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Favoriser le travail maternel ou concilier maternité et salariat ?

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Chapitre 13

Favoriser le travail maternel ou concilier maternité et salariat ?

Le problème, tel qu’il se pose depuis l’entre-deux-guerres, est clair mais la réponse dépend de l’idée que l’on se fait de la fonction maternelle. Si celle-ci est jugée prioritaire, voire exclusive, il faut tout mettre en œuvre pour que les femmes restent au foyer. Cet objectif se traduit de deux manières : persuasion des mères et leur octroyer les moyens matériels et économiques nécessaires. Il convient de suppléer au manque à gagner des mères, directement par des compléments au salaire du mari ou indirectement par la rentabilisation des tâches effectuées à domicile. Mais si la fonction maternelle n’est pas la seule identité des femmes, on n’échappe pas, dans une société où l’idée d’un partage des tâches est à peine amorcée et fait encore figure de haute fantaisie, au problème de l’articulation des tâches ménagères et des autres activités. Deux voies sont donc explorées, qui s’entrecoupent, s’opposent ou parfois se rejoignent : concilier travail et famille d’une part et tout mettre en œuvre pour favoriser les mères au foyer d’autre part.

Concilier travail, famille… et libér er les femmes ?

La conciliation entre travail professionnel, éducation des enfants et accomplissement des tâches ménagères n’a pas de solution unique car elle se pose différemment selon les classes sociales et les moyens financiers. Comme le remarque avec ironie Isabelle Blume, « Le bourgeois est servi par ses domestiques, l’ouvrier par sa femme »1.

Une réflexion qui traverse le siècle

Durant l’entre-deux-guerres, la plupart des femmes des classes moyennes aisées qui exercent une profession bénéficient d’une aide domestique (même si la crise de la domesticité s’amorce) et peuvent aussi souvent compter, à l’instar des milieux populaires,

1 BLUME, I, La Vie ouvrière, septembre 1930, cité dans Isabelle Blume. Entretiens recueillis et présentés par GOTOVITCH, J., Fondation J. Jacquemotte, Bruxelles, 1976, p. 26.

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sur l’aide de la structure familiale2. Alors que les féministes d’avant 1914 ressentaient une certain malaise à l’égard de leurs servantes et une certaines culpabilisation de se décharger sur elles des tâches domestiques3, celles des années trente n’expriment plus ce sentiment.

Louise Van den Plas estime d’ailleurs que, s’il est parfois nécessaire de défendre les servantes contre leurs maîtresses, il devient surtout urgent de défendre les dames contre le manque de parole de certaines servantes, « souvent contaminées du virus bolchévique »4. La période est celle de la récrimination permanente à l’égard de la domesticité mais elle est aussi marquée par les difficultés de plus en plus grandes à trouver des servantes et la nécessité de les recruter l’étranger5 .

Mais pour toutes celles qui n’ont pas (ou plus) les moyens d’engager une servante, des solutions sont proposées par le biais d’une rationalisation des tâches ménagères et par le recours aux « substituts » que sont les premiers appareils électriques. Quelques réflexions isolées apparaissent aussi sur une nouvelle distribution des tâches dans la famille6. Mais dans ce domaine, les féministes avancent avec une prudence de Sioux, car c’est précisément les difficultés rencontrées par les travailleuses à gérer la « double journée » qui sert d’argument – y compris à de nombreux socialistes – pour prôner leur retour au foyer. Le terrain est donc miné et glissant, dans une période qui remet continuellement en cause le droit au travail des femmes, et les féministes n’évoqueront jamais les difficultés rencontrées par des femmes exerçant une profession intellectuelle ou libérale. Ce sont donc les femmes des classes ouvrières qui font l’objet de toutes les observations. C’est une restriction importante puisque la question se limite précisément à celles qui sont présentées comme « obligées » de travailler pour des raisons économiques, que même les partisanes des mères au foyer ne peuvent nier ou éluder. Il ne faut pas oublier non plus que cette question est traversée par une ligne idéologique : dans les milieux catholiques, il est entendu que les femmes quittent le marché du travail en se mariant. Seules les célibataires font carrière. Là encore, la question ne se pose que pour les classes ouvrières, solidement encadrées par les LOFC dont on connaît la volonté d’interdire le travail des mères.

L’après 1945 amorce un rapport différent des classes moyennes à la gestion du foyer. La crise de la domesticité, l’évolution du salariat féminin conjugué à la hausse du niveau d’études des femmes, l’augmentation de la nuptialité modifient le regard et le vécu de la gestion quotidienne du foyer7. Les associations féminines et féministes se préoccupent dès

2 Sur l’histoire de la domesticité: PIETTE, V. Domestiques et servantes. Des vies sous condition.

Essai sur le travail domestique en Belgique au 19ème siècle, Classe des Lettres. Académie royale de Belgique, Bruxelles, 2000 ; DE MAEYER, J. et VAN ROMPAEY, L., Upstairs, downstairs.

Dienstpersoneel in Vlanderen 1750-1995, Bijdragen van de Vlaamse Sociale Strijd, n°13, Gand, 1996; DE KEYZER, D., Madame est servie. Leven in dienst van adel en burgerij (1900-1995), Leuven, 1995; Sextant, « Domesticité », n°15-16, 2001.

3 PIETTE V., Domestiques et servantes..., p. 393-411. Sur les revendications en faveur d’un statut pour gens de maison : KEYMOLEN, D. et VAN MOLLE, L., « Feminisme, vrouwenbeweging en dientsbodenvraagstuk », Upstairs, downstairs…, p. 167-169.

4 VAN den PLAS, L., « Le contrat de travail des gens de maisons », Le féminisme chrétien de Belgique, février 1925, p. 19.

5 PIETTE, V., « La crise et ses remèdes. Vers un statut de la domesticité », Sextant, 15-16, 2001, p.

101-125.

6 A.G., « Les loisirs de la femme », Egalité, 1937, n°32, p. 32.

7 A titre d’exemple, LEBLANC, M., La crise du service domestique, Ligue nationale des foyers et futurs foyers, Bruxelles, éd. Famille et jeunesse, [1946] : Carhif, F. CNFB, 21-12.

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lors de manière récurrente de la double (ou triple) journée des femmes, pointée dès les années 1950 comme une question fondamentale pour l’équilibre physique et psychique des mères de famille. Le « surmenage féminin » (ce que l’on nommerait aujourd’hui le stress) devient peu à peu un problème de société qui touche toutes les classes sociales, même les femmes universitaires et les femmes chefs d’entreprise8. Articles, brochures et ouvrages voient le jour pour proposer des solutions9. La question se complique après la guerre d’un nouveau paradoxe : la société de consommation pousse les foyers à disposer de deux salaires, la société de loisirs proclame le droit au repos10. Ces deux exigences vont bien sûr dans un sens contraire pour les femmes. Nombreux sont les psychologues et sociologues qui s’interrogent sur la place du loisir dans la vie des femmes, du couple et de la famille. Le loisir est perçu désormais comme nécessaire à l’épanouissement et à la promotion sociale et intellectuelle des individus et l’écart qui se creuse entre les loisirs des hommes et l’absence de loisirs des femmes devient préoccupante. Drillée par des décennies d’injonctions ménagères, la mère au foyer n’ose pas s’octroyer du temps libre, de peur d’être taxée de

« paresseuse », tandis que la travailleuse ne dispose d’aucun moment pour elle-même. Cette situation serait à l’origine « d’un grand nombre de mésententes conjugales et, en tout cas, d’une moins bonne participation de la femme à la vie familiale et sociale »11.

Plusieurs voies sont exploitées pour y remédier: une organisation scientifique et rationnelle du ménage couplée à une politique d’habitation saine et confortable, le développement d’infrastructures collectives allant du service d’aides familiales aux structures d’accueil pour les enfants, la réduction du temps de travail des femmes mariées, le partage des tâches ménagères au sein du couple. Chaque solution apparaît à un moment donné comme ‘la’ bonne solution. En réalité elle correspond chaque fois à la conception qui domine dans la société à propos de la fonction maternelle et du rôle des femmes dans la sphère privée et publique. Ces solutions sont également issues de la réflexion de groupes de pression, connotées idéologiquement. En ce sens, elles reflètent leur vision de la fonction maternelle. La pression économique pour les ménages, la conjoncture économique pour la société jouent également un rôle qu’il ne faut pas sous-estimer. En période de crise et de chômage, comme dans l’entre-deux-guerres, la question prend une autre dimension qu’en temps d’expansion économique et de demande accrue de main-d’œuvre, comme dans les années 1960. Trouver des moyens de libérer les mères des travaux ménagers pour leur permettre de travailler ou au contraire les contraindre à quitter le marché de l’emploi pour rester au foyer n’est jamais dégagé des enjeux économiques.

Ces préoccupations ne sont pas spécifiques à la Belgique. Tout ce qui touche de près ou de loin le travail des femmes et la maternité, on l’a vu précédemment, interpelle les instances

8 Causerie de Mme Albert J. Deschamps au CNFB, (s.d. années 1950) : Carhif, F. CNFB, 58. ; FBFDU, Enquête auprès des jeunes diplômées d’université mariées. Parti 1. Les jeunes diplômées exerçant une vie professionnelles. Analyse des réponses reçues. Janvier/juin 1959, 26-29 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 22.

9 HUBAUX, J., Le ménage sans larmes, (préf. de Marie Delcourt), Andenne, 1949.

10 Réflexion déjà amorcée dans les années 1930 et à mettre en parallèle avec la réduction du temps de travail et les congés payés. Voir notamment RICHEZ, J.-Cl. et STRAUSS, L, « Un temps nouveau pour les ouvriers : les congés payés (1930-1960) », CORBIN, A. (dir.), L’avènement des loisirs 1850- 1960, Paris, Champ Flammarion, 1995, p. 376-412.

11 LALOUP, J., Le temps du loisir. Essai, Tournai, Casterman, 1962, p. 83-84. ; Ligue Nationale des Coopératrices, Les loisirs de la ménagère, XVIIIè conférence nationale, 24 septembre 1950, maison du peuple de Bruxelles, 1950, (31 p.) voir plus spécifiquement pages 25-30.

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internationales. Depuis le Traité de Versailles ces questions sont régulièrement abordées de manière transversale par les organismes officiels qui se succèdent : OIT, BIT, ONU (et sa Commission de la condition de la femme), OMS… Le lobby du féminisme international y répond. A l’assemblée générale du CIF en 1948, l’un des thèmes d’études retenus est celui de la conciliation des « devoirs domestiques des femmes avec leur travail professionnel »12. A la demande des organisations féminines, la Commission de la condition de la femme de l’ONU, se penche dans le courant des années 1950 sur les responsabilités familiales des femmes13. Au début des années 1960, l’OIT mène une enquête sur les travailleuses ayant des obligations familiales dans les différents pays membres et le BIT synthétise leurs réponses dans un rapport publié en 1963. Celui-ci aborde les questions du temps partiel, des infrastructures d’accueil des enfants, la reprise d’un emploi une fois l’éducation des enfants terminée…etc. Les associations féminines et féministes internationales, fortement mobilisées pour l’occasion, se déclarent globalement satisfaites des conclusions14, à l’exception de l’ODI. L’ODI estime que le rapport tend à circonscrire les responsabilités familiales des femmes à celles de la maternité et de l’allaitement, et à limiter les activités professionnelles des femmes15. Parallèlement, il constate que l’OIT a complètement passé sous silence les responsabilités du père à l’égard de la famille, il souligne que les soins et l’éducation à donner aux enfants sont des devoirs humains et nullement une partie inhérente de la fonction reproductive des femmes.16

Peu après, en 1965, l’OCDE charge Viola Klein17, sociologue à l’université de Reading (Angleterre) d’une enquête sur la manière dont les états peuvent aider « les femmes à mener de front travail et famille ». Les conclusions recommandent une plus grande flexibilité du temps de travail, la promotion du temps partiel et l’aménagement de « services d’assistance au foyer » et de garderies d’enfants ainsi que l’allongement des heures d’ouverture des magasins et administrations.18 Toutes ces solutions postulent, implicitement, que les charges familiales incombent exclusivement à la mère. Il faudra attendre l’aube des années 1970 pour que l’éducation des enfants et la tenue du ménage ne soient plus considérées comme du seul ressort des femmes, mais peuvent également être prises en charge par l’Etat. Au début du troisième millénaire, ce problème est loin d’être résolu et la privatisation des

solutions,

12 Lettre-circulaire aux membres de la commission du travail féminin du CIF, 14 mai 1948 : Carhif, F.

A. Hauwel, 131.

13 CNFB, PV. de la commission Travail, 11/12/1956 : Carhif, F. CNFB, 21-3; texte de la Fédération belge des femmes de carrières libérales et commerciales affiliée à la BPW, « Les femmes qui travaillent et qui ont des responsabilités familiales », 12 novembre 1956 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB, 26.

14 Sur les positions de l’AIF, de l’Alliance internationale Jeanne d’arc, de la CISC, de l’UIOF : Carhif, F. ODI, 630.

15 L’OIT et le travail des femmes dans un monde en évolution. Commentaire de l’ODI sur le rapport 48 VI (I), 1963 de l’OIT intitulé « le travail des femmes dans un monde en évolution, s.l., 1964,1-2 : Carhif, F. GBPO, 630.

16 L’OIT et le travail des femmes dans un monde..., p. 11.

17 Sur Viola Klein et sur la place de ses travaux dans les études sur les femmes : VARIKAS E., op. cit, p. 56-61. Viola Klein voit notamment dans la construction des stéréotypes du masculin et du féminin,

« la réitification d’une configuration historique patriarcale qui projetait sur le caractère féminin les rapports inégalitaires existants » (p. 57). Viola Klein est notamment l’auteur de The feminine Character. History of an Ideology, London, Routlege, 1946.

18 « Comment aider les femmes à mener de front travail et famille ? », Bulletin du CNFB, nov/déc., 1967, p. 20-21.

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dans une perspective néolibérale, entraîne de fortes disparités dans les possibilités d’aides proposées aux couples.

Les solutions concrètes proposées

Les solutions proposées prennent appui sur une rationalisation des tâches ménagères et sur la création d’infrastructures collectives. Elles témoignent d’un souci d’alléger le travail des femmes, sans être réellement porteuses d’un changement dans la distribution traditionnelle des rôles sexués. La question de la réduction du temps de travail apparaît également, mais sans remporter beaucoup d’adhésion. Quant à un éventuel partage des tâches, il est encore extrêmement balbutiant.

La rationalisation des tâches ménagères

« L’idée d’émanciper la femme grâce à la rationalisation ménagère n’est …pas neuve. La fin du XIXe s., marquée par les progrès technologiques, voit fleurir un nombre impressionnant de théories futuristes prêtes à bouleverser les foyers et donc la position de la femme»19. L’utopie ménagère la plus aboutie est présentée par l’Américaine Charlotte Perkins Gilman, dans son ouvrage Woman and Economics (1898) que d’aucunes assimilent à un manifeste féministe, relayé en France par Jeanne Schmahl.

Après une rupture importante pendant la Première Guerre, où le travail quotidien des femmes a régressé et s’est alourdi en raison des restrictions de toute nature, la rationalisation ou taylorisation des tâches ménagères revient en force. Une série d’ouvrages traitant de la taylorisation du ménage sont traduits de l’anglais en français durant les années vingt et trente. C’est à nouveau des Etats-Unis que part le mouvement, symbolisé par les deux chantres du taylorisme ménager: Lilian Gilbreth et Christine Frederik. Leurs travaux influencent profondément la Française Paulette Bernège, dont les idées se diffusent en Belgique. En Allemagne, l’architecte Erna Mayer poursuit des vues semblables au sein du groupe du Bauhaus et influence une des premières femmes architectes belges, Claire Henrotin20. Les cuisines « rationnelles » envahissent « les revues féminines, publicités à l’appui » et « la ménagère moderne devient rapidement la cible des fabricants d’appareils ménagers, la simplification des activités domestiques se mue en arguments de vente et en atout publicitaire »21. Expositions, foires commerciales et salons d’arts ménagers deviennent, dès 1920, autant de mises en scène de la « vie rêvée » de la ménagère et le moyen de redorer par la technique et la modernité le blason de ses activités domestiques.

Bien avant que les sociologues n’en fassent un terrain d’étude privilégié22, les féministes égalitaires voient dans la rationalisation des tâches ménagères, le moyen « de libérer les femmes de la servitude ménagère », ce qui leur permettra de dégager du temps pour d’autres

19 PIETTE, V. et GUBIN, E, « Travail ou non-travail ? Essai sur le travail ménager dans l’entre-deux- guerres », RBPH, t. 79, p. 653- 655.

20 Pour tous ces aspects : PIETTE, V. et GUBIN, E., « Travail ou non-travail ?... »

21 GUBIN, E. et PIETTE, V., « Travail ou non-travail ?... » p. 658-659. Pour la diffusion des électroménagers en général : GIEDION, S., La mécanisation au pouvoir, t. 3, La mécanisation à la maison, trad. française Denoël/Gonthier, Paris, 1980 ; DELESTREE, J., L’appareillage électro- ménager dans l’entre-deux-guerres à Bruxelles, Mém. lic. Hist., ULB, 2003.

22 KAUFMANN, J.-C., « Moulinex libère la femme? », Les bons génies de la vie domestique, Catalogue d’exposition, Tours, Editions du Centre Pompidou, Mame, 2000, p. 21.

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activités dont l’exercice d’une profession23. Très intéressées dans l’analyse scientifique et ergologique du travail ménager24, elles diffusent dans leur revue Egalité de nombreuses informations pratiques sur les meubles combinés EMCE et sur les cuisines modernes25. Cependant, elles s’opposent aux différents projets d’enseignement ménager obligatoire destinés exclusivement aux filles26. Prenant exemple sur les Etats-unis, elles optent pour un enseignement ménager dispensé aux deux sexes afin de favoriser le partage du ménage au sein des futurs couples27.

Enseigner aux jeunes filles les tâches pour lesquelles elles sont destinées « par nature » devient un souci dans toutes les associations féminines. Les LOFC et le Féminisme chrétien de Belgique voient dans cet enseignement ménager la formation idéale des jeunes filles préparées ainsi à leur futur métier de ménagère. La rationalisation des tâches leur permettra d’être plus efficaces et de dégager ainsi du temps pour des activités productives, qui compensera le salaire perdu28. Les LOFC proposent donc depuis 1924 des cours de cuisine, de repassage, de raccommodage, de couture pour femmes adultes. Il s’agit en fait de cycles de conférences ménagères de 40 heures par année, intitulées « écoles familiales » et réorganisées en 1929 en un Centre des écoles familiales. Ces cours se multiplient sous le coup de la crise économique, qui oblige toutes les ménagères à utiliser au mieux des ressources souvent insuffisantes29. On en compte ainsi 296 en 1936 et 450 l’année suivante, rien que dans la partie francophone du pays.30

Mais une ardeur ménagère analogue s’observe chez les femmes socialistes : apprendre à lessiver et à repasser, c’est gagner sa vie à la maison et donner une chance d’épanouissement au ménage ouvrier31. Dès 1929, Hélène Burniaux souhaite que l’enseignement ménager soit rendu obligatoire pour les filles de plus de 14 ans32. Ce souhait se retrouve aussi chez les LOFC ; leur dirigeante, Angéline Japsenne, demande clairement à la Xe Semaine sociale

23 CISELET, G, La femme. Ses droits…, p. 186. ; S.S., « Rationalisation ménagère », Egalité, 1934, n°21, p. 9.

24 S.S., « Rationalisation », Egalité, 1934, n°21, p. 9-13; PIETTE, V. et GUBIN, E., op.cit., p. 673- 676.

25 Egalité, n°19 et 20, 1934.

26 PIETTE, V. et GUBIN, E,, « Travail ou non-travail ?... », p. 669-671.

27 DE CRAENE, L., « Egalité devant les devoirs familiaux », La Travailleuse traquée, nov/déc., 1936, p. 9 ; DE CRAENE-VAN DUUREN, L., « A propos des nouvelles tendances concernant l’enseignement ménager des jeunes filles », suppl. au Bulletin de La Ligue de l’enseignement, n°2, mars-avril 1932, doc. n°79, Bruxelles, 1932, (15p.).

28 L’OLIVIER, E., « La femme et la santé publique », Le Féminisme chrétien de Belgique, n°1, janvier 1938, p. 5-6. Cette compensation salariale est en en effet prévue de deux manières : un travail productif de la mère au sein du foyer (confection des vêtements de la famille par exemple) et une industrie à domicile effectuée « dans les temps morts » du travail ménager. Grande adepte des industries à domicile, Maria Baers essaie durant tout l’entre-deux-guerres d’obtenir sa réglementation légale.

29 PIETTE, V. et GUBIN, E., Op. cit., p. 666.

30 Le Féminisme chrétien de Belgique, juillet/août 1937, p. 111 ; De la Ligue des Femmes à Vie féminine. Un mouvement en marche face à l’actualité, Vie Féminine, Bruxelles, 1984, p. 5 et p. 13. Je remercie Eliane Gubin pour cette information.

31 Le mouvement syndical, 16 janvier 1926, p. 14 ; La Jeune Garde, juin 1933 ; FLAMENT, A., L’éducation ménagère des jeunes ouvrières, sl., sd., p. 4.

32 Le mouvement syndical, 20 avril 1929, p. 95.

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universitaire catholique que soit établi « un enseignement ménager obligatoire pour les jeunes filles de toutes les classes sociales »33.

L’idée est dans l’air, à la grande indignation des féministes égalitaires. Dans les milieux politiques, la résorption du chômage passe aussi par l’allongement de la scolarité. Si certains projets prévoient des études techniques pour les garçons, l’unanimité est pratiquement totale sur l’idée de rendre obligatoire l’enseignement ménager pour les filles de 14 à 16 ans, quelles que soient les études qu’elles entreprendront par la suite. Des propositions sont déposées dans ce contexte, au Sénat par le socialiste Barnich le 27 mars 1930, à la Chambre par le libéral Masson le 22 février 1931. Elles font faire naître de nombreuses discussions contre lesquelles Louise De Craene-Van Duuren se déchaîne. Fustigeant ce qu’elle nomme

« des brimades de maniaques », elle taxe ce projet « d’une des mesures les plus absurdes, les plus vexatoires et les plus arbitraires qui puissent se concevoir »34. La question de la formation ménagère des jeunes filles dépasse même l’idée d’un apprentissage personnel pour déboucher sur celle d’une nouvelle profession. Nous y reviendrons plus loin.

Confiante dans les capacités intellectuelles des femmes, faisant en quelque sorte œuvre de

‘salut public’, certaines féministes comme Marie Delcourt mettent en pratique la ‘théorie’ et publie des guides de rationalisation du ménage. Marie Delcourt publie en 1944 en collaboration avec Marie-Claire Hélin, une Méthode de cuisine à l’usage des personnes intelligentes. Elle préface également l’ouvrage de son amie Jeanne Hubaux35, Le ménage sans larmes, paru en 1949.

A la fin des années 1940 et durant les années 1950, la rationalisation des tâches ménagères apparaît toujours comme la meilleure solution pour concilier travail extérieur et gestion familiale. Cette solution est développée par toutes les associations féminines et féministes modérées, quelle que soit leur couleur politique. Une enquête de la branche liégeoise du CNFB conclut en mars 1950 qu’il faut trouver la solution pour concilier famille et travail dans une bonne organisation des tâches ménagères et la collectivisation de certaines d’entre elles, comme la lessive.36 Certaines féministes n’hésitent pas à souhaiter que l’on réintroduise des cours ménagers dans le programme scolaire destiné aux filles qui leur apprennent à gérer scientifiquement leur futur foyer tout en travaillant à l’extérieur!37

Les Ligues nationales des coopératrices belges jouent ici un rôle important. Catherine Ancion et Fernande Coulon Heyman qui combinent des fonctions chez les coopératrices et une fibre féministe affirmée font ainsi le lien entre une réflexion plutôt théorique, issue des milieux féministes, et leur application sur le terrain. Dans une brochure La Ménagère et la distribution (1950), les coopératrices louent les bienfaits des supermarchés qui permettent aux travailleuses de gagner du temps et leur offrent la possibilité d’acheter des conserves ou

33 Résumé des leçons de la Xe Semaine sociale universitaire catholique, Bruxelles, 1932, p. 7.

34 Egalité, n°25, 1935, p. 17-19.

35 Sur Jeanne Hubaux : VAN ROKEGHEM, S., VERCHEVAL-VERVOORT, J. et AUBENAS, J., Des femmes dans l’histoire en Belgique, depuis 1830, Luc Pire, Bruxelles, 2006, p. 174-175. Jeanne Hubaux (née en 1894) possède un diplôme de régente scientifique (1913) ; elle se lie avec Marie Delcourt pendant la Première Guerre, alors qu’elles sont engagées comme infirmières. Intéressée par le taylorisme ménager elle rencontre Paulette Bernège, Christine Frederick et Lilian Gilbreth.

36 Branche liégeoise du CNFB, « Le travail à mi-temps ». Rapport et conclusions, mars 1950 : Carhif, F. GBPO, 60g.

37 CNFB, PV. de la commission Education, séance du 14/09/1950 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 40.

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des surgelés qui hâtent la préparation du repas du soir38. D’autres brochures sont consacrées à la rationalisation des services ménagers et aux crèches39. Pour les coopératrices socialistes, en 1950 en pleine guerre froide, la ménagère américaine devient un modèle : « grâce à son auto, à son frigo, et au supermarché », elle « achète en dix minutes des denrées alimentaires de toute une semaine. C’est une révolution, non seulement économique, mais aussi familiale et morale grâce à l’amélioration de l’existence de la femme »40. Proches du parti socialiste, les coopératrices ne se laissent pas moins tenter par les sirènes du consumerism !

Dans les années 1950, ces progrès sont peu à peu mis à la portée d’un plus grand nombre, grâce à la hausse du niveau de vie et au développement du crédit aux ménages. Restés très élitistes jusqu’ici, ils sont désormais présentés aux femmes des milieux ouvriers et de la petite bourgeoisie, comme un moyen d’émancipation qui révolutionne leur rapport au temps

‘ménager’. Mais comme ces progrès coûtent cher, dans une volonté de les rendre accessibles au plus grand nombre sans endetter les familles de manière inconsidérée, le CNFB adopte en décembre 1953, sous l’influence des travaux des Guildes de coopératrices, une résolution demandant aux autorités publiques de créer des « lavoirs bien équipés comme œuvre sociale communale », de favoriser « la création de vraies coopératives d’utilisation en commun du matériel ménager » et d’exercer un « contrôle » sur les prix de vente des appareils électroménagers41. En 1962/63, sa commission d’économie domestique poursuit toujours l’étude de la rationalisation des tâches domestiques, dans trois directions : l’alimentation, l’habillement et le logement42.

Cette rationalisation ménagère, qui s’appuie sur les nouveaux « robots » ménagers et les

« sciences ménagères », est proposée à toutes les catégories sociales puisque même dans les classes aisées, les femmes ne peuvent plus, comme naguère, avoir recours à des domestiques.

C’est pourquoi, l’Association du Service familial (ASF), fondée en 1946 par une membre du CNFB Marguerite Leblanc, dans le but de former des aides ménagères professionnelles, offre parallèlement des « cours de maîtresse de maison » destinés aux femmes universitaires pour leur fournir les connaissances indispensables pour gérer elles-mêmes « avec le maximum d’efficacité dans le minimum de temps » les tâches ménagères, ou pour diriger rationnellement leur « collaboratrice » ménagère ! Ces cours ont du succès, au point que l’ASF doit refuser des inscriptions ! L’ASF y voit une contribution, modeste sans doute mais utile, « à une certaine libération de la femme et à la défense de ses droits. » Elle déplore que de tels cours ne soient pas joints à toute formation féminine, de quelque niveau qu’elle soit43.

Dans les milieux catholiques, les technologies modernes sont également appelées à la rescousse mais pas dans le même esprit : elles doivent permettre aux ménagères de dégager

38 La ménagère et la distribution, Ligue nationale des coopératrices belges, Bruxelles, septembre 1950, p. 5.

39 « Deux brochures à lire », Bulletin du CNFB, février 1951, p. 24.

40 Ligue nationale des coopératrices, XVIIIe Conférence nationale, 24 septembre 1950, Les loisirs de la mènagère, Bruxelles, 1950, 27 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 26.

41 Vœu sur le problème du lessivage et sa simplification émis par la commission d’Economie ménagère, texte adoptée et amendé à l’AG du CNFB du 1er décembre 1953 : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB 04. ; C.A. (= ANCION C.), « Chez les Coopératrices », Bulletin du CNFB, janvier/février 1953, p. 13-14.

42 « L’assemblée plénière du 30 janvier 1962 », Bulletin du CNFB, janvier-mars, 1963, p. 4-5 ; CNFB, PV de la sous-commission d’Economie domestique, 1er mars 1962 : Carhif, F. CNFB, 16.

43 « Un cours de maîtresse de maison », Bulletin du CNFB, n°81, janvier/février 1960, p. 14-15.

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« des loisirs pour s’occuper de leur mari, de l’éducation de leurs enfants ou de leur culture personnelle ». Il n’est absolument pas question d’utiliser ce temps libre pour travailler l’extérieur44.

La Ligue des familles nombreuses se révèle plus nuancée : elle admet qu’un « logement mieux conçu, un équipement ménager plus rationnel et l’organisation de services collectifs » doublés d’ « une meilleure formation ménagère (…) faciliteraient la tâche de toutes les mères de familles » : de celles ayant de nombreux enfants et de « celles qui travaillent hors du foyer »45.

Les infrastructures collectives

Si l’éducation des ménagères – utile à toutes – ne suffit pas, beaucoup ne voient alors de solution possible qu’en déléguant certaines tâches maternelles et familiales à d’autres femmes, formées professionnellement dans ce but, soit pour aider in situ la mère de famille à faire le ménage, soit pour accueillir et garder les enfants à l’extérieur.

Les aides familiales ou ménagères : un nouveau métier féminin

L’aide à domicile n’est concevable et acceptable pour les féministes que si elle répond à une double exigence : de formation et de statut. Il ne s’agit pas de sombrer dans une assistance floue, qui serait défavorable au travail féminin. Paradoxalement, cette aide à domicile met en présence deux faces différentes d’un même labeur : les tâches ménagères qui sont gratuites et bénévoles pour la mère, payés et volontaires pour l’aide familiale.

Tâches identiques, où seul le lien de parenté avec les personnes auxquelles elles sont destinées fait la différence.

La question du travail domestique est étudiée par le CNFB au sein d’une commission du même nom, présidée au lendemain de la seconde guerre par Suzanne Smits. En 1947, elle demande aux autorités de prendre des mesures pour résoudre la crise de la domesticité. Le CNFB en appelle à une refonte complète du métier de servante. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les familles, toutes classes sociales confondues, ressentent le besoin

« d’aide manuelle ». Les initiatives privées ne suffisent plus : « une profonde réforme sociale et l’organisation de la profession des travailleurs domestiques sont les solutions urgentes et indispensables à apporter à ce grave problème ». Nourri des réflexions menées dans les années trente au sein du Centre National d’Economie ménagère (1931)46 le CNFB souhaite que les écoles professionnelles ou des instituts ad hoc confèrent des diplômes « d’aides ménagères ». Il ne s’agit nullement de dilettantisme, mais bien d’une véritable profession, organisée dans le cadre du service social, indispensable pour permettre « à la famille de s’épanouir en gardant son équilibre »47. Ne remettant pas en cause l’essentialisme du travail ménager, le CNFB présente ce nouveau métier comme une voie doublement prometteuse

44 CAPPE, J., « Fées modernes », La Nation belge, 23 mars 1952. ; « Première qualité de la maîtresse de maison le sens de l’organisation », La Nation belge, 12 août 1956.

45 Ligue des familles nombreuses de Belgique. Congrès doctrinal, Bruxelles, 29-30-31 mai 1959, VI,

« Le travail de la mère », (tapuscrit), p. 16 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 26.

46 Ce centre créé en 1931, regroupe des représentants des trois partis traditionnels et répond à la volonté devenue quasi obsessionnelle de faire de chaque femme une ‘bonne ménagère’ et une consommatrice avisée. GUBIN, E., et PIETTE, V., « Le travail ménager…, p. 673-674.

47 SMITS, S. « Le problème du travail domestique », Bulletin du CNFB, mars 1947, p. 5-6.

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pour les jeunes filles : celles qui travailleront le feront dans un cadre adapté à leur nature féminine, celles qui ne « devront » pas travailler pourront utiliser leur formation dans leur propre foyer. Il n’est pas étonnant de voir Jeanne Cappe, fervente adepte de la mère au foyer, applaudir des deux mains à ce nouveau métier48! Mais le CNFB exige en retour un véritable statut professionnel pour les aides familiales et appuie deux projets de loi déposés au Sénat et à la Chambre, qui font suite aux travaux de la Commission d’études du travailleur domestique, instaurée le 7 janvier 1947 par le ministre socialiste Léon-Eli Troclet.49 Cependant les différents arrêtés royaux pris dans les années 1950 ne comblent absolument pas les désirs du CNFB, qui déplore de manière récurrente le manque d’exigence dans la formation des aides familiales. Au cours des années 1960, le CNFB engage diverses actions pour revaloriser leur statut, par le biais d’une formation plus solide. Il intervient notamment auprès du ministre de l’Education nationale mais sans grand succès!50

La première structure collective à vocation pluraliste, formant et fournissant des aides familiales, voit le jour en 1946. C’est l’Association du Service familial (ASF) fondée par la catholique Marguerite Leblanc51, liée d’amitié avec Lily Wigny. Située en région bruxelloise, l’ASF s’affilie au CNFB qui lui apporte un soutien inconditionnel.52 Si elle s’affiche comme pluraliste, l’ASF émane toutefois d’un projet issu de l’Action familiale53 qui peut difficilement cacher son caractère catholique. La vice-présidente de l’ASF n’est autre que Lily Wigny, épouse de Pierre Wigny, membre du PSC, le comité provisoire comprend notamment Maria Baers et le comité directeur Adèle de Lhoneux54, dirigeante des LOFC. Son but est « la sauvegarde de la santé des mères » et « avec elles, l’avenir de la race, première valeur de la nation ». La formation des aides familiales « sera basée sur les principes chrétiens dans un parfait esprit de tolérance et de respect des opinions d’autrui …Les cours de formation religieuse (...) seront facultatifs»55.

Ce désir d’ériger la formation ménagère en véritable profession s’est déjà manifesté entre les deux guerres. S’inspirant le modèle américain, où les sciences domestiques sont

48 CAPPE, J., « Au service des Foyers ; Une école qui prépare à un métier et à la vie : Le « clos de la roseraie » », La Nation belge, 27 juillet 1952.

49 SMITS, S., op.cit. Le CNFB en profite aussi pour déplorer l’échec des propositions antérieures.

50 « L’assemblée plénière du 30 janvier 1962 », Bulletin du CNFB, janvier/février/mars, 1963, p. 4-5 ; PV de la réunion du 1/ 03/1962, du 6/11 1962, du 21/11/1962, du 16 janvier 1963, de la commission économie domestique, CNFB : Carhif, F. CNFB, 16.

51 Cette organisation offre déjà en 1941, un premier service d’aide aux mères de famille mais elle est officiellement fondée en 1946 : LEBLANC, M., « Association du service familial », Bulletin du CNFB, mars/avril 1954, p. 11-13. Marguerite Leblanc est vice-présidente pour la région de Bruxelles d’Action familiale et administratrice déléguée de l’Association du service familial et vice-présidente de l’Ecole des parents et des éducateurs. Elle collabore à deux revues catholiques, la Revue générale belge et La Revue Nouvelle, où elle publie des articles sur le service domestique:VANDEBROEK, H., op.cit, p. XXII.

52 « Le dixième anniversaire de l’Office du service familial », Le Soir, 23 juin 1957 ; Bulletin du CNFB, décembre 1946, p. 9-11.

53 LEBLANC, M., « La crise du service domestique », Ligue nationale des foyers et futurs foyers Bruxelles, éd. Famille et jeunesse, [1946], 20 : Carhif, F. CNFB, 21-12.; Selon H. Vandebroek, peu d’informations sont disponibles sur cette association bruxelloise qu’elle présente à l’origine comme pluraliste mais le message véhiculé dans son période Famille, permet d’en douter et ses principaux collaborateurs sont catholiques : VANDEBROEK, H., op. Cit., p. 409.

54 Dictionnaire des femmes belges..., p. 172.

55 Dépliant de présentation de l’Ecole de service familial, [1946] : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB, 07.

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enseignées dans les universités comme branche importante de l’économie, une première tentative a eu lieu en février 1931, avec la création d’un Centre national d’études d’économie ménagère, regroupant les trois partis, et possédant une section pédagogique chargée de créer

« une section professionnelle d’aide-ménagères, disciplinées et en uniforme comme les infirmières »56 et une section sociale, chargée de la diffusion des nouvelles techniques auprès des ménagères par le biais des associations féminines et des auxiliaires sociales. 57 Les femmes libérales surtout se sont fortement impliquées pour faire advenir ce nouveau métier féminin, tandis que les femmes catholiques créent en 1934 leur propre école, l’Ecole Pratique de formation familiale ménagère, reconnue et subsidiée par l’Etat58.

La création de l’ASF en 1947 suscite, comme il fallait s’y attendre, celle d’autres organisations d’aides familiales, connotées politiquement. Il serait illusoire en effet, dans une société segmentée comme la société belge, d’imaginer qu’un métier permettant de pénétrer dans l’intimité des familles ne se doublerait pas d’une dimension de propagande politique.

Considérées comme d’excellents agents de pénétration au même titre que les infirmières visiteuses et les assistantes sociales, les aides familiales fait l’objet d’enjeux serrés.

La JICF associée à la FFCB59 et les LOFC ont leurs Centres familiaux et leurs services d’aides familiales60. Déjà en 1933, une école supérieure d’éducatrices familiales fonctionne dans les locaux des Sœurs de Sainte Marie. Elle s’adresse aux jeunes filles de 15 et 18 ans ayant terminé leur études moyennes et vise à former des auxiliaires pour les Œuvres de l’enfance, des coadjutrices de mères de famille61.

Les libérales ouvrent également une école en janvier 1953, logée dans le Home Paul Henricot à Court St-Etienne et gérée par une asbl « Solidarité Familiale »62. Les FPS forment à leur tour « leurs » aides-familiales, même si les socialistes ont une autre conception de cette nouvelle activité professionnelle qui devrait dépendre, selon eux, des autorités publiques et non des initiatives privées63.

56 PIETTE, V. et GUBIN, E., « Travail ou non-travail ?… », p. 673-674.

57 La Revue du Travail, février 1931, p. 406-407.

58 GERARD, E. et WYNANTS, P., (dir.), Histoire du mouvement ouvrier chrétien, t. 2, Kadoc Studies 16, Louvain, 1994, p. 370-371.

59 Les services familiaux d’obédience chrétienne sont organisés en termes de classes sociales : ceux de la JICF et des FFCB s’adressent aux « jeunes filles de la bourgeoisie et des classes moyennes et dépannent les mamans de ces milieux » et les « services familiaux des LOFC permettent d’aider les différents cas par l’Aide Familiale », dans les ménages ouvriers : Dépliant de présentation des centres familiaux de la JICF et de la FFCB : Mundaneum, F. féminisme, CNFB 07

60 CAPPE J., « L’actualité féminine. Un service, une profession », La Nation belge, 19 octobre 1953;

« Au service des familles. Des aides familiales se préparent à venir en aide aux mamans », La Cité, 14 juin 1953 ; « Les aides-familiales, mamans de secours. Le week-end d’études de la LOFC », La Cité, 11 juin 1952 ; Tract présentant les centres familiaux des la JICF et de la FFCB : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB, 07.

61 « Une école d’éducatrices », Le féminisme chrétien de Belgique, août/septembre 1933, p. 111.

62 « Une carrière féminine : l’aide familiale. L’école nouvelle de formation familiale qui s’ouvrira le 4 janvier au Home Paul Henricot à Court St-Etienne les formera », Syndicaliste libéral, novembre 1953;

« Une profession sociale nouvelle : L’aide familiale », Flandre libérale, 31 octobre 1954 ; « Solidarité Familiale », Bulletin du CNFB, mars/avril 1954, p. 13-14.

63 BRACKE, N., « Ons doel: het gezinsgeluk. Sociale voordelen voor moeder en kind, 1945-1980 », DE WEERDT, D. (red.), De Dochters van Marianne. 75 jaar SVV, Anvers, Amsab-Hadewijch, 1997, p. 230-134.; «Entr’aide familiale des FPS», Bulletin du CNFB, mars/avril 1954, p. 14-15.

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Mais ce sont les catholiques qui s’empressent de donner un essor important à partir de 1948 aux aides familiales, considérées comme l’une des solutions « harmonieuses à divers problèmes féminins de l’heure actuelle ». Le Service d’Aide familiale est créée sous forme d’ASBL en mars 1949, sur le modèle de celui qui existe aux Pays-Bas64. A l’origine, l’aide familiale est perçue comme une « maman de secours » ; le métier ne déroge donc pas au modèle maternel ni paradoxalement à l’idéologie de la femme au foyer. Les aides familiales apportent leur savoir-faire dans les familles où la mère épuisée ne parvient plus à assumer les tâches domestiques et éducatives65. Elles apportent donc des aides ponctuelles aux ménagères en détresse, non pas en raison d’un travail extérieur, mais bien suite à des naissances multiples ou une maladie physique ou psychique66, dans les foyers d’au moins trois enfants, selon des tarifs proportionnés aux revenus de la famille. La question du travail salarié des femmes reste donc périphérique pour les catholiques, préoccupées au contraire de fournir surtout des moyens pour relancer la natalité et les familles nombreuses.

Marguerite Leblanc au contraire se révèle très sensible à la question de la double journée des femmes, en relation avec une évolution irréversible − leur présence accrue sur le marché de l’emploi. Elle met les difficultés rencontrées en perspective avec la disparition progressive de servantes et constate que pour les foyers « dont les charges professionnelles ou familiales … (exigent) une aide permanente ou régulière…, le Service familial ne peut y parer qu’insuffisamment et toujours trop tard quand l’épuisement ou la maladie y sont installés ». Néanmoins, elle constate que cette aide même insuffisante ne parvient pas à répondre à la demande des familles économiquement faibles qui en ont le plus besoin67.

Pour Pierre Vermeylen, sénateur socialiste et féministe, les aides ménagères doivent être considérées, non pas comme des aides mais comme des remplaçantes dans les foyers où les mères travaillent, d’autant plus que « le nombre de servantes diminue sans cesse »68. Cette optique rejoint le souci exprimé par la Fédération belge des femmes universitaires, qui estime également en 1959/1960 que l’un des principaux problèmes des travailleuses est de gérer ménage et carrière et déplore le manque d’aides familiales69.

Dans la même veine, la sous-commission d’économie domestique du CNFB estime en 1962, qu’ « un féminisme réaliste exige des solutions valables permettant de concilier les

64 GERARD, E. et WYNANTS, P., Histoire du mouvement ouvrier…, t. 2, p. 382.

65 « Au service des mamans. Une profession idéale », La Cité, 14 mars 1954.

66 Sur le rôle des aides familiales dans les milieux catholiques intellectuels : VANDEBROEK, H., op.cit., p. 400-414.

67 Note de Marguerite Leblanc « Une nouvelle formule de service ménager » 1954 : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB, 07. Sur la conception des services d’aides familiaux de M. Leblanc voir « Le service familial » (tapuscrit de 7p. 1958/9): Carhif, F. CNFB, 16.

68 Conférence sur le travail des femmes donnée au GBPO par le sénateur socialiste Pierre Vermeylen, le 24 avril 1952 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 26.

69 Cf. l’enquête menée par le FBFU auprès de ses affiliées entre janvier et juin 1959 : Enquête auprès des jeunes diplômées d’universités mariées. Partie 1. Les jeunes diplômées exerçant une vie professionnelle. Analyse des réponses reçues, janvier/juin 1959 (tapuscrit 45p.) : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB, 22. ; « Les problèmes de la femme au travail. Conclusions de l’enquête de la Fédération des femmes universitaires », Le Soir, 3 avril 1959 ; « Pourquoi les jeunes diplômées mariées travaillent-elles hors du foyer. Une enquête de la Fédération belge des femmes diplômées des universités », Le Soir, 24 mars 1959 ; « La jeune femme diplômées, son mari, son foyer. Les résultats d’une enquête de la Fédération des femmes universitaires », Le Soir, 2 avril 1959. ; « Une intéressante enquête sur le travail des jeunes diplômées d’université mariées », La Dernière heure, 24/10/1959.

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tâches familiales avec l’exercice d’un travail professionnel de la femme ». Peu à peu, l’aide familiale ou ménagère est conçue comme un soutien aux couples dont les deux conjoints travaillent à l’extérieur70. La même année, Marguerite Leblanc s’oppose à la proposition de loi déposée au Sénat en vertu de laquelle les allocations familiales des jeunes filles seraient maintenues jusqu’à l’âge de 21 ans si elles demeurent dans leur famille afin d’aider leur mère. Cette possibilité n’est offerte qu’au ménage de minimum quatre enfants dont trois bénéficient encore des allocations familiales et où la mère n’exerce pas d’activités rémunérées. Marguerite Leblanc y voit une manière détournée de compenser la crise domestique au détriment des aides ménagères mais ne semble pas y voir une quelconque discrimination dans l’éducation des filles et garçons.71

La segmentation idéologique des services d’aides familiales et leur multiplication se sont effectuées au détriment de l’Association de service familial (ASF) et ont entraîné une baisse de leur niveau de formation. Marguerite Leblanc affirme même que c’est sous la pression des services familiaux développés dans le cadre de l’Action catholique que les pouvoirs publics ont reconnu et subsidié un programme minimum à partir de 1949. Or un diplôme identique est décerné après une formation de 15 mois organisée par l’ASF à la Roseraie et une formation de 200 heures de cours de volontariat familial. Cette concurrence oblige l’ASF à proposer également un programme réduit72.

Au vu de ces tensions, on peut supposer que la participation à l’ASF en 1946 de femmes comme Maria Baers relève plus de la stratégie que d’un projet d’ancrer la nouvelle association dans le moule catholique, même s’il est certain que les fondatrices appartiennent à cette mouvance. L’ASF reste cependant un modèle et quand, en 1975, Lucienne Mathieu- Mohin, députée FDF et membre du GBPO, interpelle le ministre de la Santé publique et de la Famille, afin de refinancer les services d’aides familiales, qui ont entre-temps étendu leurs

70 PV. de la réunion de la 2ème sous-commission d’économie domestique sur l’étude des carrières de service ménager, 20 juin 1962, ainsi que plusieurs documents : Carhif, F. CNFB, 16.

71 LEBLANC, M., « Allocations familiales », Bulletin du CNFB, septembre/octobre 1962, p. 6-7.

72 LEBLANC, M., « Le service familial », Bulletin du CNFB, janvier/février 1957, p. 7-12. La professionnalisation des aides familiales souhaitée par le CNFB aboutit partiellement avec l’arrêté royal 12 octobre 1951, qui régit l’organisation de centres de formation d’aides familiales (l’arrêté ministériel du 10 décembre 1951 en détermine l’exécution) tout en laissant une très grande liberté à l’initiative privée. Un deuxième pas est franchi en 1955 avec deux arrêtés royaux pris en octobre 1955 (Moniteur belge, 18 octobre 1955) qui visent à officialiser ces services d’aides familiales en les attachant à des services communaux, provinciaux ou intercommunaux. Cette initiative du ministre socialiste Edmond Leburton vise à limiter les initiatives privées, essentiellement dominées par des associations catholiques, afin de supprimer des abus. Selon les socialistes, de nombreuses familles auraient bénéficié et détourné à leur profit l’argent de l’Etat. Copie de l’AR du 12/10/1951 dans dossier « Aide familiale du CNFB » : Mundaneum,F. Féminisme, CNFB 10 ; « La politique familiale du gouvernement. L’exposé de M. De Taeye au Sénat », La Cité, 16 février 1952 ; « Vers l’étatisation des services d’aide familiale », La Cité, 19 octobre 1955 ; « L’aide familiale », Le Peuple, 19 juin 1954 ; « L’aide familiale », Le Peuple, 22 juin 1954. ; « Les services d’aides familiales. Ne les étouffez pas, M. Leburton ! », La Cité, 14 juin 1954. ; M. L., « M. Leburton va-t-il condamner les

« mamans de secours » ? Une réforme certes, mais pas un assassinat », La Nation belge, 16 juin 1954. ; C.L., « La réforme de l’aide familiale. Pour empêcher les abus d’ordre financier et politique », Le Peuple, 1er octobre 1954.

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services aux personnes âgées – elle cite l’exemple de l’Association fondée par Marguerite Leblanc qui risque de fermer ses portes faute de moyens financiers73.

Il est intéressant de remarquer que les soins à la famille, aux enfants et aux personnes âgées, tâches traditionnellement dévolues aux femmes, n’ont bénéficié que d’une prise en charge très partielle de l’Etat, supplétive des initiatives privées féminines. Comme si l’Etat se refusait à reconnaître la nécessaire « socialisation » de ces charges communément attribuées aux femmes, tandis que dans le même temps, par le biais de la sécurité sociale, il endossait en grande partie celles afférentes aux hommes (entretien matériel et financier de la famille). Plusieurs féministes d’ailleurs, dont Marlise Ernst-Henrion à l’aube des années 1970, réclame la prise en charge complète par la sécurité sociale des aides familiales et des infrastructures d’accueil des enfants dont les mères exercent une profession.74

C r è c h e s , g a r d e r i e s e t c a n t i n e s s c o l a i r e s .

La création de crèches et d’infrastructures d’accueil pour les enfants en âge scolaire est une revendication récurrente des femmes socialistes durant l’entre-deux-guerres75. Les féministes sont conscientes de la nécessité de créer ce type d’infrastructures pour les milieux ouvriers, pour venir en aide aux travailleuses mais avant tout pour protéger l’enfance. Sur cette question, les féministes se rejoignent. Encore en 1936, la section belge du Comité mondial des femmes, dans un numéro spécial de sa revue consacré aux élections communales, revendique « des crèches et pouponnières de qualité pour les mères qui travaillent au dehors et surtout pour protéger la santé des tout petits »76. Les LOFC considèrent ces institutions comme un mal temporaire, voué à disparaître avec le retour des mères au foyer.

L’instauration de ce type d’institutions s’effectue donc surtout dans un souci de protection de l’enfance, une notion qui a le vent en poupe dans les années 1920 et 1930. La commission de la protection de l’enfance du CNFB, présidée par la comtesse Juliette Carton de Wiart, apporte son soutien à des œuvres comme le Bercail. Il possède plusieurs homes situés à la fois à Bruxelles mais aussi à Louvain qui accueillent « les enfants à leur sortie de l’école ». On y assure le suivi des devoirs et en fin d’après-midi, des « femmes dévouées » ramènent les enfants dans leur foyer. Bien qu’elle ne soit pas favorable à cette solution, Juliette Carton de Wiart ne peut ignorer les problèmes rencontrés par les couples où les deux conjoints travaillent, elle admet donc que « ce Bercail est une grande aide pour les ménages où le père et la mère sont tous deux au dehors pour le travail »77. Ce type d’action s’inscrit chez nombre d’affiliées du CNFB dans le prolongement d’une réflexion qui a pris naissance à la fin du XIXe siècle, contre le vagabondage des enfants d’abord et dans leur encadrement ensuite. Cette confusion entre action caritative et finalité féministe subsiste durant tout l’entre-deux-guerres. En aucun cas elle ne s’accompagne d’une remise en cause de la distribution traditionnelle des rôles parentaux ni de l’organisation sociale.

73 Copie de l’interpellation à M. le ministre de la Santé publique et de la Famille concernant le Service d’Aides familiales et d’Aides Seniors, par Lucienne Mathieu, 10 juin 1975 : Carhif, F. CNFB, 8-3.

74 ERNST-HENRION, M., « Evolution du statut de…, p. 20.

75 Travail salarié de la femme mariée, Comité national d’action féminine, Bruxelles, [1934], p. 44.

76 « Crèches et pouponnières », Femmes dans l’action mondiale, juin 1936.

77 « Rapport de Mme la Comtesse Carton de Wiart, présidente de la commission protection de l’enfance, P.V. de l’AG du CNFB du 31 mai 1928 », Discours et rapports. Bilan de l’exercice 1927, Bruxelles, 1928, p. 33.

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Aussi les crèches restent-elles sujettes à des critiques récurrentes. Toujours présentées comme une nécessité, elles demeurent un projet médico-hygiéniste et ne peuvent en aucun cas constituer « un moyen, pour les mères oublieuses de leurs devoirs, de se débarrasser de la charge d’élever leurs enfants » 78. L’avis n’est pas anodin, il émane d’Henri Velge, un des promoteurs de l’ONE et reflète parfaitement l’opinion des milieux catholiques soucieux de protection de l’enfance.

Les FPS s’inscrivent dans une autre optique, surtout dans les années trente où elles se sont mobilisées pour défendre le droit au travail des femmes. Aussi l’opposition est-elle forte avec les LOFC : Elisabeth L’Olivier, secrétaire des LOFC du Centre, s’en prend avec virulence à la volonté des socialistes de créer plus de crèches, de jardins d’enfants et de repas scolaires afin de libérer les femmes des soucis des enfants en bas âge et leur permettre de travailler. Les organisations chrétiennes réaffirment que « la place du petit enfant est près de sa maman et tout comme celle de l’écolier en dehors des heures de classe »79. Elles critiquent tout « féminisme à rebours » qui propage « une fausse conception des besoins de l’être humain … et fait courir un grand danger à la société », dont la première victime sera la femme elle-même. « C’est pourquoi les véritables féministes devraient s’unir pour empêcher sa réalisation »80.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’influence d’ouvrages qui, dans la lignée du psychiatre néo-darwiniste Bowlby ou du psychanaliste Spitz, dénoncent les méfaits de la séparation de la mère et de son enfant en bas âge, maintiennent la mauvaise note donnée aux crèches81. Les seules associations féminines qui continuent à réclamer ouvertement des structures d’accueil pour enfants sont les femmes socialistes car « quand la femme travaille, il convient de lui donner le maximum de possibilités d’être quand même une mère élevant des enfants en bonne santé »82. Ces positions sont aussi défendues par Emilienne Brunfaut au sein de la FGTB83 et par l’Union des femmes belges (UFB) qui revendique en 1946 des crèches, prises en charge complètement par les services publics84.

Le CNFB est plus mitigé, partagé entre les réalités quotidiennes des travailleuses et son idéal maternel. En 1952, la présidente de la commission Bien-être de l’enfance, Mme B.

Crutzen de Velden concède que l’on manque de crèches mais insiste sur la nécessité d’en limiter l’usage exclusivement aux mères de famille qui doivent quitter leur foyer « pour aller travailler au dehors ». Rappelant que le congé d’accouchement a été récemment généralisé à

78 Sur la position d’Henri Velge voir : VANDENBROECK, M., In verzekeerde ..., p. 48-50 et p. 53.

Henri Velge (5/5/1888-15/2/1951), né dans une famille d’industriels catholiques, il obtient son doctorat en droit à l’université catholique de Louvain en 1910. Proche d’Henri Carton de Wiart et d’Henri Jaspar, il est à l’origine de la création de l’ONE : GUBIN, E. et PIETTE, V., « Henri Velge », Mères et nourrissons. De la bienfaisance à la protection médico-sociale (1830-1945), Bruxelles, Labor, 2004, p. XIV.

79 L’OLIVIER, E., « La femme et la santé publique », Le féminisme chrétien de Belgique, janvier 1938, p. 5-6.

80 Op.cit., p. 6.

81 Sur le plan international et à la demande de ONU de nombreuses études sont menées et aboutissent aux même conclusions : voir Fédération Internationale des femmes diplômées des universités, La situation actuelle des femmes diplômées des universités. Un rapport 1956-1965, Londres, février 1966, p. 11 : Mundaneum, F. Féminisme, FLL031. ; VANDENBROECK, M., In Verzekeerde.., p. 66.

82 JAUNIAUX, A, Pour la mère au foyer…, p. 23.

83 STEUX, E., « Pourquoi notre conférence du 23 mars », Syndicats, 22 mars 1947.

84 « Les crèches. Services publics », Femmes dans la vie, mai 1946.

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l’ensemble des mères qui travaillent, et que celles-ci sont moralement obligées d’allaiter leur bébé durant cette période, elle demande que le règlement de l’ONE soit révisé afin d’interdire le placement de bébés de moins de 6 semaines85. Pour la Ligue des familles nombreuses en 1959, la crèche demeure un mal bien plus profond qu’il n’y paraît qui

« trouve sa source dans une organisation sociale qui encourage la séparation mère- enfant… ». Il faut mettre en garde les mères qui « entendent garder une activité professionnelle » au prix de « la séparation partielle avec leur(s) enfant(s) », des risques qu’elles leur font courir: dégâts psychologiques et physiques86.

Ce lien entre la séparation de la mère et des enfants et leur délinquance future est un leit motiv des associations féminines chrétiennes, qui prend sa source dans l’entre-deux-guerres.

Bien que des études scientifiques, menées par des sociologues, démentent cette vision catastrophiste, elle demeure très présente dans les milieux chrétiens et familialistes jusque dans les années 1960. Il faut attendre la publication d’études qui démontrent que la qualité du temps passé avec l’enfant l’emporte sur la durée pour considérer favorablement les infrastructures d’accueil de la petite enfance87. En 1962, la docteure Suzanne Serin, psychiatre française et membre de la Fédération des femmes diplômées des universités, occupe la Chaire Suzanne Tassier à l’ULB et y donne plusieurs conférences consacrées aux effets psychologiques du travail féminin sur la famille. Elle démontre que le développement intellectuel et affectif de l’enfant ne diffère pas selon que la mère travaille ou non. En revanche, on observe une autonomie moins grande chez les enfants dont les mères sont au foyer.88

Le livre culte de l’américaine Betty Friedman, La femme mystifiée, traduit en français en 1964 par Yvette Roudy, un an après sa parution en anglais, semble aussi avoir influencé très rapidement le regard porté sur la place de la femme au foyer au sein des milieux féministes, comme la Fédération belge des femmes universitaires, le CNFB et le GBPO89. Il est souvent utilisé pour déforcer une idéologie qui masque la dépression des mères au foyer et pour donner du crédit aux partisans du travail féminin.

Dès le début des années 1960, la question de la garde des enfants est d’ailleurs traitée au niveau international, au sein de la commission de la condition de la femme à l’ONU, de l’OIT (1964-1965), de l’OMS (1965). Les études mettent en lumière le déficit chronique de crèches aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe et en Asie90. En Belgique, selon les

85 CRUTZEN de VELDEN, B., « Le problème des Crèches », Bulletin du CNFB, n°33, janvier/février 1952, p. 3-7.

86 Ligue des familles nombreuses de Belgique. Familles et monde contemporain. Congrès doctrinal, Bruxelles, 29-30-31 mai 1959, vol 1, Accueil de l’enfant. Education familiale pré-scolaire, (tapuscrit), 28-29 : Mundaneum, F. Féminisme, LLF 12.

87 EVRARD-SPITAELS, A, Les freins socio-culturels à l’épanouissement de la femme, Institut provincial des sciences sociales appliquée, slnd, 26 p.; SERIN, S., « Les problèmes de la femme mariée travaillant au dehors et leurs effets sur le bien-être physique et mental du groupe familial », Revue Belge de sécurité sociale, n°11 et 12, novembre/décembre, 1956, p. 373-380. Elle conclut à l’absence d’effets néfastes.

88 « Considérations sur le travail professionnel de la femme », Bulletin du CNFB, n°100, juillet/août/septembre 1963, p. 19-20.

89 Fédération Internationale des femmes diplômées des universités, La situation actuelle des femmes diplômées des universités. Un rapport 1956-1965, Londres, février 1966, 11-13 : Mundaneum, F.

Féminisme, FLL 31.

90 Op.cit., p. 15 : Mundaneum, F. Féminisme, FLL 31.

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chiffres de l’ONE au milieu des années 1960, il n’y aurait que 65 crèches pour 500.000 travailleuses et les deux tiers sont de surcroît localisés dans les provinces d’Anvers et du Brabant !91 La Fédération internationale des femmes diplômées des universités (FIFDU) publie en 1966 un volumineux rapport92, établi en grande partie par la Belge Germaine Cyfer-Diderich , qui utilise les données d’une enquête menée auprès des jeunes diplômées mariées exerçant une activité professionnelle en 1959. Elle insiste sur la nécessité d’un plus grand nombre de crèches mais aussi de « réfectoires, études et clubs scolaires où les enfants peuvent se divertir et faire leurs devoirs après les heures de classe » ainsi que sur l’organisation de service d’aides à domicile en cas de maladies93.

Les années 1960 : un souffle nouveau favorable à l’accueil de la petite enfance Les années 1960 sont à la fois celle de l’expansion économique et de la présence massive des femmes sur le marché du travail, en relation avec la hausse de leur niveau d’études. Dès le milieu des années 1960, un courant très net se dessine parmi les associations féministes et féminines en faveur d’infrastructures d’accueil de qualité94. Car « s’il est important pour l’économie nationale et pour le bien-être des foyers que la femme ait la possibilité de travailler en dehors de chez elle ; il est tout aussi important que la société veille à mettre à la disposition des citoyens de demain des possibilités de ‘foyers complémentaires’ leur permettant un développement harmonieux »95.

Ce manque d’infrastructures, au regard du taux élevé de mères au travail, incite d’ailleurs des sénateurs libéraux à proposer, en novembre 1963, la création par l’Etat d’établissements d’éducation préscolaire ouverts aux enfants de 0 à six ans. Cette initiative est applaudie par le CNFB, d’ailleurs très proche de l’un des sénateurs, Charles Moureaux.96 La Fédération nationale des femmes du PLP97 insiste dans son programme électoral de 1964, sur la nécessité d’installer pour « les mères qui travaillent hors du foyer » des crèches, des classes gardiennes, des garderies et des cantines pour leurs enfants98. La Charte de la femme au travail, établie en 1967 par la FGTB, revendique « la reconnaissance de la maternité comme

91 « Les travailleuse mariées et le problème des crèches », Bulletin du CNFB, nov/déc., 1967, p. 21- 22 ; Conférence de Mme Couvreur en 1966 au GBPO sur « Milieu complémentaire pour enfants de 0 à 3 ans » : Carhif, F. GBPO 409. ; En 1909, 51 crèches sont dénombrées ! VANDENBROECK, M., op.cit., p. 40.

92 FBFSU, En quête auprès des jeunes diplômées d’université mariées. Partie 1. Les jeunes diplômées exerçant une vie professionnelles. Analyse des réponses reçues, janvier-juin 1959. (tapuscrit 45 p.) : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 22.

93 Fédération Internationale des femmes diplômées des universités, La situation actuelle des femmes diplômées des universités. Un rapport 1956-1965, Londres, février 1966, p. 15 : Mundaneum, F.

féminisme, FLL031.

94 Voir documents à ce propos dans Carhif, F. GBPO, 408 et 409 ; Fédération Internationale des femmes diplômées des universités, op.cit., p. 15-16 : Mundaneum, F. Féminisme, FLL031.

95 Conférence de Mme Couvreur en 1966 au GBPO sur « Milieu complémentaire pour enfants de 0 à 3 ans » : Carhif, F. GBPO, 409.

96 « Le problème des crèches (repris d’une interview de Mr Moureaux, La Dernière Heure, 9 novembre 1963), Bulletin du CNFB, n°102, janvier/février 1964, p. 32.

97 PLP : Parti de la Liberté et du Progrès, nouvelle dénomination du parti libéral après sa refonte en 1961.

98« La Fédération nationale des femmes du PLP vous communique », Informations sociales de solidarité (asbl). Groupement social féminin libéral. Bulletin trimestriel, septembre 1964, p. 5.

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