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Deux approches de recherche collaborative : points de vue d’un chercheur formateur et d’une enseignante formatrice

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Academic year: 2021

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Cette contribution présente un récit d’expérience de deux approches collaboratives de coconstruction de savoirs proIessionnels et de leur codĭusion Tui enJaJent les acteurs de la IorPation d’enseiJnants j adopter dĭérentes postures Ces deux approches illustrent une activité à la fois de recherche et de développement profes-sionnel d’enseignants. La première approche propose de prédire, mettre en œuvre et analyser une situation pédagogique innovante. Quant à la deuxième approche, elle propose une réappropriation et une coconstruction de savoirs professionnels entre étudiants, enseignants, formateurs d’enseignants et chercheurs. Les deux auteurs de cet article ont expérimenté ces deux approches collaboratives dans le cadre des activités de recherche et de restitution de savoirs professionnels à la HEP-BEJUNE. Les auteurs donnent leurs points de vue : l’un en tant que chercheur puis formateur, et l’autre en tant qu’enseignante puis formatrice. Les expériences menées sont analysées à deux voix.

Introduction

Cet article est rédigé sous la forme d’un récit d’expérience par un chercheur for-mateur d’enseignants (le premier auteur) et une enseignante formatrice d’ensei-gnants (la deuxième auteure1). Nous présentons deux approches collaboratives

qui engagent les acteurs à adopter dĭérentes postures dans des espaces mul-tiples de recherche et de pratique d’enseignement. Ces expériences font partie d’un ensemble d’études conduites à la HEP-BEJUNE dès 2009 et jusqu’en 2013 (*iglio, 0atthey 0el¿, 201). Elles ont impliqué plusieurs espaces de séances, d’entretiens, d’observations auprès des enseignants et des formateurs d’ensei-gnants. L’objet d’étude illustré dans certains passages de cet article se rapporte à l’identi¿cation des stratégies de l’enseignant pour engager et soutenir che] l’élève le développement de certaines « Capacités transversales »2 du Plan d’études

romand (PER, 2010).

1 P. Rothenbühler est malheureusement décédée quelques jours après avoir terminé avec nous la rédaction de cet article. 2 Ce Plan d’études propose cinq descripteurs sous le titre de « Collaboration », « Communication », « Stratégies

d’apprentissage », « Pensée créatrice » et « Démarche réflexive ».

Deux approches de recherche collaborative :

points de vue d’un chercheur formateur et

d’une enseignante formatrice

Marcelo Giglio

Patricia Rothenbühler

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Le cadre de ces études est celui d’une recherche collaborative, dont le chercheur et le praticien peuvent cosituer l’objet d’étude et coopérer dans les étapes de recherche portant par exemple sur des savoirs professionnels à construire avec les enseignants (Desgagné, 1997, 1998). Il s’agit d’un travail de recherche conduit « avec » les acteurs de l’enseignement et de la formation des enseignants plut{t que « sur » ces acteurs (Bednarz, 2013 ; Desgagné et Bednarz, 2005 ; Giglio & Perret-Clermont, 2012).

Les phases de recherche collaborative proposées par Desgagné (1997, 2007) nous invitent à viser un objet de recherche avec le praticien :

‡ en cosituant la problématique de recherche,

‡ en coopérant dans les approches méthodologiques et d’intervention par certaines actions du point de vue des enseignants et des chercheurs, et finalement

‡ en coproduisant des savoirs.

Pour un enseignant, la participation à une recherche collaborative peut lui ŏrir l’occasion d’un développement professionnel : par un processus d’apprentissage continu, il est impliqué dans un développement de compétences professionnelles et dans une transformation de son identité professionnelle (Donnay & Charlier, 2006). De plus, une recherche collaborative peut engager le chercheur et l’ensei-gnant dans un partage de savoirs et d’expériences dans le cadre d’une « adhésion partenariale » (Defrenne, 1991), notamment si, entre les deux, ils coconstruisent des savoirs et se développent mutuellement (Biémar, Dejean, & Donnay, 2008) l’un avec la contribution de l’autre.

Dans le cadre d’une innovation pédagogique, tant l’enseignant que le chercheur ont besoin de mieux comprendre l’état de représentations et des savoirs propres à la profession de l’enseignant avant de mettre en œuvre un dispositif de recherche collaborative. Nos travaux préalables (Giglio, 2013, 2015 ; Giglio, 0atthey & 0el¿, 2014) mettent en avant l’importance de la récolte de traces avant la mise en œuvre de l’activité par ce que nous appelons la « prédiction » de ce qui va se passer. $¿n de cosituer une problématique de recherche qui inclut la plani¿cation de la leoon à observer, il est pertinent de récolter quelques données sur les représentations de l’enseignant avant de conduire l’observation. Ceci nous permet de comparer ce qui était prédit avant l’activité avec ce qui est expérimenté, puis observé. Le décalage entre les deux (entre prédiction et observation) peut faire émerger :

‡ un savoir professionnel intéressant (des savoirs non fondés avant une pratique nouvelle…) pour la communauté scientifique et, à la fois, ‡ une forme de développement professionnel de l’enseignant, par exemple

une prise de conscience, une technique d’observation…

De plus, nous pouvons nous demander si le fait de cosituer l’objet de recherche ne nécessiterait pas une information par le chercheur à son collaborateur enseignant sur l’état de la recherche. Cela pourrait constituer une nouvelle situation initiale de base (cosituation), spéci¿que et nécessaire pour une réelle démarche collaborative de développement pédagogique (R & D).

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1. Une double approche collaborative de coproduction et codiffusion des

savoirs professionnels

Dans des études antérieures (Giglio, 2013, 2015 ; Giglio, 0atthey & 0el¿, 2014), nous proposons à dĭérents enseignants de l’école primaire de participer à un projet de développement de scénarios pédagogiques. Ces scénarios placent la créativité, la collaboration et la réÀexion des élèves au centre de l’enseignement. D’abord, nous proposons une collaboration dans la conception, la mise en œuvre, l’observation, l’ajustement et la consolidation de ces scénarios. Sur la base des leçons consolidées et observées, dans une deuxième étape de recherche, nous étudions comment l’enseignant peut soutenir les élèves à réÀéchir sur leurs formes de penser et d’agir lors d’une activité créative et collaborative vécue antérieurement. Nous explorons ici une approche phénoménologique d’orien-tation descriptive en utilisant une approche bottom-up, c’est-à-dire avec des pratiques d’enseignement créées à partir des pratiques des propres intervenants (Viau, 1993). Inspirés des travaux de Charlier et Donnay (1993), les enseignants peuvent articuler leurs projets, leurs actes et leurs compétences pour dessi-ner, ajuster et consolider dĭérentes possibilités pédagogiques. 0ais, de quelle manière ? Ces situations exigent des approches qui ne peuvent pas se circons-crire aux modèles plus traditionnels de recherche scienti¿que. Ces recherches collaboratives permettent une médiation entre les cultures de pratiques des en-seignants et de pratiques des chercheurs. De plus, dans une institution de for-mation d’enseignants, un chercheur est aussi un formateur d’enseignants avec une expérience d’enseignant. Ces cultures, parfois hybrides, induisent donc un style d’observation qui porte sur des savoirs professionnels à construire « avec » les enseignants (Desgagné, 1997, 1998 ; Bednarz, 2013 ; Desgagné & Bednarz, 2005).

Dans les sections suivantes, nous présentons deux approches collaboratives expéri-mentées qui servent à tisser un lien fort entre recherche et formation (Desgagné, Be-dnarz, Lebuis, Poirier & Couture, 2001) sur dĭérents plans. La première approche propose une analyse réalisée par le chercheur et l’enseignant avant, durant et après l’activité. La seconde propose à la fois une restitution de savoir et une discussion sur les perspectives pratiques ou de recherche.

1.1 Première approche de coproduction de savoirs professionnels : prédire, agir et observer

Inspirés de l’entretien en autoconfrontation croisée (Clot, 1999 ; Clot, Daniellou, Jobert, Mayen, Olry & Schwartz, 2005 ; Clot, Faïta, Fernandez & Scheller, 2001), Giglio et Perret-Clermont (2012) ont développé une approche méthodologique PAO : « prédire – agir – observer ». Cette approche permet aux enseignants de conduire de manière autonome une recherche-développement ou de prendre part à une recherche conduite avec un chercheur dans un va-et-vient entre les savoirs professionnels et la pratique du professionnel.

Cette approche méthodologique porte autant sur la véri¿cation de décalages entre les prédictions que sur les observations émergeant lorsque l’enseignant se trouve dans une situation de développement de nouvelles pratiques, par exemple,

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‡ quant au passage du silence à la parole de l’enseignant pour permettre à l’élève de créer et d’apprendre (Perret-Clermont & Giglio, 2017),

‡ quant aux gestes professionnels de soutien et d’accompagnement de l’ap-prentissage autorégulé lors d’une activité de collaboration créative entre élèves (Giglio, Boissonnade & Kolher, 2015),

‡ quant aux gestes des étudiants praticiens chercheurs pour analyser leur pratique dans une démarche scientifique (Giglio, Bulgheroni & Sigg, sous presse) entre autres.

Pour cette approche, chaque participant (enseignant) plani¿e, réalise et observe chacune de ses activités, à analyser au moyen de cette méthode. Dans le cadre de l’approche PAO, chaque enseignant : (1) prépare l’activité après avoir pris connais-sance de dĭérentes informations concernant les expériences antérieures d’autres participants comme une étape d’un apprentissage progressif [the steps of expan-sive learning] (Engeström, Virkkunen, Helle, Pihlaja & Poikela, 1996). Par la suite, chaque enseignant (2) imagine le déroulement et prédit ce qui se passera tant pour lui que pour les élèves de sa classe. Il (3) réalise l’activité plani¿ée (observée et ¿lmée par le chercheur), puis il (4) observe et analyse son déroulement avec le chercheur.

Au départ, lors du premier entretien, tant le chercheur que l’enseignant plani¿ent et prédisent ce qui peut se passer à partir des questions issues du chercheur puis du professionnel enseignant. Ce dernier partage aussi ce qu’il sait déjà faire (Cooper-rider & Whitney, 2005 ; Wittorski, 2013). Cette démarche se démarque d’autres dé-marchesde plani¿cation, ceci notamment dans une perspective de prise du recul. Le travail de prédiction permet de ne pas rester enfermé dans ce que chaque ensei-gnant croit, sait et fait. Il en va de même pour le chercheur. L’enseiensei-gnant prend ici un r{le plus actif que celui d’un simple testeur de méthodes et d’idées proposées par le chercheur. Il devient chercheur lui aussi,ou du moins il observe, s’appuyant sur son expertise professionnelle, une réalité pédagogique innovante ou à innover.

Une fois l’activité prédite puis conduite en classe, c’est dans une modalité de bilan réÀexif et critique que, d’après Giglio et Perret-Clermont (2012), l’enseignant et le chercheur peuvent confronter « ce qui a été essayé/expérimenté et observé avec :

‡ ce qu’il avait été prévu de faire (par l’enseignant), ‡ ce qui pourrait se faire lors d’un prochain essai, ‡ ce qu’il faudra changer dans l’activité,

‡ ce qui aurait pu se faire

et de l’essayer ensuite pour observer si cela résout les problèmes rencontrés et amé-liore l’activité des protagonistes. Ce peut être aussi l’occasion de prendre conscience de certains préjugés, attentes ou représentations qui bloquent l’action ou le proces-sus d’enseignement-apprentissage. » (p. 136)

Cette approche méthodologique propose donc de capter l’expertise existante chez l’enseignant, ses potentiels et ses limites, et, partant de là, de développer de nou-veaux savoirs professionnels. Ces savoirs sont réinvestis dans chaque cycle de pré-diction, action et observation dans une cosituation et une coopération de manière

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continue. Après chaque observation, le chercheur partage les savoirs professionnels identi¿és dans une restitution de savoir aux enseignants participant à la recherche et entame un nouvel entretien de prédiction auprès d’autres enseignants intéressés à participer à l’étude.

1.2 Deuxième approche collaborative de codiffusion des résultats

La deuxième approche s’avère plus traditionnelle et son but plus pratique. Sur la base de quelques informations quant à l’avancement de nos travaux de recherche, le chercheur et l’enseignant proposent de séances de formation continue ou de travail réÀexif à l’attention des enseignants, des formateurs d’enseignants et de chercheurs. Le but est de discuter en groupe sur les résultats présentés et de les imaginer, pour les enseignants, dans une situation avec leurs élèves et, pour les formateurs, avec leurs étudiants. Cette approche propose aussi un « apprentis-sage progressif en étapes »3 issu d’une restitution de savoirs en dialogue entre les

collaborateurs (chercheur et enseignant) et les nouveaux enseignants invités à ces séances. Nous avons réalisé ce type d’expérience avec, notamment, un groupe de 20 formateurs d’enseignants (formation initiale et continue pour l’enseignement obligatoire – primaire et secondaire) et chercheurs, avec un groupe de 34 ensei-gnants et un groupe de 30 enseiensei-gnants formateurs chargés de l’introduction du Plan d’études romand (Giglio, Matthey & Mel¿, 2014).

Lors de ces approches de codĭusion, le chercheur procède en cinq temps :

1. Il introduit l’objectif de la séance auprès des participants invités, soit re-cueillir quelques pistes sur les manières de penser une formation initiale ou continue, ceci à partir des résultats de nos recherches.

2. Il présente (en collaboration avec un enseignant participant à la recherche) quelques aspects théoriques et méthodologiques de ses travaux, ainsi que de ses observations, ceci du point de vue du chercheur et de l’enseignant.

3. Il enregistre en audio certains groupes d’enseignants qui discutent et ré-digent quelques pistes pour la formation proposée.

4. Il anime une mise en commun (enregistrée) de ces pistes pédagogiques et récolte les documents rédigés.

5. Seul ou avec quelques enseignants, il sélectionne et réécrit certains ex-traits retenus grâce aux enregistrements.

¬ la dĭérence des récoltes de données en groupes d’enseignants (groupes de discussion), cette approche permet de traiter certains aspects de la profession en créant un collectif de réÀexion et d’analyse a¿n de produire certaines perspectives professionnelles sur la base des résultats de recherche. Ces productions (documents et enregistrements) servent au chercheur de témoin et d’encadrement de nouveaux objets de recherche avec les praticiens ; praticiens par ailleurs issus, la plupart du

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temps, de ces groupes d’enseignants. À partir de l’avancement des connaissances restituées, les enseignants peuvent réÀéchir, discuter et concevoir des idées, des outils ou des pratiques à essayer et à observer.

Nous pouvons décrire ce type d’activité comme un développement professionnel, une activité qui cherche à professionnaliser l’enseignant, à développer une culture d’expertise en minimisant une certaine spécialisation, ceci sans entrer dans une distanciation entre le monde de la recherche et le monde des pratiques scolaires (Boyle-Baise & McIntyre, 2008). Ces deux approches nous permettent d’envisager un processus de médiation entre le praticien enseignant et le chercheur pendant les dĭérentes phases d’une étude, en tenant compte des situations initiales des pratiques des enseignants et des chercheurs. De plus, les deux approches permettent une collaboration entre dĭérents acteurs de la formation qui peuvent avoir des postures face au savoir bien dĭérentes si nous considérons le continuum non évolutif des six postures de Donnay et Charlier (2006) : (1) praticien, (2) praticien réÀéchi, (3) praticien réÀexif, (4) praticien-chercheur, (5) chercheur-praticien et (6) chercheur académique. Par exemple, un savoir professionnel coconstruit entre l’enseignant et le chercheur peut se décontextualiser par une réÀexivité de l’enseignant qui prend alors une posture de praticien – chercheur permettant donc :

une mise en relation avec les savoirs standardisés repris dans la littérature. La mise à distance des mots est encore plus grande, car le langage utilisé est emprunté à une ou plusieurs disciplines. La rupture épistémologique s’ac-compagne d’un langage partagé par une communauté scientifique. La diffu-sion du savoir construit en est facilitée. Le support de l’écriture peut étendre encore sa diffusion. (Biémar, Daele, Malengrez & Oger, 2015, p. 5)

2.

Entre recherche, formation et développement professionnel

Si cette double approche collaborative peut apporter certains savoirs professionnels í par exemple sur les gestes professionnels de l’enseignant í, de quelle manière peut-elle contribuer au développement professionnel de l’enseignant ? Sans entrer en détail sur les savoirs professionnels coproduits entre le chercheur et l’ensei-gnante (Giglio, Matthey & Mel¿, 2014 ; Giglio & Rothenbhler, 2015 ; Rothenbh-ler, Giglio & Petignat, 2015), dans cette section, nous illustrons certaines notes du journal de bord de l’enseignante relevées lors de sa participation aux analyses. De plus, nous présentons quelques données et ses analyses en tant qu’exemple. Ces deux illustrations peuvent servir à comprendre certains aspects du développement professionnel tant sur le plan de l’enseignante que sur le plan du chercheur.

2.1 Le point de vue de l’enseignante et formatrice

En tant qu’enseignante, la coauteure expose certains apports identi¿és dans ses dĭérentes activités professionnelles, soit son activité d’enseignante et de forma-trice en formation initiale et continue des enseignants.

Dans le cadre de sa pratique d’enseignement, cette double approche collaborative de recherche a donné l’occasion à l’enseignante de prendre du :

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« recul pour pouvoir observer le fonctionnement de mes élèves dans le cadre d’une activité en me dégageant de la dimension si prenante de l’apprentis-sage à mener et à assurer. » (Journal de bord de l’enseignante)

Les aspects propres à l’observation par vidéoscopie et en étudiant le décalage entre les prédictions et les observations ŏrent l’occasion d’analyser les procédures avec l’encadrement rigoureux du chercheur puis avec une dimension autre que le but propre du travail de l’enseignant in situ : celui d’assurer son enseignement. Par exemple, quant aux moments analysés entre l’enseignante et le chercheur, l’ensei-gnante a noté que les prédictions, l’expérimentation puis l’observation de l’activité lui ont permis :

« une réflexion plus pertinente en termes de « comment » mes élèves fonc-tionnent, agissent, réfléchissent, interagissent. » (Journal de bord de l’ensei-gnante)

Le regard sur ses propres pratiques lui a également ŏert la possibilité de s’inter-roger sur leur pertinence et leurs ¿nalités. Par exemple, dans les analyses réalisées entre l’enseignant et le chercheur pour confronter ce qui a été essayé/expérimen-té et observé », une autre enseignante participant au même projet de recherche déclarait :

« Il me semble que je leur transmettais, mais je ne développais pas chez eux de façons de réfléchir par eux-mêmes. Donc, je faisais des travaux de groupes par exemple, mais je ne cherchais pas, après, à les questionner sur comment ils avaient procédé [les proposer de s’autoévaluer]. Je m’interro-geais sur le retour,/// comment/le résultat final [les proposer une autoéva-luation sur le résultat final]. C’est ça qui m’intéressait. Donc c’est plutôt en termes d’enseignement et pas tellement en termes de compétences à amener l’activité [les proposer sur les compétences à réaliser les tâches créatives et collaboratives]. Et puis ça [les analyses entre le chercheur et l’enseignante] ça m’a beaucoup fait réfléchir. » (Anne-Marie, enseignante et formatrice – après sa leçon)

Le fait de prédire, réaliser et analyser avec le chercheur quelques extraits concer-nant les nouvelles compétences à créer et à collaborer à l’école, proposées par le Plan d’études romand, a permis non seulement au chercheur d’étudier son objet d’étude (ici, le soutien à une autoévaluation des compétences « créer » et « colla-borer ») avec les savoirs du contexte scolaire, mais a aussi permis à l’enseignante de lui ŏrir une activité de développement professionnel. Il s’agit ici d’un objet de préoccupation mutuelle : le soutien à l’autoévaluation des compétences créatives et collaboratives en classe.

Concernant l’activité de formatrice dans le cadre de la formation continue, cette double approche collaborative l’a conduite à s’exprimer à propos de certaines « Capacités transversales » proposées par le Plan d’études romand telles que « Collaborer », « Communiquer », « Pensée créatrice », et ce, de ma-nière plus concrète :

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« puisqu’il m’est possible de les décrire et les illustrer de manière plus pro-bante (communication et collaboration semblaient « tomber sous le sens », ce qui pourtant est loin d’être le cas), quant aux autres, il ne semblait pas toujours aisé pour les enseignants de saisir ce qui était attendu, j’ai donc des « outils » ou du moins des moyens de les évoquer de manière plus adéquate et plus « parlante ». (Journal de bord de l’enseignante)

Il lui a ainsi été possible de mettre du sens sur les enjeux de ces « capacités trans-versales » dans le cadre des dĭérentes activités et disciplines présentes dans son enseignement. Tant dans le cadre de la formation continue que dans celui de la formation initiale des enseignants, notamment en didactique du français, cette double approche collaborative lui a ŏert plusieurs opportunités. Par exemple, elle a pu percevoir l’importance de son discours de formatrice avec dĭérentes postures du savoir. En ĕet, comme le proposent Donnay et Charlier (2006), elle a eu trois postures :

‡ celle d’une praticienne réfléchie avec des savoirs professionnels,

‡ celle d’une praticienne réflexive sur ses propres savoirs professionnels et, parfois,

‡ celle d’une praticienne-chercheure sur des nouveaux savoirs profes-sionnels en coconstruction avec le chercheur et en les codiffusant avec d’autres enseignants.

Ceci est particulièrement observable dans les activités proposées par certains moyens d’enseignement puisque l’élève est régulièrement amené à s’interroger sur le « comment il s’y est pris » et sur l’idée de constat, de bilan de ce qu’il sait main-tenant, de ce qu’il a appris dans le cadre de telle ou telle séance.

2.2. Le point de vue du chercheur

En tant que chercheur et formateur, le coauteur expose certains apports identi¿és dans ses dĭérentes activités de recherche conduites dans le cadre scolaire et de celui des formations initiale et continue des enseignants.

Dans le cadre de sa pratique de recherche, cette double approche collaborative a donné l’occasion au chercheur de prendre en considération les propres préoccu-pations de l’enseignant : par exemple en analysant les discours socioculturels des enseignants « avec » les protagonistes de ces discours. D’autre part, la collabora-tion dans l’analyse aide à dépasser le piège du sentiment que c’est le chercheur qui met en place un dispositif de médiation en mobilisant l’enseignant dans un déve-loppement professionnel. Il s’agit de dĭérentes postures au savoir, mais dans une même activité. C’est lors de la prédiction de ce qui va se passer que peuvent déjà émerger quelques données qui rendent possible une comparaison avec les obser-vations et analyses à conduire ultérieurement. Par exemple, à plusieurs reprises, nous avons pu identi¿er certains décalages entre les prédictions enthousiastes des enseignants sur la réussite des réÀexions des élèves en ce qui concerne leurs com-pétences créatives et collaboratives et les observations de ces mêmes enseignants, après l’activité, en constatant le fait que la réÀexion des élèves n’allait pas de soi (Perret-Clermont & Giglio, 2017).

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Lors de l’approche de coproduction de savoirs professionnels (PAO) entre l’ensei-gnant et le chercheur, l’enseil’ensei-gnante peut prendre conscience de certains gestes, de certains aspects de son discours.

Lors de l’approche collaborative de codĭusion des résultats durant des séances de restitution de savoirs et réÀexions en groupe, les documents et les enregistrements de ces discussions ont fourni un feedback au chercheur. Par la suite, il peut ajuster les objets de recherche en lien avec les préoccupations du terrain. Par exemple, dans le cadre de nos études concernant l’introduction des compétences prescrites comme « Capacités transversales » dans le PER, un groupe d’enseignants et forma-teurs nous ont rendus attentifs au fait qu’il est important de distinguer les :

« moments de collaboration selon les disciplines et ces types de collaboration peuvent varier d’un élève à l’autre. L’évaluation doit tenir compte de ces cir-constances. » (propos rédigés par un groupe de formateurs HEP-BEJUNE) « Le PER propose de ne pas évaluer les « Capacités transversales » pour elles-mêmes, mais dans le cadre des différentes disciplines scolaires. Ce groupe de formateurs proposerait de prendre en compte les différentes formes de collaboration qui peuvent varier d’un objet de savoir à un autre, des manières de penser ou d’agir de chaque individu ou groupe. » (Giglio, Matthey & Melfi, 2014, p. 142).

Des propos comme celui-là, issus du monde professionnel de la formation et de l’enseignement puis en réaction à notre restitution de savoirs, nous ont invités à étudier d’autres situations pédagogiques avec d’autres enseignants et formateurs d’enseignants.

Réflexions finales

Nous sommes convaincus qu’une double approche collaborative de recherche édu-cationnelle donne l’occasion au chercheur de compter avec une expertise profes-sionnelle du praticien dans la coconstruction et la codĭussion des savoirs pro-fessionnels. En même temps, cette double approche donne l’occasion au praticien d’entreprendre un développement professionnel qui dépasse les postures de pra-ticien réÀexif en s’engageant dans une posture de prapra-ticien-chercheur. Car le fait d’entreprendre la coconstruction et la codĭusion des savoirs permet au praticien de se développer par la compréhension des activités pédagogiques (voire didac-tiques) a¿n de les transférer à d’autres collègues.

La première approche collaborative de coconstruction des savoirs « prédire, agir et observer » (Giglio & Perret-Clermont, 2012) exercée de manière colla-borative est l’occasion d’un développement de savoirs professionnels et scienti-fiques par l’engagement de l’enseignant et du chercheur dans un effort commun quant à un objet d’étude mutuel. C’est le va-et-vient, l’aller-retour entre les questions issues des expériences du contexte professionnel et celles partagées par la communauté scientifique.

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La deuxième approche collaborative de codĭusion des savoirs professionnels peut être l’opportunité de soulever de nouvelles problématiques importantes à étudier, à développer, à modéliser, à réaliser et à observer sur le terrain.

En dépassant la posture d’enseignant réÀexif et en s’engageant dans une posture au savoir propre à celle d’un praticien-chercheur, l’enseignant peut décontextualiser le savoir professionnel coconstruit dans une mise en relation entre ses réÀexions, sa pratique et les savoirs repris dans la littérature parfois médiatisée par le cher-cheur. Il peut alors prendre de la distance en utilisant un langage emprunté à la recherche et vice-versa. Il dispense une taxonomie partagée dans une communauté scienti¿que, mais peut faire le pont avec un langage propre à son contexte pro-fessionnel, celui de ses collègues enseignants ou formateurs d’enseignants. Cela facilite la dĭusion des savoirs professionnels coconstruits entre l’enseignant et le chercheur, soit par des communications orales (par exemple : Giglio & Rothenbüh-ler, 2015 ; RothenbühRothenbüh-ler, Giglio & Petignat, 2015), comme par l’écriture, celle de cet article par exemple et d’autres à venir.

D’après les indicateurs postulés par Snoek et Zogla (2009), ce type d’approche pourrait relever des enjeux de recherche, de développement professionnel et de développement pédagogique. Cette double approche collaborative peut ŏrir à l’enseignant plus d’autonomie, de créativité et de réÀexivité à sa pratique. Et vice-versa, l’autonomie, la créativité et la réÀexivité du chercheur sont enrichies et ajus-tées par le savoir contextuel de l’enseignant.

Ces approches, conduites à plusieurs reprises, peuvent permettre aux profession-nels participants, une prise de conscience de certains usages habituels et de nou-veaux usages nécessaires pour à la fois innover et améliorer leur pratique. Il s’agit en même temps de créer, d’utiliser des savoirs et des outils pour observer et se déve-lopper professionnellement ; et cela sous des angles scienti¿ques et en les dĭusant aux autres collègues professionnels et scienti¿ques. Tout ceci a¿n de permettre d’y réÀéchir pour « ajuster » sous des angles contextuels une démarche scienti¿que et de la partager comme nous le faisons dans le cadre de cette publication.

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