• Aucun résultat trouvé

femmes ont-elles droit au travail ? Les

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "femmes ont-elles droit au travail ? Les"

Copied!
23
0
0

Texte intégral

(1)

Chapitre 7

Les femmes ont-elles droit au travail ?

Bien que le travail féminin ait toujours existé, sa légitimité est progressivement remise en cause au cours du XIX

e

siècle. Dans la seconde moitié du siècle en effet, l’attention des observateurs sociaux se polarise sur le travail des femmes des milieux populaires, principalement ouvriers, au point de devenir une préoccupation centrale : leur inquiétude croissante va de pair avec la montée de la « question sociale ».

Jusqu’en 1860 la bourgeoisie, tant catholique que libérale, voit dans l’analphabétisme ou la déchristianisation les raisons des désordres sociaux ; elle considère donc l’éducation comme un moyen de préserver l’ordre public et, avec l’aide du clergé associé de près à l’enseignement, elle fait de l’école primaire moins un lieu d’instruction qu’un rempart contre les débordements sociaux. L’attention est alors tout entière tournée vers les hommes, ouvriers d’industrie, pour qui se mettent en place des réseaux d’enseignement populaire et des cours pour adultes. Quand les observateurs sociaux s’intéressent aux ouvrières, c’est principalement pour s’interroger sur leurs capacités reproductrices.

Progressivement ce consensus sur la « question sociale » se fissure sous la pression des

luttes scolaires particulièrement intenses en Belgique et du constat que les ouvriers les plus

instruits sont souvent les plus revendicatifs. Par ailleurs, des courants démocratiques qui

émergent au sein du libéralisme, contestent la non-intervention de l’État en matière de

relations industrielles et réclament une réglementation protectrice du travail des femmes et

des enfants. Les remous sanglants de 1886 achèvent de persuader la bourgeoisie

conservatrice que la classe ouvrière est rongée par un mal intérieur : la dislocation de la

famille. Celle-ci résulterait directement de l’incapacité des femmes des classes populaires à

assumer leurs tâches maternelles et domestiques, dont elles ignorent tout à cause de leur mise

au travail précoce. C’est l’incurie ménagère des ouvrières qui provoque la misère et qui

pousse les ouvriers au cabaret et à l’ivrognerie. Le raisonnement est simple, simpliste,

schématique et récurrent. Il s’impose partout comme une évidence d’où découle une

conclusion : le travail des femmes est responsable des problèmes sociaux, il doit être

(2)

éradiqué

1

. Dès ce moment, la mission des femmes est figée : elles sont assignées à l’espace domestique pour y remplir exclusivement leurs tâches d’épouse et de mère. Elles sont responsables et gardiennes de la famille, cellule première de la société. Le travail rémunéré des femmes en-dehors du foyer entre dans l’ère de la suspicion.

Chronologie des discours

Très tôt, les féministes s’intéressent également au travail des femmes, mais dans une toute autre optique, celle de l’émancipation. Zoé de Gamond

2

fait déjà le lien entre droit au travail et émancipation féminine en 1834. L’indépendance économique des femmes lui apparaît comme le lieu cardinal de leur libération : c’est pourquoi elle privilégie le combat pour l’éducation et la formation professionnelle des filles, et leur accès à des métiers correctement rémunérés. L’émancipation ne serait plus « un droit illusoire » mais « un fait »

3

. Il existe donc un lien étroit entre l’enseignement laïque des filles, revendiqué par les féministes du XIX

e

siècle et leur droit au travail. C’est d’ailleurs dans les milieux pédagogiques, liés à la Ligue de l’Enseignement

4

, qu’apparaît la notion de ‘droit au travail’

pour les femmes. Nombre de féministes laïques y sont actives.

5

« L’argumentation, basée originellement sur la nécessité du travail pour les femmes seules et sur la dénonciation de l’inégalité des salaires, s’étend bientôt à toutes les femmes, mêmes mariées. Au fil des congrès pédagogiques se développe une logique sociale propre, que l’on pourrait résumer par un slogan contemporain ‘Éducation, formation, emploi’, et qui revendique pour les femmes une sorte de citoyenneté professionnelle et sociale, au nom de leur participation à la vie économique ».

6

Lors du Congrès international d’Éducation populaire en 1910, Marie Popelin voit dans le droit au travail une «garantie de l’indépendance de la femme et la sauvegarde de son individualité »

7

; elle réclame pour la femme le « droit au respect » et qu’elle ne soit plus

1

Sur cet aspect : GUBIN, E., « Le modèle de la femme au foyer en Belgique avant 1914 », Norme et marginalités. Comportements féminins aux 19

e

-20

e

siècles, Bruxelles, CEC-GIEF, 1991, p. 97-115.

2

Zoé de Gamond (1806-1854), issue d’une libérale cultivée, adepte des idées égalitaires de Saint- Simon. Elle s’écarte du saint-simonisme pour adhérer aux idées de Fourier. Elle épouse le peintre italien Jean-Baptiste Gatti et prône l’émancipation des femmes par l’éducation. En 1842, le couple participe à la création d’un phalanstère à Cîteaux (France) mais l’expérience tourne au désastre financier. Le couple ruiné rentre à Bruxelles. Grâce à l’intervention du ministre Charles Rogier, Zoé est nommée inspectrice générale des écoles gardiennes, des écoles primaires de filles et des établissements destinés à former des institutrices de l’Etat belge. Elle est la mère d’Isabelle Gatti de Gamond. Dictionnaire des femmes belges.., p. 153-155 et PIETTE, V., « Zoé de Gamond ou les premières avancées féministes ? », RBPH, t. LXXVII, 1999, 2, p. 402-415 ; GUBIN, E. et PIETTE, V., Isabelle Gatti de Gamond. La Passion d’enseigner, éd. GIEF-ULB, 2004, p. 9-24. ; Biographie nationale, t. XXXVII, col. 241-250.

3

de GAMOND, Z., De la condition des femmes au 19

e

siècle et de leur éducation publique et privée, Bruxelles, 1834, p. 21.

4

Association créée à Bruxelles en décembre 1864 afin de promouvoir l’enseignement officiel et neutre, les innovations pédagogiques. D’emblée la Ligue se dote d’une Commission spécifique pour l’éducation des filles : UYTTEBROUCK, A. (dir.) Histoire de la Ligue de l’enseignement 1864-1989, Bruxelles, 1990.

5

GUBIN, E., «Genre et citoyenneté en Belgique (1885-1921) », JOST, H-U., PAVILLON, M., VALLOTTON, Fr., La politique des droits. Citoyenneté et construction des genres aux XIX

e

et XX

e

siècles, Kimé, Paris, 1994, p. 59.

6

Ibidem.

7

Congrès international de l’Éducation populaire organisé par la Ligue de l’Enseignement, 30 août-3

sept. 1910, Bruxelles, 1910, p. 65.

(3)

« considérée comme satellite de l’homme»

8

. La plupart des féministes laïques adoptent une attitude analogue, exposée d’ailleurs en 1898 par le théoricien du premier mouvement féministe, l’avocat Louis Frank, dans son ouvrage La Charte des ouvrières. Ces conceptions s’opposent frontalement aux idées dominantes qui assimilent toute femme à une maîtresse de maison, selon son rang et ses moyens, et qui lui reconnaissent comme seule fonction légitime la tenue du ménage et l’éducation des enfants.

Durant l’entre-deux-guerres, les revendications féministes à l’égard du droit au travail sont profondément influencées par les conséquences à la fois économiques et sociales de la Grande Guerre. La longueur du conflit a érodé le pouvoir d’achat des classes moyennes et plus particulièrement celui des rentiers et des petits propriétaires

9

. Un certain nombre de féministes belges, comme Marguerite Van de Wiele ou Élise Soyer, se retrouvent dans une relative gêne pécuniaire. D’une manière générale, l’inflation menace l’autonomie financière d’un certain nombre d’entre elles et toutes sont traumatisées par cette situation. Nombre de femmes se retrouvent aussi seules – qu’elles soient veuves, célibataires sans espoir de se marier ou séparées – et donc contraintes d’assurer leur subsistance, et parfois celle de leur famille.

La nécessité pour les jeunes filles d’acquérir avant le mariage une formation qui leur permette, le cas échéant, d’exercer un métier honorable devient un leitmotiv. L’émancipation économique des femmes apparaît dès lors comme vitale, au sens premier du terme et en 1920, Marguerite Van de Wiele, alors présidente du CNFB, s’insurge contre l’injustice de renvoyer « toutes les femmes à leur foyer, puisque beaucoup, hélas !, n’en ont pas, ne pourront jamais en avoir et sont forcées de gagner leur vie et celle de leur enfants ».

10

Marthe Boël souligne également en 1921 « qu’il y a un nombre toujours croissant de femmes, bourgeoises ou ouvrières, qui doivent gagner leur vie, pour lesquelles l’obtention d’une situation indépendante est une question de dignité personnelle, et auxquelles il serait vain et même assez cruel, de conseiller de filer la laine sous la protection de l’homme »

11

. De manière plus générale, Juliette Rennes fait le même constat pour la France. L’acquisition d’un diplôme devient peu à peu parmi la bourgeoisie une manière de remplacer la dot

12

.

Les féministes ne s’avancent donc pas sur le terrain de la théorie juridique ni sur celui des droits fondamentaux mais bien sur celui, plus prosaïque, des nécessités de la vie. C’est à ce titre qu’elles revendiquent un droit au travail pour les femmes. De plus, parmi la frange modérée qui militait déjà avant 1914, certaines restent persuadées que le travail ne sera jamais que subsidiaire pour la femme, « naturellement » portée à rester au foyer. C’est l’avis

8

Idem, p. 67.

9

Sur cet aspect : GUBIN, E., « Les femmes d’une guerre à l’autre. Réalités et représentations 1918- 1940 », Cahiers d’histoire du temps présent, n°4, Bruxelles, 1998. Sur les femmes et la Première Guerre : CELIS, K., « Les femmes belges pendant la Première Guerre mondiale », Les Femmes et la guerre XVI

e

-XX

e

s., Catalogue de l’exposition organisée par le CEGES et les AGR, AGR, Bruxelles, 1997, p. 33-59 ; DE WEERDT, D. De vrouwen van de Eerste Wereldoorlog, Stichting Mens en Kultuur, Gand, [1994]; GUBIN, E. « Réflexions sur genre et guerre », GUBIN, E., Choisir l’histoire des femmes, Bruxelles, éd. de l’ULB, 2007, p. 203-215 et « Bespiegelingen over sekse en oorlog », Jaarboek voor Vrouwengeschiedenis, t. 15, Amsterdam, 1995, p. 33-48.

10

CNFB AG, 1920 : Mundaneum, Fonds Féminisme, LLF09.

11

BOËL, M. 1920-1950. Trente ans d’activité féminine. Extrait de discours et de message, …, p. 29

12

RENNES, J. Le mérite et la nature. Une controverse républicaine : l’accès des femmes aux

professions de prestige 1880-1940, Paris, Fayard, 2007, p. 23-27.

(4)

de Louise Van den Plas et de Jane Brigode pour qui « … la femme mariée ne s’adonne à un travail professionnel que lorsque l’intérêt familial l’exige… »

13

. Et ce travail professionnel ne s’effectue qu’en sacrifiant une partie des devoirs ménagers et maternels

14

. Ce sera précisément un des bouleversements majeurs de l’entre-deux-guerres que de voir se dessiner la notion de « carrière continue » pour les femmes, désireuses désormais de continuer à travailler après le mariage.

Les difficultés sociales croissantes renforcent la conviction des féministes bourgeoises que l’autonomie financière est primordiale. Mais elles apportent aussi de l’eau au moulin suffragiste car si le vote est indispensable aux femmes pour défendre leurs « intérêts généraux (…) comme membres de la société, au même titre que les hommes », il l’est tout autant « pour défendre les intérêts des travailleuses »

15

.

Parallèlement fleurissent des discours sur la nécessité de fournir aux jeunes filles des classes moyennes une formation professionnelle de qualité. Pour la première fois, le diplôme apparaît comme un garant pour leur avenir, une sécurité qui permet d’exercer un métier honorable et de vivre dignement. Le travail rémunéré qui était, avant la guerre de 1914-1918, une nécessité seulement pour les femmes des classes populaires, tend à le devenir également pour celles des classes moyennes

16

. Les propos et les idées des féministes ne peuvent être dissociés de cette nouvelle réalité sociale, de leurs expériences personnelles et de ce qu’elles observent autour d’elles. Leur implication personnelle dans cette question donne corps à leurs écrits et leur confère des accents authentiques qui contrastent avec la rhétorique des textes sur le travail des ouvrières. Leur absence d’empathie avec les classes ouvrières donne d’ailleurs des armes aux associations catholiques, dont le but est de ramener les ouvrières mariées au foyer, et qui dénient aux bourgeoises de pouvoir parler au nom des travailleuses.

C’est également l’avis du Parti ouvrier belge. Ainsi, les discours des féministes demeurent toujours, en dépit de leur idéal de « sororité », marqués par une appartenance de classe.

Par ailleurs, le débat sur le travail des femmes se pose en termes différents selon qu’il s’agit d’une célibataire ou d’une femme mariée et cette différence persiste jusqu’à l’aube du XXI

e

siècle.

17

Aucune association féministe ne s’oppose au droit au travail des femmes célibataires, mais dès qu’il s’agit du travail des épouses, les arguments sont nettement plus nuancés. Ils reflètent fidèlement la conception du rôle des femmes dans la société et dans la famille, conception différente, voire antagoniste, selon les sensibilités idéologiques et qui suscite des tensions ou des oppositions entre le courant laïque et catholique du féminisme.

Le carcan des associations chrétiennes

Le Féminisme chrétien de Belgique, s’il ne s’oppose pas au travail salarié de la femme mariée, estime que ce droit ne peut « léser aucun intérêt supérieur », soit l’accomplissement de la maternité, mission première de la femme. « Le rôle économique de la femme est

13

BRIGODE, J. et VAN den PLAS, L., Avant-projet de loi relatif à l’extension de la capacité civile de la femme mariée. Etude de droit pour servir à la préparation des travaux parlementaires. Renaix, [ 1922 ] , p. 43.

14

BRIGODE, J. et VAN den PLAS, L., Avant-projet.., p. 44.

15

BOËL, M., 1920-1950. Trente ans…, p. 29.

16

GUBIN, E., « Les femmes d’une guerre… », p. 52.

17

Cet aspect est plus particulièrement développé dans les chapitres 12 et 13.

(5)

d’assurer aux revenus du ménage et spécialement aux gains du mari leur maximum de rendement par leur emploi judicieux combiné avec le travail ménager. Ce n’est donc qu’accessoirement que la femme mariée sera appelée à parfaire les gains du mari ou à y suppléer»

18

. Par conséquent, il est exclu que le législateur intervienne pour procurer une plus grande autonomie financière à la femme qui travaille en dehors du foyer, au détriment de celle qui se consacre à sa famille

19

. Le Féminisme chrétien donne ainsi implicitement raison aux épouses pour qui « c’est (…) un sacrifice de se confiner dans leur ménage au lieu de travailler au dehors ». Il ne peut donc souscrire complètement aux revendications de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes (AISF) qui préconise, au congrès de 1923 : « Que soit reconnu le droit de tous au travail et qu’aucun obstacle ne soit placé sur la route de la femme mariée qui désire travailler (…) et que toute réglementation future du travail tende vers l’égalité pour les hommes et les femmes».

20

La position du Féminisme chrétien est d’ailleurs de plus en plus inconfortable, coincée entre son souffle féministe (modéré) et les contraintes des messages pontificaux qui confirment la prééminence de la famille sur la société civile, condamnent clairement le travail extérieur des épouses, dénoncent les « fallacieuses théories égalitaires » (féminisme et communisme) et prônent la soumission de la femme à l’homme. Les encycliques Quadragesimo Anno (1931) ou Casti Connubii (1930) martèlent ces principes, totalement intériorisés dans le monde catholique grâce à l’apostolat de l’Action catholique. Dans ce contexte, le travail salarié des femmes est non seulement illégitime et amoral mais il est contraire à la doctrine sociale de l’Église : c’est un abus que tous les chrétiens doivent s’efforcer de faire disparaître

21

.

Si le Féminisme chrétien tente, vaille que vaille, de respecter ces principes tout en les assouplissant, les tensions surgissent avec les Œuvres féminines chrétiennes acquises à ces idées au point d’en faire le noyau dur de leur programme. Maria Baers, dirigeante des KAV, condamne totalement le travail salarié de l’épouse ; à l’usine, elle perd « la distinction et les qualités spécifiquement féminines qui lui assurent d’ordinaire, dans le domaine familial, une supériorité sur son mari ». Le travail industriel tend à la « masculiniser», à la rendre inapte à remplir ses fonctions maternelles et familiales

22

. En toute logique, elle estime que la femme mariée n’a pas « droit au travail » car la mère est « subordonnée au droit qu’ont ses enfants aux soins physiques, à l’éducation et à la formation intellectuelle »

23

. Cette hiérarchie des droits, elle la défend encore au Sénat dans les années 1950.

Les féministes laïques

Les féministes laïques, comme Marguerite Van de Wiele et Marthe Boël, qui ne subissent pas ces contraintes religieuses, sont pourtant tout aussi convaincues que la place idéale de la

18

VAN DEN PLAS, L., «Le projet Wittemans sur le travail, l’industrie et le commerce de la femme mariée », Féminisme chrétien de Belgique, juillet/août 1922, p. 111.

19

VAN DEN PLAS, L., «Le projet ….», p. 110.

20

Féminisme Chrétien de Belgique, juillet/août, 1923, p. 107.

21

GUITTON, H., Encycliques et messages sociaux (Léon XIII, Pie XI, Pie XII). Textes choisis, Paris, 1948.

22

BAERS, M. « Le travail salarié de la femme mariée.», Rapport fait à l’Association belge pour la lutte contre le chômage et l’étude des conditions du travail et des assurances sociales, janvier 1929, p.

11 : Carhif, Fonds brochures.

23

BAERS, M. « Le travail salarié.., », p. 17.

(6)

femme est au foyer.

24

En 1921, Marthe Boël reprend l’antienne « classique » de la révolution industrielle « qui est venue arracher une grande quantité de femmes au foyer et les a jetées dans la dure bataille pour le pain quotidien », et, par là même, a sorti de la famille les

« travaux essentiellement féminins » qui s’y effectuaient jadis

25

. Même au plus fort des attaques contre le travail les femmes, Marguerite Van De Wiele, tout en se prononçant contre

« toute loi impliquant une atteinte à la liberté du travail », précise que « le meilleur des féminismes, c’est le féminisme du foyer » car « il impose l’ordre et il répand la sérénité dans la maison »

26

.

L’émergence d’une nouvelle génération de féministes laïques et universitaires, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, modifie les discours. Si Georgette Ciselet estime également que « la cherté croissante de la vie » contribue à l’augmentation du travail féminin, elle considère aussi que la ménagère, grâce à l’évolution technologique, bénéficie de loisirs plus nombreux et par conséquent… s’ennuie dans son ménage – ce qui l’encourage à travailler à l’extérieur. Tout en utilisant des arguments rationnels et conformes aux valeurs de l’époque, elle présente néanmoins une vision positive du travail, conçu comme un exutoire à l’ennui ménager

27

. Le travail devient en quelque sorte une garantie morale pour faire face à l’ennui, ferment de tous les vices !

Le point de rupture dans le discours féministe s’amorce avec Louise De Craene-Van Duuren. Elle fournit au féminisme belge une nouvelle base idéologique : elle érige le droit au travail en droit fondamental – et donc en droit humain. Il doit être garanti aux femmes au même titre qu’aux hommes, car c’est un droit au fondement même de tout régime démocratique. Le bafouer revient à mettre en péril la notion même de droit humain. Cette nouvelle manière de concevoir la lutte féministe prend toute son ampleur dans le contexte de la montée des fascismes et de la crise économique qui sévit du début des années 1930 jusqu’en 1935

28

.

Louise De Craene-Van Duuren et la branche belge de l’Open Door Council, la GBPO, adoptent une position radicalement neuve dans le paysage féministe belge. L’égalité des deux sexes doit être absolue, de sorte que le GBPO se prononce notamment contre toute protection spécifique du travail féminin. La multiplication des attaques contre le travail des femmes durant l’entre-deux-guerres fournit aux féministes égalitaires l’opportunité de faire entendre leurs arguments à un public large. Et peu à peu cette notion de droit au travail pour les femmes « contamine » un certain nombre d’associations féminines liées aux partis politiques et rallie une partie de l’opinion publique.

La Deuxième Guerre fait avorter cet embryon de consensus. Si beaucoup estiment que la guerre a eu un effet émancipateur pour les femmes en matière économique, il convient de nuancer cette affirmation. Il est indéniable que la période d’après 1945 amorce une ère plus

24

VAN DE WIELE, M., « La loi d’obéissance », L’international Féminin. Organe belge d’information féministe, septembre/octobre 1922, p. 1. ; REMY, G., « Compte-rendu de la conférence de M

me

Pol Boël, le 3 janvier à l’Union coloniale à Bruxelles », L’international féminin, janvier/février 1921, p. 2.

25

BOËL, M., 1920-1950. Trente ans.., p. 28-29.

26

« Au conseil national des femmes belges », Le Soir, 18 mai 1934.

27

CISELET, G., La Femme, ses droits, ses devoirs et ses revendications. Esquisse de la situation légale de la femme en Belgique et à l’étranger, Bruxelles, L’églantine, 1930, p. 186.

28

Voir chapitre 10.

(7)

démocratique, où peu à peu les différentes inégalités dont souffrent les femmes - mais aussi d’autres groupes sociaux - sont progressivement abolies ; il n’en demeure pas moins que l’immédiat après-guerre connaît un resserrement autour de valeurs traditionnelles peu favorables au travail féminin. Selon une observatrice féministe, les femmes elles-mêmes adoptent une vision traditionnelle de la vie familiale et « bien que les circonstances nées de l’évolution économique aient souvent obligé (la femme) à quitter [son foyer], la tendance actuelle la pousse à y rentrer, mais cette fois, sur un pied d’égalité et sans contraintes. […].

Ceci répond-il au désir des femmes ? Dans beaucoup de cas, oui… »

29

.

Une conception différentialiste et essentialiste des droits économiques des femmes s’impose donc après 1945. Ce qui étonne le plus, c’est son influence sur la plupart des revendications féministes de la fin des années 1940 aux années 1950. Plusieurs raisons l’expliquent : la présence accrue de catholiques au sein du CNFB, le vieillissement des militantes laïques dont le rôle s’estompe et dont les figures de proue - Ciselet et Vandervelde - s’investissent plutôt dans l’arène politique, ce qui les oblige à tempérer leurs discours

30

.

Pourtant, au lendemain de la Seconde Guerre, la population féminine possédant une qualification professionnelle est nettement plus importante qu’en 1918. Le travail des femmes se pose donc en d’autres termes : il devient paradoxal de proposer aux filles de longues études qu’elles ne peuvent pas mettre à profit. L’idée d’un temps de travail

« propre » à la femme, calqué sur son « cycle naturel », à savoir celui de la procréation, se développe alors parmi les membres du CNFB. Elles réclament pour les femmes la possibilité de reprendre la carrière pour laquelle elles se sont préparées, après avoir éduqué leurs enfants (ce qui constitue toujours leur tâche essentielle). Le diplôme n’est donc plus conçu comme

« une poire pour la soif », mais bien comme permettant une occupation en terme de carrière et de « développement personnel ». La notion de besoin n’a pas complètement disparu du raisonnement : « il faut qu’elle puisse retrouver son outil de travail si besoin en est »

31

; car

« il n’est pas de libre développement pour la femme sans possibilité

32

d’indépendance économique »

33

. La notion de « possibilité» d’indépendance économique s’est substituée à celle de « droit », ce qui marque une très nette régression en matière d’égalité stricte par rapport aux théories féministes développées par Louise De Craene dans les années 1930 et toujours défendue par le GBPO dans les années 1950.

La réintégration des femmes de plus de quarante ans sur le marché du travail suscite également l’intérêt du milieu social-chrétien, elle n’interpelle pas que la Belgique ; elle

34

et, plus largement au plan international, de la Commission de la condition de la femme des Nations unies, à la fin des années 1940 et au début des années 1950.

Adèle Hauwel, cheville ouvrière du GBPO après 1945 et présidente de la commission du Travail du CNFB, reprend les thèses de Louise De Craene et défend les droits de la femme, non en vertu de la fonction que la société lui assigne mais en tant que « personne, …être

29

BOËL, M., 1920-1950. …., p. 31.

30

Sur ce point : voir les chapitres sur la citoyenneté politique et sur les militantes féministes.

31

BOËL, M., 1920-1950. Trente ans...,p. 32.

32

C’est nous qui soulignons.

33

BOËL, M., 1920-1950. Trente ans...,p. 32

34

BAERS M., « Le travail salarié des mères », Revue internationale du travail, vol. LXIX, n°4, avril

1954, p. 17 (tiré à part).

(8)

humain qui a une valeur propre et personnelle, indépendante de son entourage»

35

. Elle estime que bon nombre de mesures et de dispositions légales entravent encore en 1957 l’exercice d’une activité professionnelle pour les femmes. Ces discriminations continuent à consacrer le principe de la suprématie du mari dans le ménage d’une part, et « contribuent à renforcer une atmosphère défavorable au travail professionnel des femmes mariées»

36

. Une série de

« discriminations indirectes» viennent aggraver la situation, comme le cumul fiscal des revenus professionnels des époux ou l’allocation de la mère au foyer. Elle souligne aussi le poids moral qui pèse sur la travailleuse qu’on accuse de nuire « à son ménage et à la santé physique et mentale de ses enfants »

37

. Le travail de la femme mariée, surtout lorsqu’elle est mère de famille, est toujours couvert d’opprobre au lendemain de la guerre. Le spectre de la proposition de loi Rutten (1934) qui visait à limiter le travail des femmes mariées, mais surtout les différentes mesures qui ont menacé le travail des femmes dans les années trente planent toujours sur les discussions des années 1940 et 1950. Les associations féministes et les Femmes socialistes les utilisent comme un épouvantail, dès que l’on fait mine de s’attaquer au travail féminin.

En 1949, lors d’un débat sur la crise économique, les Jocistes auraient proposé, selon les Coopératrices socialistes, de licencier les employées de bureau mariées, sans charge d’enfant. Les Coopératrices socialistes accusent les catholiques d’utiliser les crises économiques comme prétexte afin de camoufler leur objectif de « confiner la femme aux tâches ménagères »

38

. Les articles publiés à la fin des années 1950 et au début des années 1960 dans l’organe de la jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF) donnent raison à cette accusation : ils présentent la place d’une mère de famille idéalement dans son foyer, inversement un ménage dont la mère est absente est voué à se désagréger. Les enfants ne sont jamais mieux soignés que par leur mère et les soins reçus hors de la famille ne remplacent jamais « le dévouement personnel de la mère »

39

.

Alors que durant l’entre-deux-guerres, les moralistes en appelent à une meilleure éducation maternelle afin que les mères remplissent correctement leur rôle d’éducatrice et d’éleveuses d’enfants – quitte à soustraire ces derniers à leurs mains « incapables » – les années 1940-1950 mettent peu en doute la compétence ‘naturelle’ des mères mais incriminent leur désertion du foyer

40

. Sur la lancée qui a toujours été la leur, les milieux catholiques attaquent violemment le travail rémunéré des mères de famille, multipliant les accusations déjà développées avant la guerre, qu’elles travaillent non par nécessité mais par égoïsme, pour se payer « le superflu ». Et d’affirmer, avec ironie, «qu’une femme est plus nécessaire au foyer qu’une auto ou qu’une télévision ! » L’autre argument, assez classique et éculé, est de l’accuser d’occuper la place d’un chômeur qui « doit faire vivre sa famille » avec une simple allocation de chômage

41

.

35

HAUWEL, A. , « Notre place dans le féminisme belge… », p. 29.

36

HAUWEL, A., « La femme ‘indépendante’ », Annales des classes moyennes de Belgique, n°2, 1957, p. 4.

37

HAUWEL, A. , « Notre place dans le féminisme belge… », p. 29.

38

HEYMANS, F., « Pour le droit dans la justice », Entre nous, juin 1951.

39

« Pour ou contre la femme au travail ? », Joie et travail, septembre 1955, p. 8.

40

Sur ce point : voir la partie III et la thèse en cours de Claudine MARISSAL, La protection sanitaire du jeune enfant en Belgique (1900-1940) : une analyse de genre, (ULB-en cours).

41

« Pour ou contre le mariage ? », Joie et Travail, novembre 1960, p. 12.

(9)

Mais dès le milieu des années 1960, dans les milieux bourgeois catholiques, le discours se modifie : le travail féminin se mue en possibilité d’épanouissement pour les femmes, à condition bien sûr de ne jamais empiéter sur l’harmonie de la cellule familiale. La solution pour concilier l’épanouissement de la mère et le bonheur familial réside alors dans le travail à temps partiel.

42

Déjà en 1954, Maria Baers estime « qu’une bonne organisation du travail à mi-temps… pourrait atténuer bien des conséquences fâcheuses du travail à plein temps »

43

. Les FPS : entre travail et foyer

A la même époque, dans les milieux socialistes, notamment parmi les Femmes prévoyantes socialistes, le travail salarié des femmes est présenté comme une réalité et un droit

44

. En 1954, dans le cadre de la déclaration gouvernementale, les FPS réclament à la fois le « droit pour la femme de choisir et d’exercer librement une profession », « l’accès des femmes à toutes les fonctions », «l’égalité des salaires minima masculins et féminins (…) des rémunérations pour les travailleurs des deux sexes » ainsi que des « orientations et formations professionnelles » de qualité égale pour les garçons et les filles.

45

De nombreuses années de lutte sont encore nécessaires pour que ce programme soit mis en œuvre.

Néanmoins, si les positions des FPS sont favorables à un égal accès au travail pour les femmes, elles n’abandonnent pas totalement le discours sur l’organisation sexuée du travail:

elles se demandent, par exemple, si trop d’étudiantes ne briguent pas « un diplôme universitaire » alors que d’autres métiers et professions « essentiellement féminins » leur conviennent mieux et s’adaptent mieux « à leur nature féminine tout en leur permettant de gagner très convenablement leur vie » ?

46

Pourtant dès la fin des années 1950, leur revue publie de nombreux articles valorisant l’arrivée des premières femmes dans des métiers auparavant exclusivement réservés aux hommes. Sur base des enquêtes du CNFB, les FPS dénoncent les embûches auxquels se heurtent les femmes dans l’exercice de leur profession.

47

Elles n’hésitent pas à mettre à l’honneur des exemples étrangers et ainsi montrer du doigt la frilosité des autorités belges en la matière

48

. Les Femmes prévoyantes tentent aussi de déculpabiliser les travailleuses et, chiffres à l’appui, de banaliser le travail féminin dès la fin des années 1950 et au cours des années 1960.

49

42

MISONNE, M., « Le travail de la mère, promotion ou esclavage ? », La femme, la vie, le monde, janvier 1965, p. 14-15. Le travail à temps partiel est traité dans le chapitre 13.

43

BAERS, M., « Le travail salarié des mères », extrait de la Revue internationale du travail, vol.

LXIX, n°4, avril 1954, BIT, p.16.

44

VERBIEST, J., Un regard sur les FPS, Bruxelles, 1986, p. 135.

45

« 350.000 femmes prévoyantes socialistes réclament », La femme prévoyante, avril, 1954, p. 5.

46

« Les carrières féminines », La femme prévoyante, novembre 1961, p. 23.

47

FARGE, R., « Pas d’avenir pour les femmes dans le journalisme », La femme prévoyante, mai 1959, p. 20.

48

FARGE, R., « C’est nous les gars, de la marine », La femme prévoyante, juin/juillet, 1960, p. 10 et 19 ; GOLSTEIN, E., « Jeune fille en uniforme », La femme prévoyante, décembre 1959, p. 5 et 23.

49

FONTAINE-BORGUET, A, « La femme au travail », La femme prévoyante, mars 1960, p. 5 et 8.

(10)

Au-delà des discours et des idéologies : les obstacles légaux au travail des femmes

Durant ces années de débats, répétitifs, stéréotypés, sans cesse repris et réaménagés, pour défendre le droit au travail des femmes ou pour le nier, la société est traversée par de nombreux bouleversements qui l’éloignent plutôt du modèle de la femme au foyer. C’est, tout d’abord, la critique et/ou l’aménagement des obstacles légaux qui hypothèquent le travail féminin et ensuite, le combat systématique des féministes pour faire accéder les femmes à l’ensemble des professions et des fonctions.

Les obstacles légaux au travail de la femme mariée

50

Le travail des femmes mariées est freiné par des obstacles juridiques et fiscaux. Il l’est aussi par l’exclusivité de certaines professions réservées aux hommes. Sur ces trois fronts, les féministes avancent pas à pas.

L e v e r l e s o b s t a c l e s j u r i d i q u e s

Dans un premier temps, les féministes s’attaquent principalement à l’incapacité qui frappe toute femme mariée en matière de droit au travail. Elles ne réclament pas la suppression de la puissance maritale mais bien son « aménagement »

51

. En effet, le code civil oblige les femmes à obtenir l’autorisation maritale pour exercer un métier ou une profession ainsi que pour en gérer les fruits. Seule la femme marchande est autorisée par le code du commerce de 1807, et en partie par le code civil, à contracter librement pour les besoins de son commerce et à engager, hypothéquer et aliéner les immeubles qu’elle possède en biens propres. Toutefois elle ne peut ester en justice sans l’autorisation de son mari.

52

L’article 9 du code de commerce stipule qu’elle doit obtenir l’autorisation expresse de son mari et qu’elle ne dispose d’aucun recours en cas de refus.

Dès octobre 1892, la Ligue du droit des femmes met sur pied une commission Législation qui élabore « un premier projet tendant à reconnaître à la femme mariée le droit d’épargner et de disposer de son épargne » et dans le même ordre d’idées, un nouveau projet réclame pour les femmes « le droit de disposer du produit de leur industrie ou de leur travail ».

53

Ces deux projets aboutissent, quelque peu dénaturés par les amendements, au vote de la loi du 10 février 1900 qui autorise la femme mariée à ouvrir un livret d’épargne, à y faire des dépôts et à retirer jusqu’à 100 francs par mois pour les besoins du ménage

54

et au vote de la loi sur le contrat de travail du 10 mars 1900 qui prévoit l’autorisation maritale expresse ou tacite pour l’exercice d’un métier manuel (art. 29). De plus, la loi permet au juge de paix, en cas de refus du mari, d’autoriser la femme mariée à toucher son salaire s’il n’excède pas 3.000 fr.

50

De manière plus spécifique, le discours sur le travail des mères est traité dans le chapitre 13.

51

Ce point sera traité dans le chapitre 14.

52

Sur le statut de la femme marchande voir NANDRIN, J.-P., « Het juridisch statuut van de vrouwelijke zelfstandige : de erfenis van Napoléon », VAN MOLLE, L. et HEYRMAN, P. (dir), Vrouwen zaken, zakenvrouwen. Facetten van vrouwelijk zelstandig ondernemershap in Vlanderen 1800-200, Gand, 2001, p. 40-48.

53

« A la Ligue belge du droit des femmes », L’indépendance, 28 novembre 1892.

54

GUBIN, E., «Genre et citoyenneté en Belgique (1885-1921) », …p. 60-61.

(11)

annuels afin « d’en disposer pour les besoins du ménage »

55

. Ces lois s’inscrivent clairement dans une perspective de protection par l’Etat des plus faibles, en l’occurrence les enfants et les femmes, mais non dans une volonté émancipatrice.

Les féministes sont assez déçues par ces dispositions car les retraits du carnet de dépôt supérieurs à 100 francs requièrent toujours l’autorisation maritale et seules les femmes gagnant moins de 3.000 francs par an sont protégées

56

. Cette loi est le reflet de la société d’avant la Première Guerre, qui ne conçoit le travail de la femme mariée que pour les classes ouvrières. Louise Van den Plas souligne en 1921 que « les féministes ont accueilli ces lois comme des réformes partielles, en attendant mieux ». Mais elle constate également que dans la plupart des cas, peu de femmes subissent le poids de ces contraintes juridiques, qui ne sont appliquées que lors de désaccords importants dans le couple. La liberté féminine est donc entravée en principe, mais pas nécessairement dans la vie quotidienne : comme toujours, il existe un écart significatif entre la norme et la pratique.

Enfin, la loi stipule explicitement que la liberté accordée à l’ouvrière pour gérer son salaire se limite aux « besoins du ménage », soit une des fonctions dévolues traditionnellement aux femmes dans la sphère privée

57

. Là encore, nous sommes dans le domaine du symbolique car on voit mal comment un juge vérifierait l’utilisation de ce salaire. Toutefois Louise Van den Plas souscrit entièrement à cette limitation ; elle n’y voit pas une entrave au droit de la femme mais une sage directive donnée par le législateur qui, en spécifiant à « la femme l’usage qu’elle doit faire de son gain, » lui indique qu’il « ne lui appartient pas en propre… mais reste un bien appartenant à la communauté », au même titre que ceux du mari

58

. C’est, pour elle, l’amorce d’un changement dans le droit matrimonial.

Jane Brigode partage cette interprétation car aucune des deux femmes ne conçoit les droits des époux dans le cadre des conventions matrimoniales comme des droits individuels mais bien comme des droits concédés pour le bien-être de la communauté (d’abord la famille, puis la société)

59

.

Ces mesures sont appliquées aux employées en 1922 par la loi sur le contrat d’emploi du 7 août, qui porte le salaire annuel autorisé à 24.000 francs par an

60

. Pour les professions intellectuelles, les discussions relatives à l’admission des femmes au barreau en 1922 réactivent le lien entre autorité maritale et travail

61

. La révision du code, notamment en matière des droits et obligations des époux, est en chantier depuis de longues années au parlement. Plusieurs propositions de loi (Wittemans, mai 1922, Jenissen 1926, Wittemans- Magnette 1926), des projets de loi (avant-projet de loi avril 1924, projet en juillet 1925) ainsi

55

CISELET, G., La Femme. Ses droits, …, p. 80-81.

56

BEAUTHIER, R. et PIETTE, V., « Egalité civile et société en Belgique. Evolution du Code civil dans sa dimension historique », BARRIERE, J.-P. et DEMARS-SION, V., La femme dans la cité, Centre d’histoire judiciaire, Lille, 2003, p. 153.

57

BEAUTHIER, R. et PIETTE, V., « Egalité civile et société en Belgique… », p. 153.

58

VAN DEN PLAS, L., « Le salaire et l’Epargne… », op. cit.

59

BRIGODE, J. et VAN DEN PLAS, L., Avant-projet de loi relatif à l’extension de la capacité civile de la femme mariée. Etude de droit pour servir à la préparation des travaux parlementaires. Renaix, [ 1922 ] , p. 43 et 44.

60

CISELET, G., La femme. Ses droits…., p. 82.

61

Nous traitons dans ce chapitre les éléments du débat ayant trait aux droits économiques des femmes.

D’autres aspects, en relation avec les devoirs familiaux des femmes, sont présentés dans les chapitres

13 et 14.

(12)

que plusieurs rapports (janvier 1923, avril 1924, avril 1926) se succèdent, entraînant les réactions de féministes dans la presse quotidienne, soit au nom d’une association soit en leur nom propre. Elles mettent au point des stratégies qui se renforcent afin d’intervenir dans ce débat dont elles sont à, première vue, écartées puisqu’elles ne disposent pas du suffrage au niveau législatif et que les élues au parlement sont en nombre insignifiant. Suffrage qui leur fait cruellement défaut, comme le souligne Marcelle Renson, car « ces tentatives de réforme ne seraient plus toujours étranglées en cours de route, sous des prétextes divers » si les femmes votaient

62

.

Quelques tentatives féministes pour interférer dans les débats

Peu après le dépôt de la proposition de loi de Wittemans, cosignée par les socialistes Marie Spaak, Charles Magnette, Henri La Fontaine et Emile Vink en mai 1922, Jane Brigode et Louise Van den Plas publient, au nom du CNFB, de la Ligue Constance Teichmann et de l’Union Patriotique des femmes belges un Avant-Projet de loi relatif à l’extension de la capacité de la femme mariée. Le but est d’aider « à la préparation des travaux parlementaires » et le texte est destiné « aux juristes des milieux parlementaires ». Il s’agit, ni plus ni moins, selon les termes des auteures, d’un contre-projet

63

. Celui-ci comprend trois volets : l’élargissement de la capacité civile de la femme mariée, la restitution de la capacité complète aux femmes séparées de corps et enfin, d’un avant-projet de loi complémentaire sur le contrat de travail qui vise à « introduire des dispositions élargissant les droits reconnus à la femme sur le fruit de son travail »

64

.

Envisagé dans une perspective d’égalité formelle entre les sexes, ce contre-projet est nettement en retrait par rapport à la proposition Wittemans. Ce retrait peut paraître étonnant de la part de deux féministes ; il s’explique en partie par la conception désuète, « très XIX

e

siècle », que ces deux féministes modérées ont des droits des femmes, mais aussi en raison du contexte politique. On est en droit de se demander si l’une comme l’autre n’ont pas été

« instrumentalisées » par leur parti respectif (libéral et catholique) afin de torpiller la proposition socialiste. Si cette hypothèse se vérifiait, elle tendrait à démontrer leur incapacité à dépasser les clivages politiques traditionnels, au nom de l’intérêt des femmes.

La proposition Wittemans de « loi sur le travail, l’industrie et le commerce de la femme mariée et la contribution des époux aux charges du ménage » fait écho aux discussions parlementaires lors du vote de la loi sur la femme avocat (7 avril 1922). Marcelle Renson, jeune juriste qui a conquis son diplôme en droit à Paris, collabore à la rédaction de la proposition de loi déposée par Wittemans au Sénat en 1922. Elle n’en est pas à son coup d’essai : elle a en effet participé à la rédaction du projet de loi sur la femme avocat, déposé récemment par Emile Vandervelde, alors ministre de la Justice

65

.

62

RENSON, M. «Les mesures légales que les hommes négligent de prendre », L’International féminin, janvier-février 1930.

63

BRIGODE, J. et VAN den PLAS, L., Avant-projet …

64

« Avant-propos », BRIGODE, J. et VAN den PLAS, L., Avant-projet…

65

Dictionnaire des femmes belges, Racine, Bruxelles, 2006, p. 479-481.

(13)

S’inspirant de la loi française du 13 juillet 1907 sur le libre salaire de la femme mariée

66

, Wittemans entend « permettre à la femme mariée de gagner librement sa vie par l’exercice de n’importe quelle profession manuelle, intellectuelle ou commerciale et de disposer du produit de son travail, de son art ou de son intelligence dans la mesure où le mari peut disposer du sien ». Dès l’article premier, la proposition stipule que « La femme mariée est capable d’engager son travail, d’exercer toute profession, et d’en toucher le produit, sans l’autorisation de son mari »

67

. C’est une disposition que Jane Brigode et Louise Van den Plas jugent excessive et inacceptable, parce qu’elle « est en contradiction avec les bases nécessaires de l’organisation familiale »

68

. En réalité, Wittemans octroie l’autonomie économique à la femme mariée, ouvrière, intellectuelle ou marchande, mais pour Louise Van den Plas, en valorisant ainsi le travail professionnel des femmes, on déconsidère le travail ménager et maternel qui reste leur « rôle essentiel ». Et l’on risque d’aggraver la différence de conditions matérielles entre les couples à deux salaires et ceux à un seul en ajoutant une différence de condition civile. On courrait le risque, selon Van den Plas, de voir les mères et ménagères déserter le foyer !

69

En revanche, lorsque Jane Brigode et Louise Van den Plas réclament la possibilité pour une femme d’avoir un recours en justice lorsque son mari lui refuse d’ouvrir un commerce, et pour la femme marchande publique de se passer de l’autorisation maritale si l’époux est incapable ou s’il ne « pourvoit pas aux besoins du ménage »

70

, c’est toujours dans la perspective de l’intérêt de la famille – et jamais au nom de l’équité entre les sexes. Si la femme séparée de corps peut recouvrer l’exercice de sa pleine capacité civile, le devoir de la femme mariée est au contraire de s’effacer devant l’intérêt de la collectivité familiale.

71

La proposition de loi de Wittemans (Sénat-1922) et celle du député Jennissen, (session parlementaire de 1925-1926) déposée avec quelques modifications, ne sont jamais discutées.

Le projet soumis aux chambres (dit projet Godenir) est celui élaboré par la commission de révision du Code civil. Il est voté au le Sénat en mars 1927, après d’orageuses discussions.

Le projet maintient « les principes fondamentaux d’autorité maritale et d’incapacité de la femme mariée » mais il confie à la femme mariée qui exerce « une profession distincte de celle de son mari le produit de son travail, les économies en résultant… ». Ce pécule constitue les biens réservés de l’épouse, qu’elle peut administrer selon sa volonté mais toujours « dans l’intérêt de la famille ». Ces biens réservés ne visent que les revenus provenant d’un travail rémunéré, ils ne concernent donc en rien la ménagère et n’améliorent pas son autonomie. Telle quelle, cette décision ne satisfait pas les associations féministes belges et ne s’accorde pas avec les principes énoncés par l’Alliance internationale pour le suffrage et l’action civique et politique des femmes.

66

CISELET, G. La Femme. Ses droits …, p. 205 ; sur le rôle du féminisme français sur l’élaboration d’une loi analogue : ROCHEFORT, Fl., « Regard complémentaire. A propos de la libre disposition du salaire de la femme mariée, les ambiguïté d’une loi (1907) », Clio, n°7, 1998, p. 177-190.

67

BRIGODE, J. et VAN den PLAS, L., Avant-projet…, p. 30.

68

Op.cit., p. 44.

69

VAN den PLAS, L., « Le projet Wittemans sur le travail, l’industrie et le Commerce de la femme mariée », Le féminisme chrétien de Belgique, juillet/août 1922, p. 109-110.

70

BRIGODE, J. et VAN den PLAS, L., Avant-projet…, p. 21 et 22.

71

Idem, p. 63.

(14)

Une tentative des femmes libérales

De leur côté, peu avant le débat au parlement, les femmes libérales soumettent le projet Godenir à l’étude de leur commission juridique

72

(où siège notamment Georgette Ciselet).

Elles prennent position dans un rapport en mars 1926

73

. Elles souhaitent que l’art. 214, qui stipule notamment que le mari doit entretenir sa femme suivant ses facultés, soit remplacé par une formule nettement plus égalitaire : « Les époux doivent supporter les charges du ménage dans la mesure de leurs ressources ». Mais surtout elles réclament « la pleine et entière capacité de la femme mariée » d’administrer et de disposer « souverainement de ses biens propres et de son pécule réservé », « ainsi que la liberté de choisir librement une profession ou d’exercer un commerce »

74

. Comme le remarque Georgette Ciselet avec ironie, les amendements proposés sont transmis aux ministres libéraux « …qui ne tinrent aucun compte des vœux féminins lors des débats parlementaires »

75

. Maigre consolation, les législateurs s’aligneront plus tard sur les souhaits de la Fédération nationale des femmes libérales (FNFL) émis pour l’article 214, lors du vote de la loi de juillet 1932.

76

Cette prise de position de la FNFL est symptomatique de la fracture qui caractérise tout le féminisme belge de l’entre-deux-guerres. La première génération féministe, incarnée par Jane Brigode, figure importante du parti libéral, s’oppose à celle des féministes universitaires qui investissent dans les années 1920 à la fois le parti libéral et les associations féministes.

Le militantisme de ces jeunes femmes est nourri par leur formation intellectuelle, proche de celle des hommes de leur milieu. Dans son essai publié en 1930 La femme, ses droits, ses devoirs et ses revendications, Georgette Ciselet écrit clairement qu’elle considère la puissance maritale comme absurde et injuste. Elle insiste sur le sort réservé aux femmes d’affaires, artistes, universitaires, institutrices, etc., soumises à l’autorité d’un époux et ne jouissant d’aucune capacité : un tel régime se passe de commentaire».

77

Il est d’ailleurs significatif que ce soient les milieux juridiques laïques et libre penseurs, dans la mouvance de l’Université libre de Bruxelles, qui se mobilisent pour réactiver la discussion autour de cette question, au nom de « l’incompatibilité entre le rôle économique et social des femmes et leur situation juridique ». En février 1928, dans une pétition adressée au rapporteur du projet Godenir à la Chambre, ceux-ci réclament la suppression de l’art. 213 et l’attribution de la pleine capacité aux femmes afin qu’elles puissent « engager librement leur travail sans autorisation et disposer de leurs biens propres, sous tous les régimes matrimoniaux. »

78

72

CISELET, C, La Femme. Ses droits…, p. 208.

73

BIRNBAUM-COENS, L., «La femme et la révision du Code civil » (Tribune libre féminine), Le Soir, 13 juillet 1926.

74

BIRNBAUM-COENS, L., «Les droits matrimoniaux d la Femme » (Tribune libre féminine), Le Soir, 22 juin 1926.

75

CISELET, G., La Femme. Ses droits…., p. 208.

76

Pasinomie, Bruxelles, 1932, p. 254.

77

CISELET, G., La Femme. Ses droits…., p. 193 et 186.

78

Idem, p. 208-209.

(15)

La réforme de 1932

La réforme aboutit au vote de la loi du 20 juillet 1932. Mais les principes fondamentaux de la législation napoléonienne sont préservés : l’autorité maritale et l’incapacité de la femme mariée subsistent

79

. La femme doit toujours obtenir (art. 223a) « l’autorisation expresse du mari » pour exercer « une profession, une industrie ou un commerce » mais elle dispose cette fois d’un recours devant le tribunal de première instance si son mari refuse ou révoque son autorisation (art. 223 b). La loi de juillet 1932 apporte une autre avancée pour les femmes mariées : les femmes sont autorisées à constituer (art. 224a) et à gérer (art. 224 b) des biens réservés mais ces pouvoirs ne lui sont accordés que « pour les obligations contractées dans l’intérêt du ménage et pour l’établissement des enfants communs ». En cas d’abus, le mari peut saisir le tribunal (art. 224 c).

80

Telle quelle cette « législation bâtarde » n’aura que peu d’impact réel sur la condition des femmes. C’est bien en raison de son potentiel d’autonomie pour les femmes que la proposition Wittemans de 1922 qui aurait permis « aux travailleuses de gagner leur vie sans être astreintes à solliciter une autorisation maritale »

81

, a été écartée c’est donc la crainte de l’autonomie financière des femmes mariées et de ses corollaires qu’exprime le vote des parlementaires, et à travers eux, la crainte de la société. Le combat mené de front par le groupe Égalité pour l’égalité stricte en matière de droits civils et du GBPO en faveur de l’égalité économique des travailleuses se rejoignent et se renforcent. Vus sous cet angle, le sens et la cohérence des revendications féministes, développés autour de la figure charismatique de Louise De Craene, apparaissent clairement.

Au lendemain de la Seconde Guerre, malgré l’accès aux derniers bastions masculins (magistrature et notariat), le travail de la femme mariée continue à susciter de nombreuses controverses. Encore en 1951, lors d’un débat contradictoire entre le député PSC Philippart

82

et Annie Vandenschrik

83

, présidente des femmes chefs d’entreprise, les arguments les plus éculés refont surface. Philippart défend l’idée que la femme ne possède aucun « esprit de modération », aucun « sens critique », elle n’a donc « qu’un seul rôle à remplir : celui d’être l’âme et la reine du foyer »

84

tandis que Vandenschrik réclame pour ces mêmes femmes une émancipation complète et le droit « de décider si elles travailleront ou non en dehors du foyer »

85

.

Il faudra attendre néanmoins la réforme du code civil de 1958 (30 avril 1958) pour que

« chaque époux [ait] le droit d’exercer une profession, une industrie ou un commerce sans le consentement du conjoint » (article 215). Mais les époux peuvent, s’ils estiment que cette activité est de nature à porter un préjudice moral ou matériel à leur intérêt ou à celui des

79

CISELET, G., Commentaire de la loi du 20 juillet 1932 sur les droits et devoirs respectifs des époux. Texte légal et travaux parlementaires, Bruxelles, 1932, p. 10.

80

Pasinomie, Bruxelles, 1932, p. 255, p. 289.

81

CISELET, G., Commentaire…, p. 174.

82

Philippart de Foy, Marcel (1994-1966), député de l’arrondissement de Liège, qui s’était montré particulièrement virulent dans son opposition à l’accès des femmes à la magistrature. Il avait mené un combat d’arrière-garde en invoquant des arguments particulièrement rétrogrades et sexistes. VAN MOLLE, P., Le parlement belge…, p. 266.

83

Sur Vandenschrik, Annie, négociante, première femme à siéger à la Chambre de Commerce de Bruxelles : Dictionnaire des femmes belges…, p. 107-108.

84

« Monsieur Philippart et les femmes », Le Peuple, 25/01/1951.

85

« La femme mariée doit-elle travailler ? », La Cité, 25/01/1951.

(16)

enfants mineurs, introduire un recours devant le tribunal de première instance

86

. Cette loi étend également la capacité des femmes mariées et du mineur à certains dépôts d’épargne et autorise la femme à retirer seule les sommes déposées sur un livret ouvert à son nom

87

. L e s o b s t a c l e s f i s c a u x

Après la Grande Guerre, la loi du 29 octobre 1919 bouleverse complètement le régime fiscal en introduisant l’impôt sur le revenu, inconnu jusque-là en Belgique. Ce nouveau système, inspiré de l’ouvrage d’Ingenbleek, secrétaire du roi Albert, La justice devant l’impôt (1918) est lui-même fortement influencé par le système en vigueur aux Pays-Bas. Il ne se contente pas d’introduire l’impôt progressif sur les revenus mais établit également le cumul des revenus dans la mesure où c’est l’ensemble des revenus de la famille (conjoints, enfants, ascendants) qui est soumis au prélèvement fiscal

88

. La base imposable dépend également du nombre de personnes à charge. La loi du 13 juillet 1930 maintient le principe du cumul, confirmé par l’ensemble des arrêtés royaux de crise au cours des années 1930, tout en tendant cependant à restreindre le cumul aux revenus des deux époux

89

. La loi du 24 décembre 1948

90

impose (et ce jusqu’en 1956), le cumul pur et simple des revenus des conjoints qui travaillent l’un et l’autre.

Ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que quelques voix s’élèvent contre ce procédé fiscal qui pénalise le travail de la femme mariée. Durant l’entre-deux guerres, les milieux féministes n’y font pratiquement pas allusion. Il leur est difficile en effet de revendiquer l’autonomie fiscale pour les femmes dans un contexte défavorable où le droit au travail salarié des femmes est contesté. En outre, le poids de la fiscalité est, à ce moment, nettement plus léger qu’il ne le sera après 1945.

Néanmoins, il est incontestable que la taxation des revenus cumulés des conjoints, devenue pratique courante dans l’entre-deux-guerres, répond à la volonté de nombreuses associations catholiques, dont la Ligue des familles nombreuses

91

, de moduler la fiscalité qui pèse sur les familles en fonction du nombre de personnes à charge. Grâce à une fiscalité

« juste », leur slogan « A travail égal, niveau de vie égal », deviendrait une réalité pour

86

Loi du 30 avril 1958, Moniteur belge, 10 mai 1958, p. 3719-3728. L’art. 215, p. 3720. Le recours d’un des deux époux n’est pas valable pour l’exercice des fonctions et mandats publics.

87

À partir de 1958, la femme mariée est autorisée à ouvrir un livret dans une caisse d’épargne privée régie par l’AR du 15/12/1934 et fonctionnant sous le contrôle de l’Office central de la petite épargne.

À partir de la loi du 16 mars 1964, la liste des institutions s’étend à pratiquement toutes les banques de dépôts privées.

88

Jules Ingenbleek, homme politique libéral (1876-1953), docteur en sciences politiques et administratives, spécialisé dans les finances publiques et la fiscalité. Sénateur coopté de 1931 à 1934, vice-gouverneur de la banque nationale de Belgique de 1938 à 1944 : HASQUIN H. (dir.), Dictionnaire d’histoire de Belgique. Les hommes, les institutions , les faits, le Congo belge et le Ruanda-Urundi, Bruxelles, Didier Hatier, 2

e

éd., 2000, p. 347.

89

AR du 15 juillet 1933, du 22 février 1935, du 14 décembre 1934 ; Historique du cumul des revenus des époux. Etude de M

e

Paul Tapie appartenant à M

e

Ernst-Henrion, 5. p., s.d. : Carhif, Fonds Ernst- Henrion, 9.

90

Moniteur belge du 30 décembre 1948, p. 10282-10284 (il y a une faute de frappe au lieu de 10282, il est inscrit 12082).

91

La Ligue des familles nombreuses est créée en 1921 par le général Louis-Charles-Juste Lemercier

(1875-1954), (Biographie nationale, t. 44, col, 678-679) et le père jésuite Valère Fallon (1875-1955) :

DENOËL, T., Le nouveau dictionnaire des belges, Bruxelles, 1992, p. 289. Un numéro du Ligueur,

organe de la Ligue, récapitule ses objectifs : Le Ligueur, n°15.

(17)

l’ensemble de la population belge. Ces revendications familialistes s’inscrivent dans le cadre d’une politique nataliste et de valorisation du rôle du père comme pourvoyeur de subsistance de la famille

92

. Le père Valère Fallon, l’un des fondateurs de la Ligue des familles nombreuses, estime d’ailleurs que le revenu d’un père de famille doit se composer de deux parties distinctes : le salaire commun à tous les travailleurs, auquel s’ajoutent des allocations familiales réservées aux chefs de famille dont le montant est proportionnel au nombre d’

enfants

93

. Fallon ne fait que s’aligner sur les directives de l’Église, sur le salaire ouvrier

« suffisant » tel qu’il est prescrit depuis Rerum Novarum (1891) et développé dans Quadragesimo anno (1931). De cette manière, l’égalité salariale formelle est sauve, puisque les inégalités ne concernent que les allocations complémentaires ! La position de Fallon et de la Ligue des familles nombreuses n’est cependant pas comparable à celle de certains milieux féministes, dits maternalistes, qui réclament également une série d’allocations liées à la maternité mais au nom de la ‘citoyenneté sociale’ des femmes et perçues directement par les mères à titre de rémunération

94

.

À partir des années 1950, le cumul fiscal des époux mobilise de nombreuses associations féministes – GBPO, CNFB, Comité de liaison, FBFU. Les féministes sont rejointes de manière ponctuelle par des groupements de femmes comme l’Association belge des femmes chefs d’entreprise, le Rassemblement des femmes pour la paix, la Fédération nationale des femmes libérales ou encore les Ligues de coopératrices et les Femmes socialistes… mais aucune association catholique ne se joint à ces mobilisations. Ces féministes et ces associations de femmes voient dans le système de cumul une manière (à peine) voilée de décourager le travail des femmes mariées. Les Ligues de coopératrices renversent les arguments en soulignant que ce type de fiscalité nie aussi, d’une certaine manière, le travail ménager. En effet, les travailleuses assurent aussi leurs tâches domestiques et souvent doivent « se faire aider ». Fernande Heyman propose dès lors qu’une partie du salaire féminin soit au contraire immunisée d’impôt, puisqu’il servit à payer une personne ou des services pour l’entretien du ménage : et « rien n’est plus dur que de payer l’impôt sur un revenu non effectivement acquis »

95

.

La politisation du cumul fiscal

Cette question est fortement politisée dans le cadre de la réforme fiscale qui aboutit en 1951, après de nombreux débats. Selon sa tactique habituelle, le GBPO alerte des parlementaires acquis à sa cause, comme Isabelle Blume

96

. En vain : le nouveau régime institué par la loi du 8 mars 1951

97

, maintient le cumul des revenus des époux et instaure une retenue forfaitaire pratiquée à la source sur les salaires des femmes mariées. Adèle Hauwel

92

BERGER, M., Le mouvement familial belge : histoire de La Ligue des Familles nombreuses de Belgique de 1921 à 1945, Mém. lic. Hist., ULB, 1998.

93

FALLON, V., « Un point de doctrine. Ressources familiales », Le Ligueur, n°2, 16-23 mai 1948, p.

3 ; FALLON, V., Principe d’économie sociale, Bruxelles-Namur, 1949, p. 80-309 et Sommaire des principes d’économie sociale, Namur-Louvain, 1945 (5

e

édition revue et mise à jour), p. 90-98.

94

JACQUES, C. et LEFEBVRE, S., « Le CIF et la protection de l’enfance », Sextant, n°19, 2003, p.

111.

95

HEYMAN, F., « Pour le droit dans la justice », Entre Nous, juin 1951.

96

Lettre du GBPO à Isabelle Blume, 24 janvier 1951 : Carhif, F. GBPO 179.

97

Moniteur belge des 19-20 mars 1951, p. 1926-1934.

(18)

se demande alors, au nom de la commission Travail du CNFB, si les femmes mariées sont devenues « les banquiers de l’État, tout en étant des incapables ? »

98

.

Comme à maintes reprises, les femmes sont utilisées par les partis politiques comme des pions sur leur échiquier, sans égard pour leurs intérêts spécifiques. Lorsque les communistes critiquent la retenue forfaitaire sur le salaire féminin en 1951, c’est une manière indirecte de dénoncer la politique étrangère du gouvernement belge

99

. Ils sont suivis par le Rassemblement des femmes pour la paix, qui replace d’emblée le débat dans un cadre de guerre froide, et accuse le gouvernement belge de financer « sa politique de guerre » grâce à une taxe supplémentaire sur le travail des femmes mariées.

100

Ce qui leur semble le comble du cynisme puisque les femmes sont « par nature » pacifistes et antimilitaristes !

Les libéraux et les socialistes dénoncent cette pratique au nom de l’égalité fiscale entre hommes et femmes mais surtout pour attaquer la politique familiale menée par le PSC

101

. Plusieurs propositions de loi sont déposées par des mandataires socialistes et libéraux. Le ministre des finances Jean Van Houtte (CVP) repousse l’amendement présenté par la commission des finances de la Chambre, à l’initiative des libéraux Henri Liebaert et Fernand Masquelier

102

afin de supprimer le cumul des revenus des conjoints

103

.

Révoltées par ces agissements, un groupe de contribuables met sur pied au début de l’année 1951, une Ligue des femmes mariées contre les abus du fisc qui « déclare la femme mariée en état de légitime défense et invite les femmes à se servir de leur bulletin de vote pour défendre leur intérêt ».

104

La même année, dans une lettre au ministre des Finances, le GBPO dénonce également le système

105

; il réitère ses griefs en juin 1954, cette fois auprès du Premier ministre

106

. La Fédération nationale des femmes libérales se bat également pour la suppression du cumul et rappelle en 1955 les promesses faites par les dirigeants de leur parti. Pour la FNFL, cette taxe n’est rien d’autre qu’un « châtiment imposé à la femme mariée » qui « ose » travailler.

107

Quant à l’Association des femmes chefs d’entreprise, elle s’émeut en 1955, dans un communiqué de presse et une lettre au ministre des Finances, que

98

HAUWEL, A., « Retenue à la source sur le salaire des femmes mariées », Bulletin du CNFB, n°31, octobre 1951, p. 18.

99

DEJACE, T., « Contre la retenue de 10% sur le salaire des femmes mariées. Théo Dejace interpellera à la Chambre », Le Drapeau rouge, 27, avril 1951 ; « Pour faire payer l’impôt complémentaire avant terme. Le gouvernement frappe d’une retenue de 10 pour cent les rémunérations des femmes mariées », Le Drapeau rouge, 13 avril 1951.

100

Tract du RFP [années 1950] : Carhif, F. GBPO, 186.

101

HARMEGNIES, H., « Egalité fiscale ? », Le Peuple, 3 décembre 1954.

102

Sur Jean Van Houtte (1907- 1991), plusieurs fois ministre des Finances, ministre d’État : VAN MOLLE, P., Le parlement…, p. 354-355 et LAUREYS, V., VAN DEN WIJGAERT, M., FRANCOIS, L. GERARD, E. NANDRIN, J.-P. STENGERS, J., L’histoire du Sénat de Belgique de 1831 à 1995, (Racine), Bruxelles, 1999, p. 440. ; sur Henri Liebaert (1895-1977), ancien combattant de 1914-1918, résistant en 1940-45, homme politique libéral et ancien ministre des Finances, et sur Fernand Masquelier (1885- 1969), député libéral de Charleroi, questeur de la Chambre : VAN MOLLE, P., op. cit., p. 321-322 et p. 234-235.

103

Cité dans « La femme mariée et le fisc », La Dernière Heure 25 décembre 1950.

104

« Les femmes et le fisc », Le Soir, 1

er

mars 1951 ; « Contre les abus du fisc », La Dernière Heure, 8 avril 1951.

105

Lettre du GBPO au ministre des finances, 30 juin 1951. Carhif, F. Adèle Hauwel, 233.

106

Lettre du GBPO au Premier ministre, 22 juin 1954. Carhif, F. GBPO, 195.

107

Femmes libérales, publication mensuelle, janvier 1955, n°1, p. 1. AVB, F. Nyssens, 61.

Références

Documents relatifs

L’employeur faisant appel à la sous-traitance pour au moins 5 000 € doit se faire remettre par son sous-traitant, lors de la conclusion du contrat et tous les 6 mois, un

En décembre 1964, l'Institut national de la Statistique et des Etudes économiques publiait dans sa revue Études et Conjoncture un article sur l'emploi féminin qui rassemblait

Il y a ainsi tensions entre une plus grande pénalisation des viols comme crime de guerre et une difficulté à les faire valoir dans les procédures d’obtention du droit d’asile

If the isotopic abundance ratio is within dynamic range of the LEDA and no other high abundance species is determining the gain of the detector, then the measurements are taken on

- En ajoutant un alinéa 3 : tout licenciement intervenu en violation de l’alinéa est nul de plein droit. - En faisant référence à l’art L1132-2 relatif au droit disciplinaire

Plus que pour manier le bulletin de vote, les mains de femmes sont faites pour être baisées, baisées dévotement quand ce sont celles des mères, amoureusement quand ce sont celles

Les thèmes dont il faut toujours tenir compte pour une histoire des femmes sont la parenté, les règles informelles de fonctionnement des sociétés, et surtout le réseau

Les textes édictés par la Communauté jusqu'à ce jour ne sont pas nombreux et datent des années soixante-dix: deux d'entre eux concernent l'égalité entre les sexes (1975