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LE français a été pendant plus de deux siècles et demi la langue

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Academic year: 2022

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LE FRANÇAIS,

LANGUE DIPLOMATIQUE

L

E français a été pendant plus de deux siècles et demi la langue diplomatique. Il semble qu'il ne jouisse plus, aujourd'hui, ou, du moins, plus dans la même mesure, du même privilège*

Comment s'explique, après une aussi longue faveur, cet apparent déclin ? E n sommes-nous responsables ? Une autre langue a-t-eUe pris, est-elle en train de prendre sa place ? S'il est vrai qu'il ne le soit plus, le français peut-il espérer redevenir l'instrument préféré des diplomates ? Sur ce thème, je voudrais présenter ici quelques observations et réflexions.

Les traités de Westphalie sont, si je ne m'abuse, les derniers grands traités rédigés en latin, le latin ayant été, jusque là, la langue commune des chancelleries européennes. Mais déjà, à cette époque, nos négociateurs avaient fait sensation en employant le français dans les interminables et fastidieuses conversations qu'ils menaient avec leurs collègues, tant à Munster qu'à Osnabruck.

Désormais, notre langue va supplanter le latin. Tous les traités seront rédigés en français. Les Traités de Louis X I V , de Louis X V , de Louis X V I , ceux de Napoléon Ie r, les Traités de Vienne, le Traité de Francfort — et non seulement les traités dans lesquels la France est partie, mais ceux qui sont conclus par d'autres pays que la France et en dehors d'elle ; et non seulement le français sera la langue diplomatique écrite, il sera aussi la langue diploma- tique parlée ; il sera la langue de la correspondance courante et des notes officielles, et aussi celle des audiences, celle des confé?

rences et des congrès.

C'est ainsi que le français a été la langue du Congrès de Berlin, en 1878.

Il convient d'ailleurs de noter que cette primauté du français lui est reconnue en fait, mais non en droit.

LA REVUE N« 8 t

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Des réserves formelles, inscrites, par exemple, dans le Traité de Rastadt (1714), dans les Traités d'Aix-la-Chapelle (1748) et de Paris (1763), ou encore dans l'article 120 de l'acte final du Congrès de Vienne (1815), le spécifient et le rappellent expressément.

On recourt de plein gré au français pour des raisons de commodité ; - mais on a soin de préciser que la France ne pourra s'en prévaloir pour imposer l'usage de sa langue. L a Grande-Bretagne tient parti- culièrement à le marquer. Son ministre des Affaires étrangères, Grenville, recommande, du reste, dès 1800, à ses collaborateurs du Foreign Office, de s'exprimer en anglais et non plus en français dans leurs échanges de vues avec les représentants diplomatiques accrédités à Londres.

Le français n'en règne pas moins sans contestation pendant la seconde moitié du x v ne, pendant le xviir8 et le xixe siècle.

Cette suprématie s'explique sans peine. Elle est due à la position dominante que la France, à la tête d'une Europe qui conduit le monde, occupe à la fois sur le plan de la population, de la richesse, de l'influence politique, de la force militaire, et sur le plan de la pensée, des techniques, des arts, des modes de vie, domaine où les œuvres qu'elle produit, les mœurs qu'elle adopte suscitent en tous lieux la sympathie, l'admiration, l'imitation. Tous les regards sont tournés vers elle. C'est un pays plus avancé que les autres, comme il en a été de l'Italie, au temps de la Renaissance; une source de lumière qui émane d'un Roi-Soleil. Aussi sa langue ëst-elle celle de toutes les cours souveraines, de l'élite aristocratique, de l'élite intellectuelle, des milieux dirigeants des grands et des petits Etats, la langue de la communauté européenne, chrétienne, monarchiste et humaniste.

Mais on ne l'emploie pas seulement parce qu'elle est la langue d'un puissant et brillant royaume. On l'apprécie à cause de ses mérites propres. On voit dans le .français le plus digne héritier du latin, un instrument d'expression supérieur aux autres, parce qu'il est construit sur une solide armature grammaticale qui oblige à la rigueur dans l'analyse et à la précision dans les termes, parce qu'il convient particulièrement à l'argumentation logique, à la démonstration, aux démarches progressives du raisonnement, parce qu'il exige et répand la clarté, — cette clarté qui, dans les actes diplomatiques, doit éliminer les malentendus et le rebon- dissement des conflits, — parce qu'en même temps, et enfin, il se prête avec une souplesse inégalable à l'énoncé deB nuances

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LE FRANÇAIS, LANGUE DIPLOMATIQUE 679 les plus délicates, les plus passionnées ou les plus galantes du sentiment. D u consentement général, ce qui passe par le français est transformé, mis au point, ajuste, rendu accessible et compré- hensible à tous.

Ce sont donc ses qualités qui ont fait de la langue française la langue universelle. « De toutes les langues, elle est la seule qui ait une probité, attachée à son génie... Sûre, sociale, raisonnable, ce n'est plus la langue française, c'est la langue humaine ! Et voilà pourquoi les Puissances l'ont appelée dans leurs traités. » Telle est l'affirmation de Rivarol, dans le mémoire fameux, qui lui valut le prix de l'Académie de Berlin (1784), ou plutôt la moitié de ce prix, car l'Académie couronna, en même temps, la dissertation, écrite en allemand, de Johann Christoph Schwab.

Mais tout change, tout coule ; la vie, c'est le mouvement, qui tout défait et tout/refait, sans cesse.

Les raisons qui ont procuré au français le privilège d'être la langue diplomatique se modifient et s'affaiblissent peu à peu.

Sans doute, à travers les vicissitudes de son histoire, la France garde-t-elle un rôle politique primordial. Ses échecs n'amoin-- drissent pas son influence. Quand son astre se voile, c'est pour briller, l'instant d'après, d'un feu plus vif. A plusieurs égards, elle perd, cependant, l'avance dont elle bénéficiait. Elle n'est plus l'Etat le plus peuplé d'Europe. L'Allemagne, l'Angleterre, qu'elle dépassait de beaucoup, la rattrapent et la dépassent à leur tour, largement.

D'autres cultures, qui se sont enrichies, souvent grâce à elle, d'autres langues qui, à son exemple, se sont perfectionnées, rivalisent avec elle. A u fur et à mesure des progrès de la démocratie, les hommes politiques dirigeants, les diplomates ne se recrutent plus exclusi- vement dans les milieux de l'ariatocratie. L a bourgeoisie, le peuple, d'où ils proviennent, ne parlent que la langue de leur propre pays.

Enfin, le nationalisme, nourri par le romantisme du xixe siècle, devient la passion croissante, et de plus en plus dévorante, des hommes. L a langue, si l'on ose dire, est un drapeau. Elle est une manifestation essentielle du sentiment national. Chacun met son point d'honneur à parler sa langue et à rédiger en sa langue.

Si l'on joint à ce phénomène le fait que, non seulement les Dominions, mais les Etats-Unis interviennent et occupent une place de plus en plus importante dans la politique de l'Europe et du monde, et qu'ignorant les langues étrangères, et ne désirant pas les apprendre, ils apportent par leur présence un renfort consi-

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dérable à l'usage de l'anglais, on comprendra qu'à l'issue de la première guerre mondiale, dans la conférence de la Paix, et la rédaction du Traité de Versailles, l'anglais ait été employé comme langue diplomatique, à égalité avec le français. Le 15 janvier 1919, le ministre des Affaires étrangères de France* Stephen Pichon, avait proposé que l'on se conformât à la tradition et que l'on adoptât le français, comme langue officielle de la Conférence.

Lloyd George et le Président Wilson refusèrent, en invoquant le rôle joué dans la guerre par le groupe des Etats anglo-saxons ; ils réclamèrent pour l'anglais la parité avec le français. A u bout de trois jours, la France céda. Il fut décidé que les plénipotentiaires parleraient, à leur guise, l'une ou l'autre langue, et que les procès- verbaux de leurs discussions seraient rédigés dans l'une et dans l'autre. Le traité lui-même fut rédigé de la même façon. Son article 440 précisa que le texte français et le texte anglais, imprimés côte à côte sur deux colonnes, feraient foi, tous les deux, de telle sorte que, si des divergences d'interprétation s'étaient élevées, elles eussent été sans fin et sans remède.

Certains pensent qu'en agissant comme il l'a fait, Lloyd George a obéi à un sentiment de malveillance envers nous et qu'il y a entraîné le Président des Etats-Unis, Peut-être suffit-il d'admettre que les deux hommes d'Etat se sentaient ennuyés, sinon humiliés, de ne pas savoir le français et que plusieurs de leurs collaborateurs, au moins parmi ceux de l'Américain, étaient dans la même gêne.

L a clef d'un pareil état d'esprit, il est possible qu'elle nous soit fournie par le passage suivant d'une lettre peu connue du prince de Bismarck et dans lequel celui-ci déclare : « E n prenant contact avec le monde, tu te trouveras souvent dans des situations où tu ressentiras un malaise, et même une humiliation, si tout ce qui est français ne t'est pas familier. »

Il n'est pas exact, d'ailleurs, que le Traité de Versailles ait été le premier grand traité rédigé en français et en anglais. Avant lui, le Traité de Portsmouth, qui a mis fin^ en 1905, à la guerre russo-japonaise, avait été écrit dans ces deux langues. Plus ancien- nement encore, en 1861, le traité conclu entre la Chine et le Zollve- rein avait reçu simultanément une version française, une version allemande et une version chinoise. Les traités qui firent suite au

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LE FRANÇAIS, LANGUE DIPLOMATIQUE 581 Traité de Versailles et qa'oh appelle quelquefois « les traités de

banlieue », ceux de Saint-Germain, de Sèvres et de Neuilly, furent rédigés en français, en anglais et en italien.

L'accord turco-yougoslave du 14 avril 1932, les accords de compensation passés de 1931 à 1934 par l'Italie avec l'Autriche,- la Hongrie, la Yougoslavie, la Turquie, la Roumanie, n'ont été écrits qu'en français.

Cependant, le pacte à Quatre, du 7 juin 1933, a été rédigé en allemand,'en anglais, en italien et en français. Mais, dans son article 6, il a indiqué que la version française ferait foi. E t cette clause figure dans tous les actes qui viennent d'être cités, à l'excep- tion du Traité de Versailles.

Le français n'est donc plus la langue diplomatique unique.

D'autres langues sont utilisées concuremment avec lui, et notam- ment l'anglais. Mais il garde au milieu d'elles le rôle d'un arbitre.

C'est lui qui, à l'occasion, les départage. Il passe avant elles, primus înter pares, comme Louis X V I I I , qui pénétrait le premier dans sa salle à manger, avant l'empereur d'Autriche, le roi de* Prusse et le tsar de toutes les Russies, ses invités.

L'usage, à égalité, du français et de l'anglais dans la négociation du Traité de Versailles, s'il est vrai qu'il est bien le signe de l'avè- nement d'une nouvelle époque, a entraîné, du même coup, une conséquence fort notable. Il a fait apparaître un personnage jus- qu'alors inconnu, du moins, en Europe occidentale : l'interprète.

L'obligation de traduire en français tous les propos tenus en.

anglais, et inversement, a eu l'inconvénient d'allonger les séances ; elle a eu, en compensation, l'avantage de donner à l'interlocuteur un délai, souvent très utile, de réflexion supplémentaire ; mais elle a surtout investi l'interprète d'un pouvoir redoutable. Car ce dernier n'est pas une machine ; c'est un homme. On est en droit d'attendre de lui qu'il possède une connaissance parfaite des deux langues entre lesquelles il évolue. Il est donc nécessaire qu'il soit*

instruit et cultivé. S'il est d'un niveau intellectuel assez haut, il a d'autant plus facilement des pensées propres, un jugement, des sentiments personnels. Quel que soit son effort de neutra- lité et d'impartialité, il n'est pas absolument maître du ton et des inflexions qu'il emploie. Sa traduction en revêt une couleur, qui n'est pas toujours exactement celle de l'original, soit qu'elle l'accentue, soit qu'elle l'affaiblisse. E n outre, si le discours qu'il doit traduire est long et improvisé, il faut qu'il ait une mémoire

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infaillible ou qu'il sache prendre des notes en sténographie, pour le reproduire sans omission. Ainsi s'est introduit dans la diplomatie moderne un facteur d'incertitude et de trouble, qui n'existait, pas, lorsque le français était la langue commune. Paul Mantoux et Camerlynck ont été les.créateurs du genre à la Conférence de Versailles. L'un et l'autre ont été des interprètes de premier ordre et leur talent, leur honnêteté, n'ont pas été fréquemment atteints par la suite. L'interprète de Hitler, Paul Schmidt, dont la virtuo- sité était assurément grande, s'est vanté d'avoir, autant qu'il était possible, adouci les éclats de son Fûhrer et je peux témoigner qu'effectivement il s'y appliquait, et non sans succès.

À la Société des Nations, le bilinguisme du Traité de Versailles s'est conservé. Le français et l'anglais ont été les deux langues officielles. Mais, favorisé par le milieu genevois, le français l'a emporté, dans la pratique. A u contraire, à l'O. N . U . , après la seconde guerre mondiale, dans le milieu new-yorkais, c'est l'anglais qui a pris le dessus.

A l'O. T. A . N . , à l'O. E . C. E . , à'PU. N . E . S. C. 0., la position du français est aussi forte que celle de l'anglais.

A u Conseil de l'Europe, à Strasbourg, les deux langues officielles sont, pareillement, le français et l'anglais ; mais le français y a, si l'on peut dire, plus de clients. Toute autre langue que le français et l'anglais peut, du reste, être employée, à condition que celui qui s'en sert fournisse la traduction et en fasse les frais.

A la Communauté du Charbon et de l'Acier, l'allemand a droit de cité. C'est pourtant le français qui domine.

E n fait, dans les grands pays, les diplomates continuent à user du français. L a plupart des jeunes fonctionnaires du Foreign Office et de YAustoârtiges Amt, les Italiens et les Espagnols, le comprennent parfaitement, le parlent et l'écrivent couramment.

Les représentants des pays dont la langue est peu usitée rédigent leurs notes soit en français, soit en anglais. Il serait donc exagéré, du moins pour le moment, de prétendre que l'anglais ait supplanté et évincé, dès maintenant, le français. Il a pris place à côté de lui, et sur le même rang, comme dans les colonnes du Traité de Versailles.

Les deux langues vivent en bonne intelligence, la balance penchant tantôt vers l'une, tantôt vers l'autre.

Récemment, dans une réunion de la Croix-Rouge internationale, un Américain s'était laissé aller à dire qu'il n'était pas nécessaire de traduire son discours en français, parce qu'à l'heure actuelle

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tout le monde, assurait-il, parlait anglais. Là*deBâus vinrent i la tribune un Polonais, un Brésilien, un Turc, un Persan, un Greo, uri Roumain. Tous s'exprimèrent en français. Je lui envoyai alore un mot ainsi conçu : « Cher Ami, je ne sais si je me trompe, mais j'ai l'impression qu'il y a encore quelques pays qui préfèrent parler le français, plutôt que l'américain. »

Il y a peu de mois, les gouvernements des Etats fédérés d'Alle- magne Occidentale voulurent décider que l'anglais serait la première langue étrangère, obligatoirement enseignée. De nombreuses pro- testations s'élevèrent aussitôt, principalement dans tes Lacnder, du Sud, en Wurtemberg, en Bade, en Bavière, si bien que, dans la pratique, le français demeurera* première langue d'enseignement, là où les intéressés en exprimeront le désir. Les raisons invoquées par les partisans du français étaient tirées de l'histoire, de l'influence prédominante exercée par la France sur l'Allemagne au cours de plusieurs siècles, des rapports étroits, bien que souvent tumultueux, des deux pays, mais aussi de motifs d'un autre ordre. Le français, affirmaient ses défenseurs, a, pour les Allemands, une vertu « for- matrice ». Il a une syntaxe, des temps, des modes, des règles, qui obligent les esprits à réfléchir. Il est porteur d'une discipline qui lui confère une valeur éducative, comparable à celle du latin, et que l'anglais ne possède pas.

L'ombre de Rivarol a dû, j'imagine, frémir d'aise en constatant que son discours, vieux de cent soixante et onze ans, et les argu- ments qu'il énonce, gardaient leur foroe.

Qu'il y ait encore des étrangers, voire des Allemands, pour s'en faire les avocats, nous autorise à considérer que la cause du; français est loin d'être perdue. Mais nous ne devons pas, pour autant, nous leurrer d'illusions. A la vérité, le français conserve dans les échanges de la diplomatie une situation meilleure que dans la vie quotidienne des peuples. C'est la diplomatie qui lui demeure le plus fidèle. Il est en recul en Russie. Les chefs soviétiques ne le parlent pas et, semble-t-il, ne le comprennent pas ; en tout cas, ils ne s'en servent pas ; leurs satellites des Balkans y ont encore recours, mais non sans hésitation et avec la crainte manifeste de déplaire à leurs maîtres. Dans les pays d'Amérique latine, la jeune généra- tion, même si elle ne ressent pas pour la toute-puissante Amérique une sympathie particulière, se montre de plus en plus attirée par l'anglais.

E n revanche, le français reste la langue d'un tiers du

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Canada, du Proche-Orient, de l'Afrique du Nord, de l'Afrique Occidentale et Equatofiale, de l'Indochine, des Antilles. E t l'on peut dire qu'il est toujours, à l'heure actuelle, la langue de l'élite mondiale.

Le phénomène frappant n'est pas tant que l'anglais, qui était déjà la langue maritime et qui est devenu la langue aérienne, progresse à ses dépens. C'est plutôt l'accentuation de la tendance, sensible dès. le début du siècle, et qui pousse chacun dans les réunions internationales à parler sa langue, comme si d'emprunter une langue étrangère était un acte de déloyauté ou de trahison envers sa propre patrie. Phénomène singulier et bien paradoxal, si l'on songe que, parallèlement, se poursuivent des efforts obstinés pour renverser les barrières trop étroites des Etats et créer des entités plus vastes ! L a conséquence logique de ce mouvement devrait être la recherche et l'adoption d'une langue commune. On assiste, au contraire, en matière de langage, à l'aggravation du particularisme nationaliste. L'Europe d'aujourd'hui est moins avancée que celle du Moyen-âge, qui parlait latin, ou que celle du x v me siècle, qui parlait français.

L'un des résultats d'une pareille contradiction, c'est la multi- plication des interprètes. A la Conférence de la Paix, en 1919, à Versailles, ils n'étaient que quelques-uns. Ils sont, aujourd'hui, légion. O n se contentait, jusqu'ici, de la traduction dite « succes- sive ». On réclame, maintenant, la traduction « simultanée ». Une conférence internationale offre le spectacle d'une assemblée dont les membres ont sur les oreilles un casque de demoiselle du téléphone, tandis qu'au fond de la salle, enfermés dans des cages de verre, qui les font ressembler à de diligents écureuils, des virtuoses de la traduction transposent, en trois ou quatre langages différents, les discours des orateurs, en même temps qu'ils sont prononcés, mais toujours avec une phrase de retard.

Se lassera-t-on de ce Babélisme ? Mettra-t-on bas les casques ? Dans une telle hypothèse, il n'est pas interdit d'espérer que l'on découvrira, de nouveau, l'avantage d'une langue commune et que cette langue pourra être le français. Quoi qu'il en soit, notre devoir est de ne rien négliger pour développer, s'il est possible, et de toute façon, pour entretenir à travers le monde l'usage et la connaissance de notre langue. A cet égard, l'Alliance française témoigne d'une activité, d'un zèle, d'une persévérance, que l'on ne saurait trop

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proclamer, ni trop louer et dont nous lui sommes profondément reconnaissants. Elle est l'auxiliaire précieux, indispensable, de nos Services culturels.

Et puisque je prononce ce mot de « culturel », je rappellerai qu'une langue est essentiellement le support, le* véhicule d'une pensée, l'expression d'une civilisation, le moyen de la diffuser et de la faire rayonner, le moyen aussi d'arriver jusqu'à elle et de s'en imprégner. Il faut donc que cette pensée soit, elle-même, subs- tantielle, vigoureuse, vivante, qu'elle soit claire — penser, écrire, parler en termes obscurs, c'est décevoir les amis du français — il faut qu'elle réponde aux interrogations, aux inquiétudes de la conscience moderne, qu'elle touche, les coeurs et les esprits de ceux qui atten- dent d'elle un signe, il faut que, tout en guidant sur les chemins de l'avenir ceux qui viennent à elle, elle demeure fidèle aux tradi- tions de liberté, de générosité, d'humanité, qui ont toujours été l'honneur de notre pays.

Prenons garde, en outre, que le temps présent attache une importance croissante aux valeurs scientifiques. Il juge un peuple d'après le tonnage d'acier qu'il produit, la quantité d'énergie qu'il consomme, les découvertes auxquelles il attache son nom, plutôt que d'après ses pièces de théâtre et ses romans.

Dans cette émulation, la France» ne doit pas rester en arrière.

Pour occuper une place digne d'elle, il est nécessaire qu'elle consacre sa peine, ses ressources, son génie, aux recherches qui font progresser les sciences et les techniques.

Mais elle ne doit pas, pour autant, se détourner des valeurs littéraires, qui ont fait sa gloire, qu'elle n'a pas cessé d'aimer et de cultiver et, dans le domaine desquelles elle est toujours riche et brillante. Il lui appartient de concilier en une synthèse équilibrée les sciences et les lettres, de corriger par les qualités des unes les défauts des autres, d'empêcher que ne s'établisse le règne inexorable de l'équation, de la réaction chimique, de la machine, de réserver leur part à la fantaisie individuelle, aux arts, à l'élégance, à la poésie.

C'est, selon moi, sa vocation, sa mission.

Si elle sait l'accomplir, le français conservera son empire ; car il sera le reflet d'une civilisation harmonieuse et de juste mesure, et qui restera dans l'avenir ce qu'elle a toujours été dans le passé : la plus humaine de toutes.

A N D R É F R A N Ç O I S - P O N C E T .

Références

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