La phylogénie mythologique est-elle compatible avec l'analyse structurale?
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(2) ALL RIGHTS RESERVED - TOUS DROITS RÉSERVÉS linguistiques empêcheraient plus sûrement le passage des artefacts folkloriques que celui des gènes (Ross et al., 2013), ce qui rend une automigration sans qu’il y ait déplacement de population (Krohn, 1922 : 21) moins probable que l’inverse. Une observation attentive des arbres permet de répondre à la seconde question : les mythes évoluent par à-coup, alternant des périodes de forte évolution (ponctuations), lorsque deux versions divergent l’une de l’autre, et de longues périodes d’immobilisme où le récit se conserve sans changement majeur (stases) (d’Huy 2012e ; 2013a, c). Cet « équilibre ponctué » (Gould & Eldredge, 1977) permet également d’expliquer pourquoi certains arbres, créés grâce à un programme d’inférences bayésiennes, présentent, à certains nœuds, plus de deux branches divergentes (d’Huy, 2012e, ; si une version-mère, en 2013a) période de stase, engendre de nombreuses versions-filles lors d’une ponctuation, ces versions-filles seront seulement constituées des caractères ancestraux hérités de la version-mère ainsi que des caractères dérivés qui leur sont propres ; l’ordre exact dans lequel les versions-filles se sont différenciées les unes des autres ne peut alors pas être établi, ce qui conduit le logiciel à les mettre sur un pied d’égalité (d’Huy, 2013c). Certains outils, développées par les biologistes, rendent également possible de répondre à la troisième question, car ils permettent de calculer la probabilité qu’a chaque mythème d’exister à chaque nœud de l’arbre, jusqu’au premier nœud : nous avons ainsi pu reconstruire le proto-mythe de Pygmalion suivant : « Un homme sculpte une image de femme dans un tronc d’arbre ; celleci est habillée et perçue comme vivante par une seconde personne ; elle prend alors vie grâce à un dernier intervenant et au moins l’un des hommes tombe amoureux d’elle » (d’Huy, 2013b). En changeant radicalement les mythèmes sur lesquels on s’appuie, on obtient cet autre résumé, non contradictoire (d’Huy, soumis) : « Une femme est sculptée dans un tronc d’arbre par un homme afin de meubler sa solitude. Le dieu donne vie à l’image qui se transforme en une belle jeune femme. Elle devient la femme de son créateur, bien. 256. SAHARA 24/2013. qu’un autre individu souhaite qu’elle devienne également sa compagne. » Dans cette seconde reconstruction, plus précise que la première, les mythèmes : « Un homme qui n’est pas celui qui a réalisé la sculpture, habille l’ouvrage » et « On demande à un dieu d’animer la sculpture » ont entre 50 et 75 % de chance d’avoir appartenu au prototype. Cette version remonterait à plus de 3000 ans et aurait trouvé naissance au Sahara (d’Huy, 2012a, 2013b). Par ailleurs, elle est très similaire à un mythe kabyle recueilli dans la première moitié du XXe siècle (Frobenius, 1997 : 132133), dont la grande ancienneté a été démontrée par d’autres travaux (d’Huy, 2011). L’usage d’outils phylogénétiques permet de reconstruire les divers changements affectant un mythème à travers le temps, et, en généralisant cette démarche à l’ensemble des mythèmes, d’observer l’évolution d’un mythe sous l’effet d’influences réelles et quantifiables. Phylogénie mythologique et structuralisme ne s’opposent donc ! D’ailleurs, pas, tout au contraire Claude Lévi-Strauss, grand lecteur de Scientific American, Science et Nature (Lévi-Strauss, 1988 : 156), n’aurait sans doute pas renié cette approche des mythes, lui qui, rendant compte de la Classification phylogénétique du vivant écrite par Guillaume Lecointe et Hervé Le Guyader, invitait déjà l’ethnologue chercher des enseignements à « peut-être, des stimulations certainement, auprès de disciplines qui travaillent sur les mêmes problèmes à une échelle incomparablement plus grande et avec des méthodes plus rigoureuses » (2002 : 311).1 L’auteur remercie Jean-Loïc Le Quellec pour sa relecture attentive d’une première version du texte. 1. Notons toutefois que cette méthode possède actuellement des limites, notamment dans la prise en compte des inversions lévistraussiennes, limites dont il ne faut cependant pas exagérer le caractère indépassable.. Références Dubuisson D., 2008. Mythologies du XXe siècle : Dumézil, LéviStrauss, Eliade. 2e édition, revue et augmentée. Villeneuve d’Ascq : Septentrion, 349 p.. www.saharajournal.com. Frobenius L., 1997. Contes Kabyles recueillis par Leo Frobenius, t. III: le Fabuleux. trad. M. Fetta. Aix-en-Provence : Edisud, 222 p. d’Huy J., 2011. Le mythe ovidien de Pygmalion trouverait l’une de ses origines dans la Berbérie préhistorique. Les Cahiers de l’AARS, 15 : 19-26. d’Huy J., 2012a. Le motif de Pygmalion : origine afrasienne et diffusion en Afrique. Sahara, 23 : 49-58. d’Huy J., 2012b. Un ours dans les étoiles : recherche phylogénétique sur un mythe préhistorique. Préhistoire du Sud-Ouest, 20 : 91-106. d’Huy J., 2012c. Mythes, langues et génétique. Mythologie française, 247 : 25-26. d’Huy J., 2012d. Le conte-type de Polyphème : essai de reconstitution phylogénetique. Mythologie française, 248 : 47-59. d’Huy J., 2012e. A big camel in the Berber sky. Les Cahiers de l’AARS, 16, à paraître. d’Huy J., 2013a. Polyphemus (Aa. Th. 1137): a phylogenetic reconstruction of a prehistoric tale. Nouvelle Mythologie Comparée / New Comparative Mythology 1; consultable en ligne: http://nouvellemythologiecomparee.hautetfort.com. d’Huy J., 2013b. A phylogenetic approach of mythology and its archaeological consequences. Rock Art Research, 30(1): 115-118. d’Huy J., 2013c. Les mythes évolueraient par équilibre ponctué. Mythologie française, 252, à paraître. Gould S.J. and N. Eldredge, 1977. Punctuated equilibria : the tempo and mode of evolution reconsidered. Paleobiology, 3(2) : 115-151. Krohn K., 1922. Skandinavisk Mythologi. Helsingfors : Schildt, 229 p. Lévi-Strauss C., 1958. Anthropologie structurale. Paris: Plon, 452 p. Lévi-Strauss C., 1971. Mythologique 4. L’Homme nu. Paris : Plon, 688 p. Lévi-Strauss C., 2002. CR : Guillaume Lecointe & Hervé Le Guyader, Classification phylogénétique du vivant. L’Homme, 162 : 309-312. Lévi-Strauss C. et D. Eribon, 1988. De Près et de Loin. Paris : Odile Jacob, 254 p. Ross R.M., S.J. Greenhill and Q.D. Atkinson, 2013. Population structure and cultural geography of a folktale in Europe. Proceedings of the Royal Society B, 280 (1756). Sydow C.W. (von), 1948. Selected Papers on Folklore, published on the Occasion of his 70th Birthday. Copenhaguen : Rosenkilde und Bagger, 257 p..
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