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La phylogénie mythologique est-elle compatible avec l'analyse structurale?

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Academic year: 2021

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(1)ALL RIGHTS RESERVED - TOUS DROITS RÉSERVÉS. Dibattiti. Débats. Debates. La phylogénie mythologique est-elle compatible avec l’analyse structurale ? Julien d’Huy. Suite à la publication dans ces colonnes d’un article portant sur l’emploi de la phénétique pour analyser un corpus mythologique, plusieurs correspondants m'ont reproché de rapprocher trop naïvement mythes et gènes, me conseillant de me rabattre sur des méthodes plus usitées en mythologie comparée, tel le structuralisme (ce que j'ai également fait dans ce même article). Mais analyses classiques et analyses phylogénétiques des mythes sont-elles véritablement incompatibles ? Carl von Sydow (1948) ne considérait-il pas les contes comme des êtres vivants, dont il fallait étudier la « biologie », les processus de formation, les variations, les déclins et les renaissances, de la même façon que les biologistes étudient aujourd’hui l’histoire des êtres vivants ? Je montrerai d’abord que de nombreux postulats du structuralisme autorisent l’utilisation de la phylogénétique pour traiter les mythes, puisque l’emploi de cette dernière permet de répondre à des questions restées jusqu’alors sans réponse évidente. Claude Lévi-Strauss, maître à penser du structuralisme, note que seuls des changements discrets (au sens mathématique du terme) peuvent être apportés aux mythes lorsque ceux-ci sont transformés (Lévi-Strauss, 1971 : 604), ces changements discrets se manifestant sous la forme de modifica-. tions de mythèmes, « grosses unités constitutives » (Lévi-Strauss, 1958: 233) prenant la forme de phrases extrêmement brèves. Le même auteur remarque également, dans sa conclusion aux Mythologiques, que langage articulé et code génétique constituent « un ensemble fini d’unités discrètes, bases chimiques ou phonèmes, elles-mêmes dépourvues de signification mais qui, diversement combinées en unités de rang supérieur – mots du langage ou triplets de nucléotides – spécifient qui un sens, qui une substance chimique déterminée » (1971 : 612). En suivant la logique structurale, il serait logique de déduire que langage, code génétique et mythes sont des systèmes de réplication, se transmettant d’une génération à l’autre, basés sur des unités discrètes héritables : les quatre nucléotides dans le cas des gènes, les phonèmes pour le langage, les mythèmes dans le cas des récits mythiques. Si cette propriété n’existait pas, aucun système ne saurait se répliquer fidèlement, des parents aux descendants (gène) ou d’une génération à l’autre (langage/mythe), ce qui causerait leur rapide disparition. Dans l’analyse structurale, l’atomisation des mythes permet de mesurer les changements opérés de version en version, que ce soit à l’intérieur du groupe tribal ou de peuple à peuple ; certains mythèmes s’altèrent, d’autres. www.saharajournal.com. tombent, d’autres encore les remplacent (Lévi-Strauss, 1971 : 603604). Mais ces altérations successives préservent le caractère de groupe et, comme le remarque Daniel Dubuisson, les mythèmes initiaux ne sont jamais tous transformés (2008 : 155). L’atomisation d’un mythe et la transformation progressive de ses mythèmes le rapprochent des êtres vivants et des règles présidant à leurs destinés, permettant d’appliquer logiquement, à l’ensemble de ses versions, des outils phylogénétiques. Mieux encore, la phylogénie mythologique permet de répondre à certaines questions posées par l’analyse structurale. Ainsi, les processus de transformation correspondent-ils à un déplacement réel, historiquement attesté ou s’agit-il d’une combinatoire abstraite qui, à partir d’un mythe unique, aurait engendré toutes les variantes possibles parmi lesquelles chaque tribu n’aurait plus qu’à choisir sa version (Dubuisson, 2008 : 153) ? Comment les mythes divergent-ils ? La recherche de la version originelle est-elle nécessairement une quête vaine et métaphysique ? À la première question, la phylogénétique répond en faveur de l’hypothèse diffusionniste, puisque l’organisation des arbres obtenus à partir de plusieurs corpus semble suivre une progression géographique (d’Huy, 2012a, b, c, e ; 2013 a, b). De plus, les barrières ethnoSAHARA 24/2013. 255.

(2) ALL RIGHTS RESERVED - TOUS DROITS RÉSERVÉS linguistiques empêcheraient plus sûrement le passage des artefacts folkloriques que celui des gènes (Ross et al., 2013), ce qui rend une automigration sans qu’il y ait déplacement de population (Krohn, 1922 : 21) moins probable que l’inverse. Une observation attentive des arbres permet de répondre à la seconde question : les mythes évoluent par à-coup, alternant des périodes de forte évolution (ponctuations), lorsque deux versions divergent l’une de l’autre, et de longues périodes d’immobilisme où le récit se conserve sans changement majeur (stases) (d’Huy 2012e ; 2013a, c). Cet « équilibre ponctué » (Gould & Eldredge, 1977) permet également d’expliquer pourquoi certains arbres, créés grâce à un programme d’inférences bayésiennes, présentent, à certains nœuds, plus de deux branches divergentes (d’Huy, 2012e, ; si une version-mère, en 2013a)  période de stase, engendre de nombreuses versions-filles lors d’une ponctuation, ces versions-filles seront seulement constituées des caractères ancestraux hérités de la version-mère ainsi que des caractères dérivés qui leur sont propres ; l’ordre exact dans lequel les versions-filles se sont différenciées les unes des autres ne peut alors pas être établi, ce qui conduit le logiciel à les mettre sur un pied d’égalité (d’Huy, 2013c). Certains outils, développées par les biologistes, rendent également possible de répondre à la troisième question, car ils permettent de calculer la probabilité qu’a chaque mythème d’exister à chaque nœud de l’arbre, jusqu’au premier nœud : nous avons ainsi pu reconstruire le proto-mythe de Pygmalion suivant : « Un homme sculpte une image de femme dans un tronc d’arbre ; celleci est habillée et perçue comme vivante par une seconde personne ; elle prend alors vie grâce à un dernier intervenant et au moins l’un des hommes tombe amoureux d’elle » (d’Huy, 2013b). En changeant radicalement les mythèmes sur lesquels on s’appuie, on obtient cet autre résumé, non contradictoire (d’Huy, soumis) : « Une femme est sculptée dans un tronc d’arbre par un homme afin de meubler sa solitude. Le dieu donne vie à l’image qui se transforme en une belle jeune femme. Elle devient la femme de son créateur, bien. 256. SAHARA 24/2013. qu’un autre individu souhaite qu’elle devienne également sa compagne. » Dans cette seconde reconstruction, plus précise que la première, les mythèmes : « Un homme qui n’est pas celui qui a réalisé la sculpture, habille l’ouvrage » et « On demande à un dieu d’animer la sculpture » ont entre 50 et 75 % de chance d’avoir appartenu au prototype. Cette version remonterait à plus de 3000 ans et aurait trouvé naissance au Sahara (d’Huy, 2012a, 2013b). Par ailleurs, elle est très similaire à un mythe kabyle recueilli dans la première moitié du XXe siècle (Frobenius, 1997 : 132133), dont la grande ancienneté a été démontrée par d’autres travaux (d’Huy, 2011). L’usage d’outils phylogénétiques permet de reconstruire les divers changements affectant un mythème à travers le temps, et, en généralisant cette démarche à l’ensemble des mythèmes, d’observer l’évolution d’un mythe sous l’effet d’influences réelles et quantifiables. Phylogénie mythologique et structuralisme ne s’opposent donc ! D’ailleurs, pas, tout au contraire  Claude Lévi-Strauss, grand lecteur de Scientific American, Science et Nature (Lévi-Strauss, 1988 : 156), n’aurait sans doute pas renié cette approche des mythes, lui qui, rendant compte de la Classification phylogénétique du vivant écrite par Guillaume Lecointe et Hervé Le Guyader, invitait déjà l’ethnologue chercher des enseignements à « peut-être, des stimulations certainement, auprès de disciplines qui travaillent sur les mêmes problèmes à une échelle incomparablement plus grande et avec des méthodes plus rigoureuses » (2002 : 311).1 L’auteur remercie Jean-Loïc Le Quellec pour sa relecture attentive d’une première version du texte. 1. Notons toutefois que cette méthode possède actuellement des limites, notamment dans la prise en compte des inversions lévistraussiennes, limites dont il ne faut cependant pas exagérer le caractère indépassable.. Références Dubuisson D., 2008. Mythologies du XXe siècle : Dumézil, LéviStrauss, Eliade. 2e édition, revue et augmentée. Villeneuve d’Ascq : Septentrion, 349 p.. www.saharajournal.com. Frobenius L., 1997. Contes Kabyles recueillis par Leo Frobenius, t. III: le Fabuleux. trad. M. Fetta. Aix-en-Provence : Edisud, 222 p. d’Huy J., 2011. Le mythe ovidien de Pygmalion trouverait l’une de ses origines dans la Berbérie préhistorique. Les Cahiers de l’AARS, 15 : 19-26. d’Huy J., 2012a. Le motif de Pygmalion : origine afrasienne et diffusion en Afrique. Sahara, 23 : 49-58. d’Huy J., 2012b. Un ours dans les étoiles : recherche phylogénétique sur un mythe préhistorique. Préhistoire du Sud-Ouest, 20 : 91-106. d’Huy J., 2012c. Mythes, langues et génétique. Mythologie française, 247 : 25-26. d’Huy J., 2012d. Le conte-type de Polyphème : essai de reconstitution phylogénetique. Mythologie française, 248 : 47-59. d’Huy J., 2012e. A big camel in the Berber sky. Les Cahiers de l’AARS, 16, à paraître. d’Huy J., 2013a. Polyphemus (Aa. Th. 1137): a phylogenetic reconstruction of a prehistoric tale. Nouvelle Mythologie Comparée / New Comparative Mythology 1; consultable en ligne: http://nouvellemythologiecomparee.hautetfort.com. d’Huy J., 2013b. A phylogenetic approach of mythology and its archaeological consequences. Rock Art Research, 30(1): 115-118. d’Huy J., 2013c. Les mythes évolueraient par équilibre ponctué. Mythologie française, 252, à paraître. Gould S.J. and N. Eldredge, 1977. Punctuated equilibria : the tempo and mode of evolution reconsidered. Paleobiology, 3(2) : 115-151. Krohn K., 1922. Skandinavisk Mythologi. Helsingfors : Schildt, 229 p. Lévi-Strauss C., 1958. Anthropologie structurale. Paris: Plon, 452 p. Lévi-Strauss C., 1971. Mythologique 4. L’Homme nu. Paris : Plon, 688 p. Lévi-Strauss C., 2002. CR : Guillaume Lecointe & Hervé Le Guyader, Classification phylogénétique du vivant. L’Homme, 162 : 309-312. Lévi-Strauss C. et D. Eribon, 1988. De Près et de Loin. Paris : Odile Jacob, 254 p. Ross R.M., S.J. Greenhill and Q.D. Atkinson, 2013. Population structure and cultural geography of a folktale in Europe. Proceedings of the Royal Society B, 280 (1756). Sydow C.W. (von), 1948. Selected Papers on Folklore, published on the Occasion of his 70th Birthday. Copenhaguen : Rosenkilde und Bagger, 257 p..

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