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LES SOUS-MARINS DE LA FRANCE LIBRE 1939-1945

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LES SOUS-MARINS DE LA

FRANCE LIBRE

1939-1945

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Du même auteur :

Tout avec des fruits, Stock, 1971.

La Terre chauve, La Table ronde, 1972.

Les Dossiers secrets de la Marine, Nouvelles Editions latines, 1977.

La Valse à l'envers, Julliard, 1979.

Edition du Club France-Loisirs, 1980.

Club Pour Vous Hachette, 1980.

Presses Pocket, 1980

Si loin pour mourir, Julliard, 1980.

Presses Pocket, 1981.

Le Joueur de dames, Julliard, 1981.

Edition du Club France-Loisirs, 1981.

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MAURICE/PASQUELOT 1 1

LES SOUS-MARINS

DE LA

FRANCE LIBRE 1939-1945

Collection « Troupes de choc » dirigée par Jeannine BALLAND

PRESSES DE LA CITE PARIS

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Dans la même collection :

La Légion au combat, E r w a n Bergot.

Commando de chasse, Jean Mabire (épuisé).

Paras de la France Libre, colonel Roger Flamand.

Corsaires en bérets verts, René Bail.

Les Commandos du désert, Jean Bourdier (épuisé).

Bataillon Bigeard, Erwan Bergot.

I " Bataillon de choc, Raymond Muelle.

G.M. 100, Jean-Pierre Barnier.

Division Azùl, Saint Loup (épuisé).

La Légion saute sur Kolwezi, Pierre Sergent.

Les Cadets de la France Libre, Erwan Bergot.

Les Panzers de la Garde Noire, Jean Mabire.

La Bataille des Ardennes, Michel Herubel.

Les 170 jours de Dien Bien Phu, Erwan Bergot (couronné p a r l'Académie).

Les Marines à Khé Sanh, F. d'Orcival, J.F. de Chaunac.

Normandie-Niemen, Yves Courrière.

La 2e D.B., Erwan Bergot.

Commandos d'Afrique, de l'île d'Elbe (Ill Danube, Patrick de Gmeline. Prix Raymond Poincaré.

Panzers en Afrique, Jean-Marie Fitère.

La Guerre des Appelés en Algérie, 1956-1962, Erwan Bergot.

Les Bombardiers de la France Libre, François Broche.

Les Paras du matin rouge, Jean Mabire.

La Bataille des convois de Mourmansk, Jean-Jacques Antier.

Le Corps expéditionnaire français en Italie, Jacques Robichon.

La loi du 11 m a r s 1957 n ' a u t o r i s a n t , aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d ' u n e part, que les « copies ou r e p r o d u c t i o n s strictement réservées à l'usage privé d u copiste et n o n destinées à une utilisation collective » et, d ' a u t r e part, que les analyses et les courtes^ citations dans u n b u t d ' e x e m p l e et d'illustration, « toute r e p r é s e n t a t i o n ou r e p r o d u c t i o n intégrale ou partielle, faite sans le c o n s e n t e m e n t de l ' a u t e u r ou de ses ayants d r o i t o u a y a n t s cause, est illicite » (alinéa p r e m i e r de l'article 40).

Cette r e p r é s e n t a t i o n ou r e p r o d u c t i o n , p a r quelque p r o c é d é que ce soit, constituerait d o n c une c o n t r e f a ç o n s a n c t i o n n é e p a r les articles 425 et suivants du C o d e pénal.

: © P r e s s e s d e l a C i t é , 1 9 8 1 I S B N 2 - 2 5 8 - 0 0 9 0 6 - 5

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En hommage à l'amiral Besnault et à mes camarades de combat.

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Ports anglais où les sous-marins dès F.N.F.L.

ont touché au moins une fois.

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Survivre, c'est la seule victoire que p e r m e t la mer...

... chantaient les chasseurs . de baleines chiliens

1

LA BALEINE EN ACIER

Assis sur le banc de bois qui cerne la grande pièce de trois côtés, le matelot Sarti attend, le regard rivé sur la porte face à lui.

— Au suivant...

Deux hommes se lèvent en même temps.

— A toi.

— A toi.

La première voix est la plus forte et Sarti, timidement, pénètre dans le bureau de l'officier des équipages.

— Matelot Joseph Sarti ? C'est toi ?

— Oui, Monsieur l'officier.

— Tu embarques sur le Rubis.

Sarti ne sait pas trop pourquoi, mais il suppose qu'avec un nom pareil il ne peut s'agir que d'un torpilleur. Et il le dit.

— Non mais, tu plaisantes. Un torpilleur ? Non, Sarti, c'est un sous-marin.

— Mais...

— Quoi encore ?

— On m'avait dit que... seulement... les engagés...

Le vieil officier des équipages se lève et se dirige vers la fenêtre.

— Regarde. Il y a ici des milliers d'hommes. Aurais-tu oublié que nous sommes en guerre ?

— Non.

— Alors, engagé ou appelé, tu n'as pas à choisir. Et la phrase est ponctuée d'un Yaqua.

Sarti a compris. Il sait qu'il n'y a pas à discuter. Ce qu'il ignore c'est ce qui l'attend.

Un coup de tampon, une signature. Sarti prend le papier que lui tend l'officier des équipages.

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— Et bonne chance, matelot.

« Bonne chance, il en a de bonnes. Sûrement j'en aurai besoin.

Ah, si seulement j'avais cédé ma place à l'autre matelot, c'est lui qui serait désigné et non moi. Un sous-marin... Quelle panade ! »

Son sac sur l'épaule droite, tenant le bout1 de la main gauche qu'il a passée dans la petite araignée de cordes, Sarti marche comme un automate vers le bassin où est amarré le Rubis.

Il n'a jamais vu un sous-marin de près, et plus il approche du quai, plus il est pris de panique. Naviguer ? Ça oui, il aimerait bien. Sur un croiseur, sur un aviso, pour voir du pays.

Dans la pièce où il a reçu son ordre d'embarquement, il y avait une belle négresse aux seins nus, et en grosses lettres dans le bas de l'affiche : « Engagez-vous dans l'armée coloniale. »

Ah, l'Océanie, les plages de sable et les cocotiers qui penchent sur la mer. Mais sur un sous-marin !

— Par ici, matelot.

Sarti quitte le quai, s'engage sur une planche pentue pas très large qui bouge un peu. Encore deux pas hésitants et il prend contact avec le parquet de bois qui recouvre le pont du Rubis.

— Donne-moi ton sac.

Sarti salue le pavillon, avance d'un pas mal assuré. Le quartier- maître bosco tend le bras, Sarti comprend qu'il doit entrer dans ce monstre. Petit, mince, il descend facilement par l'échelle verti- cale ; une dizaine de marches, il a compté machinalement. Il regarde partout, puis par l'ouverture au-dessus de lui, d'où vient la voix du gabier.

— Ton sac, attrape.

— Viens, lui dit un second-maître, je vais te montrer ton poste de couchage.

Sarti le suit. Il ne comprend rien à ce qu'il voit. Tout lui sem- ble mystérieux, un autre monde. Parfois il doit se baisser et son sac traîne sur l'acier. Des tuyaux, encore des tuyaux, droits, coudés, des fils électriques ; il franchit des portes, traverse une salle des machines où tout brille impeccablement. Surtout il est saisi par une odeur indéfinissable qu'il n'a jamais sentie et qui le prend à la gorge. Son guide s'arrête, se tourne un peu vers lui.

— C'est là. Sur la bannette du bas.

Sarti est tellement abasourdi qu'il ne répond rien. Il s'assoit sur la couchette, retire son béret et fixe ses pieds.

— On viendra te chercher pour te présenter au commandant.

Sarti n'a pas levé la tête. Il a compris qu'il est dans la queue de la baleine, au-dessus ou pas bien loin des moteurs électriques et il se sent piégé. Soudain il est pris d'une envie folle : sortir de cette cage de métal.

1. Prononcer : boute, mot de marine qui désigne une corde, une hcelle.

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— Bonjour, matelot.

— Bonjour, maître.

— Ici, on m'appelle « patron », c'est la coutume à bord d'un sous-marin, je vois que tu as tout à apprendre. Le c o m m a n d a n t veut te voir.

Sarti refait le chemin en sens inverse. Son impression n'est pas meilleure. Enfin, le premier-maître timonier, le « patron », s'ar- rête devant une porte.

— C'est là.

Sarti frappe et entre. La chambre du c o m m a n d a n t est minus- cule. Une table devant laquelle il est assis et derrière lui, contre la coque, une couchette, une bannette, de la même taille que la sienne. « Tous couchés à la même enseigne » pense Sarti.

— Alors, c'est toi le nouveau ?

— Oui, commandant.

— D'où viens-tu ?

— De l'école des timoniers.

— Alors, jamais embarqué ?

— Non, commandant.

— Ça te plaît, le Rubis ?

— Non, commandant.

— Eh bien, toi, au moins tu es franc. E t pourquoi ?

— J'ai peur.

Le lieutenant de vaisseau Cabanier sourit. Sans doute se veut-il rassurant.

— Nous sommes tous passés p a r là, tu sais. Mais tu verras, quand tu connaîtras tout le monde à bord, ça ira très bien.

— Oui, commandant.

— Parfait. Le patron réglera ton quart. Nous appareillerons demain pour Bizerte.

Sarti n'en revient pas. Jamais encore un officier ne lui a parlé aussi simplement ni avec autant de gentillesse. Il n'est pas du tout intimidé par le « Pacha » dont les grands yeux bordés de longs cils donnent à son visage fin et triangulaire une expression de bonté.

« Je suis bien tombé », et puis la Tunisie, n'est-ce pas le commen- cement d'un voyage vers l'Egypte, Suez, l'océan Indien, l'Asie dont il a si souvent rêvé ? Peut-être le Rubis fera-t-il escale à Alger, sa ville natale, c'est sur sa route.

Quand Sarti se retrouve dans son coin la peur le reprend, lui tenaille l'estomac et sa tête lui fait si mal qu'il lui semble qu'elle va exploser. Tout d'un coup il imagine le Rubis « dans la m e r », machines en panne, l'équipage m a n q u a n t d'oxygène.

Il a vu, à Alger, un film américain, un sous-marin allemand de la Grande Guerre, collé dans la vase du fond de l'océan, l'agonie horrible de ces marins qui mouraient d'asphyxie. Bien sûr c'était

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du cinéma, mais aujourd'hui il se trouve enfermé dans la cage d'acier du Rubis.

« Nous avons tous connu ça » lui a dit le commandant, mais Sarti n'est pas rassuré pour autant. Et ce maudit étau qui lui enserre le crâne. Il fait quelques pas vers l'avant, passe entre les moteurs électriques, les diesels, et s'approche de l'endroit où il est entré. Au calme de tout à l'heure ont succédé des bruits inconnus, des voix, des ordres.

— Dégage.

Des hommes passent devant lui, portant des paquets, des boî- tes, des bidons, des caisses. Il se pousse pour éviter d'être bous- culé. Mais ici, il n'y a pas de recul possible.

— Dégage, tu gênes.

Sarti réintègre sa bannette.

« Et puis, merde... » Il s'allonge et bientôt le sommeil le gagne.

Depuis trois jours il n'a pas dormi. La veille de son départ de Brest, il a passé la nuit à danser dans un bal de la rue de l'Union ; puis il a pris le train pour Paris. Un voyage en 3e classe, à dix par compartiment sur des banquettes en bois. Un voyage qui n'en finis- sait pas ; arrêt dans toutes les gares, même les plus petites, pour laisser monter les hommes mobilisés le premier jour. Vingt heures de train, puis Paris, à nouveau des heures d'attente et enfin l'arri- vée à Cherbourg, au dépôt des équipages. Exténué, Sarti dort. Sou- dain il se lève d'un bond. Un coup de klaxon l'a réveillé. Son cœur bat et il pose la main sur sa poitrine.

— Alors, Sarti, bien dormi ?

— Aïe, ma tête. Oui, merci.

— Prends ça, un bleu de chauffe et une paire de bottes, c'est ton nouvel uniforme. Quand tu seras habillé, tu me trouveras au poste central.

« Je suis dans une usine... Alors, à quoi peut bien servir un timonier ? » Sarti va très vite l'apprendre.

Au central il n'y a que des manettes, des boutons, des volants, des cadrans, des indicateurs. Quelques hommes sont là, à leur poste, qui contrôlent tout. Des ordres sont donnés et redits, d'une voix naturelle, et les gestes des matelots sont mesurés et précis. Sarti est favorablement impressionné, presque rassuré.

— Sarti.

— Oui, patron.

— Bravo, tu comprends vite. Tu prendras ton service demain, quand nous serons en mer. En plongée, de quart à la barre avant.

En surface, dans la baignoire. Riss te donnera des détails. En attendant tu vas visiter le Rubis. Riss est second-maître timonier, ta spécialité, mais ici il faut savoir tout faire, et Riss peut rempla- cer un torpilleur ou un canonnier.

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Quelques heures après l'appareillage de Cherbourg le comman- dant Cabanier l'a fait appeler au poste central.

— Sarti, nous naviguons en plongée. Il y a vingt mètres d'eau au-dessus de nous, et tu vois, tout va pour le mieux. Tiens, regarde.

Sarti n'ose pas s'approcher.

— Si, si, regarde là-dedans, dis-moi ce que tu vois.

Sarti ne se risque pas à prendre les poignées du périscope et colle seulement ses yeux sur les oculaires.

— Je vois la mer, commandant. Elle semble agitée.

— Bien, Sarti. Oui, la mer n'est pas bonasse et pourtant, ici dans le Rubis, ça ne bouge pas. Si tu étais embarqué sur un bâti- ment de surface, tu aurais le mal de mer, tu serais malade comme un chien. Sur le Rubis pas de tangage ni de roulis. Ça va mieux, maintenant ?

— Oui, commandant, merci.

Quand le Rubis arrive à Bizerte où il devra rester six mois pour subir un grand carénage, Sarti n'a plus peur depuis longtemps. Le Rubis est devenu « son » Rubis et il l'aime. Il s'est familiarisé avec lui, il en connaît maintenant les moindres recoins. Le « Pacha », le commandant Cabanier et son second, 1'02, l'enseigne de vaisseau Rousselot, il se ferait hacher pour eux. Il s'est fait des amis parmi les membres de l'équipage. Le Rubis est sa maison et les hommes sa nouvelle famille, celle de la sous-marinade.

Noël en mer. Le Rubis a quitté Bizerte, refait à neuf. Tout a été minutieusement démonté et vérifié. Et c'est Brest où il arrive début janvier 1940. Aussitôt d'autres travaux commencent.

Le bruit court à bord que les ouvriers de l'arsenal vont instal- ler un circuit d'eau chaude à partir des diesels pour réchauffer les systèmes de purge des ballasts afin qu'ils ne gèlent pas lors de la rentrée de l'eau.

— Mais pourquoi ? demande le seul quartier-maître fusilier à bord, Louis Voisin, tu es au courant, toi ?

— Oui, répond son ami Victor Féron, second-maître mécani- cien. On doit partir pour le cercle polaire, et là-haut il fait un froid de bique... que quand on pisse on risque d'être cloué par la glace, tu saisis ?

— Mais...

— Il paraît qu'on va aider les Finlandais qui se battent contre les Russes.

Victor Féron disait vrai. L'Amirauté française, en accord avec les Anglais, avait mis au point ce projet. Mais quelques jours avant le départ de Brest pour le golfe de Botnie les cent divisions russes, repoussées par les quinze divisions finlandaises pendant quatre mois, parvenaient enfin à l'emporter en mars 1940 les héroï- ques Finlandais acceptaient à Moscou les conditions de la paix russe.

Cette guerre avait donc pris fin et le Rubis ne quittera Brest

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que pour de petites missions dans l'Atlantique. C'est du moins ce que croit l'équipage. Mais une autre guerre a commencé, en Nor- vège celle-là. Les Allemands ont occupé Narvik le 9 avril, non sans perte. Cinq destroyers anglais ont coulé dix contre-torpilleurs à croix gammée dans le fjord où les troupes françaises débarqueront, prendront Narvik qu'elles devront abandonner début juin.

C'est donc dans les derniers jours d'avril que le Rubis sort du goulet de Brest et arrive le l'er mai sur la côte est de l'Angleterre, au nord de l'estuaire de la Tamise, à Harwich.

r r mai 1940, premier jour de ce qui sera la longue guerre du Rubis.

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2

PAVILLON A TETE DE MORT

Le Rubis n'est pas un sous-marin comme les autres. C'est un petit mouilleur de mines et les Anglais, avec l'approbation de l'Ami- rauté française, vont l'utiliser dans la mer du Nord.

Début mai 1940, les forces navales anglaises disposent d'un nombre impressionnant de bâtiments de guerre, treize cuirassés, soixante-cinq croiseurs, trois cent soixante-douze destroyers.

Pourtant l'Angleterre ne peut mettre en ligne que deux cents bâtiments d'escorte alors qu'en 1918 elle en possédait deux mille.

L'Angleterre n'a qu'une trentaine de sous-marins, dont six gros mouilleurs de mines, alors que les Allemands en ont une soixan- taine, dont la moitié, ou presque, du type IX-D de 1340 tonnes ont une autonomie de 26 000 milles, soit à peu près 50 000 kilomètres et emportent 27 torpilles. Une terrible menace pèse sur les lignes de communication maritime.

L'Allemagne a peu de bâtiments de surface. Le grand amiral Raeder ne peut mettre en ligne que trois cuirassés de poche, deux croiseurs de bataille et huit croiseurs légers ou lourds. Dès le début de la guerre il a pris conscience de ses faiblesses et il a décidé de ne pas attaquer la flotte anglaise, mais de lancer ses forces contre les navires de commerce afin de couper au mieux ou de réduire le ravitaillement en vivres et en armes de la Grande-Bretagne.

L'Allemagne ayant reconquis la Norvège dispose là, pour ses bâtiments d'attaque de fjords parfaitement protégés naturellement d'où pourront sortir des croiseurs, des sous-marins qui surpren- dront et couleront les bateaux alliés.

L'amiral Sir Dudley Pound, Premier Lord à la Mer, a donc demandé et obtenu que le Rubis soit affecté à des missions sur les côtes de Norvège, afin de contrecarrer l'action des bâtiments alle-

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mands. Il y aura un effet de surprise puisque les services de ren- seignements allemands sont persuadés que le Rubis est encore à Brest, sinon à Bizerte.

C'est bien la première fois, dans l'histoire des relations entre marins anglais et français, qu'un bâtiment de la Marine française sera placé sous les ordres de l'Amirauté britannique. Ainsi, deux jours après son arrivée à Harwich, le Rubis appareillera pour la m e r du Nord où il mouillera ses mines.

L'extraordinaire amoncellement de sacs, de caisses, de bidons qui encombraient le quai, puis le pont, a disparu dans les entrailles du Rubis ; des vivres, il en faut, beaucoup même pour nourrir deux fois p a r j o u r une cinquantaine d'hommes, du pain, de la viande, des légumes, du sel, de l'huile, enfin de tout.

— Est-ce qu'on aura du vin ? demanda Calvez.

— Ouais, Guillaume. Et du bon. Du pinard qui vient d'Afrique du Sud. Tu croyais qu'on te donnerait du thé ? Pas vaches, tu vois, les Anglais. Tu boiras du vin, m o n gars. D'ailleurs c'est nécessaire p o u r faire passer le Spam.

— Le S p a m ? Une cochonnerie d'ici ?

— Mais ce Calvez, il ne sait rien de rien. Le Spam c'est de la viande en conserve, du « singe » si tu préfères.

— Du singe ?

— Y en a marre, Calvez, demande à un autre.

Des vivres, les hommes n'en manqueront pas. Mais le Rubis a besoin d'autres nourritures : de gasoil, d'huile, d'eau douce, d'eau distillée p o u r les batteries, de pièces de rechange. Le Rubis doit charger ses bouteilles d'air comprimé, e m b a r q u e r les cônes de combat des torpilles et, en dernier lieu, les mines qui seront pla- cées dans les puits prévus pour elles entre la coque épaisse et la coque légère.

Chargé à bloc, le Rubis quitte Harwich le 3 mai 1940 pour les côtes de Norvège.

10 heures du matin tout le monde est à poste. Le commandant Cabanier, le « Pacha », est à la passerelle avec, à ses côtés, Riss, second-maître timonier et le matelot Sarti. C'est Sarti qui trans- mettra, p a r porte-voix au central, situé en-dessous du kiosque, les ordres du « Pacha ». Une « première ».

— En avant 1.

L'ordre se répercute jusqu'au central où le premier-maître élec- tricien commande les moteurs électriques. Doucement le Rubis décolle du quai.

— La barre à droite dix.

L'avant du Rubis pointe vers le bout du môle.

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— La barre à droite vingt.

A la même allure, très lente, le Rubis sort de son bassin et, au bout de quelques milles, il prend la ligne de file derrière un chalutier armé qui lui ouvrira la route entre les champs de mines qui protègent le port et ses alentours.

Déjà les moteurs électriques ont été stoppés, relayés par les diesels.

Le Rubis a augmenté sa vitesse. Il marche à dix nœuds. La mer est calme et la visibilité excellente. Rien à signaler. Le Rubis poursuit sa route.

Midi, premier repas de guerre, précise le quartier maître cuisi- nier Gaston Sanz. Viande grillée, légumes frais, fruits et quart de vin d'Afrique du Sud, comme promis. Aidé par Creton et Labessa, deux matelots maîtres-d'hôtel, Sanz réalise des miracles. Son

« antre » , où tout fonctionne à l'électricité, mesure un mètre cin- quante sur un mètre soixante-quinze et dans cette surface il réussit à faire de la cuisine — et bonne — pour cinquante hommes. Par bonheur, petit et maigriot, Sanz est à la dimension de sa « kitchen ».

Mais les vivres frais sont vite épuisés. Le sous-marin n'est pas climatisé et la viande « tourne » vite. Les jours suivants on ouvrira des boîtes de conserves. Sanz dispose de plusieurs cocottes norvé- giennes où il place les boîtes à chauffer. Pendant toute la durée de la mission, officiers, officiers-mariniers et hommes d'équipage mangeront chaud. Même Bacchus, le chien mascotte de l'équipage.

C'est même lui qui mange les meilleurs morceaux.

La présence de Bacchus à bord a soulevé un sérieux problème.

Quand le Rubis est arrivé à Harwich, venant de Brest, l'officier de santé anglais a poussé les hauts cris.

— Ce chien doit débarquer, commandant.

Cabanier connaît bien la loi de quarantaine que les Anglais imposent à l'entrée de tous les animaux sur leur sol. Il n'ignore pas non plus que c'est pour cette raison que la rage est inconnue ici. Mais il fait comme s'il ne le savait pas.

L'officier répète :

— Ce chien doit descendre, commandant.

Cette fois, Cabanier répond.

— Je prendrai ma décision ce soir.

Quelques membres de l'équipage ont assisté à ce dialogue, et ils font part de leur intention à leur pacha.

— Commandant, si le chien débarque, nous aussi.

— Quoi ?

Goudier, le matelot mécanicien, comprend qu'il a été un peu loin. Ce qu'il vient d'annoncer de la part de l'équipage c'est un refus d'obéissance. En temps de guerre...

— Vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Mais vous êtes fous, tous.

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— Non, commandant. Nous voulons garder Bacchus à bord.

C'est notre fétiche.

— Je vais aviser.

Cabanier sait parfaitement que ses hommes appareilleront demain pour la mer du Nord même si leur mascotte reste à terre, mais il connaît bien la mentalité des sous-mariniers et surtout leur superstition, et quand, le soir même, l'officier de santé britannique se présente à nouveau à la coupée du Rubis il s'entend dire :

— Nous quitterons Harwich demain avec 51 membres d'équi- page, 50 hommes et le chien.

Cela est dit d'une voix ferme. Il se dégage de Cabanier une autorité naturelle qui trouble l'Anglais et celui-ci se contente de saluer impeccablement.

L'officier de santé britannique n'appartenait pas à l'Amirauté, sans quoi il aurait su que, comme les flibustiers n'appareillaient jamais sans leur perroquet-fétiche, chaque sous-marin français — ainsi l'exigeait la tradition — possédait son chien mascotte.

Le Rubis revient le 14 mai à Harwich. Il a mouillé ses trente- deux mines, qu'il portait accrochées contre ses flancs, devant Eger- sund, un port dont le trafic est important et qui se situe entre Stavanger et Kristiansand, en Norvège.

Cabanier est satisfait. La mission s'est déroulée dans les meil- leures conditions.

— Pourvu que ça continue, Rousselot, tout a marché comme sur des roulettes.

— Oui, répond son second, pas d'avaries et un équipage du tonnerre.

Quatre jours avant le retour du Rubis, les Allemands ont déclen- ché leur offensive, mais la nouvelle, pour grave qu'elle soit, n'affecte pas outre mesure les hommes qui procèdent à un contrôle général de tous les appareils, des moteurs électriques, des batteries et des diesels.

Il faut aussi recommencer les corvées de chargement de maté- riels et de vivres ; et quand, le 22 mai, l'enseigne de vaisseau Simon- Dubuisson donne l'ordre de charger les mines dans leurs puits, le signal du départ est proche. Le lendemain le Rubis reprend la mer pour sa deuxième mission. Cette fois il faut mouiller trente- deux mines dans un chenal, à Slatten, au sud de Bergen, là où passe une ligne de trafic maritime allemande.

Pendant la journée, le Rubis navigue en plongée, grâce aux moteurs électriques. La nuit, le Rubis fait surface et les diesels ont pris le relais. Parti de la côte anglaise le 23 mai, il arrive en vue du point fixé le 27 vers 3 heures de l'après-midi.

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Cabanier sort de sa chambre où il vient d'étudier la carte des fonds. Au poste central tous les hommes sont à leur place.

— Immersion périscopique.

Sous l'effet des barres de plongée que manœuvrent délicate- ment les timoniers de quart, le bâtiment remonte lentement. Quand il est à dix mètres il se stabilise.

— Commandant, nous sommes en immersion périscopique.

— Merci.

Depuis plusieurs heures, le Rubis avance à allure modérée, 3 ou 4 nœuds, mais il lui faut encore réduire sa vitesse.

— Moteurs en avant 1.

— En avant 1, commandant.

— Attention pour le mouillage des mines.

— Paré à mouiller.

Cabanier consulte son plan de mouillage, prend les poignées du périscope qu'il fait sortir de son puits.

Cabanier plie légèrement les genoux et regarde dans les lunettes.

A bord, c'est le silence complet, personne ne parle et, seuls, les moteurs électriques font entendre leur léger ronflement.

Il y a longtemps que Cabanier est sous-marinier, mais à cha- que fois que la pointe du périscope sort de l'eau et qu'il peut voir la mer, il bouge imperceptiblement, comme s'il craignait que la mer justement ne pénètre jusqu'à lui. Jamais il n'a pu se faire à cette curieuse impression et souvent il pense à ce phénomène bizarre. Lui, dans le sous-marin en plongée, et le périscope monté, I'oeil hors de l'eau, tournant sur lui-même vers les quatre points cardinaux. Cet œil articulé, comme celui de ces insectes qu'il obser- vait dans la garrigue de sa jeunesse, et qui le renseigne sur la pré-

sence de bâtiments ennemis éventuels.

Cabanier ne voit que la mer et, sur tribord, la côte qui se découpe sur un ciel bleu. Le Rubis va mouiller ses trente-deux mines selon les instructions de l'Amirauté britannique. Quand il revient, à son port d'attache, l'équipage saura, grâce à un espion anglais, qu'un transport allemand a touché une mine et a coulé le lendemain du mouillage. Il s'agit du Blammanen, un chaland norvé- gien de cent soixante-quatorze tonnes réquisitionné par la marine allemande. Le lendemain, Cabanier est informé d'une autre victoire ; le 31 mai, le vapeur Jardaland, de neuf cent trente-huit tonnes, a explosé au nord d'Haugesund. Et quelques jours plus tard, il apprend qu'un autre navire, le Kent de mille sept cents tonnes, a lui aussi

coulé sur une mine du Rubis.

— Trois bateaux, c'est un beau résultat, mais cela me semble dérisoire, commandant, qu'en pensez-vous ?

— Je partage votre sentiment, Rousselot, mais nous aurons peut-être plus de chance une prochaine fois. Oui, nous n'avons envoyé par le fond que trois mille tonnes à peine, mais l'Amirauté

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britannique ne s'attendait probablement pas à mieux. Ce qui est très important, voyez-vous, Rousselot, c'est l'effet psychologique produit. Aujourd'hui, les Allemands vont être obligés de renforcer leurs défenses des côtes de Norvège et ce sera autant de bâtiments de guerre qui ne courront pas les mers.

Trois navires coulés, le gabier pourra coudre sur le Jolly Roger,

— le pavillon à tête de mort que hissaient les pirates à leur retour de mer — la première bande blanche.

Tous les hommes, officiers compris, ressemblent à des corsaires.

Dès le premier jour, la crasse a fait son apparition à bord ; une crasse envahissante qui vient de l'huile, du mazout, de l'acide des batteries et recouvre tout. Les bleus de chauffe sont tachés de graisse, les chandails blancs à col roulé sont devenus noirs. Pas de corvée de propreté à bord. Pas le temps. Sécurité d'abord. L'équipage fait le service par tiers, soit huit heures de quart par jour, en deux fois. Les hommes dorment sur des ban- nettes étroites et incommodes qu'on rabat contre la cloison. Elles sont superposées par trois et pour y trouver sa place il faut être un véritable acrobate. L'espace est tout aussi réduit au poste des maîtres et les couchettes des officiers ne sont ni plus moelleuses ni plus larges.

L'eau douce est mesurée, chaque homme a droit, chaque matin, à l'équivalent d'un grand verre d'eau pour se brosser les dents. Il n'est pas question de se laver, moins encore de se raser. Alors lors- que le Rubis revient à Harwich, tous les hommes ressemblent à des forbans. Une barbe de huit jours, des vêtements sales, déchirés aussi et l'odeur... une plaisanterie est classique à bord, on s'appro- che d'un ami et on lui pose la question : « Qu'est-ce qui pue ? » et l'autre de répondre : « C'est l'marin. »

(24)

3

LE RUBIS CHOISIT DE GAULLE

Le Rubis n'est pas seul à Harwich. Il y a là huit autres sous- marins et un ravitailleur, leur mère-poule. Le 30 mai 1940 au soir, le commandant Cabanier est appelé à l'Amirauté britannique.

— Je suis navré, commandant, vous allez nous quitter.

— Vous quitter ? Le Rubis ne continuera pas ses missions ?

— Hélas, Cabanier. L'Amirauté française redoute une attaque de Mussolini et l'on vient de m'informer que vous devez p a r t i r p o u r la Méditerranée. Une escadre italienne, sortie de La Spezia, croise dans le golfe de Gênes et peut se diriger rapidement sur les côtes françaises.

— Quand partons-nous ?

— Je vous tiendrai au courant dès que j'aurai reçu des instruc- tions précises.

— Vous croyez que les Italiens vont bouger ?

— Ils attendent, comme des chacals, que les Allemands aient bousculé tout à fait vos armées, commandant, alors ils vous atta- queront... sans prendre de risques.

— Oui, je comprends, la guerre se déplace.

Mais devant les succès remportés p a r le Rubis, l'Amirauté bri- tannique réussit à obtenir le maintien du sous-marin à Harwich.

La nouvelle est communiquée à Cabanier le lendemain matin à la première heure. Dans l'après-midi les huit autres sous-marins et le Jules Verne, sous les ordres du capitaine de vaisseau de Belot, repartent pour la France avant de gagner la Méditerranée.

Le Rubis est maintenant seul à se battre en Angleterre.

Le 4 juin, plusieurs dizaines de yachts de toutes tailles et de tous modèles rentrent dans le port d'Harwich. Beaucoup sont dans un triste état ; mâts cassés, voiles arrachées.

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— D'où viennent-ils ? demande le quartier-maître radio Laenen à l'officier en troisième Simon-Dubuisson.

— De France.

Ils arrivent de Dunkerque, mais l'équipage n'en saura pas davantage. Personne à bord, à l'exception de Cabanier et de ses officiers, ne parle un mot d'anglais.

En plus des bâtiments de guerre français et britanniques qui ont rembarqué des troupes à Dunkerque, d'innombrables proprié- taires de bateaux de plaisance se sont portés volontaires et ils reviennent à Harwich chargés de soldats.

Le Rubis a refait le plein, chargé ses mines et le lendemain il appareille d'Harwich pour une troisième opération. Seuls le com- mandant et l'officier de liaison britannique qui a pris place à bord connaissent l'objet de la mission : mouiller des mines dans le chenal nord de Bergen. Elle porte le nom d'opération F.D. 17.

Sur le journal de bord, Cabanier écrira seulement : « Départ d'Harwich. Trente-deux mines mouillées le 9 juin par 60° 36' de lati- tude nord, à hauteur et dans le sud-ouest de la balise Mitfjorbo, en jonction du Fedjeosen et du Hjeltefjord. Retour à Dundee le 12 juin. Rien de particulier à signaler. »

A 200 milles des côtes anglaises, sur la route du retour, le radio, à l'heure de la vacation, le Rubis reçoit, mais n'émet pas, sauf cas très exceptionnel, a pris un message :

« Rubis (en code) dérouté. Mettre le cap sur Dundee. A 150 milles, rendez-vous chalutier armé prendra en charge. Bonne route.

Signé : amiral (S). »

Dundee n'est pas une base militaire. C'est un port de plaisance qui, tout de même, comporte quelques installations et notamment plusieurs môles, dont un auquel le Rubis pourra accoster.

Les officiers sont logés dans un ancien pensionnat de jeunes filles qui porte le nom charmant de Mayfield, champ de Mai, l'équi- page dispose lui aussi de dortoirs et d'une assez belle salle de res- taurant. Et miracle, il y a des douches et même des baignoires.

L'officier en troisième et une vingtaine d'hommes sont restés à bord, tous les autres dînent à la base, mercredi 12 juin 1940, il est 20 heures. Cabanier entre dans le réfectoire.

— Repos. J'ai une bonne nouvelle à vous apprendre. Les Anglais viennent de me faire savoir que le vapeur norvégien Sverre Sigur- dson a coulé sur une de nos mines devant Herdla avant-hier. Mille tonnes en moins pour les Allemands.

— Hourra, hourra, vive le Rubis !

— Je n'ai pas fini. Je vais vous lire maintenant un message que vient de me faire parvenir le commandant de la base de sous- marins de Dundee, le vice-amiral Horton :

« Au moment où vous rentrez de votre troisième mission, je tiens à vous exprimer mon admiration pour la brillante façon dont

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vous avez toujours accompli les missions qui vous étaient confiées. »

— Et maintenant, écoutez bien. L'amiral Horton dit : « Je regrette beaucoup d'être privé des services du Rubis. »

— Alors, nous partons, c o m m a n d a n t ?

— Sans doute, mais pour le m o m e n t je n'en sais pas davan- tage. De toute façon je vous tiendrai au courant.

Le commandant Cabanier a rejoint sa chambre de la base et il s'allonge sur son lit. Il tient encore la dépêche de félicitations dans sa main.

« Privé des services du Rubis. » Venant du vice-amiral Horton, cette information signifie officiellement que le Rubis devra retour- ner dans un port français. Mais lequel ? Depuis la retraite de Dunkerque et le rembarquement, les Allemands continuent d'avan- cer sur tous les fronts. Demain ils seront au Havre et dans une semaine, au rythme de leur guerre éclair, Cherbourg tombera entre leurs mains. Alors Brest ? Cabanier en est là de ses réflexions quand on frappe à sa porte. C'est un enseigne de vaisseau britannique qui lui apporte un pli.

— Y a-t-il une réponse, lieutenant ?

— Non, commandant.

Cabanier regarde l'enveloppe. Elle vient du grand quartier géné- ral de l'Amirauté.

« Avant le départ du Rubis, je vous prie de t r a n s m e t t r e aux officiers et à tous les membres de l'équipage le témoignage de satis- faction de Leurs Seigneuries pour les heureux résultats des opé- rations difficiles qu'il a entreprises dans les eaux norvégiennes. »

Et c'est signé : Sir Dudley Pound, Premier Lord à la Mer.

Cette fois, c'est tout à fait officiel. Le Rubis, à peine arrivé à Dundee, devra en repartir.

Ce que le commandant Cabanier ne sait pas, c'est l'accord qu'ont passé l'attaché naval français à Londres, l'amiral Odend'Hal et le vice-amiral Horton. A la demande de Londres, l'amiral fran- çais avait accepté que le Rubis charge son dernier jeu de mines et qu'après seulement il fasse route sur Brest p a r le nord de l'Ecosse. Pour lui permettre de procéder à quelques réparations, régulation des soupapes du moteur tribord, vérification des circuits d'eau et nettoyage de la cale, le départ avait été fixé au 18 juin.

Le 19 juin, le Rubis est toujours à quai. Il n'a pas reçu l'ordre d'appareiller, ni même d'embarquer les mines.

Cabanier est convoqué à Londres où il rencontre l'amiral Odend'Hal.

— Commandant Cabanier, vous savez que des pourparlers d'armistice sont en cours.

— Oui, amiral.

— Il est à peu près certain que vous serez chargé d'une nou- velle opération de mouillage de mines sur les côtes de Norvège.

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— Bien, amiral.

— Cette mission, vous l'exécuterez, mais si l'armistice inter- venait, je vous ferais prévenir par radio immédiatement ; vous devriez interrompre toute action de guerre et rejoindre Dundee où je vous donnerais de nouvelles instructions.

— Oui, amiral. Si je comprends bien, le Rubis ne sera plus placé sous les ordres de l'Amirauté britannique.

— Vous avez parfaitement compris, Cabanier.

Le lendemain, l'amiral Horton donnait l'ordre au Rubis d'appa- reiller. C'est au moment où les gabiers jetaient les amarres sur le quai qu'un contrordre arriva : « Départ retardé. »

L'amiral Horton, commandant de la base, fit appeler Cabanier.

— Commandant, votre départ est remis. Votre attaché naval refuse que vous preniez la mer. Mais tout n'est pas dit. Tenez-vous prêt à partir. J'ai alerté l'amiral Blake, adjoint au chef d'état-major général de la Flotte britannique. Blake est tout à fait de mon avis.

Il me l'a dit de façon catégorique ; il serait stupide de ne pas utiliser vos mines pour faire sauter un bâtiment allemand, plutôt que désarmer votre sous-marin. Il m'a promis d'insister auprès de l'amiral Odend'Hal pour que vous puissiez partir pour cette der- nière mission. Blake m'a précisé qu'il lui permettra de vous rap- peler où que vous soyez, dans le cas où un armistice serait signé.

Rentré à bord, Cabanier n'eut pas longtemps à attendre. Deux heures après un télégramme lui parvenait de Londres : « N° 1433 — Exécutez immédiatement instructions que V.A. (S) vous envoie en accord avec moi. 1120/20-6 M.N.F. Londres. »

15 h 30, le Rubis fait route vers le chalutier qui l'attend pour le sortir des champs de mines qui protègent la côte. Il le suit pendant une vingtaine de milles puis, lâchant son chien de garde, met le cap à l'est. Le Rubis parvient, sans embûches, le 26 juin dans les passes de Trondhjem vers 3 heures du matin.

Trondhjem est un nom qui fait peur. L'endroit, redouté par tous les marins alliés, était truffé d'installations de surveillance et de défense. Les Allemands y avaient établi une base aérienne impor- tante de Focke-Wulf Condor, des quadrimoteurs à grand rayon d'action, chargés d'intercepter les convois de ravitaillement et sur- tout les sous-marins.

Soudain, le second maître mécanicien Pacifique Lucas, de veille à l'hydrophone, annonce :

— Bruits suspects par tribord avant.

L'hydrophone est un système d'écoute sous-marin. Seize micros ultra-sensibles sont logés à l'extrême avant du sous-marin qui

« écoutent » la mer. Ils enregistrent le moindre bruit qui est retransmis dans les écouteurs que Lucas a collés sur ses oreilles.

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— Quels bruits ? demande Rousselot.

— Hélice.

— Immersion périscopique. Périscope de combat.

Celui-ci est de plus petite taille que le périscope de veille et il est donc moins visible. Rousselot tourne les poignées pour voir par tribord avant. Effectivement à cinq, six milles une vedette rapide allemande patrouille.

— Immersion 30 mètres. Attention à l'assiette.

Pour plonger il faut remplir les ballasts, comme il faut les vider pour faire surface. Cela n'est pas aussi simple qu'il y paraît.

Pendant cette manœuvre le sous-marin n'est pas absolument hori- zontal, mais reçoit une certaine « pointe » pour accélérer le change- ment d'immersion. Ses ballasts pleins, ce sont les caisses à assiette qui servent à régler sa bonne position. On utilise pour la rectifier des barres de plongée qui sont, à l'avant et à l'arrière, des gouver- nails de profondeur.

Assis sur leur tabouret les deux barreurs de plongée ne quittent pas des yeux les voyants des cadrans qui indiquent en vert ou en rouge les réactions du Rubis à l'inclinaison des barres. Constam- ment ils bougent le levier de commande électrique afin de contrôler l'horizontalité du bâtiment.

Dans l'eau, curieusement, un sous-marin « ne pèse rien », ainsi demeure-t-il dans un état d'équilibre précaire qui réclame une atten- tion de chaque seconde.

Ainsi, quand le sous-marin est parfaitement horizontal, il est à assiette zéro.

— Assiette zéro, capitaine.

— En avant 1. Lucas, que donne l'hydrophone ?

— Je n'entends rien, capitaine. Le bruit de l'hélice a disparu.

— Route au 90.

— Au 90, capitaine.

Le « Pacha » arrive au poste central, tenant dans sa main un papier quadrillé sur lequel il a tracé des repères. C'est le moment.

— Paré à mouiller.

Et les ordres sont donnés. Le Rubis mouille ses mines par paquets de 4 et 8. A 6 h 30 il met le cap à l'ouest en direction de Dundee.

Vers Il heures du matin, alerte. Le Rubis navigue en surface.

Cabanier a laissé ses instructions à l'officier de quart, diesels en tampon. Technique de route qui consiste à régler la charge des batteries et la dépense d'électricité de manière qu'elles soient égales.

La brise est modérée, mais fraîche et cela semble bon l'air qui pénètre dans le Rubis. Soudain, c'est l'alerte.

— Avion à bâbord.

Les trois coups de klaxon ont jeté le commandant au bas de

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sa couchette où il se reposait sans dormir. Il a bondi au poste central.

De la baignoire, l'officier de quart et le timonier viennent de tomber, par l'échelle, dans le kiosque, trempés d'embruns.

— En plongée.

Déjà Simon-Dubuisson a fermé le panneau. Les hommes sont entraînés et il ne faut pas plus d'une minute pour que le Rubis soit invisible. Les deux hommes de barre, assis sur leur petit banc, face à leurs niveaux, surveillent les indicateurs de profondeur. Avant de faire mettre le Rubis en plongée Simon-Dubuisson a regardé le tableau de contrôle des panneaux qui donnent accès au pont. Les chiffres verts allumés signalent qu'ils sont fermés. Rouges, ils seraient demeurés ouverts.

— Immersion trente mètres.

— Qu'est-ce que c'était ? demande Cabanier.

— Un avion par le travers bâbord, commandant.

— A combien ?

— A trois milles environ.

— Eh bien, nous l'avons échappé belle.

A la trépidation des diesels a succédé le léger ronflement des moteurs électriques. L'indicateur de profondeur est à trente mètres.

— A droite quinze, jette Cabanier.

Tous gardent le silence. Tous s'attendent à entendre une explo- sion, celle d'une bombe d'avion. Les minutes passent. Le Rubis avance à six nœuds et l'avion vole à 400 à l'heure.

— La barre est quinze à droite, répond le timonier.

— Venez au 190.

Cabanier est prudent. Si l'avion a aperçu le Rubis, il va faire demi-tour, tourner et le repérer avec exactitude. A trente mètres il ne pourra rien voir. Pour plus de sécurité il laisse sa consigne à son second : route en zigzag de 30° de part et d'autre de la route moyenne.

A 4 heures de l'après-midi, tout danger semblant écarté, Rous- selot décide de faire surface.

— Immersion périscopique.

Le Rubis remonte lentement. Quand l'aiguille de l'indicateur de profondeur marque 10 mètres, Rousselot met en marche la pompe hydraulique du périscope qui monte de son puits. Rien à l'horizon.

— Nous sommes bien le 28 juin ?

— Oui, capitaine.

Il est exactement 15 h 45 et le Rubis est exact au rendez-vous.

Il doit retrouver un sous-marin anglais, le Triad, avec lequel il doit faire le reste de la route du retour. Le commandant Cabanier a été prévenu la veille par télégramme.

Rousselot est au périscope dont il ne lâche pas les poignées.

Il le tourne, regarde dans toutes les directions.

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Grand, le « Pité » doit se baisser pour être à la bonne hauteur de l'oculaire. Le « Pité » ? Depuis l'Ecole navale, Rousselot a hérité d'un surnom donné par ses camarades. On l appelle ainsi en raison de son allure penchée en avant, et de son grand nez. Les élèves- officiers lui ont trouvé une ressemblance avec les dessins du pithé- canthrope.

Beau joueur, Rousselot en a ri. Au contraire de Cabanier, il est d'un abord froid et il sait être caustique.

A 16 heures, enfin, il aperçoit, entre des lames courtes, le haut de la passerelle du Triad.

— Commandant, l'Anglais est au rendez-vous.

Cabanier regarde à son tour dans le périscope.

— En effet, avec un peu de retard, mais il est là. Surface.

Tous les hommes n'ont pas entendu cet ordre mais ils l'ont compris au bruit caractéristique des ballasts qui se vident sous l'effet de l'air comprimé qui siffle. Le Rubis garde son assiette et très vite il est en surface. Cabanier monte le premier dans la bai- gnoire. Le timonier le suit mais il est à peine arrivé en haut de l'échelle que Cabanier lui crie :

— Descends, vite.

Cabanier ferme le panneau. Il n'est resté que quelques secondes à la passerelle, mais il est trempé. Vraiment cette passerelle mérite bien le surnom de baignoire.

— Votre Triad, c'était un U.Boote.

— Mais commandant, vous l'avez vu comme moi.

— C'est vrai. Nous avons fait trop vite. Mais, Bon Dieu, que faisait cet Allemand à la place de l'Anglais. C'est très curieux et grave. Ou il s'agit d'une pure coïncidence, mais alors où est passé le Triad, ou bien Raeder possède le chiffre des sous-mariniers anglais et je ne donne pas cher de notre peau.

— Oui, commandant, c'est troublant. Quel dommage que nous n'ayons pas eu le temps de le torpiller.

A bord de l'U.Boote, les officiers allemands ont dû tenir à peu près la même conversation ; surpris de voir apparaître un autre sous-marin qu'ils n'étaient pas prêts à attaquer ils avaient donné l'ordre de plonger en catastrophe, sans avoir eu la possibilité d'en- voyer une torpille.

Le Rubis regagna sa base. Une de ses mines avaient coulé un chasseur de sous-marins de 350 tonnes, le U.J.D. Cet exploit valut un certain nombre de décorations au personnel du Rubis dont un Distinguished Service order pour le commandant Cabanier.

Pendant la mission du Rubis en mer du Nord, il s'était passé des événements d'une importance capitale.

Le 25 juin l'armistice a été signé et l'amiral Odend'Hal, comme

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convenu avec l'amiral Horton, demande à l'officier de service d'en- voyer au Rubis un télégramme de rappel. Où qu'il soit, le Rubis doit rejoindre Dundee, son port d'attache.

Dans la soirée, l'attaché naval s'inquiète ; il apprend que la copie du télégramme n'a pas été remise — ce mystère ne sera pas élucidé — à la mission navale française. Odend'Hal se rend à l'Ami- rauté britannique où il est reçu par l'amiral Phillips.

— Monsieur l'attaché naval, le Rubis ne saurait être considéré comme franc-tireur. Je vais donner des ordres pour qu'un nouvel appel lui soit transmis.

— Je vous remercie, amiral.

L'entretien fut court et le ton des deux hommes assez froid.

Le 26 juin, toujours aucune nouvelle. Le capitaine de corvette Nicolas-Barrelon se rend, lui aussi, à l'Amirauté et interroge l'offi- cier chargé de l'emploi des sous-marins.

— Commandant, je ne suis au courant de rien. Je vais en référer à mes supérieurs.

Barrelon revient à la mission navale où il a rendez-vous avec Odend'Hal et l'informe de sa très brève conversation. Odend'Hal est furieux. Il retourne voir l'amiral Phillips qui lui confirme qu'un télégramme de rappel a bien été expédié au Rubis. Au même moment, le Rubis, qui n'avait rien reçu de la station de Rugby, petite ville proche de Coventry où se trouve la station de radio qui émet sur ondes très longues1 les messages pour les sous-marins en opéra- tion, était occupé à mouiller ses mines dans les passes de Trondhjem.

L'armistice est donc signé, et tous les bâtiments français — environ 250 — qui ont pu fuir les ports français pour ne pas tomber aux mains des Allemands, ont trouvé refuge en Angleterre. Que va-t-il se passer maintenant ? Les hommes du Rubis, depuis qu'ils ont touché Dundee où ils se sentent bien, ont décidé de demeurer avec leurs amis anglais et de continuer à se battre à leurs côtés.

De de Gaulle, personne ne sait rien et son appel n'a pas été entendu, sauf par quelques-uns, si bien que la plupart des officiers de marine n'ont qu'une idée fixe, retourner en France avec leurs bâtiments.

Les Anglais sont inquiets. Ils craignent que Hitler ne décide d'envahir leur île et ils savent que, dans ce cas, ils seraient broyés et vaincus. Mais pourquoi les marins français ne déclarent-ils pas, spontanément, car pour les Anglais, cela va de soi : « Nous sommes avec vous. Nous avons commencé la guerre ensemble, eh bien, malgré l'armistice, nous continuons. »

1. Seules les très longues ondes peuvent atteindre un sous-marin en plongée.

Aux heures de vacation, les bâtiments, pour bien recevoir les messages, prenaient l'immersion à environ vingt mètres.

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L'AUTEUR. - Journaliste et écrivain, Maurice Pasquelot a bourlingué sur les côtes d'Afrique, d'Amériq du Sud jusqu'en Terre de Feu, d'Amérique du Nord, dans le Pacifique et les Carabes où la guerre surprend en 1939. Rentré en France, il appartient aux Services secrets de la marine. Secrétaire Paul Morand à Londres, il suit des cours dans une école de l'Intelligence Service. Pendant l'Occupati(

il recherchera et transmettra aux Alliés des renseignements militaires. De 1944 à 1977, il dirige quatre hebdomadaires parisiens. Maurice Pasquelot a écrit trois romans à succès, publiés ch Julliard.

LE LIVRE. - Pour la première fois, un écrivain raconte la guerre que les sous-marin de la France Libre menèrent contre la Kriegsmarine de Hitler. Une page d'histoir exemplaire, mais aussi un roman, celui d'hommes qui ont passé la moitié de leur vi sous la mer, dormant sur des couchettes inconfortables, mangeant des conserve:

ne disposant pas d'eau pour leur toilette. Un livre d'histoire qui vous fera vivre a jour le jour les faits de guerre, les attaques de bâtiments ennemis, les mouillage de mines; les privations, les peurs et les bonheurs de ces équipages de volontaires Depuis septembre 1939 jusqu'à la défaite de l'Allemagne nazie, cinq sous-marin français ont patrouillé dans les glaces de l'océan Arctique, les brumes des Bermudes

sur les côtes de Norvège, en Méditerranée. 4

Quand le général de Gaulle lance son fameux appel de juin 1940, à Londres, vingt millf marins français et leurs bâtiments sont alors en Angleterre. Quatre cents seulemem se rangeront sous le fanion à croix de Lorraine, qui formeront le noyau des Force navales françaises libres. Sur la centaine de sous-marins que comptait la France cinq choisirent de continuer la guerre. Le premier, le "Rubis", petit mouilleur de mines accomplira vingt-huit missions. Le "Surcouf", le plus gros sous-marin du monde éperonné par un cargo américain, disparaîtra dans le golfe du Mexique. Le "Narvaii heurtera une mine italienne entre la côte de Tunisie et l'ite de Malte. La "Minerve-,, patrouillera jusque dans l'Arctique pour protéger les convois alliés, destinés à l'U.R.S.8 La "Junon" déposera, notamment en Norvège, une équipe de saboteurs qui ferom sauter les installations de l'usine d'eau lourde de Glomenfjord, ruinant les projets d I Hitler : la fabrication d'une bombe atomique. Un chapitre de la guerre secrète jamaii encore raconté. Un livre passionnant, dont chaque page est une aventure.

Atelier Pascal Vercken ISBN 2-258-00906a

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