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Développement local solidaire et alternatif

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix ont vu surgir une demande d’initiatives locales pour développer l’emploi et soutenir les petites et moyennes entreprises. Le développement local s’est alors présenté plus sous la forme d’une recherche d’une solution d’urgence que sous la forme d’un développement local alternatif. Face à la crise, de nouvelles dynamiques se font jour, le plus souvent à l’initiative du milieu associatif, qui abordent d’une manière différente les modes de création et de distribution de richesses. Ces expériences peuvent tout d’abord s’inscrire dans une perspective de lutte contre l’exclusion : elles visent en priorité des personnes en difficulté socio-économique. Mais elles peuvent aussi s’inscrire dans une approche territoriale ou encore dite de « développement local » : il s’agit de dynamiser un territoire à travers la création d’activités.

L’objectif se décline alors davantage en termes de mobilisation des partenaires locaux et de cohérence avec l’ensemble des politiques locales en lui appliquant des stratégies collectives sur une base de solidarité et de coopération. Cette stratégie de Développement Local Solidaire et Alternatif (DLSA) tend à s’appliquer, autant à l’économie de marché, publique qu’à l’économie sociale. La volonté d’entreprendre ensemble n’est pas ainsi réservée aux exclus du système mais constitue une stratégie de développement global intégrant tous les acteurs et les différentes économies d’un territoire.

Le territoire étant le point de rencontre entre les acteurs de développement, il constitue le lien où peuvent s’organiser des formes de coopération entre les entreprises, les individus et les institutions. L’échelle des territoires semble idéale pour construire la relation entre les hommes, renforcer les liens sociaux, faire émerger et valoriser les capacités créatrices des individus et ainsi promouvoir l’émergence de l’économie solidaire au niveau local. La mise en place de nouvelles stratégies de développement local que nous avons intitulé “Développement Local Solidaire et Alternatif” (DLSA) peut être une solution adaptée pour soutenir les demandes d’initiatives locales, pour développer l’emploi et soutenir les PME. On se propose d’explorer cette voie au niveau de la région Languedoc Roussillon.

Mots-clés : Economie sociale, économie solidaire, économie plurielle, développement local et alternatif, systèmes d’échanges locaux.

Mohamed Benlahcen Tlemçani*

Gérard Coutureau**

* Directeur du Département Administration économique et sociale, Directeur du Groupe de recherche économique et sociale (GRECOS), Université de Perpignan (benlahce@univ-perp.fr.)

** Maître de conférences et chercheur à l’ENFA- Toulouse

solidaire et alternatif

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Depuis plus de vingt ans les sociétés industrielles occidentales s'enfoncent sans rémission dans un chômage massif. La pauvreté, la précarité et l'exclusion s'étendent à une grande échelle. Le modèle de développement économique actuel conduit à la rupture de la cohésion sociale, à la violence et au désespoir. Face à cette évolution catastrophique, les thérapeutiques traditionnelles ne sont plus à la hauteur du défi. En clair, ni l'ultralibéralisme ni la panoplie des mesures de relance keynésienne ne suffiront pour surmonter le chômage et éviter les multiples fractures sociales, qui s'approfondissent un peu partout. Certes, l'économie produit plus, mais la société se défait. Le contrat social qui s'était élaboré durant la période industrielle du plein-emploi et de l'Etat-providence ne parvient plus à lui seul à assurer la cohésion nationale.

Alors, que faire ? Il est certain qu'il n'existe pas de recettes toutes faites, mais il est clair, qu'il faut impérativement, explorer d'autres voies, d'autres solutions. On se propose dans cette communication de discuter et d'explorer la voie de l’économie plurielle et solidaire.

On évoque fréquemment le développement de nouvelles activités pour réconcilier initiative et solidarité comme une des voies de solution au problème du chômage. Plusieurs appellations sont utilisées pour désigner ces activités :

“tiers secteur”, “tiers secteur social et écologique”, “tiers secteur d'utilité économique et sociale”,“secteur quaternaire”, “économie solidaire”…

L'émergence de ces activités est encore balbutiante, alors que leur contribution à la croissance et à la création d'emploi devrait être décisive.

Il est nécessaire de reconnaître et développer les projets innovants, qui brouillent les frontières établies entre économie et société, parce qu'ils ne relèvent ni de l'économie marchande ni de l'économie publique (SEL, REL, Banques du temps, monnaies locales…). A côté du secteur marchand et du service public, il est possible, dans une optique d’économie plurielle, de donner sa cohérence et ses règles à un troisième champ économique,

“le tiers-secteur”, en prenant en compte ses finalités sociales et écologiques.

Cette contribution est organisée autour de trois parties :

La première partie est consacrée à l’analyse de la société salariale et comment celle-ci a pu élaborer un compromis stable que l’on désigne souvent sous le nom de compromis fordiste, autour duquel s’est consolidé un équilibre dynamique correspondant aux “Trente Glorieuses”. Mais, malgré sa solidité, le contrat social de type fordiste se dissout aujourd’hui. On s’efforcera d’analyser cette mutation en synthétisant les principales ruptures qui ont marqué la fin de la période de croissance précédente.

Ce constat, conduit à formuler dans la deuxième partie l’hypothèse de l’actualité d’une économie plurielle et solidaire. L'articulation entre l'Etat et le marché a eu un grand rôle dans le dynamisme de la société salariale.

Aujourd'hui celle-ci est en crise. Les débats, pour une grande part, restent bloquées dans ce face à face : faut-il plus d'Etat ? Plus de marché ? Cette réflexion en deux dimensions nous empêche de concevoir qu'il puisse exister

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une “face cachée” de l'économie. Et pourtant, elle existe. La perspective d'une économie plurielle permet d'ouvrir de nouvelles pistes quant au rapport entre économie et société, en distinguant plusieurs plans d'action complémentaires dans les économies marchande, non marchande et non monétaire autant que dans leurs articulations. Grâce à leur multipolarité, les expériences d'économie solidaire qui émergent un peu partout dans le monde, s'inscrivent dans le schéma de l'économie plurielle. Elles jouent la carte de l'“hybridation” des trois économies, marchande, non marchande et non monétaire à partir de dynamiques de projet. Ainsi, elles dépassent les cloisonnements qui minent notre cohésion sociale et proposent en fait une recomposition des rapports entre économique, social et politique.

La troisième partie sera consacrée à l'analyse des initiatives d'économie solidaire au niveau local. Le territoire étant le point de rencontre entre les acteurs de développement, il constitue le lien où peuvent s'organiser des formes de coopération entre les entreprises, les individus et les institutions. L'échelle des territoires semble idéale pour construire la relation entre les hommes, renforcer les liens sociaux, faire émerger et valoriser les capacités créatrices des individus et ainsi promouvoir l'émergence de l'économie solidaire au niveau local. La mise en place de nouvelles stratégies de développement local que nous avons intitulé “Développement Local Solidaire et Alternatif ” (DLSA) peut être une solution adaptée pour soutenir les demandes d'initiatives locales, pour développer l'emploi et soutenir les PME. On se propose d'explorer cette voie au niveau de la région Languedoc Roussillon.

I.De la synergie Etat-marché à la crise de la société salariale

A. Le régime économique de la période de croissance : la synergie Etat- marché

Les économistes de l'école de la régulation (1) ont analysé le système de macro-régulations de la période de croissance correspondant aux “Trente Glorieuses”. Système en boucle qui met en œuvre une véritable synergie Etat-marché (2) et reposant sur le compromis fordiste autour duquel s'est consolidé un équilibre dynamique. Cet équilibre correspondait à un réglage des rapports entre l'économique et le social dans lequel le marché était placé sous le contrôle de l'Etat chargé à la fois de le dynamiser et d'en corriger les effets perturbateurs. Le fonctionnement du système était encadré par des dispositifs institutionnels visant à assurer l'efficacité économique et l'insertion sociale. La dynamique de la société s'exprime principalement par le développement de l'économie monétaire qui est constituée par le secteur privé marchand et le secteur public non marchand. L'économie non monétaire, c'est-à-dire principalement l'autoproduction dans le cadre de l'économie domestique ou de l'exploitation agricole familiale polyvalente, est au contraire en perte de vitesse (cf. schéma 1).

(1) Aglietta M., Régulation et crises du capitalisme, Paris, Calmann-Lévy, 1976.

Boyer R.,la Théorie de la régulation : une analyse critique, Paris, La Découverte, 1987.

Boyer R. et Saillard Y., la Régulation : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 1996.

(2) Laville J.L. (dir.), l'Economie solidaire, une perspective internationale, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

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La stabilité de l'ensemble ainsi constitué peut-être consolidée par plusieurs types complémentaires de régulations :

• Les forts gains de productivité permettent une augmentation de la richesse économique et l'élévation constante du niveau de vie, le plein emploi et une forte redistribution, une augmentation constante de biens de consommation de masse. En effet, une grande part des gains de productivité est affectée à la baisse de la durée du travail et une augmentation régulière du salaire. En retour, l'augmentation de la consommation qui en résulte incite à l'investissement. La généralisation d'une production de masse va de pair avec une élévation du niveau de vie. Dans la sphère de production, les conflits sont circonscrits autour du partage de la valeur ajoutée et des aménagements du rapport salarial. La partie des gains de productivité qui reste disponible est affectée à la distribution par la médiation étatique. Les moyens de l'Etat augmentent régulièrement pour mieux satisfaire les “besoins sociaux” par prélèvement d'un pourcentage relativement constant de la richesse nationale.

• Le partage des gains de productivité est géré de façon centralisée par un système couplant action de l'Etat et négociation collective et permettant d'entretenir l'augmentation de la demande nationale orientée vers les biens de consommation de masse qui soutient le mouvement de modernisation de l'appareil productif. La solidarité avec l'affaiblissement des sociabilités traditionnelles, se réduit à une solidarité institutionnelle abstraite qui, par le phénomène de bureaucratisation des services sociaux, tend à être

Schéma 1

Séparation et hiérarchisation des économies dans le régime d'accumulation intensive de type fordiste

Production et circulation de biens et services

Economie marchande Marché

Entreprise capitaliste dont le fonctionnement interne est amendé par le développement du droit du travail et de la négociation collective

Economie marchande Augmentation de l’importance de la redistribution par la généralisation des systèmes nationaux de protection sociale Essor de l’administration des politiques sociales intégrant en leur sein les services fournis par des organismes à but non lucratif

Economie non monétaire Déclin de l’économie traditionnelle Redistribution :

principe supplétif

Réciprocité et administration domestique : principes résiduels

Source :Laville J.L,l'Economie solidaire, une perspective internationale,Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

Marché : premier principe

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perçue comme un système d'assurance ou d'assistance plus que comme une solidarité active.

Dans cette situation, les rapports entre l'économique et le social sont gérés par une division du travail entre les entreprises, responsables de la productivité, et l'Etat régulateur et redistributeur assurant la satisfaction des “besoins sociaux”. Les conflits sociaux, fortement idéologisés, portent essentiellement sur le partage des gains de productivité qui sont gérés de façon centralisée par des négociations collectives. Progrès économique et progrès social semblent aller naturellement de pair. Ce système de macro- régulations consacre le cloisonnement entre une économie monétaire, à la fois marchande et non marchande, fortement valorisée, et une économie non monétaire déstructurée dans ses fondements et assimilée à une survivance du passé (cf. schéma 2). Ceci est le résultat de la généralisation du salariat, et spécialement du salariat industriel ce qui signifie réduction et dévalorisation de tout ce qui n'est pas activités monétarisées. Les activités sont réduites au travail salarié "productif " par opposition à celles du bénévolat, de la famille, de l'informel (3). L'économie monétaire est considérée comme “l'infrastructure” de la société (4), c'est elle qui assure la cohésion d'ensemble de la société.

B. La crise de la société salariale

Le consensus préétabli se fissure, le “cercle vertueux” de la croissance se brise, la synergie Etat-marché ne fonctionne plus et à la place s'est installé le paradoxe des gains de productivité qui génèrent le chômage. Les investisseurs d'aujourd'hui ne crèent plus les emplois de demain. L'Etat et la protection sociale sont confrontés à une crise financière, qui est aussi une crise d'efficacité et de légitimité. La croissance ne va plus de pair avec la solidarité. La situation cumule richesse de la société, rareté de l'emploi et importance des besoins insatisfaits (3). Cette crise est de double nature : crise de valeurs et crise économique.

a.La crise des valeurs

Le manque de possibilités d'implication pour les salariés comme pour les usagers, dans le travail comme dans la consommation individuelle et collective, est critiqué au même titre que l'approche standardisatrice de la demande orientant l'offre vers les biens de masse et vers des services stéréotypés. Progressivement s'impose l'exigence d'une plus grande

“qualité” de la vie ; de plus en plus s'oppose à la croissance quantitative la revendication d'une croissance qualitative. Il s'agit de “substituer une politique du mode de vie à une politique du niveau de vie” (5), de prendre en compte dans la politique économique les dimensions de participation aux différentes sphères de la vie sociale. Les aspirations à l'autonomie dans le travail et en dehors du travail éclosent un peu partout remettant en cause l'uniformisation qui s'était imposée pendant la période d'expansion.

(5) Roustang G., « La Lutte contre l'exlusion sociale : mesures spécifiques ou transformation du système qui la produit », (3) Eme B. et Laville J.L.

(dir.), Cohésion sociale et emploi, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

(4) Roustang G., Laville J.L., Eme B., Mothé D., Perret B., Vers un nouveau contrat social, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.

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Schéma 2 Le système de macro-régulations de la société salariale,fondé sur l'extension de l'économie monétaire Extension de l’économie monétaire (marchande et non marchande) Elargissement des rôles et moyens étatiques Allocations de ressources non marchandes aux entreprises,administrations et ménages Extension de négociation collective centrée sur partage de la valeur ajoutée Allocations de ressources marchandes aux entreprises, administrations et ménages

Système d’affectation centralisé des gains de productivité

Volume des prélèvements obligatoires à taux relativement constants du PIB Profits Salaires Durée moyenne du travail

Réalisation simultanée de croissance et cohésion sociale Création d’emplois salariés dans industries et services standardisables

Déversement Demande nationale

Economie non marchande Economie marchande

Réduction de l’économie non monétaire Hiérarchisation et séparation des temps sociaux Travail domestique et autres formes de don Déclin de l’économie traditionnelle Auto-production Exploitations et petites entreprises familiales

➚ ➚

Investissements Modernisation par la réponse à la demande – diffusion rationalisation – économie d’échelle

Production Gains de productivité

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Les critiques ne portent pas seulement sur la croissance matérielle et la dénonciation des dégâts du progrès. La croyance en la production du progrès économique et social par la complémentarité entre marché et redistribution, est à son tour questionnée. La capacité de l'intervention publique à pallier aux insuffisances du marché est remise en cause. On dénonce fermement les logiques bureaucratiques et centralisatrices des institutions redistributives.

On critique leur manque d'aptitude à l'innovation leur inadéquation face à des situations de vie différenciées, ce qui génère l'inertie et la survivance de fortes inégalités sociales. Comme le souligne à juste titre A.Gorz, l'Etat- providence a montré son incapacité à produire une manière de vivre ensemble gratifiante pour les individus, « La redistribution fiscale des fruits de l'expansion, les systèmes de prévoyance sociale, d'assurance obligatoire, de protection suppléaient tant bien que mal à la dissolution des solidarités et des liens sociaux, ils ne créaient pas de solidarités nouvelles : l'Etat redistribuait ou réaffectait une partie de la richesse socialement produite sans qu'aucun lien de solidarité vécue ne s'établisse entre les individus et les classes. Les citoyens n'étaient pas les sujets agissants du social-étatisme;

ils en étaient les administrés, les objets en qualité d'allocataires, de cotisants et de contribuables (6). » A cette crise de valeurs se superpose une autre crise, qu'on peut qualifier de crise économique.

b. La crise économique

Comme l’ont fortement souligné les auteurs français de l’école dite de la “régulation” (1), « le capitalisme n’est pas seulement la juxtaposition d’une ou plusieurs révolutions industrielles avec les règles, elles-mêmes fixes, d’une économie de marché : c’est un ensemble de techniques de productions et de règles sociales qui ont besoin d’être simultanément mises en œuvre pour que le système capitaliste puisse fonctionner. La troisième révolution industrielle en marche aujourd’hui fait entrer en crise le contrat social qui s’est écrit tout au long de la seconde révolution industrielle (7) ». Pour suivre les contours de cette crise, il est fondamental de bien faire la part des formes directement associées à la révolution “technique” elle-même de celles qui résultent de changement dans les marchés.

Pour ce qui est de la révolution “technique”, l’accélération de la vitesse de transmission de l’information, sa miniaturisation et la baisse de coûts induite, sont le support d’une véritable “révolution de l’information” qui bouleverse l’ordre productif établi. Le développement des flux portant sur l’immatériel et la financiarisation de l’économie au niveau planétaire (mondialisation) restreint les marges de manœuvre des politiques menées dans un pays et accélère la fin des compromis nationaux. Ceux que R. Reich appelle les “manipulateurs de symboles” (8), se situant dans un cadre international ont tiré leur épingle du jeu. Ces élites ont fait “sécession”

puisque leurs intérêts ne rencontrent plus ceux de leurs concitoyens. Cette révolution “technique” accentue la perception des limites tant des

communication à l'Université de Vitrolles, 1988.

(6) Gorz A.,

Métamorphoses du travail.

Quête du sens, Paris, Galilée, 1988.

(7) Cohen D., Richesse du monde, pauvretés des nations,Paris, Flammarion, 1997.

(8) Reich R., l’Economie mondialisée, Dunod, 1993.

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régulations marchandes que des régulations étatiques. En effet, « dans l’économie marchande, les représentations autour desquelles s’étaient structurés les comportements ne semblent plus en mesure de fournir des repères suffisants pour l’action. La notion de productivité, principal critère d’évaluation de l’efficacité de l’économie marchande, avait été conçue dans le cadre d’une production matérielle de biens mesurables à prix et qualité constants. Au moment où l’industrie conçoit des produits services, où les services marchands se répandent, où l’investissement immatériel devient stratégique, les dissociations entre variations de prix et de qualité s’avèrent plus difficiles à établir (2) ».

La révolution technique se conjugue avec des modifications dans les marchés. Dans les pays développés, un ralentissement de la demande se généralise pour l’ensemble des produits de base. On cherche alors à augmenter les exportations, ce qui entraîne avec l'arrivée de nouveaux pays producteurs, une exacerbation de la concurrence internationale. Cette stratégie a pour conséquences, d'une part la compétitivité devient essentielle sur des marchés très concurrentiels où la qualité devient une variable stratégique permettant aux entreprises de se différencier; d'autre part il s'avère nécessaire de trouver des activités qui puissent compenser les pertes d'emplois de l'industrie où les débouchés progressent moins vite que la productivité. Certes l'industrie occupe encore une place stratégique dans l'économie de par les gains de productivité qu'elle génère, cependant elle ne peut plus jouer de rôle moteur dans la création d'emplois. Compte tenu de la concurrence qui s'exerce sur des marchés internationalisés et des innovations technologiques disponibles, les industries et les services standardisables confrontés aux mêmes impératifs de compétitivité ne sont plus en mesure de maintenir le niveau exceptionnel de création d'emploi qui fut celui des “Trente Glorieuses”. En dépit des proclamations gouvernementales sur la priorité de l'emploi, le nombre de chômeurs n'a cessé d'augmenter. Entre 1975 et 1995, le nombre de chômeurs a été multiplié par 5 et celui des exclus par 10. Avec la montée du chômage l'Etat est à la fois privé d'une partie de ses ressources et sollicité pour de nouveaux engagements financiers : mesures de soutien au système productif, réduction du taux de chômage, financement de formation, création de nouvelles activités… Le goulet d'étranglement dans lequel est pris l'Etat-providence amplifie la critique sociale à son égard. La croissance, que certains présentent comme la panacée, est bien une condition nécessaire mais non une condition suffisante pour résoudre le problème du chômage. Dans le meilleur des cas, elle maintient le chômage à son niveau actuel (9). La recherche de solutions réellement innovantes et alternatives, est donc un impératif.

II.Vers une économie plurielle et solidaire

Le raisonnement en fonction de schémas réducteurs, selon lesquels l'Etat et le marché sont les seules forces agissantes des sociétés modernes se trouve

(9) Asnar G., Caillé A., Laville J.L., Robin J., Sue R., Vers une économie plurielle : un travail, une activité, un revenu pour tous, Paris, Syros, 1997.

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dépassé. Le marché ne résout pas le problème de l'exclusion, quant à l'Etat, ses marges de manœuvres se réduisent à cause de la mondialisation. Les politiques libérales qui consistent à redonner un rôle moteur au marché pour la fixation des salaires dans une économie orientée vers l’offre et à restreindre l’intervention étatique, en particulier par la réduction du niveau de la protection sociale font le choix de sacrifier le social pour relancer l’économie. Si les expériences menées en s’inspirant de ces analyses se targuent de succès en matière de création d’emplois, elles sont aussi synonymes de montée de la pauvreté. De même, dans un contexte de mondialisation et compte tenu des rapports de forces européens, une augmentation des déficits publics semble exclus. Et une relance de la croissance par la redistribution ne suffirait pas, nous l’avons dit, à réduire significativement le taux de chômage, ce qui suppose de changer le regard que nous portons sur l’économie. Il faut en effet définir l’économie de manière plus extensive, il faut affirmer fortement que l’économie se compose de plusieurs pôles.

A.Pour une économie plurielle : une économie à trois pôles

La réflexion sur les rapports entre les différents sphères de l’économie suppose donc de s’inscrire dans une perspective plus réaliste permettant d’identifier les différents pôles de l’économie réelle et n’impliquant pas l’idéalisation de l’un d’entre eux. Autrement dit, une économie plurielle dont le marché constitue l’une des composantes qui, tout en étant majeure, n’est en rien unique. Trois pôles d’économie peuvent être présentés par un triangle (cf. schéma 3) : l’économie marchande, l’économie non marchande et l’économie non monétaire. A l’économie marchande s’ajoute l’économie non marchande, régie par la redistribution, et dont les normes sont édictées par le biais de la participation représentative. Mais il ne faut pas oublier non plus l’économie non monétaire, dans laquelle la production et la distribution de richesses sont au service du lien social, et dont on retrouve des manifestations dans l’économie domestique ou informelle et l’économie associative.

Pour définir la meilleure articulation possible entre les trois pôles de l’économie, il faut essayer de préciser les avantages et les inconvénients de chacun d’eux. L’économie marchande peut être source d’efficacité, elle est aussi facteur d’émancipation individuelle et de laïcisation des rapports sociaux, mais à l’inverse, elle peut engendrer de graves inégalités car elle ne s’intéresse qu’aux besoins solvables. L’économie non marchande peut garantir d’avantage d’égalité, elle s’attache à fournir des prestations accessibles à tous. Mais elle peut être source de bureaucratie et de lourdeur administrative faute de la sanction du marché. L’économie non monétaire, qui peut être synonyme d’enfermement et de domination, les solidarités de proximité peuvent être pesantes et entrer en contradiction avec le désire d’émancipation individuelle. Mais elle peut également être un rempart contre l’anomie (9).

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(10) Archambault E. et Boumendil J., les Dons et le bénévolat en France, Fondation de France, juillet 1994.

Schéma 3

Présentation générale de l’économie plurielle

Economie non marchande secteur public

Economie monétaire

Economie non monétaire

Economie non monétaire autoproduction bénévolat – troc

Economie marchande secteur privé

De plus ces trois pôles de l’économie ne correspondent pas à trois secteurs séparés. Ils peuvent aussi se combiner et s’imbriquer. L’économie marchande est dominante et présente une force d’attraction indéniable par la simplicité du mode de régulation qui la caractérise. Elle fait travailler plus de 15 millions de personnes, elle produit les richesses monétaires nécessaires à la redistribution, elle représente un lieu de dynamisme et d’innovation. Mais elle ne doit pas être la seule.Les deux autres pôles, secondaires ou supplétifs dans l’organisation sociale que nous connaissons, peuvent être mobilisés pour favoriser des rééquilibrages au moins partiels.

Il faut sans doute revaloriser la sphère publique qui forme l’armature de notre société, mais aussi la sphère associative qui constitue déjà, et pourrait l’être davantage à l’avenir, un espace d’innovation, de production et de dynamisme.

L’économie domestique, l’économie informelle, l’autoproduction représentent une part importante de l’économie non monétaire. Une enquête réalisée en 1994, à partir d’un échantillon national représentatif de 2000 personnes de plus de 18 ans, estime que le temps de travail bénévole représente environ 820 000 emplois équivalents temps plein, soit environ 3,6 % des emploi rémunérés. Le bénévolat a un poids équivalent à celui des effectifs salariés du secteur associatif, soit environ 800 000 emplois en équivalent plein temps (10). L’enquête menée par l’INSEE en 1988 et 1989, auprès de 6 807 ménages représentatifs de la France entière donne de précieux renseignements. Les deux tiers des ménages, effectuent une de ces activités : petit bricolage, peinture, réparations, menuiserie, maçonnerie et plomberie (4).

En 1991, 55 % des ménages possèdent un jardin (35 % cultivent au moins en partie des légumes ou des fruits). Si on valorise au prix du marché

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la consommation de légumes et fruits frais provenant des jardins, celle-ci représente 23 % de la consommation française à domicile de légumes et fruits (4).

Indépendamment de ce que l’on dénomme habituellement autoproduction, de nouvelles dynamiques se font jour qui conjuguent un retour à l’économie non monétaire et une inscription dans l’espace public pour que les échanges réciproques viennent conforter une citoyenneté sociale vécue. Ainsi en est-il des réseaux d’échanges de savoirs, des systèmes d’échanges locaux, les banques du temps, etc. (11).

B. Reconnaître l’économie solidaire

Depuis quelques années, un peu partout dans le monde, se développent des expériences qui se caractérisent par la volonté de concilier initiative et solidarité. On peut à leur sujet parler d’une économie solidaire parce que ces initiatives, portées par des acteurs d’origine socioprofessionnelle différente, quelles que soient leurs particularités, déplacent les frontières instituées entre l’économique et le social en ne relevant à proprement parler ni de l’économie de marché, ni de la solidarité étatique. Toutes ces expériences présentent des points communs dans la conception et le fonctionnement des services :

• C’est un espace ouvert d’expériences micro-sociales, de pratiques, de réalisations, d’activités et d’entreprises, repérable sous des vocables divers :économie volontaire, solidaire, communautaire, tiers secteur…

• C’est un réseau d’échanges réciproques de savoirs où tout le monde reçoit quelque chose. Ce réseau s’appuie sur une mutualisation des ressources qui tend à rendre les usagers acteurs du projet.

• Le respect du principe de la solidarité, qui doit s’exercer entre individus exclus et intégrés. L’entreprise alternative devient lieu d’échanges, ce qui présuppose la présence de personnes dont les connaissances, les expériences, les situations diffèrent.

• L’économie solidaire est non sectorielle, car elle se veut porteuse de

“nouvelles passerelles” avec les économies marchande et non marchande.

Elle n’entend pas se situer “à côté” ou “entre” l’économie de marché et l’économie publique, mais intègre dans sa politique comme dans son fonctionnement et ses structures les trois sphères du privé, du public et de l’individu (à la fois autonome et solidaire). La pérennité des entreprises créées est assurée par l’hybridation entre différents types de ressources marchandes, non marchandes et non monétaires

• La création de richesses peut être conçue, organisée, régulée, non pas à partir du seul critère du gain et de la rémunération, mais aussi à partir des relations sociales, à condition de ne pas s’enfermer dans une conception trop étroite de ce qu’est l’économique et de ne pas subordonner l’action au primat de l’emploi rémunéré.

(11) Economie et humanisme, Face à l’exclusion, une nouvelle économie sociale en Europe, n° 347, décembre 1998 et janvier 1999.

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L’économie solidaire ne constitue pas une nouvelle forme d’économie qui viendrait s’ajouter aux formes dominantes d’économie, marchande et non marchande. Elle constitue plutôt une tentative d’articulation et d’hybridation entre économie marchande, non marchande et non monétaire dans une conjoncture qui s’y prête étant donné le rôle conféré aux services relationnels par la tertiarisation des activités économiques. Par ce biais, elle dépasse les cloisonnements qui minent notre cohésion sociale et propose en fait une recomposition des rapports entre économique, social et politique.

– Sur le plan économique, les réalisations de l’économie solidaire concourent bien sûr à la création d’emplois. Mais l’emploi n’est pas une fin en soi, il s’inscrit dans une démarche plus globale grâce à la quelle l’activité économique est insérée dans des structures collectives porteuses de sens.

Ce cadre collectif garantit la qualité des prestations et des emplois comme l’implication des acteurs.

– Sur le plan social, ces réalisations permettent la production autour de projets librement déterminés par leurs créateurs, de solidarités de proximité, volontaires et choisies. Elles offrent la possibilité d’activer des réseaux qui permettent d’atténuer les phénomènes d’isolement, de retrait ou de repli identitaire.

– Sur le plan politique, elle concourent ainsi à rendre la démocratie plus vivante : les acteurs inscrivent dans la durée des relations où sont recherchées l’expression et la participation de chacun quel que soit son statut.

Ainsi l’économie solidaire se distingue radicalement d’autres formes d’économie. De l’économie caritative qui présente le risque de substituer la sollicitude et la bienveillance au droit, de l’économie d’insertion conçue uniquement comme un secteur de transition vers l’économie de marché, de l’économie informelle qui se contente d’assurer la survie des plus défavorisés sans leur permettre de reprendre pied dans la vie de la cité.

L’originalité de l’économie solidaire est de proposer l’hybridation des trois économies, marchande, non marchande et non monétaire à partir de dynamiques de projet et de solidarité. Cette démarche permet de cumuler les avantages de chacun des trois pôles sans en avoir les inconvénients. Elle contribue aussi à responsabiliser les citoyens, à les faire participer à des espaces publics de proximité entre le domestique et l’espace public des grandes institutions trop anonymes pour susciter un engagement actif.

III.Emergence du développement local et solidaire

Les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix ont vu surgir une demande d’initiatives locales pour développer l’emploi et soutenir les petites et moyennes entreprises. Le développement local s’est alors présenté plus sous la forme d’une recherche d’une solution d’urgence que sous la forme d’un développement local alternatif. Face à la crise, de nouvelles dynamiques se font jour, le plus souvent à l’initiative du milieu associatif, qui abordent

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d’une manière différente les modes de création et de distribution de richesses.

Ces expériences peuvent tout d’abord s’inscrire dans une perspective de lutte contre l’exclusion : elles visent en priorité des personnes en difficulté socio- économique. Mais elles peuvent aussi s’inscrire dans une approche territoriale ou encore dite de “développement local” : il s’agit de dynamiser un territoire à travers la création d’activités. L’objectif se décline alors davantage en termes de mobilisation des partenaires locaux et de cohérence avec l’ensemble des politiques locales en lui appliquant des stratégies collectives sur une base de solidarité et de coopération. Cette stratégie de Développement Local Solidaire et Alternatif (DLSA) tend à s’appliquer, autant à l’économie de marché, publique qu’à l’économie sociale. La volonté d’entreprendre ensemble n’est pas ainsi réservée aux exclus du système mais constitue une stratégie de développement global intégrant tous les acteurs et les différentes économies d’un territoire (12).

Bien que ces réalisations ne soient pas encore sorties du stade expérimental, elles manifestent déjà une certaine efficacité, tout au moins elles ont des effets constructifs, là où la plupart des acteurs économiques n’ont pas réussi à trouver des réponses adaptées. Nous avons choisi d’analyser ce nouveau type de développement dans la région Languedoc-Roussillon.

Cette analyse sera scindée en deux volets. Le premier concerne l’expérience des Systèmes d’échanges locaux, le deuxième correspond à la création d’activités et de réseaux de solidarité.

A.Les SEL, levier d’intégration sociale

A partir des années quatre-vingt-dix se sont développées un peu partout en France et en Europe des “systèmes d’échanges locaux” (SEL) (13). Plus de 300 SEL existent aujourd’hui en France. Leur développement se fait pour la plupart dans un cadre associatif et sur une base essentiellement locale (14). Les SEL permettent à des individus exclus socialement et/ou économiquement, « d’avoir accès à certains biens et services sans conditions financières, mais ils visent surtout, à travers l’échange de recréer du lien social dans des sociétés fondées sur l’individualisme. Ce système ne s’apparente pas au troc, relation marchande bilatérale, puisqu’il repose sur le principe de réciprocité différée au sein du groupe : chaque participant dispose d’un compte où sont retracées, en débit et en crédit, les opérations effectuées avec les différents membres du réseau (15) ». La diversité des formes et des initiatives, la multiplicité des profils des membres et des fondateurs et leur esprit de créativité expliquent qu’aucun SEL ne ressemble à un autre.

(12) Alcolea A.M., Emergence du développement local solidaire et alternatif en France, colloque «Europe- Méditerranée : vers quel développement ? », C.R.E.R.I.-Université de Toulon et du Var, 27-29 mai 1998.

(13) Benlahcen Tlemçani M.,

« Emergence du développement local et solidaire : le cas de la région Languedoc- Roussillon », colloque du GRECOS, « Economie plurielle, économie solidaire : l’emploi en question », Université de Perpignan, les 20-21- 22 octobre 1999.

Servet J.M. (dir.), Une économie sans argent : les systèmes d’échange local, Paris, Seuil, 1999.

(14) Servet J.M.,

« Exclusion et monnaies locales », revue Economie et humanisme, n° 347, décembre 1998-janvier 1999.

(15) Baron C., « Sel,

Tableau 1

Les SEL dans la région Languedoc Roussillon

Aude Gard Hérault Lozère P.O. Total

2 11 7 2 1 23

(14)

Notre enquête qui a porté sur les SEL dans la région Languedoc Roussillon a permis d’identifier 23 SEL. Chaque SEL s’est forgé peu à peu ses propres règles éthiques, ses propres modes de contrôle. On a ainsi des SEL écologistes, d’autres tournés vers l’insertion et généralement associés à des structures d’insertion, certains sont même directement issus d’initiatives publiques. C’est le cas à Béziers, où le SEL a été mis en place par un agent de développement local. Certains SEL visent à lutter contre la pauvreté, d’autres ont parmi leurs membres des enfants : c’est le cas par exemple dans le SELlozérien du Pont-de-Montvert qui comptent une quinzaine d’enfants dont les parents sont également membres du SEL. Dans un certain nombre de cas, les SEL ont été crées dans la perspective de valorisation des ressources locales. Citons deux exemples. Tout d’abord celui du SEL de la Garigue dans l’Hérault crée à l’automne 1994 par des membres du CIEPAD (Centre International d’Echanges de Pratiques Appliquées au développement, situé à Viols-le-fort dans l’Hérault), qui est une association qui vise à faire évoluer les alternatives au modèle dominant en s’appuyant sur les concepts d’autonomie, de sécurité alimentaire et de territoire. Ce SEL apparaît ainsi comme un instrument possible d’autonomie locale, de mise en valeur des ressources locales et de lutte contre la mondialisation.

L’autre exemple est le SEL des Cévennes lozériennes qui a été crée par un Néerlandais vivant à Saint-Michel-de-Dèze, dans le cadre d’un projet beaucoup plus vaste de renforcement de l’activité économique, sociale et culturelle de la Vallée Longue à travers des activités de coopération et de collaboration entre agriculteurs et artisans locaux.

Les enquêtes que nous avons menées Sur les SEL dans la région Languedoc Roussillon ainsi que d’autres enquêtes réalisées dans d’autres régions de France (13) le confirment. Les SEL apparaissent comme un instrument de lutte contre l’exclusion en termes économiques (création d’un réseau d’entraide et de solidarité qui permet d’améliorer la situation matérielle), sociaux (insertion dans un réseau de relations qui peut contribuer efficacement au rétablissement d’une image positive de ceux qui se sentent exclus, revaloriser des savoirs ou savoirs-faire traditionnels ou aujourd’hui largement dévalorisés), mais aussi identitaires (reconnaissance individuelle et revalorisation de soi, sentiment d’appartenance). De toute évidence, les SEL ne peuvent constituer la solution à l’ensemble des difficultés d’insertion sociale. Pour des personnes qui se trouvent dans une situation matérielle précaire, que Serge Paugam définit par une « participation incertaine à la vie économique et sociale (16) », le SEL représente un espoir de trouver une opportunité d’emploi à travers le réseau de relations qu’il engendre.

Grâce à ce réseau, une personne peut se trouver en quelque sorte réaffiliée.

Certaines personnes bénéficiaires du RMI et membres des SEL dans la région ont trouvé effectivement un emploi par l’intermédiaire des SEL. C’est bien parce que les échanges réalisés avec la personne qui les a embauchées ont permis d’apprécier leurs compétences et de construire une relation de

Lets, Rel… une comparaison européenne des réseaux d’échanges locaux », revueEconomie et humanisme,n° 347, décembre 1998-janvier 1999.

(16) Paugam S., la France et ses pauvres,Paris, PUF, 1995.

(15)

confiance. Comme le précise à juste titre, J.M. Servet, « L’originalité des SEL consiste à interroger les mécanismes traditionnels d’insertion en promouvant un modèle de cohésion sociale non fondé sur le travail, mais sur la multiplication de rapports de proximité. Dans le cadre d’un SEL, ce n’est pas le travail qui donne une place dans le groupe. L’identité des personnes se fonde sur l’intensité et le caractère réciproque des échanges auxquels chacun participe, en se servant de l’unité de compte nouvelle comme d’un outil d’insertion ». Les SEL, innovations mises en œuvre par les populations, constituent un puissant moyen de débloquer des imaginations en panne. Ils conduisent en cela à une réflexion sur la légitimité des discours économiques dominants, trop souvent alliés du conservatisme en matière économique et sociale. Il faut quand même rappeler qu’en trois ans les SEL ont réuni plus de 20 000 personnes en France (13). La rapidité de ce développement montre qu’il y a une réelle demande d’innovation sociale.

Les SEL sont à la recherche de nouvelles articulations entre l’individuel et le collectif, entre le local et le global, entre le communautaire et l’Etat, qui pourraient déboucher sur la reconnaissance de droits nouveaux. Les conflits d’interprétation en matière de règlements appropriés sont de nature à handicaper fortement la dynamique des SEL.

B. Création d’activités et de réseaux de solidarité

La crise étant à la fois de nature économique (difficultés de créer une entreprise, de développer l’activité des PME, de satisfaire les besoins de l’ensemble de la population…) et de nature sociale (difficultés du “vivre ensemble”, d’avoir des relations sociales en dehors d’une activité rémunérée…), certaines collectivités territoriales tentent de repenser la question sociale non pas sous l’angle d’une régulation a posteriori, intervenant après la question du développement économique, mais en s’appuyant sur les relations sociales pour développer une économie plus humaine et plus performante.

Les enquêtes menées auprès des communes de la région Languedoc Roussillon nous ont permis d’identifier quelques communes au nombre de 10 situées soit en milieu rural soit en milieu urbain impliquées effectivement en partenariat avec le réseau de l’économie alternative et solidaire à promouvoir un développement local solidaire et alternatif (DLSA).

Le DLSA a pour objectifs de :

– favoriser des alliances et des liens de solidarité autour de la création ou du développement d’activité ;

– montrer que l’économie solidaire n’entend pas se situer “à côté” ou

“entre” l’économie de marché et l’économie publique, mais intègre dans sa politique comme dans son fonctionnement et ses structures les trois sphères du privé, du public et de l’individu ;

– créer un espace d’expertises et d’actions pour accueillir, informer et accompagner jusqu’à finalisation tous les projets économiques de

(16)

développement local correspondant aux valeurs liées à l’économie alternative et solidaire ;

– mettre en place une structure de rencontre et d’échanges entre la société civile, économique et politique sur le sens des actions à entreprendre et sur les valeurs à privilégier ;

– impulser un outil de développement local visant à susciter à la fois l’émergence d’un entrepreneuriat plus collectif mais aussi plus soucieux du facteur humain, de la nature des produits ou des services offerts à l’environnement ;

– aider les entreprises à la constitution de fonds propres par la création d’outils financiers solidaires tels que les cigales, les cagnottes emploi-solidarité et les sociétés de capital-risque ;

– pratiquer une politique d’attractivité du territoire en fournissant une offre foncière et immobilière adaptée aux entreprises classiques mais aussi aux entreprises alternatives et solidaires.

L’engagement du débat sur le thème de l’économie solidaire, le dialogue avec le tissu local ont permis un début de mobilisation de plusieurs dizaines d’habitants. Les mesures d’accompagnement, la création d’outils financiers solidaires, l’implication de plusieurs bénévoles experts, ont permis la création de plusieurs entreprises. Ces entreprises interviennent dans les domaines suivants : Commerce, services de proximité, entreprise d’infographie, coiffure à domicile, librairie, restauration rapide…

Si nous comparons le nombre de porteurs accueillis et le nombre de créations effectives, nous sommes à un taux inférieur à 10 %. Ce taux est sensiblement équivalent au taux obtenu par les organismes classiques intervenant dans le domaine de la création d’entreprises (CCI, Boutiques de gestion…)

* Clubs d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne.

** Les Cagnottes Solidarité Emploi permettent de collecter des dons auprès des particuliers, des associations et des entreprises. Ces dons sont affectés à des interventions en capital ou en prêt d’honneur à taux nul.

Tableau 2

Création d’entreprises dans le cadre du développement local solidaire Aude Gard Hérault Lozère P.O.

Accueil de porteurs 6 37 40 28 24

Accompant. 5 20 15 12 9

Créations effectives 2 4 6 3 2

Cigales* 1 1 2 1 en cours

Cagnotte**

Solidarité-emploi 1 1

La mise en place du DLSA a permis certes d’aider à la création effective d’un certain nombre d’entreprises. Mais il est à noter que très peu

(17)

appartiennent au tiers secteur, à l’économie solidaire et aucune des réalisations n’est le fruit d’un entrepreneuriat collectif. A l’heure actuelle, le DLSA n’a pas permis une institutionalisation des pratiques alternatives. Il n’a pas encore permis à l’économie solidaire au niveau régional de sortir de son isolement.

Par contre, le travail réalisé sur les différents territoires a permis à certains acteurs locaux de se rassembler, de réinventer des formes de coopération et de tracer des pistes nouvelles de développement local. Les résultats sont certes modestes, mais prometteurs au regard de l’ampleur de la tâche à accomplir. Néanmoins, au niveau du partenariat institutionnel, le DLSA a réussi à enclencher une dynamique locale “horizontale” tendant à décloisonner le tissu institutionnel. Actuellement, des partenariats existent avec des chambres de métiers, des agences de l’ANPE, des missions locales, des directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, des chambres de commerce et d’industrie, des fondations comme “Agir pour l’emploi” et des entreprises publiques ou privées. Ces différents partenaires interviennent, soit en jouant le rôle de prescripteur, soit comme donateur de biens matériels, ou encore comme financeur.

La crédibilité et la réussite du DLSA se trouvent irrémédiablement corrélées à l’adoption d’un hypothétique modèle d’action collective dans lequel les pouvoirs publics s’engageraient à soutenir des activités qui puissent favoriser des dynamiques de socialisation et de projet collectif. Cependant la conception d’une véritable politique dans ce domaine s’avère particulièrement ardue parce qu’elle se heurte de front à deux conceptions, l’une fortement ancrée dans l’histoire des Etats modernes selon laquelle l’écoute de la société civile signifierait un renoncement au politique, l’autre tout aussi partagée selon laquelle la formation et l’entreprise restent les voies royales de l’insertion comme c’était le cas dans la période de croissance.

Peut-on passer de pratiques d’économie solidaire à leur insertion dans un compromis sur la base d’une nouvelle distribution de la légitimité et des compétences entre l’Etat, le privé et la société civile ? Sur cette question, l’incertitude reste entière. Pourtant, quelle que soit la réponse apportée, la perspective de l’économie solidaire n’a pas qu’une portée pratique, elle peut dessiner une voie originale de bâtir autrement l’économie de mettre en place une “autre économie”. L’économie solidaire contribue à redonner à l’économie ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une science de la vie “ordonnée au développement humain”. « Dès lors, l’acte économique ne saurait être réduit à la production, à l’échange et à la consommation de biens matériels et de services ajustés par une mécanique de prix et de quantités ou de macro quantités. Il concerne la transformation du milieu existentiel des hommes en vue d’une fin bénéfique pour tous, une participation à la vie, il s’accorde à l’épanouissement de chacun et de tous (17). »

(17) Obadia M., Sortir de la préhistoire économique, Paris, Economica, 1997.

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