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Clin d’œil étymologique

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Le nom de cet élément remonte visiblement au grec phôs- phoros, de phôs, phôtos, « lumière », et pherein, « porter » ; cette étymologie reflète une double histoire, celle des mots et celle de la découverte, haute en couleur, du phosphore.

Du grec phôsphoros au français phosphore

En grec, l’adjectif phôsphorossignifiait « qui porte la lumiè- re » et s’appliquait donc, au sens propre, à une torche qui éclaire. Puis en grec tardif, Phôsphorosdésignait la planète Aphrodite (devenue Vénus, l’étoile du Berger) tôt le matin, quand cette étoile est la plus brillante du ciel et qu’elle apporte en quelque sorte la lumière du jour. En latin, son nom était Phosphorus, ou Lucifer, de lux, lucis, « lumière », et ferre, « porter », alors que le soir, on l’appelait Hesperus, du grec Hesperos, de hespera, « soir ».

Plus tard, les alchimistes ont donné le nom phosphorusaux substances luminescentes qu’ils rencontraient. L’une des premières découvertes, à Bologne en 1602, fut la lumines- cence du sulfure de baryum calciné, nommé phosphore de Bologne. Par la suite, le nitrate et le sulfure de calcium ont aussi été qualifiés de phosphores. Le grec phôsphorosa donc abouti en français à phosphorepour désigner au XVIIesiècle toute substance luminescente, et c’est dans ce contexte qu’est intervenue en 1669 la découverte extraordinaire, sinon rocambolesque, d’un alchimiste de Hambourg.

Comment en recherchant l’or, l’on découvre le phosphore

Comme la plupart des alchimistes, Hennig Brandt était obsédé par l’idée de fabriquer de l’or, et il était persuadé que le corps humain en contenait. Le nom de l’or en allemand, Gold, signi- fie « métal jaune », comme si ce métal s’identifiait à sa couleur (cf. L’Act. Chim., n° 418-419, à propos de l’or), et de là à pen- ser qu’une substance jaune devait contenir de l’or, il n’y avait qu’un pas. On le pensait ainsi de l’urine, et c’est sous l’in- fluence de aurum, « or », que le latin urina, « urine », est deve- nu en bas latin *aurina, puis orineen français au XIIesiècle, redevenu urineen français au XIVesiècle (mais resté orinaen

italien et en espagnol). Et donc Brandt s’est mis en tête d’ob- tenir de l’or, ou au moins la pierre philosophale capable de transmuter le plomb en or… à partir de l’urine. L’expérience cruciale eut lieu en 1669 : la distillation de l’urine poussée à l’extrême, suivie d’une calcination du résidu, a donné une substance blanche et cireuse, qui, loin d’être de l’or, avait la propriété inattendue de s’enflammer violemment à l’air et de luire dans l’obscurité. Cette substance nouvelle était donc un phosphore, que d’autres alchimistes ont su produire sous des noms tels que phosphore de Kunckelou d’Angleterre, jusqu’à ce que Lavoisier lui donne le statut d’élément chimique en lui réservant le nom phos- phore, tout court. L’anglais a gardé phosphorus, l’allemand Phosphor, l’espagnol fόsforo, désignant aussi une allumette, porteuse du feu, et d’ailleurs inventée au XIXesiècle grâce au phosphore. Le terme phosphorescence dérive de phos- phore, mais en physique, il désigne une luminescence d’ori- gine purement électronique, alors que celle du phosphore est d’origine chimique (chimiluminescence).

Autre curiosité : en grec tardif, phôsphoros a pour synony- me phôtophoros, que le français a emprunté au XIXesiècle, le photophore. D’où d’étranges doublets : phosphore en chimie et photophorepour l’éclairage.

Et le phosgène ?

On pourrait voir aussi une sorte de synonyme de phosphore dans phosgène, qui signifierait « qui engendre la lumière », comme hydrogènesignifie « qui engendre l’eau ». Mais pas du tout : le chimiste anglais John Davy a obtenu le phosgè- ne en 1812 par réaction du chlore et du monoxyde de carbo- ne sous l’action de la lumière :

↓lumière Cl2+ CO → Cl2CO

Donc étymologiquement, phosgènesignifie « qui est engen- dré par la lumière ». En effet, le sens du suffixe -gène en français est tantôt actif, tantôt passif. Actif dans hydrogène, oxygène, collagène…, passif dans phosgène, endogène, exogène…

Épilogue

L’aventure du phosphore est un bel exemple de sérendipité : le phosphore obtenu par Brandt provenait des phosphates contenus dans l’urine, restée d’ailleurs pendant un siècle la seule source de phosphore. Cet élément a été tiré ensuite de l’os, et maintenant des phosphates, dont les gisements résul- tent d’une lente accumulation de déjections animales, surtout du guano des oiseaux et des chauves-souris. La disponibilité du phosphore à long terme pose d’ailleurs un problème sur lequel, si l’on ose dire, il est urgent de phosphorer.

Clin d’œil étymologique

6 l’actualité chimique - juillet-août 2017 - n° 420

À propos du phosphore

Pierre Avenasa été directeur de la R & D dans l’industrie chimique.

Courriel : pier.avenas@orange.fr L’alchimiste Hennig

Brandt, à la recher- che de l’or et de la pierre philosophale, découvrit le phos- phore.

Joseph Wright (1771).

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