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Academic year: 2022

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Une journée particulière

Une simple lombalgie ?

L’examen clinique est normal à part la raideur lombaire. Il n’y a pas de fièvre, de frissons, de douleur pelvienne, de perte ou de brûlures urinaires

«en bas tout va bien, les douleurs viennent du dos». Je lui explique qu’on va lui administrer des antalgiques, par voie veineuse. Je prescris des antalgiques de palier II et sors du box.

Une demi-heure après, elle est toujours algique. Sur les conseils de ma senior, je prescris une titration de morphine intra veineuse jusqu’à 9 mg et elle semble aller mieux. Entre-temps, je gère trois autres patients. Enfin d’après- midi, elle me dit être soulagée et nous décidons avec ma senior, que si l’évolution est favorable pendant la surveillance post-morphine, la patiente pourra rentrer chez elle avec des antalgiques de palier II. Je rédige les ordonnances et vais les donner à la patiente.

Plus tard, je passe devant son brancard pour voir un autre patient et elle me demande si elle peut avoir des serviettes hygiéniques car elle perd du sang.

Je lui demande si ce sont des pertes de sang « normales », « comme d’habitude », elle me répond que oui. C’est en fait son troisième accouchement, donc je pense qu’elle sait de quoi elle parle. Elle est maintenant bien réveillée et se mobilise sans difficulté. Lorsque je retourne la voir quelques minutes après pour être sûre que tout va bien, je m’aperçois que son brancard est vide et qu’elle est partie de l’hôpital avant que je puisse lui confirmer sa sortie. Il est alors environ 17 heures.

À noter que durant les heures passées aux urgences, elle n’a pas réclamé la présence de potentiels accompagnateurs. Je n’ai pas non plus eu d’information par mes collègues du personnel paramédical et de l’accueil sur la présence d’accompagnateurs en salle d’attente, comme c’est le cas le plus souvent. Je suis d’ailleurs surprise qu’elle parte d’elle-même sans demander l’aide d’un proche ou une ambulance. Mais je n’ai pas le temps de me poser trop de questions : la journée continue, j’ai d’autres patients qui m’attendent.

L ’ annonce de la mauvaise nouvelle

Le surlendemain, je suis en jour off, enfin. En fin d’après-midi, je reçois un coup de téléphone d’un co-interne du stage. Visiblement très inquiet il me lance «c’est la catastrophe aux urgences... Tu sais la patiente que tu as vue mercredi, Mme Z, il y a eu un problème, elle est en réanimation.

Du coup, une dizaine de ses amis sont venus aux urgences pour tuer le médecin responsable et tout casser. Bon, je ne peux pas rester au téléphone mais je voulais te prévenir car les chefs vont sûrement t’appeler. ». Je suis abasourdie. Je passe le reste de la journée à essayer de m’occuper pour que le temps passe plus vite mais mon esprit est là-bas.

Finalement en début de soirée, la directrice des ressources humaines m’appelle :

– «Bonsoir. Je vous appelle car quand même ce n’est pas courant qu’on demande à un interne de ne pas venir travailler.

– Excusez-moi mais je ne comprends pas ce que vous me dites ! – Vous n’êtes pas au courant de la situation ?

Témoignage

VIE PROFESSIONNELLE

ÉDECINE

Anonyme

Interne de medecine generale egalam@hotmail.com Tires à part : Éric Galam

Résumé

J’effectue mon deuxième stage d’in- ternat de médecine générale aux urgences d’un hôpital du sud de la France. C’est un mercredi vers 10 heu- res du matin. Je prends en charge une jeune patiente de 21 ans arrivée une heure plus tôt en ambulance pour des lombalgies depuis son accouchement sans complication 4 jours auparavant dans le même hôpital. Elle n’allaite pas.

Elle a reçu une ordonnance d’antalgi- ques de palier 2 et d’anti-inflamma- toires non stéroïdiens mais les douleurs persistent.

Mots clés erreurs médicales.

Abstract. A particular day

I am doing my second internship of general medicine internship in the emergency department of a hospital in the south of France. It's a Wednesday around 10am. I am taking care of a 21- year-old patient who arrived an hour earlier in an ambulance for low back pain since her uncomplicated delivery 4 days ago in the same hospital. She does not breastfeed. She received a pres- cription for level 2 analgesics and nonsteroidal anti-inflammatory drugs, but the pain persists.

Key words medical errors.

DOI:10.1684/med.2019.430

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– J’ai un ami interne qui m’a rapidement dit qu’il y a un problème avec une patiente que j’ai vu mercredi et que des personnes sont venues pour des représailles aux urgences.

– Oui, c’est pour cela qu’on a demandé à ce que vous ne preniez pas votre poste aujourd’hui.

– Mais aujourd’hui je ne suis pas censée travailler ! – Ah...

– Est-ce que la patiente va bien ? – Non

– Que s’est-il passé ?

– Désolée, je ne peux rien vous dire de plus. Il faut que vous veniez dans mon bureau demain matin pour qu’on parle de tout ça.

– Oui. Je serai là demain matin.»

À cet instant, je suis en état de choc. Je sais très bien que ce qu’elle me dit signifie en langage codé d’hôpital que la patiente est décédée, mais que cela ne se dit pas au téléphone. Je pense que la DRH avait voulu me rassurer mais ne s’attendait pas à ce que je ne sois au courant de rien. Commence alors la plus longue nuit de toute ma vie. Je n’ose pas appeler la senior qui s’est occupée du cas dans l’éventualité où elle ne serait pas au courant.

J’attends donc qu’elle m’appelle, elle ou quelqu’un d’autre du service. Mais personne ne me contacte. Je cogite toute la nuit. De quoi a bien pu décéder cette jeune femme ? La seule possibilité que j’entrevoie c’est une infection urinaire. Et moi qui n’ai pas fait de bandelette urinaire. Si elle est morte d’une infection urinaire, je me suicide.

Un développement dramatique

Le lendemain matin ma senior m’appelle enfin et me demande de venir à l’hôpital rapidement. On se retrouve dans le bureau des chefs, elle, un autre chef et moi-même.

Ils m’expliquent que mon dossier est incomplet et qu’il faut qu’on le remplisse. Oui, mais que s’est-il passé ? Le chef m’explique : «la patiente est décédée d’une endométrite. La nuit après qu’elle ait quitté les urgences, elle a eu des frissons. Puis le lendemain midi, elle était en mauvais état général et a appelé le SAMU. À l’arrivée du SAMU, elle avait un ventre de bois. Elle a ensuite été conduite dans un petit hôpital, près de chez elle. Là ils pensent à un choc septique ou hémorragique. Ils réalisent des prélèvements bactériologiques mais ayant une plateforme technique insuffisante, l’orientent sur mon hôpital. Elle a été prise en charge par les gynécologues qui ont mis en route une antibiothérapie et ont exploré le pelvis par une cœlioscopie. Ils ont à ce moment seulement constaté un petit épanchement et ont décidé de pour- suivre le traitement par antibiotiques. Mais l’état de la patiente s’est dégradé. Elle a été transférée en réanima- tion. Les gynécologues l’ont alors réopérée, cette fois par laparotomie. Et là, ils ont constaté qu’en quelques heures les annexes s’étaient complètement nécrosées. La patiente est décédée peu après. Le germe incriminé était

un streptocoque qui peut entraîner des infections fulgurantes de ce type».

Pour les médecins aussi . . .

La patiente faisait partie d’une grande famille de narcotrafiquants. Après l’annonce de sa mort, le beau- frère et des connaissances de la famille ont débarqué aux urgences et en même temps en réanimation pour des représailles. Aux urgences, ils sont passés par une porte cassée. Ils ont arpenté les couloirs en détruisant du matériel et en menaçant les chefs. Ils étaient persuadés que le médecin qui s’était occupé de la patiente était un homme et ont donc agressé un chef de clinique. En réanimation, il s’est produit le même scénario et c’est le chef de service qui a été menacé dans son bureau. La police a été appelée mais avec seulement une voiture de quatre policiers disponibles, la situation était incontrô- lable. C’est seulement grâce aux bonnes réactions des personnels médical et paramédical que le pire a pu être évité.

L ’ endométrite

Le diagnostic d’endométrite [1] est facile quand sont associées cliniquement une hyperthermie, des lochies fétides et des douleurs pelviennes. Le bilan biologique recherche un syndrome inflammatoire biologique, même si l’absence d’anomalie sur la numération et la CRP n’excluent pas une infection génitale haute débutante.

L’échographie pelvienne permet de rechercher des signes spécifiques et des complications telles que l’abcès tubo- ovarien. En cas de doute diagnostique, les examens complémentaires utiles sont le scanner abdomino-pelvien et l’IRM en seconde intention et la biopsie de l’endomètre qui a de bonnes spécificités et sensibilités. La cœlioscopie est indiquée en cas de complication. Le diagnostic doit être étayé par des prélèvements vaginaux pour recher- cher des leucocytes altérés et recherche de chlamydia, gonocoque et mycoplasme par PCR, un prélèvement de l’endocol à la recherche de germes aérobies et anaéro- bies, ainsi que des prélèvements tubo-péritonéaux si une cœlioscopie est réalisée.

Dès qu’une infection génitale haute est suspectée, une antibiothérapie probabiliste doit être mise en route précocement, sans attendre les résultats bactériologi- ques, pour préserver la fertilité. Le traitement adapté est une association de clindamycine et de gentamycine en l’absence d’allaitement et de céphalosporine de troisième génération avec ou non du métronidazole durant une dizaine de jours en cas d’allaitement.

En cas d’abcès tubo-ovarien, le traitement relève par contre de la chirurgie, avec préférence pour la voie cœlioscopique, avec une antibiothérapie constituée d’une association ceftriaxone, métronidazole et doxycy- cline.

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Est-ce que j ’ aurais pu éviter cette mort ?

Est-ce que c’était moi le maillon faible de la chaîne de prise en charge médicale en ayant raté le diagnostic d’endométrite ?

Dans le cas de la patiente dont je m’étais occupée, il est difficile de savoir si elle avait un tableau trompeur avec des douleurs postérieures d’infection génitale ou si elle avait une lombalgie puis a développé une endométrite fulgurante à la sortie des urgences. En effet, aucune notion defièvre n’a été décelée à la maternité. Il n’y avait aucune infection sur les prélèvements gynécologiques systématiques en péri-partum.

Certes, à l’arrivée aux urgences, elle avait reçu des anti- inflammatoires ce qui pouvait fausser la température mais je ne lui en ai pas prescrit aux urgences et elle ne s’est pas mise à avoir de la fièvre, alors qu’elle est restée plusieurs heures dans le service. La palpation abdominale n’augmentait pas les douleurs. La patiente ayant déjà vécu plusieurs accouchements, ne s’était pas inquiétée des lochies. Pourtant, inutile de dire que je fais maintenant un examen très détaillé des patients venant pour lombalgie, avec une réévaluation si la douleur gênait l’examen, et que je traque la moindre infection.

Finalement, l’autre partie de la famille de la patiente a voulu prendre en main les choses de façon légale et la mère a porté plainte au commissariat. La plainte pénale a été retenue et une enquête menée par le procureur a été ouverte, avec saisie des dossiers médicaux et interroga- toires de tous les protagonistes, dont moi.

Comment a été géré cet évènement grave par les urgences ?

Cette situation m’a fait réfléchir aux procédures de gestion d’un évènement grave au sein d’un service. Sur certains points j’ai été surprise positivement, sur d’autres points je déplore le manque d’encadrement des équipes lors d’un évènement aussi difficile.

Les points positifs

* Les efforts au sein de l’équipe

Le lendemain de l’évènement, j’ai été encadrée par un des seniors du service ; ma chef était aussi chamboulée que moi. Le senior m’a accompagnée chez la DRH, afin que je ne sois pas seule pour affronter l’administration car on ne savait pas le but de la convocation. Sur le trajet, il m’a raconté ses propres expériences difficiles, avec beaucoup de franchise, en m’expliquant que tout médecin est confronté à une situation difficile tôt ou tard. Il a tout fait pour que je relativise la situation, que je prenne du recul. Mes co-internes ont aussi été d’un grand

soutien ; ils étaient les plus à même de comprendre que la situation était difficile pour moi.

*L’administration de l’hôpital

Lors du rendez-vous avec la DRH, celle-ci s’est montrée rassurante et à l’écoute, expliquant que l’hôpital est « du côté » des médecins et que l’administration est là pour aider à ce que les démarches se passent bien. Elle m’a conseillé de voir le psychologue du travail de l’hôpital.

*La réunion de morbi-mortalité

La réunion de morbi-mortalité a été à ma grande surprise bénéfique. Il n’était aucunement question d’y faire mon

« jugement » comme je l’avais redouté. Il y a eu quelques critiques par des chefs : «la senior qui prenait la garde à 18 h aurait dû refaire le point», «on est dans un hôpital, on peut faire une prise de sang facilement» mais elles ont vite été démontées par la chef de service et certains seniors : la patiente avait été seniorisée, elle était restée jusqu’au soir pour surveillance et donc si aucun élément nouveau ne survenait il était normal qu’elle ne fasse pas l’objet d’un nouveau point. Rien dans ce cas n’indiquait une prise de sang ; les examens complémentaires doivent être prescrits quand on en attend quelque chose. De plus la prise de sang aurait sans doute été normale, le syndrome inflammatoire n’étant pas encore apparu.

La chef de service a vraiment pris le parti de considérer le décès comme un évènement dont le service n’était pas responsable. En parlant de l’absence d’un examen gynécologique elle a déclaré qu’à la place de la patiente elle aurait aussi refusé un examen gynécologique vu l’accouchement récent. Même sur la question de la bandelette urinaire, elle a fait remarquer que la bandelette aurait pu avoir un résultat faussé suite à l’accouchement et les lochies. Et de toute façon, il n’était pas question d’une infection urinaire, la bandelette n’aurait pas sauvé la vie de la patiente.

La suite de la réunion s’est poursuivie sur des sujets généraux qu’inspirait le cas : est-ce que le protocole de surveillance des patients sous morphine est bien accessible à tous, discussion sur l’intérêt du scope pendant la surveillance. Les infirmières de jour ont été félicitées sur la régularité de leur surveillance, bien rapportée dans le dossier.

La chef de service a insisté sur le fait que la patiente est restée six heures aux urgences avec des constantes parfaites, sansfièvre, sans signe de début de choc. Lors de la conclusion de la réunion de morbidité-mortalité, elle a déclaré qu’elle ne voyait rien qu’on aurait pu mieux faire pour éviter la mort de la patiente.

Les points négatifs

*L’absence de communication

Le moment le plus critique pour moi fut l’appel de la DRH le soir de l’évènement, car elle était mal renseignée sur ce que je savais et ne savais pas. Aucun des seniors ne m’en avait parlé, peut-être car ils n’en voyaient pas l’utilité, Témoignage | Une journée particulière

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mais la DRH était persuadée que je savais. Ce manque de communication entre l’administration et le personnel n’est pas un fait nouveau.

J’ai aussi ressenti ce manque de communication lorsque j’essayais d’en savoir un peu plus sur le germe en cause.

Quand je demandais à la senior qui avait été avec moi sur le cas si elle savait le germe, si elle savait où en étaient les investigations judiciaires, elle me disait que ça la déran- geait d’en parler, qu’elle voulait passer à autre chose.

J’aurais bien aimé une réunion avec les réanimateurs et gynécologues ou bien au moins un petit entretien avec la chef de service pour savoir où en était la procédure judiciaire. Seul le senior qui m’avait bien aidée lors du rendez-vous chez la DRH avait la curiosité de se renseigner auprès des réanimateurs et des gynécologues et savait un peu plus ce qui s’était passé et l’avancement des démarches pénales. Il m’a expliqué que peut-être il serait reproché aux gynécologues d’avoir fait une cœlioscopie au lieu d’ouvrir en laparotomie la première fois mais qu’il s’agissait plutôt d’une succession de petites erreurs médicales sans faute médicale à proprement parler.

* L’absence de management

Lors de la réunion de morbidité-mortalité, des infirmières et des brancardiers ont profité qu’on soit réunis avec la chef de service pour reparler de la violence lors de l’attaque aux urgences, de leur vécu et de leur sentiment d’impuis- sance. Ils étaient sous le choc d’avoir été confrontés à un accès de violence non maîtrisable. Mais la réunion avait seulement pour but de revoir la démarche médicale et paramédicale et la chef de service avait simplement répondu «qu’aux urgences, la violence est normale».

De mon côté, j’étais aussi sous le choc, comme ma chef, d’avoir pris en charge une patiente qui était décédée à 21 ans le lendemain sans qu’on n’ait rien vu venir. Mes collègues médecins et internes étaient choqués aussi car cela rappelait à quel point on doit rester sans cesse vigilants et systématiques et que malgré ça parfois on ne peut échapper au pire. Cependant, aucun de nous n’a pu exprimer son ressenti et éventuellement se voir proposer des solutions. Je me suis dit que de tels évènements devraient à eux seuls motiver une réunion, même très simplement, le jour même ou le lendemain, pour prendre en charge le vécu de l’équipe, ou au moins que les personnes ayant les postes d’autorité veillent à ce que chacun vive bien la reprise du travail. La réunion aurait au moins pu informer chacun de ce qui s’était passé car les informations circulaient de bouche à oreille et du coup le problème prenait plus d’ampleur que s’il avait été traité une fois pour toutes. Par exemple le senior qui avait été agressé me posait des questions sur le cas dès qu’il me voyait parce que lui n’avait été là que lors de l’agression, mais je n’avais pas envie de parler de ça dans le couloir des urgences.

* Le manque de préparation pour une procédure judiciaire

Un matin, ma chef est venue me voir en me disant que nous étions convoquées au commissariat et qu’on devait

pour cela se rendre dans le bureau de la juriste de l’hôpital. J’aurais aimé qu’elle m’annonce cela dans son bureau, au calme. Lorsque la juriste nous a reçus, elle nous a expliqué rapidement comment répondre à l’interroga- toire des policiers mais sans expliquer la base : «c’est une procédure pénale, on est convoquées en tant que témoins de l’affaire». J’aurais aimé qu’elle nous explique la suite des étapes de ce genre de procédure. Il était flagrant que ma chef était perdue elle aussi. Durant l’entretien avec la juriste, elle avait demandé si on avait besoin d’un avocat, ce à quoi la juriste avait répondu que non. Ensuite, avant l’interrogatoire au commissariat, elle m’a rassurée en disant «ce n’est rien, j’ai déjà fait ça une fois, tu verras, ce n’est rien de méchant» etfinalement, quand je suis sortie après 3 heures d’interrogatoire, elle avait l’air très inquiète« pourquoi ont-ils eu besoin de t’interroger si longtemps ? Ils m’ont posé des questions auxquelles je ne m’attendais pas...».

Quelles procédures juridiques ?

Dans notre pays, c’est à la victime elle-même ou à ses ayants droit dans le cas de décès qu’incombe la démonstration de la preuve de la faute [2]. Elle doit donc engager une action en justice contre le praticien ou l’établissement responsable des séquelles (figure 1).

Si le médecin exerce à titre libéral (cabinet privé, cabinet de groupe, cabinet dans une clinique ou un établissement de soins privé), deux voies sont possibles :

– La juridiction civile, qui est la plus appropriée pour obtenir la réparation des préjudices subis. Il faut que les faits incriminés remontent à moins de 30 ans et 10 ans avec la nouvelle loi à compter du 4 septembre 2001.

– La juridiction pénale, choisie lorsqu’il existe un désir de sanction exemplaire contre le médecin ou chirurgien, alors que les conséquences de l’acte réalisé par le praticien sont importantes voire gravissimes. La prescrip- tion est de 3 ans en cas de décès involontaire ou ITT>3 mois. Cette solution n’empêche pas d’obtenir secondai- rement la réparation des préjudices subis en se portant partie civile.

Si le médecin exerce dans un établissement public (Hôpital, centre de soins public. . .), les deux juridictions possibles sont les suivantes :

– La juridiction administrative pour laquelle il faut adresser au directeur de l’établissement mis en cause une requête gracieuse. Le délai maximum est de 10 ans après la date des faits incriminés. En cas de refus de l’hôpital ou d’absence de réponse, il est possible de s’adresser directement au tribunal administratif, dans un délai de deux mois après le refus de l’hôpital signifié par courrier, ou de quatre mois après une absence de réponse à la lettre. À noter que depuis la loi du 4 mars 2002, le délai de prescription est aussi de 10 ans pour tous les faits commis depuis le 4 septembre 2001.

– La juridiction pénale peut aussi être choisie, comme dans le cas de l’exercice libéral, lorsque le plaignant

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estime que le praticien a commis une faute lourde et qu’il doit subir une condamnation exemplaire.

La responsabilité pénale du médecin peut être engagée dans deux types de fautes

Faute contre les personnes :

– Non-assistance à personne en danger.

– Morts ou blessures volontaires si traitement abusif involontaire.

– Recherche sans consentement.

– Avortement, abus sexuels.

Faute contre une obligation légale : – Violation du secret professionnel.

– Faux et usage de faux : certificats, corruption.

– Conditions d’exercice non remplies.

– Infraction à la législation sur les stupéfiants.

– Refus de déférer à une réquisition.

En outre, pour qu’il y ait infraction pénale il faut la réunion de trois éléments :

– Élémentmoral: soit intention volontaire coupable, soit faute morale de comportement (acte involontaire mais relevant d’un comportement négligent).

– Élémentlégal: le contenu de la loi.

– Élémentmatériel: c’est l’acte « perturbateur » dans sa matérialité apprécié notamment en considération du préjudice corporel et/ou psychologique de la victime.

La responsabilité administrative du médecin est engagée dans trois types de fautes :

1. Faute médicale.

2. Faute dans l’organisation du service.

3. Faute dans l’exécution des soins.

En France, l’invocation de l’une ou l’autre des responsa- bilités en cas d’exercice dans le secteur public dépend du but attendu. La procédure pénale est source de sanction d’un comportement réprouvé par la société, et les Médecin

exerçant en libéral

Victime /ou ayant-droit

Juridiction civile

Tribunal d’Instance

Tribunal de Grande Instance Plainte au Procureur

Expertise judiciaire

Tribunal de Grande Instance

Réparation des préjudices Condamnation pénale Réparation des préjudices Tribunal correctionnel Tribunal administratif

Juge d'instruction Expertise

Tribunal adminstratif

Juridiction pénale Juridiction

administrative Victime /ou ayant-droit

Établissement public

Action Civile

Figure 1.Schéma récapitulatif des procédures.

Témoignage | Une journée particulière

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procédures civiles et administratives sont sources d’indem- nisation. C’est pourquoi avant de prendre en charge un cas, les avocats ont l’habitude de demander aux plaignants leur principale requête : sanctionner le médecin pour empêcher que d’autres patients en soient victimes ou bien obtenir une réparation, même si les indemnisations peuvent être obtenues dans un second temps en cas de procédure pénale en se constituant partie civile.

Dans le cas de Mme M., il est donc surprenant que le Procureur ait accepté la plainte pénale, l’élément moral sera difficile à démontrer.

Une responsabilité contractuelle

Il se forme entre un médecin et son patient un contrat qui oblige le premier à donner au second des «soins consciencieux, attentifs, en se conformant aux données acquises de la science». Le médecin n’a pas une obligation de guérir son patient, ce qui est le bon sens.

À noter que la jurisprudence a néanmoins admis une part limitée d’obligation de sécurité-résultat en ce qui concerne les dispositifs médicaux (matériel, prothèses. . .) utilisés pour les soins mais cette obligation n’est pas liée à celle de guérir mais à celle de ne pas causer un dommage au patient par ces dispositifs.

L’erreur est humaine et le médecin n’échappe pas à cette règle. Mais toute erreur n’est pas fautive. La distinction entre faute et erreur est subtile.

La médecine est un art et la question est : le médecin a-t-il respecté

les règles de l ’ art ?

L’erreur médicale correspond le plus souvent à une erreur de diagnostic ou une erreur de soins. Il peut s’agir d’une erreur d’appréciation sur les soins ou une mise enœuvre tardive de ceux-ci. Nous retiendrons comme définition de l’erreur médicale l’erreur liée à l’incertitude et les impondérables de la médecine sans faute particulière des professionnels de santé.

La faute médicale consiste dans la mise en cause de la responsabilité du professionnel de santé lorsque celui-ci n’a pas respecté les règles de l’art. Il ne s’agit pas de l’absence de réussite d’un acte médical mais de la mise en cause d’un comportement fautif du professionnel : faute par imprudence, faute dans la préparation ou l’exécution d’un soin. Il peut également s’agir aussi d’un défaut d’information, de l’absence de recueil du consentement.

Nous retiendrons comme définition de la faute médicale qu’il s’agit d’unacte non conforme aux données acquises par la science au moment de sa réalisation.

Avant un arrêt de l’Assemblée du 10 avril 1992, on distinguait trois catégories de fautes :

1. La faute lourde pour les erreurs de diagnostic et de traitement ainsi que les fautes commises lors des interventions chirurgicales.

2. La faute simple pour les soins courants.

3. La faute dans l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier.

L’arrêt susvisé du 10 avril 1992 a mis un terme à l’exigence de la faute lourde. Désormais, on distingue entre la faute commise par le médecin au sein de l’établissement et la faute de l’établissement dans l’organisation et le fonctionnement du service.

En cas de faute du médecin à l’hôpital : en principe, une faute médicale commise dans un hôpital relève de la responsabilité de cet hôpital, s’il s’agit d’une faute de service ; en ce cas, le médecin n’est pas personnellement responsable. Il convient alors d’engager la responsabilité de l’hôpital devant les tribunaux administratifs.

Exemples de responsabilité hospitalière du fait d ’ une faute médicale

Erreurs techniques : pose d’un cathéter jugulaire dans l’artère carotide droite ; non-respect des règles de l’art dans l’injection d’un corticoïde.

Méconnaissance, au cours d’une séance de dilatation de l’œsophage, des règles habituelles d’emploi des sondes utilisées.

Retard dans la décision médicale de transférer un nouveau-né vers un service spécialisé en matière néona- tale.

Retard ou erreur de diagnostic : Le juge administratif apprécie les conditions et les difficultés de l’établissement pour déterminer s’il y a faute médicale ou non.

Il existe des exceptions

à la responsabilité de l ’ hôpital en cas de faute médicale

– Si le médecin exerce en secteur privé de l’hôpital.

– Si le médecin a commis « une faute personnelle détachable du service ». Il s’agit d’une faute « qui relève d’un manquement inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique » (Cour de cassation, 2 avril 1992). Exemples : refus de soigner un patient, retard dans l’intervention...

– En cas de faute de l’hôpital. En principe, il faut prouver une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier. Il s’agit d’une faute caractérisée, une faute spécifique. Le défaut de surveillance est fréquemment invoqué par les victimes. À cet égard, l’obligation de surveillance s’impose durant toute la durée de l’hospitalisation et parfois même au-delà. Exemples : – Défaut de surveillance d’un patient installé sur un matelas chauffant défaillant ;

– Défaut de surveillance obstétricale d’une patiente dont l’accouchement par césarienne avait été différé de 3 heures, pour une autre urgence, alors qu’il s’agissait d’une grossesse à haut risque ;

– Défaut de surveillance dans un service psychiatrique.

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La présomption de faute ou

responsabilité sans faute de l ’ hôpital :

Dans les cas suivants, il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve d’une faute.

– En matière d’information du patient. Ce fondement permet une indemnisation plus large des patients qui ont du mal à trouver une véritable faute médicale ;

– En matière d’infections nosocomiales ;

– Lorsque les conséquences dommageables d’un acte de soin sont disproportionnées par rapport au caractère banal et bénin de cet acte (par exemple pour un cas de paralysie suite à une piqûre ;

– En cas de fonctionnement défectueux du service public, par exemple pour un rapt de bébé dans une maternité ; – En cas de contamination par transfusion : la responsa- bilité en matière de transfusions.

~

Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

RÉFÉRENCES

1. Collège National des Gynécologues et Obstétriciens français. Recommandations pour la pratique clinique. http://www.cngof.fr/pratiques-cliniques/recommanda- tions-pour-la-pratique-clinique?folder=RPC%2BCOLLEGE.

2. Rouge-Maillart C. Introduction sur le principe de responsabilité. https://docplayer.

fr/442950-La-responsabilite-medicale-docteur-clotilde-rouge-maillart-mcu-ph- angers-introduction-sur-le-principe-de-responsabilite.html.

3. Galam E. L’erreur médicale, le burnout et le soignant. Paris : Springer, 2012.

4. Observatoire National des violences en milieu de santé. https://solidarites-sante.

gouv.fr/professionnels/ameliorer-les-conditions-d-exercice/observatoire-national-des- violences-en-milieu-de-sante/onvs..

Continuer la peur au ventre

– Le plus difficile,finalement, a été d’être confrontée à une procédure judiciaire [3], n’y étant pas préparée et n’y connaissant rien. De plus c’est la voie pénale qui a été retenue, la plus impressionnante pour les méde- cins.

– J’avoue que j’ai eu peur pour mon intégrité. Même si l’insécurité [4] est de plus en plus reconnue elle est encore loin d’être toujours assurée pour les soignants.

– J’ai quand même continué mon cursus et je suis maintenant docteur en médecine. J’espère ne plus jamais revivre de situations identiques.

Témoignage | Une journée particulière

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