de l'environnement
Michel Delnoy
Avocat au barreau de Liège Professeur invité HEC - ULg
Préface de Michel Pâques
La participation du public en droit de l'urbanisme et
de l'environnement
© De Boeck & Larcier s.a., 2007 Éditions Larcier
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leS CondItIonS
de lA reStruCturAtIon
du droIt de lA PArtICIPAtIon
les contradictions, lacunes et incohérences de notre droit positif y relatif et ce, en ce qui concerne tant les décisions qui y sont soumises que ses bénéficiaires, ses modalités, ses effets, voire même les sanctions qui y sont associées : notre droit positif de la participation est caractérisé par son incohérence, qui est le résultat de l’empirisme de son élaboration.
Dans la seconde partie de notre travail, que nous entamons ici,
nous commencerons par déterminer si et dans quelle mesure il existe
une obligation de restructurer le droit positif de la participation, avant
d’identifier les bases sur lesquelles un tel travail devrait, si il était mis
en œuvre, reposer. Nous analyserons, à ce titre, successivement : le droit
international et communutaire, le droit institutionnel interne, le droit des
libertés publiques et le droit interne à valeur législative.
Introduction
On a beaucoup évoqué, en doctrine, la multiplication des normes
1, ses causes
2, ses conséquences
3et ses remèdes
4. Généralisé
5, le phéno- 1. Voy. not. P. D
elnoy, « Sécurité juridique et rédaction des textes », in La sécurité juridique, Éditions du Jeune Barreau de Liège, 1993, p. 143 ; J.-P. H
enry, « Vers la fin de l’État de droit ? », Rev. dr. publ., 1977, pp. 1207 et s. ; M. a
Damset P. P
oPelier(éd.), Wie waakt over de kwaliteit van de wet ?, Anvers, Intersentia, 2000, 315 pp. ; J. V
anDel
anotteet G. G
oeDertier, Overzicht publiekrecht, Bruges, La Charte, 2003, p. 77. Comme l’indique F. o
st, le constat de la « déglingue de la loi » est devenu aujourd’hui un lieu commun (F. o
st, « La régulation : des horloges et des nuages… », in Élaborer la loi aujourd’hui, mission impossible ?, Bruxelles, F.U.S.L., 1999, p. 11). Pour certains, cela pourrait tout simplement s’expliquer par un attrait accru de la doctrine pour le sujet (S. D
eBaene, R. V
ank
uyCket B. V
anB
uGGenHout, « Normen voor goede kwaliteit van wetgeving », R.W., 1997-1998, p. 833, et références citées) mais on peut également se demander si cet attrait ne découle pas précisément de l’amplification du phénomène (P. P
oPelier, De wet juridisch bekeken, Bruges, La Charte, 2004, p. 6).
2. Voy. not. J. G
iJssels, « Wetgevingstheorie – Wie normeert wat, op staatsniveau ? », in Wetgeving in theorie en praktijk, Anvers, Maklu, 1994, pp. 127 et s. En droit de l’urba- nisme et de l’environnement, il en est sans doute une qui dépasse les autres : la produc- tion de normes en tant qu’« enjeu d’un spectacle politique » (J.-P. H
enry, « Vers la fin de l’État de droit ? », Rev. dr. publ., 1977, p. 1224).
3. Notamment le fait que « (les professionnels du droit) eux-mêmes ont, toute proportion gardée, bien du mal à suivre l’évolution » et la « dévalorisation du droit » que cela entraîne (J.-P. H
enry, « Vers la fin de l’État de droit ? », Rev. dr. publ., 1977, p. 1214 et p. 1210, citant ég., en p. 1209, l’ouvrage Le déclin du droit de r
iPert) ; voy. ég. la formule :
« quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite » (Conseil d’État de France, « Rapport public 1991 », in La sécurité juridique, Éditions du Jeune Barreau de Liège, 1993, p. 166).
4. Voy. par ex. la circulaire du Conseil d’État du 1
ermars 1999 relative à la légis- tique formelle (disponible sur le site internet du Conseil d’État), qui remplace celle du 23 avril 1982 ; l’accord interinstitutionnel du 22 décembre 1998 sur les lignes directrices communes relatives à la qualité rédactionnelle de la législation communautaire (J.O.C.E., 17 mars 1999, n
oC73, p. 1), dont le premier des « principes généraux » suggère que « les actes législatifs communautaires soient formulés de manière claire, simple et précise » ; voy. ég., dans le même sens, le Guide pratique commun du Parlement européen, du Conseil et de la Commission à l’intention des personnes qui contribuent à la rédaction des textes législa- tifs au sein des institutions communautaires (http ://europa.eu.int/eur-lex/lex/fr/techleg/1.
htm).
5. J. G
iJsselssouligne d’ailleurs que « er bestaat geen reden voor een specifiek natio-
naal masochisme » (J. G
iJssels, « Wetgevingstheorie – Wie normeert wat, op staatsni-
veau ? », in Wetgeving in theorie en praktijk, Anvers, Maklu, 1994, p. 127). Ceci dit, il ne fait
pas de doute que, dans notre pays, l’éclatement lié au fédéralisme n’arrange rien (comp.,
à propos du droit à l’information, A. l
eBrun, « Le droit à l’information environnemen-
mène n’est pas neuf
6mais « il a pris aujourd’hui une ampleur sans précé- dent »
7et « la situation ne cesse à l’évidence de se dégrader »
8, d’autant qu’aujourd’hui le phénomène n’est plus seulement quantitatif mais égale- ment qualitatif
9. Ce constat vaut sans conteste tout spécialement en droit de l’urbanisme et de l’environnement
10. Nous avons vu dans la première partie de notre travail que ce constat vaut encore davantage en droit de la participation
11.
L’éparpillement et l’incohérence
12des règles relatives aux enquêtes publique empêchent les particuliers de connaître à l’avance les délais endéans lesquels leurs réactions doivent être formulées, les informations préparatoires auxquelles ils peuvent accéder, la forme que leurs réclama-
tale : pourquoi ? Pour qui ? Vis-à-vis de qui ? Avec quel contenu ? », in Formation permanen- te CUP, vol. 55, mai 2002, pp. 224 et 227).
6. C
arBonnier, déjà, parlait d’« enflure législative » (cité par P. D
elnoy, « Pour un (ou plusieurs) corps de légistes ? », in Élaborer la loi aujourd’hui, mission impossible ?, Bruxelles, F.U.S.L., 1999, p. 198). Voy. ég. not. J. D
umortier, M. P
enninCkxet Y. t
immermans, « Qui est encore censé connaître la loi ? Une proposition pour un meilleur accès à la législa- tion belge », J.T., 1993, p. 253, note 3 ; R. a
nDersen, « La sécurité juridique et la section de législation du Conseil d’État », in La sécurité juridique, Éditions du Jeune Barreau de Liège, 1993, p. 197 ; L. w
intGens, « Wetgevingstheorie-legisprudentie, een analyse van de stand van zaken », in Wetgeving in theorie en praktijk, Anvers, Maklu, 1994, p. 31 ; A. C
oenen, « Le nouveau mythe de Sisyphe », Mouv. comm., 1996, p. 25. En réalité, il y a longtemps que « le rêve ancien de pouvoir se passer de juristes, grâce à la publication de textes rédigés simplement (…) ne peut plus (…) être vu que comme une chimère » (R. B
eautHieret I. r
oriVe, « Le paradis de la codification… Un Eden à reconquérir ? », Rev. dr. U.L.B., 2003, p. 30). On peut d’ailleurs se demander comment les révolution- naires français (voy. J. G
ilissen, Introduction historique au droit, Bruxelles, Bruylant, 1979, p. 410) avaient pu être exaltés au point de faire ce rêve, alors que la complexité du droit était sans doute déjà fort grande, à une époque précédant les grandes œuvres de codifi- cation napoléoniennes.
7. P. D
elnoy, « Le rôle du praticien du droit dans sa création – Constats et sugges- tions », in La pathologie législative, comment en sortir ?, Bruges, La Charte, 1998, p. 9 ; voy. ég. P. D
elnoy, « Pour une nouvelle génération de légistes », J.T., 1979, p. 653.
8. A. C
oenen, « Le nouveau mythe de Sisyphe », Mouv. comm., 1996, p. 25.
9. P. P
oPelier, De wet juridisch bekeken, Bruges, La Charte, 2004, p. 24.
10. Voy. notre introduction.
11. Dans le même sens, voy. not. J. s
amBon, « La procédure d’élaboration du zonage écologique », in Le zonage écologique, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 145 ; J.-F. n
euray, Droit de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 176 ; B. J
aDot, « L’enquête publique en matière d’urbanisme et d’environnement », Rev. dr. commun., 1995, p. 336.
12. Voy. N. D
es
aDeleer, « Quelles balises pour le juge ? », in Les juges et la protec-
tion de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 226 : « plus il y a de règles, plus
nombreuses sont les possibilités de lacunes et de contradictions. Rares sont en effet
les textes qui ne poursuivent pas des buts contradictoires ». En France, le problème de
manque de cohérence semble identique : voy. P. l
el
ouarn, « Démocratie de proximité
et protection de l’environnement : la participation du citoyen local », Rev. jur. environ.,
2002, p. 589.
tions doivent prendre, etc.
13. Cette situation empirique – que les modifi- cations législatives de plus en plus fréquentes, accompagnées ou non de recours à la cour d’arbitrage
14, ne sont pas de nature à améliorer – met donc les particuliers dans l’impossibilité d’exercer les droits qui leur sont conférés en termes de participation ou rend leur mise en œuvre exagéré- ment difficile. Cela risque d’aboutir au désintéressement progressif de la population pour les mécanismes de participation, en raison des difficultés pour elle d’y … participer
15.
Sans doute plus que d’autres – puisqu’il y est question de règles qui concernent elles-mêmes l’élaboration de règles ou, plus généralement, d’actes juridiques – le droit de la participation se devrait pourtant d’être aisément accessible aux particuliers
16. Dans ce domaine, l’exigence de cohérence s’impose d’elle-même
17: comme l’indique Th. DUVILLIER, « le développement (d’un) espace privilégiant la discussion fondée sur la recherche du meilleur argument n’est susceptible de porter ses fruits que si les divers acteurs de ce jeu en connaissent les règles »
18.
Certains en viennent donc à se demander si, quand il légifère à propos des enquêtes publiques, le législateur poursuit réellement une volonté de changement dans le sens d’une « horizontalisation » des rela- tions entre l’Etat et l’individu
19ou si, en réalité, ses interventions ne relèvent pas davantage de la « démocratolâtrie »
20?
Le législateur lui-même, très éloigné du postulat de rationalité qui lui est traditionnellement attribué
21, est bien conscient de la
13. Comp., dans le même sens, Doc., Sénat, 1991-1992, n
o229/1, pp. 1 et 2.
14. À titre d’ex., voy. ci-dessus le rappel d’une partie des avatars de la législation wallonne relative à l’évaluation des incidences sur l’environnement (sur le rappel des autres, voy. not. J. s
amBon, « Les nouvelles règles d’évaluation des incidences sur l’en- vironnement en droit wallon », in Actualité du cadre de vie en Région wallonne, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 13 et s. ; J. s
amBon, « L’évaluation des incidences dans la délivrance des permis en Région wallonne », Am.-Env., 2004, pp. 65 et s.).
15. Comp. la formule : « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite » (Conseil d’État de France, « Rapport public 1991 », in La sécurité juri- dique, Éditions du Jeune Barreau de Liège, 1993, p. 166).
16. Plus il faut apporter des réponses aux questions qui sont soulevées, plus ces réponses doivent être cohérentes et découler d’un sens unique conféré à la participa- tion. Ne pas réfléchir à ce dernier, c’est reconnaître, ni plus ni moins, qu’on se borne en réalité à jeter de la poudre aux yeux des citoyens.
17. Comp., à propos de la transparence administrative, M. l
eroy, « La publicité de l’administration dans les provinces et les communes », Rev. dr. comm., 1999, p. 105.
18. Th. D
uVillier, « Crise de société et complexification sociétale – Crise du droit et régulation juridique », R.I.E.J., 2000, p. 35.
19. Ch. G
uy-e
CaBert, Procédure administrative et médiation – Inscription d’un modèle procédural dans un contexte en mutation, Bruxelles, Bruylant, 2002, 292 p. 125.
20. A. G
iVauDan, « La démocratolâtrie », Rev. adm., 1984, p. 98.
21. P. D
elnoy, Méthodologie juridique, éd. ULg, 2004, p. 196.
nécessité d’apporter une solution à cette situation
22et rares sont ceux qui contestent aujourd’hui que, même si elle n’est pas nécessairement chose aisée
23, « une remise en ordre des dispositions existantes s’impose »
24en droit de la participation
25, même s’il s’agit de droit administra-
22. Voy., très parlant, Doc., Sénat, 1991-1992, n
o229/1, pp. 1 et 2 : l’« incohérence dans la structuration du système juridique » et la « dispersion anarchique des règles » est un problème de compréhension du droit et, « faute de connaître et de comprendre le droit, les citoyens sont dans l’impossibilité de faire valoir leurs droits et de respecter les droits des autres. (…) Il faut donc redonner au droit une certaine cohérence, de telle façon qu’il forme un ensemble dans lequel les normes s’intègrent les unes aux autres pour former un tout, simple, clair et compréhensible, permettant à chacun (…) de déterminer en toute sécurité sa propre conduite ». De nombreuses autres propositions de loi ont été formulées sur le sujet : voy. par ex. celles citées par P. D
elnoy, « Pour un (ou plusieurs) corps de légistes ? », in Élaborer la loi aujourd’hui, mission impossible ?, Bruxelles, F.U.S.L., 1999, p. 203, ou celles évoquées en annexe à l’ouvrage collectif La pathologie législative, comment en sortir ?, Bruges, La Charte, 1998. Plus particulièrement en droit de l’environnement, voy. Doc., Parl. w., 2003-2004, n
o695/1, p. 51 : « une première grande restructuration du droit wallon de l’environnement aparaît donc aujourd’hui indispen- sable pour lutter contre ce manque de visibilité » ; Doc., Parl. w., 2005-2006, n
o309/6, p. 4 : « Il convient, en effet, d’organiser une meilleure vue d’ensemble des règles, en fonction des secteurs, de manière à permettre une plus grande lisibilité de la part de la population ».
23. À cet égard, nous ne pouvons mieux exprimer la nécessité de rechercher le
« µηδεν αγαν » qu’en renvoyant au « Guide pratique commun du Parlement européen, du Conseil et de la Commission à l’intention des personnes qui contribuent à la rédac- tion des textes législatifs au sein des institutions communautaires » (http ://europa.
eu.int/eur-lex/lex/fr/techleg/1.htm). Il n’est en aucun cas question de prôner ici la
« simplification à outrance » décriée – à raison, comme à propos de tout ce qui est excessif – par J. u
ntermaier(J. u
ntermaier, « Nous n’avons pas assez de droit ! Quelques remarques sur la complexité du droit en général et du droit de l’environnement en particulier », in Les hommes et l’environnement – Études en hommage à Alexandre Kiss, Paris, Frison-Roche, 1998, p. 499 ; cet auteur a manifestement changé d’avis depuis 1978, où il citait sans les contester le doyen C
arBonnieret le professeur J
aVatierqui critiquaient l’inflation législative, (J. u
ntermaier, « Droit de l’homme à l’environnement et libertés publiques – Droit individuel ou droit collectif – Droit pour l’individu ou obligation pour l’État », Rev. jur. environ., 1978, p. 330)), mais, plutôt, de mettre de l’ordre dans ce qui nous semble relever des « formes malignes de complication telles que l’enchevêtre- ment des procédures » que le même auteur dénonce (p. 501), lui qui admet par ailleurs (p. 508) que, si « la complexité (…) est dans la nature des choses et du droit », cela « ne dispense nullement de rechercher les moyens d’en corriger les effets négatifs, donc de simplifier ».
24. Pour reprendre la formule de J.-L. B
erGel, Méthodologie juridique, P.U.F., 2001, p. 322.
25. Dans le sens de l’urgente nécessité d’une restructuration, voy. F. H
aumont, « Les
règles régissant les plans et les programmes en urbanisme et en environnement : une
matière en cours de codification », Am.-Env., 2005, n
ospéc., p. 33 ; B. J
aDot, « Le droit
wallon et bruxellois de l’urbanisme et de l’environnement à l’épreuve de la codifica-
tion : désirs, mythes et réalités », Am.-Env., 2005, n
ospéc., p. 18. Voy. ég. l’avis de la
section de législation du Conseil d’État n
o32.762/4 du 4 novembre 2002, p. 34.
tif
26. En droit wallon du cadre de vie, des tentatives d’harmonisation du droit de la participation ont déjà été faites, en invoquant la néces- sité tant de rendre les procédures plus accessibles aux particuliers pour
« dépasser le phénomène Nimby » que d’offrir aux entrepreneurs et auteurs de projet un cadre prévisible et compréhensible suivant lequel les projets doivent être procéduralement traités
27.
Quoi qu’il en soit, ces considérations relèvent avant tout, non de la mise en œuvre de véritables obligations juridiques, mais de la « méde- cine juridique »
28et elles n’ont malheureusement pas fondamentalement modifié la manière de procéder
29des autorités normatives. Dans cette mesure, nous souhaitons examiner ici s’il existe éventuellement des normes juridiques qui fixent des exigences minimales de clarté et de cohérence auxquelles les règles de droit devraient répondre
30. En d’autres 26. Certains auteurs – ainsi que certains parlementaires (voy. la proposition de loi générale d’administration, Doc., Ch., 1999-2000, n
o50 60679/001, déposée le 25 mai 20000) – préconisent la codification de la procédure administrative : M.-A. F
lamme, Droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 1989, n
o350 et bibl. ; Y. G
auDemet, La codification de la procédure administrative non contentieuse en France, Dalloz, 1986, chron., p. 107 ; C. w
iener, Vers une codification de la procédure administrative, Paris, P.U.F., 1975, pp. 31 et s. ; M.-A. F
lamme, « Vers la codification de la procédure administrative », Rev. adm., 1970, pp. 221 et s. De manière plus générale encore, P. l
ewalleremarque opportuné- ment qu’« un des points faibles du droit administratif est qu’il est fait de législations éparses (…) » (P. l
ewalle, Droit administratif – Première partie, Liège, éd. ULg, 2005, p. 7).
Certes, on peut s’interroger sur l’opportunité de restructurer des dispositions de droit administratif et spécialement de droit de l’urbanisme et de l’environnement, c’est-à-dire des textes nécessairement jeunes et en pleine évolution. On peut cependant s’accorder aujourd’hui à donner une réponse positive à cette question et à considérer l’argument de la jeunesse comme non concluant (R. B
eautHieret I. r
oriVe, « De quelques enjeux de la codification », Rev. dr. U.L.B., 2003, p. 297 ; P. G
oFFaux, « Le droit administratif en codification ? », Rev. dr. U.L.B., 2003, p. 79).
27. Voy. la proposition de décret du Parlement wallon garantissant et harmonisant les procédures d’information et de participation de la population en matière d’environ- nement et d’aménagement du territoire, Doc., Parl. w., 2004-2005, n
o48/1, qui avait déjà été formulée au cours des travaux préparatoires du D.P.E. (Doc., Parl. w., 1997-1998, n
o392/16, p. 16). Voy. ég. l’avant-projet de décret relatif à la communication et à l’en- quête publique en matière d’aménagement du territoire, de patrimoine, d’urbanisme et d’environnement, évoqué in C.R.I., Parl. w., 2003-2004, n
o18, du 11 février 2004, p. 165. Déjà, en 1977, une proposition de loi relative à l’enquête publique avait été déposée, sans succès, qui tendait – de manière certes plus limitée – à l’uniformisation de la consultation du public, au vu de la « grande diversité des textes » (Doc., Ch., 1977- 1978, n
o129/1).
28. Dans le sens où l’on traite du mal et des remèdes à y apporter (P. D
elnoy, « Le rôle du praticien du droit dans sa création – Constats et suggestions », in La pathologie législative, comment en sortir ?, Bruges, La Charte, 1998, p. 3).
29. Comp. C. n
aome, « La notion de sécurité juridique dans la jurisprudence de la Cour de justice et du tribunal de première instance des Communautés européennes », in La sécurité juridique, Éditions du Jeune Barreau de Liège, 1993, p. 71.
30. Coomp. P. P
oPelier, De wet juridisch bekeken, Bruges, La Charte, 2004, p. 33.
termes, nous souhaitons vérifier si le droit, se protégeant en quelque sorte contre lui-même
31, peut imposer un minimum de cohérence à chacune des autorités normatives
32et, spécialement, au législateur au vu de la situation élevée des normes qu’il adopte dans la hiérarchie des sources du droit
33. Il s’agit là de la question de l’existence d’une obligation juridique d’assurer la cohérence du droit
34.
A cet effet, nous vérifierons dans les lignes qui suivent si une telle obligation pourrait découler des règles de publication officielle des lois et arrêtés (section I), du principe de sécurité juridique (section II), du prin- cipe d’égalité et de non-discrimination (section III), du droit à un procès équitable (section IV), de l’article 3 de la Convention d’Aarhus (section V), de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes relative au droit communautaire dérivé (section VI) et des principes dits
« de bonne législation » (section VII).
31. Voy. M. D
elnoy, « Les obligations juridiques de cohérence du droit ou comment le droit se protège contre lui-même », in Liber Amicorum Paul Delnoy, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 923 et s. La question est bien celle-là : « face au désordre du droit, le principe de sécurité juridique apparaît comme la dernière branche à laquelle s’accrochent les juri- dictions suprêmes pour maintenir un semblant d’ordre et permettre au droit de remplir la mission qui est normalement la sienne » (O. Dutheillet de Lamothe, « Regards croisés sur la sécurité juridique », Séminaire franco-brésilien, Cour de cassation, 19 septembre 2005, cité par le Conseil d’État de France dans son rapport 2006, http ://lesrapports.
ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000245/0000.pdf, p. 230 ; voy. ég. les pp. 232 et s. de ce rapport, sous le titre « La complexité croissante des normes menace l’État de droit »).
32. À cet égard, l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 24 novembre 1992, de Geouffre de la Pradelle c. France, est très clair : quand la Cour évoque « l’extrême complexité du droit positif » français de la protection du patrimoine, elle vise expressé- ment une « combinaison de la législation relative à la protection des sites avec la juris- prudence concernant la catégorisation des actes administratifs » et prend par ailleurs en compte les actes administratifs qui ont été posés concrètement dans l’affaire, à savoir la « procédure effectivement suivie à l’égard de l’intéressé » : chacune des trois autorités normatives est donc concernée.
33. Cette question n’est pratiquement jamais abordée en doctrine. C’est P. P
o-
Pelier
qui nous semble l’avoir le plus utilement examinée, dans le cadre de diverses contributions auxquelles nous renverrons ci-après. Voy. spéc. P. P
oPelier, « Beginselen van behoorlijke wetgeving in de rechtspraak », T.P.R., 1995, pp. 1049 et s., étude dans laquelle l’auteur examine précisément quels principes ont été reconnus par la jurispru- dence comme étant juridiquement obligatoires pour le législateur.
34. Certains, en France, parlent de « droit au droit » (B. s
eiller, « La reconnaissance
d’un droit au droit », in L’accès au droit, publ. de l’université F. Rabelais, 2002, p. 41, cité
par E. C
artier, « Publicité, diffusion et accessibilité de la règle de droit dans le contexte
de la dématérialisation des données juridiques », Act. jur. D.A., 2005, p. 1099).
Section I. les règles de publication officielle des lois et arrêtés
Suivant l’article 190 de la Constitution, « aucune loi, aucun arrêté ou règlement d’administration générale, provinciale ou communale, n’est obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi »
35et, suivant l’article 22 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, « aucun décret ou arrêté d’exécution n’est obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la présente loi »
36. Y a-t-il dans cette condition de publication
37une quelconque exigence juridique de cohérence du droit ?
Certes, il paraît possible d’affirmer
38que, du fait de la multiplication incohérente des normes, cette condition ne remplit plus aujourd’hui le rôle qui lui était, à tout le moins théoriquement, initialement dévolu, à savoir
39celui de permettre au public de prendre connaissance des textes et de lui imposer la présomption juris tantum à laquelle correspond la maxime « nul n’est censé ignorer la loi »
40, bien connue, elle, du public
41.
35. C’est-à-dire l’article 4 de la loi du 31 mai 1961 relative à l’emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l’entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires.
36. Plus spéc. son article 55.
37. Étant entendu que des dispositions comparables sont d’application, mutatis mutandis, aux décisions administratives (voy. J. D
esmet, « De bekendmaking van de norm – Geselecteerde rechtspraak », in De verplichting tot bekendmaking van de norm, Bruges, La Charte, 2003, p. 196).
38. J. D
umortier, M. P
enninCkxet Y. t
immermans, « Qui est encore censé connaître la loi ? Une proposition pour un meilleur accès à la législation belge », J.T., 1993, pp. 253 et 255. Voy. ég. not. J. s
almon, Le Conseil d’État, t. I, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 462.
39. On sait que, sans son arrêt du 11 février 1919 (Pas., 1919, I, p. 9), la Cour de cassation a indiqué que « l’insertion d’une loi au Moniteur n’est pas destinée à la porter à la connaissance du public, mais uniquement à lui imprimer le caractère d’authenti- cité qui suffit pour que dès ce moment elle soit présumée connue de tous », mais cette jurisprudence est critiquée par la doctrine. Pour B
ouCkaert, cette jurisprudence s’accorde mal avec celle qui accepte l’erreur de droit et avec la philosophie de l’État de droit (B
ouC-
kaert