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Compte rendu de : Pierre Drieu la Rochelle, Œuvres romanesques, éd. Jean-François Louette, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2012

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Jean-Michel Wittmann, compte rendu de :

Pierre Drieu la Rochelle, Œuvres romanesques, éd. Jean-François Louette, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade,

Revue d’Histoire littéraire de la France n° 4 - 2013, p. 987-990.

L’importance de Drieu la Rochelle en tant qu’écrivain et, plus spécifiquement, en tant que nouvelliste et romancier, reste controversée ; elle l’a toujours été, au demeurant, l’homme de lettres ayant été jugé souvent avec indulgence et sympathie de son vivant, mais parfois avec un peu de condescendance, tout en occupant une place bien visible au cœur du monde littéraire. A cela s’ajoute le fait qu’hier comme aujourd’hui, la question de la valeur littéraire de l’œuvre de Drieu est forcément parasitée par la perception de ses écrits politiques et de son engagement, qui contribuent aussi à donner un sens et une profondeur à ses romans. C’est un fait que l’engagement de Drieu et la dimension politique de ses écrits, comme la réception de son œuvre, de son vivant et jusqu’à nos jours, posent des questions aussi passionnantes que l’œuvre elle-même ; le dernier livre consacré à Drieu, par Jean-Baptiste Bruneau (Le Cas Drieu la Rochelle entre écriture et engagement. Débats, représentations et interprétations de 1917 à nos jours, Eurédit, 2011), tiré d’une thèse d’histoire, l’a encore montré récemment.

Ces romans n’en méritent pas moins d’être considérés d’abord comme des fictions littéraires qui s’inscrivent dans une histoire des formes ou de l’imagination, autant que dans une histoire sociale et politique : dans cette perspective, la parution de ce volume de Romans, récits, nouvelles dans la Bibliothèque de la Pléiade, sous la direction de Jean-François Louette, avec Julien Hervier et la collaboration d’Hélène Baty-Delalande et de Nathalie Piégay-Gros, pourrait marquer une étape importante dans la reconnaissance de l’écrivain.

Comme le signale Jean-François Louette, ce volume constitue « la première anthologie d’œuvres signées de Drieu la Rochelle » (p. XCI) : c’est dire à la fois son apport et ses limites.

On peut considérer que le choix de Gallimard de s’en tenir à une anthologie plutôt que de publier l’intégralité des romans et/ou des nouvelles de Drieu, reflète le statut incertain et ambigu de ce dernier aux yeux du public comme de la maison d’édition à laquelle son destin est lié depuis des décennies. Dans la période contemporaine au moins, Drieu a valu à Gallimard quelques pics de ventes (notamment Le Feu follet et Une Femme à sa fenêtre, dans la foulée des adaptations cinématographiques de Louis Malle et de Pierre Granier-Deferre), mais continue d’apparaître, plus encore depuis la publication du Journal de guerre en 1992, comme « le cas Drieu », un écrivain suspect et d’autant plus séduisant pour certains lecteurs.

Dans ce contexte, Jean-François Louette, qui assume la part d’arbitraire comportée par la nécessité de retenir quelques livres au sein d’une œuvre relativement foisonnante, se justifie en invoquant certains jugements de critiques illustres ou d’écrivains sur la valeur littéraire des livres retenus. Dans tous les cas, l’ensemble proposé reflète assez bien la carrière littéraire de Drieu et les facettes de son talent, du point de vue formel et thématique (le récit biographique avec Etat civil, le récit d’analyse avec Blèche, la nouvelle ou le roman court avec La Comédie de Charleroi ou Le Feu follet, le roman d’apprentissage avec Gilles, etc.). Par-delà les critères de valeur littéraire qui sont mis en avant, le choix des œuvres retenues, délibérément ou non, peut sembler mettre davantage l’accent sur l’aspect psychologique et la réflexion éthique que sur la dimension politique de l’œuvre, comme en témoigne le fait d’avoir « écarté L’Homme à cheval au profit des Mémoires de Dirk Raspe et délaissé Une Femme sa fenêtre pour faire place à Blèche » (encore que ce roman contienne précisément une réflexion à la question du rapport entre littérature et politique).

Le choix des œuvres paraît d’autant plus cohérent, que Jean-François Louette présente le romancier et le nouvelliste dans une introduction visant à inscrire Drieu dans une tradition littéraire, par-delà son ancrage dans la première moitié du XXe siècle. Bien évidemment,

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Louette ne jette pas un voile pudique sur les « fautes et crimes politiques » de Drieu, évoqués d’emblée dans l’introduction, qui commence par aborder la double question du fascisme et de l’antisémitisme. Prenant acte de la difficulté de situer la valeur littéraire de son œuvre ou de la classer dans une catégorie, il propose cependant des analyses propres à éclairer l’indéfinition propre aux livres de Drieu comme à la figure littéraire elle-même. Les deux catégories littéraires du cynisme et de la satire lui permettent ainsi de mettre en perspective les aspects marquants de l’éthique et de l’esthétique propres à Drieu, sans jamais distinguer le fond (les idées et les valeurs du romancier antimoderne) de la forme, ni l’œuvre de l’homme dont cette introduction rappelle l’histoire privée autant que publique. Faut-il voir dans cette introduction qui ne subordonne pas étroitement l’analyse de l’œuvre à celle de l’itinéraire politique et de l’engagement de Drieu, l’exemple de ce que Jean-Baptiste Bruneau, dans son livre au demeurant remarquable sur la réception de Drieu, appelle une « critique d’ordre purement littéraire » ? Si tel est le cas, l’expression ne doit pas être prise en mauvaise part. La démarche de Jean-François Louette, qui relève de la poétique autant que de l’histoire littéraire, le conduit en tout cas à établir interroger conjointement le texte et l’idéologie, en montrant notamment comment le roman familial de Drieu et l’expérience de la guerre ont conduit le romancier à mettre en œuvre une « mimésis cynique », comment l’obsession de la décadence le conduit à rejoindre la tradition de la diatribe ou encore comment le cynisme conduit finalement au dandysme et à une désinvolture de la forme elle-même. On voit l’avantage de cette présentation, toujours éclairante, souvent brillante, qui permet de situer littérairement Drieu sans l’enfermer dans son époque, même si le choix de recourir à des catégories relativement intemporelles comme le cynisme ou la satire conduit à éluder la question de l’héritage littéraire assumé bon gré mal gré par l’écrivain, celui d’un XIXe siècle marqué positivement et négativement par le romantisme.

L’interrogation sur les formes de l’expression romanesque traverse l’ensemble des notices préparées par Jean-François Louette (La Valise vide, Adieu à Gonzague, Le Feu follet), Julien Hervier (La Comédie de Charleroi, Mémoires de Dirk Raspe), Hélène Baty- Delalande (Etat civil, Gilles) et Nathalie Piégay-Gros (Blèche, Rêveuse bourgeoisie, Récit secret). Les notices mettent ainsi en évidence la manière dont Drieu s’essaye à différentes formes romanesques, en subvertit les codes de façon souvent novatrice, qu’il s’agisse du récit autobiographique, du « roman crise » ou du récit psychologique. Pour autant les idées de Drieu ne sont pas négligées, son ambiguïté idéologique étant éclairée de façon objective, qu’il s’agisse de son ambivalence face à la guerre (La Comédie de Charleroi), de son rejet de la bourgeoisie décadente pour célébrer un fascisme improbable (Rêveuse bourgeoisie), ou de la manière dont le « brouillage lyrique » de l’écriture laisse transparaître l’idéologie à venir (Etat civil). Dans la lignée de l’introduction générale du volume, c’est bien l’articulation entre les idées et l’expression romanesque, entre la poétique et l’éthique de Drieu qui est au centre de l’analyse ; et plus généralement, l’enchevêtrement de l’écriture de soi et de la satire (Rêveuse bourgeoisie) ou du roman chronique (Gilles), qui caractérise son œuvre romanesque et lui confère une unité paradoxale, par-delà la diversité des formes employées. Le parti pris de refuser la lecture réductrice de l’historien qui envisagerait le roman comme un document sur l’itinéraire idéologique d’un individu, tout en prenant rigoureusement en compte le contexte de l’œuvre pour en éclairer la nécessité formelle, est parfaitement assumé par l’équipe placée sous la direction de J.-F. Louette.

Enfin le travail d’établissement du texte mené par les éditeurs scientifiques permet d’avoir un aperçu de la manière de travailler de Drieu en même temps que de disposer d’éditions fiables. Indépendamment du fait que le format de la Pléiade ne permet pas, ou plus, de se rapprocher de la forme d’une véritable édition critique, l’impossibilité de localiser ou de consulter une bonne part des manuscrits de Drieu (Etat civil, La Comédie de Charleroi, Gilles, Mémoires de Dirk Raspe…), rappelée par les éditeurs, leur interdisait de le faire. La

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présente édition reprend au moins le texte de Récit secret tel qu’il a été établi par Julien Hervier d’après le manuscrit et publié antérieurement dans le Journal 1939-1945 de Drieu.

Les éditeurs ont par ailleurs pu s’appuyer sur des documents manuscrits, des dactylogrammes, la plupart des préoriginales, parfois même sur le manuscrit complet, comme pour Adieu à Gonzague, ce qui permet à la fois de donner un aperçu sur le travail d’écriture de Drieu, tourné généralement vers le resserrement, et de proposer des éditions plus solides que les éditions courantes jusqu’alors disponibles.

Jean-Michel Wittmann

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