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EN FRANÇAIS S'IL VOUS PLAIr. Lise Gauvin POUR LA LANGUE FRANÇAISE...

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Academic year: 2022

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Lise Gauvin

EN FRANÇAIS S'IL VOUS PLAIr

!

U

1ne anecdote, d'abord.

Un jour, fatiguée d'un hiver plus gris que les autres, je pris le parti de réagir et de m'occuper sérieusement de ma forme physique. Puisque le ski m'était de plus en plus inaccessible, que la bicyclette était un sport difficileà pratiquer l'hiver, et que le patin me faisait mal au pied, j'irais m'astreindre religieusement à tirer, pousser, relever les machines susceptibles de me transformer en Jane Fonda. Je décidai donc, sans plus tarder, de me joindre aux membres-fondateurs du club sportif « le plus perfectionné au Canada » et allai m'y inscrire dès le lendemain, de crainte que les prix n'augmentent une fois de plus. Ce nouveau club, annoncé dans tous les quotidiens, était installé au beau milieu d'un quartier francophone montréalais, à deux pas de l'université de Montréal.

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Pour « me mettre en forme dans un cadre raffiné et dynamique »,j'optai pour un type d'exercice nommé le«condition- nement doux »,appelé aussi«aérobic sans saut»,Résistant à l'envie de lire le dernier livre paru, je me rendis bravement, un samedi après-midi, à l'endroit tant recherché, une sorte de mosquée méditerranéenne éclatante de blancheur sur la neige boueuse des parkings. C'est là que se trouvaient, dans une salle donnant sur les terrains de squash, une trentaine de femmes de tous âges et trois hommes. J'arrive juste au début du cours. Le moniteur fait un petit boniment de cinq minutes en anglais, puis se dirige vers l'appareil à cassettes. Je lève la main. Il me regarde d'un air interrogateur. Je dis: «En français, s'il vous plaît. ))Il dit«Ah! ))d'un air très ennuyé.

L'assistance dit«Ah ! ))aussi. Ce«Ah ! ))peut s'interpréter de diverses façons. C'est«Ah! vraiment elle exagère! »ou « Encore une qui fait des histoires» ou «Pourquoi déranger un moniteur si gentil? »

«Y a-t-il une traductrice dans la salle? )) demande-t-il. Une femme lève la main. Il lui demande :«Could you translate for her? )) En insistant sur le her. Je réponds immédiatement, à voix haute et en français: «Pas pour moi, mais pour toute la classe. )) La traductrice improvisée traduit trois phrases puis dit qu'on n'a qu'à regarder. Le cours commence. Je fais tout ce qu'on me dit, au son de la musique, pendant un quart d'heure. Toutes les indications techniques sont données en anglais. La musique s'arrête. Nouveau boniment de quelques minutes. Nouvelle levée de main de ma part. La

«traductrice» me foudroie des yeux et me dit de faire la même chose que le moniteur. Je demande tout de même: «En français, s'il vous plaît. )) Il va vers l'appareil de musique et augmente le son. Il crie très fort : « One, tuio, three )), puis dit :« Traduction : un, deux, trois )), en se moquant. Toute la classe rit aussi. N'est-ce pas ridicule de ne pas savoir compter en anglais? Je les regarde toutes, ces belles et moins belles dames, muettes et ricanantes. Malaise. Il dit qu'il faut continuer. Murmures approbateurs de la salle. Je suis sûrement une cinglée. Personne n'a de temps à perdre. Qu'est-ce qui me prend à réclamer de la gymnastique en français? « Up and doum, one, tuio, three, cross, bade. up again, righi; left, bend your lenees, raise your head. )) Troisième interruption de la musique. La classe est maintenant sur le matelas. Longue explication en anglais. Je dis encore: «En français, s'il vous plaît. )) Il dit :«C'est très bien, ça

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me fait pratiquer. )) Il dit : «Posez votre tête sur le plafond... ou peut-être le plancher. Mettez votre main derrière le cu... le cou. )) Puis il passe àl'anglais et demande si quelqu'un aimerait le cours en italien. Une jeune femme me traduit àmi-voix tout ce qu'il dit.

Je lui explique que je comprends aussi bien qu'elle. Elle semble étonnée. Une autre me lance un clin d'œil. Ouf! je commence à respirer. Elles ne me prennent pas toutes pour une folle. A la fin du cours, le moniteur remercie la classe qui l'applaudit. Pas un seul «au revoir» n'est prononcé. Dans le sauna, quelques minutes plus tard, l'une des femmes me dit : «Ne lâchez pas, vous avez raison. ))

Vivre en français àMontréal n'est pas si simple qu'on ne le croit souvent à distance. Bien sûr, l'Etat a légiféré en 1977 et institué le français langue officielle du Québec. Cette loi a à son tour été jugée inconstitutionnelle par la cour suprême d'Ottawa qui a décrété qu'elle contrevenait àla législation fédérale sur le bilinguisme. Une autre loi québécoise, plus souple, a remplacé la première. Le statut politique accordé au français au Québec, s'il n'a pas tout réglé d'un seul coup et comme par enchantement, n'en a pas moins profondément changé les rapports sociaux. Maintenant tenus à apprendre le français, les nouveaux arrivants fréquentent l'école francophone et par le fait même ne s'intègrent plus automatiquement àla communauté anglophone, comme c'était le cas auparavant. Dans le Montréal cosmopolite d'aujourd'hui, tous les commerçants doivent pouvoir s'adresser à leurs clients en français, ce qui était fort différent ily a quelque vingt ans. Mais il y a les exceptions, nombreuses. Ce qui oblige à une vigilance constante. La situation du Québec en Amérique du Nord est une situation très particulière, délicate. Sa complexité même en fait un cas du plus grand intérêt.

Si bien des Québécois sont bilingues et si plusieurs d'entre eux éprouvent un plaisir certain àmanier les langues étrangères, il est périlleux pour eux d'acquiescer à un bilinguisme collectif et institutionnel qui, dans la pratique, reviendrait à entériner la suprématie de la langue anglaise et marquerait le retour à la diglossie ancienne. Car le jour où il sera confinéàun usage privé, le français disparaîtra ou cessera de se développer comme langue, ce qui revient à peu près à la même chose. Cela, il est difficile de le

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comprendre si on n'a pas vécu au Québec, et mieux encore à Montréal, durant un certain temps.

Littérature d'Amérique, la littérature québécoise est ainsi, depuis ses débuts, marquée par le double enjeu que constitue son développement en français. Enjeu politique d'abord, car le sort d'une littérature est inextricablement lié à celui de la collectivité et de la langue dont elle procède. Si tout écrivain a jusqu'à un certain point mandat d'illustrer et de transformer la langue, l'écrivain québécois se trouve dans la situation inconfortable d'avoir à recommencer constamment un combat pour que le français demeure chez lui la langue de l'Etat, de la culture et des communications. Enjeu esthétique également. Que signifie écrire en français? Toute la littérature québécoise est traversée et hantée par une sorte de surconscience linguistique qui a provoqué, au cours des époques, les stratégies textuelles les plus diverses. Mais cette surconscience est aussi une conscience de la langue comme d'un laboratoire de possibles, d'un matériau dont les données sont en constante mutation.

Dire l'Amérique en français signifie dire autrement l'Améri- que. Le temps n'est plus aux nostalgies passéistes ni au folklore sécurisant. Aux Etats-Unis, les traces des découvreurs français, comme aussi, dans bien des régions, les vestiges des îlots francophones sont devenus objets de musée et sujets de recherche pour ethnologues. Au Québec, nous n'en souhaitons pas tant. Au carrefour de diverses influences, nous expérimentons depuis quelques siècles déjà la mixité postmoderne. Nous vivons en français, mais rêvons en américain et comptons nos dollars en anglais. N'avons-nous pas l'avantage, à cause de cette situation qui est la nôtre, d'un regard critique plus soutenu et d'une inaliénable étrangeté? Sil'Amérique peut très bien se passer de nous - on évalue à deux pour cent le nombre des personnes parlant français dans l'ensemble du continent -, nous avons besoin, de notre côté, de prendre place dans ce territoire, de le réfléchir et de l'inquiéter, ne serait-ce que symboliquement et du seul fait de notre présence. La petite phrase «En français, s'il vous plaît ii, loin d'être innocente, est une manière d'installer une bibliothèque et une culture au cœur de l'espace américain. Mais nous avons besoin tout autant d'affirmer nos solidarités avec tous ceux qui, des Antilles à l'Amérique du Sud, échappent aux définitions trop englobantes et au nivellement des

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langages. Sur ce point, le Québec tient lieu de laboratoire privilégié:

il doit et devra faire en sorte que ses propres minorités, qu'elles soient amérindienne, italienne ou haïtienne, soient respectées au plus haut niveau.

Ecrire aujourd'hui à Montréal, c'est rendre compte d'une polyphonie urbaine et d'un décentrement. La ville s'invente chaque jour, sans modèles préétablis, dans la mixité des cultures et des langues qui la parcourent, entre un hiver trop long et un été trop chaud. Tout y prend couleur d'excès. Parfois on évoque New York à son sujet, à cause de certaines rues et de son apparence anarchique.

Mais à une autre échelle et l'argent en moins. Le rythme y est plus lent, les best-sellers plus rares. Si l'édition québécoise se porte assez bien - une centaine de maisons d'édition publient bon an mal an de huit à dix mille titres, tous genres confondus -, il n'est pas facile d'être lu hors du Québec quand on publie au Québec. Un livre écrit à Montréal par un écrivain québécois n'arrive pas à circuler en France et dans les pays francophones, à moins d'être pris en charge par un coéditeur ou un éditeur français. Mais là encore, la mode n'est-elle pas plutôt aux traductions? Ainsi trop souvent sommes- nous condamnés à une marginalité que nous n'avons pas souhaitée.

A cause de la faiblesse d'un système de diffusion. Mais aussi à cause d'un manque d'attention ou de curiosité de la part d'un certain public, qui cherche encore trop souvent en Nouvelle-France les archétypes paysans, les archaïsmes langagiers et les Peaux- Rouges.

Côté langue, l'écrivain québécois n'en est plus à une impertinence près. Après la provocation du joual, il s'engage dans un usage libre et même libertaire du lexique qui est le sien. Disparus la note au bas de la page, l'italique soulignant l'écart par rapport à une norme extérieure ou encore le commentaire explicatif assurant en quelque sorte la « traduction » de certains mots. Littérature mineure au sens kafkaïen du terme, la québécoise en assume le défi si l'on entend par là « les conditions révolutionnaires de toute littérature au sein de celle que l'on appelle grande (ou établie)»

(Deleuze et Guattari). Pendant ce temps les femmes qui écrivent féminisent la langue, au grand scandale des grammairiens d'outre- Atlantique qui ne comprennent pas que l'on puisse tenir à son titre d'écrivaine ou d'auteure. De plus en plus, également, des écrivains

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venus d'ailleurs choisissent d'écrire en français et informent leurs textes d'un substrat venu d'autres langues.

Il n'y a pas au Québec une tradition normative de la langue.

Ce qui dans certains cas est une lacune peut aussi se transformer, par un retour du balancier, en souplesse inventive. Lacune en effet puisque cette absence conduit parfois à une forme de mutisme prudent: de peur de se tromper, de peur de«mal parler»;on risque de passer de francophone à franco-aphone. Mais souplesse aussi car l'écrivain n'a aucun scrupule à tirer vers lui les mots les plus étonnants, àfaire dévier le lexique etàs'évader des codes par trop contraignants. De l'Homme rapaillé à Déuadé, de l'Amer à La grosse femme d'à côté est enceinte) de Ha !Ha! à l'Homme gris,sa langue littéraire, comme celle d'autres écrivains francophones, est fonda- mentalement axée sur un vertige polysémique et une pratique du soupçon. Toute la littérature québécoise est un vaste éloge de la variance.

J'écris à Montréal à partir des circonstances qui conjuguent mes appartenances multiples. Comme beaucoup d'autres, j'éprouve une grande lassitude face au combat linguistique et au danger toujours réel du no man 's langue) craignant par ailleurs que tout ce bruit autour des langues ne risque d'en taire le bruissement. Le sentiment de la langue est quelque chose de secret, d'intime, qui s'accommode mal des défilés collectifs et n'a que faire des mots d'ordre volonta- ristes. Comme l'acte d'écrire, ce sentiment porte en lui-même sa propre justification. Tout écrivain, et plus particulièrement celui des pays dits en émergence ou périphériques, navigue constamment entre les périls opposés du folklore et d'un certain universalisme apatride, l'un et l'autre contraires àl'exigence d'écriture. Dans une attention aiguë aux particularismes, il travaille la langue commune, la transforme, la déterritorialise dans l'écrit. Revendiquant l'exotisme au sens le plus élevé, soit celui donné par Segalen d'une (( esthétique du divers ))) il doit en même temps se méfier d'une certaine lecture de son œuvre qui correspondrait de trop près aux attentes d'un public étranger. Les exclamations entendues devant des « vieux mots français» ou le fameux langage québécois cachent trop souvent les véritables enjeux d'une littérature moderne et américaine.

J'essaie de trouver ma langue dans la langue mais plus encore les langages par lesquels la relation à l'Autre devient possible dans

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la reconnaissance réciproque. Sachant par contre que toute langue est étrangèreàcelui qui écrit et qu'il n'y a pas une mais des langues françaises, je crois que la seule attitude possible, pour l'écrivain, est celle de l'irrespect, de la délinquance et de la mise en jeu.

D'autre part et sur le plan institutionnel, la francophonie n'est viable qu'en acquiesçant à la différence dans tous ses états. A ce titre, elle reste à inventer.

Lise Gauvin

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