Etudes et optimisation des travaux de dragage au moyen de la radioactivité

Etudes et optimisation des travaux de dragage au moyen de la radioactivité

C. Brossard - J.-P. Hélard

Port autonome de Nantes - Saint-Nazaire

B. Malherbe

Harbour and Engineering Consultant - Haecon

P. Monadier

Ports Maritimes et Voies Navigables

P. Brisset - R. Hoslin - G. Meuer - A. Caillot Commissariat à l'Energie Atomique

La mesure de la profondeur navigable des chenaux d'accès et des bassins portuaires envasés est devenu un problème primordial depuis que les grands ports se trouvent dans la double obligation économique et écologique de réduire le volume des déblais dragués puis rejetés en mer tout en garantissant la sécurité et une parfaite qualité de naviga- tion aux armateurs.

Deux principaux axes d'études et de développement technologiques ont fait l'objet ces dix dernières années d'un effort quasi permanent des organismes dont dépendent les auteurs de cette communication.

• Définir et mesurer la limite des profondeurs navigables dans les ouvrages maritimes envasés.

• Analyser le devenir à court et moyen terme des déblais rejetés dans les estuaires et en mer.

L'emploi de la radioactivité, sous forme de sources scel- lées associées à des appareils de mesure élaborés et de radiotraceurs artificiels fixés aux particules sédimentaires, a permis de notables progrès qui se traduisent par une réduction des volumes de matériaux ce qui est favorable à l'environnement et permettent de substantielles économies annuelles.

Study and optimization of dredging works by the means of radioactivity

Today, the nuclear techniques are tested processes used by the, great modern harbours. * ^{The gamma}

probes for turbidity monitoring are daily used to determine the navigability depth limit: DAT method (gamma Densimetry Assisted Hydrography. * The radioactive tracers by in situ real scale Lagrangian measurements allow to study the behaviour of the sediments rehandled by the dredging works and to study the recirculation problem, to calibrate models and to define the strategy of the dredging operations.

* During the last years, the use of these methods has allowed important economical and ecological improvements by the suppression of unnecessary dredging works, by the optimization of the indispensable ones and by the limitation of the released quantities.

LA HOUILLE BLANCHE/N° 4-1992 309

Article published by SHF and available at http://www.shf-lhb.org or http://dx.doi.org/10.1051/lhb/1992030

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1985 1986 1987 1988

4.

Courbes d'isodensité relevées sur un profil (Malherbe B. - Optimisation of maintenance dredging operations in maritime and estuairine areas - Terra et Aqua 35 - Dec. 1987)/Iso- density curves plolied on a profile.

5.

Bilan financier des opérations cumulées d'entretien et d'inves- tissement des chenaux et des souilles (Brossard C. et AI. - Améliorations techniques et économie de l'entretien des chenaux maritimes de l'estuaire de la Loire - Travaux nov.

1989)/Financial balance of cumulative maintenance and invest- ment opérations for the channels and dredged berths.

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Condition d'érosion par les courants d'un dépôt de vase présen- tant un gradient de concentration (Migniot C. - Tassement et rhéologie des vases - 2" partie - La Houille Blanche 2- 1989)/Currents erosion condition of a mud deposit with a verti- cal profile of concentration. .

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2.

1.

Définition de la profondeur navigable dans un chenal envasé.

Definition of the navigability depth limit in a muddy channel.

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3.

Sonde type SAPRA JTT4/Probe SAPRA JTT4.

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6.

Injection du traceur dans une expérience de rejet de drague (Malherbe B. -A case study of dumping of dredged material in open areas - Terra et Aqua 45 - June 1991).Injection of tracer in dumping tracer test.

OPTIMISATION DES DRAGAGES AU MOYEN DE LA RADIOACTIVITÉ

1. L'emploi de jauges de turbidité pour mesurer la profondeur navigable dans les chenaux envasés

1.1. Le concept de profondeur navigable

Les dépôts de vase dans les chenaux de navigation et les bassins portuaires provoquent une diminution sensible des profondeurs. Habituellement ces profondeurs sont mesu- rées par un sondeur à ultra-sons à double fréquence (33 et 210kHz). Cette méthode est bien adaptée lorsque les fonds sont composés de sable, mais n'indique que le sommet (écho 210 kHz) des dépôts de mélange fluide vase-eau et, quelques mètres plus bas, les fonds durs (fig. 1).En l'ab- sence d'informations sur l'état physique de la couche sédi- mentaire comprise entre ces deux limites, il est traditionnel de faire intervenir des dragues aspiratrices. C'est ainsi que les volumes annuels dragués aux USA, en France et en Belgique atteignent respectivement 200 Mm³, 40 Mm³ et 30 Mm³au prix moyen de 2 U$$ le m^3.

Les études [1], [2] en laboratoire, sur les caractéristiques rhéologiques de vase ayant des compositions minéralogi- ques différentes et contenant des pourcentages de sable plus ou moins importants démontrent qu'en dessous d'un

seuil critique (fig. 2) ces mélanges sol-eau restent suffi-

samment fluides pour être remis en suspension par des actions naturelles tels que les courants et les houles: dans ce cas il n'est pas nécessaire de draguer ces dépôts.

Des essais [3] sur modèles réduits physiques, après une phase d'études approfondies sur les lois de la similitude, ont permis d'examiner le comportement dynamique d'une maquette de pétrolier se déplaçant avec des tirants d'eau et des vitesses variables dans les eaux claires puis sur des fonds de vase présentant un gradient de densité connue. On constate que la navigation reste possible à faible vitesse tant que la rigidité de la mixture ne dépasse par 5 à 7 N/m².

Cette limite correspond à une densité de 1,2 pour les dépôts qui encombrent le chenal de l'estuaire de la Loire. Cette valeur est légèrement différente d'une région à une autre.

La profondeur navigable est alors définie comme une hauteur d'eau au-dessus d'un seuil critique de rigidité, donc d'une densité pour un matériau donné. Pour localiser cette limite il est nécessaire de mesurer le profil vertical de concentration dans les dépôts sédimentaires. Cette mesure, quotidienne et systématique est réalisée par [es services hydrographiques des ports [4] au moyen de jauges de turbidité, soit à diffusion, soit à transmission de rayon- nement.

1.2. Les jauges de turbidité à diffusion et à transmission

Le principe et la technologie de ces instruments de mesure sont bien connus [5, 6, 7). L'intérêt du procédé réside principalement dans l'association de la jauge au couple

«intelligent» treuil-calculateur qui fait effectuer des allers et retours verticaux dans les couches sédimentaires entre les densités 1,05 et 1,25. A ces sondes radiométriques sont adaptés des capteurs de pression afin de connaître avec

précision (± 15 cm) et à tout moment la profondeur à laquelle s'effectue la mesure de densité.

La jauge de turbidité à diffusion contient une source scellée de césium 137 de 18,5 MBq (0,5 mCi). Elle est conçue pour faire des mesures en point fixe.

La jauge de turbidité à transmission est également équi- pée d'une source scellée de césium 137 mais d'activité dix fois plus élevée. Le dispositif (fig. 3), tracté par une vedette [4] progressant à vitesse réduite (2 à 4 nœuds), parcourt une sinusoïde dans les dépôts de vase, ce qui permet de repérer rapidement (fig. 4) la profondeur de la densité limite au- delà de laquelle la navigation serait entravée.

1.3. Intérêt économique et écologique de la méthode

Face à l'augmentation des tirants d'eau des navires, les ports ont, dans un premier temps, pratiqué des travaux d'approfondissement. Mais devant la concurrence et la nécessité absolue de réduire les dépenses d'entretien, l'hy- drographie traditionnelle par ultra-sons est aujourd'hui complétée par la mesure densimétrique. L'Hydrographie Assistée par Densimétriegamma [4], méthode H.A.D., se traduit depuis plusieurs années [3] par des spectaculaires économies (fig. 5) grâce à la réduction des volumes dragués et une meilleure gestion des travaux de dragage.

La diminution de ces rejets est aussi, à l'évidence, un bien fait pour l'environnement en raison de la contamination des fines particules par des polluants minéraux et orga- niques.

2. L'emploi de radiotraceurs

2.1. La méthode

Très souvent décrite [8, 9], et illustrée par de nombreuses utilisations, elle n'est pas exposée ici. Cependant il est important d'insister sur la très grande influence des condi- tions initiales dans la mise en œuvre de cette technique sur les résultats obtenus. En particulier l'introduction des traceurs et leur mélange (fig. 6) à une masse importante des matériaux rejetés doivent faire l'objet d'un examen attentif et d'une grande concertation avec les techniciens du dragage.

2.2. Rejets de produits de dragage: Principaux résultats obtenus

Les travaux de dragage et les rejets des déblais par des dragues aspiratrices porteuses effectués dans l'estuaire de la Seine ou au large des côtes de Belgique, sur des sites soumis à des courants de marée importants (de l'ordre de 0,5 à 1mis)conduisent à des conclusions quasi identiques:

LA HOUILLE,BLANCHE/N' 4-1992 311

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8.

7.

Evolution de la réparlltlOn du traceur sur le fond lors d'une expérience de rejet de drague(MalherbeB. - A case study of dumping of dredged material in open areas - Terra et Aqua 45 - June 1991) Results of dumping tracer test on dumping ground.

8. Evolution dans le temps des traceurs dans les ports d'Ostende et de Zeebrugge(Malherbe B. - A case study of dumping of dredged material in open areas - Terra et Aqua 45 - June 1991) Time evolution ofrecirculation tracers in the harbours of Ostende and Zeebrugge.

9.

Cartes de répartlllon du traceur à deux instants différents pendant l'expérience(Malherbe B. - A case study of dumping of dredged material in open areas - Terra et Aqua 45 - June 1991) Tracer dispersion maps in two moments during the test showing the dispersion of the tracered dumplosses .

• Dispersion des particules sur des surfaces importantes (fig. 7) de formes elliptiques allongées (2 500 à 4 000 m) et étroites (250 à 500 m). Les particules ainsi mises en suspen- sion doublent ou triplent la turbidité naturelle des eaux marines pendant environ la moitié d'une marée. Ce qui, en raison de la charge en polluants des fines particules, peut poser des problèmesà l'aquaculture et aux plages touris- tiques.

• Le clapage provoque un courant de densité qui entraîne rapidement les matériaux dragués dans les couches d'eau

proches du fond où les plus fins sont transportés par les courants de marée sur plusieurs kilomètres, alors que les plus grossiers restent sur le fond ce qui représente plus de 75 % de la masse rejetée. Mais les sédiments très fins (inférieursà40 l!m) sont remis en suspension dans les deux jours qui suivent cette opération. Les matériaux délités par les opérations de dragage et de rejet ont perdu leur cohé- sion et sont aisément transportés par les courants de marée. Ils redeviennent alors disponibles pour retourner éventuellementàleur zone d'origine: il y a alors recyclage.

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OPTIMISATION DES DRAGAGES AU MOYE DE LA RADIOACTIVITÉ

2.3. Mise en él'idence du recyclage des produits de dragage Fréquemment l'importance du volume des matériaux dragués ne s'explique pas à partir des apports sédimen- taires naturels locaux [10]. L'hypothèse du recyclage est alors posée. Il reste à la vérifier alors que les matériaux rejetés pour reveniràleurs origines peuvent emprunter des cheminements complexes et longs, en raison du régime des marées et des vents, au cours desquels ils subissent une dilution considérable. Ce processus peut aussi se compli- quer par l'alternance de sédimentations suivies de remises en suspension épisodiques lors des tempêtes.

Ce problème a été abordé dans le cas du port de Zeebrugge: 4 kilogrammes de matériaux déposésà 16 km de la côte, par des profondeurs de - 15 m^eM, ont été marqués par 185 GBq, d'hafnium (175

+

181) (période 45 jours) et par une même activité de terbium 160 (période 73 jours) avec une activité spécifique de l'ordre de 4107 Bq/g. Ces radionucléides ont été sélectionnées après que des mesures de radioactivité naturelle du site aient permis d'affirmer qu'ils n'existaient pas, avant l'expérien- ce, à des concentrations détectables par spectrométrie gamma, ni dans les eaux, ni dans les sédiments.

Des campagnes systématiques pendant 5 mois ont permis de récupérer 207 échantillons de 1 kilogramme de sédiments inférieurs à 63 Jlm, prélevés à la surface de 66 zones (1 300 km²⁾côtières et portuaires favorables à la sédimentation répartie tout au long du littoral belge.

Ces prélèvements ont ensuite été analysés par un labo- ratoire primaire de métrologie disposant de conditions de mesure aussi sensibles que 10-⁴Bq/g de sédiment sec (2,710-³pCi/g).

Cette expérience démontre que les produits reviennent sur le littoral dans un délai de 12 à 20 jours avec une concentration quasi constante pendant quatre mois (fig.8) : ce qui tend à prouver qu'il n'y a pas de renou- vellement dans ce système qui se comporte comme un ensemble fermé. Les calculs des bilans montrent que plus de 90 % des matériaux rejetés reviennent à la côte (fig. 9) dans les conditions hydrométéorologiques rencontrées.

2.4. Conclusions

La grande capacité des dragues modernes et la dimension des ouvrages maritimes actuels provoquent le remaniement de volumes de déblais dont les effets sur l'environnement ne peuvent pas être négligés. La majorité des matériaux remaniés et rejetés sont très mobiles et sont donc suscep- tibles de parcourir de longues distances rapidement.

Aujourd'hui des méthodes performantes mettant en œuvre des traceurs radioactifs permettent un examen très approfondi de ces problèmes économiques et écologiques dont il est de plus en plus impossible de s'affranchir.

Conclusions générales

Les modèles mathématiques sont très attractifs mais ils ne sont pas encore adaptés en raison de l'actuelle insuffisance des connaissances sur les processus hydrosédimentaires et physicochimiques qui accompagnent les travaux de draga- ge. Les techniques nucléaires convenablement utilisées et associées aux méthodes conventionnelles permettent aujourd'hui de réduire fortement les dépenses et de limiter les effets nocifs des dragages sur l'environnement.

Ces notables progrès réalisés dans le domaine maritime sont aisément transposables sur les plans pratiques et théo- riques au vaste problème de l'environnement des retenues de barrage pour lesquelles les recherches restent actuelle- ment très modestes alors que les conséquences économi- ques et écologiques sont également considérables.

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314

Références

[1] MIGNIOT C. - Tassement et rhéologie des vases. La Houille Blanche1/1989, pp. II à 29; 2/1989, pp.95 à Ill.

[2] DE MEYERc.P., MALHERBE B. - Optimisation of mainte- nance dredging operation in maritime and estuarine areas.

TERRA et AQUA nO 35, décembre 1987, pp. 25à 40.

[3] BROSSARD c., CAILLOT A., GALLENE 8., GRANBOULAN J., MIG lOTc., MONADIER P. - Sécurité de la navigation dans les chenaux envasésCongrès mondial Association internationale des ports et chenaux navigables. Osaka, 1989, section SI1.1 , pp. 23à 28.

[4] BROSSARDc., GALLENE B., HELARDJ.-P., LANNUZEL G. - Technical improvements and maintenance economics for the maritime channels in the Loire estuary.

[5] CAILLOT A., MEYER G., CHAMBELLAN D., TANGUY J.-c. - A new nuclear density gauge to measure directly high turbidities in muddy areas.

[6] MEYER G., CHAMBELLA D., CAILLOT A., MIGNIOT C. - Utilisation des jauges nucléaires de densité pour étudier et mesurer au laboratoire et in situ la formation et la concen- tration des dépôts de vase.Symposium Isotope Hydrology 1983 (12-16 sep!.). Vienne - AlEA, pp. 741 à 752 IAEA SM6 270178.

[7] CAILLOT A., MEYER G. - Des jauges nucléaires pour amélio- rer la gestion des dr,!gages d'entretien dans les ouvrages portuaires envasés. Solid-liquid j/ow. vol. 2.

[8] CAILLOT A. - Bed load transport. Guide book on nuclear techniques in hydrology. Edition 1983, pp. 103à 128.

[9] TOLA F.,CAILLOT A., COURTOIS G. - Study of the evolution of dredged materials discharges by means of radioactive tracers.Coastal Engineering 1984(3-7 sep!.). Houston, Texas, vol.Il, pp. 2042 à 2062.

[10] MALHERBE B. - A case study of dumping of dredged material in open areas international seminar on the environmental aspects of dredging activities. Nantes, nov.-déc. 1989, 70 pages.

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