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Que faire des fortifications? : les débats à Québec durant les années 1870

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Que faire des fortifications ?

Les débats à Québec durant les années 1870

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Histoire

pour l’obtention du grade de Maître ès arts (MA)

DÉPARTEMENT D’HISTOIRE FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2013

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Résumé

L’Arrondissement historique du Vieux-Québec présente un des rares et des plus précoces exemples de conservation historique d’un patrimoine urbain en Amérique du Nord. Seule ville à avoir conservé ses fortifications, Québec figure à ce titre sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. La question de la conservation ou du démantèlement des remparts opposa toutefois, au cours des années 1870-80, deux groupes d’opinions distincts ; celui des progressistes, largement dominant, qui percevait la disparition des fortifications comme essentiel à l’évolution « normale » de la ville ; et celui des romantiques qui cherchait tant bien que mal à faire valoir que la disparition de ces repères historiques causerait la perte d’un riche et irremplaçable patrimoine. Ce fut finalement l’intervention du gouverneur général du Canada, Lord Dufferin, qui, par l’entremise d’un compromis entre modernité et conservation, mit un frein aux entreprises de démantèlement déjà entamées et assura la pérennité des fortifications. Connu sous le nom de Dufferin improvements, le plan urbanistique alors imaginé servit également d’échappatoire au Conseil de ville, soulageant ce dernier d’une partie des coûts associés à de tels travaux et lui permettant d’éviter l’épineuse question des titres de propriété. Ce mémoire cherche à mettre en lumière les tenants et aboutissants de cette confrontation idéologique à travers le rappel des évènements et l’analyse détaillée des arguments véhiculés au cours de cette importante page d’histoire de la ville de Québec.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ...I

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I : CONTEXTE HISTORIQUE ... 12

I.IÉVOLUTION DU SYSTÈME DÉFENSIF DE LA VILLE ... 12

I.IIÉVOLUTION DU SYSTÈME ADMINISTRATIF DE LA VILLE ... 20

I.IIILE XIXE SIÈCLE : GRANDEUR ET DÉCLIN ... 25

I.IVREPENSER LES VILLES AU XIXE SIÈCLE ... 33

CONCLUSION DE CHAPITRE ... 45

CHAPITRE II : LE DISCOURS PROGRESSISTE ET LE DÉMANTÈLEMENT DES FORTIFICATIONS ... 46

II.ILES ÉVÈNEMENTS DE LA PÉRIODE DESTRUCTIVE (1871-1875) ... 48

II.IILE DISCOURS POUR LE DÉMANTÈLEMENT DES FORTIFICATIONS ... 56

II.IIIL’ARGUMENTATION PROGRESSISTE ... 65

II.III.I L’argument d’inutilité : l’ancien doit faire place au moderne ... 65

II.III.II L’argument de l’amélioration de la circulation : décloisonner le centre-ville ... 69

II.III.III L’argument de l’embellissement de la ville : stimuler l’industrie touristique ... 76

CONCLUSION DE CHAPITRE ... 80

CHAPITRE III : LE DISCOURS ROMANTIQUE ET LA RESTAURATION DES FORTIFICATIONS ... 82

III.I LES ÉVÈNEMENTS DE LA PÉRIODE DE PRÉSENTATION DU PLAN DUFFERIN (1875-1878) ... 86

III.IILE DISCOURS CONTRE LA DÉMOLITION DES FORTIFICATIONS ... 104

III.IIIL’ARGUMENTATION ROMANTIQUE ... 105

III.III.I L’argument touristique : la ville des étrangers... 105

III.III.II L’argument moral : le devoir de mémoire ... 118

CONCLUSION DE CHAPITRE ... 129

CONCLUSION ... 131

BIBLIOGRAPHIE ... 146

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Illustrations

Image no. 1. La ville de Québec, depuis le Marché Finlay (vers 1870) ……….p. 11 Image no. 2. Carte de Québec par Chaussegros de Léry (1722) ………...…p. 14 Image no. 3. La Basse-Ville de Québec et le London Coffee House (vers 1865) …….……….p. 26 Image no. 4. Proposition pour le percement de Regent Street (Londres, 1812) ……….…p. 36 Image no. 5. Le Parlement canadien original (vers 1870) …….……...………. p. 41 Image no. 6. La porte Prescott (1860) ………....p. 51 Image no. 7. La porte Hope, ou porte de la Canoterie (1871) …….………...p. 52 Image no. 8. La porte Saint-Louis (première moitié du XIXe siècle) …….………..….p. 53 Image no. 9. La porte Prescott (vers 1840) ………p. 55 Image no. 10. Les démolitions à Québec - la porte Saint-Jean …….……….…………...p. 54 Image no. 11. La porte Saint-Jean (vers 1860) ………..………p. 70 Image no. 12. La porte Saint-Jean (1867) …….………..………...p. 70 Image no. 13. La porte Hope vue de l’intérieur des remparts (1870) …….……….…….…….p. 72 Image no. 14. La place du marché de la Haute-Ville (1830) ……….p. 75 Image no. 15. La Terrasse Durham (avant 1879) ……….….p. 79 Image no. 16. Le Belfast Castle (Irlande).………..p. 91 Image no. 17. Spécial de Noël du Morning Chronicle (1875) …….……….……… p. 99 Image no. 18. Le marché Montcalm,(vers 1915) …….………...………....………...p. 132 Image no. 19. The ancient Capital with Railway, Harbour, Dufferin and other Improvements ...…….p. 137

Tableaux

Tableau no. 1. Répartition de la population selon les quartiers, 1842-1871 ….……….…………..p. 18 Tableau no. 2. Structure administrative municipale Ville de Québec, 1865-1929 ………..………...p. 24 Tableau no. 3. Valeur annuelle moyenne des exportations chargées à Québec et à Montréal,

par périodes de cinq ans, 1841-1880 …….…………..……….…….………....p. 28 Tableau no. 4. Importance numérique de la garnison de Québec, de 1760 à 1871,

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INTRODUCTION

« Fondée par l’explorateur français Champlain au début du XVIIe siècle, Québec demeure la seule ville d’Amérique du Nord à avoir conservé ses remparts qui regroupent de nombreux bastions, portes et ouvrages défensifs ceinturant toujours le Vieux-Québec. La Haute-Ville, située au sommet de la falaise, centre religieux et administratif, avec ses églises, ses couvents et autres monuments comme la redoute Dauphine, la Citadelle et le Château Frontenac, et la Basse-Ville, avec ses quartiers anciens, forment un ensemble urbain qui est un des meilleurs exemples de ville coloniale fortifiée. » UNESCO1

Peu de villes nord-américaines possèdent autant d’attraits touristiques que la ville de Québec qui, grâce à son panorama enchanteur, son caractère historique ainsi qu’aux services qui y sont offerts, se classe régulièrement parmi les meilleures destinations voyage de la planète. Québec, destination touristique d’Amérique du Nord parmi les plus réputée, a véritablement tout pour séduire ses visiteurs.

Comment expliquer ce succès que rencontre, année après année, la cité de Champlain ? La ville présente tant de particularités, qu’il s’avère difficile d’identifier ce qui la rend si populaire auprès des étrangers. La beauté du site et le panorama grandiose que nous offrent ses hauteurs y sont probablement pour beaucoup. La culture « française » de ses résidents constitue sans doute un agréable dépaysement. Ses vieux quartiers, son architecture unique, son cachet « européen » avec ses rues étroites et tortueuses, ne manquent certainement pas de charme. Non plus que son aménagement, visiblement conçu pour la mettre en valeur et permettre aux visiteurs d’en découvrir les attraits. Mais, évidemment, ce qui distingue avant tout Québec de ses consœurs, ce sont ses remparts et sa citadelle qui lui confèrent le titre d’unique ville fortifiée au nord du

1 Arrondissement historique du Vieux-Québec, Unesco, [en ligne] http://whc.unesco.org/fr/list/300 (page

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Mexique. Car Québec est, de toutes les agglomérations d’Amérique du Nord, la seule à avoir conservé son enceinte.

La majorité des étrangers quittent généralement la ville sans avoir véritablement pris conscience de l’étrangeté de retrouver de telles fortifications en plein cœur d’une ville qui, à l’instar de toutes les agglomérations du continent, connut l’industrialisation et l’apparition de l’automobile au cours des XIXe et XXe siècles. À l’évidence, la préservation des remparts ne s’inscrit pas dans le cadre de l’évolution « normale » que connurent la majorité des villes américaines. En fait, le sort de l’enceinte de la ville de Québec fut l’objet de débats importants, entourant sa démolition ou sa conservation, au cours du XIXe siècle et, n’eut été d’un improbable revirement de situation, les remparts pourraient bien ne plus faire partie du paysage. En tel cas, Québec ne figurerait peut-être pas aujourd’hui sur la liste des villes du Patrimoine mondial de l’Unesco.

En effet, dans les années 1870, les autorités municipales de la ville songèrent sérieusement à détruire les fortifications, comme cela se faisait d’ailleurs dans la plupart des villes fortifiée à l’époque, comme Paris ou Vienne. Mais, malgré que furent entrepris certains travaux à cet effet, le projet fut finalement abandonné. Bien que des modifications importantes vinrent alors transformer l’enceinte, l’essentiel de l’ouvrage subsista et connut même des opérations de restauration visant à la mettre en valeur.

L’arrondissement historique du Vieux Québec présente d’ailleurs à cet effet « un exemple précoce de conservation du patrimoine urbain » et c’est grâce à « l’action de Lord Dufferin qui, en 1875-1880, s’opposa à la démolition des fortifications, devenues stratégiquement inutiles » que celles-ci sont toujours debout2.

En fait, l’histoire du développement urbain de la ville de Québec semble se rapprocher davantage de l’évolution de certaines cités européennes revitalisées à la même époque, comme Bruges ou Carcassonne, qu’à celle que connurent alors la majorité des villes Nord Américaines. Québec fait d’ailleurs ici figure d’exception sur le continent.

2 Arrondissement historique du Vieux-Québec : Évaluation des Organisations consultatives, Unesco, Paris,

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Comment, pourquoi et sur la base de quelles réflexions les décideurs de l’époque en sont-ils venus à investir des sommes importantes afin de mettre en valeur le système défensif désuet de la ville de Québec ? Voilà ce qui constitue l’objet principal de cette réflexion.

Par ailleurs, le promeneur attentif, une fois les premières impressions dissipées, ne pourra que s’interroger sur les nombreux anachronismes qui caractérisent le décor de la ville. Car, si la trame et l’aménagement général du centre ville datent effectivement du régime français, la majorité des édifices qu’on y retrouve renvoie plutôt à l’esthétisme britannique néo-gothique (Gothic Revival) du XIXe siècle. Mais d’où provient donc ce mélange de styles, cet amalgame unique de symboles historisants renvoyant tantôt au Moyen-âge, tantôt à la Nouvelle-France et, le plus souvent, à l’Empire britannique victorien ? Tant de questions ne peuvent que susciter l’intérêt du chercheur. Cette recherche permettra au lecteur d’en apprendre davantage à ce sujet car, si son objet principal se veut les fortifications, nous verrons que leur conservation eut une influence majeure sur l’ensemble de ce secteur, principalement au niveau de l’esthétisme.

Problématique et contexte

Ce mémoire porte donc précisément sur les débats qui ont entouré l’avenir des murs de défense de la ville de Québec dans les années 1870. Il vise à cerner les principaux courants de pensée alors en jeu ; les différents intervenants ; les raisons pour lesquelles les remparts subsistèrent et les accommodements que cette conservation nécessita.

En ce qui a trait au contexte, l’Histoire nous apprend que Québec, qui avait depuis sa fondation bénéficié de son statut de capitale et de son rôle de ville portuaire pour figurer parmi les agglomérations prospères du continent, connut à partir des années 1860 un grave déclin commercial, déclin que vint aggraver la perte de son titre de capitale du Dominion, qui passa aux mains d’Ottawa en 1857. La seconde moitié du XIXe siècle s’annonce donc pour le moins difficile pour la ville qui, si rien n’est entrepris pour en assurer la relance, menace de s’enliser davantage. C’est donc dans un état d’esprit appelant à l’action que, pour la première fois, ses citoyens entrevoient la possibilité de réaménager le vaste et central espace occupé par l’enceinte municipale, alors délaissé par

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les autorités britanniques. Si, initialement, la population se montra favorable à la disparition de ces gênantes et désuètes fortifications, l’intervention énergique du gouverneur général d’alors, Lord Dufferin, en 1875, permit à la ville de conserver les remparts qui aujourd’hui la caractérisent. Cette entreprise constitue en fait la pierre angulaire d’un vaste et original projet de développement urbain, connu sous le nom de

Dufferin Improvements, élaboré au cours des années 1870 et sur lequel s’appuieront plus

tard la grande majorité des opérations d’embellissement du secteur.

Historiographie

Les recherches à ce sujet, si elles ne sont ni particulièrement nombreuses, ni très récentes, ont par contre bien circonscrit le contexte particulier de cette intéressante page d’histoire de la ville de Québec. Au moins trois textes fondamentaux méritent ici d’être mentionnés.

a) Le départ de la garnison britannique de Québec en 1872 et le sort des fortifications

de 1871 à 1884, vus à travers les journaux : réalisé par l’historien Christian RIOUX en

1974, pour le compte de la Direction des parcs et des lieux historiques nationaux de Parcs Canada, il s’agit d’une étude fort détaillée du discours véhiculé par la presse locale en ce qui a trait à l’avenir des fortifications. Ce texte d’une soixantaine de pages, comme son nom l’indique, est le fruit d’une vaste analyse des sources journalistiques de cette période. Il permet entre autres de prendre la mesure du remarquable revirement de l’opinion publique, initialement en faveur de la démolition des remparts, qui s’opéra à Québec à partir du milieu des années 1870.

b) Les projets d’embellissements de la ville de Québec proposés par Lord Dufferin en

1875, de l’historien de l’art Achille MURPHY, paru à l’automne 1974 dans The Journal of Canadian Art History, se penche pour sa part sur l’aspect stylistique des Dufferin Improvements, et, plus précisément, sur ses influences néo-gothiques et victoriennes.

c) Une troisième étude, réalisée sous les auspices de Parcs Canada et produite quelques années plus tard « à l’occasion de la conférence des Sociétés Savantes » tenue à Québec

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(mai-juin 1976) par l’historien Marc LAFRANCE, vient quant à elle traiter du plan Dufferin sous l’angle plus général de sa signification et de son impact sur le développement futur de la ville de Québec. Intitulée Le Projet Dufferin : la conservation

d’un monument historique à Québec au XIXe siècle, cette analyse d’une dizaine de pages

incorpore en fait la majorité des informations produites par RIOUX et MURPHY, mais dans une optique plus large, mettant l’accent sur l’influence déterminante qu’eut le gouverneur général du Canada de l’époque, Lord Dufferin (1826-1902), ainsi que sur la nature romantique de son projet de restauration.

Motivations et hypothèse

Bien que plusieurs ouvrages généraux et articles divers reprirent par la suite les grandes lignes de ces études, comme ce fut le cas à l’intérieur de l’excellente biographie

Charles Baillairgé Architect & Engineer (1989) de l’historienne de l’art et de

l’architecture Christina CAMERON, il nous apparaît que l’essentiel des connaissances à ce sujet fut produit au cours des années 1970. Peu de recherches poussées quant au déroulement de ce débat furent vraisemblablement entreprises depuis, ce qui constitue d’ailleurs une des motivations à la base de la rédaction suivante. Cette discussion propose d’une part de rappeler les grandes lignes de cette période charnière du développement urbanistique de la ville de Québec, mais aussi de renouveler l’intérêt en proposant un éclairage quelque peu différent sur les évènements survenus au cours de cette période. Sa principale nouveauté, d’un point de vue historiographique, est de présenter le volet mal défini du discours en faveur de la disparition des fortifications. Car, si de nombreux auteurs se sont intéressés à cette période de l’histoire de Québec, peu d’entre eux ont effectivement pris soin d’analyser en profondeur l’argumentaire de ceux qui désiraient la disparition des remparts. Cette omission, qui s’explique sans doute par l’enthousiasme que suscite naturellement chez les historiens les opérations de conservation historique alors entreprises, n’est toutefois pas sans conséquences. Du peu d’intérêt qu’on porta ainsi au point de vue de « ceux à qui l’Histoire donna tort », découle en effet l’impression erronée d’une confrontation stérile opposant, d’une part, de visionnaires restaurateurs mus par de nobles sentiments et, d’autres part, de vulgaires démolisseurs sans autres motivations que celle de s’accaparer à des fins spéculatives de

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l’espace occupé par l’enceinte. Par exemple, la perception selon laquelle Lord Dufferin serait à lui seul responsable de la transformation du concept d’améliorations urbaines (urban “improvements”) en celui d’embellissements urbains (urban “embellishments”), telle que véhiculée à l’intérieur de certaines études, résulte selon nous de ce déficit d’intérêt envers l’autre volet du discours entourant le sort des fortifications. L’analyse qui suit nous démontrera qu’en réalité, l’influence des projets soutenus par les partisans de la démolition des fortifications eurent un impact fondamental, peut-être même supérieur que celui du discours en faveur de leur conservation, tant sur le plan de la portée que sur celui de la forme que prirent les projets de conservation entrepris à Québec. Loin de vouloir retirer à Lord Dufferin l’immense crédit qui lui revient, nous croyons toutefois qu’il importe de se rappeler qu’on ne peut résumer le récurent débat « opposant » modernisation et conservation en une simple opposition entre « bons » et « méchants ». Comme l’ont souligné tous les historiens à s’être penché sur la question, les opérations de mise en valeur de l’histoire à Québec sont le résultat d’un compromis entre deux visions du développement de la ville. Afin de saisir la dynamique qui s’opère alors, il convient donc de tenir compte, sans parti pris, des deux points de vue qui s’affrontent alors.

Nous estimons donc que certains aspects de cette question ne peuvent que sortir grandis d’une relecture historique du débat entourant le sort qu’on entend réserver aux fortifications de la ville de Québec au cours des années 1870. Ainsi, nous chercherons ici à mettre en lumière l’influence qu’eurent les grands courants d’urbanisme du XIXe siècle à l’intérieur du « débat » quant au sort qu’on entend réserver aux fortifications. À cette fin, nous tenterons d’ajouter à l’analyse architecturale des Améliorations Dufferin, la mise en relief de l’influence des concepts d’urbanisme, en tant que science de l’aménagement des villes, concepts qui transparaissent alors à travers les différentes prises de position. Nous croyons que l’histoire du développement de la ville de Québec à la fin du XIXe siècle ne peut véritablement être comprise sans tenir compte des réalisations qui s’opèrent ailleurs en Occident, que l’on pense à l’aménagement du Central Park de New York ou encore à l’haussmannisation de Paris. Car, si la question de la restauration de l’enceinte municipale fait effectivement appel à des notions

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d’embellissement urbain et d’architecture, on ne saurait faire fi des questions de l’amélioration de la circulation et d’occupation du territoire qu’elle mettait également en jeu à l’époque.

Enfin, nous chercherons à pousser de l’avant l’analyse du contenu des discours sur le sort qu’on entend réserver à l’enceinte municipale au cours des années 1870. Un peu comme le réalisa auparavant Christian RIOUX, cette réflexion tentera d’exposer les sources idéologiques sur lesquelles s’appuient les opinions formulées à l’époque. À cette fin, nous élargirons quelque peu les sources consultées, ajoutant au discours journalistique certains passages de guides touristiques et de conférences, principalement pour rendre compte des arguments véhiculés par les partisans de la « conservation », alors boudés par la presse locale. Si, fondamentalement, il ne s’agit là que de la reformulation des grandes lignes des études précédentes, nous croyons être en mesure de dégager certaines caractéristiques essentielles à la compréhension de cette importante page d’histoire de la ville de Québec.

En guise d’hypothèse, nous tenterons donc de confirmer que Lord Dufferin, alors gouverneur général du Canada, réussit à infléchir la volonté des citoyens de Québec de faire table rase des fortifications afin de permettre un réaménagement urbain progressiste de la ville, réaménagement par ailleurs inspiré des grandes réalisations du XIXe siècle, en « imposant » un plan d’améliorations urbaines issu d’un compromis entre modernité et mise en valeur de l’histoire romantique du secteur. La période étudiée s’étend ici principalement des années 1871, date de départ du dernier régiment britannique à Québec et du transfert des fortifications au gouvernement canadien, à 1878, année de départ du gouverneur général du Canada et du début des réalisations du Plan Dufferin.

Les sources

Les sources étudiées dans le cadre de cette recherche sont diverses. Tout d’abord, nous avons tenté d’identifier les principaux textes sur lesquels s’appuient nos connaissances actuelles, soit ceux de RIOUX, MURPHY, LAFRANCE et, quoi qu’indirectement, de CAMERON. À l’aide de ces travaux, il nous a été possible de

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retracer bon nombre de sources premières, extraits de journaux, de conférences, correspondance et autres, que nous avons par la suite consultés et classés en fonction de la nature des arguments qu’elles véhiculent. Par ailleurs, lors de recherches personnelles axées sur le développement de l’industrie touristique au cours du XIXe siècle, nous avions préalablement sélectionné certains passages de guides touristiques sur Québec publiés au cours de cette période. Il s’agit essentiellement de recueils tirés de l’œuvre de l’historien James MacPherson-LeMoine (1825-1912), celui que CAMERON identifie comme le chef de file des opposants aux démolitions3. En ce qui à trait aux notions d’urbanisme et de restauration historique du XIXe siècle, nous avons essentiellement puisé nos connaissances à même l’essai de Michel RAGON, Histoire de l’architecture et

de l’urbanisme moderne (1991), le livre Le monde des villes au XIXe siècle (1991), de

Jean-Luc PINOL et le très pertinent ouvrage de Charles DELLHEIM, The face of the

Past : The preservation of the medieval inheritance in Victorian England (1982). Notons

ici que deux autres ouvrages méritent d’être mentionnés, non pas en regard de leur importance dans le cadre de travail, mais plutôt en fonction de leur valeur à titre d’inspiration ; Frederick Law Olmsted and the Boston park system (1982) de Cynthia ZAITZEVSKY, véritable modèle en la matière, ainsi que On Holiday: A History of

Vacationing (2002) d’Orvar LÖFGREN. Bon nombre de sources secondaires plus

générales sur l’histoire de la ville de Québec furent naturellement utilisées à dessein d’étayer l’analyse.

Plan

Le plan de cette discussion est simple mais nous semble logique, car il permet aisément d’aborder l’ensemble de la question.

 Chapitre I : contexte historique. Ce chapitre porte à la fois sur l’évolution spatiale et temporelle du système défensif de la ville de Québec, sur le développement général de la ville de Québec, sur le contexte difficile qui caractérise la période 1860-1870, ainsi que sur les grands concepts urbanistiques du XIXe siècle. Comme mentionné précédemment,

3 Christina Cameron, Charles Baillairgé : Architect and Engineer, Montréal, McGill-Quenn’s University

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nous jugeons ici primordial de retracer les étapes fondamentales de l’évolution de la ville de Québec, principalement en ce qui a trait à son développement physique, économique et administratif. Qui plus est, puisque ce mémoire cherche à souligner l’influence de différents concepts d’urbanisme du XIXe siècle à l’intérieur du discours sur le sort des fortifications, son premier chapitre se veut à la fois un résumé de l’histoire de Québec et une mise en contexte des principaux concepts urbanistiques de l’époque.

 Chapitre II : le discours progressiste pour le démantèlement des fortifications. Comme son nom l’indique, ce chapitre porte sur l’analyse du discours pour la démolition des fortifications lors de la période dite « destructive » (avant 1875). Après le rappel des évènements relatifs à la volonté de faire disparaître l’enceinte municipale, cette section s’attarde à l’analyse du discours progressiste, en fonction de ses liens avec les concepts d’urbanisme du siècle. Nous y constaterons entre autres que les partisans de la démolition, qui sont alors presque seuls en scène, sont avant tout motivés par « l’après-rempart » et que leurs projets ne suggèrent la disparition des fortifications qu’à dessein de faire connaître à la ville une modernisation similaire à celle que connurent la majorité des agglomérations urbaines au XIXe siècle.

 Chapitre III : Le discours romantique et la restauration des fortifications. Cette partie traite et analyse le discours d’opposition à la démolition lors de la période identifiée comme celle de présentation du Plan Dufferin (1875-1878). À la suite de la présentation des évènements marquants de ces années, la discussion se penchera sur la nature des arguments, touristiques et moraux, mis de l’avant par les partisans de la restauration des remparts, et plus précisément par ceux émis par l’historien James MacPherson-LeMoine et par le gouverneur général Dufferin. On y constatera, entre autres, toute l’habileté de ce dernier qui, à l’aide d’une rhétorique habile et fort de son influence, orchestra une campagne de presse (avant la lettre), résultant en un impressionnant revirement de l’opinion publique, dès lors favorable à son plan de restauration historique.

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 En fin, l’ultime partie de cette réflexion, qui se veut également sa conclusion, expose l’influence qu’eurent les réalisations et « l’esprit » des Dufferin Improvements quant au développement urbain de la ville. Nous y traiterons également, à l’intérieur des limites imposées par les sources, des possibles motifs qui entrainèrent les autorités municipales à accepter le projet de conservation du gouverneur général.

Méthodologie

Afin de réaliser cette réflexion, nous avons procédé à la récolte et l’analyse des sources secondaires mentionnées dans la section historiographie. Cette étape préliminaire nous permit entre autres de confirmer le caractère central que constitue la période 1870-1880 dans le cadre du « remodelage pittoresque » du secteur historique de la ville de Québec. Peu de villes, en effet, eurent l’opportunité de repenser l’aménagement de leur centre comme ce fut le cas à Québec à la suite du départ de la garnison britannique en 1871, départ qui laissait alors entrevoir des possibilités de réaménagement sans précédent de l’espace central de la ville. Par la suite, nous nous sommes penché sur la lecture et l’analyse des sources premières citées à l’intérieur des œuvres réalisées précédemment, et plus particulièrement des différents articles de journaux identifiés à l’intérieur de l’étude effectuée par RIOUX en ce qui a trait au discours journalistique. À la lumière de ces lectures, il nous a été possible de distinguer deux principaux groupes d’opinion, soit celui qu’on qualifie généralement de progressiste, pour le démantèlement des remparts, et celui que nous avons choisi de désigner sous l’appellation de romantique, qui s’y opposent. Un fait attira alors notre attention : contrairement à ce qu’on pourrait croire, peu de sources traitent en réalité de la démolition des fortifications en tant que telle. En fait, c’est avant tout dans le cadre de plaidoyers en faveur de la modernisation de la ville que l’on retrouve les appels à leur démantèlement, et encore, celui-ci est le plus souvent perçu comme un mal nécessaire. Ainsi nous est venue l’idée de décortiquer le discours progressiste pour la démolition des remparts afin d’isoler et d’analyser les différents arguments alors mis de l’avant. L’étude alternative de ces textes révèle que les partisans de la disparition de l’enceinte n’étaient pas, comme le suggéra Dufferin en 1874, de simples « Vandales », mais que leurs projets s’inscrivaient dans une démarche différente de la sienne. En effet, les projets alors

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formulés démontrent en réalité une volonté de modernisation tout à fait cohérente et en lien avec des concepts d’urbanisme de l’époque. Des recherches effectuées au sujet de l’histoire de l’urbanisme au XIXe siècle confirmèrent par la suite cette impression. L’idée d’analyser le discours au sujet du sort des fortifications en fonction de la nature des arguments qu’il renferme, aussi bien pour que contre la disparition des fortifications, devint ainsi le principal moteur de nos recherches.

Afin de rendre plus cohérente cette analyse qui, de prime abord, pourrait apparaître stérile, il nous est ensuite apparu essentiel de l’ancrer à même un récit chronologique rappelant les grandes étapes du développement urbain de Québec. En plus de rendre le tout plus accessible, cette perspective plus large permet au lecteur de mieux saisir le caractère exceptionnel de cette période. Nous avons ainsi convenu qu’une mise en contexte de l’histoire de l’occupation du territoire et de l’économie de la ville de Québec s’imposait. Comment, en effet, comprendre le vent de changement qui souffle alors sur la région sans tenir compte d’un ensemble de facteurs qui contribue à « rendre possible » des projets qui, autrement, pourraient apparaître comme utopiques et totalement démesurés ? Cette discussion alterne conséquemment le récit des évènements liés aux opérations d’urbanisme relatives aux fortifications, avec l’analyse des différents argumentaires pour ou contre leur démolition. Soulignons ici que pour faciliter la compréhension, nous apporterons les précisions quant à la périodisation, aux acteurs et aux concepts utilisés au début des chapitres qui les mettent principalement en cause.

Image 1. La ville de Québec, depuis le Marché Finlay, vers 1870.

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CHAPITRE I : CONTEXTE HISTORIQUE

I.I Évolution du système défensif de la ville

La ville de Québec fut fondée en 1608 par Samuel de Champlain (v.1570-1635), sous le règne du roi Henri IV (1553-1610). Premier établissement permanent de la Nouvelle-France, le choix relatif à son emplacement est le fruit d’impératifs commerciaux et militaires. Québec, « là où le fleuve se rétrécit », avec sa falaise, (le Cap-aux-Diamants), ses eaux profondes et son « havre sécuritaire »4, était dès lors appelée à jouer le rôle de porte d’entrée d’une vaste portion du Nouveau Monde. La Conquête de 1759, par ailleurs, ne modifia pas réellement la nature commerciale et portuaire de la ville, si ce n’est qu’aux cargaisons de pelleteries françaises se substituèrent celles de bois, destinées au marché britannique.

La période française

Ce sont avant tout les avantages géographiques qui firent de l’établissement français l’une des villes nord-américaines des plus choyées au cours du XVIIe. L’exportation de matières premières en direction des marchés européens constitue alors l’essentiel du commerce entre l’ancien et le Nouveau Monde, Québec, en tant que comptoir d’échange et de point stratégique, connut des débuts plus que prometteurs.

Une telle position de force impose un système défensif à la hauteur des convoitises qu’elle engendre, d’abord chez les marchands hollandais et anglais, puis, dès la fin du XVIIe, chez le puissant rival colonial de la France, l’Angleterre. Québec, dès ses débuts, est ainsi appelée à se fortifier.

4 André Charbonneau, « Québec et la perspective impériale », Serge Bernier, Jacques Castonguay, André

Charbonneau, Yvon Desloges et Larry Ostola, Québec, ville militaire 1608-2008, Montréal, Art global, 2008, p. 17

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À l’Habitation construite sur l’actuel site de la place royale par Champlain en 1605, sorte de « comptoir de commerce fortifié » rappelant un « petit château médiéval », viendra s’ajouter, en 1620, le premier fort Saint-Louis, « sur le sommet du promontoire ».5 « Dès lors, le plan urbain [de la ville sera] subordonné à celui du tracé [d’un] système de défense [conçu selon] […] des préceptes européens6 ». Car, si Québec est « fortement marquée par l’environnement nord-américain […] [elle] demeure néanmoins […] une ville française modelée par et sur les institutions françaises »7.

Malgré l’importance géopolitique que revêt la ville, Québec demeure « une ville ouverte jusqu’à l’éclosion de la guerre de la Ligue d’Augsbourg » (1688-1697). « Le gouverneur Frontenac, craignant une attaque anglaise », fit alors construire une première palissade autour de la ville, en 1690, suivie d’une seconde quelque trois ans plus tard8. Il faudra toutefois attendre le milieu du XVIIIe siècle avant que la ville ne soit véritablement fermée d’une enceinte adéquate. Les tensions grandissantes entre la France et l’Angleterre forcèrent alors les autorités locales à entreprendre de vastes travaux visant la consolidation des défenses.

Suivant les plans élaborés par l’ingénieur royal Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry (1682-1756), un rempart vient « définitivement » clore la ville. À la veille de la prise de Québec par les troupes anglaises, Québec constitue donc « un ensemble défensif formé d’une succession de bastions et de courtines (bastions du Cap, de la Glacière, Saint-Louis, des Ursulines, Saint-Jean, du coteau de la Potasse) et de trois portes (Saint-Saint-Louis, Saint-Jean et du Palais) »9. La mise en place de cette « enceinte définitive devient [dès lors] le cadre d’expression d’un urbanisme militaire inhérent à toute réorganisation défensive urbaine sous l’ancien régime10».11

5 André Charbonneau, op. cit., p. 56

6 Nicolas Giroux, « Quand fortification rime avec planification urbaine », Serge Courville et Robert Garon,

dir., Québec ville et capitale, Sainte-Foy, PUL, 2001, p. 72. (coll. Atlas historiques du Québec)

7 John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, Histoire de la ville de Québec : 1608-1871, Montréal,

Boréal, 1987, p. 39

8 Nicolas Giroux, op. cit., p. 73 9 André Charbonneau, op. cit., p. 70 10 André Charbonneau, op. cit., p. 72

11 Comme le rappellent Hare, Lafrance et Ruddel, « La fortification est le symbole même de l’urbanité sous

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Notons ici que « [le] Vieux Québec, et particulièrement la haute-ville, présente toujours des caractéristiques que lui ont imprégnées [ces] réalisations militaires des XVIIe et XVIIIe siècles » : L’ingénieur royal de Léry identifia en effet « 14 îlots réguliers et 5 irréguliers pour une capacité de 300 maisons », ce qui entraînera entre autres l’apparition de « la trame rayonnante des rues qui convergent vers la place d’Armes [et] du damier de l’expansion des rues Saint Stanislas, Ursule et Sainte-Angèle » . Comme le souligne l’historien Nicolas Giroux : « La fortification de Chaussegros de Léry, adaptée à la topographie environnante, offrait une capacité d’extension qui aujourd’hui encore étonne. Si [l’ingénieur royal] avait estimé le potentiel de croissance de la haute-ville à mille maisons, le développement ultérieur devait lui donner raison » 12.

Image 2. Carte de Québec par Chaussegros de Léry en 1722.

« Cette carte, réalisée par Chaussegros de Léry en 1722, illustre les plans de l’ingénieur pour fortifier

Québec. On remarque notamment la citadelle située sur le cap Diamant, citadelle qui ne verra le jour que près d’un siècle plus tard. Celle-ci sera construite par les Britanniques. Source: Chaussegros de Léry,

Plan de la ville de Québec, 1722, BAC. »13

fortifications en définissent les limites et imposent d’importantes servitudes. Elles isolent notamment la ville de la campagne et restreignent les espaces libres ». Voir John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 57-58

12 Nicolas Giroux, op. cit., p. 77

13 Commission des Champs de batailles nationaux, Un lieu chargé d’histoire, [en ligne],

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La période anglaise

« Septembre 1759. Québec capitule sans que [les fortifications françaises n’aient] servi.». Bien qu’inachevé lors de la prise de la ville, le système défensif démontra son efficacité lors du siège de François-Gaston de Lévis (1717-1788) au printemps de 1760 et permit aux troupes de Murray (1721-1794) de résister à un ultime assaut français jusqu’à l’arrivée de renforts. Dès lors placée sous le contrôle des militaires britanniques, « [la] capitale devient […] une ville garnison, un objet militaire au sein duquel croissance urbaine et impératifs défensifs s’entrechoqueront.14 »

Comme le note l’historien Yvon DESLOGES, contrairement à ce qui s’était fait sous le régime français « [à] Québec, les ingénieurs militaires britanniques ne proposent pas de plan d’ensemble pour le développement urbain, aucun plan de lotissement, aucun quadrillage des rues. Ils interviennent minimalement, sans doute parce qu’ils ne disposent d’aucune tradition en urbanisme militaire. Pour eux, la ville conquise est une place forte qui doit demeurer fonctionnelle, car plusieurs menaces pèsent et pèseront sur elle. La règle de base veut que l’activité urbaine ne nuise pas aux activités défensives.15»

En effet, aussitôt aux commandes de la ville, le général Murray, alors nommé gouverneur général, s’empresse de demander aux autorités britanniques les fonds nécessaires afin que soit construite une citadelle sur les hauteurs d’Abraham. « [La] situation financière de la métropole » au sortir de la guerre ne permit néanmoins aucune amélioration majeure, si bien que « le système défensif de la ville demeure inchangé durant [les]premières décennies du nouveau régime. »16

Mais les tensions grandissantes entre Londres et les Treize colonies au cours de la Guerre d’indépendance américaine (1775-1783) firent, quelque quinze ans plus tard, « [...] prendre conscience aux autorités britanniques locales, et ce, à l’instar de leurs prédécesseurs français, que Québec représente la « clé de voûte » défensive de la colonie

14 Yvon Desloges, « Les défis urbanistiques : l’opposition entre la place forte et la ville », Serge

COURVILLE et Robert GARON, dir., Québec ville et capitale, Sainte-Foy, PUL, 2001, p. 150

15 Yvon Desloges, op. cit., p. 150 16 André Charbonneau, op. cit., p. 73

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canadienne. » L’échec du siège de Québec par les troupes américaines de Benedict Arnold (1641-1801) et Richard Montgomery (1738-1775), à l’hiver 1775-1776, permit par contre deux constats. En premier lieu, que « la qualité du système défensif du rempart français [...] permet [effectivement] de résister à l’offensive ennemie dans l’attente du renfort » et en second, qu’il importe, comme l’avait demandé Murray, de doter la ville d’une citadelle « dominant la ville, décision d’ailleurs justifiée par l’attitude de certains segments de la population [...] face aux rebelles américains »17.

La construction d’une « citadelle temporaire » fut donc entreprise entre 1779-1783. Si, d’un point de vue militaire, cette construction s’avère une nécessité (celle-ci assure en effet le contrôle maritime en face de Québec tout en protégeant les troupes britanniques contre d’éventuels assiégeants et, évidemment, contre un soulèvement populaire), d’un point de vue urbanistique, elle hypothèque grandement le potentiel de développement urbain de la ville. En effet, « l’occupation des hauteurs du Cap-aux-Diamants par la construction d’une citadelle représente une réduction importante de la surface à bâtir en haute-ville18 », d’autant plus que ce type d’ouvrage comporte « une aire libre de toute construction ou aménagement, une zone dite « non œdificandi19 » variant de 90 à 110 mètres20.

Malgré la signature du traité de Versailles de 1783, reconnaissant la « naissance des États-Unis d’Amérique », les préoccupations pour la défense de la colonie anglaise ne s’amenuisent guère. « Le nouveau commandant des Ingénieurs royaux au Canada, Gother Mann (1747-1830), devient [alors] le principal artisan de la réflexion stratégique amorcée au lendemain de la Guerre d’indépendance américaine.21 Son projet pour Québec « table au départ sur les fortifications existantes », qu’il entend renforcer en fermant « définitivement la ville au nord et à l’est par un mur de maçonnerie », par

17 André Charbonneau, op. cit., p. 76 18 Yvon Desloges, op. cit., p. 150 19 André Charbonneau, op. cit., p. 82-83 20 Yvon Desloges, op. cit., p. 150 21 André Charbonneau, op. cit., p. 76

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l’ajout de différents postes avancés et par le remplacement « de la citadelle temporaire sur les hauteurs du Cap-aux-Diamants par une citadelle de nature permanente.22 »

« À partir de 1786 et durant une vingtaine d’années, on s’affaire [donc] à la réparation de la vieille enceinte française et à la construction du mur de maçonnerie au sommet de la falaise » ainsi qu’à la mise en place « de batteries et de bastions nouveaux, dont certains sillonnent toujours le paysage de Québec »23. Aux portes du Palais, Saint-Louis et Saint-Jean, d’origine française, s’ajoutent maintenant les portes Hope et Prescott qui « ferment les côtes Sainte-Famille et de la Montagne »24. « Le dernier élément du programme défensif de Mann sera concrétisé quelques années [après la guerre anglo-américaine de 1812-1814] avec la construction de la citadelle actuelle entre 1820-1831.» « De facture très traditionnelle, [...] la Citadelle constitue une pièce majeure du système défensif de la capitale qui atteint pour ainsi dire son apogée » 25. « Avec la construction de l’aqueduc municipal au début des années 1850, c’est le plus important chantier de tout le [XIXe] siècle à Québec », si bien que son coût de construction dépassa largement les estimations initiales pour avoisiner la somme, astronomique pour l’époque, de 240 680 livres26.

Les empiètements urbains du début du XIXe siècle

Mais, « [à] l’arrivée de Gother Mann correspondent [aussi] de nouvelles préoccupations sur les plans militaire et public, celles des empiètements urbains27». En effet, à la fin XVIIIe siècle, l’acquisition de terrains nécessaires à la défense devient un sujet de tiraillements entre la population civile et les autorités militaires de la ville. Ne voulant pas « se mettre à dos la population francophone », les Britanniques considérèrent «d’abord l’appropriation de gré à gré». Ce faisant, ils se heurtent aux souhaits des autorités civiles qui « parallèlement […] cherchent […] à planifier la croissance urbaine :

22 André Charbonneau, op. cit., p. 78

23 Ces ouvrages sont : « (la) batterie et (le) bastion des Sœurs, (la) batterie Demi-lune, (la) batterie

Saint-Charles, (la) Batterie du Jardin (et la) Batterie Carronade ». André Charbonneau, op. cit., p. 78-80

24 André Charbonneau, op. cit., p. 80 25 André Charbonneau, op. cit., p. 82

26 Jean Provencher, L’histoire du Vieux-Québec à travers son patrimoine, Québec, Publications du

Québec, 2007, p. 115-117

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Gother Mann s’y [opposera] parce que le plan de l’arpenteur des chemins [prévoyait] le quadrillage urbain jusqu’au pied de la contrescarpe ». Ce projet de développement ne fut donc jamais «homologué», sans toutefois que les militaires ne proposent quoi que ce soit en contrepartie » aux autorités de la ville28.

Car, comme le note DESLOGES, « [les] yeux rivés sur un idéal, la citadelle, les Britanniques ont perdu de vue la croissance de la ville ». L’essor du commerce du bois en direction de l’Angleterre, en réponse au blocus continental imposé par Napoléon au début du XIXe siècle, entraîna en effet une croissance phénoménale de la région. « La population triple entre 1805 et 1830, passant à 27 000 habitants ». « Cette situation fait que la ville déborde dans les faubourgs, notamment dans le faubourg Saint-Jean […] [dont] la population passe de 2000 à 8700 personnes entre 1805 et 1842.29 »

Tableau no. 1. Répartition de la population selon les quartiers, 1842-187130

Quartiers 1842 1861 1871 Basse-Ville -Champlain -St-Pierre 3 733 (11,7 %) 3 624 (11,3 %) 4 970 (8,7 %) 3 435 (6,0 %) 4 062 (6,8 %) 3 727 (6,2 %) Haute-Ville -Du Palais -St-Louis 2 282 (7,1 %) 2 797 (8,7 %) 3 020 (5,3 %) 3 000 (5,2 %) 2 451 (4,1 %) 2 868 (4,8 %) Saint-Jean -Montcalm -St-Jean 7 780 (13,8 %) 7 600 (13,2 %) 7 745 (13,0 %) 7 913 (13,3 %) Saint-Roch -Jacques-Cartier -St-Roch 10 850 (33,9 %) 9 700 (15,8 %) 9 700 (16 %) 8 922 (14,9 %) 6 850 (11,5 %) Banlieue -Belvédère -St-Roch -St-Roch Nord* -St-Roch Sud* 1 800 (3,1 %) 7 000 (12,2 %) 2 628 (4,4 %) 2 853 (4,8 %) 9 680 (16,2 %) Total 32 001 57 375 59 699

* Saint-Roch Nord : Limoilou ; Saint-Roch Sud : Saint-Sauveur. ** 1861 : Chiffres corrigés.

Sources : Recensements, 1841-1871

28 Yvon Desloges, op. cit., p. 151 29 Yvon Desloges, op. cit., p. 152

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Mais, même dans ce contexte de développement économique sans précédent, tous les projets d’expansion urbaine imaginés à Québec se heurtent à l’imposant système défensif de la ville et à son « aire libre de toute construction ou aménagement31». Si, sous le régime français, le rempart de Chaussegros de Léry avait déjà occasionné bon nombre de démolitions, c’est toutefois au tournant du XIXe siècle que « la question de la propriété des terrains nécessaires à la défense devint cruciale » 32.

« L’objectif alors poursuivi par les militaires consiste [en premier lieu] à dégager les espaces nécessaires au glacis de la Citadelle. Surtout, les ingénieurs britanniques veulent freiner l’expansion majeure du faubourg Saint-Jean 33». En effet, « ces acquisitions [visent] non seulement à créer un vide indispensable aux opérations militaires, mais bien plus à contrecarrer une seconde tentative pour implanter un plan d’extension urbaine. 34» « Un programme d’acquisition de terrains est défini en conséquence35 ». Voici, dans les mots de l’historien André CHARBONNEAU, les trois points qui résument ce programme:

[1.] [Achat] de tous les terrains au sud de la rue Saint-Louis permet de sauvegarder une zone libre entre la nouvelle citadelle et les tours Martello nos 1 et 2.

2. À l’ouest, l’acquisition d’une large bande de terrain, dans l’environnent des tours nos 3 et 4, crée une dislocation permanente du faubourg.

[3.] Enfin, à l’est, comme le développement du faubourg touche déjà presque la limite des ouvrages avancés du rempart, on ne peut qu’espérer réduire les empiètements du glacis grâce à quelques propriétés acquises à la faveur du grand incendie de 1845.36

« À la suite de ce programme « urbain » [...] mis en place dans la première moitié du XIXe siècle», poursuit CHARBONNEAU, « le contrôle des militaires sur la ville devient omniprésent : ils possèdent 357 acres dans la ville ». « Cela représente 35 % de la superficie du faubourg Saint-Jean et 42 % de l’aire de la Haute-Ville intra-muros. La ville est devenue une composante essentielle de la place forte et la vie à l’intérieur doit

31 André Charbonneau, op. cit., p. 82-83 32 Yvon Desloges, op. cit., p. 152 33 André Charbonneau, op. cit., p. 83 34 Yvon Desloges, op. cit., p. 152 35 André Charbonneau, op. cit., p. 83 36 André Charbonneau, op. cit., p. 83

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nécessairement s’organiser en fonction des objectifs de défense »37. Fait à noter, « [ce] n’est qu’à compter de 1833 que les autorités municipales auront voix au chapitre. « Coïncidence : c’est également à l’occasion de l’incorporation municipale [cette même année] que sera accepté le premier plan d’ensemble de la ville38 »

« Par la suite, l’opposition entre la fonction défensive et les activités urbaines se fera moins âpre [et] les fortifications [...] se déplaceront sur la rive sud avec la construction des forts de Pointe-Lévis39 » « Le traité de Washington en 1871, entre l’Angleterre et les États-Unis, aplanit définitivement les tensions et devient le prélude au retrait définitif des troupes britanniques de la vallée du Saint-Laurent». « Le développement urbain, l’avènement de l’artillerie rayée, l’aménagement de nouveaux moyens de communication et, finalement, l’abandon des enceintes au profit de nouveaux modèles défensifs consacrent l’inutilité de la vieille enceinte française, un siècle après sa construction 40». « La tension ne viendra plus des militaires, mais des marchands et de la population qui verront dans l’enceinte un obstacle au progrès et à la libre circulation des biens et marchandises. Pour les marchands, il faut faire le vide non plus à l’extérieur des murs, mais plutôt en les rasant.41 »

I.II Évolution du système administratif de la ville

Québec, on le sait, ne fut jamais qu’une simple « ville entrepôt ». La cité fondée par Champlain abrite dès le début du XVIIe siècle le siège du gouvernement colonial en Amérique du Nord. Cette fonction administrative, « peut-être autant que l’activité maritime », lui assura d’ailleurs, tout au long de son histoire, « une certaine stabilité économique » 42.

37 André Charbonneau, op. cit., p. 83 38 Yvon Desloges, op. cit., p. 152 39 Yvon Desloges, op. cit., p. 153 40 André Charbonneau, op. cit., p. 86-88 41 Yvon Desloges, op. cit., p. 153

42 André Duval, « La situation juridique en 1867 », G.-Henri Dagneau, dir., La ville de Québec : histoire municipale IV-jusqu’à 1929, Québec, SHQ, 1983, p. 15. (coll. Cahiers d’Histoire, no. 33)

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Sous domination française

Sous le régime français, le « gouvernement royal, de qui absolument tout relevait » ne perçoit la ville que comme la partie d’un tout beaucoup plus vaste. Québec, sur le plan corporatif, n’est pas une ville, mais plutôt une « agglomération de maisons, d’entrepôts, de bâtiments publics, d’églises … »43 chapeautée par le gouvernement colonial, lui-même tributaire des autorités métropolitaines. Monarque absolu par excellence, Louis XIV (1638-1715) voit d’ailleurs d’un œil défavorable les quelques tentatives visant la mise en place d’une administration locale à Québec. Centralisation oblige, « l’administration de la ville sous le Régime français relève essentiellement d’officiers du roi, et la législation urbaine, des magistrats du Conseil souverain au XVIIe siècle et de l’intendant, au XVIIIe siècle »44. Mais toute médaille a son revers et, si Québec ne peut alors jouir des bienfaits d’une administration locale, en sa qualité de chef-lieu de la Nouvelle-France « [celle-ci] accumule dans une proportion probablement plus importante qu’ailleurs, les richesses de la colonie » 45.

Sous domination anglaise

La situation n’évolue guère à la suite de la Conquête et, quoique «les administrateurs et les militaires français [soient] remplacés par des Britanniques, Québec demeure toujours le siège du gouvernement civil et la principale garnison de la colonie », ce qui, encore une fois, contribue à lui assurer « une certaine prospérité »46. Au système français de l’intendance, vient se substituer, à partir de 1765, celui des « juges de paix ». Ceux-ci se montrèrent par contre « peu efficaces pour répondre aux besoins de la ville, [surtout à partir du XIXe siècle, alors que la ville entre] dans une période d’expansion vertigineuse, puisque ces administrateurs [nommés par les gouverneurs], ne le sont qu’à temps partiel 47». Comme l’avaient fait avant eux les Français, les autorités britanniques « s’opposeront systématiquement à ce que les citoyens puissent choisir eux-mêmes leurs administrateurs » et ce, jusqu’à l’incorporation de la ville en 1832. Notons au passage

43 André Duval, op. cit., p. 15

44 John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 83-84 45 John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 26 46 John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 107-108 47 John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 232-233

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que « Québec [...] en tant que Capitale » [...] [profite encore une fois] d’une certaine supériorité sur ses consœurs [...], dans la mesure où le gouverneur et commandant en chef des armées britanniques en Amérique du Nord y avait sa résidence ». Aux yeux de la population de la ville, il apparaît donc « assez normal que le gouvernement royal [garde] la main haute sur toute la chose publique, y compris ce que, de nos jours, l’on considère du ressort municipal. »48

De l’incorporation à la Charte de 1865

Ce n’est qu’au premier tiers du XIXe siècle que les citoyens de Québec, exaspérés par l’incompétence, voire la corruption de certains juges de paix, obtiennent le droit de participer à l’administration de leur « cité ». C’est en effet le 5 juin 1832 sous Lord Aylmer (1775-1850), que sera sanctionné, à Québec, le premier véritable système de gouvernance municipale, avec la charte qui l’accompagne. « L’ensemble des citoyens de la ville devient [ainsi] un corps politique incorporé sous le nom légal de la Corporation de la Cité, avec droit de propriété, de succession, d’action en justice et autres, comme celui de posséder un sceau. ». « Émise pour trois ans » [la Charte de la ville] ne fut [toutefois] pas renouvelée à son échéance [...] par crainte anticipée des troubles de 1837-1838 [...]49». « Des juges de paix reprirent donc et maintinrent les rênes du pouvoir jusqu’en 1840 », date à laquelle une nouvelle charte municipale fut mise en œuvre. Cette dernière « sera appliquée pendant vingt-cinq ans avant d’être complètement refondue en 1865 »50. Notons au passage qu’ « [il] faudra par contre attendre 1856 pour que le maire soit élu directement par les citoyens »51.

La Charte de 1865 étend les pouvoirs du Conseil municipal qui, à partir de cette date, jouit des principales prérogatives des mairies actuelles, entre autres sur le plan urbanistique. Comme le note l’historienne Alyne LEBEL : « La réforme donnait au Conseil de ville le droit d’adopter les règlements relatifs au plan de la ville, à l’ordre

48 André Duval, op. cit., p. 16

49 Alyne Lebel, « La vie administrative », La ville de Québec : histoire municipale, IV – jusqu’en 1929,

Québec, Société historique de Québec, 1983, p. 66 (Cahier d’histoire no. 35)

50 Alyne Lebel, op. cit., p. 66

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public, à la santé, à la prévention des incendies, à l’entretien des routes, à l’émission de permis, à l’imposition et à la perception des taxes foncières et enfin aux services publics comme l’eau, le transport et l’éclairage. […] En bref, dans les limites territoriales de la ville, l’organisation de l’espace, le fonctionnement des services publics et la protection des citoyens relèvent de l’autorité municipale.52 »

Structure municipale

Voici, afin de mieux saisir la nature de l’organisation municipale au cours des dernières décennies du XIXe siècle, une brève description de la structure administrative de la « corporation de la cité de Québec », structure qui prévalut jusqu’au début du XXe siècle :

Sur le plan administratif, la structure ne change guère pendant la période qui nous intéresse. Le conseil détient le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Il est secondé, dans sa tâche, par le pouvoir consultatif et le pouvoir administratif qu’exercent, en 1870, huit comités issus du conseil, composés chacun de huit membres [un par quartier] et d’un fonctionnaire municipal agissant comme secrétaire. Comme complément de la structure administrative qu’illustre le tableau [qui suit], à chaque comité permanent correspond un fonctionnaire municipal impliqué dans le domaine propre de ce comité. Chargé théoriquement de préparer les dossiers et de présenter les offres soumises après appels publics, le secrétaire achemine également les rapports adoptés au conseil ou au comité des finances, les deux instances disposant, en dernier ressort, du pouvoir décisionnel quant aux suites à donner aux rapports des comités.53

52 Alyne Lebel, op. cit., p. 66-67 53 Alyne Lebel, op. cit., p.67

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Tableau no 2. Structure administrative municipale Ville de Québec 1865-1929

De 1865 à 1882, « le personnel administratif de la ville de Québec [, choisi par le Conseil,] [ne] comprend [par ailleurs qu’] une dizaine de personnes : « un greffier, un trésorier, un commis aux marchés, un surintendant de la cité et un ou plusieurs inspecteurs de routes, rues, ponts et cheminées et enfin des préposés aux poids et mesures.54 » Notons ici que « [l]’ingénieur de la cité vient au troisième rang dans l’ordre hiérarchique [derrière le greffier et le trésorier] […]. En plus d’agir comme secrétaire en titre au comité des chemins, son travail consiste à enquêter à propos des plaintes, à préparer un plan de la cité et à superviser les travaux publics entrepris par la ville. Il est aussi responsable devant le comité des chemins, de la qualité des travaux réalisés.55» Si « [à] quelques exceptions près, [les] fonctionnaires laissent peu de traces de leur

54 Alyne Lebel, op. cit., p. 63

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passage », il en est tout autrement de l’ingénieur de la cité de Québec Charles Baillairgé (1826-1906), dont l’empreinte marque toujours le paysage de la ville. Comme nous le rappelle LEBEL :

« [Cet] architecte responsable de la surveillance du chantier de construction du parlement d’Ottawa, revient à Québec en 1864 pour remplacer son père comme ingénieur de la cité. À ce titre, il supervisera pendant plus de trente ans chaque phase du réaménagement et de la croissance urbaine de Québec. La ville lui doit surtout un système d’aqueduc avant-gardiste pour l’époque, son premier parc public et la rationalisation du plan de ville. Il se mêle aussi des chemins de fer, du système d’imposition, du pont projeté sur le Saint-Laurent et de la construction de l’hôtel de ville. »56

I.III Le XIXe siècle : grandeur et déclin

Afin de bien appréhender la dynamique qui s’opère à Québec au cours du XIXe siècle, et plus précisément au cours des années 1870, alors que sa population entrevoit, pour la première fois de son histoire, l’occasion d’élaborer son propre plan de développement urbain, il n’est pas inutile de rappeler l’évolution économique et démographique de la « cité » au cours du XIXe siècle.

Commerce international et construction navale

Comme mentionné précédemment, la première ville française d’Amérique du Nord connut des débuts plus que prometteurs. « [De] comptoir d’échanges entre Amérindiens et Européens, Québec se transforme, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, en un centre commercial et un entrepôt reposant sur le port et sur l’activité maritime »57. La Conquête, par ailleurs, ne modifia pas réellement la nature commerciale et portuaire de la ville. Si les pelleteries avaient fait les beaux jours de la cité à l’époque de la Nouvelle-France, le commerce du bois équarri avec la Grande-Bretagne, ainsi que son corollaire, la

56 Alyne Lebel, op. cit., p. 64

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construction navale58, contribuèrent au XIXe siècle à l’implantation d’une élite commerçante prospère et dynamique.

Véritable moteur du développement, le commerce du bois permit l’essor de l’ensemble des secteurs économiques de la région, tant et si bien que pendant « la première moitié du XIXe siècle, Québec [connut] une période de croissance tout à fait remarquable »59. Essentiellement sous la gouverne d’entrepreneurs britanniques venus s’installer dans la région au tournant du XVIIIe siècle, le commerce du bois de charpente avec l’Angleterre entraîna en effet, entre 1820 et 1859, l’apparition de grandes institutions financières, en plus d’une demi-douzaine de compagnies d’assurances60.

Image 3. La Basse-Ville de Québec et le London Coffee House, aujourd’hui la maison Chevalier, vers

1865, James George Parks. Source : Musée McCord (MP-0000.195.1).

Conséquence de cette prospérité, « la population de la ville triple entre 1818 et 1851, passant de 15 839 à 45 940 ». Il s’agit d’une évolution remarquable si l’on songe que la population de la ville ne comptait qu’« entre 7000 et 8000 habitants dans la dernière

58 Comme le notent les historiens John Hare, Marc Lafrance et David-Thierry Ruddel à l’intérieur de leur

ouvrage Histoire de la ville de Québec : 1608-1871 : « L’essor du commerce du bois [au début du XIXe] siècle entraîne celui de la construction navale, puisque la production de cette dernière industrie est destinée essentiellement au transport des produits des forêts canadiennes ». John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 187

59 John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 178 60 John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 190

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décennie du Régime français.61 » « En 1830, au moment de son apogée, elle est au sixième rang des villes du continent, peu après la Nouvelle-Orléans. »62

Or, les activités liées au commerce du bois canadien connurent un spectaculaire déclin au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. À la faveur du tournant libre-échangiste opéré par les autorités britanniques à partir des années 1840, l’abolition en Grande-Bretagne des droits sur le bois de la Baltique fragilisa la rentabilité de ces échanges « traditionnels » entre la mère patrie et sa colonie.

Ainsi, après « le passage de l'Angleterre au libre-échange en 1842, la préférence pour le bois colonial diminue de moitié en deux ans »63, tant et si bien qu’à partir de 1866, année pendant laquelle l’Angleterre abolit les taxes sur les importations, l’âge d’or du commerce du bois est bel et bien révolu. Quant à la construction navale, celle-ci déclina à la faveur de l’apparition de nouveaux bâtiments à coque d’acier dont les modalités de construction s’éloignaient de celles qui avaient fait les beaux jours des chantiers de la région. Les entrepreneurs n’arrivant vraisemblablement pas à gérer cette transition avec succès, c’est l’ensemble du secteur de la construction navale de la ville qui s’en ressentit64.

Qui plus est, le secteur portuaire de la ville de Québec subit lui aussi les contrecoups du progrès. En effet, l’expansion de la navigation à vapeur, coïncidant avec l’ouverture d’une voie navigable sur le lac Saint-Pierre, en amont de Québec, en 1865, fit perdre à la ville son rôle de porte d’entrée du Canada. Cette voie navigable, ardemment souhaitée par les élites montréalaises, « favorisa surtout le rôle du port de Montréal qui [vit] croître rapidement son trafic maritime ». À partir de cette époque, « le rôle du port de Montréal ira toujours croissant », au grand dam des entrepreneurs et ouvriers de la ville de Québec. Conjuguée avec l’absence de lien ferroviaire direct avec la rive sud du Saint-Laurent,

61 John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 37 62 John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 192

63 Graeme Wynn, « Taxes sur le bois », L’Encyclopédie canadienne, [en ligne]

http://www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/taxes-sur-le-bois (page consultée le 7 septembre 2012)

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cette baisse d’activité portuaire vint elle aussi hypothéquer la croissance industrielle de la cité65. Comme le résument ici les historiens Dickinson et Young :

En raison de sa dépendance envers les activités de la construction navale et du bois équarri, deux secteurs en déclin au cours de la seconde partie du siècle, la ville de Québec se trouva en mauvaise position pendant cette période de transition vers le capitalisme industriel. De plus, la santé économique de la ville de Québec était menacée par l’abolition en Grande-Bretagne des droits sur le bois de la Baltique, par une demande américaine accrue pour le bois de sciage transporté grâce aux réseaux de canaux et des chemins de fer nord-sud, et par le traité de réciprocité de 1854 qui permettait la libre entrée du bois aux États-Unis. Comme résultat, la population de Québec ne s’accrut que lentement et son port océanique perdit son importance relative.66

Tableau 3. Valeur annuelle moyenne des exportations chargées à Québec et à Montréal, par périodes de cinq ans, 1841-1880 (en millions de dollars)

Période Québec Montréal

1841-1845 6,1 2,6 1846-1850 6,1 2,1 1851-1855 7,6 2,4 1856-1860 7,4 3,8 1861-1865 8,7* 7,5 1866-1870 9,2 11,7 1871-1875 12,6 23,4 1876-1880 8,8 24,3 Moyenne 8,3 9,7

*Moyenne des années 1861-1863 seulement

Sources : Pour 1841-1850 : Hector Langevin, Le Canada …, Québec, 1855, p. 86. Pour 1851-1880 : Jean Hamelin et Yves Roby,

Histoire économique du Québec, 1851-1896, Montréal, 1971, app. 2 et 13. (Source : John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery

Ruddel, op. cit., p. 319).

Perte du siège du gouvernement

Pour ajouter à cette conjoncture défavorable, la ville voit le siège du gouvernement canadien lui échapper au cours des années 1860, à la suite de la période dite du gouvernement ambulant, qui vit se déplacer le siège du pouvoir de Toronto (1849 à 1851 et 1855 à 1859) à Québec (1851 à 1855 et 1859 à 1865).

65 « Québec, desservie indirectement par Lévis, devra attendre jusqu’en 1879 pour faire partie du réseau

ferroviaire canadien. Mais elle a déjà perdue la bataille du grand commerce d’exportation 65». Hare, Marc

Lafrance et David-Thiery Ruddel, op. cit., p. 262

66 John A. Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, Sainte-Foy,

Figure

Tableau no. 1.  Répartition de la population selon les quartiers, 1842-1871 ….…………….…………..p
Tableau no. 1.  Répartition de la population selon les quartiers, 1842-1871 30
Tableau no 2.  Structure administrative municipale Ville de Québec 1865-1929
Tableau 3.  Valeur annuelle moyenne des exportations chargées à Québec et à  Montréal, par périodes de cinq ans, 1841-1880 (en millions de dollars)
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