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Ville et hospitalité

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Ville et hospitalité

RAFFESTIN, Claude

RAFFESTIN, Claude. Ville et hospitalité. In: Gotman, Anne et Aymard Maurice. Ville et hospitalité. Textes de synthèse du séminaire (1995-1996) . Paris : Fondation de la Maison des sciences de l'homme, 1997. p. 30-37, 62-63

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4515

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Claude Raffestin

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REPÈRES POUR

UNE GÉNÉALOGIE DU PROBLÈME

Le nouveau dispositif territorial qu'a représenté la ville, lorsqu'elle a émergé, a supposé une hiérarchisation socia- le affirmée, le blocage de l'autorité et du capital du grain entre les mains d'une élite constituée par le pouvoir à la fois militaire et religieux, comme l'a montré Leroi- Gourhan. La ville est en fait la mise en place et la forma- tion d'un nouveau système de discontinuités spatiales, temporelles et culturelles qui, en tant qu'écogenèse humai- ne, a instauré un système complexe porté par des muta- tions politiques, économiques et sociales qui ont fait émer- ger une nouvelle territorialité qu'il est loisible de définir comme l'ensemble des relations qu'une société entretient non seulement avec elle-même mais encore avec l'exté- riorité et l'altérité, à l'aide de médiateurs, pour satisfaire ses besoins dans la perspective d'acquérir la plus grande autonomie possible compte tenu des ressources du systè- me. La ville est demeurée jusqu'à maintenant ce jeu de discontinuités sur lequel je reviendrai en abordant les besoins et l'autonomie.

Si, à l'évidence, tous les écosystèmes humains sont délimités, la ville l'est a fortiori, comme le mythe de la fondation de Rome le rappelle avec une certaine empha- se qu'il convient d'analyser. La limite de la ville est l'ob- jet d'un rituel à l'origine duquel on découvre Fintention- nalité de celui qui exerce l'autorité, le pouvoir : c'est le regere fines qui signifie littéralement tracer en ligne droi- te les frontières 1. Derrière le verbe regere, on voit se pro- filer le rex, celui-là même qui est investi des plus hauts pouvoirs. Cet acte préliminaire à toute construction de ville n'est pas seulement un acte matériel mais aussi immatériel, en ce sens que dans le même temps où le roi trace le sillon qui marquera la limite de la ville, il instau- re aussi un ordre moral. La notion est donc double puis- qu'elle se réfère à une matérialité - la limite - et à une règle

morale - la norme - qui définissent avec une grande pré- cision une intériorité et une extériorité. Précision néces- saire et essentielle puisque l'on sait à quel point le passa- ge de la limite est réglementé : la transgression non autorisée entraîne la mort... dans le mythe de la fondation de Rome. Toute limite est intentionnelle et volontaire et contrairement à ce que l'on lit parfois elle n'est jamais arbitraire. Le passage de l'extériorité à l'intériorité sup- pose une autorisation ou une invitation régulée par un rite, celui justement de l'hospitalité. L'hospitalité est un rite qui autorise la transgression de la limite sans recours à la violence. L'hospitalité est un « mécanisme » caractéris- tique des marges, de toutes les marges qu'elles soient matérielles ou non, de ces marges qui contraposent la vio- lence et la convivialité, la paix et la guerre, la vie et la mort.

La frontière délimite donc un « en deçà », le territoire urbain, et un « au-delà » l'espace non urbanisé. Cette limi- te est évidemment d'une importance extrême puisqu'elle définit la ville et la non ville. C'est la différence entre foris et domi : « le dehors commence à la porte et se dit foris pour celui qui est chez lui « domi ». Domi étant pris par métonymie pour polis et/ou civitas. Cette porte, selon qu'elle se ferme ou qu'elle s'ouvre, devient symbole de la séparation ou de la communication entre un monde et l'autre : c'est par là que l'espace de la possession, le lieu clos de la sécurité, qui délimite le pouvoir du dominus, s'ouvre sur un monde étranger et souvent hostile; ... les rites du passage de la porte - la mythologie de la porte - fournissent à cette représentation un symbolisme reli- gieux »2. Le terme opposé à domi est cette fois tiré de ager

1. Cf. Claude Raffestin, Eléments pour une théorie de la frontière, in Diogène,n° 134, avril-juin 1986, Paris, pp. 4-21.

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« champ » sous la forme de l'adverbe peregri, peregre, d'où le dérivé peregrinus « étranger »3. Dans d'autres langues indo-européennes le nom du champ est associé à l'idée de dehors. Comme l'explique fort bien Benveniste, le champ inculte, l'espace désert est opposé à l'endroit habité. C'est hors de cette communauté matérielle que commence l'étranger et cet étranger est forcément hosti- le. L'adjectif grec dérivé de agros est agrios qui signifie sauvage. La maison finit par être définie par son caractè-re social et moral et non par le nom de la construction4. Il en va de même, en quelque sorte, pour la ville, pour la civitas qu'il faut voir davantage comme une construction sociale que comme un ensemble construit qui serait pure-, ment morphologique.

La limite définit aussi un « avant » et un « après » et possède aussi une valeur temporelle qui entre en inter- section avec la culture qui fonde la limite au sens abstrait.

C'est alors qu'on touche l'idée de limite au sens moral.

La ville est délimitée et par sa présence s'instituent un monde de la culture et un monde sauvage : l'épopée de Gilgamesh qui met en scène Enkidu, « l'homme sauva- ge », montre comment celui-ci passe de la nature à la cul- ture d'une manière irréversible5. Dès lors qu'il est « cul- turalisé », il ne peut plus retourner vers son monde originel, au plein sens du terme il est intégré.

Ainsi, à un territoire de la sédentarité, la ville, s'oppo- se un espace du nomadisme, du mouvement. A un espace du dedans s'oppose un espace du dehors dont les normes de communication pouvaient s'établir autrefois par le droit de l'hospitalité qui réglait la rencontre entre le monde de l'immobilité et celui de la mobilité. Chez les Grecs, le couple Hestia-Hermès exprime fort bien cette opposition entre le dedans et le dehors. Hestia est symbole et gage de fixité, d'immutabilité, de permanence6. Hestia demeu- re immobile à la maison sans jamais quitter sa place :

« point fixe, centre à partir duquel l'espace humain s'oriente et s'organise...»7. Hermès s'il habite dans les maisons des mortels le fait à la façon du messager, on pourrait dire de l'hôte dans ce cas, il est un voyageur qui vient de loin et qui déjà s'apprête au départ : « Rien en lui de fixé, de stable, de permanent, de circonscrit, ni de fermé. II représente, dans l'espace et dans le monde humain, le changement d'état, les transitions, les contacts entre éléments étrangers. A la maison, sa place est à la porte, protégeant le seuil, repoussant les voleurs parce qu'il est lui-même le Voleur, celui pour qui n'existent ni serrure, ni enclos, ni frontière ». ... «il sert de hérault, de messager, d'ambassadeur à l'étranger. Dieu errant, maître des routes, sur la terre et vers la terre : il guide, en cette vie, les voyageurs, ...»8 (50-51). « A Hestia, le dedans, le clos, le fixe, le repli du groupe humain sur lui-même ; à Hermès, le dehors, l'ouverture, la mobilité, le contact avec l'autre

que soi ». En quelque sorte Hestia-Hermès fonde l'espa- ce et son utilisation. L'hospitalité dans ces conditions prend une valeur tout à fait particulière puisqu'elle fonde le lien qui permet l'articulation entre mobilité et immobi- lité, entre nomadisme et sédentarité.

L'hospitalité, dans ces conditions, en tant que « pont » entre deux mondes, est un élément syntaxique dans la vie sociale qui exprime l'articulation entre le connu et l'in- connu, entre le localisé et l'errant, entre l'ami et l'ennemi selon les circonstances. Il faut évoquer ici la discrimina- tion de l'ami et de l'ennemi de Carl Schmitt, le fameux juriste allemand gravement compromis avec le nazisme.

La dialectique de l'ami-ennemi, qui pour Schmitt est le fondement du politique, met aussi en évidence la contra- position paix et guerre qui caractérise le mécanisme de l'hospitalité.

Enracinée dans la culture, l'hospitalité est l'objet d'un culte qui s'est maintenu sous des formes complètement nouvelles ou renouvelées- A ce stade, il semble absolu- ment nécessaire de repenser la notion même d'hospitali- té qui va bien au-delà de son identification première de celui qui reçoit et de celui qui est reçu quand bien même cette identification fondamentale demeure.

L'hospitalité peut être conçue comme la connaissance de la pratique que l'homme entretient avec l'Autre à tra- vers lui-même. Celui qui accueille, qui est donc en situa- tion de sédentaire, est en fait un migrant, un étranger en attente tandis que celui qui est reçu, donc en position de nomade, est en fait un sédentaire en attente. Nous sommes là en présence d'une symétrie potentielle : l'un est l'ima- ge différée ou virtuelle de l'Autre. On est là en présence de temporalités inversées : le sédentaire et le nomade sont l'un et l'autre d'une manière différée. L'un peut devenir l'autre et réciproquement. L'un et l'autre sont engagés dans un vaste système d'échange dont les contreparties sont différées et assumées en chaîne ou en cascade.

L'hôte est un mot qui dérive de « étranger » : étranger favorable - hôte, étranger hostile = ennemi. Hostia est « la victime qui sert à compenser la colère des dieux ». Est hos- tis « celui qui est en relation de compensation » ce qui est

2. Emile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-euro- péennes, vol. I, Paris, Ed. de Minuit. 1969, pp. 312-313.

3. Ibid. p. 313 4. Ibid. p.314

5. Cf. L'Epopée de Gilgaraes, traduit de l'akkadien et présenté par Jean Bottéro, Paris, Gallimard, 1992.

6. Jean-Pierre Vemant, Pierre Vidal-Naquet, La Grèce ancienne, 2. L'espace et le temps, Paris Ed. du Seuil, 1991, p.49.

7. Ibid.

8. Ibid. pp.50-51.

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bien le fondement de l'institution d'hospitalité9. L'hospita- lité s'éclaire par référence au potlach dont elle est une forme atténuée. Elle est fondée sur l'idée qu'un homme est lié à un autre (Hostis a toujours une valeur réciproque par l'obliga- tion de compenser une certaine prestation dont il a été béné- ficiaire). Si hostis est devenu ennemi en latin le xénos grec est devenu après Homère l'étranger le non-national.

Dans la Genèse (18.1 et sq.), Abraham donne l'hospi- talité à l'Éternel alors qu'il était assis à l'entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour ». On découvre que l'hospita- lité était une pratique courante parmi les populations nomades. Pratique qui tend à se perdre ou à être mise en cause par la suite : »Les deux anges arrivèrent à Sodome sur le soir ; et Lot était assis à la porte de Sodome. Quand Lot les vit, il se leva pour aller au-devant d'eux, et se pros- terna la face contre terre » (Genèse 19.1). On connaît la suite, Lot les presse d'accepter son hospitalité mais la foule de Sodome réclame les étrangers et les anges frappent les habitants d'aveuglement pour échapper à leur colère. «...

Dieu détruisit les villes de la plaine,.., et il fit échapper Lot du milieu du désastre, par lequel il bouleversa les villes où Lot avait établi sa demeure » (Genèse 19.29).

Hospitalité et ville, au XVe siècle avant J. C, entretiennent déjà des rapports marqués du sceau de la conflictualité.

La loi de l'hospitalité (thémis xeinon) n'en existe pas moins partout dans l'Antiquité comme en témoignent les textes d'Homère et d'Hérodote entre autres. Elle est chré- tienne aussi : « Celui qui vous reçoit me reçoit et celui qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé » (Matthieu 10.40).

Elle jouera un rôle considérable au Moyen âge tout en oscillant entre deux pôles opposés et contradictoires car l'étranger pouvait être un danger car porteur de maladies ou de malédictions... mais il pouvait être aussi un envoyé de Dieu voire Dieu lui-même. Il s'agit bien sûr, ici, de l'hos- pitalité des inconnus car l'hospitalité entre familles et gens alliés ne posait généralement pas de problèmes depuis des temps immémoriaux : « I conoscenti provenienti da paesi strameri furono per lungo tempo degli ospiti privilegiati : ancora all'epoca delle crociate, i nobilili in viaggio verso la Terra Santa trovavano un'accoglianza ospitale presso parenti che risiedevano in Germania, in Ungheria e a Bisanzio. Ma anche gli emeriti sconosciuti poterono conta-

9. Benveniste, op. cit., p.94

10. Norbert Ohler, I viaggi nel Medio Evo, Milano, Garzanti 1988, p.123.

11. Ibid. pp. 131-134.

12. Robert Fossier, Enfance de l'Europe, aspects économiques et sociaux, 1/1'homme et son espace, PUF, Paris, 1982, p.

519.

13. Ibid. p. 509.

re per secoli su cibo et allogio, soprattutto nei paesi meno sviluppati »10 (traduction : les connaissances provenant de pays étrangers furent longtemps des hôtes privilégiés : encore à l'époque des croisades, les nobles en voyage vers la Terre Sainte trouvaient un accueil auprès de parents qui résidaient en Allemagne, en Hongrie ou à Byzance. Mais également les inconnus illustres purent compter pendant des siècles sur la nourriture et le logement surtout dans les pays moins développés). Au milieu du XIIe siècle, les Slaves sont particulièrement loués pour leur hospitalité.

Bien sûr, cette hospitalité s'exprimait sous des formes très diverses de la plus fruste à la plus raffinée, de la plus dan- gereuse - l'hôte pouvait vous tuer et vous manger pendant les périodes d'intense famine - à la plus aimable - l'hôtes- se offrait aussi son lit - du moins selon certaines chro- niques. Les Juifs, en raison des pressions de l'environne- ment hostile, renforcèrent leur cohésion en gérant près des synagogues des auberges destinées à accueillir leurs core- ligionnaires durant leurs voyages comme en témoignent des contes de Boccaccio. Les chrétiens pratiquaient aussi cette hospitalité avec les leurs dans les monastères : la règle bénédictine fixa les normes de l'hospitalité mais qui, en fait, étaient purement incitatives et qui dépendaient beau- coup des conditions de chaque monastère.

Près des églises existèrent aussi des maisons qui pou- vaient accueillir les voyageurs étrangers. C'était l'hospi- tium, terme qui recouvre l'hospitalité donnée ou reçue, l'endroit où l'on reçoit l'hospitalité, le logement, le gîte ou encore le lien qui unit les hôtes. En Italie, les hospices sont attestés depuis le VIIIe siècle et ils augmentèrent à partir du XIe siècle. A partir du XIIe, l'hospice devint une institution charitable dans le sens le plus large et pour obte- nir les fonds nécessaires à son fonctionnement il accepta des donations et fut l'objet de dispositions testamentaires.

Dans certaines villes comme Milan, ces hospices devin- rent des complexes extraordinaires pouvant accueillir des centaines de personnes, sorte de ville dans la ville11. Ces lieux étaient souvent des foyers de maladies et les voya- geurs devenaient des vecteurs d'épidémies.

L'hôte au Moyen âge a un autre sens ; c'est l'étranger au village mais nécessaire au progrès de l'économie et qui sont des travailleurs d'essarts dans presque toutes les régions neuves de l'Europe 12 : on leur concède des terrae forinsecae donc en dehors du sol loti pour qu'ils les met- tent en valeur et y élèvent leurs cabanes. Mais comme le dit Fossier : « Le conservatisme social qui soutient tout le monde médiéval peut ici se donner cours : le forain, l'au- bain, l'étranger surtout s'il n'est que de passage est sus- pect, et tenu loin des structures de sociabilité commune ; aucune protection régulière ne lui est assurée et il faut qu'il joue un rôle fondamental, comme l'hôte sur les essarts, pour qu'on envisage de l'accueillir »13. Il y a donc

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des accommodements car la mobilité tend à croître. Si l'hospitalité au sens le plus général venait à disparaître il n'y aurait plus de mobilité possible. Les juristes depuis le XVIe siècle et tout au long du XVIIe et du XVIIIe montrent que la liberté de circulation des personnes à travers les frontières doit être garantie et c'est implicitement faire de l'hospitalité générale une limite de la souveraineté des Etats. L'hospitalité s'enracine dans un droit naturel qui fait partie de la morale.

La mobilité inévitable dans toute société conditionne probablement la notion d'hôte qui est une notion en miroir : celui qui reçoit et celui qui est reçu portent la même dénomination : je suis toi et tu es moi dans certaines circonstances : alternativement je et tu sont comparables dès lors qu'ils doivent satisfaire au besoin de mobilité. La différence intervient dans le moment qui est différé : selon que je suis nomade ou sédentaire, je suis l'hôte qui est reçu ou l'hôte qui reçoit. Il faut retenir cette idée du miroir dans laquelle l'autre est mon image inversée qui fait peur : l'hospitalité est justement le moyen de vaincre la peur de l'Autre qui n'est qu'un autre moi-même, comme si la limi- te entre intérieur et extérieur était un miroir.

Dans le parasite, Michel Serres a donné une théorie de l'hospitalité générale en ce sens que celle-ci est une entre- prise de parasitage. Le parasite au sens étymologique du terme est celui « qui mange auprès de ou avec ». Comme terme d'histoire antique, il désignait le commensal atta- ché à la table d'un riche en échange d'une fonction de divertissement. Évidemment le terme a évolué dans un sens péjoratif. Mais oublions le caractère péjoratif qui s'at- tache au terme. Ce sens provient de l'idée que nous nous faisons de la nature mais si nous réfléchissons un instant à la société, il y a toute « l'hospitalité parasitaire » qu'il convient d'encadrer par la culture. Nous sommes tous les parasites les uns des autres comme la nature l'est de l'homme et l'homme de la nature.

Si la culture n'encadrait pas l'hospitalité par des règles, le parasitisme aurait tôt fait de la rendre particulièrement impopulaire et négative. II est intéressant, à ce sujet, de noter que dans les Sagas islandaises l'hospitalité ne devait pas excéder trois jours, ce qu'on peut mettre en relation avec un vieux proverbe français du XIIIe siècle : « l'hôte et la pluie après trois jours ennuient ».

LIMITE ET HOSPITALITÉ

Il a été question, plus haut, de la limite, limite de la ville et de la « maison » d'abord, mais aussi limite de l'État, autrement dit la frontière, dans une conception plus proche de nous, sinon plus moderne. Mais la notion de limite, on l'a également vu, n'est pas seulement matérielle mais aussi immatérielle ou abstraite. Celle-ci renvoie à des valeurs,

à des codes qui ont cours légal à l'intérieur, par opposi- tion à l'extérieur. Celui qui est à l'intérieur se réfère à ces valeurs et à ces codes et interprète ce qui vient de l'exté- rieur en fonction de ce système de valeurs et de codes. Ce système est un mécanisme qui dit le sens ou le non sens par rapport à ce qui vient de l'extérieur. Appelons ce méca- nisme sémiosphère14. La sémiosphère est cet espace sémiotique hors duquel la sémiotisation n'est pas possible.

La frontière de la sémiosphère a un caractère abstrait puisque la « fermeture » de la sémiosphère est révélée par le fait qu'elle ne peut avoir de rapports avec ce qui lui est étranger et pour que les éléments de l'extérieur acquiè- rent une réalité pour elle, il faut les « traduire » dans un langage de l'espace interne ou sémiotiser les faits non sémiotiques. La limite est le heu de la « traduction » : la frontière de l'espace sémiotique est un mécanisme bilingue qui traduit les communications externes dans le langage interne de la sémiosphère et vice versa. La sémio- sphère transforme la non communication externe en com- munications c'est-à-dire sémiotise et transforme en infor- mation ce qui arrive de l'extérieur. Dans les cas où l'espace culturel acquiert un caractère territorial, la fron- tière de la sémiosphère assume un sens spatial. Dans le cas de la « maison », de la ville, de l'État, les sémiosphères qui les caractérisent peuvent être en coïncidence avec ces territoires.

On peut évoquer, pour ne prendre que des exemples en liaison avec l'hospitalité, les éléments de la sémiosphère qui intéressent l'immigration, c'est-à-dire au sens large la capacité d'hospitalité. Les politiques d'immigration filtrent à la frontière matérielle en fonction d'une limite abstraite comme celle des trois cercles qui a cours en Suisse : l'im- migration étant d'autant plus sélective que l'on s'éloigne du premier cercle dans lequel on trouve les ressortissants occidentaux. Les choses se passent comme si les étrangers du troisième cercle étaient plus hostiles que ceux du deuxième, eux-mêmes plus hostiles que ceux du premier.

Dans ce cas, la frontière matérielle au sens habituel du terme est largement conditionnée dans sa perméabilité par la frontière de la sémiosphère qui fait plus que souligner puisqu'elle surdétermine ce qui va se passer ou ne pas se passer. L'ancienne politique américaine des quotas s'est alimentée autrefois à une sémiosphère du même type. Qui plus que les Noirs américains des États du Sud ont fait l'ex- périence de cette limite invisible de la sémiosphère ségré- gationniste du Nord ? Beaucoup d'entre eux qui, il y a 30 ans, avaient tenté leur chance à Detroit ou à Chicago sont

14. Jurij M. Lotman, La semiosfera, Marsilio Editori, Venezia, 1985, p. 58.

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revenus dans le Sud après avoir subi une discrimination aussi forte dans le Nord que dans leur État d'origine.

LES décisions qui ont été prises, cette dernière année, dans diverses villes par les autorités politiques d'interdi- re les SDF sur le territoire de leur commune ont modifié la sémiosphère des collectivités quand bien même beau- coup de protestations se sont élevées de la part de membres de la société civile. Des remarques similaires peuvent être faites à propos des organismes de transport public qui ont interdit la mendicité ou la vente d'objets dans l'enceinte des stations et sur le réseau.

L'étranger qui demande l'hospitalité peut franchir la limite matérielle qui le sépare d'un lieu dont il « rêve » ou a pu rêver mais il se retrouve confronté, dans presque tous les cas, à la limite non visible de la sémiosphère du lieu d'accueil : celle-là est beaucoup plus perverse car, bien que n'étant pas à franchir, c'est elle qui lui donnera un sens ou le lui refusera. Les exemples sont suffisamment nombreux pour qu'on ne s'y attarde pas. La limite matérielle est plus aisément perméable que celle non matérielle de la sémio- sphère. Si l'on pose le problème de l'hospitalité à travers la mécanisme de la sémiosphère, cela signifie qu'il y a une confrontation entre un monde intérieur et un monde exté- rieur, qu'il y a un phénomène de « traduction » de la dif- férence pour permettre la convivialité ou qu'il y a un refus de cette différence qui déclenche le conflit. L'hôte refusé par la sémiosphère intérieure mais néanmoins présent dans l'intériorité devient alors un otage (le mot est d'ailleurs dérivé de hôte). Les étrangers non voulus, mais néanmoins accueillis pour des raisons politiques ou économiques, deviennent assez rapidement des otages comme ces étran- gers du Moyen âge momentanément utiles mais non inté- grés (ghetto par exemple). L'hôte devient, alors, un bouc émissaire dont René Girard a fait la théorie, et il suffit d'une crise dans l'intériorité pour que sa situation devien- ne rapidement intenable : l'histoire des Juifs est, hélas, là pour en témoigner depuis des siècles. Celle des réfugiés, consécutifs aux guerres civiles qui déchirent le monde, en témoigne également (ces réfugiés représentent 2 % de la population mondiale). A ces réfugiés on n'offre, le plus souvent, qu'une hospitalité dégradée dans des zones fron- talières donc marginales. Hospitalité dégradée car on les tient en lisière comme on le fait avec certaines populations nomades - les Tsiganes par exemple - dans nos régions.

On voit bien dans ce cas qu'il y a coïncidence entre une

15. Cf. Roderick J. Lawrence, Deciphering Home : An Integrative Historical Perspective, in The Home, Words, Interpretations, Meanings and Environments,Avebury, 1995, pp.53-68.

limite matérielle et une limite immatérielle qui se renfor- cent l'une l'autre. Il y a tentative, toujours avortée, de faire coïncider limite territoriale et limite de la sémiosphère : aspiration en quelque sorte à l'intériorité pure dont on sait les conséquences en ex-Yougoslavie...

Dans presque toutes les villes européennes, pour ne citer que celles-là, où des foyers ont été créés pour des réfugiés, éclatent des manifestations d'hostilité dont l'idéologie ne s'alimente pas à autre chose qu'à cette volonté de la « pureté » de l'intériorité.

BESOINS, AUTONOMIE ET HOSPITALITÉ

On l'a vu, la notion de territorialité, qu'il faut reprendre, implique un ensemble de relations pour satisfaire les besoins dans la perspective d'acquérir la plus grande auto- nomie possible compatible avec les ressources du système.

Le besoin, pour reprendre l'expression d'Henri Laborit, est la quantité d'énergie et d'information nécessaires pour maintenir une structure vivante en état de fonctionner.

L'hospitalité classique, au sens historique du terme et telle qu'elle a été définie précédemment, consistait donc à satis- faire les besoins de base (physiologiques) et les besoins de sécurité, voire, dans certains cas de réconfort et d'af- fection de personnes en déplacement, pour des raisons religieuses par exemple, à travers une relation gratuite, c'est-à-dire non économique. Il ne faut pas oublier non plus ceux qui étaient jetés sur les routes par le manque de travail et pour lesquels l'hospitalité classique était un moyen d'attendre des jours meilleurs et plus favorables.

D'une certaine manière, l'hospitalité remplissait alors une fonction régulatrice et permettait aux plus défavorisés de conserver une certaine autonomie dans un milieu diffici- le. En effet, grâce à la règle de l'hospitalité, ils pouvaient continuer à entretenir des relations aléatoires avec l'envi- ronnement et par conséquent continuer à être mobile en attendant de se sédentariser. Mais si originellement l'hos- pitalité a pu être cela, du moins partiellement, la « mise en monnaie » de la ville a progressivement fait reculer cette hospitalité classique, sinon sous la forme de la cha- rité et de la philanthropie. On rappellera que si l'hospita- lité classique a drastiquement reculé c'est que l'errance des pauvres pèlerins qui était une valeur dans la tradition chrétienne et dans celle musulmane n'a plus aucune signi- fication positive aujourd'hui15.

Cette monétarisation complète de la ville a fait préva- loir les relations d'échange de type purement économique sur les autres. Dès lors, l'hospitalité, en tant que don offert, a été considérée de plus en plus comme une dilapidation de richesses, comme un luxe qui, à ce titre, est devenue « la part maudite » comme aurait pu dire Georges Bataille :

« ce n'est pas la nécessité mais son contraire, le « luxe »

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qui pose à la matière vivante et à l'homme leurs problèmes fondamentaux »16. Dépense apparemment improductive, l'hospitalité pose un problème à la société contemporaine qui s'est tout entière abandonnée à la marchandise et sur- tout à l'argent : « Le capitalisme en un sens est un abandon sans réserve à la chose, mais insouciant des conséquences et ne voyant rien au-delà ». Cet au-delà étant justement l'autonomie restreinte qu'il faut savoir préserver pour ceux-là mêmes qui sont jetés dans l'errance par le système économique qui pour des raisons d'efficacité ne peut plus ou ne veut plus les intégrer. On touche, dans ce cas, le pro- blème des chômeurs de longue durée dont certains som- brent dans l'errance au bout de laquelle, il y a souvent la folie et la mort. Des formes d'hospitalité se sont reconsti- tuées dans les villes pour atténuer les effets dramatiques de cette errance : centres d'accueil, resto du coeur, asiles, etc. Hospitalité palliative laissée à l'initiative privée dans la plupart des cas quand bien même l'État intervient éga- lement sous différentes formes. Pourtant, dans la plupart des cas, il s'agit bien davantage d'une charité organisée que d'une hospitalité réelle. La ville contemporaine livrée à l'ultra-libéralisme économique ne possède pas de struc- tures spécifiques pour faire face à l'exclusion que repré- sente l'errance moderne qui n'est pas passagère et conjonc- turelle comme on a pu le penser il y a quelques années mais très nettement structurelle. Les SDF, en Europe, sont devenus une donnée structurelle avec laquelle nous sommes tous confrontés. De la même manière que le nombre des réfugiés pour cause de guerres civiles a aug- menté, le nombre de ceux rejetés par le système écono- mique tend, lui aussi, à augmenter : ce sont les réfugiés de l'intérieur que les autorités voudraient refouler sur les marges et les périphéries. Mais quelles marges et quelles périphéries, là est toute la question ! A observer ce qui se passe ici et là, on constate que se développe une sorte de

« colonisation » des friches sociales (Sozialbrache de W. Hartke) qui sont dans l'intériorité urbaine : usines désaffectées, immeubles abandonnés récupérés pour le squatting, etc. L'absence d'une conception de l'hospitali- té adaptée à cette situation risque très probablement de faire naître à l'intérieur des villes des réflexes de violence dont on connaît certains exemples récents. L'absence d'un rituel moderne de l'hospitalité ne permet donc pas de conjurer cette violence et l'errant, assimilable dans ce cas à l'étranger, risque d'être vu comme un hostis possible.

Si, autrefois, on perdait toute sécurité par exclusion de la cité politique qui donnait à l'individu son statut, aujour- d'hui on perd toute sécurité par exclusion du système urbain économique qui est le seul à donner encore des repères. La ville contemporaine est en train de redécou- vrir le fondement sauvage du politique ami-ennemi par la confrontation de celui qui est à l'intérieur du système éco-

nomique et de celui qui en est à l'extérieur. Dès lors que la loi du marché vise à rendre toute relation à l'extériori- té et à l'altérité onéreuse, non gratuite, tous ceux qui sont privés de revenus monétaires sont rejetés hors de la « cité économique ». Dans la mesure où ils sont vus et parfois vécus comme une menace potentielle, il faut trouver des solutions pour désamorcer les conflits potentiels. A cet effet, certaines villes ont créé ou sont en train de créer des lieux spécifiques pour les SDF : ce sont les fameuses balises urbaines qui ne donnent pas le gîte et le couvert mais où l'on peut faire sa toilette et sa lessive et recevoir des soins médicaux si besoin est : ce sont des espaces d'hygiène et de santé gratuits. Ces nouvelles « oasis » pour les nomades urbains renouent avec les anciennes struc- tures d'hospitalité des villes médiévales. Le terme d'oasis n'est pas là pour faire image mais bien pour montrer sa nature (à Genève, une semblable structure a reçu le nom de « point d'eau »). Par ailleurs d'autres structures existent où l'on peut se nourrir et se loger.

Ces formes d'hospitalité renouent avec l'idée du don et permettent de préserver un minimum d'autonomie pour les exclus qui sont contraints à pratiquer ce nouveau nomadis- me urbain qui induit une mobilité forcée. C'est un palliatif à l'errance sans espoir c'est-à-dire à une errance dépour- vue de tout encadrement et donc de toute socialisation.

On touche, ici, le problème du temps puisque ces exclus sont soumis à un rythme nycthéméral tout à fait spécifique dans la mesure où le découpage de la journée est rythmé par le passage d'un lieu à un autre au gré des besoins à satisfaire. On retrouve à l'échelle de la ville, dans son intérieur même, ce qui existait autrefois entre l'intérieur et l'extérieur mais qui se déroulait à des rythmes saisonniers ou annuels. Les structures d'accueil différen- ciées pour le jour et la nuit renvoient à des comportements anciens : la nuit tout étranger est hostis. Toutes ces insti- tutions encadrent la journée du SDF.

La réinvention de ces formes d'hospitalité, qui s'enra- cinent tout autant dans les initiatives privées que publiques et qui sont l'expression d'une sorte de morale naturelle, n'en finissent évidemment pas de souligner la contradic- tion de notre société dans laquelle le système économique procède selon une espèce de « sélection sociale » qui ren- voie les problèmes de l'exclusion qu'elle crée à l'émer- gence d'une entraide plus ou moins spontanée indispen- sable si l'on veut éviter les explosions de violence. On retrouve la signification de l'hospitalité comme élément de syntaxe sociale assurant la liaison « fragile » entre deux

16. Cf. Georges Bataille, La part maudite précédé de La notion de dépense, les Ed. de Minuit, Paris, 1967.

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CLAUDE RAFFESTIN

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inondes. Ces deux mondes juxtaposés sont celui de l'éco- nomie et celui à l'extérieur de l'économie.

LIEUX, PAYSAGES URBAINS ET HOSPITALITÉ

Si nous considérons la ville au sens général d'abord et dans son aspect actuel, il y a ce qu'on pourrait appeler l'hospi- talité immédiate celle avec laquelle le nouvel arrivant - touriste ou non-touriste - est immédiatement confronté. Il y a les villes qui offrent spontanément une abondance d'in- formations, celles qui permettent à l'étranger de se repérer tout de suite sans difficultés, celles qui font le don d'une information aussi abondante que possible, celles qui, par là même, cherchent à s'identifier et à être identifiées mais il y a toutes les autres qui sont anonymes comme pouvait l'être la Rome antique dont les rues n'avaient pas de nom et les maisons pas de numéro. C'est ce qu'on pourrait appeler l'hospitalité informationnelle, qui est encadrée par les autorités politiques et administratives mais aussi d'une certaine manière par les habitants qui sont des sources de connaissances pour les étrangers. Cela dit, dans les villes à fort taux de mobilité, il est souvent difficile de rencontrer des habitants capables de donner une information fiable.

Qui n'en a pas fait l'expérience ?

Dans les villes bien identifiées, l'étranger se sent bien reçu et accueilli, il sait où il va, il trouve ce qu'il cherche sans perdre de temps et il peut s'abandonner à la flânerie et à la contemplation sans risquer de se perdre.

L'information, dans ce cas, s'apparente au don. Offrir et recevoir de l'information est un mécanisme d'hospitalité.

Que de villes mal identifiées en Europe, ressemblant à des labyrinthes dans lesquels l'étranger s'égare, perdant alors tout plaisir à la visiter car il y gaspille son temps à se repé- rer. On pourrait dire que cette hospitalité devrait se tra- duire par la mise à disposition gratuite - le don à nouveau - de plans simples et efficaces. Cette forme d'hospitalité pourrait encore être développée par la suggestion d'itiné- raires spécialisés permettant la découverte du patrimoine architectural, muséal, littéraire, etc. Les offices de touris- me urbain pourraient d'ailleurs imaginer de former des étudiants dans différents domaines pour augmenter cette hospitalité officielle qui passe aussi par la sécurité. Là où l'étranger ne se sent pas en sécurité, il sera confronté avec l'inhospitalité qui rejaillira très négativement sur l'image de la ville ou en tout cas sur la représentation que l'étran- ger en aura. L'hospitalité passe aussi par la satisfaction du besoin de sécurité. On connaît les déclarations de vol des commissariats espagnols rédigés dans toutes les grandes langues européennes et en japonais qui laissent supposer que le vol à la tire est quotidien ! Ce besoin de sécurité serait déjà relativement bien satisfait si, par ailleurs, les informations utiles étaient présentées sous forme multi-

lingue... et pas seulement dans les commissariats ! Cela concerne aussi et surtout tous les lieux de distri- bution de biens ou de services comme les restaurants et les magasins où il est vrai on trouve de plus en plus de gens sachant quelques mots d'anglais ou d'allemand. Cela signifie que pour rendre la ville hospitalière à l'étranger de passage, il convient de faire quelques investissements informationnels qui sont un petit gisement d'emplois encore largement inexploité.

L'autre problème posé par la ville est celui de la contem- plation. Pendant longtemps, ]a découverte des richesses urbaines du patrimoine pouvait se faire gratuitement ou du moins à un coût peu élevé. Le degré d'hospitalité d'une ville pouvait s'apprécier au coût engendré par sa décou- verte. Aujourd'hui la contemplation n'est plus gratuite. Le regard est devenu source de profits et il est imposé comme tel. Seul le regard extérieur est encore gratuit mais dès lors que l'on franchit un seuil patrimonial la relation devient économique. Si cela peut se comprendre à cause des coûts engendrés par l'entretien du patrimoine, il ne faut néan- moins pas oublier que le don de la connaissance, satisfac- tion des besoins esthétiques entre autres, est une métapho-re de l'hospitalité publique. Si la sphère économique privée, lieu par excellence des relations onéreuses, n'est pas corri-gée ou contrebalancée par la sphère étatique publique dis- pensant des dons informationnels, le tissu socio-culturel risque d'être gravement compromis à long terme, voire déchiré. L'hospitalité par le don de la connaissance est une manière de garantir le principe d'hétérogénéité de la ville et surtout la richesse de sa socio-diversité. Les coûts très éle- vés des universités américaines sont un frein à l'hétérogé- néité et à la socio-diversité des étudiants. Le don gratuit, ou presque, de la connaissance est probablement à terme plus profitable que le don non-gratuit. Les exclus, dont il a été question plus haut, par la disparition des temps et des lieux de relation gratuits, ne peuvent ou ne pourront bientôt plus satisfaire aucun besoin esthétique dans « l'intériorité ».

L'hospitalité générale de la ville passe encore par l'ur- banisme, autrement dit par l'aménagement général des paysages urbains et par l'organisation des lieux publics. A côté de beaucoup d'autres exemples possibles, je ne pren- drai que celui de la place publique qui en Occident a joué un rôle considérable comme lieu hospitalier par définition.

Dans la ville traditionnelle, la place en tant que centre vital de la cité historique rassemblait des fonctions qui indui- saient des pratiques multiples. Le forum romain a long- temps été la matrice originelle des diverses places : place de la cathédrale, place civique, place du marché. Ces places ont été des lieux extérieurs fondamentaux dans et pour l'in- tériorité : « In quel « sontuoso interno a cielo scoperto » che era a Roma il Foro, si entrava corne in un spazio pro- tetto, circondati dalle colonne e mura dei templi, per esse-

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re cittadino e uomo devoto, per conversare e trattare di affari, per incontrare gli altri e farsi vedere. Un solo luogo riuniva gli edifici pubblici e la casa degli dei, i simboli del potere e del culto : un vero teatro scoperto in cui tutti erano a un tempo attori e spettatori della vita colletiva »17 (tra- duction : dans ce somptueux intérieur à ciel découvert qu'était à Rome le Forum, on entrait comme dans un espa- ce protégé, entouré par les colonnes et les murs des temples, pour être citoyen et homme pieux, pour conver- ser et traiter des affaires, pour rencontrer les autres et se faire voir. Un seul lieu réunissait les édifices publics et la maison des dieux, les symboles du pouvoir et du culte : un vrai théâtre découvert dans lequel tous étaient tour à tour acteurs et spectateurs de la vie collective). La place clas- sique était un vide organisé qui prenait la forme et le carac- tère de tout ce qui s'y faisait, de tout ce qui y arrivait, de tout ce y vivait selon les heures de la journée et les saisons de l'année. La place était en somme un résumé du passé qui y avait laissé des traces, du présent qui la faisait vivre selon certains rythmes et du futur qui, souvent, s'y annon- çait par des manifestations diverses.

La place classique, avec l'expansion automobile d'une part, et avec le développement des télécommunications d'autre part, a largement perdu son caractère hospitalier.

La place moderne n'est plus guère un lieu de spectacle, ni non plus de rencontres et encore moins d'échanges gratuits dans le sens du face à face et du dialogue. Pour Isnenghi, la vraie place de nos jours est désormais dans toutes les mai- sons apportée par la télévision à coups de télécommande : « un semplice colpo di pollice sulla scatola magica ed ecco, dalla fiera di Senigallia, ci troviamo trasferiti d'un tratto sulla piazza di Samarcanda »18 (Traduction : un simple coup de pouce sur la boîte magique et voilà de la foire de Senigallia nous nous trouvons transférés d'un trait sur la place de Samarcande). Je retiendrai de cette remarque que l'accueil de l'extériorité et de l'altérité, toujours plus média- tisé, tend à affaiblir le face à face qui est à la racine de l'hos- pitalité dans la ville. Nous avons substitué au rapport direct avec l'étranger anonyme, le rapport médiatisé que nous pouvons interrompre à tout moment.

PISTES DE RECHERCHE EN GUISE DE CONCLUSION...

Si la notion de don a retenu l'attention des anthropologues dans beaucoup de sociétés traditionnelles, elle n'a en revanche pas ou peu été travaillée dans le cadre de la socié- té contemporaine pour une raison évidente - mais elle n'est pas la seule tant s'en faut - à savoir que dans le système actuel, on ne cherche, le plus souvent, à n'obtenir que la

« marchandise » en contrepartie de l'argent ou celui-ci en échange de la « marchandise » (les guillemets sont là pour

indiquer le caractère général et indéfini du terme).

L'échange économique que traduit la transaction classique, s'épuise de lui-même car il est borné par les termes de l'échange dont disposent les sujets impliqués. Dans le cas du don, la relation ne s'épuise pas puisque le don est justement l'instrument pour stabiliser et maintenir le rapport à travers l'espace et le temps de celui qui donne et de celui qui reçoit.

Le don est une saillance qui déclenche une prégnance socio- culturelle pour faire le pont entre l'intérieur et l'extérieur. La conséquence du don est de produire du relationnel qui n'est probablement pas désintéressé à terme mais qui n'en est pas moins hors de la sphère économique. Et c'est parce que ce relationnel existe que les rapports qui se nouent dans la sphère économique peuvent continuer à avoir lieu, à se sta- biliser, à se maintenir et à se renouveler. Sans une forme moderne et adaptée de « potlach », la vie économique de la ville risque fort d'être perturbée. Cela, des propriétaires d'immeubles abandonnés, qui font des « contrats » avec des squatters, l'ont compris. Ils donnent « l'hospitalité » pendant une période déterminée à des gens sans abri qui en contrepartie entretiennent l'habitat ou du moins évitent sa trop grande dégradation. Ces contrats à temps expriment une forme actuelle de l'hospitalité urbaine.

La notion de friche sociale est également à repenser dans cette perspective car elle pourrait constituer le moyen de mettre à disposition de certaines catégories de population des valeurs d'usage momentanément abandonnées sans demander autre chose qu'une contrepartie en travail pour les entretenir. Cela permettrait tout à la fois de décharger le propriétaire de coûts qu'il ne veut ou ne peut pas assumer et d'offrir à des sans abri une opportunité de logement.

Les villes manquent aussi d'espaces de dialogue entre anciens et nouveaux habitants de manière à créer un pont entre les différentes communautés étrangères et la com- munauté nationale. C'est une autre manière d'évoquer l'hospitalité fondée sur le don de l'information. Beaucoup de conflits qui surviennent ont souvent pour origine des incompréhensions nourries par des conceptions et des pra- tiques différentielles de l'espace public et de l'espace privé, par des comportements jugés naturels dans le lieu d'origi-ne mais réprouvés dans le lieu d'accueil, etc. Ces espaces de dialogue pourraient être d'une grande utilité pour améliorer l'hospitalité générale d'une ville.

L'évocation de ces quelques pistes de recherche n'est pas épuisée... mais il faut savoir mettre un terme à une réflexion... pour la reprendre ailleurs plus tard si besoin est.

17. Mario Isnenghi, L'Italia in Piazza, Mondadori, Milano, 1994, p. 4.

18. lbid.p.9.

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COMPTE-RENDU DE LA TABLE RONDE

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que le tourisme qui peut amener à tous se connaître. Enfin, sur la question de l'utilitarisme, il s'agit bien d'organiser les intérêts bien compris dans la société. Or il semble que bien- tôt il y aura davantage de Français à l'étranger que d'étran- gers en France; par ailleurs, si les relations économiques sont liées à l'image des pays, si par exemple les bonnes relations de la France avec l'Amérique du Sud ne sont pas étrangères au fait que nombre d'étudiants brésiliens venus faire leurs études en France en aient gardé un bon souve- nir, il est à craindre qu'il n'en soit plus de même aujour- d'hui. Si donc il faut garder l'hospitalité en tête, on est bien devant un problème utilitaire, au sens noble du terme, de développement des échanges.

COMPTE RENDU DE L'APRÈS-MIDI

Claude Raffestin — L'hospitalité et les sémiosphères de l'urbain

Souhaitant s'attarder sur les pistes prometteuses révélées par le séminaire plutôt que d'en faire la recension systé- matique, Claude Raffestin est parti tout d'abord de la ques- tion du sens à donner à la notion d'hospitalité dans le contexte contemporain. Si le caractère sacré de l'hospita- lité traditionnelle ne peut guère être au fondement aujour- d'hui d'une hospitalité vécue et vivante, et s'il est diffici- le de voir dans le voyageur le messager du divin, on peut en revanche voir en lui un autre soi-même, et, sur la base d'un rapport au semblable ou à l'égal, raisonner à partir du couple hospitalité-solidarité. Selon ce raisonnement à la marge qui veut que chacun accorde l'hospitalité parce qu'il peut lui-même être placé, de manière différée, dans la situation de demander l'hospitalité, celle-ci s'appuierait sur une sorte de communauté idéale fondée sur l'apparte- nance à un même type universel. Morale et éthique se com- bineraient alors pour relancer l'hospitalité dans sa signifi- cation ancienne, tout en la délestant d'une charge sacrée difficile à négocier dans le contexte de la ville actuelle.

Si cette perspective implique une utopie où tout le monde serait chez soi en tant que citoyen8, la théorie de son fonctionnement n'en est pas moins envisageable à partir du modèle des trois cercles d'étrangers qu'Hervé Le Bras emprunte à Marshall Sahlins 9 Selon ce modèle, il existe trois cercles d'étrangers définissant des échanges spécifiques : la famille, au sein de laquelle les échanges se

8. H. Raymond, vol.,2 p.

9. H. Le Bras, Vol., 2 p.

10. P. Centivres, « Hospitalité, État et naturalisation : l'exemple suisse », vo 1, p. 127-131. l.

11. 0. Schwartz, vol. 2 p.

poursuivent sans recherche d'équilibre; les voisins et concitoyens entre lesquels les échanges tendent vers l'éga- lité et le reste du monde pour lequel aucune règle n'est posée, l'hospitalité intervenant à la frontière des cercles, comme période d'observation et de quarantaine visant à préciser l'appartenance. Modèle qui fait ressortir, d'une part, le rapport étroit entre hospitalité et limites (les fron- tières n'étant qu'un sous-ensemble des limites) et, d'autre part, le fait que l'hospitalité implique nécessairement une situation de tension.

En fait de cercles, le rapport hospitalité-solidarité peut s'envisager comme la mise en scène d'un continuum de relations plus ou moins flexible en fonction de la position occupée. Parfaitement illustrative de ce modèle, est la poli- tique d'immigration suisse telle que l'a exposée Pierre Centlivres lors de la séance sur la naturalisationl0 qui divi-se le monde en trois cercles : l'Union Européenne, qui intéresse la Suisse quoiqu'elle n'y entre pas ; l'Europe de l'Est avec laquelle il y a des affaires à faire et les États- Unis et le Canada par nécessité; enfin le reste du monde qui ne semble pas véritablement la préoccuper ; politique injuste s'il en est, qui pose le problème de l'hospitalité d'État et vaut toutefois à la Suisse d'être le pays d'Europe qui concentre le plus d'étrangers (une personne sur cinq) et accueille une proportion énorme de réfugiés.

Pour revenir à la ville, horizon géographique sur lequel se concentre aujourd'hui la majorité de la population, les deux propriétés de l'hospitalité proposées par Olivier Schwartz : le fait qu'elle implique des institutions et des territoires ouverts sur le dehors, et que cette ouverture per- mette d'accueillir et d'entrer en relation avec les non membres, renvoient là encore au problème du tracé des limites qui connote des modes de relations". Et l'on retrouve dans la distinction normative entre membres et non membres, qualité négative relative pouvant présenter des degrés divers selon que l'étranger est fortement ou peu intégré etc., l'idée implicite de cercle, non plus expri- mée sur le mode ternaire, mais sur celui du regere fines.

Mais tandis que le postulat de l'ouverture passe par la capacité d'accueillir l'étranger - à l'intérieur toutefois de règles d'accès, qu'il s'agisse de demander ou donner aide, assistance ou de libérer des ressources - l'existence de fron- tières et de limites suppose l'intervention de médiateurs et de passeurs entre le dedans et le dehors. Interprètes, tra- ducteurs dont la matinée a donné de si parlants exemples, ils permettent la création d'un lien entre membres et non membres, et sont à ce titre les catalyseurs de l'hospitalité. Or quand on sait combien des institutions créées pour accueillir - et elles sont légion dans la ville - peuvent être inhospita- lières, on comprend d'autant mieux l'importance du pas- seur. Ce qui est en cause, en effet, dans ce rapport entre membres et non membres est la sémiosphère de l'institu-

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tion d'accueil, terme emprunté à la sémiologie russe qui désigne le mécanisme servant à transformer à partir de l'in- térieur ce qui vient de l'extérieur, en sens l'apparent non- sens de l'extérieur. C'est cette traduction par la sémiosphère de l'institution d'accueil dans son propre langage de celui qui est reçu, cette tendance à ne prendre de l'extérieur que ce qui convient à ses normes, qui confère aux rapports avec l'hôte potentiel une violence symbolique que celui-ci peut ne pas être en mesure de supporter- il n'est qu'à se souve- nir, pour le comprendre, de notre première journée d'école !

L'importance du passeur est par ailleurs d'autant plus déterminante que les sémiosphères respectives sont cul- turellement distantes, et que la dissymétrie des rapports d'hospitalité est accusée ; cas des SDF qui peuvent préfé- rer rester dans leur marginalité plutôt que d'affronter les territoires institutionnels de l'accueil. Et si l'hospitalité médiatisée par des passeurs a plus de chances de réussir, c'est en raison de la solidarité du passeur avec celui qu'il essaie de faire rentrer dans l'institution, qu'il s'agisse d'hôpitaux, d'asiles, de foyers, ou d'autres organisations dont la fonction est de prendre en charge les personnes nécessitant soin et assistance.

Dès lors, on peut concevoir l'hospitalité comme un pro- cessus complexe s'apparentant à un itinéraire le long duquel des guides sont indispensables si l'on veut que les coûts consentis à l'intérieur de ce processus se traduisent par de véritables utilités pour ceux qui en ont besoin. L'hospitalité est un processus de communication dont la réussite dépend de l'équilibration de deux sémiosphères ; le critère de réus- site étant lorsque l'autonomie du plus dépendant est pré- servée, lorsqu'il gagne en relations aléatoires avec son envi- ronnement. Pour rendre la notion d'hospitalité opératoire dans la ville d'aujourd'hui et dans les différents services qu'elle abrite, il faut donc la considérer dans un rapport à la solidarité et comme un processus de communication, cette communication étant médiatisée par le traducteur-média- teur qui va minimiser et diminuer les malentendus et les chocs inévitables entre les représentants des deux sémio- sphères, celles de l'accueillant et de l'accueilli.

L'hospitalité, en ce sens, est un voyage, pour celui qui la demande et celui qui la donne, voyage d'alter à ego qui se reboucle sur ego, et lui permet de s'arrêter, de trouver enfin sa destination. L'hospitalité n'est donc pas une fin en soi, sans quoi elle ne serait qu'une manière charitable d'entrecouper l'errance ; il faut la concevoir comme un iti- néraire long mais indispensable pour réinsérer le « noma- de » dans le monde sédentaire. La ville est devenu un hyper-labyrinthe morphologique mais surtout relationnel, qui permet à toutes les trajectoires de se perdre. Le rapport hospitalité-solidarité serait alors ce fil d'Ariane permettant d'échapper à la ville inhospitalière, lorsque les repères essentiels de l'existence ont été perdus.

En conclusion, le rapport hospitalité-solidarité ne peut pleinement investir le processus d'hospitalité que s'il est médiatisé par ce que l'on peut appeler des contreban- diers, terme choisi pour indiquer que les passeurs, en trans- férant de l'information régulatrice de l'intérieur vers l'ex- térieur et vice-versa, en mettant à disposition des ressources qui manquent d'un côté pour corriger ce que le fonction- nement intérieur à de brutal, doivent prendre des libertés avec les normes. La transgression consistant, dans ce cas, en une forme de rééquilibrage entre un système normatif et un système hors normes.

Olivier Schwartz - L'hospitalité, un autre mode d'établissement de lien social ?

Souhaitant revenir sur la question de départ de Claude Raffestin, plus précisément sur le retour ou l'émergence, en plein cœur d'une société moderne ou post-moderne, d'une question faisant plutôt partie des valeurs fondamentales des sociétés traditionnelles, Olivier Schwartz note que l'hospitalité tient peu de place dans les grands courants de la pensée politique et sociale occidentale, que ce soit chez les penseurs politiques des XVIIe-XVIIIe siècles, ou chez les sociologues des XIXe-XXe siècles, alors que les ques- tions de citoyenneté, de constitution de la cité et de l'État, de l'intégration, de la solidarité et de la communauté y sont centrales. Si l'hospitalité qui fait plutôt partie du sacré ou de stratégies d'honneur où la mise en scène de la généro- sité est constitutive de capital symbolique ressurgit dans une société désenchantée, cela ne signifie-t-il pas que les grands intégrateurs, Etat, école, travail, espace résidentiel sont soit épuisés, soit impuissants à fabriquer du lien social? Et si ces producteurs de similitude, de solidarité, d'appartenance ne suffisent plus à fabriquer du lien social, l'hospitalité implique-t-elle un autre mode d'établissement du lien social? Dans ce cas à quel type de médiation, de lien social et de politique a-t-on affaire?

Alain Meilland — les effets inattendus de l'hospitalité Représentant de la mairie de Bourges où il occupe la fonc- tion de Directeur de la Culture, du Tourisme et du Patrimoine, Alain Meilland a souhaité retracer l'expé- rience de laboratoire du Printemps de Bourges, festival qui a vingt et un ans d'existence et à la naissance duquel il a présidé, expérience caractéristique en termes d'hos- pitalité et d'inhospitalité.

Alors qu'en un premier temps les organisateurs, avant tout désireux de faire venir des artistes, des journalistes et du public, ne s'étaient posés aucune question de cet ordre, ils y furent très rapidement confrontés. Les jeunes peu argentés, sac au dos, accoururent à la fête, mais demandè- rent bien vite à être hébergés. Tout en répondant à cette demande par des moyens institutionnels classiques,

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