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Le paysage des "médiévistes de papier"

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Environnement sociétés, espaces

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m é d ié

Monique Bourin (CNRS - UMR 85-89 et Université de Paris 1)

« Médiéviste d e p apier » , l'expression est trop é vo ca trice e t trop jolie pour que je ne la reprenne pas à mon com pte. Mais c e tte longue période — longue à l'éch elle historique du moins — n'utilise le papier que dans ses deux derniers siècles. Alors seulement l'usage d e l'écriture devient assez banal pour que le papier se fasse son support normal e t qu'aussi le papier, moins coûteux, rende plus fréquent le recours à l'écrit,

Multiple Moyen Âge

De fait, les mille ans d e Moyen  ge ne sont uniformes que vus d e très loin, co m m e un temps entre l'A ntiquité e t la période m oderne. Les sources textuelles, d e nature e t de nom bre si différents, ne fo n t que traduire la puissance d e l'évolution d e la société m édiévale. Le d é c o u p a g e habituel, 476-1492, qui m et l'a c c e n t sur le politique, n 'a plus cours que très partiellem ent, m êm e parmi les historiens des textes. Le très haut Moyen  ge se traite a v e c la fin d e l'Antiquité. Dès 1300, e t m êm e avant, les nouvelles formes d e la vie politique am orcent une nouvelle ère ; la Peste Noire à partir d e 1348 dépe u p le violem m ent l'Europe, surtout méridionale ; la m odification prob a b le du clim at conjugu ée à une transform ation to u t aussi probable des habitudes alimentaires vers un régime plus carné e t à un sens plus aigu du profit chez les possesseurs de la terre convertit une Europe céréalière où la forêt est rare e t ses produits coûteux en un ensemble d e régions, qui réponde nt aux sollicitations du m arché e t où éleva g e e t exploitation forestière m odifient l'éco nom ie e t donc le paysage.

C 'est aussi un tem ps où les représentations évoluent. Alors seulement, notam m ent a v e c les fresques du palais com m unal d e Sienne, co m m e n ce une période où la peinture crée des paysages.

C 'est d o n c a v a n t ces profondes modifications qu e révèlent les textes du XIVe siècle au centre du Moyen Âge que je me placerai, en un temps où les historiens des textes n'ignorent pas les données archéologiques, m êm e si l'utilisation qu'ils en fo n t est loin de satisfaire les archéologues, mais où la richesse e t le nombre de textes à leur disposition leur laissent une autonom ie raisonnable. Bref entre l'a n mil et 1300.

Restriction chronologique, mais aussi géographique. L'Europe est immense : j'é vo q u e ra i surtout des exemples français.

C 'est le temps où c o m m e n c e un prodigieux succès d e la ville e t d e l'accroissem ent de la productivité du travail humain qu'e lle organise. Elle est désormais un m oteur fo n d a m e n ta l d e l'histoire. Les historiens ne s'interdisent pas le c o n c e p t d e paysage urbain, bien au contraire. Et il pourrait être utile d'intégrer dans l'im ag e picturale que l'historien cherche à tra ce r du paysage la part urbaine de son attention. Mais là encore, je restreindrai le point d e vue e t réserverai les observations au m onde des cam pagnes.

Les changements qui surviennent dans les sociétés humaines sont le terrain de l’historien (et du médiéviste)

Le dom aine d e l'historien est l'é tu d e de la société ; les hommes en sont le centre, pris en groupe. Même si les classes sociales e t leurs luttes n'e n sont plus l'a p p ro c h e dom inante, à g a u c h e com m e à droite, m êm e si la vogue d e la micro-histoire a ch a n g é l'éch elle d'observation, le travail d e l'historien reste dom iné par l'é tu d e des organisations sociales e t des interrelations entre les groupes.

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Monique Bourin

Avant Braudel qui en fut le chantre, la longue durée a vait été a u p a ra va n t théorisée e t mise en pratique par celui que les médiévistes français (et étrangers) considèrent co m m e le fo n d a te u r de la « médiévistique » m oderne, Marc Bloch1. En fait, elle est parfois adm irée, mais peu pratiquée,

Une grande partie des études fondatrices o n t pris, entre les années 50 e t les années 80, la form e d'histoires régionales : elles co m m e n ça ie n t souvent par un chapitre plus ou moins géographique, mais souvent aussi là s'arrêtait le poids du « milieu » : il n'en é ta it plus question par la suite. Le paysage du m édiéviste est une dynam ique humaine.

Le médiéviste raconte l'histoire d e l'a m é n a g e m e n t des cultures e t des terroirs par les groupes sociaux. Il traite, mais assez peu, des conflits qui en sont résultés. Et ces conflits sont fo n d a m e n ta le m e n t perçus com m e une opposition entre seigneurs e t paysans. L'ouvrage écrit par Georges Duby au d é b u t des années 602 révèle c e qui é ta it le point de vue de l'historien e t sinon dans les résultats, du moins dans les cham ps que le médiéviste parcourt. Deux chapitres correspondent en gros au sujet abo rd é aujourd'hui : l'un s'intitule « allure e t limite d e l'expansion » et l'autre « la seigneurie et l'éco nom ie rurale » . Le premier c o m m e n c e par ce qui é ta it le dogm e alors e t dem eure fortem ent présent dans les manuels, l'expansion d e l'e sp a ce mis en culture (« les grands défrichem ents ») en m e tta n t l'a c c e n t sur les formes d e l'habitat, puis il a b o rd e les cycles culturaux, enfin les structures d e la société des cam p a g n e s e t l'essor des échanges. Le second est to u t entier consacré à la m arque de la seigneurie sur l'é co n o m ie rurale.

La part de la géographie historique

Dans les années qui ont suivi, Charles Higounet e t Pierre Toubert ont c h a c u n à leur manière, a ve c leurs élèves, déve lo p p é la géograp hie historique, plus attentifs à la mise en p la c e des structures durables q u 'à la conjoncture. Higounet3 a contribué à faire connaître les travaux des géographes allemands e t a étudié principalem ent les formes nouvelles de la mise en valeur aux XIIe e t XIIIe siècles, villages neufs d'A llem agne, du Bassin Parisien ou bastides d'A quitaine. De sa pratique des géographes, il a p p o rta aussi aux médiévistes la c a rtograph ie com m e un instrument heuristique, mais bien peu l'o n t suivi sur c e chem in. Pierre Toubert dans un gros ouvrage magistral consacré aux structures du Latium4 a mis les médiévistes à l'heure d e I' incastellamento, regroupem ent contraint des paysans autour du c h â te a u seigneurial dans un ensem ble architectural commun, le castrum.village fortifié e t perché. Peu ou prou, le m odèle vaut pour to u te la M éditerranée occidenta le. Mais \‘ incastellam entoest bien plus qu e le regroupem ent d e l'h a b ita t ; il refond les terroirs en des auréoles, plus ou moins concentriques autour du castrum et d'intensité décroissante, C ette schém atisation est très réductrice ; elle oublie toute l'atte ntion portée par Toubert à la phyto-histoire e t elle om e t qu'il est non seulement l'historien des terres régulièrement mises en valeur mais aussi du saltus. D'autre part, il a rom pu avec l'a prioriprofessé jusqu'alors par les médiévistes q u e les réorganisations massives ne se faisaient q u 'e n période d e déprise dém ograp hique : l'incastellam entoest un phénom ène d e croissance e t p o urtant il bouleverse les structures de la mise en valeur.

Par-delà la richesse de ces deux œuvres majeures, l'o b je t d 'in té rê t du médiéviste a p paraît assez clairem ent : les formes de l'h a b ifa t en constituent le noyau dur, a v e c une écrasante dom ination d e l'h a b ita t groupé, do n t il fa u t reconnaître qu'il apparaît bien mieux dans les sources que le ham eau ou la ferm e isolée. Autour d e l'habitat, les productions agricoles e t le parcellaire. Avec un fil co n d u cte u r com m un : les changem ents et la dynam ique sociale d e l'évolution. Il est évidem m ent plus fa c ile d e reconnaître dans les changem ents ceux qui ont perduré ; c 'e s t pourquoi, m algré son attention à l'évolution, le médiéviste a surtout repéré, non pas les perm anences, mais les lignes d e force du paysage a ctu e l ou subactuel qui se forgent au cours des siècles centraux du M oyen  ge et il est vrai qu'il y en a beauco up.

Dans les années 70-90, du moins en France, les régions m éditerranéennes sont repassées au premier plan e t le paysage de ces régions a suscité b e a u c o u p d'é tudes tandis que les générations précédentes ava ie n t centré leurs efforts sur des régions plus septentrionales de l'Europe des grandes plaines.

1 M arc Bloch, Les caractères originaux d e l'histoire rurale française, Paris 1931, édition 1999 éd. Colin, pré fa ce d e Pierre Toubert, 2 Georges Duby, L 'économ ie rurale e t la vie des ca m pagnes dans l'O c c id e n t médiéval, Paris 1962.

3 Parmi d e nombreux ouvrages, n o tam m e nt Défrichements e t villeneuves d u Bassin Parisien, éd. du CNRS, Paris 1990. 4 Les structures d u Latium médiéval. Le Latium e t la Sabine d u IX à la fin du X if s., Paris-Rome 1973.

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Environnement sociétés, espaces

Peut-on échapper à la tyrannie des textes ?

Dans c e t intérêt primordial pour l'hum ain en société, il y a sans d o ute une grande part de l'influence tyrannique des sources textuelles. Tyrannique n o tam m ent parce qu'il y a toujours un grand risque à dévoyer une source e t à l'analyser dans c e q u 'e lle n'est pas faite pour dire. Tyrannique parce q u 'e lle institue toujours le filtre d e l'é crit qui n'est jamais aléatoire. Le hasard n'est pas pour grand-chose dans la conservation différentielle des docum ents écrits : le corpus aujourd'hui disponible pour le médiéviste est le résultat d e choix successifs qui ont porté seulement quelques décisions à l'écrit e t n 'e n o n t conservé q u 'u n e très petite partie. C'est le clerc qui tient la plum e e t c 'e s t le seigneur qui est le com m anditaire,

Les sources narratives suivent les modèles d e l'A ntiquité : ainsi ces descriptions bucoliques com m e celle de Guillaume de Saint-Denis qui explique à ses frères pourquoi il est si heureux d 'a v o ir quitté la grande a b b a tia le pour un prieuré poitevin : « le lieu est gai e t plaisant, entouré d e bois e t de collines ». L'essentiel est sa form idable fécondité, pommes, vins, pins, noyers, multiples arbres fruitiers. La description ne s'attarde que sur le réseau hydrographique e t sur les grottes aux tem pératures régulières, où se conservent vin et grains. L'autre style est le livre d e merveilles où l'on d é crit les phénomènes extraordinaires : le Canigou, ses cristaux de roche, ses tempêtes, son lac où vit un dragon est présent à la fois chez l'Anglais Gervais d e Tilbury e t chez l'Italien Salimbene. M êm e lorsqu'au milieu du XIVe siècle Pétrarque entreprend l'ascension du Mont Ventoux et la raconte, c'e st essentiellement d 'u n e m éditation philosophique qu'il s'agit.

Dans les actes de la pratique c 'e s t encore la parole seigneuriale qui s'entend, m êm e si quelques chartes d e franchises, quelques plaintes fo n t entendre une voix paysanne. M êm e les chartes d e franchises qui a c c o rd e n t des allègements de taxes aux paysans e t parfois d e nouvelles terres, ne s'intéressent q u 'a u m ontant des taxes e t fort peu à l'a m é n a g e m e n t de l'espace. M êm e l'a b b é d e Saint-Denis Suger qui se vante dans des sortes d e Mémoires de tout le succès qu'il a connu dans la mise en valeur des dom aines de l'abbaye, notam m ent en Beauce, se co n te n te d e dire q u 'ic i il a creusé un vivier et là distribué aux paysans une superficie d e cinquan te charruées nouvellem ent acquises. Au mieux les chartes de lotissement des colons installés en Germ anie orientale décrivent ces immenses parcelles, toutes en longueur, tracées à partir des routes ou des digues, voire des lisières de forêts, e t en don n e n t la dimension, sommairement, en insistant sur to u t c e qui constitue la liberté, notam m ent fiscale, des paysans. Au mieux, les lotissements urbains ou quasi urbains du XIIe siècle indiquent-ils des dimensions d e terrains à bâtir, d o n t il convient ensuite que le médiéviste décrypte la valeur dans nos unités post-révolutionnaires,

Lacunes d e ce paysage

On com prend aisément les dom aines absents des études d e paysage des médiévistes. Ainsi en va-t-il du réseau viaire : s'il est étudié c'e st pour déterm iner les grands itinéraires, fort peu la desserte des finages. Malgré une te n d a n ce a c c e n tu é e à assimiler routes médiévales e t voies romaines, les médiévistes ont c e p e n d a n t rem arqué com bien les itinéraires m édiévaux étaient changeants, saisonniers notam m ent et non pas rectilignes, mais formés en réseau anastomosé. Longtemps aussi l'inculte a été to u t à fa it délaissé e t on se p ré o ccu p a it peu d'observer les formes multiples d'e xploitation d e toutes les landes e t tous les bois, taillis et autres végétations arbustives variées, L'im age d om inante é ta it celle du Petit chaperon rouge et des grandes futaies d e l'é p o q u e moderne. Et si l'esp ace cultivé éta it le théâtre d e transformations, le saltus était stable, seulement rongé par le front pionnier des défrichem ents, À l'im ag e d e la littérature m édiévale, il é ta it le dom aine d e la sauvagerie e t l'hom m e éta it e m barqué fo n d a m e n ta le m e n t dans un corps à corps a v e c sa faune e t sa végétation.

Pièges d e la toponymie

Les médiévistes, com m e d'autres historiens, o n t cru é ch a p p e r à c e prisme imposé par les formes de l'écriture en recourant à la toponym ie : on la voyait plus sûre, moins m arquée par la subjectivité. Ce fut une catastrophe : actuellem ent les imprudents existent encore, mais la plupart préfèrent s'abstenir. Il est bien clair que la toponym ie appartien t au dom aine des représentations e t qu'il est fo n d a m e n ta le m e n t un phénom ène d e mém oire et d e légitimation. Tel seigneur qui affirm e son jeune pouvoir renom m era le site d e son château de son propre nom ; tel autre, en q u ê te d e légitim ité pa r le passé, conservera le nom d 'u n e résidence qu'il déplace . Tout ou presque reste à faire dans c e dom aine, à com m encer par com prendre les règles sociales de la toponym ie a va n t d 'e n faire un instrument d e lecture des paysages anciens.

Choix divergents et nouveaux chemins

Les médiévistes d e parchem in sont d o n c à un tournant dans leurs m éthodes d 'a p p ro c h e du paysage, Ils ont assimilé des acquis venus d'ailleurs. Les perm anences se sont déplacé es : elles ne sont plus dans la toponym ie rom ane prise pour la preuve d e la perm anen ce des habitats gallo-romains ; ni dans celles de structures telles que le b o c a g e d o n t la fo n ctio n d 'a p p ro p ria tio n du sol est m aintenant bien comprise. Ils ont rompu a v e c des dogmes tels que l'antériorité systématique du co lle ctif sur le « privé ».

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Monique Bourin

Certains se sont rapprochés des archéologues e t l'in te rfa ce hommes/milieu est devenu leur m ode de réflexion. Ils jo u e n t sur une d o cum enta tion en partie textuelle, en partie d 'a u tre nature : restes fauniques, pollens, charbons d e bois, fouilles d 'h a b ita t, prospections6. Là est la voie d 'u n e recherche « o b je ctive » des paysages médiévaux, d o nna nt à ch a q u e type d e docu m e n ta tio n sa propre logique, sans y projeter une problém atique issue d 'u n e autre et tâ c h a n t de com prendre les divergences des résultats obtenus. Elle s'installe dans une échelle spatiale (restreinte) e t tem porelle (allongée) bien plus proche d e celle des archéologues que des historiens des textes.

Les autres continuent à ne prendre les données de leurs études que dans la do cu m e n ta tio n textuelle e t ne cherchent pas ta n t la réalité physique et passée des paysages que la perception que les contem porains o n t pu en avoir. C om m ent un paysan, un clerc, un seigneur m édiéval observaient-il l'e sp a ce ? Notre c o n ce p tio n est définitivem ent troublée par l'existence de la cartographie. Il nous fa u t discuter a ve c les anthropologues, com prendre le continu et le discontinu dans les structures mentales, les principes de classement e t d'organisation d e l'espace, l'expérience du d é p la ce m e n t e t le poids d e la sédentarité.

Il me semble q u e le paysage des médiévistes d e parchem in a é cla té au c o n ta c t d'autres disciplines qui on t imposé leurs échelles et leurs questionnements e t o n t sapé habitudes e t a priori. Mais il a évolué aussi de manière endogène, p arce que la critique des textes n 'a plus pour rôle unique d e dire si un texte est authentique ou faux, mais cherche à en percer les roueries e t pa rce que les médiévistes o n t p a rticip é d e c e tte évolution générale d e l'histoire vers une histoire des représentations mentales e t affectives.

6 Pour la plupart, l'é tiq u e tte « historien des textes » n 'a plus vraim ent d e sens e t il est impossible d e dire c e qui prim e d e la discipline arch é o lo g iq u e ou des données textuelles. Par exemple, Aline Durand. Les paysages m édiévaux du Languedoc, Toulouse 1998.

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