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Giono ou la rondeur des mots : le familier comme
vecteur de poéticité
Marion Stoïchi
To cite this version:
GIONO OU LA RONDEUR DES MOTS : LE FAMILIER COMME VECTEUR DE POÉTICITÉ
Marion Stoïchi « Mes paysans parlent comme ceux de Regain, exactement. »1 écrivait Jean Giono à
Henri Poulaille dans une lettre datée du 24 octobre 1930. La mise en italique, procédé d'insistance notamment chez ce romancier, pose d'emblée la question du rapport entre l'écrivain et les « paysans » dont il fait mention avec un possessif. Cette interrogation permet de soulever un paradoxe typique de cet auteur. En effet, lui qui se dit être simple « phonographe »2 de « disques paysans » dans sa Présentation de Pan tendrait vers le
réalisme, la parole familière car rapportée « exactement » d'un milieu rural, sans grande instruction.
Pourtant, si Giono dépeint la campagne provençale avec force de provençalismes, de langue volontairement fautive comme il le concède lui-même, c'est pour dépeindre un « Sud
imaginaire ». Aussi, l'expression « mes paysans » désignerait à la fois la réalité perçue par le
romancier et son correspondant fictionnel : le réel et l'imaginaire liés par le familier dans les multiples acceptions du terme. En somme, si la réalité sert effectivement de base à la création littéraire, il faut une part d'imaginaire au risque de « fatiguer tout le monde avec des récits
véritables »3 comme le faisait Télémaque dans Naissance de l'Odyssée. Giono, exprimait
également cette idée dans la troisième préface de Colline : présentant son expérience dans la banque où « il [lui] fallait gagner [sa] vie avec la connaissance du cœur humain » comme « une excellente école. Le reste, comme on dit, est littérature. »4
Ce réalisme d'apparence qui sert donc de décor à l'évolution des personnages mêle lieux et expressions réels et fictifs, fautes langagières de l'oral et métaphores poétiques. Pourtant, nombreux sont les critiques ayant fustigé ce recours à la langue tronquée, oralisée5,
desservant la littérature et l'usage du parler comme l'exprimait par exemple André Rousseaux : « ce souci de parler, pour ainsi dire, à l’œil intérieur, c'est justement une des causes de la 1 J. Giono, lettre du 24 octobre 1930, « Correspondance Jean Giono-Henri Poulaille » in Bulletin de
l'association des Amis de Jean Giono, n°36, 1991, p38
2 Jean Giono, Présentation de Pan, Œuvres Romanesques Complètes I, Ed. Pléiade, p761
3 J. Giono, Naissance de l'Odyssée, Œuvres romanesques complètes I, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1971, p113
4 J. Giono, « Préface à la troisième édition de Colline » in Œuvres romanesques complètes I, op. cit., p950 5 T. Maulnier, « M. Giono, les paysans et la guerre », Revue universelle, 15 janvier 1939 : considère Jean
déformation artificielle que beaucoup d'artistes font subir à la langue : ils la torturent [...] »6
Cet usage d'une langue contrastée serait en fait la condition d'une poéticité alliant « réalisme » (au sens gionien) et modernité tant dans la forme que dans les sujets ce que nous nous attacherons à démontrer. En nous appuyant en particulier sur l'ouvrage de Jérôme Meizoz, L'âge du roman parlant7, nous commencerons par présenter les marques et
caractéristiques de cette oralisation de l'écriture a priori dans un but réaliste. Mais il ne s'agit que d'un réalisme de surface. On prendra alors pour exemple Les Âmes fortes pour étayer notre argumentation. Cette vraisemblance ayant pour sujet la société paysanne serait en fait, au-delà de la modernité narratologique et générique, une manière d'user de la littérature comme d'un devoir démocratique. Dire le vrai et ses ambivalences, et non uniquement la norme, permettrait l'émergence d'une poéticité toute musicale, plus sensuelle par-delà le savoir académique.
I. LA PAROLE FAMILIÈRE CHEZ JEAN GIONO : L'ORALISATION DU DISCOURS
1. Le lexique et les verbes de parole
Le langage familier est le plus souvent associé à la langue orale. Aussi, il n'est pas étonnant de trouver chez Jean Giono une forte prégnance de cette oralité caractéristique d'une tendance selon Paul Nizan qui écrivait dans un article de l'Humanité daté du 15 juillet 1936 que : « Il est très remarquable que le roman français s'oriente visiblement vers la recherche
d'un style parlé, chez des écrivains comme Giono, Aragon et comme Céline. »
Dans ce qui s'annonce être une modernité du genre romanesque, le livre donne l'illusion que l'on nous parle directement à l'oreille, qu'il impose une parole vive par-delà la lettre, réduisant la distance entre les personnages, le narrateur et le lecteur. En somme, il les rend plus familiers.
6 A. Rousseaux, Âmes et visages du XXe siècle, Grasset, 1932, p186
Déjà en germes chez Zola, la fiction du récit oralisé semble atteindre son apogée au XXe siècle pour des raisons sociales, politiques et éthiques sur lesquelles nous reviendrons
dans notre deuxième partie. Chez Giono, cette transposition narrative du parler s'appuie sur le vocabulaire et l'agencement des phrases et du discours. Ainsi, on assiste à de nombreux suspens et détours de la parole du narrateur-conteur représentant la communauté à l'instar de ce qu'il se passe dans Un de Baumugnes : « C'est la demie qui vous intrigue ? Vous
comprendrez tout à l'heure. »8 ou quelques pages plus loin « Il faut que je m'arrête et que je
vous dise bien »9. On remarque également dans ce roman une récurrence des verbes d'oralité
comme « dire », « raconter », « parler » qui placent le lecteur dans une position fictive d'interlocuteur, de récepteur d'une parole immédiate.
2. Le « ça » anaphorique
Autre marqueur typique d'oralité : le « ça » anaphorique, toujours dans Un de
Baumugnes, mais que l'on retrouve dans toutes les Chroniques romanesques par la suite. Dans Colline, les bêtes, « ça dort tout seul dans un creux d'herbe »10, dans Le Grand Troupeau « Ça
va quand même pas trop tarder maintenant qu'on vienne. »11 et dans Le Hussard sur le toit,
Angelo s'adressant au garçon d'écurie au sujet du choléra dit « Ça n'est rien tant que ça n'est
pas vous. »12
Dans le discours d'Amédée ( nous en revenons ici à Un de Baumugnes), la forte récurrence de « ça » vient frapper le lecteur de même que la présence régulière d'ellipses phoniques comme le remplacement du « il y a » par le « y a », la négation abrégée ou les graphies d’élision comme « Y faisait bon »13.
En somme, le recours à un français simple, les marques de l'oralité et le « ça » omniprésent ancrent le récit dans un réalisme voire un régionalisme d'apparence comme certains ont pu le penser.
8 J. Giono, Un de Baumugnes, Œuvres romanesques complètes I, op. cit., p261 9 Ibid., p286
10 J. Giono, Colline, Œuvres romanesques complètes I, op. cit., p180
11 J. Giono, Le Grand Troupeau, Œuvres romanesques complètes I, op. cit., p574
12 J. Giono, Le Hussard sur le toit, Œuvres romanesques complètes IV, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1977, p267
3. Une volonté d'être vrai
Ce travail sur la langue, Giono le rappelle que ce soit dans sa Présentation de Pan ou dans ses différentes préfaces du cycle du même nom :
« J'ai dit en commençant qu'il fallait être vrai. Ainsi, on trouvera avec des multitudes d'autres fautes : « le cuiller », « je l'ai faite taire », et même « putin », « tin » pour la sonorité du mot et parce que ce mot-là, prononcé de cette façon dans la lumière de mes collines, ce n'est pas le même que « putain » « tain » dit avec l'accent de Paris sur un trottoir de la ville. Il y a aussi dans Colline des mots grossiers. J'ai dit en commençant qu'il fallait être vrai. »14
Ce recours à un registre familier, à l'oralité d'un monde rural, parfois jugé comme de « mauvais style » ou comme potentiellement choquant constitue un travail calculé d'une écriture entre réalisme et poéticité. Aussi, lorsque Gaston Gallimard demande à Giono de reprendre « par ci par-là quelques tournures hardies volontairement peuple, quelques
vocables qui frisent l'argot, quelques phrases gouailleuses » dans sa préface de Machiavel en
1951, il en avance la raison que « cette collection [la Pléiade], par sa nature même, a une
allure un peu grave, un peu habillée, un peu universitaire ». Après avoir, dans un premier
temps, accepté de reprendre son manuscrit, l'auteur manosquin s'y refuse. Selon lui, « cette
liberté de langage devait aider à la libération de la pensée. »15
II. UN RÉALISME TOUT GIONIEN
1. L'exemple des Âmes fortes
« Je suis un réaliste »16. Giono l'écrivait pourtant dans Noé, l’œuvre qui met sans nul
doute le plus en exergue le travail du romancier. Or, si cette phrase peut sembler univoque, 14 J. Giono, « Préface à l'édition des exemplaires » in Œuvres romanesques complètes I, op. cit., p951
15 J. Giono, « Lettre du 21 décembre 1951 », Lettres à la NRF (1928-1970), Édition établie, présentée et annotée par Jacques Mény, Gallimard, 2015, lettre 336.
l'italique du mot « réaliste », nous incite à nous interroger sur l'emploi du terme comme nous l'avions fait dans l'introduction mais pour y voir, cette fois, une ironie.
Le réalisme, courant littéraire né au milieu du XIXe siècle, tend à représenter la réalité
sans artifice ni idéalisation, c'est pourquoi le narrateur s'efface, laissant la pleine parole à ses personnages. Pourtant, si la plupart des romans de Jean Giono semble correspondre à cette définition, il ne s'agirait en fait que d'un décor, d'un masque réaliste sur lequel évoluent des personnages du « Sud imaginaire ».
Prenons l'exemple des Âmes fortes qui multiplie les indices de référentialité. Tout d'abord, il y a l'allusion aux « caillettes »17, charcuterie issue de la tradition varoise. Puis la
mention du chant populaire « la mère Godichon »18 que l'on retrouvait chez Balzac dans Un
début dans la vie : «Cette marquise [...] était tout bonnement mademoiselle Agathe-Florentine Gabirolle, première danseuse du théâtre de la Gaîté, chez qui l'oncle Cardot chantait la mère Godichon.»19. Outre la référentialité, la reprise du motif (le même personnage
de l'oncle chantant le même morceau) nous semble être un bon indice de ce réalisme ou du moins du jeu sur ce courant.
Car Giono aime jouer avec les codes : il recourt à une langue familière où certains proverbes sont détournés. On trouve donc « une fumée à couper au couteau »20ou le verbe
« ratiboise », tous deux appartenant au registre familier de même que l'expression « Combien
qu'il te doit ? »21 prononcée par Thérèse à Firmin. Cette dernière fait preuve d'un non respect
de la structure syntaxique traditionnelle et adjoint un relatif typique d'un langage oral populaire.
Enfin, si « on se monte le bobéchon » est employé en l'état, on ne peut pas en dire de même pour « c'était vraiment veau à cinq pattes »22, le veau étant normalement un
« mouton ». De la même manière, « ce qui vient de la flûte s'en va par le tambour »23 est à
l'origine « ce qui vient de la flûte s’en retourne au tambour ».
Ces reprises d'expressions proverbiales détournées attirent notre attention sur la facticité de réalisme d'apparence.
17 J. Giono, Les Âmes fortes, Coll. Folio, Gallimard, [1972], 2016, p29 18 Ibid., p24
19 Balzac, Un Début dans la vie in La Comédie humaine, Tome I, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1976, p721
20 J. Giono, Les Âmes fortes, op.cit., p10 21 Ibid., p57
3. Une ambition romanesque et politique ?
Derrière ce recours au familier langagier, certains y voient aussi une volonté de « décloisonnement des voix » (terme que nous empruntons à Jérôme Meizoz24) c'est-à-dire
d'une réévaluation de la norme langagière à l'orée du XXe siècle. Suite à la montée du
socialisme, de l'entrée du « peuple » dans le champ politique et des nouveaux groupes de pression (syndicalisme, grèves), l'accès élargi au système scolaire, l'urbanisation rapide, une modification des hiérarchies sociales et des critères de vision du monde et de la langue émergent. Le but serait donc de « dépoussiérer » si l'on peut dire, les codes et normes du genre romanesque en même temps que ceux de la langue dite « Belle » ou « conventionnelle ».
Cette hypothèse pourrait être corroborée par les propos tenus sur la langue des « hommes de la terre » dont parle Giono dans la préface de Colline :
« Je ne parle pas ici de ce que l'on a coutume à Paris d'appeler le Provençal […] mais bel et bien de ce que l'on a coutume à Manosque d'appeler : le Français. […] une langue en formation, n'est-ce pas ? Il ne s'inquiète pas de purisme. Vaugelas a dit... oui ; mais moi je dis... d'ailleurs, il ne connaît pas Vaugelas. La règle lui met la main au bras : « Garçon, il faut passer de ce côté-ci, c'est l'usage. » Il n'a qu'à gonfler un peu les muscles de son bras pour que la main éclate comme un anneau de fer rouillé. »25
En opposant les lexiques de la vigueur et de la vieillesse, associés à deux conceptions de la langue française, le romancier semble effectivement allier écriture et devoir démocratique voire éthique. Tout l'enjeu de ce nouveau mode d'expression littéraire résiderait dans le désir de donner une voix, un droit de parole au peuple d'ordinaire sujet du discours et non créateur de son propre récit. Sur ce point nous renvoyons au concept de devoir démocratique que développe Jérôme Meizoz dans L'Âge du roman parlant.
III. LE FAMILIER : POUR SE RAPPROCHER AU PLUS PRÈS DU VRAI
1. Ouvrir la fenêtre : le souffle de vie qui dérange
24 J. Meizoz, op.cit., p458
« J'avais bêtement pensé qu'on pouvait ouvrir des fenêtres ; j'avais oublié que les gens
possédaient des bibelots qu'ils ont peur de voir bousculer par les courants d'air. »26 écrivait
Giono à Gaston Gallimard suite au refus de sa première préface à l'édition pléiade de
Machiavel. L'écriture du familier comme on l'a vu jusqu'alors est perçu comme un air pur, jeune, plein de vie qui cependant heurte l'horizon d'attente d'un certain lectorat. Cette « eau vive » de la parole bien que familière tient en elle conjointement le « parler vrai » et le poétique, les mêmes mots de la société rurale et en même temps une musicalité et une profondeur qui la dépasse : « on était à la fois dans une fleur et on avait une fleur dans soi,
comme une abeille saoule qui se roule au fond d'une fleur. Le plus fort, c'est que c'était dit avec nos mots et notre manière à nous. »27 peut-on lire à propos de la musique d'Albin dans
Un de Baumugnes.
La base de ce style est en fait le nouveau français romanesque (représenté avant tout par des énoncés simples), déformé par la langue orale et populaire et retranscrit dans une forme poétique que Nelly Wolf qualifie de « poético-populaire »28.
2. Une métaphore de la musique : la poétique du contraste
Ainsi la répétition, les fautes et mots grossiers, courants à l'oral, se transmuent en trait poétique et s'adjoignent à des images tirées du quotidien : « Tout ce que je connais du peuple
est poétique » écrivait d'ailleurs Giono dans une lettre parue dans la revue Monde en 1931.
Mais c'est une poétique toute musicale caractérisée par le contraste à l'instar de ce qui a lieu dans Les Âmes fortes. Face au style bas, populaire, et oral de Thérèse par exemple (« Je
me regardais dans leurs vitrines et je me disais : oui, mes agneaux, c'est cette petite bonne femme-là, avec ses grands yeux innocents, c'est ce bébé qui peut vous posséder jusqu'au trognon si l'idée lui en prend »29), face à cela, on retrouve le style haut, romanesque et
poétique « Qu'est ce que le vide ? Au plus fort du dépouillement, ils se regardent dans les
yeux, dans ces yeux qui sont des trous à leur tête : alors, la petite pointe de bleu colore
26 J. Giono, Lettre du 19 décembre 1951, Lettres à la NRF 1928-1970 , op. cit. 27 J. Giono, Un de Baumugnes, op.cit., p286
presque toute la grande cuve d'eau claire. »30.
Même constat dans le Grand Troupeau, où on peut voir se mêler images poétiques et le « ça » oralisant : « Mais, là, il n'entend plus son cœur, il entend à peine le petit sifflet du vent
qui se fend sur le coin de la grange, et le bruit de tous les amandiers du plateau. Ça dit bien toute l'étendue de ce plateau à perte de vue. »31
Telle une partition alternant notes basses et notes hautes, le romancier se plaît à mêler les genres et registres afin de concevoir, comme il le note dans son journal, « une véritable
symphonie des douleurs humaines.»32. Mais c'est une musique conçue pour un instrument à
vent, une musique du souffle qui correspond à « une langue imagée, précise, musclée et sonne
délicieusement faux comme ces flûtes rustiques faites au hasard de sept brins de roseaux »33 ;
une musique du contraste comme le suggère l'oxymore.
En somme, rendre sa place à la langue familière c'est apporter un souffle nouveau à la littérature mais aussi au savoir oublié, inné dont seuls « ses » paysans se souviendraient. Geneviève Bollème note à ce propos qu'« au sujet savant, on a opposé le sujet sans savoir ni
culture, qui, de par sa spontanéité native, posséderait le secret de la parole vive puisqu'il n'en a point d'autre pour s'exprimer et vivre. »34
3. Réapprendre ce que l'on sait
On peut alors lire en ce sens ces lignes de L'Eau vive : « On ne peut connaître un pays
par la simple science géographique. On ne peut, je crois, rien connaître par la simple science : c'est un instrument trop exact et trop dur. »35, un carcan qui ne laisse que peu de
place à l'imagination sensible et dont il faudrait se détacher. D'ailleurs, force est de constater que les paysans gioniens, bien que non instruits au sens universitaire, détiennent cependant un autre savoir. C'est le cas de Janet dans Colline qui, après avoir tenu un long monologue sur la vie de la terre laisse à Jaume qui l'écoute un sentiment de connaissance acquise :
30 Ibid., p149
31 J. Giono, Le Grand Troupeau, op.cit., p554
32 J. Giono, Journal, poèmes, essais, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1995, p172 33 J. Giono, « Préface à la troisième édition de Colline », op.cit., p950
34 G. Bollème, Le Peuple par écrit, préface de Jacques Le Goff, Édition Seuil, 1986, p232
« Sa tête est pleine d'images de la terre : […] Certes, il n'aurait pas cru Janet si fort, et c'est d'abord cette puissance entrevue qui l'effraye. Cette fois, c'est quelqu'un qui sait qui parle. Celui-là sait, vraiment, et tout s'éclaire de ce qui était obscur ; les choses s'expliquent qu'on ne comprenait pas. »36
Et suite à cela, « le monde est tout rond autour »37.
Si Giono est un réaliste, il est aussi sensualiste. Réaliste à sa manière, dans sa volonté de dépeindre un monde familier à la langue toute aussi familière bien que remplie d'images poétiques qui transcendent les gestes du quotidien. Par cette modernité romanesque, l'auteur manosquin redonne à la langue populaire, au « Français » en mutation ses lettres de noblesse et sa potentialité de savoir. Un savoir non académique, certes, fait de « mots ronds » mais cependant inné, sensuel, parfois plus vrai. En somme, cette rondeur des mots serait, peut-être, une des modalités de réapprentissage de cette « Rondeur des jours » oubliée :
« Les jours commencent et finissent dans une heure trouble de la nuit. Ils n'ont pas la forme longue, cette forme des choses qui vont vers des buts : la flèche, la route, la course de l'homme. Ils ont la forme ronde, cette forme des choses éternelles et statiques : le soleil, le monde, Dieu. La civilisation a voulu nous persuader que nous allons vers quelque chose, un but lointain. Nous avons oublié que notre seul but, c'est vivre et que vivre nous le faisons chaque jour et tous les jours et qu'à toutes les heures de la journée nous atteignons notre but véritable si nous vivons. Tous les gens civilisés se représentent le jour comme commençant à l'aube ou un peu après, ou longtemps après, enfin à une heure fixée par le début de leur travail ; qu'il s'allonge à travers leur travail, pendant ce qu'ils appellent "toute la journée" ; puis qu'il finit quand ils ferment les paupières. Ce sont ceux-là qui disent : les jours sont longs. Non, les jours sont ronds »38.
36 J. Giono, Colline, op.cit., p180 37 Ibid.
BIBLIOGRAPHIE
I. Œuvres de Jean Giono
- GIONO Jean, Œuvres romanesques complètes I, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1971
- GIONO Jean, Œuvres romanesques complètes III, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1974
- GIONO Jean, Œuvres romanesques complètes IV, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1977
- GIONO Jean, « Correspondance Jean Giono-Henri Poulaille » in Bulletin de l'association
des Amis de Jean Giono, n°36, 1991
- GIONO Jean , Journal, poèmes, essais, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1995
- GIONO Jean, Lettres à la NRF (1928-1970), Édition établie, présentée et annotée par Jacques Mény, Gallimard, 2015
- GIONO Jean, Les Âmes fortes, Coll. Folio, Gallimard, [1972], 2016
II. Œuvres critiques
- BOLLÈME Geneviève, Le Peuple par écrit, préface de Jacques Le Goff, Édition Seuil, 1986
- MAULNIER Thierry, « M. Giono, les paysans et la guerre », Revue universelle, 15 janvier 1939
- MEIZOZ Jérôme, L'Âge du roman parlant, Droz, 2001
- ROUSSEAUX André, Âmes et visages du XXe siècle, Grasset, 1932
- WOLF Nelly, Le peuple dans le Roman français de Zola à Céline, PUF, Pratiques Théoriques, Paris, 1990, p207
III. Autre œuvre littéraire citée