• Aucun résultat trouvé

DE LA GUERRE DU FER A CELLE DU PÉTROLE

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "DE LA GUERRE DU FER A CELLE DU PÉTROLE"

Copied!
12
0
0

Texte intégral

(1)

DE LA GUERRE DU FER A CELLE DU PÉTROLE

Bien des mois se sont écoulés depuis le jour où nous attirions l'attention des lecteurs de la Revue sur le rôle que les grandes matières premières étaient appelées à jouer au cours de cette guerre. Nous avions indiqué les opérations de ravitaillement préalable que nos adversaires étaient dans l'obligation d'effectuer, par la persuasion ou la force, chez les neutres qui en étaient les malheureux possesseurs, s'ils vou- laient se procurer les approvisionnements nécessaires à sa conduite.

L'intimidation n'ayant pas suffi vis-à-vis des peuples Scandinaves, les Alliés s'étant mis, d'autre part, avec quelque retard d'ailleurs, en travers de leurs projets nordiques, la guerre du fer est commencée.

Logiquement, elle devrait se compléter par une guerre parallèle du pétrole vers le sud-est, à moins que le Reich ne parvînt encore une fois à obtenir de la bonne volonté roumaine et russe les approvisionnements qui lui font défaut.

Notons qu'avec la constitution du front norvégien, ses besoins vont grandir; les opérations maritimes ont brûlé beaucoup de mazout et celles qui commencent à se déve- lopper sur terre consommeront de l'essence et du gas-oil en quantités importantes. Lesdits besoins vont sans doute approcher du million de tonnes par mois qui avait été prévu jadis par les économistes du Reich et par moi-même pour une

(2)

période de guerre active. C'est donc l'heure de se pencher de nouveau sur ce problème et d'en mettre en pleine lumière toutes les données.

Le pétrole russe. — Actuellement, la Russie est équipée pour faire face uniquement à ses besoins nationaux du temps de paix. Toute sa culture est en effet motorisée sous forme soit de collectivités paysannes appelées kolkhozes, soit d'en- treprises d'État dénommées sovkozes. Celles-là couvrent 370 800 000 hectares, celles-ci 51 100 000 seulement ; mais ce sont elles qui constituent, aux yeux des bolchevistes, les modèles de la communauté. Sur les 135 millions d'hectares ensemencés en 1937 (1), 120 955 000 étaient travaillés au tracteur (2). Comme cette machinerie, déjà considé- rable dans les exploitations de la première catégorie, se trouve quadruplée dans celles de la seconde, on conçoit que la consommation annuelle d'essence agricole soit énorme (3).

Or, en Russie, la production d'essence est très faible par rapport au tonnage de pétrole brut traité. D'après les rensei- gnements qui nous étaient récemment fournis par la revue soviétique VIndustrie pétrolifère (4), le pourcentage des pro- duits clairs extraits en 1937 ne dépassait pas les chiffres suivants : essence 11,5 pour 100 ; légroine 4,9 pour 100 ; lampant (5) 39 pour 100.

Il en est résulté que, cette année-là, 60 pour 100 de la production totale ont été consommés par l'agriculture, tandis que 40 pour 100 seulement allaient aux transports automo- biles, au ravitaillement des avions et des machines de guerre.

Quant aux produits lourds, ils étaient totalement brûlés par la flotte et les chemins de fer. Depuis lors, les besoins natio- naux se sont encore sensiblement accrus, si bien que quelques

(1) Kolkhozes et entreprises individuelles : 120 045 000 hectares ; sovkozes : 15 100 000 hectares.

(2) Le chiffre des tracteurs était à cette époque de 356 800 avec une force de 6 679 000 CV.

(3) La consommation annuelle d'essence par les seuls tracteurs atteignait en 1937 de 1 600 000 à 2 millions de tonnes sur une consommation totale de 3 400 000.

(4) Numéro 3 de l'année 1939.

(5) Les Russes avaient organisé leur fabrication en vue avant tout de fournir ù leur population le pétrole nécessaire à l'éclairage.

(3)

Dli LA GUERRE DU l'Kl! A CELLE DU P É T R O L E . 2Và

centaines de mille tonnes seulement avaient pu être exportées en 1939.

Cette situation du temps de paix nous fait toucher du doigt les conséquences que l'expédition de Finlande a pu entraîner au point de vue des approvisionnements de la Russie.

Cinquante divisions, soit le tiers de l'armée russe, et onze bri- gades mécanisées sur quarante-six ont, en effet, été engagées au cours de ces quatre mois de bataille. Rien qu'en essence, la consommation a dû atteindre au minimum un million de tonnes, soit le tiers de la production annuelle soviétique. Non seulement, par conséquent, tout espoir d'exportation en Allemagne disparaît pour cette année, mais les ensemence- ments et les rentrées des récoltes soviétiques pourraient même s'en trouver fort troublés. Ainsi s'explique la hâte qu'a manifestée Hitler, il y a quelques semaines, de voir ses amis de l'est conclure la paix. Du même coup s'accroissent nos regrets que la coalition n'ait pas compris l'immense intérêt qu'elle avait à continuer à pomper les réserves d'essence de l'U. R. S. S. par sa participation armée aux côtés de la Finlande. Pour l'année 1940, en tout cas, l'aide possible à l'Allemagne est réduite à zéro.

Dans un avenir plus éloigné, en revanche, elle pourrait s'élargir sérieusement. Les richesses du sous-sol russe sont incontestables. Des gisements importants (1) existent dans la région située entre la Volga et l'Oural, qui produisent déjà 1 300 000 tonnes par an ; c'est sur eux que les nazis ont jeté les yeux. Ils ont conclu une entente selon laquelle le surplus de la production qu'ils parviendraient à y réaliser leur serait attribué ; ils ont même envoyé quelques techniciens sur place.

Bien que ceux-ci soient assez rares en Allemagne, nos adver- saires n'en distrairont pas moins un nombre suffisant pour mener à bien une œuvre vitale pour leur économie de guerre.

Les Allemands disposent d'ailleurs d'un autre moyen d'accroître la production d'essence russe ; il est d'ordre tech- nique et consiste à modifier le traitement du « brut » en vue d'accroître le pourcentage de l'essence extraite de chaque tonne de pétrole. A cet égard, la revue soviétique que nous citions tout à l'heure estime qu'on pourrait le porter de 11,5

(1) Les Services géologiques russes évaluent leurs réserves à 1 milliard de tonnes.

(4)

à 20,4 pour 100 d'ici 1942 (1). Si les Russes restaient livrés à eux-mêmes, une pareille transformation resterait longtemps encore lettre morte. Avec le concours de leurs voisins, qui possèdent la volonté et les connaissances qui leur manquent, elle pourrait être assez rapidement menée à bien. Reste à savoir si, l'opération une fois réalisée, les Russes seraient encore incités par la situation militaire du moment à faire à leurs voisins de pareils cadeaux.

Théoriquement, par conséquent, les Allemands n'ont pas grand chose à attendre de la Russie dans les mois qui vont suivre, sauf peut-être quelques milliers de tonnes d'huiles de graissage qui seraient les bienvenues outre-Rhin (2).

L'avenir lointain est plus incertain.

Le pétrole roumain. — La Roumanie est dotée de gisements bien moins puissants que sa grande voisine, mais leur pro- duction dépasse en revanche largement ses besoins. Aussi, sur ses 6 millions d'extraction annuelle, n'en consomme-t-elle que le tiers (3) et exporte-t-elle le reste dans toute l'Europe (4 178 000 tonnes en 1939). D'autre part, comme ses raffineries sont beaucoup mieux conçues techniquement que celles de l'U. R. S. S., elles produisent une proportion beaucoup plus importante d'essence. En 1938, sur 6 227 602 tonnes de « brut » traitées, 1528 587 tonnes d'essence en étaient extraites, soit une proportion de 25 pour 100. Nous sommes loin des chiffres russes ! Il y a donc là pour le Reich une source d'ap- provisionnement d'autant plus intéressante que, de tout temps, l'exportation de nos amis roumains a porté princi-

palement sur l'essence et les huiles de graissage dont l'éco-

(1) Pour une tonne de brut, on devrait réaliser le pourcentage suivant : 1937 1942 1942

(vieilles (nouvelles usines) usines) Essence obLenue par traitement direct. . . 4,930 5,85 » Cracking 13,3 15 85 42 à 45

Total 18,23 20,85 42 à 45 (2) Les Russes produisent annuellement 2 millions de tonnes d'huiles de graissage ; ils n'en ont exporté en 1938 que 60 000 tonnes, dont 33 000 en Alle- magne. La campagne de Finlande a dû supprimer pour l'année 1940 toute possi- bilité de vente à l'extérieur.

(3) 200 000 tonnes,' auxquelles il faut ajouter 125 000 tonnes de pertes à la fabrication et au cours de la distribution.

(5)

DE LA GUERRE DU FER A CELLE DU P É T R O L E . 2 1 5

nomie hitlérienne éprouve aujourd'hui un si cuisant besoin.

Cette situation assez particulière du marché commercial des dérivés du pétrole roumain s'explique en grande partie du fait que ce grand É t a t balkanique se trouve dépourvu de houille. Plutôt que d'en importer, il s'efforce d'utiliser au maximum le fuel-oil pour alimenter son industrie et ses trans- ports ferroviaires. Comme sa circulation automobile et sa culture mécanique sont encore peu développées (1), il ne retient pour cet usage qu'un chiffre infime d'essence et d'huile de graissage. Il a pu ainsi, en 1939, exporter respectivement 1 595 341 tonnes de l'une et 41247 tonnes de l'autre.

Or, toujours d'après l'avis des experts en la matière (2), les besoins de l'Allemagne concernant ces deux produits s'élèvent respectivement à 3 400 000 et 1 150 000 tonnes pour une année de guerre active. Comme cette puissance n'en produira au maximum, cette année, que 1 500 000 tonnes (3) d'une part, et 350 000 tonnes d'autre part, elle a voulu, depuis le début de la guerre, accroître au maximum sa parti- cipation en Roumanie. Elle a d'abord essayé d'intimider cette Puissance, puis, pour travailler plus à son aise sur son territoire, elle a mis la main sur la Foraky Romanesca, petite société de pétrole d'un débit journalier de vingt-cinq wagons ; elle s'efforce actuellement de faire une opération similaire avec la société Petrolul Romanesco (4) ; elle a conclu enfin un accord commercial pour une fourniture annuelle de 1 800 000 tonnes de produits pétroliers qui correspond exactement à ses besoins de guerre en essence et en huiles de graissage.

Nul doute que les nazis ne poursuivent énergiquement cette politique dans l'avenir.

LES ROUTES DU PÉTROLE RUSSE ET ROUMAIN

La question du ravitaillement allemand comporte un deuxième aspect, celui des possibilités d'acheminement du

(1) Elle possédait 41 000 automobiles en 1938, dont 21 500 voitures de tourisme, 7 550 camions, 2 685 autobus, 2 005 tracteurs, 2 886 motocyclettes. (Extrait de Petroleum Press, 6 avril 1940.)

(2) Voir notre livre: l'Allemagne face à la guerre totale, page 157 ; Grasset, 1940.

(3) Si toutes les usines d'hydrogénation en cours de construction sont terminées.

(4) Elle fonde, parallèlement, une Société « Solagra » pour la culture des plantes oléagineuses dont la production lui sera intégralement réservée.

(6)

pétrole des sources extérieures de production jusqu'aux régions d'utilisation. C'est là un problème fort délicat à résoudre, car la précieuse matière ne peut se transporter que dans des bateaux, wagons ou camions spécialement construits à cet effet ; sa manipulation exige, en outre, des ports ou des gares outillés, et dotés des moyens de stockage adéquats. Nous allons, tenant compte de ces nécessités, voir par quels pro- cédés l'Allemagne serait capable d'amener à pied d'œuvre le tonnage dont elle aurait pu s'assurer la possession chez ses voisins de l'est et du sud-est.

Les transports par terre s'éliminent d'eux-mêmes. Ils réclameraient l'emploi d'une armée de camions, qui consom- merait en pure perte une quantité considérable de carburant.

Ni la Russie, ni la Roumanie, qui possèdent à peine les effectifs de voitures suffisants à leur trafic intérieur, ne seraient susceptibles de fournir le moindre appoint au Reich.

Quant à celui-ci, il a dû, à la mobilisation, affecter, comme nous-mêmes, la plupart de ses camions du temps de paix aux armées d'opérations, et il se trouve déjà démuni lorsqu'il s'agit simplement de faire face à ses besoins intérieurs ; s'il voulait par surcroît, employer ce mode de ravitaillement pour ses importations, il devrait construire tout d'abord du matériel en grande série ; ses aciéries et ses ateliers de fabrication privés du fer suédois ont probablement des problèmes plus urgents à résoudre. Seuls, le chemin de fer et l'eau semblent, en fin de compte, capables de faire face à la situation.

Les communications ferroviaires de VEst allemand. — Les chemins de fer de l'Est allemand situés en dehors de la zone des opérations de guerre et des transports industriels semble- raient, à première vue, devoir permettre un sérieux trafic d'importation de produits pétroliers. Il est impossible de fixer a priori le tonnage russe ou roumain qui pourrait passer par cette voie. N'oublions pas, en tout cas, que 2 500 trains de 40 wagons de 10 tonnes chacun sont nécessaires pour trans- porter 1 million de tonnes de pétrole.

Or, le réseau russo-allemand, d'une part, est grevé dans cette région de lourdes hypothèques. La Russie des tsars avait jadis fait converger toutes ses voies ferrées occidentales vers Varsovie, centre politique de ses provinces de l'ouest. La

(7)

DE LA GUERRE DU FER A CELLE DU PÉTROLE. 217

Pologne, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, d'autre part, n'ont pas cherché, après la dernière guerre, à accroître leurs communications ferroviaires ni entre elles, ni avec la Russie, ni avec l'Allemagne. Le réseau polono-soviétique en parti-

culier est resté aussi réduit que négligé.

Une excellente ligne à deux voies réunit cependant Cra- covie à l'ancienne frontière de l'U. R. S. S. Celle-ci se trans- forme malheureusement en voie unique dans la dernière partie de son parcours ; pour lui donner toute sa valeur, il

conviendrait d'abord de doubler ce secteur.

Les trois autres lignes venant de Russie forment, comme nous venons de le dire, un éventail dont la poignée se trouve à Varsovie ; elles sont toutes à voie unique et deux d'entre elles se confondent entre Brest-Litowsk et Varsovie (1). Elles présentent en outre, comme toutes les lignes internationales de cette région, un inconvénient très grave pour le ravitail- lement de l'Allemagne, celui de ne pas avoir le même écar- tement des rails de chaque côté de l'ancienne frontière russo- polonaise. A supposer que les Soviets transforment leurs lignes, sur la partie qu'ils ont occupée, à leur gabarit national, il n'en resterait pas moins que les charges de denrées devraient être rompues à leur entrée en Allemagne, à moins que des wagons-citernes nouveaux ne fussent construits, dotés d'un système leur permettant de modifier l'écartement des roues à la demande du réseau sur lequel le matériel est utilisé.

Quant à la Roumanie, elle est reliée à l'Allemagne par une seule ligne directe qui traverse l'ancien territoire polonais, actuellement soumis aux Russes, mais dont ces derniers lui ont laissé le contrôle temporaire (2). A travers la Hongrie, elle dispose de deux lignes presque entièrement à voie unique (3), mais qui se rejoignent avant d'atteindre Budapest.

Toutes ces constatations nous incitent à croire que, même si la guerre devait durer plusieurs années, le ravitaillement allemand venant de Russie ou de Roumanie, par chemin de fer, ne pourrait se développer qu'au prix d'un effort considé- rable d'amélioration de l'infrastructure.

(1) La ligne Leningrad-Wilno-Kônigsberg permettrait aussi un certain ravitaillement

(2) 100 kilomètres seulement sont à double voie.

(3) 200 kilomètres à double voie sur 1 200 kilomèlres.

(8)

Cet eil'ort devrait d'ailleurs se compléter par un dévelop- pement parallèle du matériel roulant. Les wagons-citernes qui existent actuellement dans les trois pays sont entièrement consacrés à satisfaire leurs besoins intérieurs. En Russie, ils sont utilisés par la culture ; en Allemagne, la presque totalité se trouve mobilisée au service des armées. Les fabrications militaires, qui doivent être poussées partout avec la plus grande intensité, ne permettent certainement pas de cons- truire, en même temps que des canons et des tanks, des wagons en nombre suffisant. La distance à parcourir de Bakou ou de Roumanie pour atteindre les bords du Rhin représente d'ailleurs respectivement 4 000 et 2 000 kilo- mètres ; combien faudrait-il immobiliser de matériel roulant pour acheminer par chemin de fer des quantités même réduites ? Un tel transport semble donc un mythe.

Le Danube. — Le Danube apparaît sur les cartes géogra- phiques comme un des plus beaux fleuves de notre continent.

Heureusement pour les Alliés, sa valeur économique est fort inférieure à ses apparences. La navigation y demeure en effet toujours assez précaire ; le fleuve gèle pendant quatre mois environ presque tous les ans, de la mi-novembre à la mi-mars. Cette année, en raison de la rigueur de l'hiver, la débâcle ne s'est même produite qu'avec treize jours de retard et les inondations ne sont pas encore terminées au moment où nous écrivons ces lignes. Pendant la période de sécheresse estivale, d'autres inconvénients surgissent sous la forme de bancs de sable qui viennent encombrer la partie inférieure du fleuve. On a bien, pour parer à cet inconvénient, construit, il y a quelque quatre-vingts ans, le long des Portes de Fer, un canal fort étroit dont la mise hors de service semble, entre parenthèses, un jeu d'enfant, mais cette mesure locale ne suffit pas pour rendre à la voie d'eau toute sa puissance, et une réduction des cargaisons qui l'utilisent continue à s'im- poser au cours de la plupart des mois d'été.

La navigation sur le Danube s'effectue avec des bateaux de trois catégories différentes : les. grands, qui remontent jusqu'à Budapest; les moyens, qui s'avancent jusqu'à Linz ; les petits enfin, qui, eux, sont susceptibles de gagner Ratis- bonne, L'Allemagne, pour que les cargaisons puissent

(9)

DE LA (.UERKE DV FEU A CELLE LU P É T R O L E . 21'.)

atteindre ses ports nationaux, doit donc en tout temps ou en rompre les charges à Budapest pour les transférer sur des embarcations convenant aux bassins moyen ou supérieur du Danube, ou, si elle préfère effectuer ses voyages de bout en bout, n'y consacrer que des navires de faible tonnage.

La flotte qui navigue sur ce grand fleuve est sans doute importante, puisqu'elle comprend, d'après les documents offi- ciels allemands, sans tenir compte des bateaux français ou anglais, 793 201 tonnes (l),mais elle ne comporte que 191 000 tonnes de chalands pétroliers, dont 63 496 tonnes seulement appartiennent à des sociétés battant pavillon allemand (2).

Tandis que le pétrole russe pénètre dans le fleuve à Sulina, Galatz et Braïla, où s'effectue le transfert de la marchandise sur chalands, celui de Roumanie s'embarque dans le porl de Giurgiu, qui est relié par pipe-line à la région de Ploesti, zone des grandes raffineries. Ce pipe-line, qui a été cons- truit pour faire face aux besoins du temps de paix, n'a pas une puissance indéfinie ; mais si les Roumains vou- laient en accroître le débit, ils n'éprouveraient aucune dif- ficulté à le doubler. La construction pourrait même être menée à bien en fort peu de temps.

Avant la guerre, le Danube transportait chaque année 700 000 à 800 000 tonnes de produits pétroliers pour le Reich. Hitler, après YAnschluss, trouvant ce tonnage insuffi-

(1) 392 789 tonnes de navires allemands ou tchèques.

125 098 — — hongrois.

255 814 — — yougoslaves.

19 500 — — hollandais.

793 201 tonnes.

Cet ensemble appartient à une dizaine de sociétés dont la situation financière demeure toujours assez précaire, en raison des difficultés de navigation que nous exposions tout à l'heure et de la fréquente pénurie de fret à la descente, surtout dans les années de mauvaise récolte.

(2) Flotte pétrolière du Danube :

Allemagne 63 496 tonnes de chalands.

Roumanie 38 174 — —.

Yougoslavie 31 536 — — Hongrie 13 771 — — Angleterre 17 170 — — France 10126 — — Pays-Bas 16 957 — — L'Allemagne possède en outre 5 444 tonnes de remorqueurs, et l'Angleterre 4 320 tonnes.

(10)

sant, songeant probablement à l'éventualité d'une guerre prochaine, avait conçu un vaste programme d'amélioration du régime du fleuve et d'équipement de ses ports, en vue notamment de permettre aux pétroliers de 1500 tonnes d'atteindre Vienne. Pendant les quelques mois qui ont pré- cédé l'ouverture des hostilités, les travaux avaient été, heu- reusement pour nous, poussés avec une certaine mollesse ; la

situation n'a donc pas subi jusqu'ici de changements profonds.

Nous retrouvons bien là le tempérament de Hitler, s'engouant pour une œuvre, la désirant grandiose, puis se passionnant pour une autre idée et abandonnant finalement la réalisation de ses premiers projets. Aussi, le Pester Lloyd(l), étudiant, documents en mains, les possibilités de transport de l'Alle- magne par le Danube, pouvait-il affirmer récemment qu'avec ses bateaux propres, accomplissant chacun neuf voyages annuels entre Braïla et Vienne, le Reich ne pourrait guère transporter plus de 1120 000 tonnes (2) par an, c'est-à-dire l'approvisionnement nécessaire à un mois de guerre active.

Cette estimation me semble toutefois un peu faible, étant donné que, depuis l'ouverture des hostilités, les Allemands ont transporté sur ce fleuve une partie de leurs chalands rhénans.

Il est bien évident d'ailleurs que si les autres Puissances riveraines mettaient une partie de leurs flottes à la dispo- sition du Reich, sa situation se trouverait notablement améliorée. Heureusement pour nous, la Hongrie et la Yougo- slavie ont besoin d'un tonnage de 500 000 tonnes environ qu'elles ne peuvent céder sous peine de suicide ; quant à la flotte franco-anglaise, bien entendu, elle reste en dehors du jeu.

Seules les 17 000 tonnes de bateaux hollandais pourraient peut-être constituer un appoint.

Avec le temps, en revanche, l'Allemagne, si la Belgique et l'Italie lui fournissaient les chalands qu'elle a commandés depuis plusieurs mois déjà à leurs chantiers, pourrait accroître notablement son trafic. Pour le moment, j'estime, afin de rester dans des limites raisonnables, qu'il est susceptible d'atteindre 1200 000 à 1300 000 tonnes en 1940... sauf accidents!

Les riverains du Danube, en effet, s'ils abandonnaient un jour leur neutralité, s'empresseraient d'arrêter ces trans-

(1) Numéro du 10 mars 1940.

(2) Soit 2 800 trains de 40 wagons de 10 tonnes.

(11)

LIE LA GUERRE DU FER A. CELLE DU PÉTROLE. 2 2 1

ports. Ce simple geste pourrait avoir les plus graves consé- quences pour la suite des opérations allemandes, et c'est pourquoi le Reich pèse actuellement de toutes ses forces sur leurs gouvernements pour obtenir le contrôle absolu de la navigation du fleuve.

Que va faire l'Allemagne après la perte du fer Scandinave ? Nous ne nous hasarderons pas à le prophétiser, d'autant plus que nos adversaires possèdent des réflexes qui échappent souvent à tout contrôle. En tout cas, leur régime politique . est atteint d'une tare congénitale : l'obligation du mouvement perpétuel. Il se maintient uniquement par le prestige que son

« dynamisme » exerce sur les jeunes imaginations du Reich.

Tout arrêt lui est interdit après une victoire, à plus forte raison au lendemain d'une défaite. Tant qu'on se battra en Scandinavie, Hitler évitera peut-être de s'engager ailleurs.

Mais le jour où il aura perdu tout espoir de mettre la main sur le seul gisement capable d'alimenter sérieusement sa métal- lurgie, convaincu dès lors de l'incapacité de suivre le rythme des fabrications alliées, sentant par là même se rapprocher l'heure de l'échéance fatale, il se résignera probablement à jouer sa dernière chance dans une grande et longue bataille.

Celle-ci consommera naturellement beaucoup de pétrole ; le Reich n'en est certes pas démuni, mais ses réserves sont limitées. Pour avoir de meilleurs atouts en mains, il voudra chercher avant l'échéance fatale à les accroître au maximum.

Où peut-il les trouver, comment peut-il les transporter, nous venons de le dire ; et le résultat de notre étude se résume finalement en quelques propositions fort simples que les Alliés ne devraient jamais perdre de vue s'ils veulent remporter la victoire. Les voici :

La Russie, épuisée par la campagne de Finlande, ne peut rien fournir à ses voisins en 1940.

La conquête du Danemark et l'occupation temporaire de la Norvège ont pu accroître les réserves nazies de 400 000 tonnes de produits pétroliers, dont 175 000 tonnes d'essence, qui sont d'ailleurs déjà complètement brûlées à l'heure où nous écrivons ces lignes (1).

(1) En 1939, le Danemark a importe 885 729 tonnes de produits pétroliers, dont 341 580 tonnes d'essence ; la Norvège, 698 000 tonnes de produits pétroliers,

(12)

La Roumanie, en revanche, est capable, et elle est seule capable, de mettre à la disposition de l'Allemagne 1 500 000 tonnes d'essence qui, jointes aux 1500000 tonnes du même produit que l'hydrogénation de la houille lui apportera en 1940 et aux stocks trouvés au Danemark et en Norvège, lui permettront de mettre en œuvre ses machines de guerre au cours de cette année.

Sans doute, l'Allemagne n'aura ainsi ni gas-oil, ni fuel-oil, ni brais, et ne pourra disposer que d'une quantité insuffi- sante d'huiles de graissage ; elle n'en conservera pas moins la possibilité de se battre.

La possession de la Roumanie présente dès lors un tel attrait qu'on ne voit pas comment l'Allemagne éviterait la tentation de mettre la main sur ses richesses. Mais, ce rapt accompli, nos ennemis ne seraient pas beaucoup plus avancés s'ils n'étaient maîtres de la navigation du Danube.

C'est pourquoi la question du Danube devient si brûlante.

On a commencé à la traiter à coups de papier, le Reich demandant à prendre en mains le contrôle de la navigation, les riverains s'y refusant par la voix de la Commission inter- nationale du Danube, qui maintient énergiquement ses droits de veiller à la. liberté et à la sécurité du grand fleuve. Nos adversaires ne se considèrent cependant pas comme battus ; passant de la diplomatie à la violence, ils préparent partout sur ses rives avec une activité croissante, depuis la Rou- manie jusqu'à la Yougoslavie, des soulèvements spontanés, afin d'obliger tel pays à lui vendre son essence, tel autre à la laisser passer. Les Alliés comprendront-ils que la victoire dépend de la fermeture du Danube ? Les neutres se laisse- ront-ils manœuvrer quand ils aperçoivent, prêtes à les défendre, les baïonnettes du général Weygand, qui se pro- filent sur le ciel d'Orient ? C'est là le secret d'un très proche avenir.

SERRIGNY.

dont 247 302 tonnes d'essence. Comme, en principe, les approvisionnements com- merciaux sont constitués pour trois mois, les Allemands ont dû trouver respecti- vement 400 000 tonnes de produits pétroliers et 175 000 tonnes d'essence dans ces deux pays.

Références

Documents relatifs

J'ai compris que pour mener à bien ma tâche : faire un film digne de notre guerre populaire, il fallait que le cinéaste, et avec lui son équipe, s'intègre complètement

Bien que l'évolution vers un plus grand développement des wa- gons dits spéciaux (wagons trémies, wagons pour transport de véhicules, des produits sidérurgiques, etc..) ne soit

Plus encore, la position particulière de ce groupe, sous-groupe de notre société, nous fournit l’illustration d’une éducation corporelle préparant les sujets non seulement à

Parmi ces pays, ils sont plusieurs aujourd’hui à fi gurer sur la liste des alliés contre la Russie, et leurs démarches ont déjà été entamées auprès des pays membres

FDR moyen (Dhs) : le Fonds De Roulement (FDR) mesure les ressources (hors chiffre d'affaires) dont l'entreprise dispose à moyen et à long termes pour financer son exploitation

une offre préférentielle pour l’achat d’un nouvel outillage en remplacement de votre actuel «non conforme» (votre matériel non conforme vous sera renvoyé).

Notices thématiques en relation (5 ressources dans data.bnf.fr).. Termes plus

a) temps d'attente d'entree en atelier trop longs, n peut s'agir soit d'une mauvaise programmation de l'entretien preVentif, soit du non respect de cette programmation ou de