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clin d'œil étymologique

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Academic year: 2022

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4 Juin-Juillet-Août 2018 L'ACTUALITÉ CHIMIQUE N° 430-431

clin d'œil étymologique

Voilà un mot emprunté tel quel, au trait d’union près, à l’anglais white spirit désignant un diluant pour peinture d’usage courant, qui est tiré du pétrole. White-spirit est donc un anglicisme, ce qui n’est pas rare dans le vocabulaire des pétroliers, où l’on emploie aussi des noms qui remontent à l’Antiquité comme nous allons le voir.

Le white-spirit, un esprit blanc ?

En fait, ce passage de l’anglais au français est, comme souvent, un prêté pour un rendu car l’anglais spirit est un emprunt à l’ancien français espirit, qui vient lui-même du latin spiritus, et est devenu esprit en français. Ce latin spiritus, lié au verbe spirare, «  souffler, respirer  » (cf. inspirer, expirer, transpirer…), signifiait au sens propre

«  souffle, respiration  » et au figuré «  esprit, âme…  ». Puis spiritus en bas latin, d’où espirit, esprit en ancien français, ont aussi désigné chez les alchimistes tout produit léger obtenu par une distillation : on connaissait l’esprit-de-vin (cf.

les vins et spiritueux), l’esprit de bois, l’esprit de sel… Le white-spirit est donc un esprit au sens ancien du terme, ici un distillat relativement léger (très inflammable en tout cas) du naphta, qui lui-même est un distillat de pétrole situé entre l’essence et le kérosène. Le white-spirit est en fait un naphta lourd (hydrocarbures en C8 à C12), mais donc plus léger que les kérosènes, bitumes ou goudrons, et c’est par opposition à ces produits bruns ou noirs que le naphta lourd est qualifié de blanc, c’est-à-dire ici « incolore ». Mais d’où vient ce mot naphta ?

Le naphte était connu dans l’Antiquité

Dans le Livre II de son Histoire Naturelle, Pline l’Ancien nomme en latin naphtha « un produit qui coule comme du bitume liquide dans les environs de Babylone et en Parthie [Iran]. Le feu a une grande affinité pour le naphte et, d’où qu’il le voie, il se jette aussitôt sur lui. C’est de cette façon, dit-on, que Médée brûla sa rivale : celle-ci s’était approchée de l’autel pour y offrir un sacrifice lorsque sa couronne prit feu. » Plus tard, dans son Dictionnaire de chimie (1778), Macquer définit le naphte comme « le pétrole le plus blanc, le plus volatil & le plus fluide. » En fait, le terme naphte désigne historiquement le pétrole léger suintant à la surface du sol, et connu depuis l’Antiquité, surtout au Moyen-Orient, et on nomme naphta, à la suite de l’anglais naphtha, toute coupe pétrolière qui a sensiblement les mêmes caractéristiques. Ce nom remonte au grec naphtha (νάφθα), sans doute emprunté au persan.

Selon les langues, son écriture est soit translittérée sur le modèle du latin naphtha, comme en allemand (Naphtha) et en anglais (naphtha), soit complètement simplifiée comme en italien et en espagnol (nafta). Mais le français (naphta) adopte une voie moyenne  : le φ est translittéré en ph, et en même temps le θ est simplifié en t au lieu de th. Cette sorte de demi-mesure est habituelle en français, comme le montre la comparaison avec l’anglais dans quelques exemples : rythme et rhythm, ichtyologie et ichthyology… sans compter naphtalène et naphthalene, noms dérivés de naphta et naphtha.

Bitume et béton, asphalte et goudron…

On vient de voir que Pline comparait le naphte à du bitume liquide, et il expliquait dans son Livre XVI que ce bitume était tiré par chauffage de l’écorce de bouleau. On en déduit que le latin bitumen vient sans doute de betulla, le nom latin, d’origine gauloise, du bouleau, alors qu’aujourd’hui le bitume est le plus souvent un dérivé du pétrole presque solide : béton, anciennement betun, est d’ailleurs emprunté au latin bitumen. Quant à l’asphalte, c’est un mélange, naturel ou synthétique, de bitumes et de charges minérales. Son nom vient, par le latin, du grec asphaltos, formé du a- privatif et de l’élément -sphaltos (cf. sphaltês, « celui qui fait tomber »), du verbe sphallein,

« faire tomber ». Le grec asphaltos signifie donc « qui empêche de tomber, qui solidifie  », un nom logique pour des produits utilisés depuis toujours comme ciments pour solidifier une structure, ou pour calfater l’arche de Noé par exemple.

Enfin, on confond souvent asphalte, bitume… et goudron, dont le nom provient de l’arabe d’Égypte qaṭrān, « goudron », en passant par des formes anciennes, catran (XIIe siècle), goutren, gouderon… On extrait le goudron du pétrole, du charbon, mais aussi du bois, d’où son nom en anglais, tar, en allemand, Teer, relié à l’anglais tree, « arbre ».

L’arche de Noé, plus solide que le béton : l’asphalte.

À l’épilogue, on est tombé sur le béton

Partant du volatil white-spirit, on est arrivé à de lourds produits utilisés sur le macadam qui perpétue le nom de son inventeur écossais, John L. MacAdam (1756-1836). À ne pas confondre, si l’on sort de la route, avec son compatriote chimiste John Macadam (1827-1865), qui a vécu en Australie, où son nom a inspiré celui de la noix de macadamia. Deux homonymes pour deux éponymes de deux réalités bien différentes.

À propos du white-spirit

Pierre AvenAs*,

ex directeur de la R & D dans l’industrie chimique.

*pier.avenas@orange.fr Naphtalène.

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