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La réconciliation de l'effet réel et de l'effet personnel des droits de préemption, d'emption, et de réméré immobiliers en droit suisse

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La réconciliation de l'effet réel et de l'effet personnel des droits de préemption, d'emption, et de réméré immobiliers en droit suisse

MARCHAND, Sylvain

MARCHAND, Sylvain. La réconciliation de l'effet réel et de l'effet personnel des droits de préemption, d'emption, et de réméré immobiliers en droit suisse. In: Erdem, Ercüment H. &

Bolle, Pierre-Henri. Journées juridiques turco-suisses = Türkisch-Schweizerische Juristentage = Türk İsviçre Hukuk Haftasi . Istanbul : Beta, 2005. p. 173-185

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:45156

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La réconciliation de l'effet réel et de l'effet personnel des droits de préemption, d'emption,

et de réméré immobiliers en droit suisse isviçre Hukukunda

Ta§~nmazlar

Üzerinde Onabm,

Al~m

ve

Gerial~m Haklarzn~n ~ahsi

ve Ayni Etkilerinin

Uyumla§t~rdmas~

Prof. Dr . Sylvain MARCHAND Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel

Neuchâtel Üniversitesi Hukuk Fakültesi

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I- LA RÉFORME DE 1994: LA RÉCONCILIATION DE DEUX LOGIQUES

A. La dissociation de l'effet réel et de l'effet personnel des pactes Au regard de l'actualité des autres thèmes de ce colloque, la présente contribution participe de l'histoire du droit: il y a en effet dix ans déjà que sont entrés en vigueur en Suisse les articles 216a ss CO, applicables aux pactes d'emption, de préemption et de réméré en matière immobilière!.

Cependant, s'il est essentiel pour tous les juristes de se tenir informé de

l'évolution du droit positif vernaculaire et étranger, il est aussi intéressant

d'examiner avec quelques années d'expériences les difficultés que de nouvelles règles ont pu poser aux tribunaux, et de faire un premier bilan de leur application.

Avant la réforme de 1994, le législateur suisse ne s'était que très peu intéressé aux pactes d'emption, de préemption et de réméré. On trouvait bien quelques mentions de ces pactes dans la législation suisse2, mais il ne s'agissait pas de contrats nommés de la partie spéciale du Code des obligations. Selon la jolie expression du prof. Engel, les pactes d'emption, de préemption et de réméré n'étaient pas des contrats nommés, mais des contrats balbutiés3.

Une des rares règles applicables à ces pactes était l'article 684 CC. Selon cette disposition, les pactes d'emption, de préemption et de réméré pouvaient être annotés au Registre Foncier pour une durée maximale de dix ans. La jurisprudence avait déduit de cette règle une distinction entre l'effet réel des pactes, opposable à tous, et leur ·effet personnel, limité aux parties au contrat. Seul l'effet réel des pactes était concerné par l'article 684 CC, et par

1 La révision a été couplée avec une révision du droit foncier rural: cf. Message du Conseil fédéral à l'appui des projets de loi fédérale sur le droit foncier rural (LDFR) et de loi fédérale sur la révision partielle du code civil (droits réels immobiliers) et du Code des obligations (vente d'immeubles), (ci après Message), FF 1988 III 889. La loi fédérale sur la révision du Code civil et du Code des obligations est entrée en vigueur le 1er janvier 1994: RO 1993 II 1409.

2 Articles 681 à 683, 712c, 959 CC, article 216 aL 2 et 3 CO.

3 Engel, Traité des obligations en droit suisse, p. 178.

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la limitation légale de durée prévue par cette disposition. Par opposition, l'effet personnel de ces pactes était illimité dans le temps, sous réserve des règles générales relatives aux engagements de durée excessive, qui sont contraires aux droits de la personnalité (article 27 ss CC)4.

Cette dissociation entre l'effet réel èt l'effet personnel des pactes procédait d'un choc de culture entre deux domaines du droit qui, comme un vieux couple, sont à la fois inséparables et irréconciliables: les droits réels et le droit des contrats. Si le principe de la causalité des droits réels associe étroitement ces deux domaines du droit, leurs cultures s'opposent: les droits réels sont imprégnés de la culture du numerus clausus et du droit impératif, alors que le droit des contrats repose fondamentalement sur le principe de la liberté contractuelle et sur la logique d'un droit dispositif. Pour prendre une image inspirée par les lieux magiques qui accueillent ce colloque, les droits réels et le droit des contrats sont comme les deux rives du Bosphore: elles sont proches et ne forment qu'une seule ville, et pourtant il s'agit de deux continents différents.

B. La réconciliation de 1994

Par la réforme de 1994, le législateur suisse décida de réconcilier l'effet réel et l'effet personnel des pactes d'emption, de préemption et de réméré. Il y procéda de deux façons:

- D'abord en rapatriant l'essentiel des règles applicables dans leur berceau naturel du Code des obligations. L'article 684 CC fut abrogé, et les articles 216a à 216e CO vinrent compléter les règles applicables aux ventes immobilières.

- Ensuite en fixant une durée maximale de ces pactes, sanctionnant sans distinction leur effet réel et leur effet personnel. La durée maximale des pactes de préemption et de réméré fut ainsi fixée à 25 ans, celle des pactes d'emption à 10 ans5.

La réforme de 1994 ne concerne pas les pactes de préemption, de réméré ou d'emption mobilier, qui restent les parents pauvres du droit suisse6. Les 4 V. ATF 102 II 243; 97 lJ 53; 71 II 158; Meier·Hayoz, Das Grundeigentum II, Berner

Kommentar, IV 1 3 3ème éd. Art. 681, N 313.

5 Cette distinction est justifiée par le fait qu'en cas de droit d'emption, le propriéLaire de l'immeuble ne choisit pas le moment du transfert de propriété: Message, p. 1015. En cas de pacte de réméré, le propriétaire n'a pas plus de choix, mais le droit de réméré s'accompagne souvent de modalités liées à J'immeuble, contrairement au droit d'emption, Message, p.

1015.

6 Le Message propose l'application mutatis mutandis des nouvelles règles aux droits portant sur des meubles: Message, p. 1014. Critique à ce sujet: Foëx, La nouvelle réglemention des droits de préemption, d'emption et de réméré dans le CC/ CO, SJ 1994, p. 381, 392.

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articles 216a ss CO ne sont en outres applicables ni aux droits de préemption légaux7, ni aux droits de préemption conventionnels prévus dans l'acte constitutif d'une propriété par étages8. La doctrine tend à élargir le cercle de ces exceptions, dans certains cas où la durée limitée des pactes d'emption, de préemption ou de réméré semble restreindre excessivement la liberté contractuelle9.

On peut discuter de l'opportunité de fixer une durée légale maximale aux pactes de préemtion, d'emption et de rémérélO. La réconciliation de l'effet réel et personnel de ces pactes nous semble en soi positive: un pacte non annoté ne bénéficie pas de garantie d'exécution suffisante, dans la mesure où il n'est pas opposable à un éventuel acquéreur de l'immeuble. Les aléas des principes jurisprudentiels relatifs à la durée excessive d'un droit personnel créaient par ailleurs une insécurité juridique auxquelles les durées claires des nouvelles dispositions apportent une réponse satisfaisante.

L'objectif de réconciliation de l'effet réel et de l'effet personnel des pactes était très clair pour la communauté juridique suisse lors de la préparation de ces nouvelles règles. Ainsi, en 1993, les autorités de surveillance du Registre Foncier du Canton de Fribourg furent saisies d'une plainte contre une décision du conservateur de refuser l'annotation d'un pacte d'eruption pour une durée plus longue que son effet personnel. Le but des parties était de garantir l'exécution du pacte, dans l'hypothèse où le droit d'emption était exercé juste avant son échéance. L'autorité de surveillance considéra que cette dissociation volontaire de l'effet personnel et de l'effet réel du pacte n'était pas admissible, au moment où le législateur suisse avait précisément l'intention de réconcilier ces deux effetsll. Elle rejeta la plainte et renvoya Je plaignant à d'autres moyens de garantir l'exécution du pacte12.

7 Les droits de préemption légaux (droit de préemption prévus par la loi sur le droit foncier rural, droit de préemption entre copropriétaires et droits de préemption attachés au droit de superficie) restent régis par le Code civil: articles 681, 68la et 681b, article 682 modifié.

8 v. Message, p. 1016, Engel, Traité de droit privé suisse, 2ème éd. p. 103 ch. 4.

9 v. notamment Schobi, Die Revision des K.aufs-des Vorkaufs und des Rückkaufsrechts, PJA 1992, p. 567 ss; contra Foëx, La nouvelle réglementation des droits de préemption, d'emption et de réméré dans le CC 1 CO, S.J 1994, p. 381, 402ss. Le Tribunal fédéral a laissé cette question ouvert.e in: ATF 126 III 421.

10 Notamment Foëx, La nouvelle réglementation des droits de préemption, d'emption et de réméré dans le CC 1 CO, SJ 1994, p. 381, 399 ss. L'auteur prend l'exemple du bail annoté, qui n'est pas limité dans sa durée. Or, concernant le bail, l'annotation n'est pas non plus limitée, ce qui évite cette dissociation regret.table de l'effet réel ct de l'effet personnel.

11 RFJ-FZR 1993 p. 291, cons. 3. Certains aut.eurs étaient favorables à la possibilité d'annoter un droit pour une durée plus longue que celle de son effet personnel (Raab/ Simonius, (Zürcher) Kommentar, IV 1, 2ème éd., Das Eigentum, Art. 681, 682, N 14) alors que d'autres s'y opposaient (Homburger, (Zürcher) Kommentar, IV 1. 2ème 6d. Besitz und Grundbuch, Art. 959, N 12; Meier-Hayoz, Das Grundeigentum Il, (Berner) Kommentar, IV 1/3, Art. 681, N 129), au motif que l'annotation ne peut subsister sans sa base juridique.

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II- UNE RÉCONCILIATION DIFFICILE

A. Les vieux démons de la dissociation des effets

Il n'est pourtant pas si simple de réconcilier un couple mal assorti, d'accorder numerus clausus et liberté contractuelle, de jeter un pont nouveau sur le Bosphore.

Le vieux démon de la dissociation de l'effet réel et de l'effet personnel attendait la première occasion jurisprudentielle pour se manifester. Il n'a pas eu à attendre longtemps. On l'a rapidement vu renaître sous la plume des magistrats, que ce soit quant au contenu des pactes de préemption, d'emption, ou de réméré, ou que ce soit quant à leur durée.

B. Quant au contenu

Dès 1997, un tribunallucernois a été confronté à la question de l'annotation d'un pacte de préemption revu et corrigé par les parties13. L'article 216c du Code des obligations prévoit que seules les ventes et les opérations économiquement identiques sont des cas de préemption, à l'exclusion d'autres actes translatifs de propriété comme l'attribution à un héritier dans une convention de partage, la réalisation forcée, ou l'acquisition pour une tâche d'utilité publique14. Les tribunaux ont eu l'occasion d'interpréter plutôt restrictivement cette disposition, en excluant par exemple des cas de préemption l'attribution des biens d'une société immobilière liquidée à son actionnaire unique15, ou une vente de gré à gré par les liquidateurs d'un concordat par abandon d'actif16.

Or, conformément au principe de la liberté contractuelle, l'article 216c CO est de droit dispositif. Le tribunallucernois a donc été confronté à un cas où les parties avaient élargi contractuellement cette disposition légale, en prévoyant que seraient des cas de préemption notamment les donations, les donations mixtes, le transfert de propriété en vertu d'une disposition pour cause de mort, et l'apport de l'immeuble à une société.

12 Soit une éventuelle rectification du registre foncier (CC 975), ou l'annotation d'une restriction du droit d'aliéner (CC 960 al. 1 ch. 1).

13 LGVE 1997 IN 6 (Obergericht, Justizkommission, 25 seplember 1997).

14 Cette dernière hypothèse vise essentiellement les cas d'expropriation, mais pas uniquement:

elle vise aussi par exemple les acquisitions faites en vue d'amélioration du sol au sens de l'article 703 CC: Message, p. 1017.

15 ATF 126 III 187.

16 ATF 126 Ill 93.

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Bien entendu, les parties avaient souhaité annoter leur droit de préemption pour la durée légale de 25 ans: un droit de préemption non annoté n'a pas d'effet réel, et son exécution n'est donc pas garantie. Or, saisie d'une demande d'annotation, le conservateur du registre foncier avait refusé en faisant valoir que ce droit de préemption ne correspondait pas à l'article 216 c CO. Le tribunallucernois a confirmé ce refus en se référant (raisonnement

relevan~ typiquement des droits réels) à un numerus clausus des droits personnels pouvant être annotés: seule la partie du droit de préemption dont le contenu correspondait à celui de l'article 216c CO pouvait être annotée.

Par cette décision, le tribunallucernois recréait une dissociation entre l'effet personnel du droit de préemption (correspondant au contrat) et son effet réel (dont l'étendue ne pouvait pas aller au-delà de l'article 216c CO).

Cette décision repose sur de solides références doctrinales17, mais nous semble néanmoins erronée. Elle réintroduit une dissociation des effet réels et personnels des pactes que le législateur a voulu faire disparaître, et elle ne correspond pas à la pratique liée à l'inscription ou l'annotation d'autres droits. Lorsqu'une servitude est inscrite, il est fréquent que les parties soient renvoyées aux documents justificatifs (le contrat de servitude) pour en connaître les modalités exactes18. Un contrat de bail peut être annoté même s'il ne reprend pas textuellement les dispositions légales: là encore, les tiers intéressés se réfèrent au contrat, qui se trouve dans les documents justificatifs du registre foncier.

Dès lors que l'article 216c CO est de droit dispositif, cette liberté contractuelle ne doit pas être battue en brèche par de vieux réflexes de droits réels: le droit de préemption doit pouvoir être annoté tout en gardant son contenu contractuel, qui peut être consulté par les intéressés dans les documents justificatifs du registre foncier.

C. Quant à la durée

L'introduction dans notre législation d'une durée légale valable autant pour l'effet personnel que pour l'effet réel du droit devrait conduire à ce que toute l'ancienne jurisprudence sur les contrats de durée excessive au sens de l'article 27 CC (protection des droits de la personnalité) disparaisse du champ d'interprétation des pactes d'emption, de préemption et de réméré.

Pourtant là encore, les vieilles habitudes ne se perdent pas si facilement.

17 Wissman, Verwandte Vertrage (Vorvertrag, Vorkaufsvertrag, Vertrag auf Begründung eines Kaufrechts hzw. Rückaufrechts), in Koller, (Hrsg.) Der Grundstückkauf, St Galien 1989, N 1470, p. 495; Meier-Hayoz, Das Grundeigentum II, (Berner) Kommentar, IV 1 3, 3ème éd., Art. 681, N 138, également BN 1995, p. 163, N 58.

18 v. art. 738 al. 2 CC; ATF 113 II 506. L'inscription, si elle est claire, l'emporte cependant sur le document justificatif: ATF 123 III 461.

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En 2002, le Tribunal fédéral a été confronté à une situation où un droit d'emption avait été constitué en 1944, pour la durée (maximale) de dix ans, puis renouvelé régulièrement par le propriétaire de l'immeuble tous les dix ansl9. Le dernier renouvellement de l'annotation eut lieu en 1994. Le propriétaire décéda en 1995 et le bénéficiaire du droit d'emption fit valoir son droit. Les héritiers du propriétaire objectèrent que ce droit, constitué en 1944, était d'une durée excessive, et partant contraire aux droits de la personnalité. Le Tribunal fédéral a longuement disserté sur les conditions de l'article 27 CC pour finalement arriver à la solution que les droits personnels n'étaient pas transmissibles par voie de succession20, et que les héritiers du propriétaire de l'immeuble ne pouvaient donc s'opposer pour ce motif à l'exercice du doit d'emption.

Cet arrêt est satisfaisant quant à son résultat, instructif quant à ses développements, navrant quant à ses implications: il suppose en effet que l'ancienne problématique des pactes d'emption de durée excessive, indispensable lorsque l'effet réel et l'effet personnel étaient distincts, garderait toute sa place dans l'interprétation de ces pactes. Alors même que l'effet réel du pacte découle de son annotation dûment renouvelée, son effet personnel pourrait être frappé par l'objection de la durée excessive.

Pourtant, dès lors que l'annotation a une durée limitée tant pour l'effet réel que pour l'effet personnel du droit, l'article 27 CC ne devrait plus avoir de place pour limiter cette durée. Il n'y a à notre avis aucun problème de contrat de durée excessive, lorsqu'un contrat est régulièrement renouvelé avec l'accord des deux parties. Cet arrêt conduit de facto à la reconnaissance d'un droit d'emption à ellipse, qui aurait d'abord été valable, puis frappé de l'objection de durée excessive de l'article 27 CC, puis à nouveau valable dès le décès du propriétaire. Ce clignotant juridique ne fait pas partie des chefs- d'œuvre conceptuels du Tribunal fédéral.

On pouvait certes s'interroger sur la validité en droit suisse d'une obligation contractuelle de renouveler l'annotation. Dans l'arrêt qui nous intéresse, le propriétaire de l'immeuble avait pris un tel engagement. La question n'a pas été examinée par le Tribunal fédéral dans la mesure où le propriétaire n'a jamais contesté cet engagement, ni refusé de l'exécuter. La durée limitée de l'annotation et du droit nous semble rendre illicite, et donc nul de plein droit, l'engagement de le renouveler à son terme21, comme c'était déjà le cas pour

19 ATF 129 III 209 = SJ 2003 I p 374.

20 v. ATF 104 II 225 c 5b.

21 Hess, (Basler) Komrnentar, Obligationenrecht I, Bâle 1992, ad art. 216 a N 6; Foëx, La nouvelle réglemention des droits de préemption, d'ernption et de réméré dans le CC/ CO, SJ 1994, p. 381, 405.

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le renouvellement de l'annotation dans l'ancien droit22. Il ne faut cependant pas confondre cette question avec celle de la durée du pacte, qui ne doit être appréciée qu'au regard des nouvelles durées légales, et non à travers le prisme de l'ancienne jurisprudence sur les pactes d'emption de durée excessive.

III- LA QUESTION DU DROIT TRANSITOIRE

A. L'absence de dispositions transitoires spécifiques

Lors de l'introduction des nouvelles règles applicables aux droits de préemption, emption et réméré, le législateur n'a prévu aucun régime de droit transitoire. Or, la question se pose de deux façons:

- Les pactes conclus avant 1994, et dont l'effet personnel était illimité, sont- ils ipso jure limités par les durées légales de la nova?

- Lorsque des pactes de préemption ou de réméré ont été annotés avant l'entrée en vigueur des nouvelles règles pour la durée maximale de dix ans, cette annotation doit-elle être prolongée à 25 ans selon les nouvelles durées légales maximales?

En l'absence de dispositions topiques, ces questions ne peuvent être résolues que par les principes généraux du titre final du CC23, qui prévoient:

- que les nouvelles dispositions n'ont pas d'effet rétroactif(article 1 du Titre final).

- qu'elles peuvent néanmoins avoir un effet rétroactif si elles sont d'intérêt public (article 2 du Titre final).

- qu'elles peuvent également avoir un effet rétroactif dans les cas où la loi règle la matière indépendamment de la volonté des parties (article 3 du Titre final).

Au regard de ces dispositions, la doctrine suisse s'est prononcée en majorité contre un effet rétroactif des nouvelles règles aux pactes conclus avant le 1er janvier 199424. Les tribunaux suisses ont été confrontés à cette question incidemment en 1995, puis à nouveau à plusieurs reprises dès 2000.

· 22 Meier Hayoz, Das Grundeigentum II, (Berner) Kommentar, IV 1 3 3ème éd. Art. 681, N 322.

23 Ces dispositions sont également applicables au Code des obligations, par le renvoi de l'article 1 des dispositions finales du Code des obligations.

24 Bucher, (Berner) Kommentar, I.2.2, Art. 27 CC, N 243; Piotet, Le droit transitoire de la loi fédérale sur le droit foncier rural et sur la révision partielle du Code civil et du Code des

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B. Le sort des vieux pactes

La première décision vise un cas où la déclaration de préemption avait eu lieu avant l'entrée en vigueur de la nova25. Le transfert de propriété n'était cependant pas encore réalisé en 1995. Dans ce cas, le Tribunal fédéral a considéré à juste titre que la question d'une application rétroactive des articles 216a ss CO ne se posait pas: l'exercice du droit formateur de préemption avait modifié la situation juridique en faisant naître une créance en transfert de la propriété foncière du préempteur contre le propriétaire actuel. Cette créance, similaire à celle d'un acheteur26, se prescrit par dix ans.

La question du droit transitoire s'est réellement posée pour la première fois en 2000, avec l'arrêt «Association pour un coin de terre»27. Cette association avait pour but de permettre à des familles modestes d'acquérir un bien fonds à bas prix. Pour éviter toute spéculation, l'association se réservait un droit de réméré, annoté durant dix ans, et dont l'effet personnel était illimité dans le temps. L'association fit ainsi valoir en 1995 un droit de réméré constitué en 1962.

Saisi d'une contestation relative à l'exercice de ce droit de réméré, le Tribunal féréral a dû examiner si les articles 216a ss CO lui étaient applicables. Il s'est en premier lieu longuement interrogé sur l'application ratione materiae de ces dispositions, au regard du but d'intérêt public de l'association. Les auteurs tendent en effet à réduire le champ d'application des articles 216a ss CO, jugés trop restrictif de la liberté contractuelle28. Le Tribunal fédéral a cependant laissé cette question ouverte.

Il s'est ensuite penché sur l'effet rétroactif des articles 216a ss CO au regard du titre final du Code civil. Il a exclu que les articles 216a ss CO soient

obligations du 4 octobre 1991, ROS 113 (1994) I, p.144; Foëx, La nouvelle réglemention des droits de préemption, d'emption et de réméré dans le CC/ CO, SJ 1994, p. 381; 414;

Brückner, in: Der Grundstückkauf, Bem 2001, par. 11 N 5; GuhVKoller, Das schweizerische Obligationenrecht, 9. éd. Zurich 2000 par. 41, N 37; contra Schobi, Die Revision des Kaufs- des Vorkaufs- und des Rückkaufsrechts, AJP/PJA 1992, p. 570; Steinauer, Les droits réels, tome II, 3ème éd. Berne 2002, 90 ss; Vito, Teilrevision des Zivilgesetzbuches und des Obligationenrechts, recht 1993, p. 172 ss, 174; Giger, <Berner) Kommentar, Vl.4.3 2ème éd.

Art. 216 N 461; Hess, (Basler) Kommentar, Obligationenrecht I, Art. 216 a CO, N 8; voir également ZBGR 1996 p. 390.

25 ATF 121 III 210.

26 Cavin, La vente, l'échange, la donation, Traité de droit privé suisse, Vol VII, tome II, p. 148, 149; Meier-Hayoz, Das Grundeigentum Il, (Berner) Kommentar, IV 1 3 3ème éd. Art. 683 CC, N 59.

27 ATF 126 III 421.

28 supra, note 9.

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d'ordre public29, et s'est longuement interrogé sur la question de savoir s'il s'agissait d'une matière régie par la loi indépendamment de la volonté des parties ou au contraire d'une matière laissée à la libre disposition des parties au sens de l'article 3 du Titre final du Code civil. Il a cependant abandonné cette réflexion en s'inspirant des solutions existantes en cas de nouveaux délais de prescription.

Lorsque de nouveaux délais de prescription sont introduits dans la loi, le Tribunal fédéral les applique aux créances anciennes, mais en faisant partir le dies a quo de la nouvelle prescription non plus dès la naissance de la créance, mais dès l'entrée en vigueur des nouvelles règles30. S'inspirant de cette solution, le Tribunal fédéral a considéré que même si les articles 216a ss CO avaient un effet rétroactif, les durées maximales prévues par ces dispositions devraient commencer à courir depuis l'entrée en vigueur des nouvelles règles. S'agissant d'un droit de réméré limité à 25 ans, l'échéance de ce droit selon l'article 216a CO ne pourrait donc intervenir avant 2019.

Fort de cette constatation, le Tribunal fédéral a confirmé que l'association pouvait en toutes hypothèses encore faire valoir son droit de réméré.

L'année suivante, il a été jugé que cette solution s'appliquait également au pacte d'emption31. Rien ne permet de penser qu'elle ne s'appliquerait pas aussi au pacte de préemption.

La solution est élégante par son économie de moyens. Elle ne fait cependant que repousser le problème: la question se reposera dès que les délais légaux de l'article 216a CO, calculés depuis l'entrée en vigueur des nouvelles règles, arriveront à expiration. Les tribunaux seront alors contraints de trancher la question de l'effet rétroactif, une fois pour toutes. Pour les pactes d'emption, cette situation peut se présenter dès le 1er janvier 2004 (durée de dix ans depuis le 1er janvier 1994). Pour les pactes de préemption et réméré, il faudra attendre le 1er janvier 2019 pour que nos tribunaux soient repoussés dans leur retranchements.

C. Le sort des vieilles annotations

Enfin, la question d'une éventuelle prolongation de l'annotation s'est posée en 200032. Il s'agissait d'un pacte de préemption annoté pour la durée 29 Dans ce sens également, Piolet, Le droit transitoire de la loi fédérale sur le droit foncier rural et sur la révision partielle du Code civil et du Code des obligations du 4 octobre 1991, RDS 113 (1994) I, p. 143.

30 ATF 102 V 206 cons. 2.

31 ATF 4C 345/ 2000 in ZBRG (2003), p. 258-260. 32 EGVSZ 2000-133-140 (Tribunal cantonal, Schwyz).

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maximale de dix ans, arrivée à expiration le 14 juin 1993. Le bénéficiaire du pacte s'est opposé à la radiation de l'annotation, en faisant valoir que les annotations pouvaient, selon les nouvelles règles, durer 25 ans. Le tribunal l'a débouté en faisant valoir que, lors de l'entrée en vigueur des nouvelles règles, l'annotalion était déjà arrivée à échéance.

La question aurait été plus complexe, mais la solution aurait vraisemblablement été similaire, si l'expiration de l'annotation était survenue après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Même dans ce cas, il nous semble que la durée de l'annotation n'aurait pas pu être prolongée sans la volonté du propriétaire de l'immeuble, qui doit requérir l'annotation et en indiquer la durée.

Iv.

CONCLUSION: TROIS CONDITIONS POUR UNE RÉCONCILIATION.

La réconciliation de l'effet réel et de l'effet personnel des pactes d'emption, de préemption et de réméré est un progrès du droit suisse: l'exécution de ces pactes doit pouvoir être garantie par une annotation durant toute la durée de leur validité. La survivance de l'effet personnel après l'échéance de l'annotation créait des situations intrinsèquement conflictuelles, et soumises aux incertitudes de l'appréciation judiciaire des durées excessives.

Pour que cette réconciliation soit parfaite, trois principes devraient guider la jurisprudence:

- L'effet réel et l'effet personnel des pactes ne peuvent coïncider que si l'annotation n'exclut pas une certaine liberté contractuelle quant au contenu. Une telle liberté n'est pas incompatible avec les principes des droits réels: il est par exemple courant de devoir consulter les documents justificatifs du registre foncier pour connaître les modalité d'une servitude foncière, dont seule l'existence est inscrite au grand livre. On devrait pouvoir faire de même avec les pactes d'emption, de préemption et de réméré. En particulier, il ne nous semble pas choquant que les tiers, informés par l'annotation de l'existence d'un pacte de préemption, soient renvoyés au contrat (qui se trouve dans les documents justificatifs) pour connaître les cas de préemption.

- Dès lors qu'une durée légale a été prévue par le législateur, et que les pactes peuvent être renouvelés à leur échéance, il ne devrait plus être question de la problématique de la durée excessive d'une convention dans le cadre de l'application des articles 216a ss CO. En particulier, un droit dont l'annotation est renouvelée volontairement à son terme n'est pas

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d'une durée excessive au regard des droits de la personnalité. L'en- gagement préalable de renouvellement est par contre illicite au vu des durées légales des pactes.

- Il faut souhaiter que le Tribunal fédéral confirme que la solution de l'arrêt

«Association pour un coin de terre>>, ne procède pas que d'un raisonnement par l'absurde qui permet de laisser la question ouverte, mais qu'elle est bien la solution définitive au problème de l'application rétroactive des articles 216a ss CO: ces dispositions doivent s'appliquer aux pactes anciens, mais le point de départ de la durée légale doit être fixée au 1er janvier 1994. Cette solution évite la subsistance d'anciens pactes à durée illimitée, soumis aux aléas de l'article 27 CC. La modification du dies a quo évite l'effet de surprise d'une application rétroactive de ces règles.

Avec ces trois principes, les tribunaux consacreront la réconciliation définitive de l'effet réel et de l'effet personnel des pactes d'emption, de préemption et de réméré.

En proposant ces solutions, notre ambition n'est pas d'assécher le Bosphore.

Tout au plus s'agit-il de jeter quelques ponts supplémentaires entre les deux continents des droits réels et des droits personnels. Où mieux qu'à Istanboul peut-on faire valoir qu'il n'y a jamais assez de ponts entre deux continents?

Références

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