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Jordan Journal of Modern Languages and Literatures Vol.13, No. 4, 2021, pp

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Academic year: 2022

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JJMLL

Mécanismes Narratifs dans La Salle de Bain de Jean–Philippe Toussaint Farzaneh Abdipour, Annette Abkeh *

Département de Langue Française, Branche Centrale de Téhéran, Université Azad Islamique, Iran

Received on: 24-6-2020 Accepted on: 1-12-2020

Résumé

Le récit minimaliste, qui est apparu après le Nouveau Roman tente de revitaliser la langue et le roman.

Cette nouvelle approche d'écriture romanesque est qualifiée par les critiques comme un concept de la littérature postmoderne. L'auteur postmoderne tente de se retirer de la société pour pouvoir voyager dans son monde intérieur. L'errance, l'absurdité et l'ambiguïté sont des termes qui reviennent régulièrement sous la plume des critiques quand il s'agit de caractériser la littérature postmoderne. Dans cet article après avoir défini le sens du récit minimaliste, nous comparerons les différences et les similitudes de ce courant littéraire avec le Nouveau Roman. Ensuite, nous essayons de montrer les mécanismes narratifs dans La Salle de bain de Jean–Philippe Toussaint. La structure fragmentée de cette œuvre oscille entre un seul mot et quelques pages. Pour le lecteur moderne, la lecture du roman de Toussaint, auteur minimaliste du XXe siècle, peut être choquante. Cet auteur brise la linéarité en faisant éclater l'espace et le temps. Les caractéristiques du style de Toussaint détruisent celles du roman réaliste. A cela s'ajoute le langage qui aide la fragmentation de l'histoire et cause sa démolition.

Mots-clés : Le Récit Minimaliste, La Littérature Postmoderne, Le Nouveau Roman, La Salle de Bain, Jean–

Philippe Toussaint.

Narrative Mechanisms in La Salle de Bain by Jean – Philippe Toussaint

Abstract

The minimalist narrative, which appeared after the "New Roman (Novel)", attempts to revitalize the language and the novel. This new approach to novel writing is qualified by critics as a concept of postmodern literature. The postmodern author tries to withdraw from society in order to be able to travel to his inner world. Wandering, absurdity and ambiguity are terms that regularly come under the pen of critics when it comes to characterizing postmodern literature. In this article, after defining the meaning of the minimalist narrative, we compare the differences and the similarities of this literary current with the New Roman. Then, we try to show the narrative mechanisms in La Salle de Bain by Jean–Philippe Toussaint.

The fragmented structure of this work oscillates between a single word and a few pages. For the modern reader, reading the novel by Toussaint, a 20th-century minimalist author, can be shocking. This author breaks linearity by shattering space and time. The characteristics of Toussaint's style destroy those of the

2021 JJMLL Publishers/Yarmouk University. All Rights Reserved.

*Doi: https://doi.org/10.47012/jjmll.13.4.6

* Corresponding Author: abkeh@yahoo.com

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realistic novel. In addition, the novel's language helps the fragmentation of history and causes its demolition.

Keywords: The Minimalist Narrative, Postmodern Literature, The New Roman, La Salle de Bain, Jean–

Philippe Toussaint.

1. Introduction

Le minimalisme, identifié tout d'abord comme une tendance dans l'art plastique, est apparu ensuite dans la musique. Un peu plus tard, il émerge dans la littérature américaine dans les années 80 mais ne se limite pas aux frontières de l'Amérique. En 1979, une innovation se fait avec Méridien de Greenwich de Jean Echenoz, publié en France aux Éditions de Minuit (Dambre et Blanckeman 2012, 8).

Parmi les auteurs qui ont bouleversé la scène littéraire par leur écriture, Jean–Philippe Toussaint obtient une place importante pour sa façon de s'exprimer. Des auteurs comme Christian Gailly, Christian Oster, Patrick Deville et Jean–Philippe Toussaint, en réinventant la fiction, ont présenté un nouveau type de personnages. Le personnage minimaliste réagit contre l'ordre social des choses par une attitude de non- participation et de non–agir. La plupart de ces auteurs ont en commun de privilégier l'esthétique du peu, la distanciation formelle, du burlesque et la gratuité (Dambre et Blanckeman 2012, 27).

Toussaint est un écrivain belge d'origine française. Il a commencé à écrire ses romans entre 1982 et 1984 et les a publiés aux Éditions de Minuit. Inspiré par des écrivains de Nouveau Roman, sa première oeuvre, nommée La Salle de bain, publiée en 1985, acquiert un succès fondamental. D'après lui, l'originalité de son travail réside dans son attention accordée aux éléments constructifs du récit:

«J’ai été influencé par les auteurs du Nouveau Roman, Beckett bien sûr, mais aussi Duras, Claude Simon, Robbe–Grillet, mais pas nécessairement tout Claude Simon ou tout Robbe–Grillet. Je ne suis pas un continuateur ou un disciple, je ne me sens tenu par aucun engagement. A l'époque, les auteurs du Nouveau Roman ont été violemment attaqués par la partie la plus conservatrice de la critique, on disait qu'ils ne racontaient plus d'histoire ou qu'il n'y avait plus de personnage, que le Nouveau Roman tuait la littérature … Je suis en quelque sorte arrivé après la bataille. Quand j'ai commencé à écrire, le terrain avait été largement déblayé, la voie avait été ouverte, je n'avais plus besoin d'être radical, ou dogmatique, si j'avais envie de raconter un peu d'histoire, ou si j'avais envie de développer des personnages, je n'allais pas me gêner

…» (Crois 2011, 56).

Notre analyse a pour objectif d'élucider les mécanismes narratifs dans La Salle de bain de Jean–

Philippe Toussaint. Il s'agit de déconstruire le discours narratif traditionnel pour adhérer à une nouvelle expérience esthétique et de nouvelles solutions d'écriture.

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703 2. Le récit minimaliste

Malgré la présence de nombreuses définitions, les remarques d'Asholt cité par Schoots nous semblent intéressantes:

«Écriture superficielle et ludique, mention fréquente de représentations visuelles pour souligner la superficialité; tendance à la réduction, à la sobriété stylistique et à l'impassibilité, traitement ludique de la langue; banalité illimitée des personnages et des situations; incrédulité à l'égard des métarécits, traitement nonchalant et arbitraire de l'histoire; protagonistes dépourvus d'identité et d'authenticité» (Schoots 1997, 50).

Motte insiste sur la brièveté comme le trait caractéristique de cet art. D'après lui, tout art qui insiste sur la réduction et l'adopte comme principe de construction de l'œuvre peut se concevoir comme minimaliste (Motte 1999, 1). Thibault, il constate une différence très stimulante entre le récit minimal et le récit minimaliste. D'après lui le récit minimal est un récit court dont la diégèse présente des actions peu nombreuses, traduisant ainsi la recherche d'une sorte de degré zéro du narré, au moins comme objectif idéal et le récit minimaliste, selon lui, est un récit plus ou moins long qui exprime les réticences (parfois implicites mais tout de même assez transparentes) du narrateur vis-à-vis du narré (et de tout narré en général) (Bedrane et al. 2012, 121). Il souligne qu'il n'existe pas de «récit minimal» en soi, comme une forme ou un style bien défini, cependant il existe: «[…] différentes stratégies narratives individuelles, qui tendent au récit minimal et qu'on peut rapprocher entre elles en vertu de leur hostilité commune au modèle dominant et hégémonique du roman» (Bedrane et al. 2012, 122-123).

3. Nouveau Roman et récit minimaliste

Les écrivains tels que Claude Simon, Michel Butor, Alain Robbe–Grillet, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute, Robert Pinget, Jean Ricardou et Claude Ollier remettent en cause le roman traditionnel. Ils essaient de renouveler les techniques romanesques tout en rejetant la tradition balzacienne de l'intrigue et des personnages hérités du réalisme au XIXème siècle. La notion d'intrigue chez les auteurs du Nouveau Roman repose sur la discontinuité des épisodes de l'histoire. L'histoire perd sa cohérence dans des circonstances contradictoires. Au contraire, chez les minimalistes nous ne remarquons pas de contradictions, d'incohérences ou de disparités essentielles. La dispersion du tissu textuel dans le Nouveau Roman montre le monde éclaté, intangible et pessimiste du romancier tandis que chez les minimalistes, il y a une tendance à reconstruire et restructurer des éléments de la fiction. Le Nouveau Roman ne démontre que ce que l'on entend ou ce que l'on voit. Autrement dit, il n'analyse pas la conscience du personnage. Tandis que chez les minimalistes, il existe une réalité psychologique mais elle n'est pas développée. Comme chez les Nouveaux Romanciers, nous ne trouvons pas chez les minimalistes, les rapports de causes à effet. L'intrigue du récit est superflue et les personnages sont superficiels. L'écrivain de Nouveau roman rejette toute explication ou démonstration, il refuse une réflexion sur l'écriture: il est dans un monde neutre dont le sens n'est pas reconnaissable par le lecteur. «Les jeunes auteurs de Minuit […] préfèrent la déstabilisation douce […] à l'entreprise de subversion idéologique, c'est–à–dire que les notions traditionnelles sont minées de l’intérieur» (Schoots 1997, 193). C'est d'ailleurs par une certaine harmonie que les nouveaux écrivains de

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Minuit se différencient de leurs prédécesseurs [d'après Kibedi Varga]: «Ce qui caractérise le plus profondément … la nouvelle littérature postmoderne, c'est la rénarrativisation du texte, c'est l'effort de construire de nouveau des récits» (Crois 2011, 56).

4. Les mécanismes narratifs dans La Salle de bain de Jean–Philippe Toussaint

4.1 Le minimalisme formel

Le nombre de pages est le premier critère, pour que nous considérions une œuvre minimaliste. La Salle de bain avec 123 pages répond à ce critère. Le deuxième critère est la fragmentation. Les récits minimalistes se divisent en chapitres, paragraphes et parties isolées. Dans La Salle de bain, nous avons 3 chapitres avec différentes longueurs qui se distinguent par des blancs narratifs. La structure du récit est morcelée, nous voyons des morceaux numérotés. La première partie se passe dans l'appartement parisien. Nous savons que le personnage principal est un jeune homme qui vit avec (sa compagne) Edmondsson. Le protagoniste s'installe pendant quelques jours dans sa baignoire, pour méditer et observer des ouvriers polonais qui ont été embauchés par Edmondsson pour réaliser la peinture. Puis, il décide de sortir de la salle de bain pour affronter un monde qui ne lui plaȋt pas. Dans la deuxième partie, «L'Hypoténuse», le lecteur ne sait pas pour quelle raison le protagoniste part à Venise où il se plaît à regarder la télé et à jouer aux fléchettes dans sa chambre d'hôtel. Venise est une ville touristique mais celui-ci sort peu et ses interactions avec la société sont minimes. Toujours réfugié en lui-même, les lieux et la ville ne l'attirent pas. Dans cette même partie Edmondsson vient à sa recherche, elle finira par le rejoindre. Le narrateur blesse Edmondsson avec une fléchette. Dans la troisième partie, Edmondsson rentre à Paris et le protagoniste, toujours en Italie, attrape une sinusite. Il se fait hospitaliser mais la raison de son hospitalisation reste une énigme. Puis, son médecin l'invite à dîner et à jouer au tennis. Après avoir délaissé son hôtel vénitien, il regagne sa salle de bain à Paris, pour en sortir encore une fois.

4.2 Le minimalisme stylistique

Après l'analyse formelle, nous voulons aborder le minimalisme stylistique qui se manifeste pour Schoots dans les domaines suivants: la syntaxe, le vocabulaire et la langue figurée.

4.2.1 La syntaxe

Au niveau syntaxique, l'écriture minimaliste est souvent caractérisée par l'absence des conjonctions de subordination. Nous constatons surtout une juxtaposition des propositions principales: «Maman m'apporta des gâteaux. Assise sur le bidet, le carton grand ouvert posé entre ses jambes, elle disposait les pâtisseries dans une assiette à soupe» (Toussaint 1985, 13). L'expérimentation syntaxique dans l'écriture minimaliste aboutit parfois à des phrases grammaticalement incorrectes. Les mots supprimés par ellipse créent une certaine confusion. C'est pourquoi l'auteur parfois rétablit les mots pour mener à bien l'analyse de la phrase:

«Je ramassai le vêtement qui se trouvait en boule sur le sol du débarras, et le dépliai dans le vestibule pour le considérer. Il était petit: Edmondsson avait dû le porter lorsqu' elle était jeune fille. Je retirai ma veste et l'enfilai. A peu de choses près (?), cela pouvait convenir» (Toussaint 1985, 45). Ici, les deux points et les mots supprimés entre les parenthèses affirment les remarques du narrateur. D'après Schoots: «La

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ponctuation ayant été dynamitée sous l'influence des avant–gardes, elle n'est plus un simple soutien de la narration: elle ne permet plus de distinguer récit du narrateur et récit des personnages, discours direct et discours indirect, de sorte qu'il est parfois difficile d'identifier la voix narrative» (Schoots 1997, 53).

4.2.2 Le vocabulaire

Les écrivains minimalistes ne tiennent pas pour autant à la rhétorique. Leur vocabulaire est limité. Ils tiennent fermement à l'élimination des mots superflus. La pauvreté lexicale domine la syntaxe. Dans son analyse, Schoots parle d'un «effacement lexical». Voyons quelques exemples: «Un ami de mes parents, de passage à Paris, vint me rendre visite. Il m'apprit qu'il pleuvait. Tendant le bras vers le lavabo, je l'invitai à prendre une serviette» (Toussain 1985, 14). Dans cet exemple «un ami» prend la place du nom propre de la personne. Nous ne saurons jamais de qui il s'agit. Aucun signe définitif sur la personnalité de ce personnage ou son apparence physique ne nous est déclaré: «Un ambassadeur parlerait» (Toussaint 1985, 28). Le nom de la personne n'est pas indiqué. Ou encore: «L'infirmière demanda au monsieur le nom du médecin qui me soignait. Je répondis au monsieur que je ne savais pas, ce qui fut traduit scrupuleusement à l'infirmière» (Toussaint 1985, 96-97). Dans cet exemple, l'infirmière, le monsieur et le médecin prennent la place des noms propres.

Le vocabulaire chez les minimalistes cultive la patience du lecteur, avec ou sans la participation de l'auteur dans l'histoire, il déplace et commande tout et permet au lecteur d'entrer dans ce royaume. L'auteur prend la parole quand les mots sont nécessaires et quand ils ne le sont pas il préfère garder le silence. Le but de l'auteur est de donner plus de dynamisme à l'histoire. Autrement dit, en utilisant les blancs narratifs, l'auteur coupe constamment les séquences du récit. Ce procédé accélère le rythme de l'histoire car les descriptions et les commentaires détaillés qui ralentissent la vitesse de l'histoire sont supprimés. Dans les exemples suivants, nous remarquons que les événements s'alternent de manière hȃtive: «Edmondsson a fini par avertir mes parents» (Toussaint 1985, 12). «Maman m'apporta des gȃteaux» (Toussaint 1985, 13). Ce qui est à l'encontre de ce que nous voyons dans le roman classique. Par exemple, dans Le père Goriot, Balzac attribue une cinquantaine de pages à la description de la pension.

4.2.3 La langue figurée

Les romans de Toussaint accordent une attention particulière à la langue et à l'écriture. Une figure de style qui est considérée par Schoots comme un trait minimaliste est la répétition. La répétition peut être grammaticale ou sémantique. Cette technique stylistique peut passer pour une faute, mais elle peut aussi exprimer une opinion. Parfois, pour produire plus d'enchaînements et éviter les écarts et les confusions, Toussaint reprend la fin d'un fragment au commencement du passage suivant. Par exemple : La fin d'une scène: «[…] mais il était tard: le train était sur le point de partir» (Toussaint 1985, 50). Le commencement d'une autre: «Le lendemain, le train arrivera» (Toussaint 1985, 50). La fin du premier fragment parle d'un train qui va partir. Le fragment suivant, tout d'un coup, nous montre que le train arrive. La répétition et la banalité se voient aussi dans les actes et les habitudes du protagoniste: «Combien de fois avais–je ainsi parcouru le vestibule, avais–je tourné à gauche et ensuite à droite, dans le couloir, pour regagner ma chambre de mon pas régulier? Et combien de fois avais–je fait le trajet inverse? Je me le demandais»

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(Toussaint 1985, 35). La répétition de «combien de fois avais–je» dans cet extrait de La Salle de bain exerce un effet sémantique. En effet, elle montre que la monotonie empoisonne l'existence du protagoniste. Le rythme répétitif et figé de la vie montre d'ailleurs les conditions de vie de l'homme contemporain. Toujours les mêmes actes et les mêmes habitudes, c'est un peu comme s'il vivait une seule journée pendant des jours et des jours. Mais à la fin du récit, nous voyons que le narrateur veut sortir de ce rythme paralytique qui devrait être arrêté avant: «Le lendemain, je sortais de la salle de bain» (Toussaint 1985, 123).

Nous remarquons parfois à l'intérieur d'une même phrase des propositions courtes alternant avec des propositions complexes. L'alternance et l'accumulation sont distinguées par Schoots comme deux procédés minimalistes. En général, les propositions longues insistent sur les méandres du sentiment et de l'idée et les courtes sur les données catégoriques du récit: «Conciliant, je proposai de l'accompagner; y aller tous les deux était, à mon sens, le juste compromis» (Toussaint 1985, 22). «Je ne descendis pas déjeuner» (Toussaint 1985, 53). L'écrivain minimaliste, en employant des phrases de longueur et de structures variées donne plus d'énergie au récit et en condensant la pensée, s'exprime avec une forme frappante.

Une autre figure de style utilisée par les minimalistes est la proposition elliptique; ce procédé d'après Schoots crée une pauvreté syntaxique et lexicale. Parfois le narrateur ne termine pas sa phrase et s'exprime d'une manière vague: «Je devais prendre un risque, disais-je les yeux baissés, en caressant l'émail de la baignoire, le risque de compromettre la quiétude de ma vie abstraite pour. Je ne terminai pas ma phrase»

(Toussaint 1985, 123).

Un autre aspect du langage chez les minimalistes est la simplicité. Un langage simple non seulement n'empêche pas la création d'œuvres littéraires mais l'auteur peut décrire l'extraordinaire dans la simplicité de l'ordinaire. Écrire plus simplement, c'est une harmonie parfaite entre le beau et l'utile. Le minimalisme n'est pas une limitation pour l'auteur, par contre celui-ci devient plus libre en écoutant sa voix intérieure.

La simplicité ne signifie pas inefficacité; au contraire, l'auteur présente au lecteur plus d'élégance et d'harmonie. L'écrivain minimaliste reprend ses phrases à plusieurs reprises et en supprimant les superflus il essaie d'amener de la fluidité dans son texte. Il arrive ainsi à améliorer le contenu de son travail tout en motivant le lecteur à suivre sa démarche en se concentrant sur l'essentiel. En effet, l'usage du langage dans l'écriture minimaliste est différent. L'auteur l'utilise pour augmenter l'effet du travail.

Toussaint, par le choix des propositions courtes, rappelle les techniques cinématographiques du montage. Cet art de l'ellipse peut être lié à la tendance d'aérer le texte. En effet, en supprimant les détails pesants, l'auteur ouvre la voie à la médiation. Parfois, le fragment est constitué d'un seul mot, ce qui crée une tension particulière. Par exemple, dans la première partie du livre, 13ème fragment, Edmondsson rejoint le protagoniste, celui-ci emploie un seul mot pour décrire la scène: «Maintenant» (Toussaint 1985, 17).

Après le minimalisme formel et le minimalisme stylistique, ce qui nous intéresse est le minimalisme du contenu narratif, les parties concrètes de l'histoire, c'est–à–dire l'espace, le temps, et les personnages.

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707 5. Le minimalisme du contenu narratif

5.1 L'espace et le temps

L'espace et le temps sont les éléments principaux de l'histoire racontée. Dans certains récits, la durée joue un rôle important et très influent dans le processus de l'histoire. En effet, dans le petit volume de La Salle de bain, le narrateur ne donne aucune précision sur les dates et les chiffres. Par exemple, il ne précise même pas la date de sa naissance, il indique qu'il a vingt–sept ans bientôt vingt–neuf. Il confond intentionnellement le lecteur.

La simultanéité des événements est une des caractéristiques du style minimaliste. D'après Schoots:

«Le seul rapport exprimé régulièrement, celui du temps, marque la simultanéité plutôt que l'antériorité ou la postériorité» (Schoots 1997, 53). Regardons un exemple: «Tandis que je remplissais ma tasse, Kabrowinski, en face de moi, essayait d'ouvrir le pot de confiture avec son opinel» (Toussaint 1985, 25).

Nous pouvons observer une succession d'actions. Le rapport temporel est montré à l'aide du trait sémantique neutre c'est–à–dire «Tandis que». Cette forme temporelle accentue la durée imprécise des actions. L'auteur utilise la stratégie de la simultanéité pour renforcer le rythme rapide du récit. D'ailleurs, par l'absence des liens de cause à effet, nous remarquons le désire d'annuler la chronologie de manière que la lecture du texte donne l'impression que les événements n'avancent pas vers une fin définie. Un autre exemple:

«Edmondsson pensait qu'il y avait quelque chose de desséchant dans mon refus de quitter la salle de bain, mais cela ne l'empêchait pas de me faciliter la vie, subvenant aux besoins du foyer en travaillant à mi–temps dans une galerie d'art» (Toussaint 1985, 11). Dans cet exemple, l'emploi de l'imparfait "pensait" avec des participes présents "desséchant et subvenant" et le gérondif ''en travaillant'' produisent des actions simultanées, inachevées, prolongées ou répétées. Par conséquent, nous pouvons penser que l'intention de l'écrivain minimaliste, décrire d'une manière vague, est de suggérer la vanité et la monotonie de la vie contemporaine.

Même si Toussaint emploie l'imparfait et le passé simple et des indications temporelles comme

"lorsque", "un matin", "deux fois par semaine", etc, la chronologie temporelle reste très indéfinie et incertaine: «Le lendemain, je finis par donner de mes nouvelles à Edmondsson» (Toussaint 1985, 63). Ou encore: «Les jours suivants, nous nous téléphonâmes encore, souvent» (Toussaint 1985, 65). Bien que le temps des verbes soit au passé simple, le début et la fin des actions restent indéterminés. Nous observons une scène limitée et naturellement, les incidents ne peuvent pas inclure plusieurs emplacements. Parfois, nous pouvons même ne pas voir la scène. Mais le lecteur peut la comprendre grâce aux autres éléments du récit. Cela correspond au caractère minimaliste de cette histoire.

En ce qui concerne les espaces utilisés, nous avons une limitation d'espace, Paris et Venise sont les espaces indiqués dans le livre: «(…) dehors, c'était toujours aussi parisien» (Toussaint 1985, 35). Un autre exemple: «Mais nous restions sur nos positions: Edmondsson me demandait de rentrer à Paris, je lui proposais plutôt de venir me rejoindre» (Toussaint 1985, 65). Le protagoniste de Toussaint, malgré le titre du récit, passe un certain nombre de jours dans sa baignoire. Toussaint donne une attention particulière à l'espace urbain. Par des descriptions spatiales assez nombreuses, il fait allusion à ces lieux: «Je me trouvai dans le bar de l'hôtel. Il était quasiment désert» (Toussaint 1985, 54). Ou bien: «Le hall de l'hôpital était

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toujours encombré de personnes qui attendaient» (Toussaint 1985, 98). D'après Edward Soja: «La postmodernité est identifiée, fondamentalement avec le retour, ou l'affirmation, des problématiques spatiales. L'espace deviendrait un des éléments caractéristiques des sociétés contemporaines (…), et c'est cela qui, selon Soja, ferait passer de la modernité caractérisée par la primauté du temps à la postmodernité caractérisée par la primauté de l’espace» (Besse 2004, 3-4). Les espaces urbains comme gare, hôtel, hôpital,

… ce que Marc Augé qualifie de non lieux sont les lieux que Toussaint indique dans son roman.

5.2 Les personnages

Dans les récits minimalistes, le personnage n'est pas profondément examiné et présenté. Le protagoniste de Toussaint est un homme sur l'identité duquel nous ne savons pas grand chose, ni de ses idées et ses sensations. Ce qui choque, c'est son attitude insignifiante. Il raconte ses actions et ses mouvements sans parler de ses engagements dans la société. Tout ce que nous savons, c'est qu'il est historien. En effet, un embarras mental préoccupe son esprit. Il passe ses journées dans une atmosphère à la fois détendue et perturbée. Kabrowinski qui peint son appartement lui pose des questions dont il ne sait rien. Comme si son esprit avait perdu la capacité de résoudre les problèmes: «[…] De temps à autre, Kabrowinski frappait à ma porte et, la tête dans l'entrebâillement, me posait des questions auxquelles je répondais cordialement que je n'en savais rien» (Toussaint 1985, 16-17). En plus nous remarquons qu'une certaine rigidité mentale face au changement, complique sa vie: «Lorsque, le matin, je me réveillais, je voyais la journée à venir comme une mer sombre derrière mes yeux fermés, une mer infinie, irrémissiblement figée» (Toussaint 1989, 86). Il fait preuve d'une certaine résistance face au changement:

«Je tente l'impossible, disait–il, l'impossible! Et tout le monde s'en fout» (Toussaint 1985, 14). L'ami des parents du narrateur lui révèle que son effort est inutile mais il ne déclare pas le problème. Le protagoniste rejette les idées et les autres perspectives différentes des siennes parce qu'il aime se cantonner à ses propres idées: «Je n'avais plus envie de parler. Je gardais mon pardessus dans la chambre, jouais aux fléchettes toute la journée» (Toussaint 1985, 88). Prolongé dans son monde intérieur, le protagoniste demeure en dehors de la société. Il est comme un spectateur qui voit la scène avec une certaine distance. Pour lui, la société est comme un aquarium effrayant. Il voit les gens bloquer: «J'eus soudain l'impression que tous ces gens se trouvaient dans un aquarium. Peut–être avaient–ils peur? L'aquarium lentement se remplissait» (Toussaint 1985, 31).

Le protagoniste de Toussaint connaît deux sortes d'errance. Premièrement l'errance périphérique. Par exemple quand il flâne dans les espaces publiques, il ne connaît pas sa direction: «Debout dans l'embrasure de la porte, j'avais le sentiment de me trouver devant un lieu inconnu» (Toussaint 1985, 32). Ou encore:

«De retour à l'hôtel, je me perdis dans les étages. Je suivais des couloirs, montais des escaliers. L'hôtel était désert, c'était un labyrinthe, nulle indication ne se trouvait nulle part» (Toussaint 1985, 52). Deuxièmement l'errance mentale. Il y a aussi une errance et une absence d'ordre dans ses idées: «Je regardais mon visage ainsi divisé par la lumière, je regardais fixement et me posais une question simple. Que faisais-je ici?»

(Toussaint 1985, 116). D'après Dambre et Blanckeman: «Si les personnages se rendent dans une localité précise sur la base de motifs et de mobile inexistants, inconnus ou incertains, il arrive également qu'ils ne sachent pas du tout où ils vont. Leur mouvement débouche alors sur une errance dans un espace dépourvu

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de pôles d’orientation» (Dambre et Blanckeman 2012, 73). Une chose est certaine, le personnage auquel nous sommes confrontés, ne se voit pas comme des personnages authentiques. Mais que cherche-t-il au juste? Le héros toussaintien cherche la paix intérieure dans l'immobilité. En s'écartant de cet être éphémère qui est assujettie au mouvement, il fait face à la réalité extérieure:

«J'avais passé la nuit dans un compartiment de train, seul, la lumière éteinte.

Immobile. Sensible au mouvement, uniquement au mouvement, au mouvement extérieur, manifeste, qui me déplaçait malgré mon immobilité, mais aussi au mouvement intérieur de mon corps qui se détruisait, mouvement imperceptible auquel je commençais à vouer une attention exclusive, qu'à toutes forces je voulais fixer»

(Toussaint 1985, 51).

L'immobilité dans La Salle de bain est une expérience interminable. Comme si Toussaint résistait devant l'évolution du monde à l'aide de la distraction. Il veut arrêter le rythme accéléré de la vie.

Un point important qui fait songer à l'état perplexe du narrateur c'est sa peur, il ne peut pas choisir entre les deux positions. Pour vivre la réalité, il n'a pas assez de courage. La peur des inconnus et le passage du temps sont les préoccupations du narrateur: «Qui étaient ces hommes? Que faisaient-ils chez moi?»

(Toussaint 1985, 32). Le malaise du héros dans son univers mental, c'est ce qui se propage dans tout le récit.

Terrifié par le passage du temps, il veut arrêter le mouvement du temps. Comme Proust, il a le souci du passage du temps: «[…] alors que c'était l'écoulement même du temps, une fois de plus, qui m'avait horrifié»

(Toussaint 1985, 31). Le héros toussaintien veut arrêter le passage du temps pour ne pas affronter les défaveurs de la réalité, c'est pourquoi le jeu a une place importante dans ses activités. Il passe son temps à jouer avec les enfants, ses amis et parfois tout seul. Il introduit dans sa vie ses qualités de joueur pour être sûr de gagner et pour ne pas vivre la réalité. D'autre part, en prenant la vie moins au sérieux, il essaie de diminuer ses angoisses: «Lorsque je jouais aux fléchettes, j'étais calme, détendu. Je me sentais apaisé. Le vide me gagnait progressivement et je m'en pénétrais jusqu'à ce que disparût toute trace de tension dans mon esprit» (Toussaint 1985, 83). Ou encore: «Le lendemain matin, vêtu d'une liquette jaune pâle et d'un pantalon de toile, ma raquette de tennis à la main, je quittai ma chambre de bonne heure pour aller rejoindre mon médecin» (Toussaint 1985, 107). Ces divertissements aident le héros à s'amuser et à s'éloigner un peu de notre monde civilisé.

La structure des relations humaines dans La Salle de bain montre d'une part un manque de solidarité et de dépendance envers la famille et la société et d'autre part nous constatons une fragilité dans les communications et les relations des personnages. Le héros toussaintien est un personnage isolé qui s'exprime par les gestes:

«A l'aéroport –Marco Polo–, je fis la connaissance d'un Soviétique […] Comme il était aussi polyglotte que moi, mais dans des spécialités différentes (russe, roumain), je ne compris pas très bien–il me l'expliquait en italien – ce qu'il était venu faire à Venise […] Debout devant nos verres, entre deux silences pendant lesquels il soupesait dubitativement son attaché – case, nous parlions d'histoire contemporaine, de politique» (Toussaint 1985, 118-119).

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Ce manque de vraie communication se voit aussi dans ses relations intimes avec sa compagne. En fait, ils sont incapables de s'entendre et de communiquer: «Nous étions remontés dans la chambre et assis de chaque côté du lit, nous ne disions plus rien. Nous nous étions tout dit, nous n'étions pas d’accord»

(Toussaint 1985, 76). Ou encore: «Je regardais le plafond. Edmondsson était assise sur une chaise en face de moi. De temps en temps, notre conversation du dîner reprenait de manière fragmentée, décousue»

(Toussaint 1985, 82). Le héros toussaintien éprouve une grande angoisse et son épouse ne peut pas le consoler: «Il m'arrivait parfois de me réveiller en pleine nuit sans même ouvrir les yeux. Je les gardais fermés et je posais la main sur le bras d'Edmondsson. Je lui demandais de me consoler. D'une voix douce, elle me demandait de quoi je voulais être consolé. Me consoler, disais-je. Mais de quoi, disait-elle. Me consoler disais-je (to console not to comfort)» (Toussaint 1985, 86-87). Nous voyons deux interprétations différentes de la réalité. L'esprit du héros est à la recherche de révélations intérieures. Nous pouvons dire que le manque d'une vraie relation affective produit chez le protagoniste une détresse profonde reliée aussi aux sentiments d'être perdu et à ceux d'insécurité immense. Finalement, il arrive à la conclusion de Pascal que rien ne peut nous consoler, quand nous pensons à la raison de notre détresse dans la vie.

Le protagoniste de Toussaint a peur de la communication et des relations sociales: «De temps en temps, en face de moi, un homme se déplaçait dans une chambre. […] Parfois, il s'immobilisait devant sa vitre, et nous nous faisions face, nous nous fixions. Aucun de nous ne voulait baisser les yeux. […] je ne baissais pas les yeux; non, je les fermais» (Toussaint 1985, 97-98). Il préfère ne pas avoir contact avec l'extérieur et se contente de ses expériences personnelles. Dans le roman postmoderne, nous avons une nouvelle image de l'individualisme:

«L'individu planté aujourd'hui devant le monde est plus différent de ses grands- parents que le serait un extraterrestre. Il se sent capable de rompre pour la première fois avec toutes les sujetions, localisations, appartenances, fidélités auxquelles sa vie se trouva si longtemps soumise: famille-refuge, morale de groupe, héritages, repères collectifs ou traditions précautionneuses […] Le «moi» est libéré de «nous». Il tient dans sa propre main tous les fils de son destin. Tout se passe comme s'il atteignait pour de bons à des rivages longtemps imaginés: l'individualisme chimiquement pur»

(Gontard 2003, 49-50).

Dans la Salle de bain, les personnages ressemblent à des caricatures et à la différence du roman classique ils n'ont pas une présence active qui affecte les gens et les évènements. Nous pouvons remarquer que les relations mutuelles entre les personnages sont abîmées. Le protagoniste de Toussaint est un personnage compliqué. Sa complexité identitaire se pose encore lorsqu'il raconte ses cauchemars:

«Mes cauchemars étaient rigides, géométriques. Leur argument était sommaire, toujours lancinant: un tourbillon qui m'englobe et m'emporte en son centre, par exemple, ou des lignes droites placées devant mes yeux dont je tȃche infiniment de modifier la structure, remplaçant un segment par un autre, procédant à des corrections sans fin pour les épurer. Depuis quelques jours, je jouais tellement aux fléchettes que

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pendant la nuit, à la surface de mon sommeil, surgissaient des images obsédantes de cible» (Toussaint 1985, 84).

Une autre particularité du récit, c'est qu'il y a des passages qui montrent le côté burlesque du protagoniste. Par exemple, sa passion pour le jeu est ridicule. Dans la deuxième partie du livre, quand sa compagne lui demande d'arreter de jouer, il lui envoie de toute sa force une fléchette qui se plante dans son front. Ou bien, dans la dernière partie, lorsque le protagoniste ment à la femme de son médecin, il crée des situations ironiques: «Dès le début [...] je n'avais pas été franc avec [mon médecin]. Non, je lui avais fait croire que j'étais sociologue, alors que je suis historien» (Toussaint 1985, 101). Son attitude est absurde.

Nous ne savons pas la raison de ce mensonge.

Toussaint révèle dans ses romans une sorte d'autoréflexivité par rapport aux personnages: «Chacune de ses [Toussaint] œuvres est comme une tranche de sa vie, une nouvelle étape dans sa découverte du monde, tantôt ponctuée de surprises gênées […], tantôt agrémentée d'exclamations béates […] il promène un regard serti de contradictions, à la fois profond et détaché, narquois et concerné, rêveur et engagé […]»

(Murínová 2009, 7).

Dans la troisième section, le narrateur est invité par son médecin et sa femme, il raconte l'histoire du naufrage du Titanic à leur petite fille: «Mon histoire semblait la divertir beaucoup, car elle ne cessait de rire, timidement d'abord, les yeux baissés, Puis franchement, en me regardant avec gratitude depuis que je ramais dans le canot de sauvetage» (Toussaint 1985, 104). Comme nous pouvons remarquer par un langage contrasté, le protagoniste cherche constamment un moyen de combattre la réalité. D'une part, nous avons la mort et d'autre part la présence de canot de sauvetage qui est situé dans le même endroit. Il y a les deux côtés contrastés. Il s'agit donc pour Toussaint de combattre la réalité, en mêlant la réalité avec la fiction, ce qui semble être inimaginable en dehors du récit.

6. Autres aspects de ce livre

En ouvrant le livre, nous voyons le protagoniste étendu dans sa baignoire, on ne sait rien du début du récit. «Lorsque J'ai commencé à passer mes après–midi dans la salle de bain, je ne comptais pas m'y installer» (Toussaint 1985, 11). Démarrage de l'histoire à partir d'un point vague sur le sujet, en donnant des informations limitées, voilà une des particularités des récits minimalistes. Après avoir dessiné une intrigue mystérieuse, l'histoire passe sur un autre axe. Au cours du récit nous rencontrons plusieurs personnages, par exemple Edmondsson travaille dans une galerie d'art pour aider le protagoniste à gagner sa vie. Le profil de ce personnage n'est pas décrit. Le manque d'attention aux personnages de l'histoire, le fait que le personnage principal est dénué de caractéristiques positives, ainsi que l'intrigue réduite au minimum sont certains aspects des récits minimalistes.

L'importance accordée aux objets est bien vue dans ce récit. Regardons un passage qui correspond à ce trait: «Autour de moi se trouvaient des placards, des portes-serviettes, un bidet. Le lavabo était blanc ; une tablette le surplombait, sur laquelle reposaient brosses à dents et rasoirs» (Toussaint 1985, 12). Cette forme de l'écriture est sans doute liée aux changements de la nature humaine dans la société moderne.

L'affaiblissement des sensations humaines pousse l'homme vers la louange des objets. Dans un monde

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saturé de choses matérielles l'homme perd sa place et les frontières entre l'individu et l'objet deviennent perméables.

La structure du récit est hétérogène. Dans La Salle de bain, nous trouvons des incohérences narratives car ici l'élément de causalité est absent. Par exemple dans la deuxième partie du récit, sans que la raison de son départ soit éclairée, le héros toussaintien décide de partir. Il y a aussi des discussions dont le résultat reste ambigu: «A la fin du livre, nous ne prenons aucune connaissance si, en effet, la repeinture a été réalisée, parce que le livre continue dans la deuxième partie. En plus, le protagoniste reçoit une lettre provenant de l'ambassade d'Autriche, il réfléchit alors sur la raison pourquoi on la lui a envoyée, mais de nouveau, nous n'arriverons pas à la réponse» (Murínová 2009, 7).

Une stratégie d'écriture dans ce récit est l'intertextualité. Voyons les propos de Toussaint:

«Pour La Salle de bain, je sens et je domine les influences: il y a Nabokov qui plane sur toute la dernière partie, Gombrowicz sur les Polonais, Perec [sic] sur des petites choses des petites mots, Flaubert sur la phrase et Musil sur des personnages ou des adjectifs-je me souviens par exemple que l'expression « musclé » d'une manière fine et puissante me faisait penser à Musil» (Hannay 2007, 22).

Dans le roman postmoderne parfois on voit que la fin renvoie au début de l'histoire, comme si le lecteur était capturé dans un mouvement de rotation fixe. En fait, on suggère aux lecteurs ce sentiment que l'imagination est assourdie. Elle n'est pas une activité qui laisse surgir la pensée. Nous pouvons voir le même procédé dans La Salle de bain. Par exemple la phrase: «Le lendemain, je sortis de la salle de bain»

(Toussaint 1985, 16) est répétée à la fin du roman: «Le lendemain je sortais de la salle de bain» (Toussaint 1985, 123). Bien que le protagoniste de Toussaint passe son temps dans la salle de bain à rêver, ses rêveries ne le conduisent pas à une réflexion. En fait, la narration est mentionnée dans un circuit fermé.

7. Conclusion

Depuis le Nouveau Roman les critiques cherchent une solution pour que le lecteur devienne plus dynamique dans le processus de la lecture. Les différentes stratégies de l'écriture adoptées par les minimalistes poursuivent cet objectif. Ce groupe d'écrivains, en acceptant l'influence de leur prédécesseur et en poursuivant une démarche hétérogène, ont dévoilé les indices de leur différenciation.

Les minimalistes en attaquant les conventions littéraires ont essayé de renouveler la pratique. Il faut cependant faire attention que la reprise de l'histoire chez les minimalistes ne signifie pas l'efficacité du langage puisque le vocabulaire dans ce genre littéraire est limité et nous remarquons une pauvreté lexicale qui domine la syntaxe. Ce qu'il faut considérer à travers les définitions du récit minimaliste, c'est que les minimalistes emploient des différentes stratégies de l'écriture pour limiter le pouvoir dominateur du roman classique. L'écrivain minimaliste dépasse le piège de la langue pour s'exprimer dans un langage simple, froid et sans jugement sur les personnages.

En dépit de toutes les différences qui existent entre les deux générations de Minuit, le lien entre elles, reste très étroit. Toutes les deux sont sous l'effet de trois écrivains: Rousselle, Kafka et Beckett, qui ont exercé une grande influence sur la littérature du vingtième siècle. Le Nouveau roman en supprimant l'auteur et ses signes énonciatifs du texte essayait de donner plus d'étendue à la narration impersonnelle. Mais la

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génération des années quatre-vingt ne rejette pas pour autant la tradition, elle essaie de renouveler le système de narration et provoque en même temps une réaction sur la vie moderne. Notons que la première génération de Minuit a créé un roman référentiel car le langage n'est pas en mesure de renvoyer à la réalité et ne se rapporte qu'à lui-même. A l'inverse de leur ancêtre, les minimalistes reconstruisent sans vraie méthode un roman référentiel. Certaines caractéristiques que nous avons vues dans l'étude de La Salle de bain sont les suivantes: traiter des sujets de manière ludique, faire le vide autour de soi pour être à soi- même, présenter des personnages égarés et des actions sans but, le manque d'attention aux personnages du récit, l'autoréflexivité, l'attention portée aux objets, ….

Le protagoniste de Toussaint, à l'encontre du personnage traditionnel, ne dévoile pas sa personnalité.

Toutefois, ses voyages solitaires, son écart de la société et son plaisir à méditer montrent sa rupture par rapport aux autres et au monde. En vivant dans la sphère privée, il mène une vie absurde et vide de signification et son silence jette le discrédit sur le pouvoir de la parole pour transformer sa situation.

Toussaint à travers la mise en scène de protagonistes incapables à communiquer montre comme Beckett l'impossibilité de raconter ou de décrire les sentimens et les pensées.

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