodius and the Traditions of Epic Poetry>>, dans Annette Harder, Remco F. Regtult, Gerry C. Wakker (dir.), Apo/Ion/us Rhod/us, Leuven, Peeters, 2000, p. 85·103.

247

t..l 0 H 00

(3)

248

APOLLONIOS DE RHODES ET EMPÉDOCLE

Au début du livre III, lorsqu'il

invoque

Ér"to,

A-pollonios de Rhodes

fait

allusion à Empédocle. Comparons Argonautiquas,

III, r-t

:

ei ô'&ye vûv,'Eparô, ncpô

0'iotooo, roi

por, Ëvtone, Ëv0ev ônoç èç To)"ràv &v{yon1e

rôoç

1{o<rrv

M1ôei4ç ôn' ëp<otr.. ^y<rp xcri Kûnpr,ôoç cloav

,

Ëppopeç, &ôp{rcç ôè teoîç peleô{pcror, 0é}'1er,ç

nop0evr,rôç:

tô rqi

tor, èn{pcrrov oÛvop' &vfrntcrr,.

Allons,

Ératô, viens m'assister et conte-moi comment, de là-bas, Jason rapporta à Iôclos la toison grâce à I'amour de Médée. Toi, en effet, tu as

aussi ta part dc I'apanagc dc Cypris ct tu charmes les viergeo ignorcntes du joug par les soucis que tu leur causes: de là vient le nom aimable attaché à ta personne5.

etEmpédocle, fr.

r3r DK:

ei y&p êcplpeptorv Ëverév tr,voç, ô,pBpote Moûoq,

"

-ûUerépaç pelétcç [&ôe tor,] ôl& cppovrfôoç è]'0eïv, eû1opévcp vûv crilte nopûoruoo, Kal.?t r,6neLc,

&pgïOeôv porôpov &yaOôv )'ôyov èpçctvovu..

Car si, et je t'en prie à cause d'un mortel, ô immortelle Muse,

il

t'a plu de prêter à nos chants de poète une oreille attentive, viens de nouveâu' Calliope, assister qui t'en prie et s'apprête à tenir un discours de valeur sur les dieux bienheureu*6.

Les deux textes

ont

en

commun

le langage de

I'inspiration

poétique et les éléments hymniques qui s'y rattachentT. Mais on trouve encore d'autres points de contact précis, à la fois dans I'emploi du verbe qui signiûe < se tenir à côté >

et dans la

mention

d'une u sollicitude >, ce

qui

suggère que

l'on

se trouve en présence d'une relation plus étroite, allant au-delà du recours commun à des

5

Apottonios d e Rhodes, Les A rgonautiques,T. ll, chant lll, êd. Francis Vian, trad. Ém ite Delage, Paris, Les Belles Lettres,2o14.

6

Traduction tirée du volume les Présocratiques, éd. J.-P. Dumont avec ta collaboration de D. Delattre et de J.-1. Poirier, Paris, Gallimard, cotl. < Bibtiothèque de la Pléiade >, 1988, p. 429. Les références et traductions des présocratiques seront, saufmention contraire, tirées de cet ouvrage.

7

Voir Maureen R. Wright, Emp edocles: The Extant FragmentslrgSrl, London, Duckworth, 1995, p. r59; SimonTrêpanier, Empedocles: An Interpretation, London/NewYork, Routledge, zoo4, p'57-59.

(4)

éléments purement traditionnelss. De plus, cerrains chercheurs

ont

souligné qu Apollonios s'inspirait d'Empédocle à d'aurres endroits de son poème, er que les Argonautiques éta:tent

un

texre otr les deux thèmes de

l'amour

et du

conflit

sont importants et étroitement liéss. Le chant d'Orphée, qui apparait au début

du

poème

(Arg.,I, 496-rrr)

et

pour

lequel les scholies antiques

citent

déjà Empédocle comme modèle, peut être vu comme programmariqire puigque les éléments clés du poème y sont présents. En faisant porter le chant d'Orphée sur des thèmes cosrrniques, Apollonios

fournit

à I'action épique de son poème, dans lequel l'amour érotique joue un rôle cenrral, un cadre cosmique, marqué par la puissance

du conflit

empédocléen.

À partir

de là, les deux forces interagissent d'une façon complexe et fascinante tout au long du poème, en particulier

pour

ce qui concerne la relation érotique entre Jason et Médée 'o.

LUCRÈCE ET EMPÉDOCIE

Le fragment d'Empédocle (r3

r DK),

repris

parApollonios

dans le prologue

du livre III

des Argonautiqur"r, est également

utile pour

comprendre le vers de Lucrèce : n c'est

ton

aide que je sollicite dans le poème que je rriefforce de composer" >

(I, z4:

te sociam studeo scribendis uersibus esse).

Ici,

la requête est adressée àVénus comme à und sorte de Muse, et en lui demandant d'agir comme une aide (socia),le poète exprime exacremenr les mêmes.idées qu Empédocle et Apollonios lorsqu'ils demandent à la Muse de o se tenir à côté'" >. Ce parallèle

doit

à son

tour

être contextualisé dans une matrice intertextuelle plus vaste.

David

Sedley a

fait

valoir, de façon rrès convaincanre, que toute la séquence d'ouverture dv De rerum natura

e*

profondément empédocléennel3. Lallusion

8

ltfautpeut-êtreremarquerqu'Hippotyte (Refutotio,Yll,3r,3.4),qui citecefragment,établit un lien fort entre la Muse et I'Amour. Pour une discussion, voir Simon Trépanier, Emp edocles, op. cit., p.59, ll faut encore noter que, si au vers 2 nous lisons (avec plus récemment, Daniel W. Graham, The Texts of the Early Greek Philosophers, Cambridge, Cambridge University Press, zoro, p.342) K péÀe rot

r

(une conjecture de Diels) ptutôt que te < ôôe ror > de Witamowitz, plus communément accepté, ta simitarité avec Apo[[onios est renforcée par le jeu de mots qui commence avec.< ye/1 > dans les deux textes.

9

Voir par exemple Damien Nelis, < Demodocus and the Song of Orpheus: Ap. Rhod. Arg. r.

496-5tt>, Museum Helveticum,no'49,t992,p.t53-r7o et Poulheria Kyriakou, < Empedoclean Echoes in Apollonius Rhodius'A rgonautica >, Hermes, n" tzz, t9g4, p.3og.3tg.

ro

Voir, par exemple, R. L. Hunter, The Argonautica of Apollonius: Literary Studies, Cambridge, Cambridge University Press l9g3, p.r6z-t69.

rr

Traduction d'Alfred Ernout, Lucrèce, De lo natureltgzol" Paris, Les Belles Lettres, zoo7. C'est cette traduction qui sera utilisé dans [a suite de ['article.

rz

Voir James J. O'Hara, (Venus or the Muse as "Atty" (Lucr. r. 24, Simon. Frag. Eleg.

tr. zo-zzVrl) >, Classical Philology, no 93,1998, p. 69-74 et Damien Nelis, < Demodocus and the Song of Orpheus >, art. cit., p. 98-roo.

r3

VoirDavidSedlej,LucretiusandtheTransformationofGreekWisdom,Cambridge,Cambridge University Press, 1998, chap. r; pour une discussion de cette thèse, voir, par exemple, Simon Trépanier, Empedocles, op. cit., chap. z.

249

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E= Olo-6-4,,

rE ôg.

5

(5)

250

précise au

vers L4,

par

conséquent, s'inscrit probablen*ent

dans

un

cadre empédocléen plus large et plus

profond

que nous ne pouvons l'imaginer.

VIRGILE ET APOLLONIOS DE RHODES

ÉnéideYLl, )T -

qui est le premier vers

du

proème de la seconde

moitié

de l'épopée, de

la

même

manière

que le

proème du livre III

des Argonautica se

trouve au

début

de la seconde

moitié

de cette æuvre

-

est une

imitation

assez

fidèled'ArgonauticaIII,r,

comme cclaaété depuis longtemps re contrv: nunc uge

[...J

Erato (< Et

maintenant,

Eratô

,) chezVirgile

correspond indiscutablement ei

ô'

ôye

vûv,'Epatô

chez

Apollonios'a.

En

regrouparrt ces connexlohs lntertextuelles,

ll

semble que nous âyons une série de quatre poètes: Empédocle,

Apollonios

de Rhodes, Lucrèce et

Virgile.

De toute évidence, les similitudes verbales

d'un

texte à I'autre ne sontpas toutes aussi précises

ni

aussi

tangibles;

certaines connexions suggérées convainquent plus

immédiatement

et fermement que d'autres.

Mais,

comme

toujours, il

est nécessaire de contextualiser des

points

précis de

I'allusion

verbale et d'aborder la question selon une perspective plus large.

On

peut commencer par procéder de la sorte en

formulant

la

question suivante:

au-delà des parallèles verbaux

ponctuels

et précis examinés

jusqu'à

présent, qu'est-ce que ces textes

ont

en commun ? Sur un premier plan, la réponse à cette question est que, dans chacun des cas, les vers en

question

apparaissent dans le

prologue d'un

poème.

Et, d'un point

de vue plus général, une autre réponse possible est qu

il

s'agit là de textes épiques, en cela qu'ils sont tous écrits en hexamètres. En termes de

forme

générique,

par

conséquent, le

fait

que nous ayons affaire à quatre prologues épiques

doit certainement

être

pris

en

considération lors

de

l'évaluation

de chaque

similitude

verbale.

Mais

à

partir

de cette approche générique apparaît une

autre question.tOn tend généralement

à penser

que

ces

quatre

poètes appartiennent à des

traditions

littéraires essentiellement différentes :

Apollonios

et

Virgile, d'un

côté,

sont

considérés comme des auteurs de poésie héroïque,

Empédocle

et Lucrèce,

d'un

autre côté,

sont considér(s comme

des auteurs

de foésie didactique/philosophique. Or,

sous

I'infllence de l'étude

très

importante

de

Philip Hardie,

Virgils's Aeneid: Cosmos and

Imperiu-'s', puis

de

la

remarquable étude de Joseph

Farrel,

Vergil's Georgics

and

the Thaditions

of Ancient Epic:

The

Art of Allusion in Literary Historyt6, on peut facilement

constater que cette

division

masque des chevauchements

importants;

et que

14

Pourplusdedétails,voirDamienNelis,Vergil3Aeneid,op.cit.,p.z6T-275.

r5

Philip Hardie, /irgils3 Aeneidr Cosmos and lmperium, Oxford, Clarendon Press, 1986.

16

Joseph Farrell, Vergil\ Georgics and the Troditions of Ancient Epic: The Art of Allusion in

.

Literary History, Oxford, Oxford University Press, 1991.

(6)

les poètes

jouent

de

différentes

manières avec les

frontières

génériques et les

distinctions du type hérorque/didacdque.

C'est

pour

cela que

Philip Hardie

a

pu

rattache r l'Énéide à la poésie sur le cosmos, tandis que Farrell rattache les Géorgiques à

l'épopée homérique,

en

soulignant la tradition allégorique qui voyait

en

Homère un

poète de la

nature

et de la science.

Le mérite revient

à ces

derx

chercheurs

d'avoir

permis d'envisager Empédocle

comme

une ffgure

potentiellement importante

dans

le développement

de

la tradition épique

classique, une

tradition qu'on

faisait

d'habitude

passer directemenr

d'Homère àVirgile,

avec occasionnellement un

clin d'æil àApollonios

ou

àEnnius,

même si les choses sont, bign sûr, plus complexes eue celxl7.

Si nous sommes prêts à accepter une

tradition

cohércnte, où

il

semble

qu'une

lignée de poètes prenne Empédocle

pour

modèle poétiquq,

un

cerrain

nombre

de questions'nous

viennent immédiatement

à

l'esprit.

É,tant donnée la nature fragmentaire du texte d'Empédocle et

d'un

grand nombre de textes

qui

peuvent être convoqués (on pense

tout

de suite à Parménide),

comment

pouvons-nous être sûr que les connexions intertextuelles existent réellement ? Et même si elles existent, comrnent pouvons-ngus maltriser leur

interprétation

?

Il

ne serait pas

pertinent

de s'enliser

ici

dans une discussion théorique sur ce

qui

constirue une

allusion, ou, plus

généralemenr, dans des théories sur

l'inrerrextualité.

Plus concrètement, je voudrais savoir si des"spécialistes d'Empédocle seraient prêts à aller au-delà de

Virgile, jusqdà

Lucain, à la recherche d'une présence marquanre

d'Empédocle

dans

la

poésie

épique latine. D'une manière

générale,.je suis d'avis que nous devons être prêts à envisager sérieusement I'idée que la poésie d'Empédocle a exercé une influence profonde et durable sur beaucoup d'aureurs épiques de

I'Antiquité

et qu

il

a

joué un

rôle crucial dans lc développernent de la

tradition

épique. Même

s'il

n'est pas souvent possible de suivre cette

histoire littéraire

en

détail, il

est

du moins important

de poser la bonne

question, afin

de

nous

assurer que

nous

avons poussé aussi

loin

que possible les

limites

de

notre

connaissance. Ceci nous amène

inévitablement

à

courir

le risque

d'aller trop loin

et d'essayer de Construire des théories sur des bases

trop

fragiles, mais

il

semble que ce risque vaille la peine d'être pris.

tl

Pour une vue d'ensemble, voir John K. Newman, The Classical Epic Tradition, Madison, University ofWisconsin Press, 1986. Pour d'autres travaux importants qui précisent et enrichissent notre connaissance du développement de la tradition épique, voir par exempte Titman Schmit-Neuerburg, Vergils Aeneis und die antike Homerexegese, Untersuchungen zum Einfluss ethischer und kritischer Homenezeption ouf imltatio und aemulatio Vergils, Berlin/NewYork, Walterde Gruyter, 1999; Monica R. Gate, Wrgilon the NotureofThings.The Georgics, Lucretiusandthe DidocticTrodition,Cambridde, Cambridge University Press,2ooo;

Phitip Hardie,[ucretilh Receptions: History the Sublime, Knowledge,Cambridge, Cambridge University Press, zoo9,

257

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(7)

Pour commencer, je voudrais attirer

l'attention

sur deux polnts. Tout d'abord,

comme I'a

rappelé

oliver Primavesi en

rassemblanr les preuves adéquates, Empédocle était Iargement

lu durant

toute

l'Antiquité'8.

pour autanr que nous puissions le

dire,

aucun aurre auteur présocratique n'a bénéficié

d'un lectorat

aussi large.

Ensuite, il

est essentiel

d'apprécier

la

pertinence du

phénomène

connu

à la fois sous les apellations de n réfërence fenêtre

, (window

reference), de n double allusion

,

(double

allusion)

etd'n allusion à deux niveaux >

(two-tier

allasion)t

il

s'agit dtun aspect

important

de la technique intertextuelle ancienne,

qui

a éré

l'objet d'importantes

discussionp

parmi

les chercheurs en poésie

latinc

ces dernières années. Je

préftre l'expression

o

allusion

à

niyeaux multiples

o,

mais, au-delà de la

terminolôgie

employée, sur le

fond,

tous ceux

qui étudient

ce

phénomène parlent

de

la même

chose.

Dons

ea

formc la plus si'rplc, la

technique

fonctionne

de la façon suivante: quand

l'auteurA imite

I'auteur B,

il

est âussi susceptible

d'imiter

le modèle de B, l'auteur

c. Ainsi, pour

prendre

un

exemple, si

l'on

pose

Virgile

=

A, Apollonios

= B, et Homère =

C,

on

obtient:

r) Virgile

(A)

imiteApollonios

de Rhodes (B).

z) Apollonios

de Rhodes (B)

imite Homère

(C).

3) Quandvirgile

(A)

imiteApollonios

(B),

il

remonte également

d'Apollonios

(B)

jusqu

à son tnodèle

hornérique (c)

et

imite

en même

tempsl'Iliadr ou

l'Odlssée, ou les deux.

Il

existe de

nombrcux

passages dans l'Énéide

pour

lesquels

il

est possible de

démontrer

que

virgile

s'est inspiré de différents modèles en même temps, mais qu

il

procédait alors

d'une

façonsystématiquè, étant

pleinement

conscienr

du statut intertextuel

préexistant de chacun de ses modèles. par exemple, quand

virgile

compare

Didon

à

Diane

dans

la

célèbre

comparaison du livre IV il

s'inspire à la fois de la comparaison, faite par Apollonios, entre Médée

etArtémis

et du modèle homériqup de cette comparaison apollonienne, lorsque Nausicaa est comparée à

Artémis'c. ceci

posé, les niveaux de

I'allusipn peuvent

même être encore plus

nombreux.

Lorsqu'Énée

quitte Didon

"u livr. ly

del,Énéide, le lecteur idéal est en m€sure de percevoir que

virgile

pense

(tout

au

moins)

à ulysse et

calypso

dans l' odyssée

d'Homère,

à Jason et Médée chez

Euripide,

à Jason et Médée chez

Apollonios,

et à Thésée et

fuiane

chez

catulle,

ce

dernier imitant

en l'occurrence

Apollonios, 9ui imite

à son

tour

à la

fois Euripide

et

Homère. Maintenant,

si

nous

acceptons que cette

technique constitue une arme fondamentale

dans

l'arsenal

des poètes

imitateurs

dans

l'Antiquité -

252

r8

voir oliver Primavesi, ( Lecteurs antiques et byzantins d'Empédocle. De Zénon à Tzétzès >, dans André Laks, Claire Louguet (dir.), eu,est-ce que la phillosophie présocratiquei, Lilte, Presses Universitaires d u septentrion, 2ooo, p, tg3-2o4.

r9

Voir Damien Nelis, Vergr'lbAeneid, op. cf., p.8z-86.

I

(8)

même s'il faudrait désormais démontrer en détail que d'autres poètes

l'utilisent

aussi systématiquement et largement que Virgile

- il

est désorma,is possible de suggérer qu Empédocle peut être présent, d'une manière ou d'une autre, dans

un

certain nombre de modèles intertextuels, selon des modalités que

I'on

ne peut que deviner. Commençons par prendre

un

exemple évident

qui

a

fait

I'objet de très nombreuses discussions, afin de montrer comment cette approche fonctionne, puis nous examinerons un cas plus complexe.

Le récit de

Vrgile

concernant le chant d'Iopas, à la

fin

du livre

I

del'Ênéide , se déroule comme il suit (v. 74o-746):

citltara crinirus lopas

Persondt aurata, docuit quern maximus Atlas.

hic canit etantem lunam solisque |abores;

undz hominum genus et pecadzs; unde imber et ignes;t Arcturum pluuiasque Hyadas geminosque Tiiones ; quid tanturn Oceano properent se tinguere soles

hiberni, uel quae tardis mon noctibus obstet.

Iopas aux longs cheveux fait sonner la cithare d'or; le grand Atlas a été son maitre. Il chanrc la lune errànte et les épreuves du soleil, l'origine des hommes et des bêtes, celle de la pluie et du feu, I'Arcture les Hyades pluvieuses, les deux Chariots; il dit pourquoi les soleils de l'hiver ont tant de hâte à se plonger dans I'Océan, ou, quand les nuits tardent à venir, I'obstacle qui les alentit'o.

Le modèle narradf direct est le chant de Démodocos sur Arès et

Aphrodite

au livre

VIII

de l'Odyssée. Mais ce chant

portant

sur I'adultère et le scandale étair allégorisé et

lu

en termes empédocléens comme

portant

sur

l'Amour

et la Discorde. De plus,

tout

en s'inspirant du chant homérique de Démodocos,

Vrgile

utilise également le chant apollonien d'Orphée qui, comme nous I'avons déjà vu, est lui-même une

imitation

d'Empédocle. Nous avons donc

ici

une connexion intertextuelle

impliquant

Homère, Homère allégorisé, Empédocle, Apollonios et Virgile2l. Bien sûr, à ce

point

nous ne sommes pas en mesure de démontrer de façon précise

queVrgile

utilise Empédocle dans ce passage, mais dans ces dernières années quelques lecteurs del'Enéidt sont tombés d'accord sur l'idée qu il joue certainement un rôle dans le cadre intertextuel de cette épopée.

Quelle est ampleur de ce rôle, nous ne le saurons jamais, mais il est intéressant de noter que, dans I'histoire de

Didon

et Énée chezVirgile, I'amour peut conduire à la discorde des guerres puniques. Par ailleurs, l'Enéide est aussi un récit dans

zo

Traduction deJacques Perret,Virgite, Énéide,t. l, Livres l-lV Paris, Les Belles Lettres, zoo9.

zr

Pour une discussion détaitlée, voir Damien Netis, VergtIS Aeneid, op. cit., p. g6-Lt2.

253

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ço

='

(9)

254

lequel la destruction de l'urbs (ville), .en l'occurrence

floie,

dâns le livre II,, est présentée essentiellement en t€rmes cosmiques, comme la destruction

d'un

orbis

(univers)". Enfin,le

récit de la fabrication du bouclier d'Énée, au livre

VIII,

a été interprété comme une forme de cosmogonie, le bouclier rond, créé grâce au

pouvoir

érotique de Vénus, exposant I'histoire d'une cité destinée à conquérir le monde entier'3. Au sein de la dynamique narrarive del'Énéide, par conséquent, nous passons de I'amour à la discorde sur fond d'un récit intégrant cosmogonie et dissolution cosmique. Bien sûr, il s'agit peut-être simplement des grands thèmes traditionnels de l'épopée, et l'amour, la discorde et les histoires de destruction de cités ou du monde étaient des thèmes qui existaient déjà avant Empédocle. Néanmoins, les lecteurs de poésie latine devraient être encouragés à

partir

à la recherche del'épos empédocléen'4. Pour ce faire, ils n'auraient pas besoin de se préoccupcr dc trouvcr, dfcxpliquer ou de reconstituer des fragururts particuliers. Mais, sur le plan le plus général, rout ce

qu'il

faut se demander, c'est si, à propos d'un passage précis de poésie latine, un lecteur antique cultivé était en mesure de repérer dans

un

mélange intertextuel complexe le

fil

que constitue Empédocle.

LUCAIN ET EMPÉDOCLE

Le texte que je voudrais utiliser pour évaluer cette approche est une phrase de Lucain, Bellum ciaile,

I,

6o-62 :

tum genus hurnanum positis tibi coryulat armis, inqae uicem gens omnis amet; pax missa per orbem fcnea belligeri conpescat limina Iani.

Alors que le genre h*rmain dépose les armes et veille à son bonheur; que rous les peuples s'aiment, que la paix répandue par l'univers maintienne fermés les battants de fer du

belliqueuxJanus25.

\\

Ces vers proviennent du passage célèbre où Lucain fait l'éloge de Néron et attend son apothéose qui, à ce que prédit le poète, coincidera avec la fermeture des portes de la guerre (ferrea belligeri con?escat

limina lani)

et marquera le début d'une période d'amour (amet) et de paix

(pax).Laquesrion

que

I'on

se pose naturellement est de savoir si Lucain, en composant ce passage, a pu penser,

zz

Voir Philip Hardie, Ae n ei d, Co smo s an d I mperi um, o p. cit., p. r9r-t93.

4

lbid., chap. 8 ; Damien Nelis, VergilS Aeneid, op. cit., p.345-359.

z4

Voir Phitip Hædie, Lucretian Receptions, op. cit., chap. 4.

z5

Traductiond'Abel BourgeryLucain, laGuerrecivile,t.lltgzll,livresl-lVéd.ettrad.Abet Bourgery Paris, Les Belles Lettres, zor3. De même pour les citations suivantes.

(10)

à

un

certain niveau, à Empédocle. La réponse

qui

nous

vient naturellement

est

probablement

que

non,

et qu

il

n a

fait

que retravailler les motifs,standards de l'épopée.

On pourrait

s'en

tenir

là.

Il vaudrait pourtant peut-être

la peine de regarder ces vers

d'un

peu plus près

afin

de se faire une idée de leur

signification

précise, du contexte dans lequel ils se

situent

et de leur densité

intertextuelle.

À quoi

pense

Lucain

lorsqu

il

imagine < la paix étendant son

vol

sur la

terre,

Çtax missa per orbern'6) ? Les commentateurs

ont

tendance à se concentrer sur le vers

qui

suit et

qui

évoque la fermeture des portes de la guerre, laissant souvent cette expression sans

interprétation. Mais,

si nous menons

notre

enquête

du

côté

d'Empédocle,

deux

particularités viennent immédiatement

à

I'esprit. La première,

c'est

qu'Empédocle

a assimilé

le

règne de

I'Amour

à I'absence de

guerre

et de

bataille (fr. rz8 DK) et, par conséquenq

à

une

ère de

paix. La

seconde, c'est

qu'une description

de

I'interaction

entre

l'amour

et la discorde dans le cycle empédocléen a été exprimée en ces

term€ s:

n Pendant la période de son

pouvoir

absolu,

I'amour

a envahi

toute la

terre'7 >. Bien qu

il

ne

faille

.

pas s'attendre à ce qu il y ait une adéquation précise avec chaque détail du cycle empédocléen chez un poète comme Lucain, la principale remarque qu il

faudrait faire ici

est que

rien

dans I'image présente dans le vers

I, 6r du Bellum ciuile

n est

fondamentalement

en

contradicdon

avec une

reconstruction hautement

vraisemblable d'Empédocle.

II

faut également noter que des aspects

importants

de la

vision

qu a

Empédocle du fonctionnement

de son cycle cosmique

ont

été rattachés

aux conditions politiques contemporaines

de

lapolis

grecque,

la plus évidente étant peut-être un

parallèle

entre

Neikos

(discorde)

et stasis

(sédition)"s. Lucain,

bien sûr, commence son épopée en déclarant qu'elle aura

pour

thème la guerre civile ou,

plutôt,

quelque chose d'encore pire, u des guerres

plus

que civiles > (v.

t:

Bella plus quam

ciuilia).

Dans la mesure

le

premier mot du

poème, bella, a une haute

signification thématique, un

vers évoquant la fermeture des portes de la guerre: <

maintienne

fermés les battants de fer

du

belliqueuxJanus o (v.

6z:fenea

belligeri compescat lirnina

lan) doitaridemment attirer I'attention du

lecteur.

En

avançant aussi

rapidement -

en I'espace de

26

La traduction de,lames D. Duff est: < Peace flying overthe earth r, Lucan, The CivilWar book l-X (Phorsalia), Cambridge, Harvard University Press,r9z8.

z7

Denis O'Brien, Empedocles'Cosmic Cycle: A Reconstruction from the Fragments and SecondarySources, Cambridge, Cambridge University Press, 1969, p. r; pour une discussion, voir DanielW. Graham, < The Topology and Dynamics of Empedocles' Cycte >, dans Apostolos Pierris (dir.), The Empedoclean Kosmos: Structure, Process and the Question ofCyclicity, Patras, lnstitute for PhilosophicaI Research, 2oo5, p. 225-244.

z8

Voir Daniel W. Graham, < The Topology and Dynamics of Empedocles' Cycle >, drt. cit., p,2?.3-24c., lci et tout au long de cet article, i'essaie de construire une argumentation en me concentrant sur Empédocte. Mais une perspective plus large est également nécessaire; sur les idées stoitiennes traitant de I'harmonie, de la discorde et de politique, voir par exemple George Boys-Stones, < Eros in Government: Zeno and theVirtuous City >, ClossicalQuaterly, no48,1998, p.168-74.

255

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tro g.f

(11)

256

seulement 6o vers

-

de l'évocation de la guerre, à I'ouverture'du poème, jusqu'à la

vision

de la paix

future, Lucain établit

dès le départ

- quoi qu'on

puisse penser de la sincérité de l'éloge de Néron

-

la possibilité d'une vision cyclique du processus de l'histoire romaine"e. De plus, comme on le sait, Lucain présente toujours la lutte entre César et Pompée et son point culminant à Pharsale comme un processus de dissolution cosmique3o. Ce processus commence

lui

aussi dès le début du poème, et

il

concerne directement les vers 6o'62. Le poète Peut se rejouir de l'avènement de la paix,

qu'il

associe à I'apothéose de Néron, mais

il

précise

tout

de suite que se tâche la plus immédiate est de raconter comment le paix a été chassée de la terre

(I,62-6g)t

Fert

anim*

caasds tantarum ac?roTnerc rerum' inmensumque aperitur opus, quid in armafarentem inpulerh populum, quid pacem excusserit orbi'

Je voudrais révéler les causes de si grands événements; une æuvre immense s'ouvre devant moi: qu'est-ce qui a poussé le peuple à se jeter furieux sur les armes ? Qui a arraché la paix à I'univers ?

La

fin

du vers 69, Paceîn excusserit

orbi,

est clairement une inversion de la

ffn

du vers 6r, pax missa per orbern?', Une vision de la paix future est ainsi

vite

remplacée par l'iinage d'un monde dépourvtr de paix. De plus, le geste proémial présent dans les term€s

aperitur

o?as, en plus de la

répétition

de populum, rappelant le vers z (ltopulumque potentern),

tout

cela souligne l'aspect cyclique du récit3'. I-ucain met en place un schéma oir la guerre et la Paix (qui au vers

6r

est associée à I'amour, ametst) alternent dans leUr relation avec I'univers (orbis;

z9

Pour un point de vue ,similaire mais beaucoup ptus targe, voir Philip Hardie' The Epic

Successors ofVirgil: Astudyinthe Dynamiès of aTradrtioa Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 11-14. Sur I'importance de la cycticité, sur fond empédocléen, dans [e ]ivre I

des Métamorphoses d'Ovide, texte qui a été un modèle-clé pourle livre I du Bellun ciuile de Lucain, voir Damien Nelis, < Ovid, Metamorphoses t4t6-5t: nova monstra andthe foedera

.

noturae ,r, dans Phitip Hardie (dir), Paradox and the Marvellous in Augustan Literature and Culture, Oxford, Oxford University Press, zoo9, p.248'67. Plus généralement sur Ltjcain et Ovide, voir lucon, De Bello civili, Book /, éd. Paut Roche, 0xford, Oxford University Press' 2oo9,p.25-27.

3o

Voir Michael Lapidge, < Lucan's lmagery of Cosmic Dissolution >, Hermes, n" ro7, t979, p,344-370, sur I'imagerie de Lucain sur la dissotution cosmique en termes purement stojtiens; voir aussi Emanuele Narducci, < Lo sfondo cosmico della Pharsalio >t, dans Paoto Esposito et Enrico M. Ariemma (dir), Lucano e la tradizione dell'epica latina, Napoti, Guida' 2oo4,p.7-79.

3r

Voir Paul Roche, Lucon, De Bello civili Book I, od loc.

3z

Deplus,bienstr,tedébutduvers,Fertanimus,rappeltelespremiersversdesMétamorphoses d'Ovide, tnnouafertanimas;voirPau[ Roche, lucan, DeBellocivili,Bookl,adloc,

33

llfaut aussi noter le vers zr, où Lucain à ta fois fait un ieu de mots sur I'amour paradoxal de

, la guerre et se laisse aller au palindrome amor/Roma : amor belli...Romo)

(12)

rerme qui apparait neuf fois au cours des cent premiers vers de l'épopée). Ce faisant,

il

oriente le regard en avant' vers une nouvelle période de paix, mais

il

associe la guerre civile à un retour au chaos originel et à la discorde (I, 7z-8o3a) :

sic, cam conPage solatd saecuh tot Tnundi taPrerna coegerit hora antiquum re?etens iterum chaos, omnia mixtis sidera sidzribus concurrenL ignea pontum astra ?etent, tellus extendere litora nolet etccatietque feturn,

faffi

contraria Phoebe

ibit et obliquurn bigas agitare per orbem indignata diem poscet sibi, totaqae discors

machina diuobi turbabiifoedera

mundi.

(

Ainsi lorsque, disjoignant les liens de I'univers, l'heure suprême aura clos tant de siècles et ramené I'antique chaos, tous les astres heurteront les astres confondus, les corps ignés.gagneront la me6 la terre ne voudra plus garder la ligne de ses rivages et chassera la mer, Phébé marchera en sens contraire de son frère et, indignée de conduire son char à deux chevaux sur la courbe oblique, réclamera le jour pour elle et toute la machine désunie bouleversera les lois du monde disloqué.

Le langage de

Lucail

à propos de la dissolution cosmique peut être associé directement à l'imagerie cosmique de Lucrèce et de Virgile35.

D'un

côté, on a souvent vu Lucain comme le poète qui décrit la destruction du monde romain, mondc qui avait été construit dansl'Énéide à partir de la visiôn atomiste du

Dr

reruln

natart.

Mais, comme nous l'avons déjà vu, depuis quelques années les spécialistes de

Vrgile ont

rattaché au moins quelques éléments de

l'imaferie

cosmique

del'Énéide

à Empédocle,

par l'intermédiaire d'un

Lucrèce très empédocléen,

principalement

grâce aux travaux de

David

Sedley puis de

Myrto

Garani36. Peut-on soutenir que Lucain s'inspirerait à la fois de

Virgile,

de Lucrèce et d'Empédocle, par le biais de la technique de la o référence fenêtre o

(ou

o allusion à deux niveaux r) ? Si

on

admet cette hypothèse, les choses se

compliquent

immédiatement.

Il

est

évident

que, en plus de ces sources ou

34

Je ne discuterai pas ici de la sincérité de t'étoge de Néron (/oudes Neronis),à propos duquel on peut voir Damien Netis, n Praising Nero (Lucan, De Bello civili t,33'66) >, dans Gianpaolo lJrso (dir.), Dicere Laudes, EIogio, comunicazione, creazione del consenso, Pisa, Edizioni ETS'

zol,p.z53-264.

35

Sur tes liens préexistants entre Lucrèce et Virglle, c'est-à-dire des liens dont Lucain aura été pleinement cons:ient, voir Philip Hardie, Aeneid, Cosmos and lmperium, op. crt, chap. 5.

36

VoirDavidSedley,LucretiusandtheTransformationofGreekWisdom,op.cif.,etMyrtoGarani, EmpedoclesRedivivus: PoetryandAnalogyin Lucrefias, London/NewYork, Routledge, zooT'

257

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(13)

258

modèles, Lucain s'inspire aussi, à

l'ouverture

de son épopée,

popr

le moins d'Ennius, de Lucrèce, des Géorgiqur.s de Virgile, et des Métarnorphoserd'Ovide3T ,

De toute éyidence,

Virgile,

dansl'Enéide, s'inscrit parfaitement dans ce réseau intertextuel comme imitateur d'Ennius, de Lucrèce et de ses propres Géorgiques, et comme modèle central

pour Ovide.

Mais avant de perdre de vue Lucain parmi tous ces niveaux de réftrences, essayons d'isoler quelques allusions-clés, en revenant encore une fois au vers

I,6z

du Bellum ciuile:

fe rre a b clligeri c o np c s c at limina Iani.

Ce vers s'inscrit dans

un

schéma récurrent en poésie latine, dans lequel les portes de la guerre sont soit ouvertes soit fermées. Cette

tradition

commence avec Ennius (Annales,

zzl-zz6),

chez qui les portes sont ouvertes3s:

. ?ottquam Discordia taetra B elli fe nat o s prrt6 P o rtas qu e refu gi

t

Après que la discorde affreuse eut brisé les portes et les montants de fer de la Guerre39.

Virgile reprend cette description de la Discorde, admise comme une image du Neihos empêdocléen par beaucoup de chercheur5ao, à deux reprises, la première fois en

ÉnéideI, z9i-294,

oir les pones de la guerre sont fermées:

diraefcno ct compagibus artis

,hodrrn

Brlli portae

"

Les portes affreuses de

la

guerre, barrées de

fer

et d'étroites jointures,

seront fermées4t,

et la deuxième

fois

dans

É7.,YII,

6o7-622,

oir

elles sônt ouverter.

À ..tt.

occasion, laJunon et l'Allectô de\,/irgile, qui orchestrent I'ouverture des portes, onr éré perçues comme étant construites sur le modèle de la Discorde d'Ennius, et par conséquent, indirectement, sur le Neihos d'Empédoclea" :

37

pour des études récentes sur Lucain et [a tradition de l'êpopée romaine, voir [es contributions de Joseph D. Reed, Sergio Casali et Alison Keith dans Paoto Asso (dir.), Brill3 Companion to Lucan, Leiden, Brill, zon.

38

The.Annals.ofQuÎntusEnnit,s,éd.ottoSkutsch,Oxford/NewYork,clarendonPress/oxford University Press, 1985.

39 Jetraduis.

4o

onpeutprendreencompteégalementunautrefragmentd'Ennius,Annales,zzo-zzt:

corpore tartarino prognota Paluda uirago /cui par imber et ignus, spiritus et grauis terra.

4r

TraductiondeJacquesPerret,Virgile,Énéide,éd.cit.,ainsiquelessuivantes'

4z

VoirNicholasHorsfall,Virgil,AeneidT:ACommentary,Leiden,Brill,zooo,adloc'

(14)

sunt geminaeBelli ponae (sic nomine dicunt) religione sacrae et taeiliformidine Mattis;

centilln aerei ckudunt ilectes aeternaquefeni

ro b o ra, n e c cus to s a b s is ti t limine Ianus. (Én., ]y'II, 6o7 - 6 rc)

Il est deux portes de la guerre, c'est ainsi qu'on les nomme' rendues sacrées par la religion et par l'effroi qu inspire le terrible Mars, fermées Pâr cent barrearix de bronze, par la force idestructible du fer, et Janus qui les garde n'en quitte jamais le seuil.

tum regina deum caelo delapsa

Tnorantis

r

impulit ipsa manu portà, et cardine u?rto

Belli ferratos rumPit Saturnia postis. (Éu.,YII,6zo-6zz)

'

Alors la reine des dieux, descendue du ciel, Poussa elle-même de sa main les portes trop lentes et, les faisant pivoter, romPt, fille de Saturne, les battants ferrés de la guerre.

Q,r*d

Lucain reprend cette image, son langage, pour autant qu'on puisse le dire, s'inspire plus directement de Virgile que d'Ennius, particulièrement dans les similitudes enue les fins de vers limina

lani

(8.

C.,\

6z) et limine lanus (8n.,

VII,

6ro)a3. Outre

l'utilisation

probable d'Empédocle, dfEnnius et de

Virgile,

I'ouverture du premier livre de Lucain eSï imprégnée de langage lucrétienaa.

Or il

est remarquable que Lucrèce relie l'ouverture de son poème aux troubles de la Rome conremporaine, en faisant allusion à la guerre et aq désir de paix aux vers z9-4). Cette référence contemporaine a été utilisée pour ramener I'achèvement du De reram na.tura. avxannées 49-48 av. J.-C. et au contexte de la guerre civilèa5.

Lucain

pourrait-il

avoir lu l'ouverture de Lucrèce comme une méditation sur le

conflit

entre César et Pompée ? Par ailleurs, Lucain était-il également en mesure de repérer la reprise d'Empédocle par Lucrèce ? En commençant son poème avec I'amour, la paix, la guerre et I'univers

(orbiù,

en relation avec la guerre civile romaine, s'inspire-t-il des deux modèles en étant pleinement conscient du lien qui existe entre eux ? Si nous répondons à ces questions par I'affirmative,

un

élément supplémentaire est à prendre en considération. I-louverture

du

43

Voir P. Roche, facon, De Bello civili, Book l' êd' clt', ad loc.

44

Sur Lucain et Lucrèce voir, par exemple, Paolo Esposito, < Lucrezio come lntertesto lucaneo ),, B o ll etti n o d i St u d i Lati n i, no 26, r99 6, p. 577 - 5 44.

45

GregoryO.Hutehinson,<TheDateoftheDeRerumNaturan,ClassicalQuaterly,no5t,zoot, p.t5o-t6z; confrovoir Katharina Volk, < Lucretius'Prayerfor Peace and theDate of De rerum natura ,r, Classical Quaterly,n" 6o,2010, p. 727-131.

259

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0r,

-

Éô o.

(15)

z6o

livre I

de Lucrèce est engagée dans

un dialogue intertextuel

avec les Annales d'EnniusA6.

Même

si I'ensemble des détails de cette

relation

nous échappe,

il

convient d'aborder la question des modèles de Lucrèce d'une façon globalement cohérente. I-ihypothèse la plus économique est

d'expliquer

la présence à la fois

d'Ennius

et d'Empédocle comme sources du

livre I

du

De

rerarn na.tura. Par Ie

fait

que

pour

Lucrèce ces deux modèles étaient

inextricablement

liés, dans un

étroit dialogue intertextuel. C'est un modèle

reposant

sur l'appréciation

de I'o allusion à niveaux

multiples

>

qui

nous Permettra au

mieux

de comprendre les

similitudes

enrre le

De

reram natara de Lucrèce, les Annales

d'Ennius, qui commencent bien str par

urre

partie

sur

la

cosmologic4T,

ct

le

De la

natare d'Empédocle.

Lun

des intérêts de la démarche

qui

consiste à se concentrer sur

I'allusion

à niveaux

multiples

dans

I'histoire littéraire

est

que'

une

fois

posée l'existence

d'une qadition poétique

cohérente,

on

Peut évaluer sa

valeur interprétative en

essayanr

d'insérer

des

niveaux d'allusion supplémentaires. Concernant notre

sujer,

on peut

le

faire

en essayant

d'inclure

les Géorgiques de

Virgile

et les Mêtamorpboses

d'Ovide,

poèmes

qui offrent

des liens,

intertextuels

avec

Empédocle

et

Lucrèce, et dont l'un

a eu

une influence considérable

sur

la création deltEnêide, tandis

que

l'âutre

a été

considéré comme la

première réécriture épique-de cette épopée.

À

la

clôture du livre I

des Géorgiqaes, dans

un

passage célèbre

qui

a eu une

influence

considérable sur

Lucain;

comme I'a

démontré il y

a

bien

des années Ettore Paratore,

Virgile fait

allusion à la guerre civile romaine et semble associer les références à la

fois

à Pharsale et à

Philippes, fondant donc

apparemment les guerres civiles des années

4o

av.J,-C. en

un

seul événementas. Je voudrais

,uglér., qu.,

étant donné le parallèle thémarique qdsrant enrre

virgile

et Lucain à propos de la guerre

civile,

la

fin

du vers

I, 6r

de

Lucain, pax

misa per orbern, constitue également une allusion

-

âinsi

qu'une inversion

évidente

-

aux vers

I, lo !,

tot bella per orbem èt

I,

5

t r,

saeuit totu Mars impius orbe des Géorgiques.

Dans les Géorgiqaes, épopée didactique dans laquelle

vrgile

est

profondément

influencé par Lucrèce et oir

il

écrit sur la guerre, sur l'amour4e et sur les éléments, Empédocle a toutes les chances

d'avoir

été

un

modèle

importantto. Il

est

par 46

VoirStephenl.Harrison,<EnniusandtheprologuetoLucretiusD.R.N., l(r.r-r48)>>,Leeds

lnternaiionat classical studies,tf 4,zooz,p,r-r3, http://tics.teeds.ac.uk/zoozl zoozo4.pdr

47

Otto Skutsch,The "Annals" ofQuintus Ennius' éd. cit'' fr. 4.

48

Voir Damien Netis, < Praising Nero >, art. cit', p.259-z6z'

49

Voir Géorgiques lll, z44z amor omnibus idem, et bien str l'épytlion Aristée-orphée en son entier.

5o

Voir Damien Nelis, n Georgics 2.458-542:Yirgil, Aratus and Empedoctes >>, Dlctynno, no

t,

2oo4, p. r.zr, http://dictynna.revues.org/16r et Alex Hardie, < The Georgics, the Mysteries . and the Muses at Rome r, Proceedings of the Cambridge Philological Society, no 48, zooz,

p. r75-zo8 sur une influence empédocléenne possible sur la clôture du livre I I et sur le proème

(16)

conséquenr parfairement naturel d'interpréter l'image prophétique de la paix

,éprrriu.

à

tr"rr..,

le monde chez Lucain comme une allusion directe à la vision atroce du monde en guerre chezVirgile, surtout quand on sait que dans les deux cas

il

s'agit de

conflits

civils romains, à commencer par Pharsale. Quand on admet ensuite que la dernière partie du livre I des Géorgiques peut être comprise à la fois en rermes empédocléens en

tant

que

vision du

cosmos dominé par la Discorde (saeuit totu

Mart

impius orbe) et en termes lucrétiens en tant que méditation sur la possibilité d'une r€stauration et d'une libération du chaos, le fait de po$er comme principe I'existence d'une connexion intertextuelle entre I'ouverrure du poème de Lucain, la

fin

du livre

I

des Géorgiques et les modèles de

Virgile

dans ce texte, à savoir Lucrèce et Empédocle, apparait comme une proposition séduisante.

-

Quant

à

Ovide,

nous avons déjà

vu comment Ilucain

règle

explicitellrerlt

I'ouverrure de son épopée sqr celle des Métamorphoses, àbien des égards, mais d'une manière exemplaire au moyen d'une allusion absolument évidente, dès la partie inidale de ce poème: au vers

I,

67, lorsqu'il reprend son récit

introductif

après l'éloge de Néron, nous pouvons

lire:

Fert animus caus*t tantarun, exProTnere reraTn

Je voudrais révéler les causes de si grands événements'

Il

paralt assuré que de nombreux lecteurs romains

ont

Pu repérer un écho à Métamorphosesl,

I

t

In nouafert animus mutatas dicerefotmas corPor4

Je me propose de dire les métamorphoses des corps en'corPs nouveaux5t Tout comme Lucain,

ovide

fait à maintes reprises allusion àl'orbis cosmique et insère également des références précises aux quatre éléments, à concordia et d.isc\rd.ia (v,

g,6o,2t). Il y

a, bien sûr, eu nombre de discussions sur les modèles

d'ovide

dans sa cosmogonie, et beaucouP de chercheurs pensent

qu'il

est absolument impossible d'isoler des sources individuelless'. Mais d'autres

ont

relevé des éléments empédocléens, parmi lesquels Philip Hardie. En s'appuyant

du livre lll, s'appuyant sur la lecture de PhitipHardie,Aeneid, Cosmos and lmperium, op. cit', p. 33-5r et, plusgénératement, en s'aPPuYantsur David O. Ross, Virgil's Elements: Physics and Poetry in the Georgics' Princeton, Princeton University Press' r987.

5r

Traduction de Georges LafaYe,Ovide, Les Métomorphoses,t.llrgz5l, Paris, Les Belles Lettres' 2015.

S,

Fàurrn.djscussiondétaittéeetperspicace,voirOvidio, Metamorfosi,vol'r(libri I'll),

éd. Atessandro Barchiesi, trad. Ludovica Koch, Roma, Mondadori, 2oo5, p.133-58.

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(17)

262

sur une allusion empédocléenne

présente à

la fois

au

livre I

et

au livre XV

des Métamorphoses,

il

a préconisé une lecture

ovidienne

de la

gradition

épique romaine depuis Ennius

jusqu

à

Vrgile,

en

tant

qu'< épos empédocléen53 >. Par ailleurs, dans un récent article,

j'ai

tenté de proposer une lecture empédocléenne du livre

I

des Métarnorphoses dans sonensemble, ce livre allant de la cosmogonie

à la

dissolution

cosmique, avant de raconter un nouveau processus de création, dans

un

passage

qui

semble

s'inspirer

de la zoogonie empédocléenne 5a.

Il

est communément admis

qu'Ovide

utilise également le chant apollonien d'Orphée dans le

livre I

des

Argonautica, l'ouverrure

des Annales

d'Ennius ctl'Églogue

M

de

Virgile,

et dans

tous

ces passages, les chercheurs suggèrent

la

présence

d'une influence

empédocléenne.

Donc,

une fois de plus, si

l'on

accepte que la

technique

de

l'allusion

à niveaux

multiples

puisse être à

l'æuvre,

Empédocle

apparait comme un modèle significatif pour

les

lecreurs

de

Lucain.

Dans son

Bellum ciuile, il entreprend

en

effet

de décrire

la dissolution du

cosmos

romain (tout

en gardanrà

l'esprit

que le jeu

palindromique

sur Roma/amur est

actif

dès le

débu$

dans le chaos des

conflits civils.

Ce faisanr,

il s'inscrit lui-

même dans une

tradition

de poésie épique dans laqueJle

il voyait

Empédocle

comme

une

figure importante, comme un

poète

remarquablement influent qui traitait

de

cosmologie, d'histoire,

de

politique

er de

tous

les aspects de la

vie humaine,

et

qui érait un imitateur d'Homère, d'Homère

allégorisé et d'Hésiode, en même temps

qu'un modèlepourApollonios

de Rhodes, Ennius, Lucrèce,

Virgile

et

Ovide. Il

est

donc

essentiel d'essayer

d'inclure

Empédocle chaque fois que

I'on

tente d'évaluer la placc

qu'un

poète

latin

se

fairau

scin dc la

tradition

épique55.

53

Phitip Hardie, Lucretian Receptions, op. cit., chap. 4.

54

Voir Damien Netis, < Ovid Metamorphoses t4t6-5r>t, art, cit., p. z48-267,

55

Une version plus courte de certains sujets présentês ici se trouve dans un article écrit en commun avec Joseph Farrell, dans le cadre d'un colloque sur la poésie d'Empédocle et de sa réception, organisé par Phitip Hardie et Damien Nelis à ta Fondation Hardq à Genève, les r4 et 15 octobre zou. Je voudrais remercier Valéry Berlincourt, Joseph Farrell et Phitip Hardie pour leurs conseils et leurs encouragements de toutes sortes. Pour une relecture précieuse de mon texte, je suis particulièrement reconnaissant envers Lavinia Galti Mitié, qrli travaille actuellement sur Lucain et I'intertextualité dans le cadre d'un proiet de recherche financé par le Fond nationaI suisse de la recherche scientifique (FNS).

(18)

Sylvie Franchet d'Espèrey et Carlos Lévy (dir.)

rEs PRÉSoCRATIQUES

A \ R0ME

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