Nîmes 21 mars 2012
Eléments pour une pédagogie de la production écrite
« Ecrire, c’est augmenter d’une perle le sautoir des Muses. »
Jean-Paul Sartre, Les mots
« Des pierres lancées contre moi, j'ai construit les murs de ma maison. »
Anise Koltz, Chants de refus
Classe de CE2, janvier
Ton cadeau me plait beaucoup, et ta lettre
me fait plaisir, mais si tu veux tu peux encore m'écrire des lettres. Mais en tout cas je te répondrai tout le
temps quand tu m'écriras des lettres.
Texte original de l'élève
Texte « toiletté » orthographiquement
Explication de la diapositive 3
Les erreurs orthographiques présentes dans un texte d'élève gênent la lecture. Il peut être souvent utile de retaper le texte pour en faire une lecture plus sereine. C'est utile à l'enseignant mais aussi à l'élève si on souhaite l'engager dans une amélioration de son texte (principe des jets successifs).
Dans la production d'un élève de CE2 présentée ici, la lecture du texte toiletté orthographiquement permet de repérer d'autres difficultés, liées à la construction du texte, par exemple :
- une certaine redondance à la fin avec la question de la réponse aux lettres
- la relation logique d'opposition qui commence la dernière phrase sans raison : ce
mais devrait être supprimé et remplacé par une simple virgule.
Exemple d’utilisation du codage : aide aux élèves et différenciation
On trouvera une description de ce protocole à deux endroits :
- Cahiers Pédagogiques 480 « Travailler avec les élèves en difficulté » dans l'article en ligne « Comment aider les élèves à surmonter des difficultés orthographiques »
- Dans le tome 1 de mon livre Etudier la langue au cycle 3. Orthographe, grammaire, conjugaison, vocabulaire
Ici, un texte écrit par un élève dans lequel on va placer des indications pour signaler les erreurs orthographiques
Si on veut signaler des (et pas « les ») erreurs d'orthographe dans un texte d'élève dans la perspective de les lui faire corriger, il faut avoir précédemment construit en classe un codage, qui sera utilisé dans toutes les classes du cycle : chacune des rubriques de ce codage correspond à un des niveaux du système orthographique du français, du plus apparent au plus opaque.
Les initiales utilisées (S, D, C ou GV, GN) donnent aux élèves une indication de la procédure à utiliser pour corriger l'erreur :
- S indique une erreur de son, que l'on retrouve donc en redéchiffrant le mot ; - D indique une erreur que l'on corrigera en cherchant le mot dans le dictionnaire ;
- GV signale une erreur dans la relation sujet-verbe, donc de conjugaison, qu'on pourra donc coder C
- GN signale une erreur de Genre/Nombre dans un Groupe Nominal.
Erreurs du premier niveau : S (son)
Erreurs du deuxième niveau : D (dictionnaire) Erreurs du troisième niveau : C (relation SV)
Erreurs du quatrième niveau : GN (Groupe Nominal, Genre
et Nombre)
Autrefoi, près du vilage au bour du fleuve, vivait D D S
un gageuar trer rusé.
S S D
Quand un probléme survener dans la grand forêt, S C S
on vesai toujoure apelle à lui.
SD C D D D
Erreurs du premier niveau : S (son)
Erreurs du deuxième niveau : D (dictionnaire) Erreurs du troisième niveau : C (relation SV)
Erreurs du quatrième niveau : GN (Groupe Nominal, Genre
et Nombre)
D D S S S D S C S
S D C D D D
Autrefoi, près du vilage au bour du fleuve, vivait
un gageuar trer rusé.
Quand un problème survener dans la grand forêt,
on vesai toujoure apelle à lui.
Niveau 1 : S (son)
Niveau 2 : D (dictionnaire) Niveau 3 : C (relation SV)
Niveau 4 : GN (Groupe Nominal, Genre et Nombre)
S S S S S S
Autrefoi, près du vilage au bour du fleuve, vivait D D
un gageuar trer rusé.
D
Quand un problème survener dans la grand forêt, C
on vesai toujoure apelle à lui.
D C D D D Niveau 1 : S (son)
Niveau 2 : D (dictionnaire) Niveau 3 : C (relation SV)
Niveau 4 : GN (groupe nominal, genre et nombre)
Diapos 6 à 9 :
Le codage permet une différenciation aisée : les indications D, S, GV et GN peuvent être placées sous les
mots, permettant ainsi de localiser l'erreur précisément. Elles peuvent aussi être placées en début de
ligne, indiquant le nombre d'erreurs de chaque type dans chaque ligne : soit dans leur ordre d'apparition
dans la ligne (par exemole SDCDDD) soit regroupées par types (SDDDC). Elles peuvent aussi être
utilisées de ces deux façons à la fois (les erreurs de son indiquées en début de ligne, puisqu'elles sont les
plus faciles à retrouver et les autres localisées sous lss mots).)
Evaluation nationale, classe de 6ème, septembre
Extrait du texte que les élèves doivent lire avant la rédaction :
Mais à deux heures, Dominique arriva en retard au lycée. Un air de triomphe relevait son petit nez pointu.
- Il faut que je vous parle, nous glissa-t-elle, tandis que le professeur de maths entamait son cours d’une voix monocorde, le regard absent derrière ses lunettes.
Consigne d'écriture
Dominique arrive en retard au lycée et dit à ses camarades : « Il faut que je vous parle... » Imagine les paroles que prononce l'enfant et qui expliquent son air de triomphe.
On voit ici un exemple de consigne d'écriture impossible d'un point de vue pragmatique : Dominique entre en cours de
maths en retard, au moment où le professeur commence son cours... et on dit qu'elle s'adresse immédiatement à ses
amis pour expliquer ce qu'elle a vu dans la boulangerie peu de temps avant. Beaucoup d'élèves ont été gênés par cette
consigne étrange, en tout cas heurtant la véracité et rendant la situation non plausible, alors que le texte source
installait cette situation au contraire dans un monde réaliste.
La petite production d'écrits Nouveau sens des mots :
Déclasser : renvoyer un élève de la classe.
Empêcher : sortir un poisson de l'eau en le pêchant.
Paronomases :
Hier, je me suis assise sur mon cousin et j'ai joué avec mon coussin.
L'emploi du subjonctif : Le roi exigea... Il fallut
Le roi exigea que sa princesse aille au concert. Mais la reine refusait que sa fille aille à cette « gnognoterie », elle préférait qu'elle aille au théâtre. Alors il fallut qu'ils se mettent d'accord.
Le roi exigea que sa fille se marie.
Mais la mère de la reine refusait qu'elle soit grand-mère.
Alors il fallut annuler le mariage.
Commuter des groupes :
Dans le salon, mes sœurs volent des pâtes avec leur trompe.
Le mercredi, le chat broute la dictée dans la rue.
Les tautogrammes :
Le caribou et le kangourou ont caressé des cailloux.
A la manière de Jacques Prévert : Le cahier que quelqu'un a ouvert.
La fenêtre que quelqu'un a ouverte.
Le cahier que quelqu'un a passé par la fenêtre.
Petite production d'écrit
Ce travail quotidien de production d’écrits, qui s’adresse a priori à des élèves de début de cycle mais peut aussi concerner des élèves plus âgés dans le cadre de travaux différenciés, consiste en l’écriture d’une courte phrase, avec une consigne précise et ciblée, ce qui la range dans les activités de gammes d’écriture. Le principe est la manipulation par enrichissement, transformation ou réduction de phrases dans les domaines sémantique, syntaxique, orthographique et lexical. Cette activité permet de réunir la production, l’observation et la métaréflexion à propos des transformations opérées.
Les phrases étant très courtes, la production et la mise en commun se font rapidement et il est aisé d’évaluer la pertinence et la correction des propositions en les faisant lire à voix haute aux élèves. On peut aussi leur faire écrire leur proposition sur un transparent plutôt que sur leur brouillon ; ainsi, la mise en commun se fait avec un rétroprojecteur et peut suivre directement la production pendant que tous les élèves ont la phrase sous les yeux.
L’activité petite expression écrite est un type d’exercice structural s’appuyant sur la conscience de la langue des élèves sans formalisation : ainsi, il est inutile d’identifier un article ou un attribut du sujet pour l’utiliser dans une phrase dont une partie de la structure est donnée ; nous avons expliqué dans le chapitre grammaire du volume 1 consacré à la langue que beaucoup d’activités grammaticales orales s’appuyaient sur la conscience intuitive de la langue chez les élèves, par exemple :
- pronominaliser un complément (passer de Il mange le gâteau à Il le mange) ; - remplacer par avait ou était pour écrire a ou est ;
- déplacer un groupe dans une phrase pour voir si c'est un CC ou un COD.
En quelque sorte, les élèves doivent dire d’une transformation syntaxique orale si « ça va », si « ça se dit ». Ceux dont la langue maternelle n’est pas le français et ceux dont la pratique de la langue orale est insuffisamment développée ne peuvent souvent pas valider ainsi des
transformations ; c’est le cas par exemple de ce petit élève d’origine russe qui dit Il ne pleut aujourd’hui (au lieu de Il ne pleut pas aujourd’hui) pendant un exercice oral sur les phrases négatives, ou de cet élève français en difficulté avec la langue qui valide aussi bien le passage de Le chien mange un os à Un os le chien mange que le passage de Depuis une heure, il joue au ballon à Il joue au ballon depuis une heure : pour lui, dans les deux cas, la phrase transformée est correcte et ne montre pas de changement de sens.
L’appui sur la conscience de la langue est essentiel ; de plus, c’est cette conscience qui permet aux élèves de retrouver des erreurs de syntaxe dans leurs écrits ; il faut donc la développer.
Nous proposons, pour une notion de langue donnée, de travailler successivement trois modalités pédagogiques comme le montre l’exemple ci- dessous : la conceptualisation grammaticale contextualisée, les exemples-oui et exemples-non et la petite expression écrite décrite dans le paragraphe précédent.
