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CHRONOLOGIE DE LA ZONE D’ETUDE

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Academic year: 2021

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CHAPITRE VII

CHRONOLOGIE DE LA ZONE D’ETUDE

1. L’état des connaissances

A la fin des années '50, Rowe établit la chronologie archéologique qui est toujours utilisée aujourd'hui pour l'ensemble des périodes précolombiennes du Pérou et de la Bolivie (Buse 1962:181 ; Ravines 1970:21). Elle se base sur la «séquence-maîtresse» de la vallée d’Ica (Côte sud du Pérou), où la succession des styles de céramique a été déterminée avec une grande précision depuis l’apparition de la technique jusqu’aux premiers temps de la conquête espagnole. Les changements stylistiques majeurs ont été traduits en termes de périodes temporelles et les changements graduels (les phases) au sein d’un même style ont été traduits en termes d’époques au sein de la période temporelle en question lorsqu’il s’agit de styles autres que celui d’Ica. En clair, «si nous parlons d’un événement qui a eu lieu ailleurs qu’à Ica durant l’époque 6 d’une période, par exemple, nous voulons dire par là qu’il s’est déroulé durant la Phase 6 d’un style particulier d’Ica» (Menzel 1977:3-4 ; Ravines 1970 : 20-23).

Sans entrer dans les détails de cette chronologie, signalons simplement que les dates absolues attribuées aux différentes périodes et époques peuvent varier -parfois considérablement- d'une zone à l'autre. Les chiffres donnés ici sont donc purement indicatifs et doivent seulement servir de repères et non de références absolues. Voici cette chronologie :

I. Précéramique 4500 - 1800 a.C.

II. Période Initiale 1800 - 900 a.C.

III. Horizon ancien 900 - 200 a.C.

IV. Intermédiaire ancien 200 a.C. - 550 V. Horizon moyen 550 - 900 VI. Intermédiaire récent 900 -1476

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VII. Horizon récent 1476 - 1534

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Cette date marque la fin de l’Intermédiaire récent sur la côte, correspondant à la conquête inca de la vallée d’Ica selon

Menzel (1977). On considère en général que l’Horizon récent débute avec l’expansion inca dans les hautes-terres du

sud, vers 1440.

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Une période supplémentaire, précédant le Précéramique, a été ajoutée par la suite : le Lithique (12000 a.C. - 4500 a.C.).

1.1. Le Lithique (12000-4500a.C.)

Selon McNeish (et al.1975:14), les premiers hommes qui occupèrent la basse vallée du Lurín, vers 11000/10000a.C., se nourrissaient des produits des lomas et de coquillages : ils étaient chasseurs-pêcheurs-cueilleurs itinérants. On a retrouvé au Complexe Tortuga des outils de pierre de type paléolithique.

Durant les millénaires qui ont suivi, le même genre de mode de vie a perduré dans la vallée, ainsi que dans celle du Chillón à partir de la seconde moitié du 10e millénaire (id.:16

;Lanning,1967:39-47). La vallée du Rímac ne semble avoir abrité des hommes qu'à partir du 6e millénaire (McNeish et al.1975:25).

C'est peu après cette époque que commencent à se développer l'agriculture et l'élevage, ainsi que les échanges suivis de différents produits entre les diverses zones de la Côte centrale (id.:28;

Lanning 1967:50-6).

Vers 5000a.C., les premiers sédentaires s'installent dans les trois vallées (Buse 1962:55-7;

Bonavia 1965 ; Agurto Calvo 1984:34-5 et 46-53). Dans le Lurín, le site le plus fameux et le mieux connu est Tabláda de Lurín, en cours de fouilles actuellement.

Pour davantage de détails et de références sur cette période, je renvoie le lecteur à l’excellente synthèse de Bonavia (1991:105-10)

1.2. Le Précéramique (4500-1800a.C.)

Au Précéramique, la phase Encato (vers 3400a.C. dans la vallée du Lurín) marque la dernière période d'utilisation intensive des lomas comme source d'alimentation (Patterson &

Moseley 1968:115). L’exploitation des lomas est en effet contrebalancée par celles des ressources marines, avec une prédominance des coquillages, et celles de l’agriculture (Bueno Mendoza 1982:7). Outre Tabláda de Lurín, le site de Paloma est l’un des foyers de populations les plus importants. Durant la phase récente du site (3000-2200a.C.) un grand nombre de sépultures en position fléchie sont effectués à proximité du «Temple Rouge», un édifice en pierres rouges de plan quadrangulaire avec des dénivellations et un escalier central (ibid.).

La forme et la disposition des monticules du Précéramique au troisième millénaire

annoncent les canons de l’architecture monumentale ultérieure (Moseley 1985:44). De nombreux

auteurs se sont penchés, depuis les années ‘70 surtout, sur cette intéressante question (Feldman

1985 ; Patterson 1985 ; Shimada 1986, etc.). J’aurai l’occasion de revenir en détail sur ce point lors

de la discussion générale (chap.X).

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1.3. La Période Initiale (1800-900a.C.)

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La céramique apparaît dans les Andes centrales entre 1800 et 1300a.C. selon les endroits (Agurto Calvo 1984:59 ; Bonavia 1991:169 ; Burger 1995:58-9 ; Moseley 1985:47 ; Patterson 1985:64-5 ; Patterson & Moseley 1968:119-20 ; e.a.). Dans la région de la Côte centrale, les tessons les plus anciens ont été retrouvés à Ancón et remonteraient selon les auteurs à 1400-1200a.C.

(Patterson & Lanning 1964:115), 1500a.C. (Bonavia 1991:170) voire 1750a.C. (Patterson &

Moseley 1968 :119). Des tessons similaires ont été retrouvés à Tabláda de Lurín (Patterson &

Moseley 1968:119). Les formes caractéristiques sont des marmites sans col et de grands bols courbes aux lèvres plates et/ou épaisses ; la pâte et la surface sont brunâtres ; il n’y a pas de décoration (ibid.). Une seconde phase (entre 1700 et 1600a.C.) est associée à l’occupation du complexe monumental de Huaca la Florida, dans le bas-Rímac. La céramique est plus fine et d’autres formes apparaissent, comme les bouteilles, ainsi que les décors en incision et en appliqué (Burger 1995:58-9 ; Patterson 1985 ; Patterson et Moseley 1968:119). La céramique de la Côte centrale est appelée, faute de mieux, «Pré-Chavin» jusqu’en 1400a.C. (Phases IA, IB et II), partiellement contemporaine du «Style Chira» (1650-1300a.C.) ; lequel est suivi du Style Colmas (1300-1175a.C.). Il semble que la tradition céramique définie à Ancón puisse être appliquée aux autres vallées de la Côte centrale, car certaines phases bien connues trouvent des correspondants proches jusqu’à Chilca. Ainsi, les styles Curayacu A et B, qui couvrent les trois derniers siècles de la période Initiale, ont été identifiés dans quatre sites du Lurín (Patterson & Moseley 1968).

A la période Initiale, les sites côtiers sont abandonnés au profit des établissements à l'intérieur des vallées ; l'agriculture représente alors le mode de vie le plus répandu (Bonavia 1991:176 ; Lanning 1967:57 et passim ; Patterson & Moseley 1968:125). La zone du Lurín appartient à une tradition culturelle qui couvre toute la côte depuis Ancón jusqu’à San Bartolo (Patterson & Lanning 1964:115).

En ce qui regarde l’architecture monumentale, un modèle essentiel va faire son apparition sur la Côte centrale, modèle dont les prémices se situent à El Paraiso (bas-Chillón) vers 1620+/- 150 a.C. (Moseley 1985: 46). Il s’agit du complexe cérémoniel en U (Burger 1995:60-75 ; Williams Léon 1978-80; 1985).

Deux complexes en U du bas-Lurín ont été fouillés par Burger (1995 ; Burger et al. 1992).

Celui-ci mentionne 4 établissements dans le bas-Lurín : Cardal, Mina Perdida, Parka et Manchay Bajo (Burger et al. 1992:123 & fig.1). Une autre structure en U a été mise en évidence par Feltham (1983) dans le site de Anchucaya, en vallée moyenne. Pour Burger (et al. 1992:123, 131-2), il s’agit

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Lumbreras (1974:49-57) et l’ensemble de l’école péruvienne à sa suite désignent la période Initiale sous l’appelation

de Formatif inférieur.

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de «centres civico-cérémoniels». Le site de Cardal montre une occupation continue depuis 1150 a.C. jusqu’à 800a.C. (ibid.). J’aurai l’occasion de revenir sur les travaux de Williams-Léon et Burger dans la discussion générale (chap.X).

1.4. L’Horizon ancien (900- 200a.C.)

La céramique du début de l’Horizon ancien est assez mal connue dans le Lurín, et on la rattache le plus souvent à la tradition Chavin côtier d’Ancón (Bonavia 1991 ; Burger 1995:231 ; Patterson 1966:7 ; Shimada 1991:XVII ; Stothert 1980:287), bien que Lumbreras (1974) la désigne comme «Frijoloïd».

La transition entre l’Horizon ancien et l’Intermédiaire ancien dans la vallée du Lurín est encore assez floue et certains auteurs estiment d’ailleurs que la question n’est toujours pas résolue aujourd’hui (an.1982). Pour Paredes Botoni (1986:31), la présence Chavín s'arrête au deuxième siècle a.C. et le style Lima-Maranga ne commence que 100 ans plus tard, avec les premières constructions dont on a jusqu'à présent retrouvé des vestiges à Pachacamac. Il y a donc un "trou"

d'environ un siècle.

Stothert (1980) s’est penchée sur la question et apporte des éléments de réponse grâce à la fouille du site de Villa Salvador, un établissement situé à 4 km au nord de Pachacamac, dans le désert de Tabláda de Lurín qui sépare la vallée du Lurín de celle du Rímac. Elle y a découvert deux styles de céramique distincts, le Villa Salvador Phase I (Horizon ancien ) et le Villa Salvador Phase II (Intermédiaire ancien).

Le Villa Salvador Phase I montre des relations avec des styles connus de l’Horizon ancien, notamment ceux de la côte sud comme le Topara (phases Jahuay) et l’Ocucaje (phases finales) (Stothert 1980:281-2 , figs 7-18). Le site de Tabláda de Lurín, proche de celui de Villa Salvador, comprend du matériel semblable à celui de la phase I; Stothert pense que l’établissement est contemporain mais sans doute aussi plus ancien que Villa Salvador (id.: 286).

Tabláda de Lurín est un site important à l’occupation très longue (depuis le Lithique). Il a fait l’objet de fouilles régulières depuis les années '50 par le Séminaire d’Archéologie Riva Agüero de la Pontificia Universidad Católica de Lima. Les résultats des recherches actuellement menées par les archéologues de la PUC dans l’immense nécropole qui occupe une bonne partie du site devraient permettre d'éclairer de façon substantielle la chronologie locale.

Ühle (1903:Pl.5, fig.12) a retrouvé à Pachacamac un magnifique spécimen de céramique

zoomorphe de type Villa Salvador Phase I (comp.Stothert 1980:figs 15,16). Faute d’association, il

le considéra comme appartenant au style Epigonal (fin de l’Horizon moyen). Strong & Corbett

(1943:67, 82-5, 88) ont également récupéré 18 tessons Blanc-sur-Rouge dans les strates inférieures

de la tranchée ouverte au pied du Temple du Soleil à Pachacamac. Bueno Mendoza a retrouvé deux

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vases peints dans le style Villa Salvador I dans les strates inférieures du Templete de adobitos, à Pachacamac, dont l’occupation remonte à l’époque Lima (Stothert 1980:292).

Rassemblant ces quelques indices, Stothert (ibid.) estime que Pachacamac était déjà un important centre d’élite local à la fin de l’Horizon ancien-début Intermédiaire ancien.

Les centres d'occupation de la vallée du Lurín à l'Horizon ancien ont été étudiés par Scheele (1970), qui s’est particulièrement intéressé aux complexes en U, lesquels continuent à fonctionner durant cette période mais sont abandonnés avant 200 a.C. (Scheele 1970:236-9). Feltham (1983:19) juge son travail insuffisant et estime que l’occupation Horizon ancien de la vallée est plus importante que ce qu’indique Scheele. Elle mentionne ainsi 9 sites dans la vallée moyenne (Feltham 1983, General Map 4). Stothert (1980:292) souligne que le seul site comprenant des constructions cérémonielles ou d’élite de la fin de l’Horizon ancien et du début de l’Intermédiaire ancien est Villa Salvador. L’endroit a dans un premier temps été utilisé à des fins rituelles ou comme habitation d’élite, ensuite comme dépotoir et enfin comme cimetière (ibid.).

Elle estime également qu’il n’y a toujours pas de séquence continue entre la fin de l’influence Chavín sur la céramique et le début du style Lima (id.: 295). Les raisons sont principalement le haut pourcentage de céramique non-décorée, difficile à classer, la dispersion des établissements et l’absence de constructions monumentales (ibid.). Les données disponibles suggèrent que des groupes assez nombreux vivaient dans les vallées basses, que chaque vallée abritait un groupe indépendant qui était également différent de ses voisins de la vallée haute (ibid.)

1.5. L’Intermédiaire ancien (200a.C.-550)

Les divers styles de céramique qui se rencontrent sur la Côte Centrale à partir de l’Intermédiaire ancien ont fait l’objet de nombreuses études depuis le début du siècle.

L’information est donc extrêmement abondante mais malheureusement difficile à traiter car quasi tous les auteurs emploient une terminologie différente. Afin de présenter la situation de manière claire, j’ai repris les diverses données dans un tableau synthétique qui permet de suivre l’exposé de façon plus aisée (voir tableau 1). Le début de l’Intermédiaire ancien est caractérisé par un style de céramique, le Blanc-sur-Rouge, dont on trouve des variantes dans l’ensemble des Andes centrales (Bennett & Bird 1949:108-9, 139). Sur la Côte centrale, il est connu sous le nom de Baños de Boza à Chancay et Miramar à partir d’Ancón vers le sud (Bonavia 1991:281 ; Lumbreras 1974:85-6 ; Patterson 1966:5 ; Stothert 1980:290). Si le Miramar comprend des éléments diagnostiques de l’horizon stylistique Blanc-sur-Rouge, on y décèle cependant un ensemble distinct et plus accentué d’éléments ancestraux au complexe régional subséquent, le Playa Grande (Lumbreras 1974:85-6).

Le Miramar a été subdivisé en quatre phases par Patterson (1966) qui l’assigne à la

première moitié de l’Intermédiaire ancien. Il s’est basé sur des données stratigraphiques et des

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sériations pour ordonner les quatres phases en question (Patterson 1966:7). Il pense néanmoins que des subdivisions supplémentaires pourraient être opérées conformément à l’avancement des recherches et c’est pourquoi il a désigné ses quatres phases par des noms plutôt que par des numéros ou des lettres (id. 5). La phase la plus ancienne est appellée Base Aéréa ; viennent ensuite successivement les Phases Polvorín, Urbanización et Trois-Couleurs (id. : 5-33). Le style Miramar couvre la période comprise entre 50a.C. et 250 (Mc Neish et al. 1975:48 ; Shimada 1991:XXII).

Dans le Lurín, le Villa Salvador Phase II montre des traits similaires à ceux des styles du début de l’Intermédiaire ancien comme le Miramar et le Baños de Boza (Stothert 1980: 282-6, figs 19-24). On le trouve en surface et associé à des sépultures intrusives en position fléchie.

Paredes Botoni (1984 ; 1986) a retrouvé des sépultures semblables dans le cimetière de El Panel, à 1,5km de Pachacamac. Le matériel culturel associé est le Blanc-sur-Rouge et le Rouge- sur-Blanc (Négatif). Les défunts seraient des guerriers brachycéphales. «Les structures funéraires abritent également des sépultures intrusives de personnes de la même formation sociale mais séparés par des espaces générationnels qui enregistrent l’abandon des influences stylistiques, recréant de nouvelles formes jusqu’à fusionner les traits stylistiques des phases anciennes de l’Interlocking et du Maranga» (Paredes 1984:9). Paredes estime que l’occupation globale d’El Panel se situe entre 300a.C. et 200 et comble donc le vide entre les périodes post-Chavín et le style Lima (ibid.).

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Bueno Mendoza (1982:23-4) signale quant à lui des tessons -peu nombreux- rencontrés à Pachacamac et qui sont d'un type particulier : rouge sur engobe blanc avec un motif serpentiforme qui se termine en tête bicéphale triangulaire (comp.Delgado 1992: 136, fig. s. n. ; Stothert 1980:fig.14). Ce type de céramique apparaît entre 200a.C. et 200 (Bueno Mendoza 1982:22; Burger 1995:230 ; Franco 1988:2) . Bueno Mendoza rapproche ces tessons Rouge-sur-Blanc de ceux retrouvés à El Panel et regroupe les deux types de céramique (Rouge-sur-Blanc et Inverse) dans une même période, aux alentours du début de notre ère, précédant directement l’occupation Lima du site (Bueno Mendoza 1982:23-4).

Delgado (1992:135) a retrouvé durant des fouilles de sauvetages menées à Villa Salvador en 1988 quelque 230 sépultures fléchies du type de celles exhumées par Stothert quelques années auparavant au même endroit et par Paredes à El Panel . «(...) la totalité du matériel obtenu appartient à l’étape connue sous le nom de «Blanc-sur-Rouge», caractérisée non seulement par la forme et la technologie céramique mais aussi par la décoration, où on remarque la présence de motifs tant Blanc-sur-Rouge que Rouge-sur-Blanc (...)» (id. : 136). Delgado souligne la grande similitude entre ce matériel et celui issu des fouilles du cimetière El Panel par Paredes Botoni (1984

; 1986).

Le style Villa Salvador II ne correspond à aucune des phases du Miramar définies par Patterson, bien que certains traits communs entre les deux styles apparaissent (Stothert 1980:288).

Pour Stothert, «les styles Miramar et Villa Salvador semblent représenter des manifestations contemporaines de deux groupes ethniques qui partageaient beaucoup d’idées céramique mais avaient des traditions céramiques différentes (ibid.)». Cette interprétation est déforcée par le fait qu’elle repose sur la comparaison entre de la poterie funéraire (de Villa Salvador) et des types domestiques (les tessons Miramar).

En effet, si l’on compare la position chronologique des deux styles, on voit qu’ils sont partiellement contemporains entre 50a.C. et 200. Qu’est-ce qui différencie donc les deux traditions

? La solution réside à mon sens dans une étude comparative du Villa Salvador/El Panel et du Miramar, ainsi que dans un élargissement du corpus de données de fouilles, ce en quoi les fouilles de Tabláda de Lurín sont porteuses de grands espoirs. Provisoirement et sous réserve de nouvelles informations donc, je crois que l’on peut considérer le Villa Salvador II comme une variante du Miramar spécifique à la basse-vallée du Lurín.

Voyons à présent la céramique de la seconde moitié de l’Intermédiaire ancien.

Plusieurs tessons «décorés de motifs textiles typiques» ont été rencontrés par Ühle en 1896

dans le cimetière entourant le Temple de Pachacamac (Ühle 1903:28-29, figs 26-28). Au vu du

contexte de ces découvertes, Ühle les range dans les styles «post-Tiahuanaco», c’est-à-dire

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postérieurs à la première moitié de l’Horizon moyen. Suite aux fouilles qu’il mène dans la vallée de Chancay et dans le site de Nievería (vallée du Rímac) quelques années plus tard, il révise son jugement et estime que ce style «Interlocking» (à Entrelacs) est antérieur à la diffusion du style de Tiahuanaco (Ühle 1926:296-9). En 1910, il révèle une découverte faite par lui sous la terrasse la plus basse de la face est du Temple du Soleil à Pachacamac. Il considère cette trouvaille, un fragment caractéristique décoré de motifs à Entrelacs, comme étant, à sa connaissance, un représentant de la plus ancienne culture de Pachacamac, c’est-à-dire précédant l’époque Tiahuanaco (Ühle 1910:356 & fig.5; Strong & Corbett 1943:39). Il désignera alors ce style sous le nom de Proto-Lima : «Proto» dénote «l’influence pré-Tiahuanaco» et «Lima» reflète son impression que ce style est autochtone et a joui d’une grande popularité dans la région de Lima (Shimada 1991:XVIII ; Ühle 1910).

Kroeber (1926) conservera cependant la dénomination «Interlocking», tout du moins pour le matériel à Entrelacs de la zone de Chancay, tandis que le matériel récupéré par Ühle à Nievería sera désigné comme «Proto-Lima» (Gayton 1927). Nous verrons plus bas que la céramique de Nievería est en réalité plus récente et correspond au style local (liménien) de l’Horizon moyen 1B (Patterson 1966:34). Harcourt (1922), qui a fouillé le cimetière de Nievería et le site de Cajamarquilla, désigne cette céramique sous le nom de «Cajamarquilla».

La séquence céramique proposée par Strong & Corbett sur base des fouilles menées en 1941 au pied du Temple du Soleil à Pachacamac comprend 9 styles principaux répartis en 5 (ou 6 ?) grandes périodes (Strong & Corbett 1943). Je ne présenterai dans ce paragraphe que les styles de l’Intermédiaire ancien.

Le Lima Ancien constitue le 6e style défini par Strong & Corbett (1943:87). Il s'agit d'un style composite souvent mélangé aux couches supérieures ou inférieures et qui tient à la fois, selon les auteurs, du Tiahuanaco Côtier, du Nazca, du Chimu Ancien (Mochica) et de l'Interlocking. On trouve le Lima Ancien un peu partout sur la Côte Centrale (ibid.). Il semble contemporain des styles dont il partage les caractéristiques. Il est donc également contemporain du 7e style de leur séquence, le Pachacamac Interlocking dont Ühle avait trouvé des fragments en 1896 à proximité du Temple de Pachacamac et un autre sous une terrasse du Temple du Soleil. Le Pachacamac Interlocking constitue la transition entre le Lima Ancien et le style Blanc-sur-Rouge à Pachacamac.

On peut le considérer comme antérieur à toute influence Tiahuanaco sur la côte (Strong & Corbett 1943:87).

On trouve, éparpillé dans les couches de Pachacamac Interlocking, des tessons de style

Pachacamac Négatif, le 8e style repéré sur le site (ibid.). On a cependant découvert à Chancay, plus

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au nord, des fragments similaires mêlés cette fois à du Style Blanc-sur-Rouge (Willey 1943:126). Il est vraisemblable que c'est de ce Style Blanc-sur-Rouge que dérive le Pachacamac Négatif.

Car en effet, le Blanc-sur-Rouge constitue le 9e style dans la stratigraphie du dépotoir et se situe toujours au-dessous du Pachacamac Interlocking. Il est donc plus ancien ; par conséquent, le Pachacamac Négatif est peut-être contemporain de ce Style Blanc sur Rouge mais il est en tous cas plus vieux que le Style Interlocking.

Dans les couches les plus basses du Pachacamac Interlocking sont également disséminés des tessons Incisés ("Punctate") et d'autres du Style Blanc-sur-Rouge (ce style est inexplicablement absent du tableau récapitulatif de Strong & Corbett).

Pour résumer, on pourrait dire, par comparaison avec les fouilles de Willey (1943) à Chancay, que le Blanc-sur-Rouge est certainement plus ancien que l'Interlocking pur. Ces deux styles ont été contemporains, le premier disparaissant progressivement. Le Pachacamac Interlocking va donc rester seul en course avant de s'abâtardir sous la poussée d'influences diverses pour devenir le Lima Ancien. C'est dans ce style Lima Ancien qu'apparaissent les premiers traits Huari.

Il ressort de l’analyse de Strong & Corbett que, d’une part, la transition entre le style Blanc- sur-Rouge (le Miramar) et le style subséquent se fait de façon progressive et non pas abrupte ; et que d’autre part les styles pré-Huari connaissent eux aussi une certaine évolution (de l’Interlocking au Lima ancien). Autrement dit, il est sans doute possible de distinguer des phases au sein de la céramique locale de la deuxième partie de l’Intermédiaire ancien, même si la méthode employée par Strong & Corbett n’a pas permis d’aboutir à des résultats pleinement satisfaisants sur ce point.

En effet, ils ont utilisé la technique de variation typologique plutôt que l’approche prônée par la plupart des archéologues depuis Ühle, privilégiant les association et les ensembles clos (Shimada 1991:XXI). Ceci explique pourquoi, malgré tant d’efforts, ils en ont été réduits à appliquer à Pachacamac la classification de Kroeber (1926) à Chancay, remplaçant simplement le terme de Proto-Lima par celui de Lima ancien.

Pour être tout à fait juste, il faut préciser que sur une hauteur totale de 10m, la stratigraphie

de Strong & Corbett comprend 8m de dépôt Intermédiaire ancien. Cela signifie concrètement une

occupation très importante du site durant cette période, ce qu’ils sont les premiers à mettre en

évidence à l’époque. En effet, Strong et Corbett n'ont pas trouvé seulement des tessons à

Pachacamac. Ils ont aussi mis au jour une nécropole contenant plus d'une centaine de squelettes,

associés à de la céramique "à Entrelacs" (Newman 1947 ; Strong 1942:183 ; Strong & Corbett

1943:41). Cette découverte a été faite dans les couches inférieures du puits de sondage n¡1. On a

alors agrandi la fosse jusqu'à butter sur un mur de pierres brutes, limitant la nécropole à l'est.

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D'autres tombes étaient disséminées dans la stratigraphie : sept dans la Coupe 1 (2 inca et 5 inidentifiables, faute de matériel associé) et six dans la Coupe 2 (à l'est surtout) (Strong & Corbett 1943:44). Les auteurs précisent que "ces quelques tombes éparpillées ne semblent pas avoir eu d'effet bouleversant sur la céramique ou d'autres stratifications de la coupe 2» (ibid.).

Enfin, l’existence d’un horizon stylistique Blanc-sur-Rouge sur la Côte centrale au début de l’Intermédiaire ancien, largement admise aujourd’hui, a été démontrée entre autres grâce aux travaux de Strong & Corbett.

Dans le "Classement des Périodes Archéologiques du Pérou et de la Bolivie" qu’il propose en 1946, Bennett ajoute un style Chavin Côtier, précédant le Blanc-sur-Rouge (Bennett 1946b:80).

On sait par Tello (1940:1) qu'à proximité de l'édifice des Mamaconas à Pachacamac, on avait retrouvé "des restes d'édifices en pierres taillées (...) en association avec de la céramique de style Chavín". Malheureusement, cette céramique n'a jamais, à ma connaissance, ni été publiée ni fait l'objet d'études. La céramique de l’Horizon ancien dans la zone du Lurín reste à l’heure actuelle fort méconnue.

En ce qui concerne le Pachacamac Négatif, Bennett (1946b:75) précise dans ses commentaires qu'il s'agit d'un style et non d'une période. Le Pachacamac Négatif ayant été retrouvé mélangé à des couches de Pachacamac Interlocking, il le rattache à ce dernier (ibid.). Dans son classement, cependant, il l'associe -sans en donner la raison- au Lima Ancien. Le Style Négatif apparaît donc inexplicablement plus jeune que le Pachacamac Interlocking. En effet ce Pachacamac Interlocking précède le Lima Ancien, conformément à la stratigraphie de Strong et Corbett. Pour Bennett, ce Lima Ancien ouvre les périodes "Moyennes" de l'archéologie de la Côte centrale. En résumé, Benett n’apporte aucun élément nouveau et ne fait qu’augmenter l’embrouillamini terminologique et chronologique.

Quelques années plus tard, en 1949, il confirme la succession Interlocking-Lima Ancien pour l’ensemble de la Côte centrale, tout en précisant que «la culture Lima Ancien comporte peu d’éléments distinctifs au niveau de la céramique mais représente plutôt une combinaison de traits de la Côte Nord et de la Côte Sud» (Bennett & Bird 1949:168-70).

La même année, Jijon y Caamano publie les résultats des fouilles étendues qu’il a conduites

en 1925 dans le grand site Intermédiaire ancien de Maranga (bas-Rímac). Si le corpus rassemblé

aide à une meilleure définition de la céramique locale, les subdivisions de Jijon Y Caamano ne font

qu’ajouter à la confusion terminologique déjà grande. Il subdivise en effet le style Proto-Lima de

Ühle en trois étapes, en corrélation avec les phases de construction de l’un des principaux édifices

de Maranga, la Huaca III (Jijon y Caamano 1949). Il distingue ainsi deux phases Maranga I et II

(les plus anciennes), suivies d’une phase Interlocking (cf. l’Interlocking de Kroeber à Chancay et

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de Strong & Corbett à Pachacamac) et deux phases Cajamarquilla A et B (Jijon y Caamano 1949;

Patterson 1966:35 ; Shimada 1991: XXI-XXII). Les phases Cajamarquilla de Jijon y Caamano couvrent la fin de l’Intermédiaire ancien et le début de l’Horizon moyen et ne doivent donc pas être confondues avec le Cajamarquilla d’Harcourt (1922) mais plutôt assimilées chronologiquement au Proto-Lima de Gayton (1927).

Au cours des années '50, Stumer mène plusieurs campagnes de fouilles dans de nombreux sites du Rímac et du Chillón (Stumer 1953, 1954a, 1954b, 1954c, 1956, 1957, 1958, 1961), ainsi que dans le site de Playa Grande, à Ancón. Stumer, et d’autres archéologues péruviens (Sotomayor 1960) et étrangers (Tabio 1957, 1965 ; Lanning 1963) à sa suite, commencent alors à désigner la céramique de l’Intermédiaire ancien sous la dénomination de Playa Grande, réservant le terme Maranga au style qui se développe à la fin de cette période et au début de l’Horizon moyen. En d’autres termes, le Playa Grande de Stumer correspondrait à l’Interlocking (de Bennett, Strong et Corbett et Kroeber), tandis que le Maranga se confondrait avec le Cajamarquilla (de Jijon y Caamano), le Lima Ancien (de Bennett et Strong & Corbett), et le Proto-Lima (de Gayton) (Patterson 1966:35).

Comme pour ajouter encore à l’imbroglio général, Kroeber propose en 1954 une révision du style Interlocking de la région de Lima. Il reprend d'abord le nom "Proto-Lima" et explique que "le Proto-Lima, c'est de l’Interlocking qui, dans sa phase finale, rencontre le Tiahuanaco (Huari)

"Côtier" pendant juste assez de temps que pour commencer à être influencé par celui-ci" (Kroeber 1954:123). On peut donc le séparer en deux phases successives : Interlocking et Cajamarquilla (ibid.). Dans la première phase du Proto-Lima, on discerne une influence méridionale Nazca dont Ühle aurait, selon Kroeber, exagéré l'importance (id.:122).

Le Proto-Lima succède au style Blanc-sur-Rouge (Miramar), qui n'a pas eu d'influence sur lui : d'après Kroeber, "ce style (Blanc-sur-Rouge) était sans doute trop faiblement caractérisé que pour modifier les autres de façon notable" (id.:121).

La simple division du Proto-Lima en deux phases, tel que le présente Kroeber, ne constitue pas en soi une réelle avancée. De plus, on en est arrivé à un point tel que plus personne ne s’y retrouve vraiment. Ainsi Patterson (1966:35) se plaint-il du fait que «cette poterie a beaucoup trop de noms, et beaucoup de ces noms se réfèrent aux distinctions typologiques plutôt qu’aux distinctions chronologiques qui existent dans le style. L’utilisation de tous ces noms crée actuellement des problèmes».

Patterson se propose donc de réemployer le terme Lima pour l’ensemble de la céramique de

la période qui nous intéresse, d’une part parce qu’il s’agit du terme le plus ancien qui ait servi à la

désigner dans la littérature archéologique et d’autre part parce il recouvre approximativement la

(13)

zone de distribution géographique connue de ce style (Patterson 1966:36). Sur base d’un corpus provenant de 24 sites différents de Côte Centrale, il met au point une chronologie divisée en neuf phases Lima 1 à 9 (id.:38-9). Cette division se fait sur base de critères stylistiques. Les neuf phases Lima, affirme l'auteur, "ont été ordonnées grâce aux preuves stratigraphiques et aux sériations"

(ibid.). La méthode utilisée est décrite en détail (id. : 1-2). Le Lima 1 se situe à l’Intermédiaire ancien 5 (ca 250) et le Lima 9 à l’Horizon moyen 1A (ca 550-600) (Shimada 1991:XXII-III).

"Ce style (Lima) suit immédiatement le Miramar dans la région d'Ancón et dans la basse vallée du Chillón, et est suivi par le style Nievería de l'Horizon moyen 1B" (Patterson 1966:36). Ce même Lima est contemporain des Moche et Nazca Récents (Ravines 1966:259). La dernière phase du Lima se situe à l'Horizon moyen 1A, directement avant les influences Huari sur la Côte. Le raccord avec l’Horizon moyen est ainsi établi.

Le travail de Patterson est certes remarquable ; cependant, on ne peut s'empêcher de lui adresser ne fut-ce qu'une critique: des trois phases du début, on est maintenant passé à treize phases (4 Miramar + 9 Lima), ce qui constitue peut-être une inutile complication. Le lecteur comprendra plus facilement mes réticences à ce sujet quand il saura, par exemple, que Patterson n'a utilisé que 84 tessons pour définir le Lima 3, 91 pour la phase 7 et 89 pour la phase 8 (Patterson 1966:51,70 &

74). Certains de ces tessons ne proviennent que d'un seul site ce qui, vu l'ampleur de la zone concernée (toute la Côte centrale), paraît quelque peu léger. Lavallée (1966:236) souligne également le fait et explique qu’à partir du matériel Lima de Pachacamac qu’elle a eu l’occasion d’étudier, certains fragments attribuables à la phase 5 de Patterson appartenaient aux même pièces que d’autres tessons, identifiés comme Lima 8 ou 9 ! On comprend dès lors les doutes qu’elle émet sur la valeur chronologique de la séquence de Patterson et le fait qu’elle réclame en conséquence des preuves stratigraphiques complémentaires, de même que l’étude de collections plus nombreuses (ibid.).

Ceci dit, la séquence de Patterson a été considérée par l’auteur lui-même et d’autres (Earle 1972 ; Feltham 1983) comme suffisamment fiable pour se lancer dans des interprétations culturelles détaillées.

Ainsi Patterson (1966:114-5 & 130-1) reconnaît dans le matériel récolté par Strong et Corbett au pied du Temple du Soleil, et qu'il a eu l'occasion d'examiner en 1965, plusieurs occupations successives associées à diverses phases de Style Lima :

- Lima 3 & 4 : dans la zone de contact entre le sable et le fond du dépotoir (bloc 216). Pour lui, cela correspond à la toute première occupation de cet endroit du site.

- Lima 7 : dans la partie du dépotoir située sous la structure (blocs 130-1,141-9,158-63, 172-

7, 182-91, 195-221). C'est le début de l'occupation intensive de l'endroit.

(14)

- Lima 8 & 9 : construction d'une structure en briques d'adobe et murs de pierres (blocs 57, 66-7, 93,103-4, 112-3,122-6, 135-9, 151-7,165-71).

Patterson situe le début de la phase de construction au Lima 8-9, c'est-à-dire au tout début de l'Horizon moyen 1B. Il faut souligner que Patterson se garde toujours de généraliser au site entier et précise bien que, n'ayant comme objets d'analyse que les pièces provenant du pied du Temple du Soleil, c'est à cet endroit que se limitent ses conclusions pour tout ce qui n'est pas céramique. Le matériel Lima issu des fouilles du Templete (voir ci-dessous), étudié par Lavallée (1966), correspond selon cet auteur au début de l’Horizon moyen et corroborent ainsi l’hypothèse de Patterson quant aux commencements de la phase de construction monumentale (Lavallée 1966:236).

On ne peut que regretter que Jiménez Borja et Bueno Mendoza (1970:13-4), parlant de la céramique Lima retrouvée à Pachacamac, l'appellent Maranga. Pourtant, les auteurs font explicitement référence à l'ouvrage de Patterson et se servent même de ses subdivisions en phases pour définir les tessons qu'ils rencontrent dans les strates naturelles du Templete, une structure Intermédiaire ancien découverte lors de la construction du Musée du Site en 1964-65 (Jiménez Borja et al.1970:13). Simplement, ils changent la dénomination principale du style de "Lima" en

"Maranga" (sans en donner la raison). Et ils annoncent: "nous avons utilisé la céramique pour essayer de dater l'édifice (le Templete). Ainsi, nous considérons que les Maranga occupèrent pour la première fois le site vers 400 et se sont maintenus jusqu'à environ 800, moment où ils commencèrent à subir des influences étrangères au site et à la Côte centrale en général. L'époque Huari commençait sur la Côte centrale..." (id.:14).

3

Outre le manque de précision dans la datation absolue des diverses phases du Style Lima (un problème récurrent pour la plupart des styles à Pachacamac), l’exemple de Jiménez Borja et Bueno Mendoza est symptomatique d’une attitude assez généralisée, qui se traduit par le fait que la sériation de Patterson n’est utilisée que sporadiquement dans la littérature archéologique (Shimada 1991:XXIII). On lui préfère l’ancienne distinction Playa Grande-Maranga. Ainsi Lumbreras (1974:86, 119-21, suivi par Bonavia 1991:281) considère le Miramar comme l’ancêtre direct du Playa Grande et présente le Playa Grande et le Maranga comme deux phases successives de la céramique de la culture Lima.

Earle (1972) est pourtant parvenu à des résultats extrêmement intéressants et relativement précis en appliquant la séquence de Patterson à l’étude du développement des établissements du

3

Tout cela au mépris des résultats publiés par Lavallée (1966) sur base du même matériel, que faute de mieux elle

(15)

moyen-Lurín durant l’Intermédiaire ancien. Au départ, les établissements sont plus ou moins uniformes et aucun type de hiérarchie ne semble exister entre eux ni en leur sein. Il s’agit de villages relativement petits dont la subsistance est principalement basée sur l’agriculture. Au cours de l’Intermédiaire ancien, on observe un développement des systèmes d’irrigation dans la vallée basse, qui coïncide avec une relocalisation prononcée des populations dans cette zone et l’apparition d’établissements plus concentrés avec des structures d’habitats différenciées. Selon Earle (1972:475-6), cela traduirait une stratification sociale progressive et la dépendance de plus en plus grande vis-à-vis d’un «état Lima» dont le centre se situerait dans la vallée du Rímac.

Patterson (et al. 1982) pense qu’il existait deux groupes sociaux distincts dans la vallée : - l’un dans la partie haute qui envoyait des colons dans la zone agricole située entre Sisicaya et Cieneguilla (vallée moyenne), et des pasteurs de lamas sur la côte à l’époque des lomas ;

- l’autre dans la partie inférieure de la vallée, qui envoyait également des gens dans la partie moyenne. La construction des grands édifices en adobitos de Pachacamac remonterait à la fin de l’Intermédiaire ancien, peu avant l’arrivée de l’influence Huari (ibid). C’est par le biais de ce centre cérémoniel que s’exerçait l’autorité de l’état Lima du Rímac sur la vallée basse du Lurín, le contrôle économique n’étant obtenu que plus tardivement (Earle 1972:475; Patterson et al.

1982:74).

On ne saurait cependant accorder trop de crédit à des interprétations socio-politiques se

rapportant à des systèmes d’organisation qui sont peut-être extrêmement éloignés de ce que nous

connaissons. C’est ce que Bonavia (1991:284) rappelle avec raison lorsqu’il écrit : «En réalité,

l’Intermédiaire ancien sur la Côte centrale est une époque complexe, avec des changements

continus qui se reflètent dans l’architecture et dont les mécanismes sociaux nous sont inconnus ; il

est néanmoins évident qu’elle constitua une zone jouissant d’un prestige considérable, surtout à

l’époque immédiatement antérieure à l’arrivée des Huari ; un prestige davantage religieux que

séculier, centralisé dans les grandes pyramides en gradins (...). L’arrivée des cultures des hautes-

terres associées au phénomène Huari va bouleverser les coutumes de ces sociétés».

(16)

1.6. L’Horizon moyen (550-900)

L’Horizon moyen est divisé en quatre époques (de 1 à 4) dont les deux premières sont subdivisées en deux phases (A &B). Si l’on se réfère, au niveau des datations absolues, à la séquence maîtresse de la vallée d’Ica (Menzel 1977:88-9), on peut résumer cela de la manière suivante :

H.m.1A : 550-600 H.m.1B : 600-650 H.m.2A : 650-700 H.m.2B : 700-800 H.m.3 : 800-850 H.m.4 : 850-900

Une fois de plus ces dates ne doivent pas être regardées comme des limites strictes mais plutôt comme des points de repère susceptibles de variations plus ou moins importantes selon les régions. La classification de Menzel fait autorité depuis plus de trente ans et a d’ailleurs été confirmée par les fouilles de Isbell (Bonavia 1991:338). Quelques modifications ont néanmoins été proposées par Knobloch (1991) qui avance que l’Epoque 1A est plus ancienne que ne le prétend Menzel et que l’Epoque 1B couvre en réalité un siècle et comprend 3 phases (ancienne, moyenne et récente).

1.6.1. Horizon moyen 1A

L'Horizon moyen débute, selon Isbell et McEwan (1991:4) par une phase de crise. Sous l'influence de Tiahuanaco, une nouvelle religion fait son apparition dans la région de Huari- Ayacucho (Lumbreras 1974: 152 ; Menzel 1964:66-7 ; 1968 : 20 ; 1970:528). Cela se traduit notamment par la naissance de grands centres urbains (peut-être dès la fin de l'Intermédiaire ancien), et d'une céramique cérémonielle où se marquent à la fois l’influence de Tiahuanaco et celle des phases finales du style Nasca (Lumbreras 1974:152 ; Menzel 1964:66-7 ; 1968 : 20; 1970:527- 8). D'aucuns voient dans la conjonction de ces phénomènes davantage que la diffusion d'une idéologie religieuse : les symptômes de l'apparition et de l'expansion d'un état impérial (cf. Isbell et McEwan 1991:4-9).

Dans la vallée du Lurín comme sur l’ensemble de la Côte centrale, cette époque connaît la

prédominance du Style Lima 9, contemporain du Moche V et du Nazca 8 (Patterson 1966:77-80,

102-3 & Table 3).

(17)

1.6.2. Horizon moyen 1B

Depuis le tout début de l’archéologie péruvienne -les travaux de Ühle-, l’influence Huari sur la Côte centrale et à Pachacamac a suscité de nombreuses questions et des interprétations fort différentes (Bennett 1946b ; Kroeber 1927, 1949 ; Strong & Corbett 1943 ; Stumer 1956 ; Ühle 1903). Menzel (1964, 1968, 1970, 1977) va enfin apporter des réponses satisfaisantes à ces interrogations.

Soyons clairs : toute la période Tiahuanaco-Huari (l'Horizon moyen) n'est pas couverte.

Menzel fournit cependant une chronologie détaillée pour la céramique de la première moitié de cette période, et de bonnes indications pour la seconde.

A l'Horizon moyen 1B, la nouvelle religion (?) apparue à la période précédente s'établit fermement à Ayacucho et Huari, qui deviennent les centres d'un grand mouvement d'expansion vers la Côte : c'est l'époque «Impériale» Huari (Menzel 1964:67). Les effets de cette expansion ont été principalement ressentis sur la côte entre la vallée de Nazca (côte sud) et Chancay (côte centrale), voire Huarmey (extrême-sud de la côte nord). Le siège de l’autorité Huari sur la Côte centrale à cette époque est Cajamarquilla, dans le bas-Rímac (Lumbreras 1974:165-6). La nature du contrôle Huari sur les centres provinciaux (comme Pachacamac) constitue un sujet de controverse qui paraît loin d’être épuisé (cf. Bonavia 1991:350-9 ; Isbell & Mc Ewan 1991). Il semble néanmoins clair que l’influence Huari commence à se faire sentir sur la côte nord par l’intermédiaire de Pachacamac (Bonavia 1991:411). Trois styles céramiques datent de cette période : le Robles Moqo Gigantesque, le Robles Moqo Ordinaire et le Chakipampa B, qui sera le plus diffusé, y compris sur la Côte centrale (Menzel 1964:67 ; 1968:21; 1970:529-30).

Le style décoré de la Côte centrale à l'époque 1B est le Nievería (autrefois et ailleurs appelé Proto-Lima, Maranga et Cajamarquilla) (Menzel 1964:31; 1968:94). Le Nievería se distingue par de nombreuses innovations surprenantes, tant locales qu’étrangères, qui dénotent un style nouveau malgré le grand nombre de caractéristiques traditionnelles des phases précédentes de la Côte centrale (Menzel 1968:97). Bueno Mendoza (1982:26) remarque d'ailleurs que dans le cimetière Niéveria, site éponyme, il y a du matériel Lima de type transitionnel associé à des formes typiquement Huari dans les sépultures.

J’avais souligné, dans le chapitré consacré à l’historique des fouilles, le fait que Ühle

n’avait pas publié les associations funéraires des tombes qu’il a rencontrées à Pachacamac. Cela a

évidemment handicapé les études chronologiques ultérieures. En 1967, Patterson a tenté de

reconstituer ces associations funéraires en corrélant les numéros d’inventaire des pièces du Musée

de l’Université de Pennsylvanie (où est conservée l’ensemble de la collection Ühle de Pachacamac)

(18)

avec le catalogue de terrain établi par Ühle lui-même. «En général, dit-il, la plupart des associations funéraires datent de l’Horizon moyen, à en juger par les céramiques de style Nievería et Pachacamac. Les quelques autres datent de l’Horizon récent, à en juger par les céramiques Inca, Inca local et/ou locales qu’elles contiennent. Aucune des tombes fouillées ne semble avoir contenu de grandes quantités d’offrandes» (Patterson, com. pers. 1995). Il semble donc que la présence de style Nievería soit également attestée dans le site même de Pachacamac.

1.6.3. Horizon moyen 2A

Durant l’Epoque 2 de l’Horizon moyen, de nombreux centres de prestige de l’Epoque 1 sont abandonnés tandis que d’autres accroissent leur importance. Le principal centre de la Côte centrale est alors Pachacamac, qui paraît avoir supplanté tous les autres centres de la côte sud et centrale de l’époque précédente, y compris Cajamarquilla (Lumbreras 1974:166; Menzel 1968:106, 1977:46)

4

. Les relations entre Huari et Pachacamac ont été développées par Bonavia (1991:419). Huari atteint son expansion maximale et couvre pratiquement la totalité des Andes Centrales (Bonavia 1991:

328, 347 ; Lumbreras 1974:165).

Trois styles de céramique caractérisent la Phase 2A : le Viñaque (zone d'Ayacucho), l’Atarco (région de Nazca) et le Pachacamac A (Côte centrale). Ils présentent une combinaison de traits stylistiques dérivés de la céramique cérémonielle de l'Epoque 1 et de caractéristiques traditionnelles propres à leur zone d'origine respective (Menzel 1964:69 ; 1970:533). L’aire de développement du style Pachacamac se situerait principalement sur la Côte centrale et la Côte nord (Lumbreras 1974:157).

Le Pachacamac A correspond à une céramique de prestige dont les formes et les motifs décoratifs dérivent d’une part du Nievería de l’Epoque 1B et d’autre part des différents styles Huari régionaux (Atarco, Robles Moqo, Conchopata, Vi–aque) (Menzel 1968:162). Lumbreras (1974:157

& fig.169) estime que le style Pachacamac a retenu de fortes influences du style Lima antérieur, notamment au niveau des formes. Les motifs figuratifs à contenu mythique sont par contre uniquement inspirés de l’iconographie Huari-Tiahuanaco, comme par exemple le dieu-aux-bâtons vu de face ou les anges de profil portant un bâton serpentiforme, mais surtout le griffon, véritable symbole de Pachacamac, composé à partir de différents traits de l’iconographie Conchopata (Menzel 1964:19-20, 59-60 ; 1968:162-3 ; 1977:31). Cet animal fantastique est représenté de profil en attitude de course. Il possède un corps de félin, une tête et des ailes d’aigle, des mains et des pieds humains à la place des griffes ; il porte un sceptre et ses os sont figurés par des barres au

4

Bueno Mendoza (1982:26) est d’un avis totalement opposé puisqu’il avance que c’est à cette époque que

(19)

centre des membres. Knobloch suggère que l’iconographie du style Pachacamac est apparue dès l’Horizon moyen 1B, alors que le site gagnait sa réputation de centre de pèlerinage grâce à des prêtres qui pr'naient la nouvelle idéologie (Shimada 1991:XXV-XXVII).

L’intensification de l’influence des hautes-terres sur la Côte centrale se traduit par des migrations massives de populations nouvelles vers la côte. Ils sont les agents de changements profonds dans de nombreux domaines (culte, coutumes funéraires, urbanisme, relations socio- politiques, etc.) (Bueno Mendoza 1982:26).

Parallèlement à l’introduction de matériel Huari, explique Bueno Mendoza, plusieurs types locaux font leur apparition à Pachacamac, parmi lesquels on remarque une céramique à pâte rouge clair et une autre à engobe rouge foncé. Le premier type comprend de nombreux exemplaires décorés selon la technique du Pointillé-en-Zones et du Piquetage, et particulièrement de petites figurines féminines. Bueno Mendoza appelle cette céramique Lurín car il considère qu’elle est originaire de la vallée. Il l’a trouvée associée à des types «blancs» (?) «dans des couches situées au- dessous de celles contenant du matériel connu comme appartenant à l’Intermédiaire récent»

(Bueno Mendoza 1982:26-7). Il estime que le style Lurín s’est maintenu jusqu'au XIIe s. environ (ibid.).

Plusieurs remarques sont à retenir à la charge de Bueno Mendoza. D’une part, il ne fournit pas d’indication précise sur le contexte dans lequel a été découverte la céramique de style Lurín, dont il ne donne d’ailleurs aucune illustration. L’argument qu’il utilise pour la situer chronologiquement n’est pas mieux étayé : nous verrons au paragraphe suivant que le matériel de l’Intermédiaire récent est loin d’être aussi connu que le prétend Bueno Mendoza. Et même si l’on peut admettre que son jugement est fondé sur la connaissance empirique, son style Lurín date de la fin de l’Horizon moyen, c’est-à-dire les époques 3 et 4 : rien ne permet donc d’affirmer que son apparition est «parallèle à l’introduction du matériel Huari» (Horizon moyen 2). Enfin, la date absolue qu’il avance ne repose sur aucune datation de référence. Bueno Mendoza a d’ailleurs développé une conception extrêmement personnelle de la chronologie de Pachacamac puisqu’il considère que l’influence Huari débute au IXe s. et se termine au XIIe s. (Bueno Mendoza 1982:26).

La description qu’il donne de son style Lurín est néanmoins très instructive, et j’aurai l’occasion d’y revenir lors de la présentation de la séquence céramique que j’ai mise au point.

1.6.4. Horizon moyen 2B

Huari entame son déclin à l’Epoque 2B et les sites de Huari et Cajamarquilla sont

abandonnés, tandis que les centres provinciaux atteignent leur apogée (Bonavia 1991:349 ; Lanning

(20)

1967:137). La distinction entre les phases 2A et 2B se fait sur base de critères stylistiques de la céramique. Le Vi–aque B se diffuse un peu partout et le Pachacamac B englobe sa plus grande sphère d'influence : au nord jusqu'à Chicama, au sud jusqu'à Nazca et à l'intérieur, dans la Sierra, jusqu'à Huancayo (Menzel 1964:71 ; 1970:536).

Le Pachacamac B de Menzel correspond à ce que la plupart des auteurs antérieurs appelaient le Tiahuanaco Côtier ( Bennett 1946b, 1949 ; Strong & Corbett 1943; Stumer 1956) et que Ühle, son inventeur, avait pris pour du Tiahuanaco (Menzel 1968:150 ; Ühle 1903:21). Alors que le Pachacamac A se caractérisait par des variables très conservatrices (en référence au style Huari), les exemplaires de la phase B montrent des traits plus avancés, plus spécifiques en quelque sorte (Menzel 1968:149).

Ainsi, au niveau des motifs mythiques, constate-t-on l’apparition de la tête d’ange de profil, une sorte de version abrégée et quelque peu modifiée du motif Huari de l’ange de la Phase 2A (Menzel 1968:160). La figure du griffon, qui connaît un succès considérable, montre une évolution sensible dans le sens de la simplification : le sceptre et les «barres d’os» disparaissent ; la tête, les extrémités des membres et parfois le corps entier sont souvent remplacés par de simples traits ; la tête est aussi représentée seule, avec ou sans attributs mythiques. Parmi les thèmes nouveaux (inspirés de l’Atarco et d’autres styles Huari) on remarque une bande serpentiforme terminée par une tête de félin à chaque extrémité, ainsi que des têtes-trophées (Menzel 1968:166)

C'est à cette époque que le nouveau centre de grand prestige qui était apparu -selon Menzel- à Pachacamac à l'Horizon moyen 2A arrive à l'apogée de son influence (Menzel 1964:71 ; 1970:536-7). On voit ainsi apparaître un style Ica-Pachacamac sur la Côte sud et Menzel se demande si on ne devrait pas y voir la trace de l'éventuel établissement d'une "succursale" des prêtres du culte de Pachacamac à Ica (ibid.).

Bueno Mendoza (1982:26) quant à lui exprime ses doutes sur l’existence effective du style Pachacamac et Ica-Pachacamac défini par Menzel, qu’il considère comme un style élaboré en- dehors de Pachacamac. Ce scepticisme me paraît partiellement fondé.

En effet, le corpus qui a servi à Menzel pour établir sa classification provient pour une part

de réserves de musées sans contexte précis, et pour l’autre de mobilier funéraire (Menzel 1968:149-

53). En d’autres termes, il s’agit exclusivement de céramiques décorées, de pièces de prestige qui

n’étaient certainement pas le lot du commun. L’iconographie comprend des figures mythiques et

des thèmes ésotériques qui véhiculent vraisemblablement un contenu idéologico-religieux. Les

pièces qui proviennent du site de Pachacamac et dont on connaît le contexte exact sont toutes

issues des fouilles de Ühle au pied du Temple de Pachacamac, c’est-à-dire en terre sacrée.

(21)

Bien que je ne partage pas l’opinion de Bueno Mendoza sur la conception «étrangère» du style Pachacamac -les traits Nievería et Lima indiquent clairement une origine locale- je crois par contre qu’il s’agit incontestablement d’un style d’élite qui ne reflète que peu, voire pas du tout, les styles locaux utilisés par la plus grande partie de la population contemporaine. La profusion des thèmes Huari-Tiahuanaco et le fait que c’est au pied du Temple de Pachacamac qu’ont été retrouvés tant de vases de la phase B (phase d’expansion religieuse) m’incite même à croire qu’il s’agit peut-être d’un style réservé aux membres du clergé de Pachacamac et aux hauts-dirigeants politiques, étroitement liés au pouvoir central Huari.

En effet, non seulement les tessons Pachacamac sont rarissimes dans la plupart des contextes de fouilles

5

, mais les formes que Menzel décrit pour ce style ne trouvent aucun correspondant dans la céramique utilitaire post-Lima. Cette dernière n’est d’ailleurs pratiquement jamais décrite à Pachacamac, car elle est en réalité inconnue. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’elle n’existe pas. Mon opinion est que la classification de Menzel est tout à fait fiable pour les contextes funéraires d’élite et peut-être certains contextes cérémoniels, mais tout à fait inutile pour le reste, c’est-à-dire l’immense partie du registre archéologique.

Le problème vient du fait que l’on ne dispose à l’heure actuelle d’aucune référence permettant de reconnaître les tessons non-décorés Horizon moyen 1 & 2 à Pachacamac, vu que les styles décorés, bien datés, en sont systématiquement séparés. Mon impression est que les types non-décorés sont en général attribués à des époques plus récentes, avec un certain flou, ce qui explique les variations énormes que l’on observe parmi les datations absolues dévolues à la fin l’Horizon moyen selon les auteurs (voir ci-dessous «l’Intermédiaire récent»).

1.6.5. Horizon moyen 3

Les styles céramiques régionaux voient leurs différences s’accentuer progressivement tandis qu’ils s’isolent de plus en plus les uns des autres. Au cours de ce processus la plupart des traits hérités des vieilles traditions côtières disparaissent. La manufacture est moins soignée, les formes moins nombreuses, la décoration se fait plus rare et plus grossière, la gamme des motifs se restreint (Menzel 1964:173). C’est ce que Ühle (1903:26) appelle le Style Epigonal, identifié dès 1896 à partir du matériel funéraire des tombes situées sous le mur nord du Temple de Pachacamac.

Il faut souligner que les artefacts de style Epigonal se trouvaient associés à ceux de style Pachacamac B dans certaines de ces sépultures. Ühle (1903:26 ; suivi par Strong & Corbett 1943:86-7) à dès l’abord considéré le style Epigonal comme postérieur à ce qu’il appelait le

5

Sur un total de plus de 50.000 tessons récupérés au cours des trois campagnes auxquelles j’ai participé à Pachacamac

et dans le Lurin, deux seulement appartiennent peut-être au style Pachacamac, et ils sont issus de contextes funéraires

d’élite. Feltham (1983), qui a traité un corpus de la même importance, n’en mentionne pas un seul.

(22)

Tiahuanaco (Pachacamac B) : «nous avons désigné comme Style Epigonal le type culturel qui, bien que relié au style de Tiahuanaco, est inférieur à son célèbre prototype à presque tous les égards». Il précise d’ailleurs que l’association d’artefacts plus récents semble prouver que les spécimens du style Tiahuanaco étaient déjà anciens au moment où ces enterrements ont eu lieu (...) aucun de ceux-ci ne peut donc remonter au delà de la période culturelle qui s’est développée à la suite du style Tiahuanaco». Pour utiliser la terminologie actuelle, il semble donc que Ühle ait identifié des tombes de l’Horizon moyen 3 (ou 4) contenant du matériel de l’Horizon moyen 2B. Mais l’association systématique du Pachacamac B et de l’Epigonal peut être interprétée différemment.

Kroeber (1927:634 ; 1949) a ainsi proposé l’hypothèse que les deux styles étaient en fait contemporains : " La céramique Tiahuanaco Côtier [= Pachacamac B] se présente sous deux formes : une poterie dure, polie et bien finie, tendant vers des motifs tout à fait élaborés, exécutés avec soin en 4, 5 et parfois même 6 couleurs ; une poterie plus fragile, réalisée grossièrement, non- polie, avec des motifs simples et négligés en 3 ou 4 couleurs. Puisque la seconde forme semblait décadente, Ühle l'a appellée "Epigonal" ce qui veut dire "postérieur" mais aussi "inférieur". Mais même au moment de leur distinction à Pachacamac, et ensuite, ces deux types ont été trouvés en association, parfois dans une seule et même tombe (...)» (Kroeber 1949:438).

Menzel (1968:150 & note 318) tranchera la question en considérant les artefacts de style Epigonal associés directement au Style Pachacamac B comme du Pachacamac B (donc Horizon moyen 2B), et les autres comme appartenant à l’Horizon moyen 3. A Pachacamac, il existe en effet de nombreuses tombes, proche du Temple principal, qui contiennent exclusivement du matériel de style Epigonal (Ühle 1903:26-34). Menzel n’accorde pas une grande attention au style Epigonal de Pachacamac ; elle semble le considérer surtout comme un style de l’Horizon moyen 4, avec des antécédents à l’époque précédente.

D’autres styles sont mentionnés pour l’Horizon moyen 3, dont la position chronologique,

l’origine et la longévité ne sont encore que très imparfaitement connues. Ainsi le Teatino d’Ancón,

qui coexiste avec le style Pachacamac et l’Epigonal (Bonavia 1962:74). Le style Teatino serait

apparu à l’Horizon moyen 1B dans la zone Huaura-Chillón. Bien qu’influencé par les formes de la

céramique Huari, il correspond à une tradition locale séparée et constitue d’ailleurs la plus grande

partie du matériel funéraire de la région en question jusqu’à l’Horizon moyen 3. Il est alors

graduellement remplacé par d’autres styles bien que la tradition se maintienne jusqu’au début de

l’Intermédiaire récent, avec des changements stylistiques progressifs dus à des innovations venues

de la côte nord (Menzel 1977:44-7). Le Teatino pourrait à mon sens constituer une bonne piste pour

la définition des types utilitaires sur la Côte centrale depuis l’Horizon moyen 1B.

(23)

Shimada (1991:XXVII) l’assimile pourtant à l’Epigonal, considérant que le Teatino et l’Ancón moyen II (Bennett 1946b ; Kaulicke 1983) ne sont que des termes différents pour désigner des styles similaires, caractérisés par une décoration non figurative très simple à base de motifs linéaires en 2 ou 3 couleurs. J’estime pour ma part que l’Epigonal de Pachacamac montre davantage de traits Huari, notamment dans l’iconographie, et constitue en quelque sorte la survivance du style d’élite , tandis que le Teatino et les autres styles du commun montre un caractère à la fois plus local et des influences de la côte nord. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les artefacts de style Epigonal en provenance de Pachacamac (Ühle 1903: Pls 5, 6) et les exemplaires Teatino de la fin de l’Horizon moyen (Bonavia 1962 ; Menzel 1977:figs 99, 113 A &

B, 118). Ces derniers ont beaucoup plus de traits communs avec les styles du début de l’Intermédiaire récent (p.e. Ühle 1903:Pl.7, fig. 5) qu’avec l’Epigonal. Selon Paredes (1990a:189) l’Epigonal couvrirait la région de Ancón-Chilca (soit la plus grande partie de la Côte centrale) et daterait de 850 à 1050 de notre ère.

L’Horizon moyen 3 voit le déclin de Huari mais aussi de Pachacamac, dont la sphère d'influence se réduit. Beaucoup de centres urbains et/ou cérémoniels sont abandonnés, la production de céramique décorée diminue sensiblement (Menzel 1970:538). Il semble qu’un nouveau centre de prestige se soit développé à Huarmey, au sud de la Côte nord, dont les productions montre des motifs mythiques dérivés du style Huari (Menzel 1968:194). Les recherches de Bonavia dans cette région confirment cette hypothèse (Bonavia 1991:369).

1.6.6. Horizon moyen 4

La dernière période de l’Horizon moyen marque l’abandon total de Huari, et précède de peu les développements régionaux plus isolés de l'Intermédiaire Récent (Menzel 1964:72-3 ; 1970:539).

Le style décoré prédominant à Pachacamac est l’Epigonal, apparu au cours de l’époque précédente (Menzel 1968:183). Les autres styles décrits pour l’époque 3 continuent pour la plupart d’être produits à l’époque 4.

Il faut souligner que les périodes post-Huari, c’est-à-dire à partir du IXe s., sont parmi les plus méconnues de l’archéologie de la Côte centrale, particulièrement à Pachacamac. Ce n’est pourtant ni les fouilles ni le matériel qui font défaut mais bien plutôt l’assiduité des archéologues.

En effet, d’une part l’immense majorité du matériel récolté n’a jamais été étudié ni publié ; d’autre

part les rares sources disponibles ne s’accordent ni sur la terminologie ni sur la classification. Pour

les quelques six siècles qui courent de l’Horizon moyen 3 à la fin de l’Intermédiaire récent, nous en

sommes aujourd’hui au même point que l’était l’archéologie de l’Intermédiaire ancien avant la

mise en ordre de Patterson et celle de l’Horizon moyen 1 & 2 avant les travaux de Menzel.

(24)

1.7. L’Intermédiaire récent

L’Intermédiaire récent couvre la période qui s’écoule entre la chute de Huari et la conquête de la Côte par les Incas. Menzel (1976; 1977) l’a subdivisée en 12 époques, sur base de la classification en phases du style Ica.

Intermédiaire récent 1A : 900-950 Intermédiaire récent 1B : 950-990 Intermédiaire récent 2 : 990-1050 Intermédiaire récent 3A : 1050-1100 Intermédiaire récent 3B : 1100-1150 Intermédiaire récent 3C : 1150-1200 Intermédiaire récent 4 : 1200-1250 Intermédiaire récent 5A: 1250-1300 Intermédiaire récent 5B: 1300-1340 Intermédiaire récent 6 : 1340-1410 Intermédiaire récent 7 : 1410-1440 Intermédiaire récent 8 : 1440-1476

Il est extrêmement délicat de situer le début de cette période sur la Côte centrale car, comme on l’a vu, Huari en tant que pouvoir centralisé et influence dominante commence à se désintégrer dès l’époque 2B de l’Horizon moyen, et les époques qui suivent sont assez mal connues, malgré l’abondance des données. On peut dire, pour synthétiser, que la fin de l’Horizon moyen est consommée lorsque l’influence Huari a été totalement absorbée et transformée par les cultures locales qui, souvent, réutilisent des éléments anciens antérieurs à cette influence (cf. Bonavia 1991:

437 ; Menzel 1977:57 ; Stumer 1956). Il va sans dire que ce critère, s’il est acceptable théoriquement, est fort difficile à situer dans le temps et peut varier considérablement au hasard des découvertes de fouille.

De plus, comme le souligne Shimada (1991:XXVII-XXVIII), les datations absolues sont

peu nombreuses, mal documentées et parfois douteuses pour ce qui regarde la Côte centrale à cette

période. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que pratiquement chaque auteur ait développé sa

chronologie personnelle, avec des variations parfois énormes, comme l’illustrent les quelques

références ci-après.

(25)

Début de l’Intermédiaire récent : 900 (Bonavia 1991:438)

1000 (Lanning 1967:141) 1050 (Mc Neish et al. 1975:62)

1100 (Lumbreras 1974:179 ; Paredes Botoni 1986:31, 1990a:189 ; Franco 1988:3) 1200 (Agurto Calvo 1984:118 ; Patterson & Lanning 1964:116 ; Shimada 1991:XXIV) 1300 (Bueno Mendoza 1982:30)

La date de fin de la période rencontre un consensus pratiquement général, grâce aux données de l’ethnohistoire. Sur la Côte centrale, la conquête inca de Pachacamac se situe aux environs de 1470 (voir chapitre V).

Je ne m’attarderai pas ici à situer le contexte socio-politique de la zone d’étude, décrit en détails au chapitre IV et discuté au chapitre X du présent travail. Je compte dans un premier temps exposer la chronologie et les styles de céramique tels qu’ils sont présentés dans les publications, et ensuite m’atteler à un examen plus détaillé des quelques sources (pour la plupart non-publiées) qui traitent spécifiquement de la céramique de la région sur base de données de terrain de première main. Si j’opère une telle ségrégation, c’est parce que les premiers s’intéressent exclusivement aux types de céramique décorés alors que les autres abordent les types non-décorés (l’immense majorité du corpus).

A Pachacamac, le style de prestige de l’Intermédiaire récent 1 reprend certains éléments du début de l’Horizon moyen 1 & 2 et subit l’influence de l’art géométrique d’Ica

6

(Menzel 1977:57- 8). Cependant, le style que la plupart des auteurs s’accordent à considérer comme diagnostique du début de l’Intermédiaire récent sur la Côte centrale est le Tricolore Géométrique. Il a pour la première fois été défini par Kroeber (1926) sur base du matériel récolté par Ühle dans la vallée de Chancay. Il correspond au Style Ancón Récent I (Strong 1925). Suivant la malheureuse coutume des archéologues andinistes, il a reçu par la suite des dénominations diverses comme Noir-Blanc- et-Rouge Géométrique (Strong & Corbett 1943), Ancón Moyen II (Bennet 1946b), Style Chillón (Mc Neish et al. 1975:62) ou Géométrique Trichrome (Paredes 1990). C’est dans la région de Chancay qu’on le trouve en plus grande quantité et il est donc logique de supposer qu’il en est originaire (Kroeber 1926 : 272-4 ; Shimada 1991: XXVII). Kroeber (1927:634) estime qu’il dérive

6

Il ne faut pas confondre ce style d’influence Ica avec le Style Ica-Pachacamac, contemporain du Style Pachacamac de

l’Horizon moyen 2. Par ailleurs, les Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles possèdent deux bols provenant de

Pachacamac (réf : AAM-00-00-5295 & AAM-00-00-5296) et le Museum fŸr Všlkerkunde de Berlin un bol identique

à ceux de Bruxelles (comp. Schmidt 1929:292) ; ces pièces illustrent, selon moi, l’influence de Ica sur les productions

de Pachacamac relevée ici (comp. Kroeber & Strong 1924b:Pl.30g-h, l-m).

(26)

probablement de la céramique des Hautes-Terres. Il se caractérise par l’utilisation prédominante ou exclusive de motifs géométriques par rapport aux éléments figuratifs , une exécution médiocre et un fini mat. Il combine des éléments de l’Epigonal (plus ancien) avec l’usage innovateur de motifs rouges et noirs sur fond blanc.

A Chancay, Kroeber (1926) a démontré que l’Epigonal était partiellement contemporain du Tricolore Géométrique et que certaines formes montraient davantage de traits de l’Epigonal (gobelets, bols) tandis que d’autres tenaient plus du Tricolore Géométrique (cruches). Cette distinction paraît également applicable au matériel de Supe et de Pachacamac (Kroeber 1926:274-5

; Strong & Corbett 1943:86) et c’est sans doute pourquoi certains auteurs subdivisent le Tricolore Géométrique de Pachacamac en deux sous-styles : Epigonal Tricolore

7

et Géométrique Trichrome (Paredes 1990a; Shimada 1991: XXVII). Pour Paredes (1990a:189 ; 1990b) ces deux styles sont tout à fait contemporains et se situent entre 850 et 1050 (soit entre l’Horizon moyen 4 et l’Intermédiaire récent 2 inclus). Je préciserai pour ma part que si cette subdivision est valable pour le matériel de musée, c’est-à-dire les pièces entières et bien conservées, elle se révèle difficile à appliquer à des tessons décorés non-diagnostiques qui constituent le lot des fouilleurs hors des contextes funéraires.

Dans la région de Chancay, l’Epigonal et le Tricolore Géométrique sont suivis du fameux style Noir-sur-Blanc, typique de cette vallée durant tout l’Intermédiaire récent et au-delà (Cornejo 1991, 1992 ; Horkheimer 1970 ; Krzanowski 1991a, 1991c ; Kroeber 1926 ; Morgan 1991; e. a.).

La zone de distribution de cette céramique s’étend sur la Côte depuis Ancón jusqu’au Chillón (Paredes 1990a:189).

Dans la zone Lurín-Rímac, le Tricolore Géométrique évolue en Style Blanc-sur-Rouge

8

, ou Noir-et-Blanc-sur-Rouge (Bennett 1946b ; Strong & Corbett 1943). Ce style a longtemps été connu sous le nom de Style Côtier Ancien (Ühle 1903) puis de Style Huancho (Iriarte Brenner 1960 ; Lumbreras 1974 ; Stumer 1954a). Il a plus récemment reçu le nom de Ichimay (ou Ichma) (Bazán 1990, 1992 ; Bueno Mendoza1982 ; Paredes 1990a, 1990b). Pour Bueno Mendoza (1982:41 et ss), cette évolution vers le style Ichimay s’opère au XIIe s. (soit Intermédiaire récent 4-5A de Menzel)

9

.

Paredes (1990a) a une vision différente de la situation. Se basant sur "une révision globale de l'évolution des styles céramiques à travers le mobilier funéraire provenant des fouilles de Ancón et Pachacamac» dont il ne donne malheureusement aucun détail ni aucune référence, il distingue

7

Epigonal Récent selon Kroeber (1926:275).

8 A ne pas confondre avec l’Horizon stylistique Blanc-sur-Rouge du début de l’Intermédiaire ancien (cf.ci-dessus).

9

Bueno Mendoza paraît en contradiction avec sa propre chronologie puisque dans la même publication, il explique que

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