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Les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine

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Les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine

GIOVANNINI, Adalberto

GIOVANNINI, Adalberto. Les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine. In: Frei-Stolba, R. & Gex, K. Recherches récentes sur le monde hellénistique . Bern : Lang, 2001.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:89671

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Actes du colloque internatÎ()nal organisé à l'occasion du 60e anniversaire

de Pierre Ducre)' (Lau.sann.e, 20-21 novembre 1998)

Volume édité par Regula Frei-Stolba et Kristine Gex

Tiré à part

PETERLM~

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Bern" Berlin " Bruxelles" Frankfurt arn Main· New York., Oxford· -w- ien

ISBN 3-906758-47--8

© Peter Lang SA, Editions scientifiques européennes, Bern 200 l Jupiterstr. 15, Case postale, CH-JOOO Bern 15, info@peterlang.com, wvvw.pererlang.com, www.peterlant;.net

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Les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine

Adalberto Giovannini (Genève)

La deuxième guerre de Macédoine a été un événement majeur de 1 'histoire antique. C'est en effet par cette guerre que Rome, à peine sortie d'une lutte sans merci contre Carthage pour 1 'hégémonie en Méditerranée occidentale, a été amenée à intervenir de plus en plus di- rectement dans les affaires grecques, à humilier voire à abolir les principales monarchies hell- énistiques et à étendre ainsi son hégémonie sur l'ensemble du monde grec en l'espace d'un peu plus de deux générations.

Les raisons qui ont incité le Sénat à lancer dans une nouvelle guerre un peuple romain épuisé économiquement et démographi- quement par une guerre de plus de vingt ans ne sont pas du tout évidentes. La tradition anna- listique rapporte du reste que, dans un premier temps et précisément pour cette raison, les comices rejetèrent la proposition de déclaration de guerre que leur soumit le consul P. Sulpi- cius Galba, et qu'il fallut toute la persuasion de ce consul pour les faire changer d'avis (Liv., 31, 6, 3-8, 1). Selon cette même tradition an- nalistique, cette guerre ne fut que le prolonge- ment et la conséquence logique de la première guerre de Macédoine, qui fut provoquée par le traité conclu en 215 entre Philippe V et Hanni- bal, et fut achevée par la paix de Phoinikè de 205 (cf. Liv., 29, 12, 16; 31, 1, 8-10; 31, 31, 19sq.; 32, 21, 18). Les savants modernes sont, quant à eux, très divisés sur cette question fon- damentale, selon l'idée qu'ils se font de l'impérialisme romain.1 Certains sui vent la tradition annalistique, ce qui reviendrait à dire que la vraie cause de la guerre est le traité de 215 entre Philippe V et Hannibal et que la paix conclue en 205 n'était en fait qu'une trêve.

Pour d'autres, la déclaration de guerre à Phi- lippe aurait été la réponse de Rome à l'accord secret que celui-ci aurait conclu avec Antio- chos III après 1 'avènement du jeune Ptolémée V sur le trône d'Egypte en automne 205.Z D'autres encore croient que les Romains ont vraiment voulu, comme ils 1 'ont prétendu, ve- nir en aide à leurs alliés en Grèce, notamment

Attale de Pergame, libérer le monde grec de la tutelle macédonienne et lui apporter, dans un philhellénisme sincère et désintéressé, l'auto- nomie et la liberté.3 D'autres enfin considèrent que la seule vraie cause de cette guerre est l'impérialisme romain.4

Si les historiens modernes sont ainsi divisés sur les causes profondes de l'intervention ro- maine dans le monde grec, ils sont en revanche pratiquement unanimes sur les circonstances qui ont amené Rome à déclarer la guerre à Philippe: ce sont les ambassades qu'Attale de Pergame et les Rhodiens envoyèrent à Rome vers la fin de l'année 201 pour se plaindre des agressions de Philippe et pour demander de 1 'aide, qui auraient convaincu le Sénat d'intervenir militairement en Grèce.5 Effecti- vement, le Sénat réagit immédiatement à l'appel du roi de Pergame, qui était allié aux Romains, et des Rhodiens, leur promit de prendre garde à leurs intérêts et dépêcha peu après une ambassade à Ptolémée V pour lui annoncer la victoire sur Carthage et lui deman- der de rester fidèle en cas d'une guerre contre la Macédoine (Li v., 31, 2, 1-4). Dès le retour à Rome, vers la fin de cette année 201, du consul P. Aelius Paetus, le Sénat décida de traiter en priorité des plaintes des alliés et prit des dispo- sitions en vue d'une guerre qui paraissait im- minente (Liv., 31, 3, 1-3). Enfin, le jour même de 1 'entrée en charge des consuls de 1 'année 200, aux Ides de mars, le Sénat décida de déclarer la guerre à Philippe, décréta la Macé- doine province consulaire et donna mandat au consul P. Sulpicius Galba, à qui était échue cette province, de soumettre aux comices la proposition de déclaration de guerre (Li v., 31, 5). Tout ceci donne 1 'impression que le Sénat, qui semblait s'être complètement désintéressé des affaires d'Orient depuis la paix de Phoi- nikè, fut tout soudain tiré de sa léthargie par 1 'appel au secours d'Attale et des Rhodiens, qui porteraient dès lors une très lourde respon- sabilité dans les malheurs que valut plus tard au monde grec 1 'intervention romaine.

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98 ADALBERTO GIOV ANNINI

Cette version des faits ne correspond toute- fois pas à ce que rapporte la tradition annalisti- que transmise par Tite-Live. Selon cette tradi- tion, c'est déjà à la fin de l'année consulaire 203 que des cités alliées de Grèce seraient ve- nues se plaindre au Sénat d'agressions et de pillages commis par des troupes macédonien- nes, et auraient en outre prétendu que Philippe aurait envoyé 4 000 hommes en Afrique pour assister les Carthaginois contre Rome. Le Sénat aurait alors envoyé au roi trois ambassa- deurs, C. Terentius Varro, C. Mamilius et M.

Aurelius, avec trois quinquérèmes, pour lui faire savoir que les patres considéraient ces actes comme contraires au traité conclu en 205 (Liv., 30, 26, 2-4). Vers la fin de l'année 202, une ambassade de Philippe serait venue à Rome pour répondre à ces accusations et aurait demandé audience~ le Sénat lui aurait fait répondre qu'il 1 'entendrait lorsque les nou- veaux consuls seraient en fonction (Li v., 30, 40, 4). Le Sénat aurait effectivement décidé, dès 1 'entrée en fonction des nouveaux consuls, d'entendre cette ambassade, ainsi qu'une am- bassade de Carthage, avant même de procéder à la répartition des provinces~ il aurait fait clai- rement entendre aux envoyés de Philippe qu'il n'était pas satisfait des explications données par le roi et aurait, lors de cette même séance, félicité le légat M. Aurelius, resté en Grèce, d'avoir protégé les alliés de Rome contre les agressions macédoniennes (Liv., 30, 42, 1-10).

Ce même Aurelius serait venu à la rencontre de M. Valerius Laevinus lorsque celui-ci vint en Grèce à la fin de 1 'année 201 au commande- ment d'une flotte de 40 vaisseaux, l'aurait in- formé des préparatifs de guerre de Philippe, et les deux hommes auraient décidé d'écrire à ce sujet aux consuls et au Sénat (Li v., 31, 3, 3-6).

Cette lettre serait parvenue à Rome au tout début de 1 'année consulaire 200, alors que le Sénat venait de décider la guerre contre Phi- lippe, et aurait été aussitôt portée à la connais- sance des patres (Liv., 31, 5, 5-7), Selon la tradition suivie par Tite-Live, le contentieux entre Rome et Philippe aurait donc éclaté et se serait traduit par des opérations militaires en Grèce bien avant la venue à Rome des envoyés d'Attale et des Rhodiens, ce qui reviendrait à dire que leur appel au secours aurait tout au plus accéléré un processus déjà bien engagé,

mais ne saurait en aucun cas être considéré comme la cause de la guerre.

Les historiens modernes ne tiennent pas compte des échanges diplomatiques qui au- raient eu lieu ni des opérations militaires qui auraient été conduites en Grèce par M. Aure- hus en 202, parce que ces échanges diplomati- ques et la mission d' Aurelius sont générale- ment considérés comme des inventions de la tradition annalistique. Cette opinion remonte, semble-t-il, à B. Niese, qui affirme catégori- quement dans une note en bas de page de son histoire sur la Grèce hellénistique qu'il s'agit d'une fable («eine Erdichtung»),6 ce qu'ont fait après lui, également dans des notes en bas de page, M. Holleaux et G. de Sanctis.7 L'autorité de ces savants a été telle que dans la plupart des travaux sur les origines de la deuxième guerre de Macédoine, ces échanges diplomati- ques et la mission d' Aurelius ne sont même plus mentionnés : c'est le cas notamment d'un article de A.H. McDonald et de F.W. Walbank paru en 1937, qui a eu une très grande in- fluence sur la recherche et sur lequel je revien- drai.8 Et les sceptiques se sont trouvé confir- més dans leur scepticisme par l'ouvrage de K.- H. Petzold, paru en 1940, qui a voulu démon- trer de manière irréfutable 1 'inauthenticité de ces échanges diplomatiques et de la mission d' Aurelius.9 Quant aux rares savants qui ont essayé de défendre leur authenticité, ils sont pour ainsi dire ignorés. 10

Niese avait rejeté l'historicité des échanges diplomatiques de 203/2 principalement parce que les ambassadeurs des cités alliées de Grèce auraient accusé Philippe d'avoir envoyé à Carthage un contingent de 4 000 hommes, accusation qui aurait été confirmée 1 'année suivante par le légat M. Aurelius. Effective- ment, la Macedonum legio qui aurait été, selon Tite-Live (30, 33, 5), alignée à Zama par les Carthaginois, n'est mentionnée ni par Polybe (15, 11, 1-3) ni par Appien (Pun. 40), ce qui donne à penser que cette aide de Philippe aux Carthaginois a été inventée par la tradition annalistique pour aggraver le cas du roi de Macédoine. Quant à Holleaux, c'est surtout le fait que les sociae urbes «de Grèce» soient inconnues par ailleurs qui lui a semblé déter- minant.

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Les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine 99

Mais ce que nous avons surtout ici, c'est un exemple particulièrement flagrant de la méfiance viscérale à l'égard de la tradition annalistique qui est inculquée aux historiens de 1 'antiquité dès le début de leurs études. Cette méfiance vi~cérale remonte au célèbre ouvrage de Heinrich Nissen, Kritische Untersuchungen über die Quellen der vierten und fünften De- kade des Livius, publié à Berlin en 1863.11 Dans cette étude fondamentale sur les sources de Tite-Live, Nissen a établi par une méthode comparative rigoureuse la distinction entre les parties de son œuvre qui dépendent entière- ment ou partiellement de Polybe, et celles qui dépendent de la tradition annalistique. Pour les premières, la comparaison de Tite-Live avec Polybe a mené Nissen à la conclusion que lors- qu'il y avait divergence entre les deux auteurs, la préférence devait dans tous les cas être donnée à 1 'historien grec. Nissen a en effet relevé dans la tradition annalistique des confu- sions et des erreurs, notamment chronologi- ques, de grossières exagérations, parfois même des falsifications ou des omissions délibérées qui 1 'ont conduit à porter sur la tradition anna- listique en général un jugement extrêmement sévère.12 Pour Nissen, les faits rapportés par Polybe peuvent être considérés comme au- thentiques jusqu'à preuve du contraire; inver- sement, la tradition annalistique ne peut être considérée comme fiable que lorsqu'elle est confirmée par Polybe. C'est le point de vue qui prédomine depuis lors chez les historiens mo- dernes.

La démarche méthodologique de Nissen est fondamentalement correcte pour les parties de l'œuvre de Tite-Live qui dépendent entière-·

ment ou partiellement de Polybe. Mais elle ne peut pas être appliquée sans autre et sans dis- cernement aux parties de son œuvre qui dépen- dent exclusivement de la tradition annalistique, soit 1 'essentiel de la troisième décade, que Nis- sen n'a pas du tout analysée, ainsi que les par- ties de la quatrième et de la cinquième décade qui relatent les événements d'Italie et de la Méditerranée occidentale. Pour cette partie de son oeuvre, Tite-Live découpe en effet son récit de manière très rigoureuse en années consulaires, lesquelles années consulaires sont elles-mêmes di visées en deux parties bien dis-

tinctes. L'annaliste commence invariablement par la relation des événements survenus à Rome depuis le jour de 1 'entrée en charge des nouveaux consuls, jusqu'au moment 'où ceux-ci quittent Rome pour se rendre dans leurs pro- vinces respectives. A partir de ce moment, Tite-Live relate les événements qui se sont produits hors de Rome durant cette année consulaire, soit principalement les opérations militaires des armées romaines, les activités diplomatiques des ambassadeurs romains en- voyés à 1 'étranger et les affaires extérieures en général. Il ne «revient» à Rome qu'occasion- nellement, soit pour une séance importante du Sénat, par exemple après le désastre de Can- nes, soit pour l'audition d'une ambassade présentant un intérêt particulier, par exemple celle de Sagonte en 203 (Li v., 30, 21, 3-5). Il termine son récit des événements extérieurs par les élections pour l'année suivante, en règle générale sous la présidence de 1 'un des deux consuls, et le cycle recommence.

La partie du récit consacrée aux événements de Rome d'une part, et celle qui est consacrée aux événements extérieurs d'autre part, pré- sentent des caractéristiques totalement dif- férentes 1' une de 1 'autre. Alors que la relation des événements extérieurs, notamment des opérations militaires des armées romaines, est souvent très circonstanciée, celle des événe- ments survenus à Rome est tout au contraire des plus succinctes, sauf lorsqu'un événement particulier, comme 1 'affaire des Bacchanales de 186, retient les consuls à Rome plus longtemps que prévu. Pour l'année 203, par exemple, les événements de Rome au début de cette année consulaire prennent environ deux pages de 1 'édition Teubner, alors que les événements extérieurs en prennent près d'une vingtaine;

pour l'année 202, les nombres de pages sont respectivement de une et de douze environ. Le contraste est saisissant.

Ce contraste provient de la différence de nature des informations données, qui est elle- même conditionnée par la différence de nature des sources dont elles proviennent. Les récits des informations militaires sont fondés soit sur les rapports qu'envoyaient les chefs militaires au Sénat, 13 soit sur des récits de nature auto- biographique rédigés par les chefs militaires eux-mêmes ou par des personnes les accompa--

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100 ADALBERTO GIOVANNINI

gnant,14 soit encore des récits d'autres person- nes ayant participé aux campagnes. Dans tous les cas, il s'agit d'événements, connus à Rome par l'intermédiaire de personnes ayant parti- cipé à ces événements en qualité d'acteurs ou de témoins. Ces relations sont donc nécessai- rement subjectives et souvent partiales, elles laissent de ce fait une très large marge de ma- nœuvre pour les exagérations, notamment en ce qui concerne le nombre des ennemis tués, les inventions d'épisodes héroïques, de beaux discours etc.

La relation des événements survenus à Rome entre le jour de 1 'entrée en charge des consuls et leur départ pour leurs provinces respectives est tout au contraire une énuméra- tion extrêmement concise, sèche, austère et dépourvue d'effets littéraires, des décisions prises par le Sénat, à savoir, dans 1 'ordre et après le débat sur 1 'état de la République (de re publica) qui inaugurait l'année, la désignation et la répartition des provinces consulaires et prétoriennes, la levée des troupes et leur attri- bution aux consuls et aux autres chefs militai- res, les religiones c'est-à-dire principalement le rapport sur les prodigia observés durant 1 'année écoulée et les sacrifices propitiatoires décrétés par le Sénat après avoir consulté les decemuiri, enfin l'audition de certaines ambas- sades étrangères importantes et les réponses données à ces ambassades (il arrivait parfois que le Sénat décide d'entendre certaines am- bassades avant même de procéder à_ la dési- gnation des provinces consulaires).15

Ces séries de décisions du Sénat que nous fait connaître la tradition annalistique sont authen- tiques dans le sens qu'année après année le Sénat a effectivement, le jour même de 1 'entrée en charge des nouveaux consuls, débattu de 1 'état de la République, a procédé ensuite à la désignation et à la répartition des provinces, puis à 1 'attribution des troupes aux chefs mi li- tai res, et qu'il a entendu un certain nombre d'ambassades étrangères après et parfois avant ces prises de décision. Elles sont authentiques aussi dans le sens que ces décisions du Sénat ont été consignées par écrit et que ces sénatus- consultes ont été conservés dans les archives de la République: l'existence de ces archives est attestée entre autres par une inscription de

Delphes, qui nous apprend qu'en 189 les Del- phiens demandèrent au Sénat une copie d'un sénatus-consulte en leur faveur, 16 et par une lettre de Cicéron à son ami Atticus (13, 33, 3) lui demandant de faire rechercher une infor- mation dans un sénatus-consulte de 1 'année 146. Elles sont authentiques enfin dans le sens qu'il était possible, comme le montrent les deux exemples que je viens de citer, à des col- lectivités et à des particuliers, bien entendu moyennant autorisation, de se procurer une copie d'un sénatus-consul te ou des informa- tions tirées d'un sénatus-consulte. Ces copies ou ces informations étaient transmises par l'intermédiaire des questeurs urbains et de leurs secrétaires, les scribae quaestorii.17 Il existait donc, dans les archives de la Républi- que, des sénatus-consultes authentiques corres- pondant aux séries de décisions transmises par la tradition annalistique; et ces documents étaient accessibles dans le sens qu'il était pos- sible de faire vérifier, par 1' intermédiaire des questeurs et des scribae quaestorii, le contenu de ces documents authentiques. Il est donc légitime d'admettre que les séries de décisions du Sénat transmises par la tradition annalisti- que ont été tirées d'une manière ou d'une autre des documents authentiques déposés dans les archives et que, jusqu'à preuve du contraire, les informations transmises par la tradition annalistique sont conformes aux documents originaux.

La lettre de Cicéron à Atticus nous apprend incidemment que les sénatus-consultes étaient classés par années consulaires (loc. cit.: repe- riet ex eo libro in quo sunt senatus consulta Cn. Cornelio L. <Mummio> consulibus). Ceci veut dire que l'organisation de l'œuvre de Tite- Live et sans doute celle de ses prédécesseurs correspond exactement 'au classement des sénatus-consultes dans les archives de la Répu- blique, ce qui est logique mais mérite néan- moins d'être relevé. Ceci donne l'impression que la tradition annalistique s'est dès le début inspirée du modèle des recueils des sénatus- consultes et a commencé chaque année consu- laire par la transcription fidèle, voire servile, d'extraits des sénatus-consultes qui détermi- naient la vie politique de la nouvelle année. On a même l'impréssion que ces séries de déci- sions, austères et répétitives, ont été le cadre

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Les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine 101 obligé à 1 'intérieur duquel les annalistes ont

élaboré la partie narrative des événements sur- venus durant 1 'année consulaire corres- pondante.

Grâce principalement à 1 'épigraphie, nous avons le texte de nombreux sénatus-consultes dont les plus anciens sont le SC de bacchanali- bus de 186 av. J.-C., 18 le SC de Thisbensibus de l'an 170,19 le SC de 164 environ relatif au Se- rapeum de Délos,20 le SC de 161 expulsant les philosophes et les rhéteurs de Rome21 et le SC du milieu du Ile s. relatif au conflit entre Magnésie et Priène.22 Ce qui caractérise tous ces sénatus-consultes, c'est leur extrême conci- sion qui n'a rien de commun avec les longs développements des décrets grecs de la même époque. L'objet de la décision n'y est exprimé qu'en une seule phrase qui se résume à quel- ques mots, le reste n'étant qu'un protocole tout aussi laconique des décisions prises. On n'y trouve aucune indication sur les raisons qui ont conduit le Sénat à prendre telle décision plutôt que telle autre; il y est encore moins question d'éventuelles divergences qui ont pu surgir au Sénat sur la décision à prendre et encore moins des arguments qu'ont pu faire valoir les inter- venants dans le débat. On peut donc, grâce à ces documents, savoir exactement quelles in- formations de la tradition annalistique ont pu provenir des recueils de sénatus-consultes, et surtout quelles informations ne peuvent en aucun cas en provenir.

Ceci étant posé, nous pouvons maintenant re- venir aux passages de Tite-Live concernant les échanges diplomatiques entre Rome et la Macédoine et sur la mission de M. Aurelius en 203-202:

l. Liv., 30, 26, 2-4: ceterum exitu superioris anni cum legati sociarum urbium ex Graecia questi essent uastatos agros ab regiis praesidiis profectosque in Macedoniam legatos ad res repetendas non admissos ad Philippum regern, simul nuntiassent quattuor milia militum cum Sopatro duce traiecta in Africarn dici, ut essent Carthaginiensibus praesidio, et pecuniae ali- quantum una missum, legatos ad regern, qui haec aduefsus foedus jacta uideri patribus nuntiarent, rnit- tendos censuit senatus. missi L. Terentius Varra, C.

Mamilius, M. Aurelius. iis tres quinquerernes datae.

Après avoir longuement relaté les opérations militaires en Afrique, Tite-Live interrompt son

récit pour informer le lecteur que la suite de ces opérations militaires, qui aboutirent à la bataille de Zama, se sont produites durant l'année consulaire suivante (30, 26, 1). L'infor- mation concernant la venue d'ambassades de Grèce suit immédiatement cette césure et précède la mention, fréquente chez Tite-Live, de quelques événements marquants de 1 'année écoulée. L'indication chronologique exitu su- perioris anni montre que Tite-Live ou sa source savait, ou croyait savoir exactement, à quel moment ces legati furent entendus par le Sénat, ce qui est la règle chez lui.23 Si 1 'information est authentique, cela signifie que le SC concernant 1 'audition de ces ambassades et l'envoi de trois légats à Philippe se trouvait tout à la fin du volume des sénatus-consultes de l'année consulaire 203.

L'expression très vague legati sociarum ur- bium ex Graecia ne peut pas provenir telle quelle d'un sénatus-consulte, car les sénatus- consultes que nous avons indiquent toujours les noms des cités ou peuples qui se sont adressés au Sénat. Si 1 'information est authentique, cela veut dire que l'annaliste qui est à son origine a jugé superflu de donner le détail des noms de ces cités ou peuples. On trouve cette façon de faire ailleurs chez Tite-Live, par exemple en 28, 39, 20: legationes deinde ceterae in sena- tum introductae auditaeque.

Tite-Live rapporte ensuite les propos que les legati auraient tenus au Sénat, laissant en- tendre notamment que Philippe aurait envoyé de l'aide aux Catthaginois. Ces propos ne peu- vent en aucun cas provenir d'un sénatus- consulte, car les sénatus-consultes ne rappor- tent jamais les propos tenus par les ambassa- deurs. Si 1 'information est authentique, le sénatus-consulte ne peut avoir indiqué autre chose que l'objet de l'ambassade, c'est-à-dire 1 'équivalent des mots uastati ag ri ab regiis praesidiis. Tout le reste, notamment les ru- meurs (dici) concernant l'aide de Philippe aux Carthaginois, doit être une adjonction de la tradition annalistique.

A la différence de ce qui précède, 1 'information legatos ·ad regem ... mittendos censuit senatus est un protocole de décision du Sénat qui peut être une citation pratiquement littérale tirée d'un sémitus-consulte. Il en va de même des noms des trois envoyés, ainsi que de

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102 ADALBERTO GIOV ANNINI

la mention des trois quinquérèmes mises à leur disposition (cf. chez LIY., 30, 21, 5 la mention des naues mises à disposition des ambassa-- deurs de Sagonte pour leur retour). Il faut rele- ver que Tite-Live donne souvent les noms d'envoyés romains, notamment à propos des antécédents de la deuxième guerre punique, et que, d'une manière générale, ce type d'in- formation ne peut provenir que des recueils de sénatus-consul tes.

2. Llv., 30, 40, 1-4: legati ex Africa Romani simul Carthaginiensesque cum uenissent Romam, senatus ad aedem Bellonae habitus est. ubi cum L. Venturiu.s Philo pugnatum cum Hannibale esse suprema Car- thaginiensibus pugna finemque tandem lugubri bello impositum ingenti laetitia patrum exposuisset, adiecit Verminam etiam, Syphacis ]ilium, quae parua bene gestae rei accessio erat, deuictum. in contionem inde prodire iussus gaudiumque id populo inpertire. tum patefacta gratulationi omnia in urbe templa suppli- cationesque in triduum decretae. legatis Carthagi- niensium et Philippi regis - nam ii quoque uenerant- petentibus, ut senatus sibi daretur, responsum iussu patrum ab dictatore est consules nouos iis senatum daturas esse.

Après la bataille décisive de Zama et l'octroi aux Carthaginois d'une trêve de trois mois, ceux-ci dépêchèrent à Rome une ambassade pour demander la paix; èn même temps, Sei- pion envoya trois legati au Sénat pour l'informer de la victoire romaine (Liv., 30, 38, 2-4), et c'est l'audition de l'ambassade de Sei- pion dont il est question ici. Celle-ci a eu lieu tout à la fin de 1 'année consulaire 202 ou au début de 1 'année consulaire 20 1. En effet, à la fin de 1 'année consulaire 202, le Sénat avait donné mandat à un des consuls de désigner un dictateur pour procéder aux élections pour 1 'année suivante, mais les comices électoraux avaient dû être reportés à plusieurs reprises en raison de signes défavorables, si bien que 1 'année consulaire 201 commença sans magis- trats curules (LIY., 30, 39,4-5). La séance re- latée par Tite-Live peut donc avoir eu lieu au début de 1 'année consulaire 201, avant 1 'élection des nouveaux consuls, que Tite-Live relate immédiatement après, et leur entrée en charge.

L'indication du lieu de la réunion est nor- male dans les sénatus-consultes, et ne peut provenir que du document original; le temple

de Bellona a souvent joué ce rôle, notamment lors de 1 'affaire des bacchanales.24 Il en va de même du nom du délégué de Scipion qui s'adressa au Sénat au nom de ses collègues, et de l'objet de sa mission, à savoir la nouvelle de la victoire des troupes romaines à Zama et de la victoire contre Vermina, fils de Syphax. Le mandat donné à Venturius de communiquer ces bonnes nouvelles à une contio, l'ordre d'ouvrir tous les temples de la ville et de faire trois jours de supplications aux dieux sont des pro- tocoles de décision qui doivent avoir eux aussi fait partie du document original. Il en va de même encore de la réponse donnée aux legati des Carthaginois, qui est parfaitement conforme à la situation du moment, car nor- malement le Sénat ne donnait audience aux ambassades importantes qu'en présence et sous la présidence des consuls. Si l'ambassade de Philippe est une invention de la tradition anna- listique, comme on le prétend, cela signifie que le faussaire a inséré les mots «et Philippi re- gis» dans une relation d'une séance du Sénat qui paraît, pour le reste, rigoureusement au- thentique.

3. Llv ., 30, 40, 5-6: comttw inde habita. creati consules Cn. Cornelius Lentulus, P. Aelius Paetus;

praetores M. lunius Pennus, cui sors urbana euenit, M. Valerius Falto Bruttios, M. Fabius Buteo Sardi- niam, P. Aetius Tubero Siciliam est sortitus. de prouinciis consulum nihil ante placebat agi, quam le- gati Philippi regis et Carthaginiensium auditi essent.

Dans le récit de Tite-Live, les élections pour 201 sui vent immédiatement la séance du Sénat où celui-ci entendit les envoyés de Scipion.

Tite-Live donne en même temps les noms des magistrats élus et, pour les préteurs, des pro- vinces qui leur furent attribuées, mais il s'agit en fait de deux décisions différentes, car les comices n'ont fait qu'élire les magistrats alors que les provinces leur furent attribuées par le Sénat dans une séance ultérieure. ·comme cela se faisait en règle générale, cette répartition des provinces a dû se faire le jour même de 1 'entrée en charge des nouveaux consuls et sous leur présidence. C'est lors de cette même séance qu'a dû être prise la décision de surseoir à la désignation des provinces consulaires, qui précédait normalement celle des provinces prétoriennes.

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4. Lrv ., 30, 42, 1-10: Tum de legatis Phi lippi et Car- thaginiensium actum. priores Macedonas introduci placuit; quorum uaria oratio fuit, partim purgantium, quae questi erant missi ad regem ab Roma legati de populatione sociorum, partim ultra accusantium qui- dem et socios populi Romani, sed multo infestius M.

Aurelium, quem ex tribus ad se missis legatis dilectu habita suhstitisse et se bello lacessisse contra joedus et saepe cum praejectis suis signis conla.tis pugnasse, partim postulantium, ut Macedones duxque eorum Sopater, qui apud Hannibalem mercede militassent, tum capri in uinculis essen/, sibi restituerentur.

aduersus ea M. Furius. missus ad id ipsum ab Aurelio ex Macedonia, disseruit Aurelium relictum, ne socii populi Romani fessi populationibus atque iniuria ad regem deficerent; finibus sociorum non excessisse, dedisse operam, ne impune in agros eorum populato- res transcenderent. Sopatrum ex purpuratis et pro- pinquiis regis esse: eum cum quattuor milibus Mace- donum et pecunia missum nuper in Ajricam esse Hannibali et Carthaginiensibus auxilio. de his rebus interrogati Macedones cum perplexe responderent, nequaquam ipsi simile responsum tulerunt, helium quaerere regem et, si perga/, propediem inuenturum.

dupliciter ab eo foedus uiolatum, et quod sociis po- puli Romani iniurias fecerit ac bello armisque laces- siuerit, et quod hostes muiliis et pecunia iuuerit. et P.

Scipionem recte atque ordine fecisse uideri et ]acere, quod eos. qui arma contra populum Romanum je ren- tes capri sint. hostium numero in vindis habeat, et M.

Aurelium e re pub/ica ]acere gratumque id senatui esse, quod socios populi Romani, quando iure foede- ris non possit, armis tueatur.

La décision du Sénat de reporter la sortitio des provinces consulaires entraîna une polémique qui semble avoir duré plusieurs jours; un des nouveaux consuls, Cn. Lentulus, convoitait en effet la province d'Afrique. Finalement, le Sénat décida d'a tt ri bu er à 1 'un des deux consuls l'Italie, et à l'autre le commandement de la flotte; ce dernier se rendrait en Sicile avec la possibilité de passer en Afrique si la paix avec Carthage échouait. Après avoir pris cette décision, le Sénat procéda, apparemment lors de la même séance, à l'attribution des troupes aux deux consuls et aux autres chefs militaires.

La relation de 1 'audition des ambassades de Philippe et de Carthage suit immédiatement ce qui précède, et semble donc se rapporter à cette même séance. Tout ceci peut donc provenir d'un seul et même sénatus-consulte.

Le débat introduit par les mots quorum ua- ria oratio fuit et qui se termine par et, si per- gat, propediem inuenturum, ne peut en aucun cas provenir d'un sénatus-consulte, les sénatus-

consultes ne consignant, comme je l'ai dit, que les objets des messages des ambassades, mais jamais les propos tenus par les envoyés. La réponse donnée aux Macédoniens (dupliciter ab eo foedus uiolatum ... ) paraît être en revan- che une citation presque littérale d'un proto- cole de décision. Il en va de même de celle qui fut faite à Scipion (recte atque ordine fe- cisse ... ), laquelle, malgré les apparences, n'a rien à voir avec l'audition de l'ambassade des Macédoniens car elle concerne d'une manière générale tous les prisonniers, dont beaucoup d'Italiens, capturés à Zama25; pour 1 'expression recte atque ordine fecisse cf p. ex. Li v., 28, 39, 18 et 45, 13, 6. Quant à l'expression e re pub/i- ca jacere de la réponse faite à Aurelius, elle est très fréquente, de même que la formule gratum senatui esse (cf p. ex. Liv., 32, 8, 12 et 16; 36, 4, 4; 45, 13, 6), ce qui donne à nouveau l'impression qu'il s'agit d' une citation littérale d'un document.

5. Llv., 31, 3, 3-6: M. Valerius Laeuinus propraetor missus circa Vibonem duodequadraginta nauibus ab Cn. Octauio acceptis in Macedoniam transmisit. ad quem cum M. Aurelius legatus uenisset edocuissetque eum, quantos exercitus, quantum nauium numerum comparasse! rex, quem ad modum circa omnis non continentis modo urbes sed etiam insu/as partim ipse adeundo, partim per legatos conciret homines ad ar- ma: maiore conatu Romanis id capessendum helium esse, ne cunctantibus iis auderet Philippus, quod Pyrrhus prius ausus ex aliquanto minore regna esset, haec scribere eadem Aurelium consulibus senatuique placuit.

Après le retour à Rome, vers la fin de l'année consulaire 201, du consul M. Aelius Paetus, le Sénat donna mandat à celui-ci de confier à un homme de son choix le commandement de la flotte qui se trouvait alors en Sicile et de l'envoyer en Macédoine. Aelius Paetus confia cette mission à M. Valerius Laevinus, qui ren- contra alors M. Aurelius.

Si le mandat donné au consul Aelius Paetus est un protocole de décision qui paraît provenir d'un sénatus-consulte, il n'en va pas de même de la rencontre de Valerius avec M. Aurelius et des propos qu'ils sont supposés avoir échan- gés. Cette rencontre fait partie des événements dont l'authenticité n'a pas d'autre garantie que le témoignage des personnes concernées ou

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104 ADALBERTO G!OVANN!N!

d'autres personnes ayant assisté à cette ren- contre.

6. Llv., 31, 5, 5-8: per eos dies opportune irritandis ad bellum animis et litterae ab M. Aurelio legato et M. Valerio Laeuino propraetore cullatae et Athenien- sium noua legatio uenit, quae regem appropinquare finibus suis nuntiaret, breuique non agros modo, sed urbem etiam in dicione eius futuram, nisi quid in Ro- manis au.xilii foret. cum renuntiassent r;onsules rem diuinam rite peractam esse et precationi annuisse deos haruspices respondere laetaque exta fuisse et prolatiolœm finium uictoriamque et triumphum por- tendi, tum litterae Valerii Aureliique lectae et legati Atheniensium auditi. senatus inde consultum factum est, ut sociis gratiae agerentur. quod diu sollicitati ne obsidionis quidem me tu fide decessissent.

Le jour même de 1 'entrée en charge des consuls de 1 'année 200, aux Ides de mars, le Sénat donna mandat aux consuls de procéder aux sacrifices propitiatoires en vue de la guerre imminente contre Philippe, et de consulter ensuite le Sénat sur les affaires publiques en général et sur la répartition des provinces (Liv., 31, 5, 2-4). C'est dans cet intervalle que se- raient arrivées à Rome la lettre de Valerius et d' Aurelius dont il a été question dans le texte précédent, ainsi qu'une ambassade athénienne demandant 1 'aide de Rome. Conformément au mandat reçu, les consuls ont réuni le Sénat quelques jours plus tard pour leur annoncer que les supplications et autres sacrifices avaient été favorables et, comme cela avait été décidé, c'est au cours de cette séance que furent répar- ties les provinces, dont la Macédoine à Sulpi- cius, et attribuées les troupes; c'est lors de cette séance aussi que le Sénat donna mandat à Sul- picius de soumettre au peuple la proposition de déclaration de guerre.

L'audition de la lettre de Valerius et d' Aurelius et l'audition de 1 'ambassade athé- nienne se situent au début de cette séance. El- les se présentent donc comme des informations complémentaires données aux sénateurs pour les confirmer dans leur intention de déclarer la guerre à Philippe. On remarquera que Tite- Live ne dit rien ici du contenu de la lettre de Valerius et d' Aurelius; mais il est clair que si cette lettre est authentique et si elle a été effec- tivement lue au Sénat, le sénatus-consulte de cette séance devait en indiquer en quelques mots l'objet. Celui-ci devait être, d'après le

texte précédent, 1 'état de préparation de Phi- lippe. La réponse du Sénat remerciant les alliés de leur fidélité ne concerne apparemment que les seuls Athéniens et n'a pas à nous occuper dans notre question.

Nous avons donc, c~ez Tite-Live, six passages en tout faisant état des relations diplomatiques entre Rome et la Macédoine et de la mission diplomatique d' Aurelius en Grèce, entre la fin de 1 'année consulaire 203 et la déclaration de guerre à la Macédoine au début de l'année consulaire 200. Dans cinq de ces six passages, ces échanges diplomatiques et la mission d'Aurelius sont évoqués dans le cadre de délibérations du Sénat aboutissant à des prises de décision protocolées dans des sénatus- consultes. La seule exception est la rencontre entre Valerius Laevinus et Aurelius à la fin de 1 'année consulaire 201, mais comme cette ren- contre a pour effet l'envoi d'une lettre com- mune qui fut lue, selon Tite-Live, au début d'une séance du Sénat des premiers jours de l'année consulaire 200, 1 'authenticité de cette rencontre est également liée au protocole de la dite séance du Sénat.

De ces cinq séances du Sénat, quatre sont authentiques dans le sens que j'ai dit précédemment, à savoir qu'elles ont effective- ment eu lieu et qu'elles ont effectivement donné lieu à des prises de décision qui ont été protocolées dans des sénatus-consultes, les- quels sénatus-consultes ont été conservés dans les arc hi v es de la République. Ce sont: 1) la séance du Sénat du début de 1 'année consulaire 201 au cours de laquelle le Sénat entendit le rapport de Scipion 1 'Africain sur la victoire de Zama et ordonna des actions de grâce; 2) la séance tenue quelques jours plus tard au cours de laquelle le Sénat procéda à la répartition des provinces prétoriennes et décida de surseoir à la désignation des provinces consulaires; 3) la séance, de quelques jours postérieure à la précédente, au cours de laquelle le Sénat déci- da de la répartition des provinces consulaires et de l'attribution des troupes; 4) la séance du Sénat que les consuls de 200 convoquèrent quelques jours après leur entrée en charge après avoir, conformément aux instructions qu'ils avaient reçues, fait les sacrifices propi- tiatoires en vue de la guerre de Philippe, et

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Les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine 105 dont les objets principaux furent la décision de

déclarer la guerre à Philippe, l'attribution de la Macédoine comme province au consul Sulpi- cius et l'a tt ri bu ti on des troupes. La seule séance du Sénat qu'on puisse éventuellement considérer comme suspecte est celle de la fin de l'année 203 au cours de laquelle le Sénat aurait entendu les doléances des sociae urbes

«de Grèce».

A deux reprises, Tite-Live rappo"rte les pro- pos qui auraient été tenus par les ambassadeurs devant le Sénat: il le fait pour les legati des sociae urbes dont je viens de parler et pour les envoyés de Philippe et d'Aurelius entendus par le Sénat au début de l'année 201. Ces propos ne peuvent en aucun cas provenir d'un sénatus- consulte et sont donc dans tous les cas des ad- jonctions de la tradition annalistique. Le scep- ticisme dont font preuve les savants modernes au sujet de la Macedonum legio dont il est fait mention dans ces deux passages est donc plus que justifié.

Si l'on fait abstraction de ces discours rapport- és au style indirect par Tite-Live, il ne reste que cinq brèves notices, dont la forme, la concision et le contenu correspondent exacte- ment à ce que l'on trouve effectivement dans des sénatus-consultes. Ce sont:

1) fin 203, audition de legati venus de Grèce. Objet: agri uastati ab regiis praesidiis.

Décision du Sénat: envoi de trois ambassa- deurs, nommément désignés, avec pour mis- sion de communiquer au roi haec aduersus foedus jacta uideri patribus.

2) fin 202 ou début 201, séance du Sénat ad aedem Bellonae. Aux envoyés de Carthage et de Philippe qui demandent audience, le Sénat fait répondre par le dictateur chargé de l'élection des nouveaux consuls consules nouas iis senatum daturas esse.

3) quelques jours plus tard, après l'élection des magistrats pour 201, séance du Sénat pour la répartition des provinces. Le Sénat décide de reporter celle des provinces consulaires: de prouinciis consulum nihil ante placebat agi, quam legati Philippi regis et Carthaginiensium auditi essent.

4) quelques jours plus tard, à la suite des intrigues d'un des consuls, le Sénat finit par désigner les deux provinces consulaires puis entend, lors de la même séance, les envoyés de Philippe et de Carthage. Aux envoyés de Phi- lippe il donne la réponse: dupliciter ab eo foe- dus uiolatum, et quod sociis populi Romani iniurias fecerit ac bello armisque lacessiuerit, et quod hostes auxiliis et pecunia iuuerit.

5) début 200, les consuls convoquent le Sénat après avoir accompli les sacrifices pro- pitiatoires que les patres leur avaient demandé d'accomplir en vue de la guerre contre Phi- lippe. Après avoir annoncé au Sénat que les signes étaient favorables, ils font lire au Sénat les litterae Valerii Aureliique et donnent en- suite audience aux ambassadeurs des Athé- niens.

Cela signifie que si les relations diplo- matiques entre Rome et la Macédoine et la mission d' Aurelius sont des inventions, le faussaire responsable de ces inventions a commis son forfait en insérant, dans des proto- coles de décisions du Sénat par ailleurs au- thentiques et consignés dans les archives de la République, des décisions fictives. La question qu'il faut dès lors se poser et qu'il aurait fallu se poser dès le début est: quand, comment, par qui et surtout dans quel but de telles falsifica- tions ont-elles pu être commises?

On pourrait d'abord imaginer que les falsifica- tions remontent à 1 'époque des faits eux- mêmes. Les responsables rte pourraient être dans ce cas que les sénateurs eux-mêmes, qui

aur~îent voulu justifier leur décision de faire la guerre à Philippe aux yeux des citoyens qui devraient la voter. Mais, au début de 1 'année consulaire 200, lorsque la rogatio fut soumise au peuple, les appels à l'aide d'Attale, qui était un allié de Rome, de Rhodes et des Athéniens suffisaient amplement, si bien que 1' invention d'alliés obscurs situés «quelque part en Grèce»

n'avait guère de sens. De plus, Terentius Var- ro, C. Mamilius et probablement aussi Aurelius étaient des personnages importants dont les faits et gestes devaient être connus du public.

Inventer une ambassade composée de person- nalités en vue paraît impossible à 1 'époque des

J

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106 ADALBERTO GIOY AN NIN!

faits et une telle hypothèse n'a jamais été envi- sagée, du moins à ma connaissance.

Il faudrait donc que ces falsifications aient été commises plus tard, voire beaucoup plus tard. On doit dès lors envisager deux hypo- thèses: soit elles auraient été intégrées par l'auteur qui, le premier, écrivit l'histoire de cette époque; soit elles ··auraient été intégrées

·par un de ses successeurs. Dans la première hypothèse, notre auteur se serait procuré par 1' intermédiaire des questeurs et de leurs scri- bae des copies des sénatus-consultes de ces années d'où il aurait tiré les informations «au- thentiques» qu'il rapporta dans son œuvre (on ne voit pas comment il. aurait pu sinon les connaître, puisque les sénatus-consultes n'étaient normalement pas publiés), et il aurait interpolé dans son récit ses falsifications; mais dans ce cas ces interpolations n'auraient pas échappé à ceux qui lui auraient procuré les documents authentiques. Dans la seconde hy- pothèse, le faussaire aurait composé son œuvre, comme l'a fait Tite-Live, en compilant les œuvres de ses prédécesseurs, et il y aurait ajouté des falsifications qui ne se trouvaient pas dans ces œuvres; mais, dans ce cas, ses lecteurs n'auraient pas manqué de les recon- naître, ce qui n'aurait pas manqué de susciter, sur les origines de la deuxième guerre de Macédoine, des divergences dont nous ne trou- vons aucune trace.

Mais surtout, je ne vois absolument pas 1 'intérêt qu'aurait pu avoir un auteur du Ile ou du 1er siècle à commettre une telle falsification.

Autant l'invention d'une Macedonum legio à Zama peut s'expliquer par le désir d'aggraver la responsabilité de Philippe dans cette affaire, autant l'invention d'obscures sociae urbes

«quelque part en Grèce» que les praesidia du roi de Macédoine auraient attaquées, et de l'envoi d'une ambassade pour s'en plaindre auprès de Philippe paraît dénuée de sens. Du point de vue romain, les agressions de Philippe contre Attale de Pergame, allié de Rome, et contre les Athéniens, que la tradition annalisti- que prétendait également alliés de Rome, justi- fiaient pleinement la décision de lui déclarer la guerre, de la même façon que, pour cette même tradition annalistique, c'est 1 'attaque contre Sagonte qui constitue le casus belli de la deuxième guerre punique. Il était tout à fait

inutile d'ajouter à Attale et à Athènes, que tout le monde connaissait, de mystérieux alliés to- talement inconnus par ailleurs. Quelle que soit la manière dont on examine la question, il n'existe aucune raison scientifique valable de mettre en doute 1 'existence de ces sociae urbes, des agressions dont elles vinrent se plaindre à Rome ni des mesures prises par Rome pour leur venir en aide.

Il existe, en revanche, un argument à mon avis décisif en faveur de leur authenticité. A Rome, la procédure de déclaration de guerre était réglementée par le droit fécial sous l'autorité du collège des féciaux. Nous avons chez Tite- Live (1, 32) et chez Denys d'Halicarnasse (2, 72) une description très précise de cette procé- dure qui comprenait trois phases:

1) Les Romains adressaient à l'adversaire une demande de réparation, appelée rerum repetitio, par l'intermédiaire d'un envoyé ap- pelé legatus chez Tite-Live et fetialis chez De- nys. Celui-ci proclamait à l'adversaire cette demande de réparations à trois reprises, une première fois en pénétrant dans son territoire, une seconde fois au premier homme qu'il ren- contrait et une troisième fois dans le forum de la cité ennemie; s'il n'obtenait pas satisfaction dans les 33 jours, il annonçait à l'adversaire qu'il y aurait une guerre.

2) A la suite du rapport de 1 'envoyé, le roi consultait les patres, à qui appartenait la déci- sion de déclarer la guerre.

3) Si les patres décidaient la guerre, un fécial était envoyé chez 1 'ennemi pour l'informer de l'état de guerre. Il le faisait en plantant une javeline dans le sol ennemi et proclamait l'état de guerre, en présence de trois personnes adultes au moins.

Tite-Live conclut sa description par l'affir- mation que ce rituel passa à la postérité ( l, 32,

14: moremque eum posteri acceperunt), ce qui pourrait donner à penser qu'il était encore en usage à l'époque de la deuxième guerre puni- que. Ce n'est pas le point de vue de la recher- che actuelle. Selon une théorie élaborée par. Frank Walbank et qui est généralement admise

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Les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine 107 aujourd'hui, le droit fécial aurait subi, après la

première guerre punique, une transformation fondamentale: alors que, selon la procédure décrite par Tite-Live, les Romains commen- çaient par demander réparation à l'adversaire et ne décidaient de lui déclarer la guerre que si celui-ci refusait de le faire, ils auraient, à partir du milieu du Ille siècle, inversé l'ordre de la procédure et auraient fait voter la déclaration de guerre aux comices avant d'envoyer à l'adversaire l'ambassade chargée de lui adres- ser la rerum repetitio. La déclaration de guerre par les comices aurait donc été conditionnelle et subordonnée à la réponse que donnerait l'adversaire. L'ambassade chargée de commu- niquer à 1 'adversaire la rerum repetitio aurait eu dès lors la compétence, en cas de refus de sa part, de lui déclarer formellement et définiti- vement la guerre, c'est-à-dire que les deux ambassades de la procédure originelle se se- raient fondues en une seule.26

Mais cette théorie, à laquelle j'ai moi-même longtemps cru, est fausse. Ainsi que je 1 'ai montré ailleurs, la procédure qui a été suivie lors de la deuxième guerre punique, de la deuxième guerre de Macédoine, lors de la guerre contre Antiochos (dont Walbank ne tient pas compte) et lors de la troisième guerre de Macédoine, est rigoureusement celle décrite par Tite-Live et Denys.27 De ma démonstration, je ne reprendrai que ce qui concerne les anté- cédents de la deuxième guerre de Macédoine.

Selon la tradition annalistique, le Sénat envoya une première ambassade à Philippe à la fin de 1 'année 203 pour se plaindre des agressions contre les sociae urbes; tout de suite après la déclaration de guerre par les comices, il fit demander aux féciaux s'il fallait adresser la déclaration de guerre à Philippe en personne ou s'il suffisait de la communiquer à une garnison (Liv., 31, 8, 3-4: consultique fetiales ab consule Sulpicio, bellum, quod indiceretur regi Philippa, utrum ipsi utique nuntiari iuberent, an satis esset, in finibus reg ni quod proximum praesidium esset, eo nuntiari. fetiales decreue-

runt, utrum eorum fecisset, re ete facturum). Un peu plus tard, une ambassade qui avait été en- voyée en Orient pour s'assurer de la fidélité du roi Ptolémée rencontra à Athènes le général macédonien Nicanor et 1 'avertit de ne pas atta- quer des amis de Rome (Pol., 16, 27; Tite-Live

ne parle pas de cet épisode); cette même am- bassade se rendit ensuite à Rhodes d'où elle dépêcha un des siens, le jeune M. Aemilius Lepidus, à Abydos pour avertir le roi, qui as- siégeait cette ville, de ne pas attaquer des cités grecques (Pol., 16, 34= Liv., 31, 18).

Pour Walbank et McDonald, c'est l 'ambas- sade envoyée après la déclaration de guerre et après consultation des féciaux qui fut chargée de remettre à Philippe la rerum repetitio et, en cas de refus de sa part, de lui déclarer la guerre au nom du peuple romain. Mais la question posée aux féciaux et leur réponse excluent cette interprétation. La procédure décrite par Tite-Live et par Denys montre clairement que 1 'envoyé des Romains chargé de procéder à la rerum repetitio doit se rendre dans le territoire de son adversaire, doit essayer de rencontrer les autorités politiques de celui-ci et leur don- ner le temps de donner une réponse. C'est ce que fit 1 'ambassade qui, vers la fin de 1 'année 220, se rendit à Carthagène pour avertir Hanni- bal de ne pas attaquer Sagonte et de ne pas violer le traité de l' Ebre, et qui se rendit ensuite à Carthage pour y transmettre le même mes- sage; c'est le cas également de l'ambassade qui, au printemps 218, se rendit à Carthage pour exiger la livraison d'Hannibal; c'est le cas enfin de l'ambassade qui fut envoyée en 193 en Asie pour communiquer de vive voix au roi Antiochos en personne les exigences de Rome.

La réponse des féciaux à la question du consul Sulpicius montre que l'ambassade à Philippe était, tout au contraire, purement formelle, puisqu'elle pouvait délivrer son message in finibus regni et à la première garnison venue.

Elle correspond donc exactement au rôle de la seconde ambassade de la procédure décrite par Tite-Live, celle qui informait simplement 1 'ad versai re de 1 'état de guerre en plantant une javeline en présence de trois personnes adultes au moins; mais elle ne correspond absolument pas au rôle dévolu à la première.

La rerum repetitio ne peut pas non plus avoir été faite par 1' ambassade qui rencontra le général macédonien Nicanor alors que celui-ci attaquait Athènes et qui, alors qu'elle se trou- vait à Rhodes, délégua le jeune Aemilius Lepi- dus à Abydos pour avertir le roi de ne pas atta- quer des cités grecques. Cette ambassade avait pour mission, comme on vient de le voir, de se

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108 ADALBERTO GIOYANNINI rendre en Egypte et son itinéraire montre

qu'elle avait l'intention de s'y rendre directe- ment et par le plus court chemin. Si elle ren- contra Nicanor, c'est uniquement parce que celui-ci attaqua Athènes alors qu'elle y séjour- nait;28 de même, c'est lorsqu'elle apprit que Philippe assiégeait Abydos qu'elle y délégua Aemilius Lepidus pour mettre le roi en garde.29

· Ceci veut dire que si Nicanor n'avait pas atta- qué Athènes au moment où la délégation ro- maine à Ptolémée s'y trouvait, et que si celle-ci n'avait pas été informée de l'agression de Phi- lippe contre Abydos alors qu'elle se trouvait à Rhodes, elle n'aurait eu aucun contact avec le roi de Macédoine ni avec un de ses représen- tants.

Il n'y a donc qu'une seule ambassade qui corresponde à ce que doit être une renan repe- titio selon la procédure décrite par Tite-Live et Denys: c'est celle qui, selon la tradition anna- listique, fut envoyée à Philippe à la fin de 1 'année 203 pour lui faire savoir que le Sénat considérait les attaques contre les sociae urbes comme une violation du traité de 205. Ceci signifie que si cette ambassade est une inven- tion de la tradition annalistique, il n'y a pas eu de renan repetitio du tout, ce qui paraît tout à fait impensable. La renan repetitio est en effet un acte religieux par lequel 1 'envoyé de Rome prend les dieux à témoins de la justesse de la cause romaine et appelle sur lui, et donc en même temps sur le peuple romain qu'il repré- sente, la malédiction divine dans le cas contraire. Dans le rituel décrit par Tite-Live, 1 'envoyé de Rome invoque une première fois Jupiter en affirmant iuste pie que legat us uenio verbisque meis fides sit ( 1, 32, 6), une seconde fois pour attirer sur lui la malédiction divine s'il agit injustement (1, 32, 7: tum patriae com- potem me numquam siris esse) et le prend en- suite à témoin, ainsi que tous les autres dieux, que c'est l'adversaire qui a commis l'injustice (§ 10: ego vos testor populwn ilium ... iniustum esse neque fus persoluere). Quand on voit le soin que prenaient les Romains à s'assurer la faveur des dieux avant de s'engager dans une guerre et qu'ils ont pris avant de déclarer la guerre à Philippe, on peut difficilement imagi- ner qu'ils aient pris le risque de ne pas respec- ter les procédures prescrites par des principes sacrés. A cela s'ajoute qu'il fallait aussi

convaincre le peuple du bien-fondé de la cause romaine et que tout avait été tenté pour éviter un affrontement armé. L'ambassade envoyée à Philippe à la fin de 1 'année 203 doit être au- thentique.

II me reste maintenant à tirer brièvement les conséquences de ce que je considère comme , une certitude. La première -et la plus récon-

fortante pour les hellénistes -, c'est qu'Attale, les Rhodiens et les Athéniens ne sont pour rien dans 1 'intervention romaine en Grèce. Lorsque leurs ambassadeurs sont venus à Rome à la fin de l'année 201 pour se plaindre du roi de Macédoine, le processus de déclaration de guerre était déjà engagé depuis plus d'une année, ce qui explique que le Sénat ait réagi aussi rapidement à leur appel à 1 'aide. Certains seront peut-être surpris qu'il se soit passé deux ans entre l'avertissement donné par le Sénat à Philippe et le début des hostilités, mais il en a été de même pour les autres grandes guerres de cette époque: c'est dès la fin 220 que le Sénat a averti Hannibal et les Carthaginois de ne pas attaquer Sagonte et de ne pas violer le traité de I'Ebre; c'est dès 196 qu'il a averti Antiochos III de ne pas passer en Europe avec une armée;

c'est dès 173 qu'il a fait connaître au monde grec et donc indirectement à Persée sa «haine»

à l'encontre du roi de Macédoine, avec pour conséquence qu'en été 172 tout le monde, en Grèce, s'attendait à une guerre. En fait, Rome n'avait pas l'habitude, du moins à cette épo- que, de se lancer dans une guerre importante à l'improviste et sans avoir dûment mis en garde son adversaire. Et si cela était encore néces- saire, nous aurions là une preuve supplémen- taire de l'authenticité de l'ambassade romaine à Philippe à la fin de l'année 203.

Il reste maintenant à expliquer pourquoi, à la fin de l'année 203, le Sénat s'est intéressé au sort d'obscures cités alliées «quelque part en Grèce». Etc' est à nouveau le droit fécial qui va nous venir en aide.30 Rome était liée à Philippe V par un traité de paix, conclu en 205. Or la conclusion des traités de paix ou d'alliance était, comme les déclarations de guerre, sou- mise au droit fécial. Elle se faisait selon un rituel décrit lui aussi par Tite-Live au livre I (ch. 24), rituel qui comportait un serment et une imprécation prononcés, dans l'épisode

(15)

Les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine 109

archaïque rapporté par Tite-Live, par le pater palratus qu'avait désigné le fécial. Par ce ser- ment, le pater pat ra tus prenait 1 'engagement, au nom du peuple romain, que jamais celui-ci ne serait le premier à s'en écarter, et que s'il le faisait par une décision officielle et par mau- vaise foi, il appelait sur le peuple romain le châtiment de Jupiter, en lui demandant de le frapper comme il assommait d'un coup de pierre un porc qui se trouvait à ses côtés (Li v., 1, 24, 8-9 : si prior defexit pub_lico consilio dolo malo. tum illo die, Juppiter. populum Ro- mamun sic ferito ut ego lzunc porcum lzic hodie feriam; tantoque magis ferito, quanta magis potes pollesque).31 Pour que le peuple romain puisse dénoncer, sans attirer sur lui la colère divine, un traité qu'il avait conclu, il fallait donc impérativement que 1 'autre partie ait été la première à le violer. Pour le Sénat, qui avait la responsabilité de la politique étrangère et qui devait, lorsqu'il le jugeait nécessaire, convain- cre le peuple romain de déclarer la guerre à un Etat auquel il était lié par un traité, il fallait donc impérativement donner à ce peuple ro- main la preuve manifeste et tangible que 1 'autre partie avait effectivement été la pre- mière à violer ce traité.

Une agression contre un allié de Rome constituait une violation manifeste et tangible d'un traité. Comme on le sait notamment par Polybe (3, 26, 1) et par Suétone (Vesp. 8, 9), les traités conclus par Rome avec d'autres Etats étaient gravés sur des tablettes de bronze et affichés au Capitole, de sorte que tout un chacun pouvait en vérifier 1 'existence et en connaître le contenu. Nous avons dans le pre- mier livre des Macchabées (ch. 8, 23-30) et chez Flavius Josèphe (Ant. 12, 417-418) le texte du traité conclu par Rome avec le peuple juif en 161; une inscription récemment publiée nous fait connaître celui d'un traité avec Ma- ronée qui date probablement du milieu du

ne

s.

av. J.-C. (SEG XXXV, 823), et il reste par ailleurs des fragments de plusieurs autres traités de ce type. L'essentiel du contenu est toujours le même: chacun des deux partenaires s'engageait à venir en aide à son allié au cas où celui-ci serait attaqué par un tiers. Rome avait donc non seulement le droit, mais le devoir de venir en aide à ses alliés s'ils étaient attaqués;

elle avait non seulement le droit, mais le devoir

de dénoncer un traité existant avec un autre Etat, qu'il s'agisse d'un traité de paix ou d'une alliance, si celui-ci se rendait coupable d'une agression contre un de ses alliés.

Ceci explique, comme j'ai essayé de le montrer ailleurs,32 le rôle qu'a joué Sagonte dans la déclaration de guerre à Carthage en 218; ceci explique que, dans la déclaration de guerre à Philippe en 200, celle-ci fut justifiée par les agressions du roi contre les alliés de Rome; ceci explique encore qu'en 191 le Sénat fit demander aux féciaux s'il était nécessaire de dénoncer aux Etoliens ·Je traité d'alliance avant de leur déclarer la guerre, et que les féciaux répondirent que les Etoliens s'étaient déclaré la guerre à eux-mêmes en attaquant une cité alliée aux Romains (Liv., 36, 3, 8-12: num prius so- cietas et amicitia eis renuntianda esset quam bellum indicendum ... Aetolos ultro sibi bellwn indixisse cum Demetriadem, sociorum urbem, per uim occupassent); ceci explique enfin que dans la déclaration de guerre à Persée, avec qui Rome avait renouvelé en 178 le traité de paix conclu avec son père en 196, les agressions du roi de Macédoine contre des alliés de Rome soient explicitement qualifiées de contraires au dit traité (Li v., 42, 30, 10: aduersus foedus cum patre Philippa ictum et secum post mortem elus renouatum). A chaque fois, les agressions commises contre des alliés de Rome servent de justification à la dénonciation d'un traité exis-

tant.

Quand Rome se cherchait des alliés contre un de ses adversaires, soit parce qu'il lui fallait un prétexte pour lui déclarer la guerre, soit simplement pour 1 'affaiblir, elle les prenait quand et où elle le trouvait bon. Elle fit alliance avec Sagonte, probablement vers 222, bien que cette cité fût située au sud de l' Ebre et donc dans la zone d'influence carthaginoise telle qu'elle avait été fixée par le traité de 1 'Ebre de 227. Elle fit alliance avec le roitelet thrace Abroupolis, on ignore à quelle date, bien que celui-ci ne fit pas partie du monde grec qu'elle a v ait pris sous sa protection en 196. En 161 , elle fit alliance avec le peuple juif bien que celui-ci fût sujet du roi séleucide et se trouvât en-dehors de la zone d'influence qu'elle s'était réservée par la paix d'Apamée de 188.

Il vaut la peine de relever que dans les trois cas que je viens d'évoquer, l'allié de Rome a

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